Archives Berbères - Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc

Transcription

Archives Berbères - Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc
VOLUME I
FASCICULE
2
Archives Berbères
Publication
du Comité d'Études Berbères
ANNÉE
de Rabat
1915
SOMMAIRE
I . R E N É BASSET.
II.
III.
IV.
Capitaine
F.
— Les Géalogistes Berbères
QUERLEOX.
;.
— Les Zemmour
3
ta
— Le Talion et le Prix du Sang chez les Berbères
Marocains
N E L H I L . — L'Azref des Tribus et Qsour berbères du Haut-Guir
ARIN.
(suite)
62
88
V. Chronique Berbère
Administration'de
104
la
Revue
:
DIRECTION du SERVICE des RENSEIGNEMENTS (Résidence Générale), RABAT
J
LES
Archives Berbères
Publication du Comité d ' É t u d e s Berbères
de Rabat
VOLUME 1
Les
ANNEE
1915
Archives
FASCICULE
2
Berbères
PUBLICATION
DU COMITÉ D'ÉTUDES BERBÈRES DE RABAT
LES GÉNÉALOGISTES BERBÈRES
P a r m i les sources dont s'est servi Ibn Knaldoun pour
la partie du Kitâb cl 'Iber consacrée aux B e r b è r e s , il en est
une catégorie qu'il parait avoir été p r e s q u e le seul à consulter : ce sont les généalogistes b e r b è r e s . A part Ibn H ' a z m
et 131 Bekri, ni ion
Id^ari, ni El Marrakochi, ni ion
H ' a m m a d , ni Ibn Ab: Z e r a ' , p o u r ne p a r l e r que des plus
anciens, ne semblent les avoir c o n n u s , et ce silence est d'autant plus étonnant que ces généalogistes pouvaient avoir conservé des traditions, complétant, sinon modifiant les récits
des historiens a r a b e s .
Mais tout en les consultant, Ibn Knaldoun a négligé de
n o u s fournir les renseignements indispensables s u r e u x .
N o u s ne savons pas, sauf de r a r e s exceptions, à quelle
é p o q u e ils vivaient, à c o m m e n c e r par le plus illustre d ' e n t r e
eux ; n o u s ignorons m ê m e en quelle langue étaient rédigées
leurs généalogies, et c'est seulement par. conjectures que
n o u s arrivons à s u p p o s e r qu'ils les écrivirent et qu'il ne
s'agit pas seulement d ' u n e tradition o r a l e . En outre, la plupart sont a n o n y m e s .
Les familles qui possédèrent des généalogistes sont les
Ketâmah que leurs traditionnistes indigènes faisaient desc e n d r e de Ketâm, fils de B e r n e s , tandis q u ' I b n el Kelbi et
T ' a b a r i leur attribuaient les H ' i m y a r i t e s p o u r ancêtres ( i ) .
(I) Ibn Khaldoun. Kitâb el 'Iber, Boulaq. 1284. 7 vol. in-4°,
T. V I , p. 148-149 ; Histoire des Berbères, trad. De Slane, Alger,
1852-1856, 4 vol. in-8", T. III, p. 2 9 1 - 2 9 4 .
— 4 —
Les Z o u a o u a , les G h o m a r a et les Meklata ( i ) avaient aussi
leurs généalogistes, ainsi que les H o o u â r a (_>) et sans doute
aussi les Senhâdja (3). U n e des principales préoccupations de
ces généalogistes paraît avoir été de p r o u v e r la descendance
h ' i m y a r i t e des triDus b e r b è r e s . Ibn Khaldoun en d o n n e les
raisons : c'est, p o u r les Zénata, «< qu'ils voulaient répudier
toute liaison avec la souche berbère, en voyant des peuples
de cette race réduits au rang d'esclaves tributaires et chargés
du poids des impôts » (4). Mais ces légendes, nées de la
conquête arabe, torgées dans le but de se rattacher aux plus
nobles d ' e n t r e les v a i n q u e u r s , étaient adoptées par quelques
généalogistes peu scrupuleux, m ê m e parmi les Z é n a t a : elles
étaient r e p o u s s é e s p a r les autres qui tenaient aux héros
é p o n y m e s indigènes (5). ibn Khaldoun, lui-même, quoique
moins crédule sur ce point que 1 'abari, Maqrizi, 1:1 Djordjani,
M a s ' o u d i , El Baihâqi, Ibn el Kelbi, se montra encore intérieur en exactitude historique à la plupart des généalogistes
zénata, en faisant descendre les Senhâdja et les Ketâma des
H ' i m y a r i t e s (0). Ibn H ' a z m , dans sa Djemharah avait p r o testé contre ces inventions : » Les H ' i m y a r i t e s n ' e u r e n t jamais
p o u r se r e n d r e au Maghrib que les récits m e n s o n g e r s des
historiens yéménites >> (7).
T o u s ces généalogistes sont a n o n y m e s et tout ce
q u ' o n peut dire de plus certain sur eux, c'est qu'ils vivaient
avant Ibn Khaldoun (xiv" et xv" siècles). Nous allons avoir
affaire maintenant à des écrivains ayant une personnalité
souvent réduite à un nom, et tout d ' a b o r d , il y a lieu de
parler des Kharedjites qui paraissent avoir été les plus
anciens.
(I) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Ibcr, T. V I , p. 97 ; Histoire des
Berbères, T. I. p. 185.
.,2)
Maqrizi,
arabischen Staminé,
Abhandlung
iiber
aie
in /h^yplen
éd. Wiistenfeld, Gôttingen, 1847,
cingeWanderlen
in-8", p. 37
du texte arabe.
(3) Ibn
des Berbères,
Khaldoun, Kitâb
I . J, p. 2 9 4 .
el
'Iber,
(4) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber,
Berbères, T. III, p. 183.
T.
T.
(5) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T.
(6) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Ibcr,
Berbères, T. I, p. 185.
T.
VI,
VII,
p.
p.
149
4
;
;
Histoire
Histoire des
I, p. 9.
VI,
(7) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T. V I I ,
Berbères, T. III, p. 183.
p.
p,
77 ; Histoire des
4 ; Histoire des
P a r m i eux, nous trouvons Abou Sahl el Fârisi enNefousi, arrière-petit-fils de l'imam ' A b d e r R a h ' m a n , fondateur de l'empire rostemide de T i h a r e t ( T a g d e m t ) . Il vivait
dans la seconde moitié du iv" siècle de l'hégire, était interprète p o u r la langue berbère de ses oncles Aflah' et Yousof.
