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Université Lumière Lyon 2
Institut d’Etudes Politiques de Lyon
Amérique latine
La telenovela mexicaine, entre local et
global
La telenovela, produit culturel de masse dans le flux
de la mondialisation des programmes audiovisuels.
Pascaline Dubosc
Directeur de mémoire : Jacky Buffet
Soutenu le 4 septembre 2007
Membres du jury : Jacky Buffet et Bernard Lamizet
Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
1. La telenovela, un genre spécifique . .
1.1. Genèse d’un genre. . .
1.1.1. Le grand-père européen : Le roman-feuilleton. . .
1.1.2. La grand-mère américaine : la radionovela . .
1.1.3. La telenovela dans son histoire. . .
1.2. Esthétique d’un genre, la telenovela n’est pas un soap-opéra . .
1.2.1. Analyse d’un genre, pour une dialectique spécifique de la série télévisée . .
1.2.2. La fiction sérielle : les séries et les feuilletons . .
1.2.3. Le soap et la telenovela, de faux jumeaux. . .
1.3. Le mélodrame, élément central de la telenovela . .
1.3.1. Un genre latino-américain . .
1.3.2. Un genre populaire . .
1.3.3. Qu’est ce que le mélodrame ? . .
2. La telenovela mexicaine et le local . .
2.1. État de la telenovela mexicaine en 2007 . .
2.1.1. La télévision et les médias de masse au Mexique, rappels historiques . .
2.1.2. Le paysage télévisuel mexicain du vingt-et-unième siècle . .
2.1.3. La telenovela au Mexique . .
2.2. Culture de masse, culture populaire et identité . .
2.2.1. Médias de masse et culture . .
2.2.2. Télévision et Culture . .
2.2.3. Telenovela et culture . .
2.3. Une application, l’exemple de la telenovela Rubi . .
2.3.1. La telenovela Rubi . .
2.3.2. La femme dans la telenovela . .
2.3.3. Les excès . .
3. La telenovela dans le global . .
3.1. La telenovela dans le monde . .
3.1.1. La telenovela sur son continent de prédilection, l’Amérique Latine. . .
3.1.2.La telenovela s’exporte dans le monde entier . .
3.1.3. La telenovela mexicaine à l’export. . .
3.2. Culture et mondialisation . .
3.2.1. Le cas du Mexique face à la globalisation . .
3.2.2. Les théories de la domination et de l’unification . .
3.2.3. L’avènement de la « glocalisation » . .
3.3. La reconnaissance internationale du genre telenovela . .
3.3.1. Un genre reconnu par les professionnels . .
3.3.2. Un genre moderne. . .
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3.3.3. L’emblème international des telenovelas : analyse de la « bettymania » . .
Bibliographie . .
Ouvrages et Articles sur les telenovelas : . .
Ouvrages et Articles sur les feuilletons : . .
Ouvrages et articles sur la mondialisation de la culture et les médias de masse : . .
Divers: . .
Sites Internet : . .
Annexes . .
Annexe 1 : Personnages de la telenovela Rubi . .
Annexe 2 : Episodes de Rubi . .
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Remerciements
Remerciements
Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de mémoire, Jacky Buffet, pour avoir
accompagné ma recherche depuis plusieurs mois, et avoir su, avec justesse, apporter à mon travail
recadrages et ouvertures. Je remercie également Bernard Lamizet, membre de mon jury, pour le
temps et l’attention consacrés à ce mémoire.
Je remercie ma famille pour avoir supporté mes doutes et mes angoisses et pour son soutien
inconditionnel dans mon parcours universitaire. Merci à Romain pour ses relectures et son soutien.
Merci enfin à Margot, Marianne et Julien pour leur présence ainsi qu’à mes amis de Lyon et du
Havre pour m’avoir accompagnée tout au long de cette année.
DUBOSC Pauline 2007
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La telenovela mexicaine, entre local et global
Introduction
Mondialisation et universalité ne vont pas de pair, elles seraient plutôt exclusives
l'une de l'autre. La mondialisation est celle des techniques, du marché,
du tourisme, de l'information. L'universalité est celle des valeurs #…#. La
mondialisation semble irréversible, l'universel serait plutôt en voie de disparition.
( Jean Baudrillard Le mondial et l'universel. Libération du l8 mars l996.)
Loin d’un concept simple et immuable, la mondialisation relève plus de processus en
perpétuelle mutation. La complexité du problème prend de l’ampleur quand il s’agit de traiter
de la mondialisation de la culture. Celle-ci cristallise de nombreux conflits sous-jacents
relatifs aux notions d’identité, de revendications identitaires, de résistance à l’oppression, de
domination symbolique, d’imposition, de néocolonialisme… Aujourd’hui encore, les EtatsUnis sont encore bien souvent représentés comme le géant cannibale, prêt à tout pour
imposer ses valeurs et ainsi dominer le monde. Bien souvent ce pays entretient cette
dynamique et on peut citer, à l’instar de Pierre Latouche, cette déclaration d’un ancien
responsable de l'administration Clinton, M. David Rothkopf:
Pour les Etats-Unis, l'objectif central d'une politique étrangère de l'ère de
l'information doit être de gagner la bataille des flux de l'information mondiale,
en dominant les ondes, tout comme la Grande-Bretagne régnait autrefois sur
les mers (…) Il y va de l'intérêt économique et politique des Etats-Unis de veiller
à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l'anglais ; que, s'il
s'oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de
sécurité et de qualités, ces normes soient américaines ; que, si ses différentes
parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes
soient américains ; et que, si s'élaborent des valeurs communes, ce soit des
valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent. (LATOUCHE, Pierre, «
Les effets culturels de la mondialisation : Universalisme cannibale ou Terrorisme
identitaire »)
Ce type de déclaration entretient une phobie, celle de la peur de l’homogénéisation du
monde sur la culture « dégénérée » des Américains, celle de la « coca-colonisation », celle
de l’invasion yankee et du déferlement étasunien.
Cette paranoïa prend de l’envergure quand il s’agit des classes populaires, masse
indistincte et indéfinie, considérée comme faible et donc présentant peu de résistance à
l’envahisseur. Dans ce contexte, le média télévision apparaît parfois comme « l’arme de
destruction massive », le vecteur de l’idéologie dominante qui par le biais du petit écran
pénètre le salon et le cerveau endormi de peuples symboliquement opprimés, sans même
en avoir conscience. Si la télévision est l’arme de destructions massives, les munitions
bombardées sur les populations civiles relèvent bien souvent du divertissement , les
munitions les plus destructrices étant les « séries américaines débiles » abrutissant des
millions de gens tels des coachs potatoes obèses devant leurs écrans.
Il est souvent bien difficile de raisonner un paranoïaque et ce parce que sa terreur relève
précisément de l’irrationnel. Cependant, on peut dès lors avancer nombre d’arguments afin
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DUBOSC Pauline 2007
Introduction
d’amenuiser ses craintes. L’invasion est-elle réelle et programmée ? La guerre a-t-elle pour
fin de détruire les identités ? Les téléspectateurs ne peuvent-ils pas se défendre et résister,
même individuellement ? L’attaque est-elle unilatérale ? L’envahisseur est-il si puissant ?
N’y a t-il qu’un envahisseur potentiel ? Ces envahisseurs ont-ils une vocation hégémonique
ou veulent-ils simplement communiquer ?…
Dans le cas des séries télévisées « débiles », un élément concret conduit à nuancer
et à repenser cette paranoïa. La mise en visibilité d’un genre qui n’est pas américain
et qui pourtant atteint des succès d’audience dignes d’un soap-opéra, venant parfois le
concurrencer. La telenovela est aujourd’hui en passe de devenir un des programmes de
divertissement télévisé le plus regardé au monde. Les mosquées d’Abidjan qui déplacent
l’heure de la prière pour ôter aux fidèles le cruel dilemme de choisir entre leurs obligations
religieuses et leur telenovela favorite, les millions de Russes assidus à los ricos también
lloran, les horaires des réunions de cabinet à Cuba alignées sur la grille de programmation,
les Bulgares racontant aux Serbes la fin des épisodes pour quelques dinars, les millions de
chinois telenovelas-addicts, un village espagnol qui dresse une statut pour son héroïne…
autant d’exemples pris au hasard soulignant l’ampleur du phénomène.
Ce travail s’intéresse plus spécifiquement au cas de la telenovela mexicaine, une des
plus exportée dans le monde. À l’échelle internationale, la telenovela mexicaine, qui, malgré
les différences entre les deux genres, se situe sur la même niche que les soap-opéras nordaméricains, est-elle à même de proposer une alternative culturelle aux milieux populaires ?
La question qui se pose en premier est celle du genre (1). Qu’est ce qu’une telenovela ?
Quelle est son histoire ? Quelle est son genre? Quel est son contenu ?… Par la suite,
dans la mesure où l’on se demande si la telenovela mexicaine est à même d’apporter une
alternative culturelle au soap-opéra, il conviendra de s’intéresser à sa place au sein d’un
territoire et d’une culture donnée : le Mexique (2). Enfin, il convient d’étudier la place de
la telenovela au sein du processus de mondialisation afin de vérifier si son exportation ne
modifie pas sa nature (3).
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La telenovela mexicaine, entre local et global
1. La telenovela, un genre spécifique
La première partie de ce mémoire sera consacrée à l’étude du genre telenovela. En effet
si l’on veut montrer que la telenovela existe en tant que telle sur la scène internationale, il
convient de définir ce qu’elle est et ce qu’elle véhicule. Pour ce faire, on procèdera en trois
temps. Tout d’abord, il convient de revenir sur la naissance de la telenovela. Par la suite, on
cherchera à définir la place et la spécificité de ce genre dans une galaxie feuilletonesque
dominée par le soap-opéra nord-américain. Et enfin, il conviendra de décrire le contenu de
ces programmes télévisuels en s’intéressant à leur genre : le mélodrame.
1.1. Genèse d’un genre.
Dans cette première sous-partie, je m’attacherais à offrir un historique de la telenovela
mexicaine en proposant d’abord un rapide aperçu sur ses sources. En effet, pour bien
comprendre l’histoire de la telenovela, il convient de mentionner ses origines. Il est possible
de trouver deux aïeuls directs à ce type de programme télévisuel : un grand-père européen,
le roman-feuilleton, et une grand-mère américaine, la radionovela.
1.1.1. Le grand-père européen : Le roman-feuilleton.
1
Dans son livre, Séries et Feuilletons, pour une typologie des fictions télévisuelles ,
Stéphane Benassi rappelle les origines du feuilleton. Le roman-feuilleton, que l’on peut
définir littéralement comme un roman publié par tranches et de façon régulière dans le
«feuilleton» des quotidiens, est apparu dans la presse quotidienne au dix-neuvième siècle
en France. C’est une innovation que l’on a coutume d’attribuer à Emile de Girardin. Cette
nouveauté joua un rôle déterminant dans le développement et la démocratisation de la
presse en ce sens qu’elle contribua à baisser le prix de l’abonnement. La diminution entraîna
une augmentation de la clientèle, permettant ainsi l’accès des quotidiens aux classes
populaires. Dès sa naissance, le feuilleton obéit donc à une logique commerciale. Considéré
comme un « pousse-la-consommation », le feuilleton est le moyen de fidéliser un client et
apparaît donc comme une stratégie commerciale.
Sans entrer plus avant dans l’étude du roman-feuilleton, on peut citer la définition qu’en
donne Eugène Sue, l’auteur du très célèbre Les mystères de Paris.
Au lieu de suivre cette sévère unité d’intérêt distribué sur un nombre voulu
de personnages qui, partant du commencement du livre doivent, bon gré mal
gré, arriver à la fin pour contribuer au dénouement chacun pour sa quote-part,
mieux vaudrait grouper des personnages qui, n’étant pas le cortège obligé à
1
BENASSI, Stéphane. Séries et Feuilletons, pour une typologie des fictions télévisuelles. Liège : Éditions du Céfal. 2000. 192 p.
Collection Grand écran petit écran. ISBN : 2-87-1300-71-2
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1. La telenovela, un genre spécifique
l’abstraction morale qui serait le pivot de l’ouvrage, pourraient être abandonnés
2
en route, suivant l’opportunité et l’exigeante logique des évènements .
3
Umberto Eco complète cette définition en soulignant que le roman à épisodes respecte,
malgré tout, les conditions minimales d’une histoire définies par Aristote que sont : début,
tension, climax, dénouement et catharsis.
1.1.2. La grand-mère américaine : la radionovela
L’apparition de la radio conféra un second souffle au roman-feuilleton. Le modèle du radiosoap fut développé aux Etats-Unis par de grandes firmes type Colgate-Palmolive, Procter et
Gamble et Gessy-lever. Nous avons ici l’explication de l’appellation « soap », les feuilletons
radiophoniques puis audiovisuels étant à la base un moyen de vendre du savon. Suite
au succès de ces programmes auprès de l’audience féminine américaine, ces firmes se
lancèrent sur le marché latino-américain à commencer par Cuba. C’est ainsi que l’île en
forme de crocodile devint le berceau de la radionovela dès les années trente.
Les feuilletons occupaient une place de choix dans le paysage radiophonique cubain.
Ainsi, dans un ouvrage sur la radio à Cuba, Oscar Luis López souligne que sur les
vingt-deux programmes les plus plébiscités par les auditeurs cubains en 1958, dix sont
4
des radionovelas . Définies par Félix B. Caignet -le plus célèbre des auteurs cubains de
5
radionovela- comme « des spectacles destinés à être vus par l’oreille » , les radionovelas
bénéficièrent d’une atmosphère imprégnée par la tradition du feuilleton et d’un public friand
de ce genre. En effet, le genre feuilletonesque était déjà profondément encré à Cuba où une
loi impose aux dirigeants de manufactures de tabac d’employer une personne en charge de
lire à haute voix le journal le matin et un roman l’après-midi afin de distraire les ouvriers de
leur travail rébarbatif. Pour l’anecdote, on peut souligner que c’est de ces œuvres littéraires
en feuilletons que proviennent les noms des grands cigares cubains à l’instar des Romeo
y Julieta pour ne citer qu’eux.
Le succès de la radionovela dépassa rapidement les limites des frontières cubaines
et atteignit d’autres pays d’Amérique Latine, à commencer par le Mexique, et ce grâce
aux volontés conjointes des industriels et producteurs cubains et nord-américains. Dans
l’ensemble du continent, elle obtint un succès comparable. Dans sa thèse sur le mélodrame
6
mexicain , Julie Amiot nous rappelle les éléments avancés par Oscar Luis López pour
expliquer le succès des feuilletons : la nouveauté d’un média qui devint dans les années
trente le véhicule de la pénétration idéologique, le bas niveau culturel d’une grande partie
de la population, l’habileté de la trame, le style de la narration et enfin le maniement du
suspense.
2
3
ECO, Umberto, De superman au surhomme, Paris : Grasset. 1993. 245 p. ISBN : 2-246-46311-4
Ibidem
4
AMIOT, Julie. Le mélodrame cinématographique mexicain dans se rapports avec Cuba (1938-1958). Enjeux esthétiques et
critiques. Thèse. Université Lumière Lyon 2, Année : 2003
5
AUBRY, Danielle, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle, pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Berne : Peter
Lang. 2006. P. 146. ISBN : 3-03910-994-4
6
AMIOT, Julie. Le mélodrame cinématographique mexicain dans se rapports avec Cuba (1938-1958). Enjeux esthétiques et
critiques.. Thèse. Université Lumière Lyon 2, Année : 2003.
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La telenovela mexicaine, entre local et global
Le fait que la mode du feuilleton préexiste à la radionovela, à la telenovela ou encore
au soap-opéra me paraît valider, du moins en partie, le postulat que la telenovela ne pet
être réduite à un produit standardisé, copié sur le modèle du soap-opéra. Cela contribue
aussi à expliquer pourquoi la telenovela conserve une certaine autonomie face au soapopéra et se différencie de son frère étasunien.
1.1.3. La telenovela dans son histoire.
Dans son livre intitulé, La industria de la telenovela. La producción de ficción en América
7
Latina , Nora Mazziotti dresse une histoire de la telenovela en quatre périodes: l’étape
initiale, également appelée « préhistoire de la telenovela » court des années cinquante
aux années soixante ; suit l’étape artisanale jusqu’aux années soixante-dix ; vient ensuite
l’étape industrielle qui couvre la période soixante-dix/quatre-vingt-dix ; et pour finir l’étape
transnationale.
1.1.3.1. L’étape initiale, préhistoire de la telenovela
L’étape initiale, ou préhistoire de la telenovela, commence en 1951. La telenovela naît donc,
au Mexique, en même temps que la télévision. Du fait de leur diffusion en direct, il ne reste
que peu de traces des telenovelas de l’époque et les chercheurs disposent uniquement
de témoignages oraux pour étudier cette période. Cependant, on peut souligner que les
telenovelas préhistoriques étaient des répliques fidèles de leurs ancêtres les radionovelas.
Ainsi, les premières telenovelas mexicaines, du fait de la prédominance de la parole sur le
texte, seront qualifiées de « radionovelas écoutées sur l’écran ».
L’autre facteur qui explique cette proximité relève de la logique industrielle. En effet
ce sont les producteurs radiophoniques qui se lancèrent dans l’expérience audiovisuelle,
à l’instar de Emilio Azcarraga Vidaurreta, grand-père de l’actuel président de Televisa au
Mexique qui étendit son empire de la radio à la télévision. De la même façon, les acteurs
de la radionovela migrèrent vers le nouveau média. Ainsi, tant en termes de style de jeu
d’acteur que de production industrielle, la telenovela mexicaine provient avant tout de la
tradition orale radiophonique.
1.1.3.2. L’étape artisanale
C’est une innovation technologique qui fait basculer la telenovela dans son deuxième âge,
l’étape artisanale. La vidéocassette révolutionne la telenovela de deux manières. D’une part,
sur le plan purement commercial, la telenovela, cessant d’être diffusée en direct, devint un
produit fini pouvant circuler et donc être vendu. D’autre part, sur le plan du contenu, les
techniques du montage lui conférèrent un meilleur degré de « vraisemblance » ainsi qu’une
meilleure qualité, les erreurs pouvant être corrigées. Une autre innovation technique eut
son importance : en accélérant le rythme de tournage, le prompteur électronique favorisa la
production d’histoires diffusées quotidiennement et la profusion de titres à l’écran.
En ce qui concerne les caractéristiques génériques, cette époque est ambiguë.
D’abord, Nora Mazziotti souligne une « indéfinition du genre ».En effet la telenovela des
années cinquante et soixante prend toutes sortes de contenus : comédies ou drames, et
toutes sortes de formes quant au nombre d’épisodes, à la durée, au rythme de diffusion…
7
MAZZIOTTI, Nora, La industria de la telenovela. La producción de ficción en América latina, Buenos Aires : Paidós Estudios de
comunicación. 1996. 177 p.
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1. La telenovela, un genre spécifique
Nonobstant c’est à cette période que la telenovela se dote de certaines caractéristiques et
d’une tonalité spécifique qu’elle conservera : on peut citer le thème de la reconnaissance, le
goût du mélodrame, la clôture du récit par une victoire du Bien sur le Mal et surtout une trame
centrée sur une histoire d’amour supposée impossible jusqu’au dénouement final. Cadenas
de Amor (1959), Amar fue su pecado (1960), Estafa de amor (1961), Siempre tuya (1964),
Secreto de confesion (1965), Amor y rogullo (1966)… Autant de titres reflétant la couleur
que les telenovelas prirent très tôt, couleur qui n’a pas réellement évolué en quarante ans.
En guise de comparaison, on peut citer quelques titres de telenovelas mexicaines diffusées
actuellement et constater la proximité du champ lexical :Amar sin limites, Bajo las riendas
del Amor, Destilando Amor…
1.1.3.3. L’étape industrielle
Les décennies soixante-dix et quatre-vingts forment l’étape dite « industrielle » dans laquelle
la telenovela se standardise. Toujours selon Nora Mazziotti, ce qui caractérise cette période,
c’est la différenciation des telenovelas selon les pays producteurs. Naissent alors les
trois principaux pôles de production de telenovela, c’est-à-dire le Brésil avec Tv Globo,
le Venezuela avec Venevisión, et enfin, et surtout, le Mexique avec Televisa. Ces trois
pays bénéficièrent d’un vaste marché intérieur qui leur offrit les ressources nécessaires
pour mettre en place des stratégies d’exportation. Le Mexique, et plus tard, le Venezuela,
fournirent en priorité le marché latino-américain ainsi que la population hispanophone
en croissance constante aux Etats-Unis. TV Globo, en revanche, préféra au continent
américain le continent européen. L’Argentine, au contraire, du fait de sa situation politique
et notamment d’une censure active, ne parvint pas à développer ses telenovelas à cette
époque.
L’exemple de l’Argentine nous rappelle que le développement des médias, à cette
époque en Amérique Latine, se fait par le biais d’une intense collaboration entre les grands
groupes et leurs gouvernements respectifs. C’est avec l’appui du pouvoir politique que les
trois consortium grandirent et parvinrent à consolider des « empires médiatiques au Sud ».
De ce fait, la telenovela, à l’instar des grands médias latino-américains, est construite par
et avec les élites, et donc à côté du peuple. La conséquence la plus évidente reste le fait
que les telenovelas parlent peu voir pas du tout de politique.
1.1.3.4. L’étape de transnationalisation
La quatrième et dernière phase mentionnée par Nora Mazziotti est la phase de
transnationalisation. Bien que la telenovela tende à neutraliser des caractéristiques perçues
comme trop locales ou folkloriques et donc peu propices à l’exportation, elle conserve tout de
même sa structure traditionnelle, sa narration spécifique et les caractéristiques spécifiques
de son modèle. C’est aussi l’époque où, pour faciliter son exportation, la telenovela se dote
de caractéristiques techniques standardisées, comme la limite de 200 épisodes, et s’impose
une bonne qualité de son, d’image…
1.2. Esthétique d’un genre, la telenovela n’est pas un
soap-opéra
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La telenovela mexicaine, entre local et global
Après avoir inscrit la telenovela dans l’histoire latino-américaine, il convient de s’intéresser
plus avant au genre de la telenovela. Nous nous intéresserons d’abord à la manière
d’étudier les séries, puis à la spécificité de la sérialité et enfin nous tenterons de comprendre
les proximités et les différences entre le soap-opéra et le telenovela afin de comprendre
l’originalité de ce genre.
1.2.1. Analyse d’un genre, pour une dialectique spécifique de la série
télévisée
Dans cette partie, nous dressons une grille d’analyse de la fiction télévisuelle.
1.2.1.1. Une « poétique de la fiction télévisuelle »
8
Stéphane Benassi est parti du constat que la télévision est étudiée comme un tout,
et, quand elle est fragmentée, ce n’est que pour étudier une seule de ses formes :
l’information. C’est donc pour combler ce manque que le chercheur décide d’établir une
certaine dialectique de la fiction, « une poétique distincte pour la fiction produite et diffusée
par la télévision ». Pour justifier cet axe d’étude, Stéphane Benassi s’appuie sur Robert
Sholes en citant : « le fait d’œuvrer à l’établissement d’une poétique distincte pour la fiction
implique qu’elle est perçue en tant que genre distinct, avec ses propres caractéristiques,
9
ses propres problèmes et ses propres potentialités »
C’est dans cette optique que nous analyserons la telenovela.
1.2.1.2. Fiction télévisuelle et sérialité
Selon Stéphane Benassi, il existe deux formes de fiction télévisée à savoir la fiction unitaire,
type le téléfilm, et la fiction plurielle qui regroupe les feuilletons et les séries.
Jean-Pierre Esquenazi, dans son article « L’inventivité à la chaîne. Formule des séries
10
télévisées » , s’attache à différencier le genre sériel du genre cinématographique. Il
souligne la proximité de ces deux genres, mais surtout il met en avant leurs différences.
La généricité cinématographique « était engagée dans une invention continuelle de genres
nouveaux par mélanges ou mutations de genres anciens ; la télévision s’est au contraire
concentré sur deux genres, le mélodrame et l’aventure surtout policière ou fantastique. Mais
elle a innové en créant un type nouveau de produit, la série :
Celle-ci est à la fois moins qu’un genre et plus qu’un film ; définie par une
formule qui l’inscrit à l’intérieur d’un genre tout en spécifiant le processus de
chacun des épisodes, elle institue une formidable rationalisation de la production
de fiction télévisuelle et crée le premier équivalent narratif du genre musical des
11
variations.
