Recrutement : Trop de profils linéaires
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Recrutement : Trop de profils linéaires
Spécial Métiers PROSPECTIVE Recrutement Trop de profils linéaires Malgré des perspectives 2009 et 2010 relativement pessimistes en matière d’emploi, le secteur pharmaceutique reste encore attractif et s’ouvre à de nouveaux profils. Bien trop lentement, selon les experts du recrutement. «L ’industrie pharmaceutique est un monde assez cloisonné et il n’est déjà pas facile pour un candidat de passer d’un segment à un autre, explique Francis Rolland, managing partner chez People in Health. Alors quand il s’agit de changer de type d’industrie… » Même son de cloche pour Gérard Bouquet, président de la commission de communication du Leem et conseiller aux affaires extérieures de Pfizer, qui affirme avoir, au cours de sa carrière, « toujours vu arriver des collègues issus d’industries mitoyennes ». Nicole Stievenard, directrice d’Hapi Conseil remarque également que, d’une manière générale, il existe peu de passerelles entre les différentes industries. « Les seules que j’ai constatées, dit-elle, sont au niveau des RH. Mais il existe des freins à ces changements de secteurs industriels, à commencer par les salaires qui sont plus élevés dans les laboratoires que En bref Le secteur du médicament connaîtra près de 18 000 départs à la retraite d’ici 2016 (17,3 % des effectifs) auxquels s’ajouteront plus de 24 000 départs (23,5 %) liés au turn-over naturel. Par ailleurs, plusieurs entreprises ont annoncé des projets d’investissement en France, qui devraient conduire à la création de plus de 1 200 emplois d’ici 2010, essentiellement en bioproduction. 32 PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009 dans l’industrie automobile par exemple. » Pourtant, quelque soit le secteur d’activité, les parcours professionnels sont jalonnés de ruptures (réorganisation des grands groupes, fusions, acquisitions). Ce qui devrait en principe favoriser l’ouverture à des profils plus originaux. Des réflexes autarciques Or, en interrogeant les cabinets chargés de recruter pour l’industrie pharma (soit 25 % des recrutements), on constate toujours les mêmes réflexes conservateurs, surtout dans les grands groupes. Trop souvent, ces laboratoires préfèrent des candidats issus du sérail et qui ont déjà occupé le même poste. « Quand un client nous confie une mission de recrutement, le profil recherché est souvent une copie collée de la personne qui occupait le poste auparavant et il n’est pas facile pour nos clients d’imaginer un profil issu d’un autre milieu », soutient Olivier Marquis du cabinet Antenor. « Depuis six ans que je suis chez Korn Ferry FutureStep, constate Sébastien Stoitzner, j’entends dire à l’industrie pharma qu’il faut du sang neuf sur les forces de vente et qu’il faut chercher des directeurs des ventes ou des directeurs régionaux venant d’autres secteurs, mais dans la pratique, il est extrêmement rare de parvenir à les faire accepter par les laboratoires. C’est dommage, car il existe des pratiques de management commercial en provenance de la grande distribution qui sont intéressantes, notamment dans la compréhension globale des enjeux. » Les grands laboratoires se défendent de faire du « clonage », mais dans les faits les recruteurs sont encore rassurés par des profils linéaires : une formation, un métier, un domaine d’activité. Ils pensent ainsi éviter une prise de risque mais perdent du même coup la richesse de nouveaux talents. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, les profils atypiques ne sont pas les bienvenus dans les grands laboratoires. La dernière enquête Progression (Ernst & Young) confirme d’ailleurs que « certaines actions sont insuffisamment explorées dans leur transformation : les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas entamé de restructuration offensive du cycle de vie de leur capital humain, qui mérite toutefois d’être découvert, développé et managé ». Des exceptions pour certains Le secteur, jusque-là plutôt hermétique, s’ouvre quand même timidement à des talents qui ne sont pas issus de ses rangs, notamment pour les postes de recherche, de développement clinique et les fonctions support. Sébastien Stoitzner confirme : « C’est une industrie consanguine qui a longtemps fonctionné en vase clos. Toutefois, on note des ouvertures sur des fonctions supports : RH, logistique, achats, qualité, marketing. » Dans ces domaines, l’industrie