Après la chute de Tagdemt, il se retira, suivant les uns à
Mersa 1 Kharez (la Calle), suivant les autres à Mersa ddadjâdj (entre Alger et B o u g i e ) . Son Diwân. composé en langue
berbère, renfermait des poésies ayant trait à des é v é n e m e n t s
historiques. Mais s'agissait-il des origines de sa tribu ou de
l'histoire m ê m e des luttes des Kharedjites contre l ' o r t h o doxie ou entre eux, nous l ' i g n o r e r o n s sans doute toujours,
car le Diwân fut en partie détruit p a r les N e k k â r i t e s : le
reste brûlé lors de la prise de la Q a l ' a h des B. Derdjin. Le
volume composé a p r è s ce désastre en recueillant ce que la
m é m o i r e des Abadhites avait retenu du Diwân, et qui formait vingt-quatre chapitres, paraît définitivement perdu ( i ) .
Ibn Khaldoun n ' a pas connu Abou Sahl el Fârisi, mais
il a utilisé un autre Kharedjite de la secte intransigeante des
N e k k â r i t e s , Ayoub ben Abou Yazid, un des fils de « l ' h o m m e
à l'âne >> qui mit en péril la domination des Fâtimites. Son
p è r e l'avait e n v o y é en Hspagne à la cour du Khalife
o m a y y a d e E n - N â c e r pour solliciter des secours contre leurs
ennemis c o m m u n s . Il fut plus tard assassiné en m ou 3.1 fi
hég. par 'Abdallah ibn B a k k â r qui porta sa tête au khalife
fatimite El M a n ç o u r (2). P e n d a n t son séjour en Espagne,
il c o m m u n i q u a à Abou Yousof El O u a r r â q la généalogie de
son père, remontant à Ifren, fils de Djana ou Zenata. C'est
d ' a p r è s lui que la donna le célèbre Ibn H ' a z m , mais elle
devait être incomplète (elle ne contient d'ailleurs que onze
générations) car des B e r b è r e s lui c o m m u n i q u è r e n t d ' a u t r e s
n o m s à insérer dans cette liste entre Ifren et Djana (,-5).
(1) Ed-Dcrdjini, Kitâb et' 1 'abaqâl sp. De Motylinski, Les
Livres de la Secte abâàhite, Alger,
1885, in-8°, p. 31 ; Ech
Chemmâkhi, Kitâb es Star, Le Qairc, s. d., in-8", p. 2 8 9 - 2 9 0 ;
Solaïman cl Bârouni, Kitâb el Azhâr er Riâdhyah, T. II, Le Qairc,
s. d.. in-8", ._ 6 8 - 6 9 .
(2) Ibn H'ammâd, Chronique des Obàidites, ms. de la Bibliothèque Nationale d'Alger, n' 1588, p. 108, trad. dans Cherbonneau,
Documents
historiques sur l'hérétique
Abou
Yézid, Alger,
1869,
in-8", p. 30 : Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T. VII. p . ' 1 7 ; Histoire des Berbères, T. III, p. 212 : Fournel, Les Berbères, Paris,
1875-1881, 2 vol. in-4". T. II, . 2 8 2 .
(3) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T. V I I , p. 13 ; Histoire des
Berbères, T. III, p. 2 1 .
P
D
—
6
—
D a n s un autre passage, une d o n n é e
Yazid, publiée aussi par Ibn H ' a z m ,
et O u a r r â q et relative à la filiation de
était en contradiction avec celle des
Sâbiq, Hâni ben M a s d o u r et Kehlan
plus loin ( i ) .
d ' A y o u b ben Abou
d ' a p r è s Abou Yousof
Madghis et de B e r n e s ,
généalogistes zenata,
dont il sera question
Un autre généalogiste kharedjite est Abou B e k r bou
igenni (ou Ighni) el Barzâli, qui donna à Ibn H ' a z m , sur
l'origine des Zenâta des renseignements qui sont en contradiction avec ceux des autres généalogistes zenâta. Cet Abou
Bekr était un p e r s o n n a g e d ' u n e très grande piété et très
savant dans les généalogies b e r b è r e s (2).
N o u s a r r i v o n s maintenant aux écrivains sunnites de
race zénâta. Ibn Khaldoun qui les a utilisés et qui en loue
quelques-uns, ne se fait pas d'illusions s u r l'étendue des r e n seignements q u ' o n peut en tirer : « L e u r s g u e r r e s (des
» Zénata) avec les autres tribus, leurs contestations avec les
« peuples et les r o y a u m e s voisins, leurs expéditions vic« torieuses contre les s o u v e r a i n s furent signalées p a r des
« batailles et des combats que l'on ne peut indiquer avec
" précision, vu le peu de soin que les Zénâta ont mis à en
« c o n s e r v e r les détails. La cause de cette négligence fut le
H grand p r o g r è s que firent la langue et l'écriture arabes à
« la suite du triomphe de l'islamisme : elles finirent par p r é « valoir à la cour des princes indigènes, et, p o u r cette raison,
» la langue b e r b è r e ne sortit point de sa rudesse primitive.
a Aussi d a n s les temps anciens, la race zénatienne n ' e u t
« jamais un roi qui ait encouragé les écrivains à recueillir
<< avec soin et à enregistrer l'histoire de sa nation : elle ne
« connut point les b e a u x m o n u m e n t s que possèdent les
« habitants des villes et du littoral, parce qu'elle n ' e u t pas
« de liaison avec e u x . Vivnnf au fond des déserfs p o u r
« éviter la domination des é t r a n g e r s , elle négligea le soin de
» sa p r o p r e histoire, an ooint d'en laisser tomber une
« g r a n d e partie dans l'oubli. M ê m e quand elle eut fondé des
a r o y a u m e s , elle ne n o u s conserva que de vagues rensei¬
« g n e m e n t s : indications que l'historien intelligent recherche
<< partout, bien h e u r e u x encore q u a n d il peut en suivre les
(1) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T.
Berbères, T. I, p. 168-169.
V I , p. 89 ; Histoire des
(2) Ibn Khaldoun. Kitâb cl 'Iber, T. V I I , p.
Berbères, T. III, p. 187.
5
; Histoire des
—
7
—
<( traces, afin de les tirer de l'abandon où on les avait lais¬
«« sées » ( 1 ) .