8
BENASSI, Stéphane. Séries et Feuilletons, pour une typologie des fictions télévisuelles. Liège : Éditions du Céfal. 2000. 192 p.
Collection Grand écran petit écran. ISBN : 2-87-1300-71-2
9
SCHOLES Robert, les modes de la fiction in théories des genres, coll. Points, Seuil, Paris, 1986
10
ESQUENAZI, Jean-Pierre, L’inventivité à la chaîne. Formule des séries télévisées, in DELAVAUD, Gilles, Télévision. La part
de l’Art, Paris : L’Harmattan. 2002. p. 95-109. MEI (Médiation & Information, revue)
11
12
ibid, p. 99
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1. La telenovela, un genre spécifique
Le chercheur en conclut que si c’est la notion de genre qui prévaut au cinéma, à la télévision,
c’est le concept de série qui domine.
Dans son ouvrage Séries et Feuilletons, pour une typologie des fictions télévisuelles,
Stéphane Benassi parvient à la même conclusion et souligne que le genre sériel est
aujourd’hui sorti du domaine de la fiction et a investi toutes les émissions télévisées. L’auteur
relève en effet l’emploi du vocabulaire de la fiction dans les émissions d’information. « Audelà du phénomène de scénarisation du réel observé par Gérard Leblance il devrait être
possible de mettre en évidence certains procédés de mise en feuilleton et de sérialisation
12
de l’information » . Il n’hésite pas à écrire que tout est fictionnel à la télévision prenant
comme preuve la régularité des grilles de programmes. Il présente le feuilleton comme « le
triomphe ou la mise en harmonie des pratiques narratives ». La sérialité est aujourd’hui le
mode préféré de diffusion des chaînes car elle apparaît comme le moyen le plus sûr de
toucher les téléspectateurs, la régularité sérielle répondant assez justement à la ritualité
domestique.
1.2.1.3. De la difficulté à étudier les séries télévisées
Malgré cette omniprésence du genre sériel à la télévision, l’étude de ce genre reste un travail
difficile. Jean-Pierre Esquenazi, dans son article, « L’inventivité de la chaîne. Formule des
13
séries télévisées » , expose les deux principales difficultés qui font obstacle à l’étude des
séries télévisées.
D’une part, le statut usuel de l’œuvre en Occident qui doit, pour être admise en tant que
telle, être attachée à un nom propre représentant un auteur. Dans le cas de la série télévisée,
il apparaît difficile, voir impossible d’attribuer une œuvre à un auteur ; elle se présente
comme un produit anonyme dont l’origine semble être « les industries culturelles. » Pour ce
qui est des telenovelas, cette difficulté est quelque peu atténuée du fait de la reconnaissance
et de la mise en lumière dont bénéficient les auteurs des telenovelas.
D’autre part, la seconde difficulté à l’étude de la série est la délimitation du domaine
d’étude, les séries télévisées semblant s’étendre à l’infini. Dans le cas de cette étude, le
domaine d’étude se limite à la telenovela mexicaine.
1.2.2. La fiction sérielle : les séries et les feuilletons
Malgré ces difficultés, il est possible d’analyser le genre sériel afin de comprendre les
ressors de la telenovela. On proposera donc une typologie de la sérialité puis on analysera
les rapports de la sérialité avec le temps et enfin l’aspect répétitif de ce genre.
1.2.2.1. La fiction plurielle
Au sein de la fiction plurielle, il existe donc deux genres distincts, la série et le feuilleton.
Le feuilleton se définit comme une forme fictionnelle narrative dont l’unité diégétique est
fragmentée en plusieurs épisodes d’égale longueur. La série, quant à elle, est cette autre
forme fictionnelle narrative où chaque épisode possède sa propre unité et dont les héros
12
BENASSI, Stéphane. Séries et Feuilletons, pour une typologie des fictions télévisuelles. Liège : Éditions du Céfal. 2000.
Conclusion.
13
ESQUENAZI, Jean-Pierre, L’inventivité à la chaîne. Formule des séries télévisées, in DELAVAUD, Gilles, Télévision. La part de
l’Art, Paris : L’Harmattan. 2002. p. 95-109. MEI (Médiation & Information, revue)
DUBOSC Pauline 2007
13
La telenovela mexicaine, entre local et global
ou les thèmes sont récurrents d’un épisode à un autre. Stéphane Benassi utilise également
les définitions proposées par Noël Nel dans son article « Téléfilm, feuilleton, série, saga,
sitcom, soap-opéra, telenovela, quels sont les éléments-clé de la sérialité ? ». Dans cet
article, Noël Nel précise « qu’il n’existe que deux manières de créer à la télévision la fiction à
la suite : la mise en feuilleton -�opération de dilatation et de complexification de la diégése
�, �étirement syntagmatique du récit qui conserve l’écoulement inéluctable du temps�- et
la mise en série -�opération de développement diégétique par déploiement de nombreux
possibles d’un héros permanent ou d’un horizon de référence, cadre mémoriel constant� ».
Je pense que pour vulgariser ces définitions, on dira simplement que chaque épisode d’une
série est indépendant tandis que les épisodes d’un feuilleton se suivent et font avancer une
histoire plus globale.
La telenovela est un feuilleton, étant donné qu’elle nous raconte une histoire qui s’étend
sur des dizaines d’épisodes, chaque épisode permettant la résolution d’un problème mais
surtout posant le problème qui devra se résoudre dans l’épisode suivant. Chaque épisode
s’ouvre sur le suivant pour fidéliser le téléspectateur.
On le voit clairement dans les définitions, la clé de la sérialité c’est le jeu sur la
temporalité, il convient donc d’analyser plus avant cette problématique.
1.2.2.2. Sérialité et temporalité
Dans son ouvrage Séries télévisées et espace domestique. La télévision, la maison, le
14
monde , Jean Mottet s’intéresse à la question du temps dans le soap-opéra. Ce travail peut
être transposé aux telenovelas qui présentent une structure temporelle comparable.
Du fait de la structure en épisodes de ce type de programmes, ce n’est plus le temps
diégétique de l’histoire qui est le principe organisateur de l’action. Le soap-opéra adopte
une autre logique organisationnelle qui en fait une juxtaposition de segments autosuffisants
avec leur propre cohérence interne. Le temps est alors déformé. Dès lors suivre une telle
histoire ce n’est plus comme l’écrit Ricœur « avancer au milieu de contingences et péripéties
sous la conduite d’une attente qui trouve son accomplissement dans la conclusion », mais
se complaire dans ce que Jean Mottet dénomme « un éternel présent conflictuel, une
succession de crises où les choses se compliquent sans que rien n’arrive vraiment. »
Bien que la telenovela possède la caractéristique de se finir, le temps présente la même
spécificité d’un « éternel présent ».
Cette impression d’éternel présent plonge le téléspectateur dans un état très différent
de celui d’un roman, par exemple, dans lequel le temps est linéaire. Ce temps crée une
impression d’immédiateté, comme si les événements étaient en train de se faire. De fait, il
existe, dans une certaine mesure, une confusion entre la fiction et la réalité et l’impression
que le téléspectateur peut transposer la réalité de sa présence devant la télévision sur
l’action qui s’y joue.
En résumé, la sérialité du soap-opéra favorise le phénomène d’identification et crée
une complicité entre le genre et son spectateur. Ceci expliquerait selon Jean Mottet les
fréquentes interventions épistolaires de téléspectateurs désireux d’influer sur le cours de
l’action, de donner des conseils à leurs personnages ou de partager des expériences
15
similaires. Un tel phénomène n’est pas nouveau et Umberto Eco décrit cette implication
14
MOTTET, Jean, Séries télévisées et espace domestique. La télévision, la maison, le monde. Paris : L’Hamattan. 2005. 156 p.
Collection Champs visuels. ISBN : 2-7475-6909-8
15
14
ECO, Umberto, De superman au surhomme, Paris : Grasset. 1993. 245 p. ISBN : 2-246-46311-4
DUBOSC Pauline 2007
1. La telenovela, un genre spécifique
du lecteur dans une œuvre en feuilleton à propos des romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle, Les mystères de Paris, Le Comte de Monte Cristo… Les romans-feuilletons de
l’époque faisaient l’objet d’une telle appropriation de la part des lecteurs que ces derniers
envoyaient de nombreuses lettres pour intercéder au cours de l’action ou contacter les
personnages.
Par ailleurs, Dominique Pasquier, dans son article « Une nouvelle amie, le héros
16
télévisuel comme promesse d’amour » , souligne que le degré de proximité entre le
spectateur et le personnage est augmenté par le média télévision. La télévision « privilégie
toujours la personnalité sur la prestation : quand nous regardons une célébrité à l’écran nous
ne nous demandons pas si ce qu’elle dit est juste mais nous cherchons à savoir comment
elle va, si elle a l’air triste, fatiguée, nerveuse ou heureuse. » Les « média friends » font
partie du quotidien du téléspectateur qui tend à tisser avec eux des relations privilégiées.
C’est le constat de Dominique Pasquier dans son étude sur les lettres de fans de la série
« Hélène et les garçons », lettres dans lesquelles les téléspectateurs invitent Hélène à
« goûter mercredi », lui demandent « si elle veut bien être leur meilleure amie » et lui confient
leurs secrets –une fan avoue à Hélène s’être fait violer et lui demande de conserver cette
confidence.
La sérialité impose à la fiction un rythme qui la rapproche du téléspectateur et crée une
adhésion au genre. Elle influe d’une seconde façon sur le temps du fait de la répétition.
1.2.2.3. Sérialité et répétition
Dans nos sociétés, le temps valorisé est le temps qui produit, c’est-à-dire le temps qui
avance. Cependant c’est l’autre temps, celui de la répétition et de la redondance, qui fait
la quotidienneté. Dans ce contexte, les telenovelas diffusées quotidiennement et à heures
fixes font partie du temps quotidien, du temps perdu et pourtant elles sont également un
produit commercialisé. Les feuilletons télévisés, c’est le temps de la quotidienneté inscrit
dans le temps productif du marché. Ainsi, le genre sériel parle un double langage, celui du
marché, de la rentabilité mais aussi le langage quotidien, celui de la répétition caractéristique
17
de la culture populaire. Jesús Martín Barbero parle ainsi d’une « esthétique de la sérialité » .
On ne peut donc pas limiter la telenovela à un produit purement commercial : ce qui fait son
succès commercial, c’est qu’elle n’est pas que commerciale et que grâce à son caractère
répétitif elle pénètre le quotidien.
Umberto Eco - et son analyse est reprise dans la majorité des études sur le genre
sériel- souligne que le spectateur retrouve dans la série la joie enfantine de la répétition.
Ce plaisir de l’enfant qui préfère qu’on lui relise une histoire qu’il connaît déjà. Ce goût pour
l’itération peut être utilisé à deux niveaux d’analyse de la telenovela, d’une part le plaisir
de la répétition quotidienne, à chaque jour son épisode, et d’autre part le plaisir intact à
chaque nouvelle telenovela. Bien que, rompu aux histoires que racontent les telenovelas, le
téléspectateur connaisse la fin avant même de voir le début, le plaisir de regarder tous les
épisodes reste intact. Cela fait partie de la différence entre le roman populaire et le roman
cultivé ; le roman populaire doit donner au lecteur ce qu’il attend et flatter son intelligence en
le laissant deviner la suite et la fin de l’histoire. L’aspect répétitif et redondant des telenovelas
est donc explicatif de leur succès.
16
PASQUIER, Dominique, « Une nouvelle amie, le héros télévisuel comme promesse d’amour » in LE GUERN, Philippe (dir.),
Les cultes médiatiques. Culture fan et oeuvres cultes, Rennes : Presses Universitaires de Rennes. 2002. 378 p. ISBN : 2868476481
17
MARTíN BARBERO, Jesús, Televisión y melodrama, Bogotá : Tercer Mundo Editores. 1992. p.25
DUBOSC Pauline 2007
15
La telenovela mexicaine, entre local et global
Dans cette partie, nous avons dressé une grille de lecture de la sérialité, il convient
maintenant de resserrer notre sujet en analysant plus avant la telenovela.
1.2.3. Le soap et la telenovela, de faux jumeaux.
18
Stéphane Benassi classe la telenovela dans le groupe soap-opéra , et l'on peut réaliser
avec lui de nombreux parallèles entre ces deux genres de feuilletons. On se servira donc
du travail de Stéphane Benassi pour définir le genre telenovela. Cependant, on verra avec
Nora Mazziotti que face au soap-opéra, la telenovela conserve sa spécificité.
1.2.3.1. La telenovela est la soeur du soap-opéra…
Pour définir le soap-opéra, Stéphane Benassi s’appuie sur la définition de la saga proposée
par Jacques Bianchi :
Chaque séquence s’achève généralement par un gros plan de personnage clé et,
dans les intervalles, la caméra ne filme presque jamais d’action mais aligne des
kilomètres de champs/contre-champs de personnages qui se parlent fixés dans
des positions très déterminées et aux évolutions restreintes. La caméra ne zoome
pas n’explore pas l’espace, se bornant à enregistrer des décors caricaturaux par
accumulation de signes visuels (…) Tout est calculé pour que la lisibilité soit
19
totale. Et donc que l’accès du programme soit possible au maximum de gens.
Le soap-opéra et la telenovela sont donc des genres lents et très accessibles.
Par ailleurs, il est coutume de dire que dans les soap-opéras et dans les telenovelas,
il ne se passe rien. On remarque en effet que peu d’événements concrets viennent
troubler la vie des personnages. Ce sont ces derniers, par le biais de conversations
interminables et redondantes, qui compliquent leurs propres situations ; dans un soapopéra, chacun des rares événements est raconté, re-raconté et déformé jusqu’à ce que
tous les personnages soient au courant. Ces nombreuses discussions et spéculations
ralentissent le temps et opèrent un freinage constant sur l’avancement de l’histoire. Les
personnages se complaisent dans un babillage perpétuel et sont dispensés d’agir, chaque
décision ou action pouvant prendre plusieurs mois et finalement ne pas se faire. Cette
lenteur, cet étirement du temps, cette indécision des personnages, ce rythme nonchalant
permettent à la caméra de se déplacer d’un personnage à un autre, de conversations à
d’autres sans devoir rester focalisée à tout instant sur le destin d’un héros central, et dans
le cas de la telenovela, celui du couple de protagonistes.
1.2.3.2 … mais la telenovela n’est pas un soap-opéra
C’est la question du dénouement qui différencie la telenovela du soap-opéra, comme le
20
souligne Nora Mazziotti dans la revue Problèmes d’Amérique Latine . On l’a vu, le nombre
d’épisodes d’une telenovela s’est stabilisé entre 180 et 200 épisodes, cependant il existe
18
BENASSI, Stéphane. Séries et Feuilletons, pour une typologie des fictions télévisuelles. Liège : Éditions du Céfal. 2000.p. 176.
Collection Grand écran petit écran. ISBN : 2-87-1300-71-2
19
20
Ibidem
MAZZIOTTI, Nora, “Telenovela : cinquante ans de récit hégémonique en Amérique Latine” Problèmes d’Amérique Latine. Paris:
La Documentation Française. n°43 nouvelle série, octobre-décembre 2001. p.45-61
16
DUBOSC Pauline 2007
1. La telenovela, un genre spécifique
des telenovelas de seulement vingt épisodes et d’autres de plus d’un millier. Et pourtant
toutes ces telenovelas ont une caractéristique commune, celle de posséder une fin. La
chercheuse l’explique par le fait que la telenovela raconte, en règle générale, une histoire
d’amour. À travers la problématique de l’identité, les récits tournent autour des rencontres,
des séparations et de la réunion définitive d’un couple protagoniste. Le dénouement
des telenovelas latino-américaines, conformément au contrat de lecture établi avec le
téléspectateur, comporte non seulement la réunion du couple, mais aussi, conformément à
la morale du mélodrame, le triomphe du Bien sur le Mal.
Les principales différences entre la telenovela et le soap-opéra en ce qui concerne la
formule sont donc le dénouement ainsi que la présence d’un couple protagoniste central.
1.2.3.3 Qui est donc la telenovela mexicaine ?
Dès lors, on peut tenter de donner une définition plus précise de la telenovela.
La telenovela est un feuilleton d’un format d’une demi-heure à une heure. La sérialité
est ouverte du fait des nombreux personnages, nonobstant elle suit une courbe dominante
autour d’un couple central, courbe qui s’achève dans une résolution finale au terme
d’environ cent quatre-vingt-dix épisodes. Ce qui fait la spécificité de la telenovela mexicaine,
c’est son attachement à la tradition et au style mélodramatiques. De ce fait la telenovela
mexicaine présente l’intéressante particularité de relever de l’anachronisme. En effet, elle
mêle les nouvelles technologies les plus avancées –afin d’être un produit exportable- à des
dispositifs narratifs archaïques et presque galvaudés. Elle relève donc du syncrétisme entre
culture populaire et nouvelles technologies, entre tradition et modernité. C’est son versant
archaïque que nous allons étudier dans la troisième sous-partie consacrée à l’analyse du
mélodrame.
1.3. Le mélodrame, élément central de la telenovela
La telenovela appartient incontestablement au genre mélodramatique et c’est ce caractère
qui en fait un programme à succès. Il convient donc d’expliquer pourquoi ce genre rencontre
un succès sur le continent latino-américain (1.3.1) et au sein des classes populaires (1.3.2)
et de le définir (1.3.3). En effet, le genre mélodramatique s’inscrit dans la durée et ce surtout
en Amérique Latine, il ne faut donc pas limiter l’étude de ce genre à la matrice commerciale
mais rechercher ses accroches dans la culture.
1.3.1. Un genre latino-américain
Le mélodrame français est différent du gringo, le Soviétique de l’Espagnol ;
mais en revanche , on peut étudier l’unité mélodramatique latino-américaine
qui parcourt le continent depuis le Rio Grande jusqu’à la Patagonie, parce
que, gémissant, accusant, chantant des rancheras mexicaines ou des tangos
21
argentins lorsqu’il s’enivre, il s’identifie pleinement au territoire (Salcedo)
21
Martín BARBERO, Jesús, Des médias aux médiations. Communication, culture et hégémonie, Paris : CNRS éditions.
1997. 222 p. ISBN: 2-271-05994-1
DUBOSC Pauline 2007
17
La telenovela mexicaine, entre local et global
1.3.1.1. Le mélodrame en Amérique Latine
Le mélodrame est le genre latino-américain par excellence. On le retrouve dans quasiment
toutes les productions culturelles en Amérique Latine depuis le dix-huitième siècle sous des
formes et sur des supports variés : théâtre, chanson, cinéma, danse, mais aussi sous des
formes plus inattendues tels les discours politiques d’Evita Perón ou de Fidel Castro pour ne
citer que les plus célèbres.« Il est présent dans la chorégraphie, l’interprétation du tango et
du flamenco ; dans le journalisme comme dans le roman-feuilleton, le courrier des lecteurs
22
et la chronique des faits-divers, dans la littérature, dans la poésie ou l’opéra… »
23
Dans un article intitulé « Ellas son el centro de la pantalla y la pantalla es el mundo » ,
Omar Rincón présente le mélodrame comme le genre le plus typiquement latino-américain
et du fait de cette acceptation généralisée par le public, comme un genre susceptible
d’assurer aux industriels une bonne audience. Il considère que le succès du mélodrame,
et donc des telenovelas, s’explique par le fait qu’il reflète l’identité, la manière d’être et de
ressentir de l’Amérique Latine. Il considère que tous les éléments qui font le succès du genre
mélodramatique sont présents dans la réalité latino-américaine. Il cite entre autre le besoin
de reconnaissance et la recherche de l’identité dans des pays anciennement colonisés et
caractérisés par le métissage ; l’existence de l’ascenseur social dans des pays où le fossé
entre les plus riches et les plus pauvres est abyssal ; le viol ou l’humiliation de l’héroïne sur
un continent où ce type de tragédies font partie du quotidien ; les assassinats et les abus de
position dominante dans des pays où les systèmes politiques semblent caractérisés avant
tout par la corruption…
1.3.1.2. Le drame de la reconnaissance
Il convient d’approfondir un des points mentionnés ci-dessus afin de bien comprendre
l’inscription du mélodrame dans la culture latino-américaine. Le mélodrame, comme la
telenovela, est avant tout le drame de la reconnaissance. Dans son ouvrage De superman
24
au superhomme , Umberto Eco nous propose une typologie de la reconnaissance, qu’il
nomme agnition, à savoir que l’agnition peut être soit réciproque -tu es mon père, tu es
mon fils- ou monodirectionnelle -tu es l’assassin de mon fils-. Il appelle « révélation » le
dénouement violent et inopiné d’un nœud du récit jusqu’alors inconnu du héros -Oedipe
apprend qu’il a tué Laïos, et « dévoilement » le moment de l’agnition monodirectionnelle. Il
distingue aussi la reconnaissance réelle quand elle est une surprise pour le héros et pour le
lecteur, de la reconnaissance contrefaite quand le lecteur a déjà compris. La reconnaissance
contrefaite est selon Umberto Eco une des clés pour comprendre le succès des romans
populaires qui doivent avant tout satisfaire le public, lui donner ce qu’il s’attend à avoir.
La problématique de la reconnaissance est capitale pour comprendre le lien entre
25
l’Amérique Latine et le mélodrame. Martín Barbero, dans Televisión y Melodrama , ainsi
22
MAZZIOTTI, Nora, “Telenovela : cinquante ans de récit hégémonique en Amérique Latine” Problèmes d’Amérique Latine. Paris:
La Documentation Française. n°43 nouvelle série, octobre-décembre 2001. p.45-61
23
RINCÓN, Omar, “Ellas son el centro de la pantalla, la pantalla es el mundo” [en ligne]. Colombia.[page consultée le 14 avril
2007].<www.razonypalabra.org.mx/anteriores/n16/pantalla16.html>
24
ECO, Umberto, De superman au surhomme, Paris : Grasset. 1993. 245 p. ISBN : 2-246-46311-4
25
18
MARTíN BARBERO, Jesús, Televisión y melodrama, Bogotá : Tercer Mundo Editores. 1992. 299 p. ISBN: 958-601-358-8
DUBOSC Pauline 2007
1. La telenovela, un genre spécifique
26
que dans Des médias aux médiations , donne une définition de la reconnaissance qui
passe par le rejet du sens qu’en a gardé le rationalisme. Le rationalisme, dit-il, n’a gardé du
mot reconnaissance que le sens négatif, celui d’une opération redondante et inutile, celle de
re-connaître. Si on projette cette conception sur la question idéologique, « reconnaître dans
27
le royaume de l’aliénation consiste en mé-connaître » . À cette définition pessimiste, Jesús
Martín Barbero préfère utiliser une autre matrice théorique pour éclairer la notion centrale
de reconnaissance. Reconnaître signifie alors interpeller ou être interpellé et touche une
question liée aux sujets et à leur mode spécifique de se construire. Les sujets pouvant être
autant des sujets individuels que collectifs, des classes sociales ou des acteurs politiques
qui « se font et se refont dans la trame symbolique des interpellations, des reconnaissances.
C’est la dimension subjective qui traverse la socialité soutenant l’institution du pacte
28
social » . Les dynamiques de reconnaissance sont donc capitales dans la cohésion, la
survie et l’évolution d’une société puisque ce sont à travers elles que les individus se lient
entre eux.
1.3.1.3. Les liens entre le mélodrame et l’histoire latino-américaine
C’est à travers de cette matrice théorique que Jesús Martín Barbero étudie le mélodrame,
le drame de la filiation dont la trame est centrée sur la méconnaissance d’une identité
et la lutte pour se faire reconnaître. « Ne trouve-t-on pas ici le lien entre le mélodrame
29
et l’histoire du sous-continent latino-américain ? » . Le mélodrame s’inscrit donc dans
l’imaginaire collectif latino-américain, et l’on connaît l’importance de l’imaginaire dans la
construction de l’identité et de la mémoire historique et donc dans la possibilité même d’une
projection dans l’avenir. La problématique de la reconnaissance nous parle de la centralité
de la socialisation primordiale qu’est la parenté en Amérique latine. De là à en conclure
que le succès des telenovelas peut s’expliquer par l’échec des institutions politiques et
sociales à créer une identité forte par d’autres vecteurs de socialisation en négligeant et
méconnaissant la famille, il n’y a qu’un pas.