pharmaceutique commence à puiser des compétences © JAMES THEW DR GLOBALEMENT, LES MÉDECINS, LES PHARMACIENS ET LES INGÉNIEURS SONT DES DENRÉES RARES POUR L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE. hors de son secteur d’activité. « Les laboratoires cherchent des personnes formées dans des univers contraints en termes de coûts et de marges car ils ont développé des habitudes pour économiser, poursuit-il. On préfère par exemple un acheteur qui vient du domaine automobile et qui sait ce que signifie gagner un point de marge. » « Notre rôle est attirer l’attention de nos clients qui ont tendance à nous demander des profils plutôt classiques. Et de leur proposer des personnalités, des compétences qui ne sont pas basées uniquement sur la connaissance du secteur », explique Pierre-Yves Battisti du cabinet conseil en recrutement Antenor. Mais l’évolution des mentalités se fait lentement. Et ce dernier d’ajouter : « Beaucoup de laboratoires se sont cachés derrière les exigences réglementaires pour recruter par exemple des pharmaciens sur des postes qui ne l’exigeaient pas. Mais aujourd’hui, on est dans un milieu qui revoit ses modèles économiques et qui commence à s’ouvrir. Et ce phénomène devrait s’amplifier au cours des prochaines années. » Pilotage transverse A contrario, avoir un parcours atypique peut être un plus dans les biotech ou les petites structures qui cherchent assez souvent des gens plus polyvalents et ouverts. Elles ont aujourd’hui besoin de managers capables de piloter des projets transversaux, avec une vision d’ensemble et des compétences multiples : management, marketing, communication, aspects scientifiques et réglementaires. Des profils qui sont rares sur le marché… « Les fondamentaux ne sont pas changés car nous sommes dans une industrie réglementée, avertit Gérard Bouquet. Reste que nous devons nous adapter aux nouveaux enjeux et créer une interface fructueuse avec les nouveaux partenaires avec lesquels on va se trouver confronté. Ainsi quand on voit croître le rôle des associations de patients, on peut être amené à recruter des personnes venant du monde associatif. De même si, comme le souhaitent certains politiques, les complémentaires prennent une part plus importante dans la prise en charge des patients chroniques, les laboratoires pourront faire appel à des compétences issues de ces secteurs. » A l’inverse, Francis Rolland note des passerelles vers des secteurs liés à l’économie durable, le recyclage, la cosméto ou encore à la nutrition où l’expérience des contraintes réglementaires de l’industrie de la santé ainsi que l’expérience des relations avec les institutionnels sont bienvenues. >>> Métiers transposables « Depuis de nombreuses années, notre cabinet a acquis d’autres expertises sectorielles que l’industrie pharmaceutique, expliquent Anne-Marie Haugou, pdg de Bernard Krief Ressources Humaines et Christine Oeil de Saleys, consultante. Nous avons déjà fait entrer dans ce secteur des candidats issus de la grande consommation, la cosmétologie, les produits de luxe, la grande distribution… Parallèlement, nos clients en cosmétologie, agroalimentaire sont confrontés au durcissement des réglementations et recrutent des profils affaires réglementaires et R&D issus de l’industrie pharmaceutique. Le constat est donc double : certains métiers de l’industrie pharmaceutique sont transposables et constituent une véritable valeur ajoutée pour d’autres industries et le secteur pharmaceutique doit s’enrichir de talents issus d’autres secteurs pour faire face aux nouveaux défis économiques, en particulier sur les fonctions marketing/ventes et fonctions support. » 33 SEPTEMBRE 2009 - PHARMACEUTIQUES Spécial Métiers PROSPECTIVE Toujours plus de diplômes Un diplôme supplémentaire est un passeport vers l’indus« La recherche porte particulièrement sur les candidats trie. Par exemple, le Master Droit de la santé, pour rejoinexpérimentés, des profils très difficiles à recruter car trop dre les affaires réglementaires, ou un CESAM pour faire du peu nombreux, et peu sur les débutants », déclare Sébastien développement clinique. Stoitzner. Les laboratoires cherchent des profils beaucoup plus diplômés : bac + 5 ou 6, les labos n’ont pas de limite en Sortir de la pharma ce moment. Double formation et même plus. « Je connais Pour avoir rencontré de nombreux candidats, les cabinets une jeune femme directeur de BU chez Abbott et un direc- de recrutement estiment qu’il n’est pas évident de sortir de