Au p r e m i e r rang apparaît Sâbiq el M a t ' m â t ' i qui fut le
plus souvent cité, et avec éloge, par Ibn K h a l d o u n . N o u s
ne savons absolument rien de lui, sinon qu'il se nommait
Sâbiq ben Solaïmân ben H ' a r r â t h ben D o u n â s (2). Il eût
été tentant de l'identifier avec Sâbiq el Berberi, poète religieux contemporain du Khalife ' O m a r ben 'Abdel 'Aziz (3) ;
il tirait son s u r n o m ethnique de son origine b e r b è r e , opinion
contredite cependant D a r Ibn el Athir dans le Kitâb el Ansâb.
Mais celui-ci était fils de 'Abdallah, tandis que l ' a u t r e l'était
de Solaïman ; il s'agit donc é v i d e m m e n t ici de deux p e r s o n nages distincts (4).
Sâbiq el Mat'mât'i est très fréquemment cité p a r Ibn
Khaldoun qui le n o m m e le plus grand généalogiste b e r b è r e :
(1) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Ibcr, T. V I I , p. 59-60 ; Histoire
des Berbères, T. III. p. 3 0 5 - 3 0 6 .
(2) Ibn Khaldoun, Kitâb cl 'Ibcr, T. V I , p. 124 ; Histoire des
Berbères, T. I, p. 2 4 8 .
(3) Cf. sur lui Ibn Djaouzi, Manâqib 'Omar b. Abd cl 'Aziz,
Le Qaire, 1291-1338 hég. et Becker, Manâqib 'Omar, Leipzig,
1899, in-8" passim ; Abou'l farâdj el Isfahâni. Kitâb el Aghâni,
Boulaq, 1285 héa.. 20 v. in-4", T. V, p. 158-159 ; Edz. Dzahabi.
Kitâb el Mochiabih, éd. De long, Leiden, 1881, p. 30 ; Ibn el
Khaïr, Index librorum, éd. Codera et Ribera, Saragosse, 1894-1895,
2 v. in-8", T. I, p. 4 0 6 - 4 0 7 ; "Abd er Rah'mân eth Tha'alibi, El
'Oloum el tfkhirah. Le Qairc, 1317. T. I. p. 126 : El Baghdâdi.
Khizânat el Adab, Le Qaire. 1299 hég., 4 vol. i n - 4 , T. I V , p. 164.
(4) Les poésies de Sâbiq el Berberi ne nous sont parvenues qu'en
fragments dont voici la liste :
0
0
I U n e qasidah rimée en
S'
(basit) : Ech Cherichi, Commentaire des séances de H'ariri (Boulaq, 1300 hég., 2 v. in-4"). T. II,
p. 66, 2 vers reproduits par de Sacy. Commentaire des Séances de
H'ariri (Paris. 2 v. in-4", 1847-1853), p. 342 ; Ech Cherichi, Cornmentaire de H'ariri, T. I. p. 152, 2 vers ;
2" U n e nièce rimée en
w^>.
(motaqârib), El Boh'tori
H'amâsah. § 577, 1 vers (Mélanges de la Faculté Orientale de Be\}rout, T. IIL fasc. 2. Beyrout. 1909, in-8°. p. 678) ;
3° U n e pièce rimée en
de H'ariri, I, 260 :
,
J
(ouâfir),
Ech Cherichi,
Cornm.
4° U n e qasidah rimée en *
(basit) qui paraît donnée complètement par Ibn
el Diaou/.i, Manâqib
Omar ben 'Abd el Aziz et
Becker. id.. o. 9 2 - 9 7 : 46 vers dont un est cité par El Boh'tori,
Hamâsah. Mélanges, ibid.. p. 6 9 4 : 3 Dar Ech Cherichi. Comm. de
H'ariri, T. II. p. 6 9 - 7 0 . et 1 par El Moberred, Kâmil (Constanti¬
nople, 1286, in-8°), p. 452 ;
(
—
8 —
p o u r la d e s c e n d a n c e de B e r n e s , fils de B e r r , issu de Mâzigh,
fils de K e n a ' â n ( i ) ; p o u r celle de L o u a le j e u n e (2) ; p o u r
les b r a n c h e s
des
Nefzaoua
d a n s un
d o u n s e m b l e le citer t e x t u e l l e m e n t
n'est pas berbère
pouvoir
mais h ' i m y a r i t e .
d'Ittououaft
qui
l'adopta
p a s s a g e où
Ibn
Khal-
: « On dit q u e Meklata
Il
pour
tomba tout jeune
fils.
Son
nom
au
était
Mekla ben R i ' â n K e l a ' - H â t i m ben S a ' d ben H ' i m y a r » (д).
Il
le
mentionne
aussi
pour
l'origine
des
Ouarfadjdjouma
et celle des D h a r i s a d a n s un passage qu'il semble r a p p o r t e r
textuellement : « Les b r a n c h e s de T a m s ' i t se r a t t a c h e n t à la
descendance
de
Dharejah,
5° U n e qasidah rimée en
à l'exception
о
d e s ramifications
(taouil) ; El Biqa'i. Asouâq el
Achouâq
ap. Kosegatten, Chreslomathia
arabica (Leipzig,
1828,
in-8°). p. 6 2 , 5 vers ; Ez Zedjdjâdji, Amâli (Le Qaire, 1324, in-8°),
p. 119, 2 vers ;
6° Une qasidah rimée en
'
(basit) : El Boh'tori, Hamâsah,
§ 576 {Mélanges, ibid), p. 6 7 8 , 1 vers ;
7° Une qasidah nmée en
. El Ibchihi. Kitàb el Mostat'rej (Boulaq, 1292 hég., 2 v. in-4"), T. I. p. 9 0 , 2 vers ;
8" Une qasidah en 38 vers (Kâmil), rimée en
-i
, dans les
msc. 8 0 6 7 et 8 7 9 6 (f. 92) de la Bibliothèque Royale^de Berlin. Cf.
Ahlwardt,
Verzeichniss der arabischen Handschrtftcn, T. IX (Berlin
1895, in-4"), p. 173, 6 8 4 ;
9° U n e qasidah rimée en w' (taouil) : El Baghdâdi, Khizânat
el Adab, T. I V , p. 164, I v. ; Ech Cherichi, Comm. de H'ariri,
T. I, p. 174, 176, 325, 6 vers ; El Boh'tori, Hamâsah, § 6 8 2
(Mélanges, ibid.), p. 6 9 4 , I vers ;
10" Une qasidah rimée en
-A->
(basit) : Ech Cherichi, Commentaires de H'ariri, T. I, p. 78, 6 vers.