Ainsi c’est sa composante mélodramatique qui fait de la telenovela un genre aussi
répandu en Amérique Latine. Pour compléter ce tableau on peut aussi mentionner certaines
dimensions de ces feuilletons qui les rattachent à la culture latino-américaine, par exemple
l’utilisation du deus ex machina pour régler les problèmes trop alambiqués. C’est une
apparition salvatrice de la Vierge qui va sortir l’héroïne d’une situation inextricable. Ce type
de phénomène paranormal est partie intégrante de la culture latino-américaine où il n’est
pas rare de croiser un fantôme.
On a vu ici que le mélodrame appartient à la culture latino-américaine, mais plus que
rattacher à un territoire donné, le mélodrame reste avant tout un genre populaire.
1.3.2. Un genre populaire
26
MARTíN BARBERO, Jesús, Des médias aux médiations. Communication, culture et hégémonie, Paris : CNRS éditions.
1997. 222 p. ISBN: 2-271-05994-1
27
« Re-conocer en el reino de la alineación consiste en des-conocer » in MARTíN BARBERO, Jesús, Televisión y melodrama,
Bogotá : Tercer Mundo Editores. 1992. p. 27
28
« que se hacen y se rehacen en la trama simbólica de las interpelaciones, de los reconocimientos. Es la dimensión subjetiva
que atraviesa la socialidad sosteniendo la institucionalidad del pacto social », ibid, p. 27
29
« No estará ahí la conexión secreta del melodrama con la historia del subcontinente latinoamericano ? », ibid. p.27
DUBOSC Pauline 2007
19
La telenovela mexicaine, entre local et global
1.3.2.1. Mélodrame et temps historique
Pour comprendre pourquoi le mélodrame est un genre populaire, il convient de débuter le
raisonnement sur la conclusion de la partie précédente à savoir que le mélodrame, à travers
la problématique de la reconnaissance, s’intéresse au thème de la famille. Or, dans les
cultures populaires le temps familial est le temps à partir duquel l’homme se pense social.
Un homme est avant tout un parent. On l’a vu, la thématique de la reconnaissance est
l’aspect dynamique de la socialisation, avec au centre cette socialisation primordiale qu’est
la socialisation par la parenté. En ce sens, le temps de la famille se retrouve dans le temps
de la collectivité, dans le temps social.
De façon à ce que, entre le temps historique –qui est le temps de la nation et du
monde, celui des grands évènements- et le temps de la vie – qui est celui qui va
de la naissance à la mort de chaque individu, jalonné des rites qui signalent le
passage d’un âge à un autre- le temps familial est celui qui fait la médiation et
30
rend leur communication possible.
Jesús Martín Barbero utilise l’analyse de Robert Hoggart dans The uses of literacy : les
grands événements ne sont perçus dans les milieux populaires que quand ils affectent
directement la vie du groupe familier. Les guerres sont là où tel oncle est mort, la ville est
là où vit telle cousine. On retrouve ce type de fonctionnement dans les telenovelas qui ne
sont reliées à l’actualité politique que dans la mesure où cette actualité agit directement sur
la vie quotidienne des personnages.
Toutefois une autre explication à ce phénomène se trouve dans l’histoire du genre.
Nous l’avons mentionné, la production des telenovelas au Mexique et plus généralement
en Amérique Latine s’est faite par le biais d’une collaboration entre les industriels et les
politiques. De ce fait, quelques rares exceptions mises à part, les telenovelas ne parlent
pas de politique.
1.3.2.2. Mélodrame et cercle familiale dans les classes populaires
Quoiqu’il en soit, les classes populaires retrouvent au sein du mélodrame ce qui les
constitue : la famille. Et on le voit avec les travaux de Robert Hoggart, ce phénomène
n’est pas limité à l’Amérique Latine, mais concerne les classes populaires de manière plus
générale. Par ailleurs, et par extension, il convient de mentionner que suite à l’urbanisation
croissante, le cercle familial s’est étendu au voisinage, et c’est désormais au sein du
quartier que se construit la socialisation des classes populaires. Dans la telenovela Rubi, par
exemple, on voit bien que la vie de la famille de l’héroïne n’est pas limitée à ses interactions
avec sa mère et sa sœur : bien au contraire les voisins tiennent un rôle important dans
les discussions et la fabrication des opinions. À l’inverse, la vie familiale de Maribel, issue
d’une classe privilégiée, se limite aux personnes habitant sa maison, maison qui d’ailleurs
ne comporte pas de voisinage direct. Ainsi le mélodrame met en scène, pour les classes
populaires, le mode le plus vrai de leur socialisation, celui de la famille étendue, à travers
les incessantes conversations avec les voisins et les commérages de concierges.
30
« De manera que entre el tiempo de la historia –que es el tiempo de la nación y del mundo, el de los grandes
acontecimientos que vienen irrumpir en la comunidad- y el tiempo de la vida –que es que va del nacimiento a la muerte
y que jalonan los ritos que señalan el paso de una edad a la otra-, el tiempo familiar es el que media y hace posible su
comunicación », ibid, p. 28
20
DUBOSC Pauline 2007
1. La telenovela, un genre spécifique
Apparaît ici un élément paradoxal du succès du mélodrame auprès des classes
populaires. En effet, le mélodrame, bien que très loin de la réalité et propice au rêve, est
aussi celui qui touche le plus à la vie quotidienne des masses populaires.
1.3.2.3. Le mélodrame et le peuple en scène
Pour aller plus avant dans l’étude du mélodrame comme genre populaire, il nous faut
remonter en arrière et retracer l’historique du mélodrame. La spécificité du mélodrame tel
que nous le connaissons aujourd’hui remonte au dix-septième siècle, lorsqu’en France
et en Angleterre, le pouvoir réserve les théâtres officiels aux classes supérieures. Afin
de préserver le « véritable théâtre », afin qu’il ne soit pas corrompu par les classes
populaires, les seules représentations qui sont permises au peuple sont des représentations
sans dialogues, ni parlés ni même chantés. Ces normes éloignent le mélodrame de sa
définition étymologique et en font ce qu’il est aujourd’hui : le lieu des sentiments exacerbés,
de la profusion des émotions, de l’exubérance des gestes… le lieu de l’exagération. Le
mélodrame est donc, dès le dix-septième siècle, placé du côté du populaire et laissé à sa
disposition car rejeté et méprisé des élites.
La nécessaire exacerbation des sentiments du fait de l’interdiction de paroles confirme
et participe du clivage qui s’instaure entre le théâtre dit « vrai » et le mélodrame. En
effet, à une époque où la bourgeoisie prône la raison, le contrôle de soi et la maîtrise
des sentiments, la profusion de gestes et l’exagération des émotions tendent à démarquer
encore plus le mélodrame des élites. Le mélodrame devient donc un lieu privilégié pour le
peuple opprimé, qui peut s’exprimer, malgré certaines interdictions, et affirmer sa culture
face à une culture élitiste et inaccessible. Le peuple entre en scène et le mélodrame devient
le miroir de la conscience collective des classes populaires.
C’est aussi dans cette histoire que l’on peut voir l’émergence de la masse. En effet, cette
complicité entre le mélodrame et le public, cette démarcation culturelle fait partie intégrante
du processus qui conduit le populaire au massif. En donnant une image unifiée du populaire
à travers un discours homogène et simplifié pour des raisons techniques, le mélodrame nous
31
offre une première figure de la masse. Nous développerons la thématique de la masse
et du populaire ainsi que celle de l’identité culturelle dans la deuxième partie. Cependant,
on peut dès à présent souligner que tous ces éléments prouvent que s’il est indéniable
que la telenovela est imbriquée dans une logique commerciale, il ne faut pas en conclure
une dissolution de toute trace d’expérience ou de matrice culturelle dans les exigences du
marché. De là on peut mettre en doute l’idée que la force des industries culturelles réside
dans l’idéologie au contraire elle semble résider dans la culture, dans la dynamique profonde
de la mémoire et de l’imaginaire. On a vu en effet que le mélodrame est un genre populaire
et que l’on trouve les origines dans la culture que ce soit celle du continent latino-américain
ou celle des masses populaires.
Nous avons pris le parti d’inscrire le mélodrame dans la culture avant de le définir et
de s’intéresser à son contenu. Nous allons maintenant entrer plus avant dans la description
du mélodrame.
1.3.3. Qu’est ce que le mélodrame ?
31
MARTíN BARBERO, Jesús, Des médias aux médiations. Communication, culture et hégémonie, Paris : CNRS éditions.
1997. Chap. 4.
DUBOSC Pauline 2007
21
La telenovela mexicaine, entre local et global
Le terme mélodrame est généralement utilisé aujourd’hui pour désigner un
style de représentation larmoyant et sentimental. Or le mélodrame désigne
à l’origine une forme de spectacle, dont l’apparition marque la naissance de
l’industrie moderne du spectacle. Il s’agit d’un genre de spectacle intéressant
prioritairement un public familial, ce qui désigne tout à la fois une forme de
composition sociale de l’audience, – on amène ses enfants au mélodrame – et
un certain type de conduite du spectateur qu’exprime idéalement la sympathie
32
émotionnelle manifestée par les femmes, ce dont leurs larmes témoignent.
1.3.3.1. La formule
Pour définir le mélodrame, j’ai choisi d’utiliser la trame proposée par Omar Rincón dans
33
son article « Ellas son el centro de la pantalla y la pantalla es el mundo » . Omar Rincón
nous présente ainsi les dix éléments qui régissent la trame d’un mélodrame et la formule
de la telenovela.
1. Un drame de télévision doit présenter une histoire d’amour qui se passe
généralement entre un homme riche ou prince charmant et une femme humble ou
une belle au bois dormant; la relation devant être évitée à tout prix par un vilain qui
cherche l’amour de l’héroïne.
2. Il existe un conflit ou un obstacle fondamental à cette romance ; cet obstacle peut
résider dans une cause externe comme la famille, la culture, une cause naturelle, un
défaut physique, le destin ou dans une situation interne du personnage qui l’empêche
d’aimer, d’être compris.
3. Dans les premiers épisodes, il y a une relation sexuelle-amoureuse entre
les protagonistes ; si c’est un viol c’est encore mieux. Il faut en effet marquer
sexuellement le corps de la protagoniste.
4. La protagoniste doit avoir un passé inconnu qui suscite le mystère.
5. La protagoniste doit être fille de personne ou de père inconnu pour qu’elle rêve de la
possibilité d’une origine noble et nantie. De là, naît un élément de grande force qu’on
a déjà mentionné : la quête du père.
6. La lutte des classes est un conflit vital, la pauvre fille est exclue, mise à l’écart et
dénigrée du fait de sa condition sociale ; de cette discrimination naît le désir d’une
ascension sociale comme une motivation à vivre.
7. Le prince charmant, la belle au bois dormant et le vilain doivent avoir des confidents,
des adjuvants, sur lesquels ils s’épanchent et qui deviennent leurs conseillers et
complices.
8. Les hommes doivent être pusillanimes, idiots, indécis, caricaturaux et incapables de
prendre en main leur destin, destin qui sera donc déterminé par les femmes qui les
entourent : mères, fiancées, amantes et princesses.
9. La structure de l’histoire d’amour doit créer et entretenir le suspense de sorte que,
bien qu’il connaisse la fin, le téléspectateur doute à chaque instant ; mais, de la
même manière, il doit se sentir intelligent devant la telenovela, les clés narratives
doivent donc faire sens et permettre de prédire l’avenir.
32
« Les raisons d’aimer… les séries télé », INA, Médiamorphoses, hors série- janvier 2007, sous la direction de MAIGRET
Eric et SOULEZ Guillaume, 191 pages.
33
RINCÓN, Omar, “Ellas son el centro de la pantalla, la pantalla es el mundo” [en ligne]. Colombia.[page consultée le 14 avril
2007].<www.razonypalabra.org.mx/anteriores/n16/pantalla16.html>
22
DUBOSC Pauline 2007
1. La telenovela, un genre spécifique
10. La telenovela doit savoir suivre les évolutions de la manière de rêver des
téléspectateurs et de la société, recherchant le langage de la vie quotidienne et
exprimant des contextes qui génèrent une reconnaissance.
Cette formule relève de la trame sur laquelle les milliers de telenovelas mélodramatiques
ont brodé leur propre ouvrage en modifiant certaines règles.
1.3.3.2. Un monde stéréotypé et polarisé
Le monde mélodramatique et par conséquent celui de la telenovela est un monde simplifié
où les personnages, notamment grâce à la métonymie, sont facilement identifiables et où
un conflit binaire oppose le Bien au Mal.
Dans ses travaux, Jesús Martín Barbero nous offre une typologie du monde des
telenovelas. La telenovela est un spectacle total, tant dans la mise en scène que dans la
narration et la structure dramatique, et s’articule autour du nombre quatre. On trouve ainsi
dans le mélodrame quatre sentiments de base : la peur, l’enthousiasme, la peine et le rire ;
quatre types de situations comme quatre types d’émotions : terribles, excitantes, douces et
plaisantes ; quatre personnages : le traître caractérisé par le mal, le vice, et la séduction,
le justicier qui sauve la victime et punit le traître, la victime, qui est l’héroïne et incarne
l’innocence d’une femme privée d’identité et injustement traitée, et enfin l’idiot qui assure le
côté comique ; et enfin quatre genres : le roman noir, l’épopée, la tragédie et la comédie.
Par ailleurs, le mélodrame vise une intensité maximum qui ne peut se réaliser selon
Jesús Martín Barbero que grâce à deux procédés : la schématisation et la polarisation. La
schématisation doit être entendue comme une absence de psychologie des personnages
qui deviennent de purs signes. Cela a aussi trait à l’aspect narré des telenovelas. C’est
la différence entre ce qui est fait « pour être lu » et qui engendre une certaine mémoire
de ce qui a été fait permettant une certaine épaisseur des personnages, et ce qui est fait
« pour être narré » qui a besoin des stéréotypes et des archétypes comme autant de clés
de lecture. La polarisation manichéenne, quant à elle, est la réduction des personnages à
bon ou mauvais, le mélodrame est en effet le lieu de la lutte du Bien contre le Mal, lutte dont
on connaît par ailleurs l’issue car la telenovela se doit d’assurer le triomphe de la vertu.
Il est intéressant de constater le fossé qu’il existe entre la complexité de la trame
et la simplicité de la structure car si la telenovela s’articule autour des chiffres quatre et
deux, elle reste caractérisée par une trame confuse où s’enchaînent et s’imbriquent des
péripéties diverses et apparemment inextricables jusqu’à l’apparition du deux ex machina.
Les drames de mères célibataires se mêlent à celles des épouses trompées, des orphelins
en quête d’identité, d’hommes ruinés et de familles éclatées. Carlos Monsivais, cité par
Nora Mazziotti dans son article « Les telenovelas, cinquante ans de récit hégémonique en
34
Amérique Latine », moque la complexité de la trame des telenovelas : « Une fois pour
toutes, Ramon, est-il vrai que Lourdes a dit à Enrique que Laura Jésica et Rafael Adriano
n’ont pas vu Doris Maria cet après-midi-là ? Si c’est vrai, Juan Alberto est innocent et
Eugenia Zarina est morte pour rien » (Monsivais, 2000, 33).
1.3.3.3. Un genre anachronique
34
MAZZIOTTI, Nora, “Telenovela : cinquante ans de récit hégémonique en Amérique Latine” Problèmes d’Amérique Latine.
Paris: La Documentation Française. n°43 nouvelle série, octobre-décembre 2001. p.45-61
DUBOSC Pauline 2007
23
La telenovela mexicaine, entre local et global
Le chercheur Jesús Martín Barbero considère le mélodrame comme un langage doublement
35
anachronique : d’une part le thème de la famille comme lieu primordial de la socialisation
et d’autre part l’importance de l’excès.
En mettant au centre de tout mal-être les relations familiales, le mélodrame nous dit son
premier anachronisme. On l’a vu les thèmes de la reconnaissance et des liens de parenté
permettent au mélodrame de s’inscrire dans la culture des classes populaires. Ainsi la
complexité des histoires familiales du mélodrame serait la façon dont les classes populaires
expriment leur désarroi face aux changements sociaux et à l’opacité des nouvelles normes
36
sociales. « L’anachronisme devient alors métaphore, moyen de symboliser le social » .
Le deuxième anachronisme se situe dans la rhétorique de l’excès. Dans le mélodrame,
la raison est abandonnée au profit de la profusion et l’exagération que ce soit dans la mise
en scène, dans le jeu des acteurs, dans la structure, dans la narration. On peut y voir ici
une réaction face à la domination de l’ordre, de l’économie, de la restriction, une opposition
à l’élite « cultivée » qui considère ce genre d’excès comme dégradant et vulgaire.
Dans cette première partie, nous nous sommes attaché à définir la telenovela comme
un genre spécifique. Il convient maintenant d’inscrire plus avant ce genre dans le Mexique
et la culture mexicaine. En effet, nous cherchons à montrer comment ce genre (1) peut se
faire le véhicule de la culture mexicaine (2) à l’échelle mondiale (3).
35
MARTíN BARBERO, Jesús, Televisión y melodrama, Bogotá : Tercer Mundo Editores. 1992. p. 49-50.
36
24
Ibid. p. 50.
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
2. La telenovela mexicaine et le local
Cette partie tend donc à montrer que la telenovela mexicaine peut être considérée comme
un produit culturel mexicain tout à fait spécifique et représentatif de sa culture. Nous
inscrirons la telenovela dans le paysage audiovisuel mexicain (2.1), puis nous montrerons
que les produits de masse peuvent être représentatifs de la culture nationale (2.2) et enfin
nous appliquerons ces constats à la telenovela mexicaine Rubi, déjà mentionnée, afin
d’illustrer notre propos (2.3).
2.1. État de la telenovela mexicaine en 2007
Dans cette première sous-partie, nous étudierons les médias de masse au Mexique afin
de comprendre dans quel contexte les telenovelas sont produites. Tour d’abord nous
présenterons la naissance des médias de masse au Mexique (2.1.1) puis le panorama
actuel de la télévision mexicaine (2.1.2) et enfin celui de la telenovela (2.1.3).
2.1.1. La télévision et les médias de masse au Mexique, rappels
historiques
Dans cette partie, nous retracerons l’histoire des médias de masse au Mexique, histoire
politiquement complexe et conséquente sur la production.
2.1.1.1. Le Mexique au vingtième siècle
De 1929 à 2000, le Mexique a été gouverné sans interruption par un parti autoritaire : le
Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). À l’origine, ce parti s’appelait le Parti National
Révolutionnaire (PNR), il s’est ensuite converti en Parti Révolutionnaire Mexicain (PMR), et
finalement en PRI, nom qui peut nous paraître paradoxal, mais qui est compréhensible d’un
parti qui se gausse d’avoir « institutionnalisé » la révolution.
Le PRI, à l’époque PNR, est la structure au sein de laquelle les différents membres de la
« famille révolutionnaire » qui s’opposaient alors dans une lutte fratricide se sont finalement
rassemblés. Caciques des villages et régions, dirigeants politiques, dirigeants syndicaux,
mouvements paysans… La Révolution mexicaine manqua d’unité et surtout d’un projet
commun ; elle se limita donc à des combats entre chefs locaux pour un pouvoir limité. Le
PNR avait l’ambition, en réunissant cette « famille révolutionnaire », de réaliser les objectifs
de la révolution : atteindre la justice sociale et défendre l’identité nationale.
Après soixante-dix ans de pouvoir PRI-iste, on peut mettre en doute la réussite du PRI
dans la réalisation du dessein révolutionnaire. Au Mexique, aujourd’hui, cinquante millions
de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté ; en novembre 2004, l’OCDE publie le
chiffre de vingt millions comme le nombre de mexicains travaillant dans le marché informel,
pour la plupart il s’agit de marchands ambulants ; elle estime aussi à vingt millions le nombre
DUBOSC Pauline 2007
25
La telenovela mexicaine, entre local et global
de mexicains qui ont dû immigrer aux Etats-Unis pour des raisons économiques… Au vu
de ces quelques chiffres, on peut parler d’un échec du PRI, tout du moins en termes de
justice sociale.
Cet échec est imputable à la famille révolutionnaire. Son gouvernement s’est en
effet caractérisé par la corruption, les excès, le despotisme et la toute puissance du
parti. Les dirigeants se sont enrichis et le PRI a donné naissance à un système
politique anti-démocratique, corporatiste, sans place pour l’opposition… Une des principales
caractéristiques de ce système était le pouvoir illimité dont disposait le Président de la
République. On citera par exemple la pratique du dedazo qui confiait au Président en
place la charge de désigner son successeur, successeur qui gagnait à coup sûr des
élections truquées. Pour l’anecdote, on raconte aussi que lorsqu’il demandait l’heure à ses
subordonnés, ceux-ci lui répondaient : « L’heure que vous voudrez, Monsieur le Président ».
2.1.1.2. Les médias de masse au Mexique pendant la dictature PRI-iste
Pendant les soixante-dix ans de pouvoir PRI-iste, les médias de masse étaient entièrement
dirigés et contrôlés par l’Etat. C’est à travers le ministère de la Communication et des
Transports que le Gouvernement attribuait de manière arbitraire les autorisations et les
concessions et octroyait les fréquences. Pour ce qui est du contenu, c’est le ministère de
l’Intérieur qui en assurait la surveillance par le biais du monitoring et en faisant pression
de différentes façons pour que les médias restent favorables au système et pour qu’ils
s’autocensurent. L’intégralité des médias de masse se trouvait donc sous le joug du pouvoir
37
en place.
C’est ainsi que le lendemain du massacre de Tlatelolco, en octobre 1968, les médias
ne mentionnèrent pas l’événement, qui pourtant marque encore profondément la mémoire
nationale. Ce jour-là, des étudiants mexicains manifestaient pacifiquement pour les libertés
individuelles et pour la libération de camarades emprisonnés pour des motifs politiques. Ces
étudiants voulaient profiter de la présence des médias étrangers dans la ville de Mexico en
raison des Jeux Olympiques pour attirer l’attention internationale sur le fait que si démocratie
il y avait au Mexique, elle n’était qu’apparente. Le Président de l’époque, Gustavo Díaz
Ordaz, envoya l’armée et ses chars ainsi que des tireurs d’élite et des tueurs « moins
officiels » afin restaurer le « calme » ; plusieurs centaines d’étudiants furent tués. Les
évènements de Tlatelolco sont intéressant à signaler dans la mesure où le gouvernement
n’a toujours pas reconnu le massacre alors qu’une plaque à la mémoire de ces étudiants
orne la place. Par ailleurs, les médias restent aujourd’hui encore réticents à aborder le sujet
et l’on ne compte, quarante ans après les évènements, qu’un seul film consacré à cette
tragédie.
Autre événement révélateur de la pression qui s’exerçait sur les médias à cette époque :
l’assassinat du journaliste Manuel Buendía en 1984, retrouvé dans son bureau, le corps
criblé de balles provenant de l’arme de José Zorilla, chef de la Sécurité Nationale. Il
semblerait que le journaliste était sur le point de mettre au jour un scandale sur la richesse
illégale que le président de l’époque, Miguel de La Madrid, avait accumulée en Suisse.
Aujourd’hui encore, les médias mexicains portent les stigmates de cette époque difficile,
à l’instar de cette journaliste emprisonnée en 2006 suite à la publication de son livre sur
un réseau pédophile mettant en cause des hommes politiques mexicains et des industriels
nord-américains.
37
BORQUEZ BUSTOS, Rodolfo, Mondialisation des moyens de communication et démocratie au Mexique�en ligne�. Bruxelles :
RISAL, 2005. �page consultée le 14 juin 2007�. < http://risal.collectifs.net/article.php3 ?id_article=1233>
26
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
Les soixante-dix années de la dictature PRI-iste ont donc été le théâtre d’une censure
des médias de masse par un Etat tout-puissant. On peut toutefois mentionner quelques
rares exceptions avec le cinéma de Luis Buñuel ou les journaux Uno más uno dans les
années soixante-dix et la Jornada au milieu des années quatre-vingt.