teur régional chez Janssen Cilag qui sont polytechniciens », l’univers pharmaceutique. « Les salariés restent très attachés témoigne Nicole Stievenard. De même, Lilly recrute des à ce secteur », soutient Sébastien Stoiztner. « Peu de personpersonnes très diplômées avec pour objectif de les faire nes quittent ce secteur qui reste encore assez excitant, esévoluer vers une direction générale si le besoin se time également Francis Rolland. C’est une industrie présente. De nombreux post-doc (biologistes, qui a encore des moyens importants et fait apchercheurs, voire anthropologues) se sont repel à des profils d’un haut niveau intellectuel. convertis car ils n’ont pas trouvé d’emploi Elle est diversifiée et utilise des technologies dans leur secteur. Et réussissent très bien de pointe, et les gens qui y sont cherchent dans la visite hospitalière pour des théraplutôt à y rester. Et quand par chance, des Des profils pies ciblées (onco, hémato...). Ces profils candidats issus d’autres secteurs ont réussi de chercheurs sont aujourd’hui très prisés à intégrer ce monde, ils ne veulent plus très prisés des laboratoires car les produits, pour la en partir. plupart issus des biotech, demandent des « Chaque fois que j’ai vu des cadres quitter personnalités de talents, avec une solide forl’industrie pharmaceutique, ce ne fut pas une mation. « Ce sont des produits coûteux et il grande réussite, à quelques exceptions près, et est important de ne pas rater son client car il y en la plupart sont revenus quelques mois plus tard. a peu », estime Nicole Stievenard. C’est une industrie qui ne prépare pas pour l’extérieur », Plus globalement, médecins, pharmaciens, ingénieurs sont observe Nicole Stievenard qui ajoute : « Ils ont toutefois du des denrées rares. Et embaucher un médecin ou un phar- mal à réintégrer la pharma car il existe ensuite une méfiance macien reste toujours un casse-tête. « La demande n’est pas des recruteurs. » Et comme il y a plus de postulants que forcément plus importante que par le passé mais ces profils d’offres, la question tombe ! n sont rares », résume Jean-Yves Battisti. En médico-marketing, les opportunités sont nombreuses et les laboratoires très friands de médecins ou de pharmaciens ayant un masBrigitte Postel tère d’école de commerce ou un DESS. Gérard Bouquet (Leem) : « Une nouvelle ère de coopération se prépare » DR « En tant que président de la commission de communication du Leem, je constate quelques signes intéressants. Auparavant, les grandes entreprises travaillaient de façon très isolées et voulaient intégrer le maximum de compétences. Les seules collaborations qu’elles s’autorisaient étaient liées soit à de la sous-traitance avec des prestataires, soit à des partenariats avec la recherche publique. Or, du fait des ressources humaines et financières plus contraintes, de la recherche plus difficile à maîtriser, cet isolationnisme commence à exploser. Et on 34 PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2009 voit trois big pharma (Lilly, Novartis, GSK) co-investir dans une société de biotech – Aileron – aux US. Début mars, Pfizer et GSK ont également mis en commun leurs ressources et leurs équipes spécialisées dans le sida pour créer une nouvelle entreprise. Ce sont des mouvements qui étaient encore inimaginables il y a cinq ans. On rentre sans doute dans une ère de coopération au sein et entre les big pharma. Ce phénomène est très important car il va impliquer un réel décloisonnement. Le fait que la recherche fondamentale puisse être confiée à des startup et des petites structures est en train de faire son chemin, à tel point que même les grosses entreprises organisent leur recherche fondamentale selon le modèle des start-up. Exemples : Sanofi-Aventis crée une pépiniè- re de start-up à la place de son ancienne unité de chimie à Vitry. Près de San Francisco, Pfizer crée le « biotech innovation center » où toute start-up peut venir s’implanter et avoir accès à toute la documentation scientifique, leur seule obligation étant d’offrir à Pfizer un droit de regard sur l’innovation qui pourra être éventuellement développée de manière privilégiée avec le laboratoire ou cédée à un tiers. Ce paysage s’anime et les collaborations se tournent aussi vers la recherche publique qui essaye de rentrer dans ce jeu partenarial en train de s’installer. On voit apparaître au sein des maisons mères et même des filiales des postes de partenariat public-privé. Propos recueillis par Brigitte Postel