Il y a en outre deux pièces dont l'attribution est contestée :
I" Une qasidah rimée en
(taouil) : Xamakhchâri, Kechchâf
(Le Qaire, 1308 hég, 2 v. in-4"):"T. II, p. 303, I vers, tandis que
Mohi'bb eddin Efendi dans le Cherh' Chaouahid el Kcchchâj (Le
Qaire, s. d., in-4"), p. 8 4 - 8 5 , attribue ce vers à Djamil et cite le
commencement de la pièce ;
2° Es Soyouti, Cherh' Chaouahid cl Moghni (Le Qaire. 1322
hég., in-4°) cite, p. 264, 10 vers d'une qasidah rimée en
et
Ç; (Kâmil), généralement attribuée à Abou'l Asouad ed Douâli.
mais aussi à Abou Djohaïnah, à Tirimmah", à Hassan ben Thâbit, à
Ll Alch'tal et enfin, par El Mâtimi à Sâbiq el Berberi.
(1)
Berbères,
(2)
dans le
(3)
Berbères,
Ibn Khaldoun. Kitàb el 'Iber, T. V I , p. 189 ; Histoire des
T. I, p. 169.
Histoire des Berbères, T. I, p. 171. Le passage manque
texte arabe de Boulaq.
Ibn Khaldoun, Kitàb el 'Iber, T. V I , p. 91 ; Histoire des
T. I, p. 172.
—
9
—
de Yah'ya » ( i ) . D ' a u t r e s renseignements s u r les Nefzaoua
et les Lemaïa sont e m p r u n t e s à Sâbiq par Ibn Khaldoun (2)
qui cite plus loin un extrait textuel, mais ne c o m p r e n a n t que
des n o m s p r o p r e s dont la lecture est p o u r la plus grande
partie incertaine (3). II est encore mentionné p o u r la division des Ourtnadja (4), pour la généalogie des H o o u â r a h ,
où il oppose son témoignage aux récits fabuleux d ' a u t r e s
généalogistes dont il semble r e p r o d u i r e les paroles : « El
Mothanni ben el Misouar eut p o u r fils Khabbouz et celui-ci
e n g e n d r a Righ q u ' o n appelle aussi Aourigh ben B e r n e s et
c'est par lui que sont c o n n u e s les tribus H o o u â r a . . . H o o u â r a
fut ainsi n o m m é parce que, l o r s q u e El Misouar eut parcouru divers pays et se fut trouvé dans le Maghrib, il dit :
Taha warnâ, c'est-à-dire : << N o u s s o m m e s arrivés ici par
inadvertance » (5).
Ibn Khaldoun parle à plusieurs reprises de Sâbiq
c o m m e d ' u n chef d'école ((>) à qui se ralliaient d ' a u t r e s
généalogistes berbères : il est probable que ce sont eux qu'il
désigne à plusieurs reprises par les n o m s suivants (7) et s u r
lesquels, à l'exception d ' u n seul, nous n ' e n savons pas plus
que s u r Sâbiq.
H â n i ben Mesdour (var. Isdour) ben Meris ibn Nefout.
Il était des Nefouta, issu des N e d r o m a et portait le s u r n o m
ethnique d'El Koumi ( s ) .
(1) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T.
Berbères, T. I, p. 172.
VI, p. 91
(2) Ibn Khaldoun. Kitâb el 'Iber,
toire des Berbères, T. I, p. 237, 241.
V I , p.
T.
; Histoire des
114.
120
; His-
(3) Ibn Khaldoun. Kitâb el 'Iber, T. VI, p.
Berbères, T. I, p. 245-246.
123 ; Histoire des
(4) Ibn Khaldoun, Kitâb cl 'Iber, T. V I , p.
Berbères, T. I, p. 258.
129 ; Histoire des
(5) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T. V I . p. 139 ; Histoire
des Berbères, T. I, p. 273-274. La même légende est racontée avec
quelques variantes par El Idrisi. Description de l Afrique et de l'Espagne (éd. D o / y de Goeje. Leiden, 1866, in-8"), p. 57-58 du texte,
66-67 de la traduction.
(6) Ce mot semble indiquer, non pas un groupe dirigé par Sâbiq,
mais ceux qui partageaient ses idées et ses tendances.
(7) Ibn Khaldoun. Kitâb el 'Iber. T. V I . p. 89 ; T. VII, p. 5 ;
Histoire des Berbères, T. I, p. 169 ; T. III, p. 187.
(8) Ibn Khaldoun, Kitâb el 'Iber, T. VI, p.
Berbères, T. I. p. 251.
126 ; Histoire des
—
IO
—
Kehlân ben Abou I.ouâ ben Islâsen ( i ) , qui était,
c o m m e Sâbiq, de la tribu des M a t ' m â t ' a , et un grand personnage très versé d a n s les généalogies. Il se rendit en Espagne,
a u p r è s de 'Ali en Nâcer, le p r e m i e r souverain de la dynastie
h ' a m m o u d i t e de Malaga (407-40S hég.), nous ne savons dans
quel but (2).
Peut-être faut-il leur joindre deux savants des Maghila
— les Maghila étaient un rameau des M a t ' m â t ' a : Khâled, fils
de Khiddâch et Khalifah ibn K h a y y â t ' , cités par Ibn Khaldoun à p r o p o s de la prise de Q a ï r o u â n par le Kharedjite
Abou Q o r r a h en 150 hég. (3).
Il faut encore m e n t i o n n e r Hâni ben B a k o u r edh D h â risi, cité à p r o p o s de la division des B e r b è r e s en d e u x
b r a n c h e s (4), mais il ne paraît pas mériter grand crédit,
si l'on en juge p a r u n e p h r a s e q u ' I b n Khaldoun r a p p o r t e
textuellement : << La Kâhinah régna 35 ans et vécut 127
ans >> (5).
Un autre généalogiste plus sérieux fut Ibrahim ben
'Abd Allah et-Timzoughti K le p r e m ' e r de son é p o q u e ", qui
paraît avoir vécu peu de temps avant Ibn K h a l d o u n . Celuici, en effet, cite l'opinion d ' a p r è s laquelle les B. Sindjâs, les
Righâ, les L a g h o u â t ' et les B. O u r r a appartenaient, suivant
quelques-uns, non aux M a g h r a o u a , mais à une autre famille
zenâta. Il tenait ce renseignement d ' u n h o m m e digne de
confiance qui l'avait appris d ' I b r a h i m ben 'Abd Allah etTimzoughti ((>).
De cet ensemble de r e m a r q u e s on peut conclure que s'il
a existé des généalogistes, m ê m e des annalistes b e r b è r e s , il
est très probable qu'ils écrivirent divers ouvrages, mais
(1) Ibn Khaldoun. Kitàb el 'iber, T. VI, p. 89 ; T. VII, p. 5:
Histoire des Berbères, T. I, p. 169 ; T. III, p. 187.