Ce détour sur les médias de masse mexicains au vingtième siècle nous donne
deux informations importantes. D’une part, on y voit les liens forts qui unissent industrie
médiatique et pouvoir politique au détriment de la vérité et de la population. D’autre part, on
comprend mieux le contenu aseptisé des telenovelas.
2.1.1.3. La télévision au Mexique
On place la naissance de la télévision au Mexique en 1934. Cependant, la situation politique
du Mexique empêche un développement indépendant de la télévision qui se résuma donc
pendant longtemps au groupe Televisa que l’on étudiera dans la partie suivante.
Néanmoins, dans les années quatre-vingt, le modèle néolibéral accompagne le début
d’un processus d’ouverture politique qui permit la mise en place d’une opposition politique.
Le néolibéralisme s’implante réellement au Mexique en 1994 lors de la signature et de la
mise en application du Traité de Libre-échange (ALENA). Ces profondes transformations
n’épargnent pas le monde médiatique et l’Etat est contraint de vendre la plupart de ses
entreprises publiques, dont celle de télécommunication.
Par conséquent, les balbutiements de la transition démocratique offrirent aux médias
une plus grande liberté et une indépendance vis-à-vis de l’Etat et des pressions politiques.
Cependant, la population mexicaine, peu habituée à la pluralité des opinions, conserve la
même manière de consommer les médias. Ainsi quatre-vingt-seize pourcent des Mexicains
38
regardent principalement la télévision commerciale . Il convient donc d’étudier plus avant
ce qu’est aujourd’hui le paysage télévisuel mexicain.
2.1.2. Le paysage télévisuel mexicain du vingt-et-unième siècle
Après avoir présenté l’histoire des médias de masse, il convient de resserrer notre étude
sur le média télévision et sa place et son actualité au Mexique.
2.1.2.1. La bipolarisation télévisuelle
La télévision a un pouvoir considérable dans la formation de l’opinion mexicaine, à tel
point que les hommes politiques prennent soin d’évaluer, avant de prendre une décision,
l’impact que celle-ci aura sur le petit écran. L’ex-président Fox, premier président non-PRIiste depuis 1929, à l’instar des principaux dirigeants politiques, participait à des programmes
comiques ou populaires, ou encore à des divertissements puérils. On voit dans ce type de
phénomène l’importance et l’influence que peut avoir la télévision en Amérique Latine, en
témoigne l’émission hebdomadaire et sensationnelle d’Hugo Chavez. Au Mexique, certains
analystes voient dans cette nouvelle configuration un retournement dans la relation de
domination par rapport à la période PRI-iste ; le valet est devenu le maître et c’est désormais
la télévision qui contrôle le politique. Certains vont même jusqu’à parler de « télécratie ».
« Les télévisions commerciales sont devenues les juges et les bourreaux suprêmes de la
38
BORQUEZ BUSTOS, Rodolfo, Mondialisation des moyens de communication et démocratie au Mexique�en ligne�.
Bruxelles : RISAL, 2005. �page consultée le 14 juin 2007�. < http://risal.collectifs.net/article.php3 ?id_article=1233>
DUBOSC Pauline 2007
27
La telenovela mexicaine, entre local et global
nation, elles peuvent faire triompher ou, au contraire, ruiner un homme politique. D’ailleurs,
39
les politiques craignent plus aujourd’hui l’influence de la télévision que de la loi. »
Ce lien fort entre politique et télévision, séquelle d’un passé pesant, est d’autant plus
paradoxal dans un contexte de transition démocratique où la télévision est avant tout
centrée sur le divertissement. Ici, encore, nous apercevons les vestiges d’une télévision
anciennement bâillonnée par le pouvoir politique et donc cantonnée aux programmes de
loisir. Mais ce phénomène est aussi le fruit des lois de la concurrence et de la compétition
qui poussent les chaînes de télévision à diffuser des programmes rentables à même d’attirer
une audience large à moindre coût.
Par ailleurs, malgré l’ouverture, la télévision mexicaine reste aujourd’hui limitée à
deux grands pôles, ce qui nous amène à parler d’une « bipolarisation télévisuelle ». En
effet, les deux plus grandes chaînes mexicaines de télévision commerciale –Televisa et
Teleazteca- représentent 95% des fréquences et ont des proportions similaires d’audience
et d’annonces publicitaires. Face à ces deux entreprises, nous trouvons des canaux
« service public » qui prétendent compléter l’offre télévisuelle. Ainsi, le Gouvernement
mexicain octroie une concession au Canal 22-Televisión Metropolitana, gérée par le Conseil
National pour la Culture et les Arts, et par le Secrétariat de l’Education Publique. Son
objectif est de rapprocher l’audience des programmes relatifs aux principaux patrimoines
audiovisuels nationaux, ainsi que la production de programmes dont les thèmes n’avaient
pas été suffisamment traités par les médias au Mexique. Elle est considérée comme une
télévision publique. Il existe également le Canal 11 de l’Institut Polytechnique National qui
s’auto-définit comme éducatif et culturel. Cependant, ces deux télévisions n’ont pas la portée
sur le territoire national des principales chaînes de Televisa et TV Azteca. Il convient donc
de s’intéresser à ces deux groupes pour comprendre les ressors de la télévision mexicaine.
2.1.2.2. Le géant Televisa
L’histoire de la télévision mexicaine est souvent assimilée à celle de Televisa. Televisa naît
en 1955 sous le nom de Telesistema . Propriété de la famille Azcaraga, elle comporte à
l’époque trois chaînes, les trois premières de l’histoire de la télévision mexicaine.
De 1968 à 1972, Telesistema se trouva en compétition avec Television Idependiente
de México (TIM). Les deux entreprises décidèrent finalement de fusionner sous le nom de
Televisa. Dans cette nouvelle entreprise Telesistema était propriétaire à 75% et ne tarda
pas à racheter à TIM sa part des actions.
Ainsi, Televisa fut un quasi-monopole jusqu’en 1993, année où Teleazteca parvint à se
faire une place dans le paysage audiovisuel. On étudiera ce groupe dans la partie suivante.
Televisa est aujourd’hui le principal groupe de télécommunications au Mexique et
son envergure est impressionnante. Dans son article « Mondialisation des moyens de
communication et démocratie au Mexique », Rodolfo Borquez Bustes a choisi d’énumérer
quelques chiffres pour rendre compte du pouvoir du groupe. Cette liste me paraît bien
représentative de ce que peut représenter Televisa :
8 Mexicains sur 10 regardent une des trois chaînes nationales de Televisa.
L’entreprise possède 10 stations de radiodiffusion et ses stations de radio
recouvrent la totalité du territoire mexicain. Elle est propriétaire de deux équipes
de football, du stade Azteca d’une capacité de 120 000 spectateurs, d’une
39
BORQUEZ BUSTOS, Rodolfo, Mondialisation des moyens de communication et démocratie au Mexique�en ligne�. Bruxelles :
RISAL, 2005. �page consultée le 14 juin 2007�. < http://risal.collectifs.net/article.php3 ?id_article=1233>
28
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
compagnie de production cinématographique, de studios de doublage. C’est
la maison d’édition de magazines en espagnol la plus grande du monde. Elle
produit de la musique et est la compagnie qui produit le plus de programmes
télévisuels en espagnol. Par exemple, elle double ses propres séries télé et les
exporte dans plus de 55 pays. Elle a 338 stations de radio en Espagne et possède
une part ou la totalité des actions des télévisions au Pérou, au Chili, en Argentine
et aux Etats-Unis. Elle a pratiquement acheté le prestigieux Festival de Viña del
Mar, au Chili, ce qui lui donne le privilège de diffuser l’événement partout dans le
monde. Avec l’entreprise brésilienne O’Globo et le groupe nord-américain News
Corporation, elle a créé en 1997 un centre de télévision par satellite qui couvre
tout le continent américain. Cette association a permis d’avoir une offre de 250
40
chaînes et a réussi à créer un monopole régional de télévision payante.
Televisa est aujourd’hui l’entreprise de télévision en langue espagnole la plus puissante. Ses
telenovelas s’exportent dans plus de cent vingt pays et elle en produit entre 12 et 15 par an.
2.1.2.3. Son concurrent Teleazteca
L’histoire de TV Azteca est fondamentalement différente de celle de Televisa.
En 1993, après vingt ans sous le contrôle de l’Etat, le Canal 13 de télévision passe au
secteur privé. Le groupe Salinas acquit alors pour un montant de 650 millions de dollars un
« paquet » de médias qui incluait en plus de chaînes de télévision publiques de Imevision,
des salles de cinéma et des studios.
Teleazteca est une entreprise jeune qui a profité de la génération « zapping » et de sa
propension à changer de chaîne à la recherche de nouvelles options. Cette nouveauté se
retrouve notamment dans sa collaboration avec la société de production Argos, renouvelant
les thèmes des telenovelas.
Les telenovelas mexicaines aujourd’hui sont donc avant tout le fait de ces deux
entreprises
2.1.3. La telenovela au Mexique
Encore une fois, nous allons resserrer notre champ d’étude. Après les médias de masse,
après la télévision, intéressons-nous à la telenovela.
2.1.3.1. La telenovela mexicaine classique.
De façon générale, les telenovelas mexicaines sont réputées les plus traditionnelles qui
soient. Dans son ouvrage La industria de la telenovela, la producción de ficción en America
Latina, Nora Mazziotti présente la telenovela mexicaine comme l’antithèse des telenovelas
brésiliennes qui se veulent novatrices et modernes. La telenovela mexicaine relève donc
du genre essentiellement mélodramatique avec son lot de larmes et toute sa charge
manichéenne.
40
BORQUEZ BUSTOS, Rodolfo, Mondialisation des moyens de communication et démocratie au Mexique�en ligne�.
Bruxelles : RISAL, 2005. �page consultée le 14 juin 2007�. < http://risal.collectifs.net/article.php3 ?id_article=1233>
DUBOSC Pauline 2007
29
La telenovela mexicaine, entre local et global
41
Nora Mazziotti cite Herval Rossano, un réalisateur brésilien expliquant le succès des
telenovelas mexicaines : « elles montrent de grands drames, se vendent par lots, à des prix
très bas du fait de la similitude de langue avec le reste de l’Amérique Latine ». Par ailleurs,
« au Mexique, ils attrapent un chanteur pop et le font jouer la comédie. Mais, évidemment,
ce n’est pas un acteur, et il est très mauvais. Ils utilisent n’importe quel procédé qui attire
l’attention des gens ».
Ainsi le mauvais jeu des acteurs ferait partie de la stratégie de Televisa car il provoque
nombre de discussions et de commérages autour des comédiens et participe donc du
succès de la telenovela, succès qui se mesure entre autres au nombre de conversations
qu’elle provoque le lendemain de sa diffusion.
Les telenovelas mexicaines sont présentées par leurs détracteurs comme des
programmes essentiellement commerciaux. Certes Televisa met en place d’énormes
appareils de promotion, mais il ne faut pas pour autant lui dénier ses énormes taux
d’audience et la reconnaissance dont bénéficie ses telenovelas.
2.1.3.2. Les telenovelas de rupture
Toutefois la telenovela mexicaine ne se limite pas à cette structure traditionnelle. Aussi, si
les telenovelas de Televisa enregistrent toujours de forts taux d’audience, on a pu constater
42
une certaine rénovation du genre à travers un mouvement appelé telenovelas de ruptura
principalement incarné par la jeune TV Azteca. Des telenovelas comme Nada personal,
Demasiado Corazón ou Mirada de Mujer, produites par Argos et diffusées par TV Azteca,
tentèrent de donner un ton plus moderne, plus « dans l’air du temps ». Les deux premières
ne rencontrèrent pas le succès escompté. Pour Raúl Dopico et d’autres analystes, cela
s’explique simplement par le fait que ces deux feuilletons se sont éloignés de la telenovela
classique, non pas pour rénover le genre, mais pour copier sans talent les séries policières
américaines. Au contraire Mirada de Mujer est devenue un véritable phénomène de société.
Cette telenovela raconte l’histoire d’une femme d’un certain âge à laquelle vingt-sept de
mariage sans amour n’ont pas apporté le bonheur escompté. Maria Inés rencontre Alejandro
Salas, un écrivain plus jeune de vingt ans qui tombe amoureux d’elle et veut lui apporter
le bonheur qu’elle n’a jamais eu.Raúl Dopico donne trois raisons expliquant le succès de
ce feuilleton et pouvant nous aider à comprendre la nature du changement inicié dans les
43
telenovelas de ruptura :
∙
Une histoire en lien avec la réalité, une narration réaliste presque naturaliste, des
personnages humains, profonds, pleins de nuances, des dialogues frais et rythmés.
Une histoire bien écrite par un auteur de talent.
∙
Une réalisation novatrice avec des mouvements de caméras risqués, une
photographie peu conventionnelle pour le genre, et l’utilisation de filtres pour créer
une luminosité originale, proche de celle du cinéma.
41
« muestran grandes dramas, venden por lotes, a precios muy bajos por la similitud de lenguaje con el resto de América
Latina », « en México, agarran a un cantante pop u lo pone por TV, n a actuar. Pero, por supuesto, no es un actor, y se vuelve terrible.
Usan cualquier cosa que atraiga la atención de la gente ». in MAZZIOTTI, Nora, La industria de la telenovela. La producción de ficción
en América latina, Buenos Aires : Paidós Estudios de comunicación. 1996. P 50
42
43
Times, Juin 1997
DOPICO, Raúl, « La telenovela mexicana�en el tercer milenio » [en ligne]. La Habana. [Page consultée le 11 juillet 2007].
<www.etcetera.com.mx/1998/274/dr0274.htm>
30
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
∙
Un personnel créatif avec beaucoup d’expérience et une solide formation
professionnelle, prêt à prendre des risques.
L’apport de Teleazteca pour la telenovela mexicaine se situe sur trois plans. D’abord,
ce groupe signifie la fin du monopole narratif de Televisa. Ensuite, c’est l’introduction de
nouveaux thèmes à l’écran comme l’homosexualité, le divorce, la drogue ou la corruption.
Enfin, c’est le fait que les couches moyennes supérieures et les intellectuels admettent
44
regarder les telenovelas.
2.1.3.3. Les perspectives d’évolution.
Avec ce renouveau de la telenovela mexicaine, il est légitime de poser la question d’une
éventuelle refonte totale du genre. Il paraît évident que si TV Azteca souhaite devenir
de plus en plus puissante au côté de son rival Televisa, elle va devoir approfondir ce
genre et chercher à développer la telenovela de rupture en insistant sur ses points forts,
ses caractéristiques qui l’opposent à la telenovela classique, c’est-à-dire une histoire
minutieusement orchestrée et encrée dans la réalité, une réalisation résolument moderne
et des acteurs de qualité.
Cependant, une rénovation du genre par l‘entreprise Televisa pour s’aligner sur ces
innovations ne me paraît pas indispensable. En effet, les telenovelas de Televisa sont
inscrites dans une niche précise où elles excellent depuis de nombreuses années. De ce
fait, il me semble qu’il lui faudrait continuer à satisfaire cette demande immuable pour des
telenovelas classiques et laisser à sa concurrente le soin de répondre à cette nouvelle
demande en telenovela de ruptura, ou bien de s’engager elle-même dans leur production
mais sans abandonner pour autant ses telenovelas les plus traditionnelles qui ont fait son
succès.
Cette première sous-partie était consacrée à l’étude des médias de masse mexicains,
en resserrant peu à peu notre sujet sur les telenovelas. Désormais la telenovela mexicaine
a été définie en tant que genre et en tant que produit de masse des industries médiatiques
mexicaines. Il convient maintenant d’étudier l’inscription de ces programmes dans la culture
mexicaine. Pour ce faire, il nous faudra tout d’abord de souligner que la culture de masse
est inscrite dans la culture nationale du pays qui la produit.
2.2. Culture de masse, culture populaire et identité
La telenovela, produit phare des industries audiovisuelles mexicaines, fait partie de la tant
débattue culture de masse. Nous soutenons ici que cette appartenance n’en fait pas un
produit dénié de toutes caractéristiques culturelles et identitaires. Cette partie s’attachera
donc à prouver qu’un produit de la culture de masse, ici la telenovela, peut être représentatif
d’une culture et ne doit pas être réduit à un produit vide de sens et méprisable du fait de
son caractère commercial.
2.2.1. Médias de masse et culture
44
MAZZIOTTI, Nora, “Telenovela : cinquante ans de récit hégémonique en Amérique Latine” Problèmes d’Amérique Latine. Paris:
La Documentation Française. n°43 nouvelle série, octobre-décembre 2001. p.45-61
DUBOSC Pauline 2007
31
La telenovela mexicaine, entre local et global
Qu’est ce qu’un produit culturel de masse ? Quelles sont les clés de sa fabrication ?
Comment est-il reçu « du côté du public » ? Cette partie offre un aperçu de ce qu’est la
culture de masse.
2.2.1.1. La telenovela dans la culture de masse
Nous avons postulé que la telenovela était un produit culturel de masse. Avant d’aller
plus avant dans notre raisonnement, il convient de définir ce qui fait l’appartenance de la
telenovela aux industries culturelles. De nombreux auteurs se sont penchés sur la définition
de la culture de masse.
45
Barthes dans un texte intitulé « Œuvre de masse et explication de texte » cite cinq
caractéristiques des produits de la culture de masse à savoir : une logique de production
industrielle et de consommation de masse ; leur caractère extralinguistique ou mixte, leur
caractère désacralisé car non-anthologique, leur fonction qui est d’être consommé et enfin
leur structure qui met en place de « grands modèles collectifs ».
Robert Hamilton dresse lui aussi une typologie de la culture de masse à laquelle il
attribue les caractéristiques suivantes : une audience de masse, une faible inscription dans
la durée, un prix peu élevé, une production en série, une superficialité et un lien avec le
« business » et les multinationales.
Les définitions de la culture de masse ont été nombreuses et très discutées. On pourrait
les multiplier et les discuter entre elles, rejeter certains points et en ajouter de nouveaux.
Cependant, l’objet de ce mémoire n’est pas de donner une définition de la culture de
masse. Et, nous considérons que ces deux définitions sont suffisantes pour affirmer que la
telenovela, produite industriellement et en série et facilement accessible à un large public,
peut être qualifiée de produit médiatique de masse.
2.2.1.2. Les théories de l’aliénation la culture de masse
Une partie des sociologues ayant travaillé sur la culture de masse y voit une dégradation
culturelle et un instrument de domination. Il ne s’agit pas ici de relever exhaustivement
ou précisément les travaux critiques de la culture de masse mais simplement d’éclairer
rapidement les griefs dont elle est l’objet.
Très tôt, la culture de masse vit s’élever contre elle de nombreux détracteurs et dès la
monarchie de Juillet (1830-1848), Dominique Kalifa dénonça « les ravages d’une culture
46
jugée abêtissante, pernicieuse et dangereuse pour l’ordre social » .
D’autres voix vinrent s’ajouter à ces critiques, mais il faudra attendre le vingtième siècle
et l’école de Francfort pour que se mette en place une véritable théorie critique de la culture
de masse. Autour de noms célèbres tels Théodore Adorno, Max Horkheimer, on vit se
développer la notion d’ « industrie culturelle », symptôme de sociétés en déliquescence dont
l’Art, instrument de libération par excellence, est parasité par les logiques commerciales
et industrielles. La culture de masse est alors perçue comme un instrument de domination
efficace puisque, donnant l’illusion du choix, elle automatise en fait la consommation et
réduit l’individu à l’état d’objet. Les médias de masse sont perçus comme les moyens
de manipuler une opinion et peuvent donc se transformer en terreau du totalitarisme.
45
MORGAN, Harry, « Œuvre de masse et explication de texte »”.[en ligne]. [Page consultée le 20 janvier 2007]. <sitewww.sdv.fr/
pages/adamantine/barthesculmasse.htm>
46
32
« la culture de masse » �en ligne�.�page consultée le 16 juin 2007�. <www.wikipedia.fr>
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
Ainsi Gustave LeBon, un sociologue ayant inspiré Hitler ou Mussolini dans la mise en
place de leurs politiques de propagande, a déclaré : « L’usage des moyens modernes de
communication est un moyen de contrôler ces entités incultes et violentes que constituent
les masses ».
2.2.1.3. Culture de masse et diversité culturelle
D’autres chercheurs sont venus s’opposer à l’école de Francfort et réfutent l’idée d’une
homogénéisation culturelle. Peu à peu l’idée d’un émetteur tout-puissant venant imposer
son idéologie sur les masses est renversée par des théories mettant l’accent sur la capacité
de résistance du récepteur. En 1957, Richard Hoggart, considéré comme un des pères
fondateurs des Cultural Studies publie son livre : The uses of Literacy : Aspects of WorkingClass Life with Special References to Publications and Entertainment et dont l’idée centrale
est que l’on a tendance à surestimer l’influence des produits de l’industrie culturelle sur
les classes populaires. Suivirent Raymond Williams et Edward P. Thompson, mais c’est
surtout le quatrième Founding Father, Stuart Hall qui marque la rupture avec son article sur
« l’encodage et le décodage » des programmes télévisuels.
Comme dans la sous-partie précédente, nous n’allons pas ici dresser un bilan
exhaustif des travaux du centre de recherche de Birmingham ni développer les conclusions
auxquelles sont arrivées les Cultural Studies. Cette présentation a simplement permis de
souligner qu’un produit culturel de masse ne signifiait pas l’imposition d’un message, mais
que le récepteur disposait d’autonomie, qu’il n’était pas une « cire molle » sur laquelle
s’imprimerait le message des mass-media.
En conclusion, on peut dire que l’appartenance de la telenovela à la culture de masse
n’en fait pas pour autant un outil de domination, un instrument d’hégémonie, un facteur
d’aliénation politique. Nous ne nions pas que la telenovela peut être un tel instrument de
domination du fait par exemple des valeurs qu’elles véhiculent ou de son mode de diffusion ;
cependant, les Cultural Studies nous ont montré qu’elle ne pouvait être réduite à ça. Nous
allons donc maintenant nous intéresser à montrer que, loin d’un instrument de domination,
l’industrie culturelle peut être le lieu de la culture et refléter l’identité de ceux qui la produisent
et qui la regardent.
2.2.2. Télévision et Culture
Encore une fois, nous allons suivre la même logique et resserrer peu à peu notre étude des
médias de masse au média télévision. Nous allons donc montrer que le média de masse
qu’est la télévision peut être un vecteur d’identité.
2.2.2.1. Le Média est le Message
Nous pouvons nous demander si la télévision n’est pas un média global, cannibalisant les
cultures locales et n’étant donc pas représentatif des identités nationales. C’est notamment
la vision qui prévalait en Israël dans les années soixante. Le chercheur Elihu Katz raconte
ainsi le débat qui eut lieu dans ce pays entre 1964 et 1968 sur le fait d’introduire ou pas
la télévision sur le territoire israélien. Les opposants à la télévision avaient coutume de
mentionner leur expérience aux Etats-Unis où lors de la diffusion du soap-opéra I love Lucy
DUBOSC Pauline 2007
33
La telenovela mexicaine, entre local et global
47
le pays semblait paralysé . La télévision est alors perçue en Israël par ses détracteurs
comme un triple risque : un premier risque lié au statut de la langue hébraïque, un second
quant aux pratiques commerciales que la télévision introduirait certainement, et enfin, un
troisième, concernant les images, relatif au deuxième commandement.
La télévision est donc perçue comme un vecteur culturel puissant. Considérée en
Israël comme un danger pour la culture nationale, elle est, à la même période, dans
d’autres pays, perçue au contraire comme un outil d’intégration. Ainsi, on constate
que, immédiatement après leur accès à l’indépendance, l’objectif prioritaire des pays
anciennement colonisés était bien souvent de mettre en place la télévision. Les Etats
africains, notamment, ont fait des efforts considérables pour mettre en place ce média :
ainsi dès 1965, treize pays décolonisés possèdent une chaîne et en 1980, on en compte
48
vingt . Elihu Katz met cette phrase dans la bouche des Premiers Ministres latinoaméricains, africains et asiatiques : « Nous allons investir des sommes considérables
dans un système de télédiffusion. Ceci aura trois conséquences : l’intégration politique ;
ensuite, le développement économique ; en troisième lieu, la télévision nous permettra de
restaurer une certaine authenticité culturelle, après le départ de la puissance coloniale ou
de l’occupant ».