(2) Ibn Khaldoun, Kitàb cl 'iber, T.
V I . p.
124 ; Histoire des
Berbères, T. I, p. 247-248.
(3) Ibn
Berbères, T.
Khaldoun, Kitàb el 'Iber,
I, p. 249.
T.
I,
p.
125
(4) Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères,
toire des Berbères, T. I, p. 178.
T.
M,
(5) Ibn Khaldoun. Kitàb el 'Iber,
Berbères, T. III, p. 193.
T.
VII,
p. 9
(6) Ibn Khaldoun, Kitàb el 'Iber,
Berbères, T. III, p. 273.
T.
VII, p.
46
; Histoire des
p.
95
;
; Histoire
Hisdes
; Histoire des
— 11
que, à l'exception d'Abou Sahl el Fârisi, ils les écrivirent
en arabe, non en b e r b è r e . A en juger p a r les faibles débris
qui n o u s en sont p a r v e n u s , ils consistaient surtout en généalogies avec de r a r e s détails historiques. Quoi qu'il en soit,
on doit regretter leur perte qui paraît définitive a u j o u r d ' h u i .
RENÉ
Doyen de la
BASSET,
Faculté des
Correspondant
de
Lettres d'Alger,
l'Institut.
LES
ZEMMOUR
(Étude ethnographique d'après le Questionnaire de la Résidence
Générale de France au Maroe)
l"
CONSTITUTION
DE
LA
FAMILLE
Deux principes essentiels apparaissent très nettement
dès que l'on étudie la constitution de la société berbère chez
les Z e m m o u r , au temps de Siba.
a) Le caïd n'est guère q u ' u n p e r s o n n a g e représentatif
sans g r a n d e autorité effective. La direction de la tribu est
surtout assurée par la djemâa qui s'inspire uniquement des
coutumes locales. Les individualités sont toujours respectées
et la forme générale du régime est démocratique.
b) La » famille >>. comprise dans son sens le plus large,
est la véritable base de la société berbère, avec la suprématie
du chef de famille. Lille forme une •< unité » qui s'étend de
l'individu à toute la parenté par les m â l e s . C ' e s t le ikhs berbère, formant au p r e m i e r degré, un g r o u p e m e n t bien solidaire, qui, assemblé avec d ' a u t r e s cellules similaires plus ou
moins alliées entre elles, constituera la tribu.
P a r t a n t de ces données, il nous sera facile de comp r e n d r e , au cours de l'esquisse qui va suivre, l'absolutisme
de certaines traditions.
C o n t r a i r e m e n t à ce qui se passe p o u r les populations
urbaines, le jeune h o m m e connaît généralement au préalable celle qu'il désire p r e n d r e p o u r é p o u s e . 11 l'a rencontrée
à l'occasion de ses divers déplacements : fêtes, travaux agricoles, réunions diverses. Celle-ci peut a p p a r t e n i r indistinctement soit à sa fraction, soit à sa tribu, soit m ê m e à une
tribu différente.
Le désir de se créer un foyer lui est-il venu, le jeune
àzri ( i ) ne s'en ouvrira pas directement à son père, la coutume lui interdisant des conversations sur ce sujet avec ses
ascendants. Il confiera ses intentions à un frère ou à un ami,
qui sera son représentant en cette occurrence : c'est le
(1) Ar.
\'jr , célibataire.
— 13 —
amazan (mot berbère s y n o n y m e de reqqas, « envoyé, émissaire » ) .
L amazan va trouver ie p è r e (ou à son défaut la mère)
lequel p r e n d r a ses dispositions p o u r s'informer des quautes,
de la conduite et de la moralité de la j e u n e fille.
Si le mariage lui agrée, il tait connaître à l'amazan qu'il
juge la proposition acceptable.
Accompagné de cinq ou six notaoïes de sa Ojemâa, il
se rend chez ie p e r e de cène que son nis a choisie, se p r é sente suivant la iradmon en qualité de « dliir Allah », 1 note
ue Dieu, et, après quelques p a r o l e s échangées, e x p o s e ie
uut de sa visite.
Bien que cnez les Z e m m o u r ie mariage se réduise souvent à un simpie « acte ue vente », il n en est p a s moins
vrai cependant que le p è r e ue la jeune fille p r e n d r a des
garanties p o u r assurer ie Donneur de sa fille et tienura
compte, avant de iaire savoir sa décision, du caractère uu
d e m a n d e u r , de sa vaieur personnelle autant que de sa situation de fortune. Ou il refuse la proposition : en mettant en
avant la nécessité de consulter sa t e m m e , la trop g r a n d e
jeunesse de sa fille, en e x a g é r a n t ses prétentions ; ou il consent et d e m a n d e l'acceptation de sa fille.
Si le mariage convient à cette d e r n i è r e , on entame aussitôt le côté attaire, et l'accord se tait bientôt, en présence de
ia djemaa, quant a la constitution de la dot à p a y e r , aux
é p o q u e s et au m o d e de p a i e m e n t . 11 n ' y a à ce sujet aucune
règle précise, le tout est question d ' a r r a n g e m e n t entre les
parties intéressées.
La valeur de ce douaire varie d a n s de très g r a n d e s p r o portions, c o m m e n ç a n t à q u e l q u e s d o u r o s p o u r les p a u v r e s ,
allant j u s q u ' à 500 d o u r o s parfois. On cite m ê m e un cas,
r a r e il est vrai, où une jeune fille de la tribu des Ait O u n b e l
fut p a y é e 1.400 d o u r o s . Mais en général de pareils chiffres
sont i n c o n n u s chez les Z e m m o u r et la m o y e n n e des aots
oscille entre 80 et ¿50 d o u r o s . Le paiement est p r e s q u e
toujours échelonné et se fait partie en argent, partie en
n a t u r e (produits agricoles ou tètes de bétail dont l'estimation
est faite p a r la djemâa).
Naturellement, le mariage le plus r e c h e r c h é est celui du
jeune h o m m e avec u n e vierge, et la coutume veut que, dans
ce cas particulier, le prétendant offre à sa fiancée un cadeau
p e r s o n n e l : le tchicha. Celui-ci comporte généralement, chez
les Ait Z e k r i , S m o u d s de blé, 1 j a r r e de b e u r r e , 1 m o u t o n ;
— 14 —
chez les Béni A h m e u r , 6 m o u d s de blé, i j a r r e de b e u r r e ,
2 m o u t o n s . La jeune fille en dispose à son g r é .
11 est parfois des e x e m p l e s où le mari s'aperçoit, a p r è s
la nuit nuptiale, qu'il a été t r o m p é ; il ne s'en émeut pas
a u t r e m e n t , mais n'oublie pas alors de réclamer le tchicha
qu'il a oiïert. Naturellement, quelques c o m m è r e s n'hésitent
pas à se livrer à certaines p r a t i q u e s p o u r tenter d'éviter
ces d é s a g r é m e n t s toujours e n n u y e u x p o u r l ' a m o u r - p r o p r e
des é p o u s é e s .
Si la j e u n e fille n'est p a s vierge, le mari ne lui remet
qu'un mouton.
Les m a r i a g e s sont interdits entre p a r e n t s r a p p r o c h é s ,
frères et s œ u r s , n e v e u x et tantes, n e v e u x et nièces.
Toutefois, les unions entre cousins g e r m a i n s et cousines
g e r m a i n e s du côté p a r t e r n e l sont accueillies avec l a v e u r .
Suivant la c o u t u m e z e m m o u r et d a n s ce cas particulier, un
jeune h o m m e a le droit d ' é p o u s e r sa cousine germaine
avant tout autre p r é t e n d a n t . Ce droit est absolu et au besoin
r e v e n d i q u é par la force. Le prix en est débattu c o m m e p r é cédemment, et si l'accord ne se fait pas s u r ce point, p e r s o n n e ne peut épouser la jeune fille avant la m o r t de son
cousin.
Si plusieurs frères p r é t e n d e n t à la m ê m e cousine germaine, l'aîné a le droit de priorité. La j e u n e fille n'est
jamais consultée d a n s ce cas particulier, et si elle se soustrayait à cette règle, elle se verrait contrainte de s'exiler de
sa tribu p o u r é c h a p p e r aux représailles.
Le mariage avec u n e veuve ou divorcée (tadgel) est
moins recherché bien q u ' a s s e z fréquent c e p e n d a n t .
La célébration du mariage est toujours accompagnée de
réjouissances, g é n é r a l e m e n t très c o u r t e s , les Z e m m o u r
étant exclusivement composés de populations rurales, d ' u n e
g r a n d e p a u v r e t é et n ' a y a n t ni les m o y e n s , ni le temps de
se soustraire à leur d u r labeur quotidien. U n e dhifa est offerte
aux p a r e n t s et amis, un mouton égorgé, quelques poulets
sacrifiés. 11 ne faut pas oublier que toute fête berbère, si
simple soit-elle, se r é s u m e en ce principe << on boit, on
mange ». Puis, le lendemain, chacun se s é p a r e , et la vie
normale reprend.
C e p e n d a n t , lorsque les p a r e n t s des deux conjoints sont
suffisamment fortunés, des cérémonies plus importantes ont
lieu, suivant un rite local bien établi. L ' e n s e m b l e de ces fêtes
p o r t e le n o m d'islan.
Le p r e m i e r j o u r des réjouissances, le fiancé, ou isli,
envoie le tchicha qui est apporté en g r a n d e p o m p e p a r un
g r o u p e de s e s amis d a n s la tente du p è r e de la fiancée (tislil).
Aussitôt les femmes commencent à m o u d r e les grains,
les h o m m e s égorgent des moutons, p e n d a n t q u e la hancée,
accompagnée de ses amies, va inviter les p a r e n t s et les gens
du d o u a r à la fête.
Le soir du m ê m e jour, un grand diner est onert p a r le
p è r e de la jeune fille, et très tard d a n s la nuit les plats succéderont a u x plats. A l'issue du festin, u n e p r i è r e est p a r fois récitée p a r un feqih et les femmes rassemblées poussent
ensuite des y o u y o u s de joie. Toute la nuit se passe à causer,
boire du thé, s ' a m u s e r . D e s musiciens ont été c o n v o q u é s ;
les u n s soufflent à pleins p o u m o n s d a n s des zemmara (en
b e r b è r e : ghanim) ( i ) ou des ghaitas (en b e r b è r e : arbaben (2), tandis que d ' a u t r e s frappent é p e r d û m e n t sur leur
tareja (en berbère : agouel). Le résultat ne se fait pas attendre,
et bientôt l'ensemble de tous ces s o n s divers produit u n e cacop n o n i e effroyable, que soutient et domine le j o u e u r de tambourin, bendir (en b e r b è r e ; alloul), qui frappe à tour
de b r a s sur son i n s t r u m e n t . L'excitation gagne peu à peu
les invités qui deviennent de plus en plus b r u y a n t s . Les
jeunes ne tardent pas à sortir p o u r se livrer au plaisir de la
danse ou ahidous. D e s g r o u p e s de dix à douze s ' o r g a nisent ; h o m m e s et femmes se tiennent p a r la main, formant un cercle au centre duquel se placeront les musiciens,
et tournent en r o n d e en se livrant à toutes sortes de déhanchements et balancements de c o r p s . Puis, à un signal,
chacun projette le corps d ' u n coup de reins en avant, m o u vement q u ' a c c o m p a g n e un cri p o u s s é p a r tous en refrain, et
q u e scandent les pieds frappant le sol en c a d e n c e .
Le futur mari qui, d a n s la journée, a soigné
et s'est fait des applications de h e n n é a u x mains,
au cours du diner. A p r è s être d e m e u r é quelque
a b a n d o n n e les convives qui restent à festoyer
matin, et r e n t r e chez lui. Il a soin de laisser un
ami, ïouzir (3), chargé de veiller s u r la fiancée.
sa toilette
est arrivé
temps, il
jusqu'au
p a r e n t ou
Il est d'usage, à la fin du r e p a s qui a i n a u g u r é la fête,
de faire p a r m i les invités u n e collecte dont le produit est
(1) Sorte de cornemuse ; m. à m. roseau.
(2) Sorte de hautbois.
(3) Garçon d'honneur ; m. à m. ministre.
— 16 —
remis à la jeune fille. A la d e m a n d e d ' u n « crieur >> ou
berrah', le mari donne le p r e m i e r son offrande, i ou 2 d o u r o s ,
suivant sa condition de fortune. Le berrah élève la ou les
pièces d ' a r g e n t en l'air en criant : « Cela vient du Sultan »,
expression imagée indiquant que le fiancé est le sultan,
c'est-à-dire le maître du jour. Puis chacun des hôtes, h o m m e
ou femme, remet son obole qui est successivement l'objet
d ' u n e démonstration publique du b e r r a h ' . Ce dernier crie
à chaque fois le nom du d o n a t e u r .