Toutefois, on constate dans ces pays une faible attention portée à la réception. Jérôme
Bourdon constate donc que la télévision « était avant tout un symbole à destination des
autres Etats et non un moyen de communication, des installations à faire visiter aux chefs
d’Etat étrangers et non des programmes destinés à être regardés par l’ensemble des
citoyens. »
C’est dans ce contexte que la célèbre phrase de MacLuhan « Medium is message »
prend tout son sens. Ce n’est pas le contenu qui importe mais le contenant. Le simple fait
de posséder la télévision prévaut sur la manière de l’utiliser.
La télévision peut donc être un vecteur d’intégration et certains pays cherchent
à lutter contre ce qui peut apparaître comme une invasion de programmes étrangers
considérés comme néfaste pour l’identité nationale. Jérôme Bourdin cite les exemples
de la Corée du Sud et des Philippines face aux programmes nord-américains, d’Israël
face aux programmes en langue arabe, du Pakistan face aux programmes indiens ; il
mentionne également la politique d’intégration par le biais du mandarin puonyantin comme
langue officielle de la télévision chinoise. Plus proche de nous, on peut citer les quotas
de programmes français ou européens imposés aux grilles de programmation des médias
audiovisuels.
La télévision est donc considérée comme un symbole de la nation, parfois un symbole
de modernité à destination des autres pays, d’autres fois comme un symbole et un outil
d’intégration et d’unité nationale.
2.2.2.2. Les pratiques médiatiques et leur inscription dans la culture
nationale
47
KATZ, Elihu, Médias et identités nationales. Télévision, mémoire et identités nationales, les temps des médias/ Premier forum
international d’été. Paris : L’Harmattan, , 2003. 198 p. ISBN : 2-7475-5520-8
48
BOURDON, Jérôme, La télévision est-elle un média global ? Une perspective historique, Télévision, mémoire et identités
nationales, les temps des médias/ Premier forum international d’été, Paris : L’Harmattan. 2003. 198 pages. ISBN : 2-7475-5520-8
34
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
49
Dans la revue Mediamorphoses , Pascal Froissart et Geneviève Jacquinot-Delaunay
publient deux articles aux idées similaires. Selon les deux auteurs, les médias et les
pratiques n’existent pas ex-nihilo, mais ne peuvent se concevoir et se comprendre qu’à
la lumière de la culture dans lesquels ils s’inscrivent. « Il n’y a de pratiques médiatiques
qu’insérées dans un entrelacs de croyances, d’horizons d’attente, de genres, de traditions
50
et d’effets de réel » . Dès lors les deux auteurs présentent les médias comme les « conteurs
des temps modernes ». Il n’y a pas de « tabula rasa » et c’est à partir de l’ancien que
les médias créent du neuf, ils sont donc « solubles dans le folklore, la tradition et les
substrats culturels… ». Cette inscription dans la culture fait de la télévision le lieu de la
rencontre anachronique entre passé et présent, entre archaïsme du contenu et modernité
des techniques.
Christopher Lasch souligne en effet que l’homme n’est pas qu’un consommateur, homo
economicus qui ne chercherait qu’à satisfaire ses désirs, mais que l’ensemble de ses
pratiques sont inscrites dans sa culture, culture que, par ailleurs, il ne choisit pas. Dans son
essai Culture de masse ou culture populaire, il dénonce l’une après l’autre la critique de
l’école de Francfort et celle de la gauche américaine. Les médias de masse ne sont ni des
vecteurs d’une idéologie dominante et hégémonique, ni une alternative à la culture élitiste,
inaccessible aux couches populaires. On y trouve encore les particularismes des cultures
locales qui « continuent d'apporter aux gens des ressources psychologiques et spirituelles
51
indispensables à une citoyenneté démocratique » .
Dans ce contexte, la compréhension de la télévision ne peut se faire qu’à l’aune de
son inscription dans une culture de référence. Dans le cas de la série télévisée, Pascal
Froissart souligne qu’elle peut être « une reviviscence de structures mythologiques », et il
cite l’étude de Florence Dupont sur la relation entre Homère et Dallas. De la même façon, la
série télévisée est redevable du « nombre de conversations qu’elle est capable de générer
le lendemain de sa diffusion » comme l’a mis en évidence l’étude de Dominique Pasquier
sur la série Hélène et les garçons.
2.2.2.3. Comment les médias de masse participent de la culture nationale ?
La télévision semble donc être le lieu de production de l’identité nationale. Au centre de ce
processus, nous trouvons le phénomène crucial de l’identification qui se décline dans deux
sentiments : la proximité et la réalité. La chercheuse chilienne Maria Dolores Souza souligne
ainsi que « l’identité culturelle est un facteur essentiel pour les téléspectateurs lorsqu’il s’agit
52
d’évaluer la qualité des programmes » .
Ce phénomène semble d’autant plus vrai en Amérique Latine, comme le souligne
Jesús Martín Barbero. Sur ce continent, la radio, la télévision et le cinéma, qui se sont
essentiellement développés avec le soutien du gouvernement, ont joué et jouent encore
un rôle déterminant dans le sentiment d’appartenance du public à une communauté
49
50
Médiamorphoses, mars 2007, n°19.
FROISSART, Pascal, En deçà de l’efficacité médiatique. Médiamorphoses,mars 2007, n°19, p.33
51
LASCH Christopher (2001), Culture de masse ou culture populaire, Paris : Climats. p.29. collection « sisyphe». ISBN :
2-84158-173
52
SOUZA, Maria Dolores, Télévision et identité culturelle, Télévision, mémoire et identités nationales, les temps des médias/ Premier
forum international d’été, Paris : L’Harmattan,.2003. p.136 . ISBN : 2-7475-5520-8
DUBOSC Pauline 2007
35
La telenovela mexicaine, entre local et global
53
nationale. Dans le chapitre six de son livre Des Médias aux Médiations , le chercheur prend
comme point de départ de sa démonstration le cinéma mexicain, dans son époque la plus
mélodramatique, qui fut plus perçu comme un vecteur d’identité que comme un phénomène
industriel ou artistique ; le cinéma permit au peuple de se voir et en fait une nation. À partir de
ce constat, le chercheur étudie la télévision du point de vue de trois médiations : la famille, la
temporalité sociale et la compétence culturelle. On a déjà vu les deux premières médiations,
celle de la famille au centre de la réception télévisuelle et celle de la temporalité sociale
de la télévision qui conjugue temps productif et temps quotidien grâce au genre sériel. Il
convient maintenant de s’intéresser à ce troisième lieu de médiation qu’est la compétence
culturelle. Jesús Martín Barbero critique d’une part ceux qui voient dans la télévision le
signe de la décadence culturelle et d’autre part ceux qui y voient le moyen de véhiculer une
culture « peuple-peuple », c’est-à-dire un simple outil pour médiatiser leur patrimoine, leur
folklore. Cette double cécité contribue à dénier à la télévision sa place au sein de la culture.
Dans son article « la communicazioni di masse in Italia : sguardo semiotico e melochio de
la sociologia», Fabri dépasse cette cécité avec une problématique sur le contenu culturel
de la télévision. Jesús Martín Barbero le cite : « Alors que dans la culture cultivée l’œuvre
se trouve du moins aujourd’hui, en contradiction dialectique avec son genre, dans la culture
de masse la « règle esthétique » est celle de la plus grande adéquation au genre ».
C’est là la compétence culturelle de la télévision. La dynamique culturelle de la
télévision passe donc par ses genres. Les genres constituent donc une médiation entre le
système de production et le système de consommation, entre le format et la culture. Plus
prosaïquement le genre peut être la culture.
Nous avons donc vu qu’un média de masse comme la télévision avec ses programmes
stéréotypés n‘était pas vide de tout contenu culturel, bien au contraire, elle peut être le lieu
d’expression de l’identité nationale. Dès lors il convient de revenir au cœur de l’analyse et
d’étudier comment la telenovela nous parle de la mexicanité.
2.2.3. Telenovela et culture
Dans un article de 2003, intitulé , « Telenovelas, Culture and Social Change - from Polisemy,
54
Pleasure and Resistance to Strategic Communication and Social Development » , Thomas
Tufte trace trois liens entre la culture et la telenovela.
2.2.3.1. Plaisir et identification
La plupart des travaux sur les telenovelas en Amérique Latine concerne la façon dont
elles font partie de la vie quotidienne et celle dont elle influence la formation de l’identité,
l’organisation de l’espace ainsi que celle des relations sociales. Pour réaliser ce type
d’étude, il faut pouvoir réaliser des enquêtes sur le terrain auprès des téléspectateurs ;
cependant, dans le cadre de ce mémoire de telles études n’ont pas été mises en place
pour des raisons pratiques et techniques, mais aussi parce que l’objet de ce travail n’était
pas une étude de la réception. Pour développer ce paragraphe nous utiliserons donc les
53
MARTíN BARBERO, Jesús, Des médias aux médiations. Communication, culture et hégémonie, Paris : CNRS éditions.
1997. Chap.6. ISBN: 2-271-05994-1
54
TUFTE, Thomas, « Telenovelas, Culture and Social Change - from Polisemy, Pleasure and Resistance to Strategic Communication
and Social Development » [en ligne], 2003, [page consultée le 24 mai 2007] <www.portalcomunicacion.com/catunesco/cat/3/down/
tufte/tufte_telenovelas.pdf>
36
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
conclusions auxquelles sont arrivés certains chercheurs tels Jesús Martín Barbero, Erika
Thomas ou Thomas Tufte au terme de leurs enquêtes respectives.
Ce qui se dégage de ces enquêtes est le fort degré d’engagement émotionnel
que suscitent les telenovelas chez les téléspectateurs, qui sont principalement des
téléspectatrices. Ce processus d’identification entraîne, dans une certaine mesure, un
phénomène de confusion entre fiction et réalité. Les téléspectatrices sont évidemment
conscientes que les telenovelas relèvent de la fiction et qu’elles sont avant tout sources de
divertissement ; cependant il est certain que les audiences se reconnaissent socialement,
culturellement et parfois politiquement dans les telenovelas.
Le fait que les telenovelas montrent la vie quotidienne permet au téléspectateur de
s’autoreprésenter comme acteur de sa propre vie. Même si le monde des telenovelas
est souvent un monde matérialiste loin de la réalité latino-américaine, elles touchent des
situations « de tous les jours » facilement identifiables et créent, par conséquent, par le
biais de l’identification, un intense sentiment de plaisir et de satisfaction. Le téléspectateur
se sent intégré à une communauté, ce qui contraste avec le sentiment d’exclusion, réel ou
intériorisé, ressenti par les couches populaires latino-américaines. La telenovela devient
alors le lieu de la communauté où s’exerce une citoyenneté, c’est-à-dire le lieu où le
téléspectateur réalise que ses préoccupations quotidiennes sont partagées par ses pairs.
On retrouve ici le même phénomène d’intégration et de cohésion déjà étudié dans le
paragraphe sur la reconnaissance.
La sensation de plaisir et de satisfaction créée par le processus d’identification est donc
un fort marqueur culturel dans le sens où il permet une reconnaissance des individus en eux
et stimule l’intégration et le sentiment d’appartenance. C’est dans cette optique que Jesús
Martín Barbero voit dans la telenovela un facteur du processus d’intégration du continent
latino-américain.
2.2.3.2. La production de significations
Le deuxième thème étudié par les recherches sur les telenovelas concerne la production
de signification. On peut parler d’une sphère de signification hybride dans la mesure où elle
concerne tant le versant matériel de la vie quotidienne que son versant symbolique.
D’une part, la telenovela organise le temps et l’espace de ses téléspectateurs. On l’a vu,
la telenovela et son genre sériel s’imposent dans la vie quotidienne en adoptant son aspect
routinier et répétitif. Le temps quotidien peut s’articuler autour de cette série qui devient un
point de référence dans la vie de tous les jours, un rendez-vous qui scinde la journée. La
telenovela ne se contente pourtant pas d’influer sur le temps de ses téléspectateurs, elle
joue aussi sur leur espace. Le téléviseur se situe dans le salon, pourtant il est fréquent que
les fenêtres et les portes restent ouvertes afin que l’ensemble de la maison soit touché par
le programme. On remarque d’ailleurs que la « ménagère », qui « consomme » plusieurs
telenovelas tous les jours, ne reste pas devant la télévision mais navigue de pièce en pièce
étant avertie par la bande sonore des moments critiques où la seule écoute à distance des
conversations ne suffit plus à comprendre le déroulement de l’action. Thomas Tufte souligne
que la telenovela sort même de la maison et que les passants peuvent depuis la rue voir le
téléviseur allumé et profiter du spectacle. On a ici un fait socioculturel intéressant puisque
la telenovela provoque une confusion entre la sphère publique et la sphère privée.
D’autre part sur le plan symbolique, la popularité de la telenovela s’explique par
le thème central de l’ascension sociale, ou plutôt du rêve de l’ascension sociale. Nora
DUBOSC Pauline 2007
37
La telenovela mexicaine, entre local et global
55
Mazziotti souligne que ce n’est pas un hasard si un genre propice au rêve et à l’imagination
comme la telenovela se soit si bien implantée sur un territoire caractérisé par les luttes
et la souffrance liées au chômage, à la violence, à la pauvreté, à l’exclusion sociale
et économique… La possibilité d’une ascension sociale présente dans la telenovela est
synonyme d’espoir dans des sociétés polarisées et déchirées. La telenovela, de par ce
thème mais aussi comme on l’a déjà souligné par le thème de la reconnaissance dans
des pays en mal d’identité, est donc signifiant au plan culturel pour les populations latinoaméricaines.
2.2.3.3. La citoyenneté dans la sphère publique
La démocratie du vingt-et-unième siècle n’existe que dans ce qu’on appelle la société de
l’information et passe par le forum public que sont les médias. Dès lors les médias sont
l’objet de luttes pour la prise de paroles entre les différents groupes et les différentes idées.
Les hommes politiques, la société civile et tous les participants au débat politique sont
amenés à se battre pour un maximum de visibilité médiatique.
C’est au sein de la confusion entre espace public et espace privé et de la lutte pour
l’accès au média que l’on trouve la telenovela comme acteur potentiellement fort du débat
public. Le caractère massif et populaire des telenovelas nationales en font des moyens
puissants de promotion d’idées, de valeurs, d’identités… La telenovela en tant qu’outil
d’intégration, peut donc devenir un instrument fort sur le plan politique dans la mesure où
elle peut faire de communautés « en soi » des communautés « pour soi » que ce soit à
des niveaux local, national ou relatif au générique et professionnel… En effet en montrant
au téléspectateur que ses problèmes et ses préoccupations quotidiennes sont partagés, la
telenovela génère le sentiment d’appartenance comme antidote à l’exclusion.
2.3. Une application, l’exemple de la telenovela Rubi
On l’a vu, la telenovela peut être représentative de la culture dans laquelle elle est produite.
Cependant on s’est contenté de travaux théoriques pour affirmer l’inscription des produits
des industries culturelles dans la culture. Il convient maintenant de prouver que la telenovela
mexicaine est inscrite dans la culture mexicaine. Pour ce faire, on pourrait multiplier les
exemples et réaliser une analyse de contenu, cependant ce n’est pas l’objet de ce mémoire,
56
on se contentera donc d’un seul exemple représentatif avec la telenovela Rubi.
2.3.1. La telenovela Rubi
S’étant développé par opposition aux approches sociologiques, psychologiques
ou anthropologiques qui ont largement dominé, jusqu’à maintenant, la critique
télévisuelle, ce genre de démarche se distinguait nettement des études
empiriques de contenus à caractère sociologiques dans lesquelles on confondait
55
MAZZIOTTI, Nora, “Telenovela : cinquante ans de récit hégémonique en Amérique Latine” Problèmes d’Amérique Latine.
Paris: La Documentation Française. n°43 nouvelle série, octobre-décembre 2001. p.45-61
56
38
Confer. Annexes 1 et 2.
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
systématiquement représentation et réalité, au point que certains exégètes ont
pu soutenir sérieusement que les émissions télédiffusées constituaient une
57
distorsion de la réalité.
Avant d’entrer plus avant dans l’analyse de Rubi, il convenait de souligner qu’on ne cherche
pas dans une telenovela le reflet de la société, le miroir du Mexique mais simplement des
éléments pour comprendre la culture d’une population.
2.3.1.1. Justification du corpus
Rubi est une telenovela produite par le groupe Televisa en 2004. Avant de commencer à
analyser cette telenovela il convient de mentionner pourquoi ce choix. Tout d’abord, c’est
une telenovela « classique » car produite par Televisa. De plus, cette telenovela est un
remake d’une telenovela mexicaine de 1968, un tel élément est une autre preuve son
inscription dans le groupe les telenovelas les plus traditionnelles.
Par ailleurs cette telenovela a rencontré un grand succès au Mexique et fut proclamée
par la critique comme meilleure telenovela de l’année 2004. Enfin, le dernier élément qui
nous a poussé à choisir Rubi pour cette brève analyse de la représentativité des telenovelas
de la culture mexicaine est le fait que cette telenovela a circulé à l’international. Elle a
notamment été diffusée en 2006 par M6 où elle a rencontré un certain succès.
2.3.1.2. Synopsis
Rubi est une jolie jeune fille qui vit avec sa mère et sa sœur. Depuis la mort de son père la
situation économique de la famille est désastreuse, et ce malgré les efforts de sa mère et de
sa sœur qui se battent tous les jours pour gagner de l’argent. Grâce à sa sœur Christina et
au soutien du père de son amie Maribel, elle peut poursuivre ses études dans un lycée privé.
La jeune fille n’a qu’une ambition : être riche et pour atteindre cet objectif, un seul moyen :
se servir de son physique avantageux afin de trouver un mari avec une bonne situation
qu’importe le prix à payer. Elle va renoncer ainsi à l’amour d’Alejandro qui est pauvre et
« voler » à Maribel son futur mari Hector, architecte réputé et fils de bonne famille.
Tout au long des 188 épisodes, les péripéties viennent perturber la vie de Rubi et
à travers elle, celle de tous ceux qui l’entourent. Comme cela est de rigueur dans une
telenovela la méchante Rubi perd à la fin. Défigurée, elle perd donc son seul atout dans la
vie : son physique. Cela est d’autant plus intéressant que malgré ses vices, Rubi est une
fille intelligente et rusée, cependant sa déchéance physique entraîne l’échec de sa vie.
2.3.1.3. La morale de cette histoire…
A un premier niveau, la moralité de cette telenovela est qu’il faut respecter ses sentiments
et suivre son cœur pour être heureux. Ainsi la pauvre Maribel, handicapée, trahie par
son Hector et sa meilleure amie, amoureuse éconduite d’Alejandro, reste droite et digne
pendant tout le feuilleton, acceptant les humiliations et se relevant sans cesse… Les années
passent avec leur lot de morts et de catastrophes et Maribel trouve le bonheur en se mariant
finalement avec Alejandro… Mais pour cela elle doit attendre la mort accidentelle de la
femme d’Alejandro. À l’inverse, Rubi qui a voulu forcer le destin grâce aux manigances, aux
57
AUBRY, Danielle, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle, pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Berne :
Peter Lang. 2006. p. 128. ISBN : 3-03910-994-4
DUBOSC Pauline 2007
39
La telenovela mexicaine, entre local et global
manipulations et aux coups bas, finit seule et aigrie dans une maison délabrée des quartiers
populaires.
A un deuxième niveau d’analyse, on voit que la seule façon de s’en sortir au Mexique
pour une femme, même brillante et avec une solide éducation, est de trouver un mari riche.
Par ailleurs, elle ne doit pas forcer le destin, au contraire elle doit accepter avec dignité
les épreuves que la vie lui réserve et si elle reste droite et passive, le bonheur finira par
arriver. On voit ici deux traits de la culture mexicaine que l’on retrouve dans la littérature:
le fatalisme et le machisme.
2.3.2. La femme dans la telenovela
L’image de la femme mexicaine dans la telenovela Rubi est très intéressante à étudier. On
optera pour trois angles d’attaque : tout d’abord on étudiera la femme comme objet sexuel
dans la société patriarcale (2.3.2.1) puis la femme dans son rôle de méchante (2.3.2.2) et
enfin le rapport entre la figure de la femme et le changement (2.3.2.3).
2.3.2.1. La femme sexuelle
La telenovela reflète une vision féminine d’un monde patriarcal. Par exemple la sexualité
dans ces programmes est centrée plus sur les processus de séduction et sur les émotions
que sur son aboutissement charnel. On ne voit à l’écran aucun acte sexuel, les scènes
coupent à la fin du processus de séduction avant que les personnages ne passent à l’acte.
Par ailleurs la sexualité peut devenir, comme dans la telenovela Rubi, une arme à la
disposition de la femme contre la toute-puissance de l’homme. C’est la seule clé de son
indépendance, sa seule façon d’exister face à l’homme. Toutefois, lorsque Rubi se prostitue
auprès d’un riche homme d’affaire qui lui fait du chantage, on prend conscience que cette
arme ne lui assure pas une défense sans faille face au pouvoir masculin et au règne de
l’argent. La femme de la telenovela, même dans sa sexualité, n’a aucune réelle emprise sur
son destin, elle est en continuelle lutte et rencontre de nombreux échecs.
La subordination de la femme dans la société patriarcale ne peut être mise en danger
que par la sexualité et la capacité de manipulation de la femme. Le terme manipulation
prenant tout son sens dans la langue anglaise man-ipulation comme on le voit dans
le chapitre X du livre de John Fiske Television Culture intitulé « Gendered Television :
58
femninity » Cependant il est impossible que dans la telenovela la femme obtienne le
bonheur grâce à ces procédés.
2.3.2.2. La femme mauvaise
Pour ce qui est de la telenovela Rubi, c’est l’image de la méchante, étudié dans ce même
chapitre qui peut être révélatrice de l’inscription de la telenovela dans la culture patriarcale
mexicaine. La méchante incarne l’antithèse de l’idéal qu’a la téléspectatrice pour elle-même.
Cette image correspond à celle de la mère idéale, incarnation de la bonté, de la dévotion.
Dans la culture mexicaine, l’idéal féminin est incarné par la figure de la Virgen de Guadalupe.
La méchante détourne les caractéristiques traditionnelles de la femme, qui sont
généralement synonymes de faiblesse et sources de sa subordination, en instruments de
pouvoir. Elle utilise la grossesse comme arme, son incidence sur les gens comme moyen
58
40
FISKE, John, Television Culture, London et New-York : Methuen. 1987. p. 188
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
de les manipuler, et sa sexualité pour arriver à ses fins et non pas pour le plaisir masculin.
Elle inverse ainsi les rôles féminins et masculins. Plus qu’une lutte contre le pouvoir des
hommes qui l’entourent la méchante incarne une lutte contre la passivité de la femme et
son asservissement aux normes machistes.
De fait la méchante s’inscrit dans une dialectique paradoxale pour la téléspectatrice
qui l’aime autant qu’elle la déteste ; se range de son côté, mais attend sa chute. Son
indépendance la fascine et sa perversion la rebute. Ces contradictions sont le reflet des
contradictions entre les valeurs féminines et la société patriarcale dans laquelle elles vivent.
2.3.2.3. La femme et le changement
La telenovela ne résout pas ces contradictions, mais on peut supposer que la dévalorisation
de ce personnage et la chute de Rubi est un signe de l’impossibilité pour la femme mexicaine
de concurrencer la domination masculine. La méchante incarne donc des désirs enfouis
de la femme mexicaine, mais son échec est le symbole de la supposée immuabilité du
machisme mexicain. La méchante est condamnée à la répétition, ce qui correspond à la
redondance du genre sériel et explique l’ouverture à la fin de cette telenovela sur une autre
possibilité de vengeance par l’intermédiaire de la nièce de Rubi. Mais dès le départ, la
téléspectatrice sait que si Fernanda parviendra à déstabiliser l’ordre des choses, ce ne sera
que provisoire.
Il est intéressant de constater que la possibilité de changement et d’égalité entre
les hommes et les femmes est incarnée par quelqu’un de mauvais et de détestable tant
fascinant que répugnant. On peut y voir le vecteur d’idées conservatrices mais aussi le
reflet d’une culture marquée profondément par une des figures de la conquête coloniale : La
Malinche. L’interprète, maîtresse et conseillère de Cortès est aujourd’hui au Mexique l’objet
d’un culte paradoxal. D’un côté elle représente la trahison d’une indienne pour son peuple,
mais d’un autre elle est la mère de la Nation, car elle a donné naissance au premier métisse.
Figure mexicaine de l’Eve catholique, elle représente le mal car elle est la tentatrice mais
aussi l’origine de l’Humanité. Faut-il l’aimer ou la détester ? La figure de la femme comme
source de changement a tendance encore aujourd’hui à être dévalorisé. La Malinche est
59
donc plus souvent considérée comme la « chingada » et la traîtresse –le mot malinchista
étant une insulte- que comme une figure bienveillante ; Rubi, quant à elle, femme qui se
refuse à son destin de pauvre et choisit de prendre le dessus sur les hommes est ainsi
la méchante. On aurait donc ici à faire à des valeurs conservatrices, réfractaires à tous
changements.
2.3.3. Les excès
Mais il ne faut pas limiter la telenovela a un produit culturel véhiculant des valeurs
conservatrices et nous verrons dans cette partie que les grilles de lecture sont nombreuses.
2.3.3.1. Un double discours
60
La telenovela est le lieu de l’excès. Dans Television Culture , John Fiske rappelle que
le mélodrame génère une double grille de lecture : il produit un premier texte, celui de
59
60
« la salope »
FISKE, John, Television Culture, London et New-York : Methuen. 1987. p. 192
DUBOSC Pauline 2007
41
La telenovela mexicaine, entre local et global
l’idéologie dominante, accessible au niveau le plus évident, il produit également un second
texte, qui lui est accessible dans ces excès, renversant le premier texte et subvertissant
l’idéologie dominante.
Dans la même optique, la femme est contrainte de parler un double discours : celui qui
lui permet d’exister dans un monde machiste mais aussi celui qui lui permet d’exister en
tant que femme. Dans le cas de la télévision, ce phénomène se retrouve dans le processus
d’identification. Les garçons ne s’identifient dans la fiction qu’aux personnages masculins
tandis que les filles s’identifient aux personnages des deux sexes. Les filles apprennent très
tôt à manipuler un double discours, tandis que les garçons n’en ressentent pas le besoin
et développent un répertoire d’interprétation plus limité. C’est ici l’argumentation de John
Fiske qui peut paraître certes un peu réductrice mais qui n’en est pas moins intéressante.
2.3.3.2. Une double interprétation
Le mélodrame est alors un sas de décompression dans lequel les frustrations féminines
peuvent s’exprimer clairement sans risquer de bouleverser l’ordre établi. Il peut aussi être
perçu comme une mise en relief des valeurs injustes de la société. Ainsi en exagérant les
malheurs des victimes -femme trompée, enlevée, violée, prostituée de force, abandonnée,
rejetée, stigmatisée…- le mélodrame ne cherche pas l’identification des téléspectatrices
qui se ferait alors dans une sorte de masochisme. Le mélodrame, en exagérant les
effets de la domination masculine, rend apparentes les structures cachées et intériorisées
du machisme. Les normes de domination, ainsi soulignées, sont alors démystifiées et
dénaturalisées et révèlent l’arbitraire de la patriarchie. Dans ce contexte, la telenovela n’est
plus le vecteur de valeurs conservatrices, bien au contraire en insistant sur les défauts de
la société, en les caricaturant et en les exagérant à l’excès, elle contribue à les dénoncer.
On ne prétend pas ici que la telenovela est un vecteur de féminisme et un instrument
de dénonciation du machisme. On voit ici simplement que selon la grille de lecture utilisée,
la telenovela prend des significations différentes. Elle reste un objet ambigu. Les valeurs
qu’elle véhicule dépendent pour une partie de l’intention du producteur, avec l’exemple des
telenovelas de rupture, mais aussi de la réception.
2.3.3.3. Une profusion de personnages
Autre manifestation de l’excès dans la telenovela, la profusion de scènes, de personnages
et d’histoires qui s’entremêlent. Ce manque de cohérence et de centralité reflète selon John
61
Fiske le manque de centralité de la subjectivité féminine par rapport à la masculine. La
femme n’existe que dans ses relations avec les autres, à commencer par son mari et ses
enfants. Par ailleurs, la multiplication de scènes portant sur le même sujet reflèterait la
redondance des tâches quotidiennes et routinières que doit réaliser la femme. Fiske cite
ainsi l’idée commune qu’une femme peut faire plusieurs choses à la fois quand l’homme
doit se concentrer sur une seule tâche.
La structure de la telenovela refléterait donc la multiplicité des subjectivités féminines
dans une société patriarcale qui sont à la fois mère, amante, maîtresse de maison et femme
quand l’homme n’est que le chef de famille à la subjectivité unique.
La deuxième partie de ce mémoire était consacrée à l’inscription de la telenovela dans
la culture nationale. On a cherché à démontrer que la telenovela était plus qu’un simple
produit commercial au service du marché, et plus qu’un outil de domination. Selon les
61
42
Ibidem. p. 195
DUBOSC Pauline 2007
2. La telenovela mexicaine et le local
grilles de lecture utilisées, la telenovela peut prendre diverses significations et refléter toute
l’ambiguïté et les paradoxes d’une culture. Dès lors il convient de se demander ce que ces
produits, si riches en signification et si encrés dans la culture qui les produit, deviennent
lorsqu’ils sont immergés dans les flux de la mondialisation.
DUBOSC Pauline 2007
43
La telenovela mexicaine, entre local et global
3. La telenovela dans le global
Aujourd’hui, dans le monde, la telenovela est aussi représentative de l’Amérique Latine
que la salsa ou le football. Cette dernière partie s’attache à démontrer que, bien qu’elle
soit prise dans le processus de mondialisation, la telenovela peut conserver sa spécificité
et obtenir une certaine reconnaissance. Tout d’abord, il convient de rappeler la place de
la telenovela dans la mondialisation et les modalités de son exportation (3.1), ensuite on
s’attachera à démontrer que la mondialisation n’est pas synonyme de neutralisation de la
diversité culturelle bien au contraire (3.2). Dès lors que la mondialisation n’altère pas la
spécificité d’un genre, on comprend mieux pourquoi la telenovela est aujourd’hui reconnue
comme un genre à part entière et rencontre un tel succès à l’international (3.3).
3.1. La telenovela dans le monde
Cette première sous-partie tend à analyser les exportations de la telenovela tant en
Amérique Latine que dans le monde. Elle s’achève sur une analyse plus précise de
l’exportation de la telenovela mexicaine.
3.1.1. La telenovela sur son continent de prédilection, l’Amérique
Latine.
La vocation exportatrice de la telenovela n’est pas un phénomène nouveau. Dès l’étape
artisanale, c’est-à-dire dès les années cinquante et soixante, la telenovela sort de son
territoire national pour d’autres pays et d’autres audiences. En effet, à l’instar de leurs
ancêtres, les radionovelas, les premières telenovelas, en tant que produits de firmes
nord-américaines comme Colgate-Palmolive ou Lux, s’exportèrent très tôt. Ces firmes se
chargèrent à l’époque de l’achat et la vente de scriptes dans certains pays et embauchèrent
des professionnels et des auteurs pour développer le genre dans d’autres. Ces firmes
achetaient un espace à des chaînes de télévision et se chargeaient elle-même de produire
le programme.
Comme les histoires plaisaient, la durée des épisodes augmenta jusqu’à atteindre
la demi-heure puis l’heure. C’est là un des motifs qui poussa à abandonner le système
antérieur. Le prix d’un épisode augmentant, les chaînes de télévision nationales voulurent
s’émanciper des firmes de savon et commencèrent à se charger elle-même de la production
ou bien de l’achat des titres. Les coûts de production se payaient dès lors grâce à la vente
d’espace publicitaire à différents annonceurs.
C’est parfois la telenovela en tant que produit fini qui s’échangeait sur le marché, mais le
plus souvent les différents groupes préféraient s’échanger les livrets. On vit donc se produire
de nombreux remakes à partir de telenovelas d’autres pays ainsi que des traductions dans
les cas où la langue de l’acheteur était différente de celle de l’original. En effet, les limites
44
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
technologiques rendirent difficiles les échanges de produits-finis, en revanche, l’Amérique
Latine se fit le théâtre de nombreux échanges de talents, de scriptes et d’idées.
On peut citer des cas comme El derecho de nacer du Cubain Félix Caignet ou
Simplemente Maria de l’Argentine Celia Alcàntara. Ces telenovelas ont circulé à l’époque
dans pratiquement tous les pays du continent.
Plus que les histoires, ce sont les auteurs, les réalisateurs et les techniciens qui étaient
engagés dans différents pays ou qui voyageaient afin d’enseigner leur métier. Un journal
argentin signale que « au début des années soixante-dix, les Brésiliens envoyèrent des
émissaires à Buenos Aires pour faire des recherches et apprendre comment se faisaient
62
les telenovelas » . Dans les années suivantes ce furent au tour des Argentins de partir au
Brésil.
L’étape suivante d’industrialisation accrut ce phénomène et provoqua le
développement d’un star-system latino-américain. Cependant il faudra attendre l’époque
de transnationalisation des années quatre-vingt-dix qui, comme son nom l’indique, sera le
théâtre de la mondialisation de la telenovela.
3.1.2.La telenovela s’exporte dans le monde entier
C’est à partir des années quatre-vingt que la telenovela commence à s’exporter au niveau
international et se mua en phénomène de grande ampleur.
3.1.2.1. La transformation du marché télévisuel international
Selon la chercheuse Nora Mazziotti, l’élément déclencheur dans l’internationalisation de la
telenovela fut un bouleversement du paysage audiovisuel mondial.
Pendant des années, la circulation internationale des programmes de télévision se
caractérisa par un flux unidirectionnel du Nord au Sud, ou de l’Ouest à l’Est. Les produits
audiovisuels, principalement nord-américains et, dans une moindre mesure, européens,
s’exportaient aux autres pays à des prix relativement faibles. De fait, il était plus rentable
pour les pays moins développés de les acheter que de les produire.
À partir des années quatre-vingt, la situation change en profondeur. Bien que les EtatsUnis continuent à dominer le marché international, les industries nationales ou régionales
se sont développées et parviennent à consolider une position assez stable sur le marché
mondial de la télévision.
Nora Mazziotti cite trois éléments concourant à ce processus :
∙
La dérégulation de la télévision en Europe. Le démantèlement des monopoles tant
de production que de programmation et de diffusion sur le vieux continent entraîna
l’ouverture aux télévisions commerciales et privées tant nationales qu’étrangères.
∙
Avec l’arrivée d’entreprises privées sur le marché audiovisuel, le nombre de chaînes
et donc le nombre d’heures de diffusion a considérablement augmenté. Du fait
de la compétition entre les différentes chaînes et de la nécessité de remplir les
grilles de programmes, la fiction est devenue un produit très intéressant pour les
62
« a comienzos de la década del ’70 los brasileños enviaron representantes a Buenos Aires para investigar y aprender cómo
se hacían les telenovelas » (La Nación, 26-6-83) in MAZZIOTTI, Nora, La industria de la telenovela. La producción de ficción en
América latina, Buenos Aires : Paidós Estudios de comunicación. 1996. p 33.
DUBOSC Pauline 2007
45
La telenovela mexicaine, entre local et global
programmateurs. Les chaînes européennes se tournèrent donc vers l’étranger pour
acheter leur fiction.
∙
Les groupes de télévision du Tiers Monde surent tirer partie de cette demande
croissante et surent également prendre des risques pour satisfaire ces demandes.
Nora Mazziotti cite le cas de l’Italie où face à une audience toujours en demande, les
chaînes n’hésitèrent pas à sortir des sentiers battus de la fiction anglo-saxonne. Les
productions latino-américaines ont donc une situation relativement avantageuse sur
ce marché italien.
3.1.2.2. Le marché européen
Mais ce ne sont pas uniquement des facteurs économiques –la nécessité de répondre à
une demande croissante- qui ont permis la forte pénétration de ces programmes en Europe.
Nora Mazziotti cite ainsi les travaux de Michèle et Armand Mattelart et souligne des facteurs
culturels. Les deux chercheurs citent en exemple des journaux européens qui, s’interrogeant
sur le succès des telenovelas brésiliennes en Europe, y voient une réconciliation entre
l’Europe et son identité latine et se demandent si l’ouverture à des programmes provenant
des pays chauds ne correspond pas à un « retour au monde primitif, au magique, au
63
syncrétisme ». Ce serait donc un goût pour le réalisme magique et le macondismo tant
étudiés dans la littérature latino-américaine, qui serait à l’origine du succès des telenovelas
en Europe.
Des journalistes espagnols auraient même analysé l’invasion des telenovelas
mexicaines et vénézueliennes au début des années quatre-vingt-dix comme la « vengeance
de Moctezuma ». On célébrait à l’époque les cinq cents ans de la découverte du Nouveau
Monde et l’irruption des telenovelas était parfois perçue comme une conquête « à l’envers ».
Dans une perspective moins exotique, on peut imaginer que ce qui rendit les
telenovelas attrayantes aux yeux des Européens se trouve plutôt dans la structure même
du genre : la composante sérielle, la matrice mélodramatique et sa manière si spécifique de
raconter les sentiments, les histoires d’amour, les passions… Les raisons de l’implantation
des telenovelas en Europe seraient finalement pour la plupart les mêmes que pour
l’Amérique Latine.
Par ailleurs, en étant plus prosaïque, il convient de souligner que les professionnels
latino-américains avaient déjà quarante années de travail derrière eux, quarante années
de progrès techniques et de perfectionnement qui leur permettait de réaliser un épisode
par jour. Cette vélocité et ce professionnalisme leur donnaient un avantage certain face
aux techniciens français ou italiens, formés à la télévision publique, par conséquent peu
coutumiers du langage sériel et habitués à des rythmes de production plus lents. Acheter
des séries se révélait donc moins coûteux que fournir les efforts pour les produire soi-même.
Nora Mazziotti utilise la presse argentine pour évaluer l’impact de l’invasion des
telenovelas en Europe. Elle cite un exemplaire de la Razón qui en février 1985 titrait
un de ses articles : « Les telenovelas latino-américaines envahissent l’Italie ». Dans cet
article, on trouve une statistique intéressante à savoir que sur dix telenovelas émises en
Europe à l’époque, deux sont argentines, deux autres sont brésiliennes et les six autres
sont mexicaines. On reviendra dans une partie suivante sur les exportations de telenovelas
mexicaines.
63
MAZZIOTTI, Nora, La industria de la telenovela. La producción de ficción en América latina, Buenos Aires : Paidós Estudios de
comunicación. 1996. p 38.
46
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
À l’époque, le succès des telenovelas en Europe était assez mal perçu chez les élites
et les intellectuels tant en Europe qu’en Amérique Latine. On ne comprenait pas ce que
la ménagère européenne pouvait trouver de fascinant dans des programmes de si piètre
qualité. Ainsi son succès en Europe ne conféra pas à la telenovela une meilleure aura dans
les cercles intellectuels qui continuèrent à la mépriser. L’implantation en Europe ne lui donna
pas, du moins au départ, le prestige escompté.
3.1.2.3. Les marchés et les prix
Les prix varient selon le produit d’une part mais surtout selon le pays acheteur. Par ailleurs,
les entreprises sont parfois réticentes à communiquer les prix de vente. Nora Mazziotti
donne la structure des prix de vente selon les pays acheteurs, cependant ces chiffres datent
de 1995, il faut donc les manipuler avec précaution et recul.
En Europe, l’Allemagne payait, en 1995, 9000 dollars pour chaque épisode d’une heure,
l’Italie 8000, l’Espagne 6000, la Grèce entre 1000 et 2000.
En Amérique du Nord, les Etats-Unis payaient entre 3000 et 5000 dollars l’épisode, le
Mexique 2000. En Amérique centrale, comme dans les pays africains, les prix oscillaient
entre 100 et 150 dollars par épisode. En Amérique du Sud, l’Argentine, le Venezuela et
le Chili payaient 2000 dollars quand la Colombie déboursait 1500 dollars et la Bolivie, le
Paraguay ou l’Uruguay guère plus de 500 dollars.
La Turquie, Israël et les pays arabes payaient entre 1000 et 2000 dollars l’épisode ; la
64
Chine et les pays asiatiques 2000.
A titre de comparaison, la série américaine Dynastie a été vendue au prix de 20 000
dollars l’épisode à une chaîne privée britannique, 1 500 dollars à une chaîne norvégienne
65
et 50 dollars à celles de Zambie et de Syrie.
Cependant, comme l’affirme Daniel Mato, chercheur à l’université centrale du
Venezuela, les telenovelas sont produites avant tout pour leurs marchés nationaux
respectifs. En effet, ce sont les publicités diffusées au cours de ces programmes qui
constituent les plus gros revenus des chaînes concernées tandis que le revenu des
exportations représente un pourcentage infime du montant total des ventes de publicité sur
le marché local (8% pour Radio Caracas Televisión y Venevisión au Venezuela, 5% pour
Televisa au Mexique et 2,5% pour TV Globo au Brésil).
Nora Mazziotti conclut, concernant le phénomène d’exportation des telenovelas, sur
la saturation du marché européen et la nécessité pour les telenovelas latino-américaines
de se tourner vers le marché asiatique très prometteur. Selon TV Globo, la crise financière
des années quatre-vingt-dix dans les pays asiatiques et arabes a accru leur demande
en produits finis,. Il devint plus rentable d’acheter des programmes aux grands groupes
latino-américains que de les réaliser sur place. Récemment la concurrence s’est accrue.
Les pays qui se contentaient jusqu’à présent d’importer, comme l’Espagne, la Grèce, la
Turquie ou les Philippines, se lancent dans la production et attaquent la chasse gardée des
producteurs latino-américains. Pour maintenir leurs positions sur le marché, les entreprises
latino-américaines cherchent à former de nouvelles alliances. On peut citer par exemple
64
MAZZIOTTI, Nora, La industria de la telenovela. La producción de ficción en América latina, Buenos Aires : Paidós Estudios
de comunicación. 1996. p 40.
65
ORTIZ DE URBINA, Araceli et LOPEZ, Asbel « Un monde de telenovelas ».[en ligne]. Unesco. 1999. [page consultée le 27
octobre 2006]. <http://www.unesco.org/courier/1999_05/fr/connex/txt1.htm>
DUBOSC Pauline 2007
47
La telenovela mexicaine, entre local et global
une coproduction sino-brésilienne dans laquelle un jeune Chinois tombe amoureux d’une
Brésilienne et va dans son pays pour la conquérir.
3.1.3. La telenovela mexicaine à l’export.
Dans ce contexte de croissance des flux, la telenovela mexicaine occupe une place de choix
et suscite jalousie et envie. Les producteurs brésiliens méprisent ces telenovelas à succès
accusant Televisa d’user les méthodes les plus honteuses pour s’attirer une audience
maximale au détriment de la qualité de ses programmes. Étudions cette dynamique
mexicaine.
3.1.3.1. Les débuts de l’exportation
Le Mexique commença à exporter ses telenovelas immédiatement après l’incorporation de
la technique de la vidéocassette, à la fin des années cinquante ; la première fut Gutierritos.
L’entreprise Telesistemas Mexicanos se chargeait à l’époque de la production et de la
commercialisation des telenovelas. Dans les années soixante, l’exportation continentale
s’intensifia. Les telenovelas mexicaines investirent alors les marchés colombien, chilien,
péruvien, argentin ainsi que l’Amérique Centrale. Le Brésil montra un peu de résistance
et fut le dernier pays latino-américain à acheter une telenovela au Mexique. En 1968, le
Mexique et le Venezuela signèrent des accords de coproduction permettant une diffusion
dans les deux pays et le recrutement d’acteurs des deux nationalités. La Bolivie constitue
un bon exemple du poids des exportations mexicaines, étant donné qu’en 1969, elle lança
sa télévision avec l’achat de quatre cents demi-heures de programmes mexicains. En 1970,
Telesistemas exportait, rien qu’en Amérique Latine, sept cents demi-heures mensuelles.
Le succès des séries mexicaines à l’export s’explique non seulement par la capacité
industrielle des entreprises de ce pays à produire de tels programmes mais aussi par le fait
que les pays acheteurs et leurs audiences, par le biais du cinéma et de la radio, étaient déjà
familiarisés aux dispositifs fictionnels mexicains. Ainsi « pour les entreprises mexicaines,
il ne s’agissait pas d’obtenir de nouveaux marchés mais de conserver ceux qui existaient
66
déjà ».
3.1.3.2. L’accélération
En 1972, c’est la création de Televisa avec la dynamique et la puissance qu’on lui connaît.
L’entreprise anticipe sur les préconisations de Nora Mazziotti et décide d’exporter ses
telenovelas sur le marché asiatique. La série Yesenia, par exemple, obtint un succès
inattendu en République Populaire de Chine.
Pendant les années quatre-vingt, Televisa produisit cent trois telenovelas dont la totalité
fut exportée. Nora Mazziotti cite les chiffres proposés par González :
L’Espagne, l’Italie, la France, le Brésil, la Chine, l’Angleterre, la Corée, Singapour,
la Turquie, l’Afrique du Nord, toute l’Amérique Latine, Les Etats-Unis et le
Canada virent, via les diffusions et rediffusions normales, près de 200 000 heures
de telenovelas mexicaines. Le pays qui a retransmis le plus de telenovelas
66
MAZZIOTTI, Nora, La industria de la telenovela. La producción de ficción en América latina, Buenos Aires : Paidós Estudios
de comunicación. 1996. p 48.
48
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
mexicaines fut les Etats-Unis (52), suivis de l’Italie (29), de l’Espagne (9) et du
Canada (5).
En 1979, la revue TV y Novelas est créée, plus tard elle sera rachetée par Televisa. Ses
articles, interviews, commérages et informations redonnèrent vigueur à l’industrie télévisée.
Chaque année cette revue décerne le prix de la meilleure telenovela. La cérémonie est
retransmise par le canal 2, el canal de las Estrella et par la chaîne Univisiòn aux Etats-Unis.
3.1.3.3. Etat de l’exportation de telenovelas mexicaines aujourd’hui.
En 1995, la production annuelle de Televisa était de quinze telenovelas par an et
67
quarante titres circulaient sur le marché européen. Les telenovelas de Televisa étaient
diffusées dans soixante-treize pays et étaient doublées en dix-sept langues. Le succès
international de ses telenovelas peut être expliqué par la volonté de Televisa de gommer
les particularismes régionaux de ses programmes afin d’assurer la meilleure pénétration
possible dans des marchés différents. On peut donc imaginer que les telenovelas
mexicaines ont gardé les caractéristiques qui font le succès de ces programmes dans
les classes populaires tout en amenuisant celles qui les rattachent au continent latinoaméricain, caractéristiques qui les éloignent des préoccupations d’autres populations.
Toutefois la structure caractéristique de la telenovela n’a pas été modifiée et ce sont les
éléments incompréhensibles pour des publics non-mexicains qui ont été abandonnés. Dès
lors, on peut mettre en doute l’hypothèse que l’histoire des telenovelas transmettent les
particularismes mexicaines, on peut toutefois postuler que le genre telenovela transmet
certaines valeurs latino-américaines si ce n’est pas les détails de la culture. Nous
reviendrons sur ce point dans la dernière partie.
Cette stratégie réussit à l’entreprise mexicaine puisqu’en 1997 le total de ses
exportations représentait quelque cent millions de dollars. Avec ce résultat, Televisa se place
parmi les grandes multinationales du secteur, le chiffre de la BBC se situant juste au-dessus
de Televisa, les très grandes firmes type Warner Bross Paramount ou Universal atteignant
le chiffre de cinq cents millions.
La telenovela circule donc à l’international. Il convient donc de se demander si la
globalisation ne tend pas à dénier à ce programme son statut de genre spécifique en
le considérant simplement comme un soap-opéra ou si, au contraire, au sein de la
mondialisation, la telenovela conserve sa spécificité.
3.2. Culture et mondialisation
Cette partie sera consacrée à montrer que la globalisation n’entraîne pas une
« américanisation » de la planète mais qu’au contraire, elle peut être à l’origine de fortes
revendications identitaires et serait donc propice à la diversité culturelle. Ce n’est que dans
ce contexte que l’on pourra affirmer que la telenovela est reconnue à l’international comme
un produit spécifique. Il convient tout d’abord de rappeler la place du Mexique dans le
processus de mondialisation (3.2.1.). Ensuite on étudiera les théories de la modernité qui
prédisent une homogénéisation culturelle mondiale (3.2.2). Enfin on ira à l’encontre de ces
théories et montrera que la globalisation peut aussi être synonyme de diversité (3.2.3).