Le lendemain, la fête r e p r e n d d a n s la tente du fiancé.
La jeune fille reste chez son p è r e , où de vieilles femmes
e x p e r t e s emploient la j o u r n é e à la p a r e r . On la lave, on la
revêt de vêtements neufs, on lui tait des applications de
h e n n é sur le corps, les mains et les pieds, on lui pose du
collyre ou kolieul aux y e u x , du suuak (1) aux l è v r e s .
D a n s la soirée du m ê m e jour, vers les cinq h e u r e s , le
fiancé envoie une jument sellée et un fanion blanc à la
tente de la jeune fine. Celle-ci est hissée sur la bête ; on lui
passe le fanion qu'elle tient devant elle, à la m a i n . L'ouzir,
accompagné de quelques cavaliers, p r e n d la direction du
cortège que grossissent rapidement tous les amis et voisins,
et le départ se t'ait au milieu des cris, des fantasias et des
y o u y o u s des femmes. L ' u s a g e veut que le p è r e soit absent
à ce m o m e n t .
Le cortège p é n è t r e dans le d o u a r de l ' é p o u x , se dirige
vers le jamàa (école) qui en occupe le centre, la c o n t o u r n e
p a r trois fois, et va s ' a r r ê t e r devant la tente du m a r i , i.a
jeune fille met pied à terre a p r è s avoir touché trois fois, ue
son fanion baissé, la tente de son futur m a r i . Llle entre
ensuite dans la tente ou khima et baise sur la tête la plus
vieille des femmes qui l'attendent, en signe de b i e n v e n u e .
Le m a r i n ' e s t jamais présent et s'est réfugié dans la
tente d ' u n ami. La coutume z e m m o u r veut que la r e n c o n t r e
des d e u x é p o u x se fasse dans un endroit e x t é r i e u r au douar,
un jardin, un bouquet d ' a r b r e s , p a r exemple, situé à p r o x i mité, et où une installation a u r a été p r é p a r é e au préalable
avec de n o m b r e u x tapis. C'est là en effet que se consomm e r a la nuit nuptiale.
Donc, vers la tombée de la nuit, l'ouzir conduira la
jeune fille au lieu du rendez-vous. Le mari y arrivera de
(1) Ecorce de noyer employée pour blanchir les dents et rougir
les lèvres.
— 17 —
son côté, a m e n é p a r un ami de l'ouzir. Les d e u x a m a n t s
sont alors a b a n d o n n é s , le mariage se c o n s o m m e .
Parfois, la jeune fille, mariée contre son gré, ou p o u r
tout autre raison, s'oppose au désir de son mari qui ne peut
a r r i v e r à e x e r c e r son droit conjugal. Celui-ci n ' h é s i t e r a pas
alors à e m p l o y e r la force brutale, et son fidèle ouzir sera
là p o u r lui p r ê t e r main forte. Au m o y e n d ' u n e rezza, ils
lui lieront les poignets d e r r i è r e le dos, en laissant entre eux
un jeu de 75 à So centimètres, puis r e n v e r s e r o n t la jeune
fille p a r s u r p r i s e , r a m è n e r o n t la partie libre de la rezza
e n t r e ses d e u x jambes et la lui passeront d e r r i è r e le cou. Il
est évident que, dans cette position, la m a l h e u r e u s e est incapable de faire le m o i n d r e m o u v e m e n t et se voit contrainte
de subir le contact de son é p o u x . Après avoir été ainsi
violée, elle est délivrée de ses liens.
Le lendemain, son vêtement ensanglanté est exposé
sur la tente du mari, où la jeune femme r e n t r e seule. Des
réjouissances et des fantasias, où l'on fera p a r l e r la p o u d r e ,
m a r q u e r o n t cette journée et
termineront les fêtes du
mariage.
P e n d a n t trois jours, la jeune femme ne sortira p a s de
la tente du mari, sous aucun prétexte, et restera couchée.
Au bout de ce temps, elle p o u r r a revêtir la ceinture, ainsi
que toutes les femmes mariées, se mettra s u r le front u n e
application de âker ( 1 ) , et p o u r r a sortir p o u r v a q u e r aux
soins du m é n a g e .
Les sept p r e m i e r s j o u r s qui suivent la nuit nuptiale,
le mari habite dans la tente que son ami a mise à sa disposition. Il y passe toutes les journées, mais se rend la nuit
venue d a n s la tente de sa j e u n e femme qu'il doit quitter
avant le lever de l ' a u r o r e . Le huitième jour seulement, il
p o u r r a p r e n d r e la vie c o m m u n e avec sa femme et cohabiter
avec elle.
C o m m e n o u s l'avons vu plus haut, la « famille » zemm o u r r e p o s e s u r le principe de l'autorité de son chef. Celleci, s a n s être absolue, est considérable. Le p è r e est le maître
absolu du foyer et reste seul juge de ses actes et des peines
qu'il croit devoir infliger aux siens.
Le n o m b r e des femmes que peut p r e n d r e un h o m m e
est limité à quatre, mais, dans la pratique, s ' a u g m e n t e de
(1) Ocre rouge.
— 18 —
toutes les esclaves et concubines qui vivent en c o m m u n a u t é
d a n s sa tente.
D a n s certains cas, cependant, la coutume limite la puissance maritale. E x e m p l e : un mari tue sa femme. S'il dispose de motiffs suffisamment sérieux p o u r expliquer son acte,
aucune observation ne lu' est faite ; au cas contraire, les
p a r e n t s de la victime interviennent pour exiger le paiement d ' u n e dia. Si celle-ci leur est refusée, ils se vengeront
par le m e u r t r e d ' u n e femme de la famille du m e u r t r i e r .
L'autorité du p è r e est absolue sur les enfants mâles
j u s q u ' à leur émancipation, un peu restreinte cependant p a r
l'obligation de s'enfuir en territoire étranger en cas de
m e u r t r e sans raison suffisante. Lorsque les enfants ont
atteint l'âge de la p u b e r t é , ou plus exactement l'âge de
j e û n e r et de faire le Ramadan, l'autorité du père devient
d ' o r d r e moral, et, si un désaccord a lieu entre eux, la séparation devient alors complète et le fils quitte la tente.
L o r s q u e la femme a à se plaindre de la conduite de ses
fils, elle s'adresse au p è r e ou, en l'absence de ce dernier,
à l'un des oncles ou à la djemâa.