67
Ibidem. p. 50.
DUBOSC Pauline 2007
49
La telenovela mexicaine, entre local et global
3.2.1. Le cas du Mexique face à la globalisation
Dans un article intitulé « Le Mexique face à la globalisation: les politiques audiovisuelles
68
pour promouvoir et protéger sa diversité culturelle » , Laura Arquez Elenes expose les
points principaux pour comprendre ce qui se passe au Mexique quant à ses politiques
audiovisuelles. La chercheuse commence par souligner l’importance de la diversité
culturelle au Mexique. La culture mexicaine contemporaine est en effet le fruit d’un brassage
et d’un métissage. Héritière de sa culture préhispanique mais aussi de son histoire coloniale,
elle est aujourd’hui caractérisée par une forte diversité, accrue par sa position géographique
de sas entre l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine.
Dans le contexte de globalisation, il faut signaler la participation du Mexique à
deux traités internationaux sur les échanges commerciaux : l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) et le Traité de Libre-Échange (TLC) avec le Canada et les Etats-Unis.
Le Mexique est donc partie intégrante au processus de mondialisation des flux et de la
libéralisation des échanges. Cependant, il est notable que le Mexique fait partie de ces
pays qui se sont préoccupés de la protection de leurs industries culturelles et ce malgré
les nombreuses pressions avec notamment la doctrine du free flow initiée par la MaisonBlanche au début de la guerre froide. Cette doctrine prétendait garantir la libre circulation
des produits des industries médiatiques états-uniennes dans le monde sous prétexte de
respect du droit universel à la libre expression.
Le Mexique a donc mis en place certaines structures afin de défendre son
multiculturalisme. Ce processus de protection s’étant accentué depuis la rébellion zapatiste
de l’EZLN initiée au début des années quatre-vingt-dix au moment même de la signature
du TLC par le président Carlos Salinas de Gortari. On citera la CONFETEL, c’est-àdire la Confédération des Télécommunications, chargée de la défense du droit souverain
du Mexique dans la réglementation des télécommunications et la Commission Fédérale
de la Concurrence qui contrôle les fusions qui pourraient se traduire par des situations
monopolistiques.
Le Mexique se trouve donc plongé dans une dialectique qui oppose protection de sa
diversité culturelle et ouverture économique. Dans le cas concret du secteur audiovisuel,
la télévision a mis en place un processus de déréglementation et de privatisation et s’est
ouverte à l’investissement étranger. On peut supposer que le Mexique fut contraint à cette
ouverture dans le cadre de ses relations avec les Etats-Unis, son plus gros fournisseur
en matière de technologie. Conséquence de ce processus, un renforcement des positions
privilégiées du groupe Televisa et en deuxième lieu de TeleAzteca. On estime à 40%,
le pourcentage de la programmation d’origine nord-américaine, principalement des séries
doublées en espagnol.
Un tel constat, associé à celui de l’absence de télévision indigène ou de télévision
communautaire, peut conduire à questionner la culture véhiculée par les médias de
masse mexicains. On s’appliquera donc à étudier les théories de la modernisation ou du
développement qui soutiennent l’idée d’une uniformisation de la culture à l’échelle globale
avant de les contrebalancer par les théories de la résistance culturelle.
3.2.2. Les théories de la domination et de l’unification
68
MARQUEZ ELENES, Laura, « Le Mexique face à la globalisation: les politiques audiovisuelles pour promouvoir et protéger sa
diversité culturelle ». [en ligne]. Mexique : Cuadernos del CAC, numéro 14. [Page consultée le 17 juin 2007] <www.audiovisualcat.net/
publications/Q14mexic.pdf>
50
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
à la mythologie de la différenciation et de la diversification extraordinaire des
produits, on peut opposer l’uniformisation de l’offre, tant à l’échelle nationale
qu’à l’échelle internationale : la concurrence, loin de diversifier, homogénéise,
la poursuite du public maximum conduisant les producteurs à rechercher des
produits omnibus, valables pour des publics de tous milieux et de tous pays,
parce que peu différenciés et différenciant, films hollywoodiens, telenovelas,
feuilletons télévisés, soap-opéras, séries policières… (Pierre BOURDIEU, Contre
feux II, page 77)
3.2.2.1. Retour théorique sur le fait culturel
69
Dans son ouvrage La Mondialisation de la culture , Jean-Pierre Warnier commence son
analyse par un retour nécessaire sur les termes du problème. Il définit ainsi l’expression
« mondialisation de la culture » comme la circulation des biens culturels à l’échelle du Globe.
Pour définir la culture, l’auteur utilise la définition qu’en donna Tylor en 1871, c’est-à-dire la
culture comme « totalité complexe qui comprend les connaissances, les croyances, les arts,
les lois, la morale, la coutume, et tout autre capacité ou habitude acquise par l’homme en
tant que membre de la société ». La culture est donc présentée comme la boussole d’une
société qui permet aux hommes de savoir d’où ils viennent et comment se comporter.
Par ailleurs, l’auteur mentionne que ce qui caractérise la culture c’est son mode de
transmission : la tradition qu’il définit comme « ce qui d’un passé persiste dans le présent
où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui, à
leur tour, au fil des générations, la transmettent ».
Dernière précision apportée par l’auteur, « toute culture est socialisée », c’est-à-dire
qu’elle s’inscrit dans une société situable géographiquement et forme l’identité de cette
dernière. L’identité se définit comme l’ensemble des répertoires d’actions, de langue et de
culture qui permettent à une personne de reconnaître son appartenance à un certain groupe
social et à s’identifier à lui.
Avec la révolution industrielle, une situation historique inédite est apparue. Les
échanges et les contacts entre les cultures sont des phénomènes anciens, mais ce qui
change avec l’apparition des industries culturelles c’est la capacité d’un pays à déverser
partout dans le monde, en masse, les éléments de leur propre culture ou de celle des
autres. Dans ce nouveau contexte, deux débats apparaissent autour de la mondialisation
des produits culturels :
∙
- Celui du destin des cultures de la tradition prises dans les turbulences du marché et
la concurrence entre les produits culturels,
∙
- Celui lié à la concentration, vers une unification, une « coca-colonisation » de la
planète et une culture Disneyland.
Il convient donc de revenir sur les théories de la convergence qui préfigurent une unification
de la culture mondiale. Si on en croit ces théories, la telenovela ne serait alors qu’une pâle
copie des soap-opéras américains.
3.2.2.2. Les théories de la modernisation
69
WARNIER, Jean-Pierre, La mondialisation de culture, Paris : Éditions La Découverte. 1999. 121 p. collection Repères. ISBN :
2-7071-2938-0
DUBOSC Pauline 2007
51
La telenovela mexicaine, entre local et global
On peut situer l’émergence des théories de la convergence en 1963 lorsque Shmuel
Eisenstadt écrit : « Historiquement, la modernité est le processus de changement vers ces
types de systèmes qui se sont développés en Europe occidentale et en Amérique du Nord
depuis le XVIIIe siècle jusqu’au XXe et se sont ensuite répandus dans d’autres pays».
Dans son texte « le Tiers Monde à l’épreuve des médias audiovisuels transnationaux :
70
quarante ans de controverses théoriques » , Tristan Mattelart revient dans sa première
partie sur les différents courants qui annoncent une occidentalisation du monde. Il place
à l’origine de ce mouvement le livre de Daniel Lerner, professeur au MIT, (Massachusetts
Institute of Technology) intitulé The passing of traditional Society, Modernizing the Middle
East (1958). Dans ce livre Daniel Lerner souligne que le « réseau global des mass media »
permet aux populations du Tiers Monde «d’imaginer comment la vie est organisée dans
d’autres pays » et à ce titre sert de ferment « modernisateur». Au cœur de ce processus la
faculté psychologique de l’empathie, comme l’aptitude à se mettre à la place d’autrui.
La théorie de la convergence regroupe des noms aussi diverses qu’Ithiel de Sola
Pool, Herbert I. Schiller, Alan Wells, Olivier Boyd-Barett, Raquel Salinas, Leena Paldan,
Luis Ramiro Beltran ou encore Cees J. Hamelink… Il ne s’agit pas ici de présenter les
travaux de tous ces auteurs qui présentent quelques divergences mais plutôt de souligner
que ce courant, à travers des concepts tels que la « synchronisation culturelle » (Cees J.
Hamelink), la « dépendance culturelle » (Raquel Salinas, Leena Paldan), « l’impérialisme
culturel » (Herbert I. Schiller), ou encore « l’impérialisme du petit écran » (Alan Wells), pense
le processus de mondialisation de la culture comme un alignement des différentes cultures
sur le modèle américain.
En ce qui concerne l’Amérique Latine, deux auteurs de ce courant s’opposent :
Alan Wells qui étudie l’« américanisation » des télévisions latino-américaines dont « 80%
des programmes diffusés (…) sont produits aux Etats-Unis » d’une part et Luis Ramiro
Beltran d’autre part qui s’intéresse à la dépendance de ces télévisions et montre que
les programmes nationaux diffusent les valeurs du puissant voisin : l’individualisme, le
71
matérialisme, le conservatisme…
On a ici un panorama des théories de la modernisation des années soixante-dix. Ce
courant atteint ses limites lorsqu’il s’agit de définir « la culture nationale », ainsi que devant
le besoin qu’éprouvent les firmes audiovisuelles américaines d’ « adapter leurs programmes
à la ‘’réalité nationale’’ et non plus seulement de les doubler ». Sur la base de ce double
constat, les théories évoluent.
3.2.2.3. Vers une pluralité des flux
Dans ce deuxième âge des théories du développement, les Etats-Unis ne sont plus
présentés comme un ogre écrasant les autres cultures sans aucune pitié. Aussi la
domination internationale des Etats-Unis n’est plus perçue comme le résultat d’un dessein
impérial mais le fruit des avantages comparatifs du pays précurseur en audiovisuel.
L’omniprésence des valeurs américaines n’est pas le fruit d’ambitions néo-colonialistes de
l’oncle Sam, mais elle est la conséquence de l’exportation des modèles de diffusion d’un
70
MATTELART, Tristan, Le Tiers Monde à l’épreuve des médias audiovisuels transnationaux : 40 ans de controverses
théoriques, in MATTELART Tristan (Dir.) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel sans frontières,
Bruxelles : de boeck. 2002. 307 p. collection Medias recherches. ISBN : 2-8041-4061-X
71
52
ibidem
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
72
pays en avance technologique. Par ailleurs, on l’a déjà vu dans les années quatre-vingt, le
choix de l’importation était pour les pays acheteur plus rentable que la production de fiction
nationale.
Dans les années quatre-vingt, la représentation centrifuge des flux télévisés est
abandonnée au profit d’une décentration des zones de production et d’exportation
télévisuelles dont le Mexique. Les programmes ne proviennent pas d’un centre unique mais
de plusieurs pôles. On peut citer par exemple « la mission de recherche pour un espace
audiovisuel latin » créé par le Ministère Français de la Culture. Au terme de cette enquête
Armand et Michèle Mattelart ainsi que Xavier Delcourt invitent à nuancer les cartographies
de circulation « à sens unique » du fait de l’irruption sur la scène internationale des
telenovelas mexicaines et brésiliennes mais aussi des programmes d’animation japonais
et de l’augmentation des échanges régionaux notamment des flux Sud-Sud dans les pays
arabes et en Amérique Latine.
S’il existe à l’époque un consensus sur l’évolution de la cartographie des flux, les
auteurs s’opposent sur le sens à lui accorder. Cette nouvelle cartographie signifie-t-elle la
73
fin de la domination occidentale ?
1. François Chevaldonné, dans son article « Mondialisation et orientalisme : les
feuilletons télévisés » (in Jean-Robert Henry (dir.), Nouveaux enjeux culturels au
Maghreb, Editions CNRS, Paris, 1986) n’y voit pas la fin de la domination occidentale
mais simplement le fruit d’une nouvelle division internationale du travail
2. Everett M. Rogers et Livia Antola, dans leur article « Telenovelas : A Latin American
Success Story » (Journal of communication, Vol. 35, n°4, automne 1985) y voient au
contraire la fin de cette domination et suggèrent même une inversion des relations
de domination. Ils s’appuient pour cela sur la success story des telenovelas de
Televisa. Toutefois leur analyse d’un « impérialisme des médias à l’envers » est
exagéré quand on prend en considération que les émissions du réseau Spanish
International Network aux Etats-Unis ne représentent que 0,5% du volume des
émissions diffusées.
En conclusion, on peut dire que les théories de la modernisation, qu’elles soient de la
première ou de la deuxième génération, suggèrent une certaine uniformisation du monde,
qui se résume à de rares exceptions près à une occidentalisation où les différentes cultures
s’aligneraient peu à peu sur la culture nord-américaine. Ainsi Rogers et Antola écrivent
en 1985 que si elle veut continuer à se développer comme elle le fait aujourd’hui la
telenovela de Televisa devra s’aligner encore plus sur le modèle nord-américain. Leur
analyse est discutable. Ils soulignent notamment que l’ascension des groupes Televisa
et TV Globo s’est réalisée sans un important engagement gouvernemental et c’est ce
désengagement étatique qui les a poussés vers les valeurs commerciales des networks
américains. En réalité, le développement de ces groupes a été pendant longtemps soutenu
par leurs gouvernements respectifs. De la même façon que l’on peut critiquer cette théorie
72
Elihu Katz « Cultural Continuity and Change : Role of the Media » in in Kaarle Nordenstreng et Herbert I Schiller (Eds), in
MATTELART, Tristan, Le Tiers Monde à l’épreuve des médias audiovisuels transnationaux : 40 ans de controverses théoriques, in
MATTELART Tristan (Dir.) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel sans frontières, Bruxelles : de
boeck. 2002. 307 p. collection Medias recherches. ISBN : 2-8041-4061-X
73
MATTELART, Tristan, Le Tiers Monde à l’épreuve des médias audiovisuels transnationaux : 40 ans de controverses
théoriques, chap.2. in MATTELART Tristan (Dir.) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel sans
frontières, Bruxelles : de boeck. 2002. 307 p. collection Medias recherches. ISBN : 2-8041-4061-X
DUBOSC Pauline 2007
53
La telenovela mexicaine, entre local et global
de l’alignement des telenovelas sur les valeurs nord-américaines, on peut discuter la thèse
d’une américanisation du monde.
3.2.3. L’avènement de la « glocalisation »
3.2.3.1. La réfutation de la théorie de la convergence
La consommation de masse avait très mauvaise presse auprès des élites comme l’école
de Francfort ou d’intellectuels comme Jean Baudrillard qui dénonçaient son caractère
aliénant et uniformisant ainsi que sa superficialité. Jean-Pierre Warnier dans son livre La
74
Mondialisation de la Culture fait valoir trois arguments à l’encontre de cette théorie :
∙
En premier lieu, les généralisations sur le caractère uniformisant et aliénant de la
consommation de masse n’étaient fondées sur aucune enquête de terrain. « Lorsque
les ethnologues ont commencé à enquêter sur les pratiques de consommation
contemporaines, ils ont découvert un paysage sensiblement différent de celui que les
auteurs dits « postmodernes » présentaient ».
∙
En second lieu, ces théories pessimistes ont sous-estimé la capacité de « création,
d’innovation et d’imagination des sujets ». C’est dans le cadre de son expérience
personnelle que l’individu incorpore le message médiatique.
∙
Le troisième argument concerne les industries médiatiques. L’auteur ne nie pas
qu’elles produisent des objets standardisés, mais il ne faut pas conclure une
homogénéisation de cette standardisation. « C’est plutôt l’inverse qui se produit ». Du
fait de la concurrence accrue, les producteurs sont poussés à proposer des produits
novateurs sur des niches de plus en plus précises et étroites.
Pour bien comprendre la mise en échec de la théorie de la convergence, il convient de
revenir sur les deux derniers arguments qui s’y opposent à savoir l’existence de public actif
et la création niches spécialisées.
3.2.3.2. Des audiences actives
La circulation des biens culturels à l’échelle mondiale est une communication or les
théoriciens ont abandonné le schéma qui voyait dans le récepteur une instance passive, une
cire molle sur laquelle s’inscrirait le message d’un émetteur tout-puissant. Non seulement
le récepteur possède une certaine autonomie au moment du décodage du message
médiatique, mais il existe des phénomènes de rétroaction –ou feedback- du destinataire
sur la source du message.
Dans le cadre de la mondialisation de la culture, ce schéma nous indique que
les cultures ne sont pas sans défense face au message des industries médiatiques
occidentales. Ce constat peut paraître novateur, pourtant le monde a déjà connu un
phénomène similaire il y a cinq cents ans. Les sociétés colonisées n’ont pas été les jouets
passifs du colonisateur qui y aurait transposé ses valeurs, ses codes et sa culture sans
rencontrer de résistance. Au contraire ces sociétés n’ont pas capitulé et rejeté leur culture
ou leur histoire, mais ont su domestiquer l’apport occidental et réinventer leurs traditions
75
à travers ce nouveau prisme . Dans le cas du Mexique, l’exemple le plus frappant est le
74
WARNIER, Jean-Pierre, La mondialisation de culture, Paris : Éditions La Découverte. 1999. p. 97
75
54
Ibidem p. 106
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
syncrétisme dont fut l’objet la religion. À travers ce phénomène, on voit d’ailleurs que les
colonisateurs eux-mêmes avaient conscience qu’il n’était pas possible d’imposer leur culture
européenne et d’annihiler le passé de ces sociétés. Ces colonisateurs, qui pour installer le
christianisme au Mexique ont transposé les grandes figures du catholicisme sur des divinités
aztèques et qui ont construit leurs églises sur les temples, se seraient sûrement moqué des
crédules qui voient dans la mondialisation de la culture l’homogénéisation du monde sur les
Etats-Unis et la disparition définitive de la diversité culturelle.
Si les industries culturelles américaines, en particulier le cinéma et l’audiovisuel,
se taillent une part enviable dans les marchés de la culture au point de
représenter une menace pour les industries concurrentes, si ces industries
confèrent à la société américaine une visibilité mondiale, si certaines enseignes
emblématiques (McDonald’s, Coca-Cola, Disney) sont présentes partout dans le
monde, si la langue anglo-américaine est en passe de devenir un sabir planétaire,
on ne peut pas en conclure que toutes les cultures du monde sont en cours
76
d’américanisation . (Jean-Pierre Warnier)
Chaque culture conserve son quant à soi et défend son identité. Plutôt que de
s’effacer devant des biens étrangers, les cultures les recontextualisent. Dans ce contexte,
la telenovela nous apparaît comme l’objet d’un syncrétisme inédit entre les formats
audiovisuels imposés par un pays en avance technologiquement et la culture locale, un
mélange entre modernité et tradition.
« La culture n’existe que si elle est appropriée et n’existe donc que dans le local,
dans le global, il n’y a que la production », l’analyse de la mondialisation de la culture
comme une homogénéisation des pratiques culturelles relève donc de la confusion entre
industrie culturelle et culture. C’est là ce qui fait le succès de la telenovela. Ce succès
s’explique par leur capacité à faire coexister, à « métisser », les « plus récentes technologies
audiovisuelles » avec les « dispositifs de narration (…) les plus traditionnels, voir
77
archaïques », hérités, en partie, des formes antérieures du mélodrame latino-américain.
Le fait qu’un produit culturel utilise la modernité, incarnée dans ce cas par les technologies
et les formats nord-américains, n’en fait pas un produit aligné sur la culture américaine ; au
contraire s’il parle la grammaire américaine, c’est peut-être pour mieux véhiculer la culture
de son pays. C’est ce même phénomène que nous avons mis en évidence lors de l’analyse
de Rubi dans la seconde partie.
Toutefois, la mise en relief de l’autonomie des cultures dans la réception des biens
culturels ne doit pas nous faire oublier l’existence et la puissance des grands « barons
de l’industrie ». Cependant ils se trouvent contraints d’offrir des textes « ouverts » et
78
« polysémiques » s’ils veulent pénétrer le public. L’auteur souligne que si les grandes
industries médiatiques diffusent une idéologie dominante, à l’instar des telenovelas que
Jesús Martín Barbero considère comme « complices d’inertie idéologiques mystificatrices »,
elles doivent cependant le faire en intégrant des éléments de critiques et en proposant un
large éventail de significations. Car comme le souligne Brigitte Le Grignou, pour que le texte
76
WARNIER, Jean-Pierre, La mondialisation de culture, Paris : Éditions La Découverte. 1999. p. 106
77
78
MARTíN BARBERO, Jesús, Televisión y melodrama, Bogotá : Tercer Mundo Editores. 1992. p. 13 et 29.
FISKE, John, Television Culture, London et New-York : Methuen. 1987. ISBN : 0 416 92440 9
DUBOSC Pauline 2007
55
La telenovela mexicaine, entre local et global
devienne populaire dans un large public, « il doit contenir des contradictions, des failles et
79
des traces de contre-idéologie »
3.2.3.3. Entre globalisation et régionalisation
La forte demande en programmes télévisuels renforce la puissance du maître incontesté
de l’entertainment que sont les Etats-Unis, cependant elle offre également des possibilités
de développement à d’autres centres de production. Tristan Mattelart cite ainsi l’Europe et
le Japon mais aussi des « centres qui se trouvent dans la périphérie » : ainsi les feuilletons
australiens, à l’image de Neighbours qui rencontrera un grand succès dans 25 pays, de
la Bulgarie à la Zambie, ainsi TV Globo et Televisa qui exportent leurs telenovelas dans
respectivement 100 et 59 pays, ou Radio Caracas Televisión, réseau vénézuelien, qui vend
les siennes à 36 pays.
Ce qui caractérise le paysage audiovisuel international du début du vingt-et-unième
siècle est donc la consolidation de la tendance à la constitution de marchés régionaux.
Les chercheurs parlent alors de régions géolinguistiques. Ces marchés régionaux sont
fondés pour une part sur des réalités géographiques mais aussi sur « des liens culturels,
80
linguistiques et historiques qui transcendent l’espace physique » . C’est ainsi que les
grandes diasporas, type la communauté chicana aux Etats-Unis, restent destinataires des
messages médiatiques de leur pays d’origine, et ce par le biais de la vidéo ou encore de
la télévision par satellite.
La logique globalisante de la globalisation est ainsi « l’arbre qui cache la forêt » et tend
à dissimuler les logiques régionales qui la sous-tendent. Tristan Mattelart rappelle toutefois
que la concurrence entre les acteurs globaux n’en reste pas moins vive : « Televisa le
sait bien qui, après avoir vu sa chaîne par satellite Galavisiòn, créée en 1988, mise en
concurrence par ses consœurs du nord du Rio Grande, s’est allié au milieu des années
90 avec Globo News Corporation et le câblo-opérateur étasunien TCI pour proposer un
81
bouquet de télévision par satellite diffusant sur l’ensemble de l’Amérique Latine ».
Arjun Appadurai parle de déterritorialisation et du besoin ressenti par les populations
exilées de garder le contact avec leur pays d’origine. Ces populations tendent à métisser leur
culture d’origine en y intégrant de la culture dans laquelle elles sont désormais immergés. On
peut citer les travaux de Garcia Canclini sur la frontière mexicaine et surtout sur Tijuana où
l’on trouve des cultures hybrides où se mêlent et se recomposent des éléments empruntés
à différents répertoires culturels, indigènes, mexicains, étasuniens.
Ainsi, les penseurs de la mondialisation culturelle proposent de repenser le rapport
entre culture transnationale et culture locale en termes de coexistence et d’interaction
créative et non plus en termes de concurrence et de menace. Hybridation, Ulf Hannerz parle
de créolisation, Arjun Appadurai d’indigénisation… Toutes ces notions reflètent une même
réalité. Le fait qu’une culture n’est pas quelque chose de statique, de pur et d’homogène,
79
LE GRIGNOU, Brigitte, « les périls du texte », réseaux, les Cultural Studies, n°80, novembre-décembre 1996, p.116. in
MATTELART, Tristan, Le Tiers Monde à l’épreuve des médias audiovisuels transnationaux : 40 ans de controverses théoriques, chap.2.
in MATTELART Tristan (Dir.) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel sans frontières, Bruxelles :
de boeck. 2002. 307 p. collection Medias recherches. ISBN : 2-8041-4061-X
80
MATTELART Tristan (Dir.) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel sans frontières,
Bruxelles : de boeck. 2002. 307 p. collection Medias recherches. ISBN : 2-8041-4061-X
81
MATTELART Tristan (Dir.) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel sans frontières,
Bruxelles : de boeck. 2002. p. 62.
56
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
mais qu’au contraire elle est quelque chose de fluide, lieu de brassage et de mélange
chaque fois qu’elle entre en contact avec une autre, et les occasions ne sont pas rares.
En conclusion, on peut avec Tristan Mattelart évoquer les travaux de Stuart Hall qui,
dans son article « New Culture For Old » (1995), propose de repenser l’idée de culture
non plus comme « localisée dans un espace clos, dotée d’une cohérence interne »,
comme « homogène », mais, à l’image de celle des diasporas, comme « un lieu de
rencontre, où différentes influences, traditions et forces s’entrecroisent » La culture doit
en effet être considérée comme « le résultat d’un processus complexe, jamais achevé,
de combinaison d’éléments provenant de différents répertoires culturels qui forment de �
nouvelles� cultures », comme le fruit de processus « transculturels » et d’ « hybridations »
successives, en perpétuelle négociation.
3.3. La reconnaissance internationale du genre
telenovela
Dans cette dernière sous-partie, il convient – encore une fois – de recentrer le propos de
notre étude et d’appliquer les conclusions de ces analyses aux telenovelas mexicaines dans
le phénomène de globalisation. On l’a vu dans la première sous-partie, les telenovelas sont
des produits très exportés. De fait il était légitime de se demander si, dans un contexte de
mondialisation, les telenovelas n’étaient pas condamnées à épouser le modèle américain
et à perdre ainsi leur substance et leur spécificité qui les rattachent à la culture mexicaine.
Or, on l’a vu, le processus de mondialisation n’a pas pour conséquence une disparition des
cultures locales qui s’aligneraient sur la culture américaine. Au contraire, si l’on en croit
82
l’analyse de Serge Latouche ,la mondialisation est souvent le terreau de revendications
identitaires fortes, avec dans ses excès et en réaction le terrorisme. Dans ce contexte, la
mondialisation est donc favorable à l’expression des cultures locales.
Les telenovelas peuvent donc théoriquement conserver leur « intégrité » sur le marché
mondial. Est-ce aujourd’hui le cas ? La reconnaissance internationale dont bénéficie le
genre aujourd’hui contribue à nous le faire penser. On s’intéressera à sa reconnaissance
par les professionnels (3.3.1.) et à sa reconnaissance par le public (3.3.2). Les derniers
mots du développement de ce mémoire seront consacrés au phénomène international que
constitue la telenovela d’origine colombienne Yo soy Betty la fea (3.3.3).
3.3.1. Un genre reconnu par les professionnels
La reconnaissance du genre atteint son climax en 2005 lorsque la société la plus importante
du monde en ce qui concerne le marché de programmes télévisés, le Reed Midem créa le
Telenovelas Screenings, un rassemblement de professionnels autour de ce marché rentable
des telenovelas, avec pour slogan « tele-love-novelas ». Selon Paul Johnson, responsable
de la section télévision de Reed Midem, le lancement de cet événement répond à la
croissance de l’industrie des telenovelas ces dernières années : « Chaque année, cinq cents
telenovelas sont produites, générant plus de cent trente millions de dollars par an ».
82
LATOUCHE, Serge, « Les effets culturels de la mondialisation : Universalisme cannibale ou Terrorisme identitaire ». [en ligne].
Ottawa. [Page consultée le 18 mars 2007]. <1libertaire.free.fr/SLatouche23.html>
DUBOSC Pauline 2007
57
La telenovela mexicaine, entre local et global
Dans le contexte du Reed Midem, s’organise chaque année le MIPCOM qui se présente
83
sur son site Internet comme « le marché international des contenus audiovisuels ».
Le MIPCOM est la réunion, à Cannes, sur cinq jours de douze milles professionnels
du monde entier qui négocient près de quatre milliards d’euro de droits. À travers le
Telenovela Screening, on peut considérer que c’est l’ensemble de la profession qui soit
reconnaît directement le genre, soit assiste à sa reconnaissance à Cannes. Pour ce qui
est de la telenovela mexicaine on remarque qu’elle occupe une place de choix dans cet
événement.En effet dans la plaquette de présentation du Telenovelas Screenings, le seul
pays à être présenté deux fois est le Mexique à travers TeleAzteca et Televisa...
La même année se tint à Madrid le troisième sommet de la telenovela réunissant
les grands pontes de la production de telenovelas. Lors de cette rencontre, les créateurs,
producteurs et diffuseurs latino-américains et les chaînes de télévision et producteurs
européens, asiatiques, arabes et africains répondirent à l’invitation de la revue TVMAS à
analyser avec tous les acteurs du marché le boum de ce marché.
Dans le cadre du MIPCOM, se tint le 7 octobre 2006, au Carlton à Cannes, une série
de conférence dont le programme montre l’intérêt des professionnels pour ce genre. On
peut citer par exemple les thèmes développés par Virginia Mousseler, chercheuse de The
84
WIT , en introduction de ces conférences. Elle était ainsi en charge d’analyser le marché
de la telenovela à travers quatre angles d’approche : « l’essence du genre telenovela », « la
guerre de l’audience : telenovelas importées VS telenovelas locales dans les marchés clé »,
« Telenovelas & Internet : communautés, forums de discussion et commercialisation » ; et
enfin « un panorama des telenovelas diffusées dans le monde ». La deuxième parie de la
conférence réunissait plusieurs intervenants chargés d’étudier les techniques de vente et
de développement de la telenovela. Des entreprises de nombreux pays participèrent à cette
rencontre : les principales acteurs audiovisuels de l’Argentine, de la Bosnie Herzégovine, du
Brésil, de la Bulgarie, du Canada, de la Colombie, de la Croatie, de l’Equateur, de la Russie,
de la Finlande, de l’Allemagne, de la Grèce, de HongKong, de l’Islande, d’Israël, de l’Italie,
de la Côte d’Ivoire, de la Corée du Sud, de la Malaisie, du Mexique, des Pays-Bas, du Pérou,
des Philippines, du Portugal, de la Roumanie, de la Serbie, de la Slovaquie, de la Slovénie,
de l’Espagne, de l’Ukraine, de la Grande Bretagne, des Etats-Unis et du Venezuela.
3.3.2. Un genre moderne.
Jusqu’à très récemment, la presse habillait d’épithètes peu flatteuses du type télévisionpoubelle, ce genre pourtant l’un des plus rentables de la télévision. D’après une estimation
du Boston Globe en 2004, le nombre de téléspectateurs potentiels de telenovelas dans le
monde s’élèverait à deux milliards. D’après Venevisiòn, un des éléphants de la profession,
sa liste de chaînes de télévision intéressées par ce genre regroupe plus de 350 noms.
Chaque année douze milles heures de telenovelas sont produites, avec un prix moyen de
85
48.000$ par épisode et un investissement d’environ six cents millions de dollars.
83
84
�en ligne�. �Page consultée le 23 juin 2007� <www.reedmidem.com>
Créé en décembre 1995 par Virginia Mouseler et Bertrand Villegas, The Wit a pour vocation d’offrir aux principaux diffuseurs
et producteurs du monde entier tous types d’informations sur les marchés internationaux et les programmes télévisuels.
85
GALVEZ, Francine, « Las telenovelas al poder ». [en ligne]. Emisiones.TV. Octobre-Novembre 2005. [Page consultée le 16 juin
2007] <www.emisiones.tv/numero_27/inde_1_f.pdf>
58
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
Pourtant, la telenovela est longtemps restée dans les esprits un mauvais produit destiné
aux populations les moins éduquées des classes populaires présentant l’unique intérêt
de remplir la grille de programmation pendant des mois en garantissant une audience
importante.
Ce type de raisonnement paraît s’essouffler aujourd’hui suite au succès croissant des
telenovelas de par le monde. Si l’on considère les chiffres, le véritable boum de la telenovela
en Europe se situe au tout début du vingt-et-unième siècle. Pour n’en citer qu’un, on dira
que le nombre de telenovelas émises en Europe au premier semestre 2004 a augmenté de
86
9,4% par rapport à 2004 à la même époque.
Pour une partie, ce changement dans les mentalités s’explique par un effort des
sociétés productrices latino-américaines pour améliorer la qualité de ses produits et
actualiser ses contenus sans pour autant dénaturaliser le genre qui reste avant tout
mélodramatique. La telenovela entrerait donc dans un nouvel âge comme l’a annoncé
Guillermo Orozco Gómez en 2006. Le chercheur ajoute en effet une nouvelle étape à
l’histoire de la telenovela mexicaine de Nora Mazziotti, étape qu’il nomme l’étape de la
87
marchandisation .
D’après ce chercheur, la telenovela mexicaine depuis le début du vingt-et-unième
siècle est avant tout faite pour être vendue. Il observe une évolution par rapport la
telenovela classique, où, traditionnellement, « il ne se passait rien ». Les telenovelas
mexicaines actuelles se dotent d’un rythme plus soutenu ; à la manière d’un vidéo-clip, les
images s’enchaînent, les scènes se multiplient et l’histoire gagne en densité. L’exemple
le plus évident est la telenovela Rebelde. L’auteur souligne par exemple que le nombre
de scènes par épisodes a quasiment triplé, passant de 12 ou 14 scènes par épisode à
parfois plus de cinquante dans les telenovelas les plus récentes. Ce rythme effréné est
analysé comme un procédé poussant à la consommation, la telenovela sort de sa logique
traditionnelle de séduction pour entrer dans une nouvelle logique, celle de l’excitation,
prémisse à la consommation. Dans cette même optique, les telenovelas se dotent de plus
en plus de scènes comiques et d’éléments insolites : on peut parler des personnages
énigmatiques et atypiques qui hantent les couloirs de l’école de Rebelde ou du meilleur
ami homosexuel de Rubi. Ces éléments contribuent à éloigner la telenovela du traditionnel
sérieux mélodramatique et sont supposés favoriser l’identification et donc la consommation.
Dans Rebelde, le leitmotiv est la rébellion avec notamment l’opposition entre les jeunes et
les adultes quant aux règles sociales. Ainsi, les producteurs de la série cherchent à attirer
un public d’adolescents dont les principaux centres d’intérêt sont la résistance à l’autorité
et le rejet des normes de bienséance.
C’est ici l’analyse de Guillermo Orozco Gómez mais il est encore trop tôt pour dire si la
telenovela est en train de changer radicalement ou si ces innovations sont simplement une
modernisation d’un genre qui usuellement oscille entre tradition et modernité.
Au niveau international, la telenovela qui a réellement marqué la rupture semble être
Betty la Fea.
86
GALVEZ, Francine, « Las telenovelas al poder ». [en ligne]. Emisiones.TV. Octobre-Novembre 2005. [Page consultée le 16
juin 2007] <www.emisiones.tv/numero_27/inde_1_f.pdf>
87
OROZCO GÓMEZ, Guillermo, La Telenovela En Mexico: ¿De Una Expresión Cultural A Un Simple Producto Para La
Mercadotecnia?�en ligne�, Comunicaci ón y Sociedad. 2006. n°6. �consulté le 11 juillet 2007�. <http://dialnet.unirioja.es/servlet/
articulo?codigo=2190780>
DUBOSC Pauline 2007
59
La telenovela mexicaine, entre local et global
3.3.3. L’emblème international des telenovelas : analyse de la
« bettymania »
Le phénomène le plus marquant de la période récente en matière de telenovela est incarné
par Betty La Fea. L’histoire est celle d’une jeune fille spécialement laide qui tente de se faire
une place dans le monde et de réussir. Peu à peu, elle gravit les échelons de sa société sur
le leitmotiv « la vraie beauté est intérieure.»
A l’origine du phénomène, Yo soy Betty la Fea, telenovela colombienne datant de
1999. Dans son pays d’origine, le laideron a déjà un succès impressionnant. La chaîne
RCN récolte plus de 50% des parts de marché et quasiment 100% pour l’épisode final.
La « bettymania » gagne peu à peu d’autres pays qui soit achète la série, soit rachète
le concept : Betty devient Lotte au Pays-Bas, Letti en Espagne et au Mexique, Maria
Papasotiriou en Grèce, elle crée aussi des avatars en Inde, aux Etats-Unis, en Allemagne,
en Turquie, en Russie et prochainement en France. Toutes ces héroïnes rivalisant de
laideur obtiennent des taux d’audience records dans de nombreux pays qu’elles soient des
héroïnes locales ou importées.
La France a notamment, suite au succès de la version allemande sur TF1 le Monde
de Lisa, rachetait le concept et l’on attend la Betty française avec impatience. Comment
expliquer le succès de Betty ?
Pour Laurent Storch, directeur des acquisitions de TF1, c’est simple « Avec les femmes,
vous appuyez sur le bouton Cendrillon et ça marche toujours ».
Bertrand Villegas, patron de l’agence The WIT, essaie de pousser l’analyse plus loin.
« C’est un mélange entre le conte de fée éternel, mais non conventionnel, et une comédie
de situation à forte résonance sociale ». Pour lui, « Betty, c’est le signe d’une volonté
de « formater la fiction » comme ça a fonctionné avec le programme de flux (Qui veut
gagner des millions ?…). C’est la recherche d’une formule magique de fiction, exportable
88
et adaptable. »
Une telle déclaration semble aller à l’encontre de l’ensemble de ce travail qui voulait
démontrer la spécificité latino-américaine de ce genre. On pourrait donc penser que plus
qu’un vecteur de la culture latino-américaine, la telenovela serait un vecteur de la culture
populaire, et plus spécifiquement de celle de la ménagère de moins de cinquante ans.
Cependant, on peut souligner que lorsqu’il parle de « formule magique » , Bertrand
Villegas s’intéresse plus aux remakes étrangers qu’aux telenovelas d’origine latinoaméricaine. De fait lorsqu’elle se déplace en tant que produit fini, la telenovela est un
véhicule de la culture du pays producteur. Quand c’est le concept qui est racheté, il exporte
avec lui les grandes valeurs telles que le machisme, l’importance de la beauté physique ou
la lutte des classes qui sont certes exacerbées en Amérique Latine, mais à aucun moment
limitées au territoire latino-américain.
Ainsi on pourrait se demander si la reconnaissance de la telenovela sur la scène
internationale n’est pas la reconnaissance du fait que ce sont les latino-américains qui
auraient trouvé le genre idéal, exportable à l’infini. La telenovela serait le genre de la
mondialisation par excellence car permettant l’expression des identités nationales tout en
existant partout. Elle serait le produit de masse personnalisable, la concrétisation du « act
global, think local ».
88
GARRIGOS, Raphaël, ROBERTS, Isabelle, « La Betty Monde ». [en ligne]. Libération. Paris : le 13 janvier 2007. �consulté
le 30 juillet 2007�. <www.liberation.fr/actualite/medias/228331.FR.php
60
DUBOSC Pauline 2007
3. La telenovela dans le global
Conclusion : Telenovela et Education-Entertainment
Toute la complexité de ce mémoire résidait dans la pluralité des domaines qu’il touchait.
En plus de l’étude des spécificités du genre telenovela, il fallait en effet s’intéresser à la
mondialisation, aux industries culturelles, à la notion d’identité nationale… Par ailleurs, deux
difficultés venaient se greffer à cette étude. Tout d’abord, le manque de documentation et de
travaux sur un genre trop souvent méprisé. Ensuite, la nouveauté du phénomène puisque
que le boum des telenovelas à l’échelle internationale n’est pas antérieur à 2004.
Cependant tout au long de cette étude, nous nous sommes attachés à montrer
que la telenovela est un produit de masse tout à fait spécifique et qu’il pouvait être un
vecteur culturel puissant. Ainsi la telenovela est aujourd’hui un genre reconnu et respecté.
Cependant, lors de notre étude, une nuance a peu à peu fait surface. Le postulat de départ
s’articulait autour de l’idée que la telenovela pouvait être le vecteur de la mexicanité et
pouvait être un outil pour diffuser la culture mexicaine. En réalité, il semble que la telenovela
ne soit pas un genre spécifiquement latino-américain. S’il prospère dans ces pays, il est
tout aussi capable de se développer dans d’autres pays. Plus qu’un genre latino-américain,
la telenovela serait donc un genre populaire. Sans avancer loin notre réflexion, on peut
ici postuler qu’au-delà d’une supposée américanisation de la culture, nous aurions plutôt
affaire à l’avènement d’une culture populaire quasi-universelle.
L’intérêt de la telenovela serait donc qu’elle véhicule les valeurs du pays qui la produit
en gardant toujours une trame qui fait son succès dans les milieux populaires. Par ailleurs,
on l’a vu, on peut lui appliquer de nombreuses grilles de lecture et il ne faut pas la limiter à
un outil hégémonique. Elle peut aussi être un genre bénéfique aux populations.
Pour étayer ce propos, on peut mentionner la hausse du dépistage du cancer du sein en
Colombie après la diffusion d’une telenovela dans laquelle l’héroïne était atteinte de ce mal.
Il existe en effet un courant qui prétend se servir des médias de masse, en particulier des
séries télévisées et radiophoniques afin de répandre des messages sociaux. Au Mexique, ce
courant de l’E-E (Education Entertainment) s’est traduit par les sept telenovelas de Miguel
Sabido diffusées entre 1975 et 1985. Le courant E-E est aujourd’hui un champ d’étude très
89
intéressant en ce qui concerne le développement. Il reçoit ainsi le soutien de l’UNICEF , de
90
91
92
WHO , de UNAIDS , de la FAO … et de nombreux débats d’universitaires ont lieu autour
de ce thème. L’E-E est « le procédé supposé créer un message médiatique destiné tant à
divertir qu’à éduquer les populations, afin d’augmenter les connaissances de l’audience sur
93
un problème, de créer des attitudes bénéfiques et changer les comportements » .
L’exemple le plus connu de E-E en matière de telenovelas est le cas de Soul City en
Afrique du Sud. Créé à l’initiative de deux médecins conscients de l’inutilité des campagnes
de presse par exemple sur des populations analphabètes, ce feuilleton a pour vocation
de sensibiliser les populations en matière de contraception et de sida. Ce fut un succès
retentissant.
89
90
91
92
93
United Nations Children’s Fund, Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance
World Health Organization, l’Organisation Mondiale de la Santé
Le Programme des Nations Unies sur le Sida
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DUBOSC Pauline 2007
61
La telenovela mexicaine, entre local et global
On voit ici une possibilité de développement tout à fait intéressante pour les telenovelas.
Mais ce phénomène nous apprend également autre chose sur les telenovelas. On voit ici
une fascination pour les telenovelas et une reconnaissance de leur force socioculturelle. Les
telenovelas sont depuis quelques années étudiées à la lumière des théories de la médiation
et non plus sous l’angle de la manipulation et de la domination. Il conviendrait donc de
s’intéresser aux limites de l’utilisation des telenovelas comme outil du changement social et
aussi se demander comment concilier les intérêts commerciaux des grands groupes comme
Televisa ou TV Globo avec ces nouveaux objectifs sociaux. En résumé, les études sur les
telenovelas en tant que produit culturel de masse n’en sont qu’à leurs balbutiements.
62
DUBOSC Pauline 2007
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La telenovela mexicaine, entre local et global
Annexes
Annexe 1 : Personnages de la telenovela Rubi
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DUBOSC Pauline 2007
Annexes
Rubí Ferrer Pérez
Ochoa
Alejandro (alexandre)
Cárdenas Ruíz
Maribel De La Fuente
Héctor Ferrer Garza
Refugio (raphaëlle)
Pérez Ochoa
Sonia Chavarría
González
Cristina Pérez Ochoa
Ignacio Cárdenas
Elisa Duarte
Carla Cárdenas
Cayetano (gaétano)
Martínez
Dolores Herrera
Guzmán
Arturo (arthur) De La
Fuente
Victoria Gallegos
Loreto Echagüe
Bárbara Mori
Eduardo Santamarina
Amour de Rubi puis mari
de Maribel
Jacqueline Bracamontes Meilleure amie puis
meilleure ennemi de
Rubi
Sebastián Rulli
Fiancée de Maribel puis
mari de Rubi
Ana Martín
Mère de Rubi
Marlene Favela
Paty Díaz
Antonio Medellín
Ana Bertha Espín
Olivia Bucio
Luis Gatica
Leonorilda Ochoa
Première femme
d’Alejandro
Sœur de Rubi
Père d’Alejandro
Mari de Cristina,
chauffeur de
Roberto Vander
Ofelia Cano
Miguel Pizarro
Lilia López
Lorena Treviño
Marco (marc) Rivera
Genaro Duarte
Yago (jerry) Píetrasanta
Mariquita
Sofía Cárdenas Ruiz
Fransisco Gómez
Gallegos
Dr. José Luis Bermúdez
Arlette Pacheco
Ingrid Martz
Jan
José Elías Moreno
Sergio Goyri
Dolores Salomón
Tania Vázquez
Sergio Argueta
Hilda Mendez
Ingrid Mendoza
Luis Duarte López
Natalia 'Naty' Duarte
López
Adriana Roel
Mariana Rountree
Marco Méndez
Nicole Vale
Carlos Cámara
Meilleur ami de Rubi,
homosexuel
Promoteur de cancun
Docteur enemi
d’Alejandro
Demi-frère de Maribel
Annexe 2 : Episodes de Rubi
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La telenovela mexicaine, entre local et global
EPISODE
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
70
39
40
41
42
43
44
RESUME
Maribel demande à Rubi de l’accompagner rencontrer Hector
Arrivée d’Hector, le petit ami de Maribel qu’elle n’a jamais vu à
Mexico.
Rubi et Alejandro se rencontrent et tombent amoureux
Flirt entre Maribel et Hector et entre Rubi et Alejandro
Discussion sur les relations homme-femme
Alejandro devient le petit ami officiel de Rubi
Premiers préparatifs du mariage entre Maribel et Hector ; Rubi
découvre qu’Alejandro est pauvre
Rubi se rapproche de Hector
Rubi rompt avec Alejandro
Rubi continue de se rapprocher d’Hector malgré les fiançailles
Hector, pourtant mis en garde par Alejandro, se propose d’aider
Rubi
Rubi manœuvre pour attiser le désir d’Hector
Alejandro en conflit avec le docteur Bermudez
Le ton monte entre Hector et Alejandro à propos de Rubi
Rubi flirte explicitement avec Hector
Rubi retourne vers Alejandro sans abandonner ses vues sur
Hector
La mère d’Alejandro atteinte d’Alzheimer
Genaro surprend Rubi et Alejandro
Histoire d’amour entre Cristina et Gaetano
Le mariage entre Hector et Maribel manque d’être annulé parce
qu’Hector n’a pas ramené le dossier
Hector doute de plus en plus pour le mariage
La famille de Maribel s’engage à prendre en charge les frais de
Rubi
Hector décide de se marier avec Maribel par respect pour
l’amour de son ami Alejandro pour Rubi
Hector et Maribel font des projets d’avenir pendant qu’Alejandro
essaie de récuperer Rubi
Rubi fait du chantage à Genaro sur sa double vie
Rubi n’abandonne pas son idée d’épouser Hector
Rubi rejoint Hector à Vallée de Bravo
Jalousie de Gaetano pour la relation entre Cristina et Marco
Le marié est en retard le jour du mariage
Rubi et Hector s’enfuient à Cancun et se marient mais Rubi est
hantée par alejandro
Rubi convint Hector de s’installer à Cancun, elle craint le retour à
Mexico
La famille de Hector tente, sans succès, de le convaincre de
quitter Rubi
Hector découvre la double vie de son parrain
Rubi et Hector sont rejetés de toutes parts
Annonce du mariage entre Gaetano et Cristina
Tensions à Cancun entre Sonia et Rubi
DUBOSC Pauline 2007
Scandale au tour du docteur Bermudez
Apparition de Loreto, l’ami malsain et confident de Rubi
Rubi, ivre, se jette sur Alejandro
Alejandro et Sonia commence à flirter. Rubi face à plus fort
qu’elle jerry
Maribel part à Cancun
Maribel s’explique avec Rubi enfin
Annexes
DUBOSC Pauline 2007
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