En principe, la m è r e s'occupe de l'éducation des filles
jusqu'à l ' é p o q u e de leur mariage dont le père est seul juge.
En cas de contestation, le p è r e r e p r e n d tous SJJ droits
et les enfants, à quelque sexe qu'ils appartiennent, relèvent
u n i q u e m e n t de lui.
L o r s q u e la femme a à se plaindre de mauvais traitements de la part de son m a r i , elle se réfugie d a n s la tente
de son p è r e . La djemâa apprécie et, sur la d e m a n d e de
l ' é p o u x , délègue un ou deux de ses m e m b r e s p o u r la
réclamer si son geste n ' a pas été motivé ; des observations
seront au besoin faites au m a r i .
Au contraire, les torts de l ' é p o u x sont graves et la
femme a des raisons sérieuses p o u r expliquer son départ
de la tente conjugale ( m a n q u e de n o u r r i t u r e , de vêtements,
mauvais traitements répétés, etc.), elle est alors bien
accueillie par ses p a r e n t s et le divorce peut être d e m a n d é .
Et pourtant si la femme z e m m o u r apparaît c o m m e un
être s°.ns personnalité, il ne s'ensuit pas que son rôle soit
absolument nul. Bien q u ' a s s e r v i e <ÎUX exigences de son
mari, elle tiendra bien souvent les c o r d o n s de la b o u r s e .
Son é p o u x p r e n d r a son avis pour ses affaires, sollicitera ses
conseils, en dépit du p r o v e r b e arabe : « Consulte ta femme
et n ' e n fais q u ' à ta tête ». La coutume est ainsi q u ' u n h o m m e
— 19 —
peut é c h a p p e r m o m e n t a n é m e n t à ses e n n e m i s en r e c h e r chant la protection d ' u n e femme, c o m m e n o u s le v e r r o n s
plus loin.
C ' e s t ce double aspect de la femme b e r b è r e , achetée et
traitée c o m m e un objet de r e n d e m e n t , et d ' a u t r e part r e s pectée, écoutée, douée d ' u n e puissance qui lui p e r m e t de
s a u v e r m ê m e un criminel, qui en fait le côté e x t r ê m e m e n t
original et la fait diversement d é p e i n d r e .
Si la polygamie est n o r m a l e dans la société b e r b è r e , le
divorce est d ' u n e p r a t i q u e non moins c o u r a n t e . Ce d e r n i e r
peut être p r o n o n c é s u r la d e m a n d e de l'un ou l ' a u t r e des
é p o u x , avec cette différence toutefois que la femme doit
p r é s e n t e r u n e raison suffisante. E x a m i n o n s les divers cas,
et interrogeons la c o u t u m e .
Le m a r i a des motifs s é r i e u x p o u r se s é p a r e r de sa
f e m m e . Il consulte les djemâas des d e u x parties intéressées,
le p è r e de la jeune fille étant p r é s e n t . Le divorce est alors
accepté et un feqih rédige l'acte séance tenante, puis le remet
à la f e m m e .
En principe, la dot doit être r e n d u e intégralement, d a n s
les trois mois et dix jours qui suivent celui du divorce. D a n s
la pratique, elle est r e n d u e à t e m p é r a m e n t , suivant les conventions qui ont été établies. La femme r e n t r e chez son
p è r e qui en dispose à son g r é et peut la r e m a r i e r à sa
volonté, m ê m e si la dot n ' e s t pas encore entièrement r e m boursée, quitte au p r e m i e r mari de profiter de cette occasion
p o u r se faire r e m b o u r s e r sur la dot versée p a r le nouveau
prétendant.
C o n t r a i r e m e n t à ce qui se passe d a n s les tribus m a k h z e n ,
la femme ne s'appartient jamais et retombe toujours sous
la coupe paternelle.
Au m o m e n t de p r o n o n c e r le divorce, la djemâa d e m a n d e
à la femme si elle est enceinte.
Si elle ne l'est pas, elle doit j u r e r trois v e n d r e d i s de
suite devant un m a r a b o u t du pays, a p r è s quoi elle peut se
r e m a r i e r s a n s autre délai. En r é s u m é , ces trois s e m a i n e s
constituent le degré de viduité.
Si la femme déclare à la djemâa qu'elle est enceinte,
le divorce est n é a n m o i n s p r o n o n c é . La femme r e t o u r n e chez
ses p a r e n t s et, lorsque l'enfant vient au m o n d e , il est e n v o y é
au p è r e qui le fait élever c o m m e il l ' e n t e n d . Toutefois, la
m è r e l'allaite un mois environ, et peut m ê m e continuer à
l'élever s'il y a entente entre elle et son ancien mari, à
— 20 —
charge pour celui-ci d ' e n v o y e r les vêtements nécessaires et
la n o u r r i t u r e pendant cette p é r i o d e . Cette faveur subsiste
m ê m e au cas où la femme se r e m a r i e , mais a p r è s accord
e n t r e le p r e m i e r et le nouveau mari, sinon l'enfant est porté
au p è r e dès sa naissance et est allaité par une autre femme
ou élevé avec du lait de c h è v r e .
Le mari n ' a d ' a u t r e raison de d e m a n d e r le divorce que
sa p r o p r e volonté. D a n s ce cas, le p è r e de la répudiée ne
r e m b o u r s e que la moitié de la dot, et seulement le jour où
il r e m a r i e sa fille.
La femme est elle-même contrainte de d e m a n d e r le
divorce, invoquant les sévices de son m a r i . Si la djemâa
reconnaît l'exactitude des motils allégués, aucune dot n ' e s t
r e m b o u r s é e , mais, quels que soient les torts de l ' é p o u x ,
les enfants lui a p p a r t i e n n e n t .
P a r contre, si les raisons ne sont pas suffisantes, le p è r e
r a m è n e r a lui-même sa fille à la tente conjugale, et, si le
mari réclame le divorce, la dot lui sera r e n d u e .
Si, p a r mauvaise conduite, la femme a b a n d o n n e son
mari et, contre ia volonté des siens, s'est enfuie, elle ne doit
plus r e p a r a î t r e sur ie territoire de la confédération z e m m o u r .
Son mari fera p r o n o n c e r le divorce p a r le djemâa. D a n s ce
cas particulier, la femme, coupable d'avoir déserté le foyer
conjugal et d'être partie avec un amant, est reniée par sa
tribu, et de ce fait les coutumes z e m m o u r ne lui sont plus
appliquées. Bile peut donc se r e m a r i e r à son g r é . Son p è r e
la considère désormais c o m m e une é t r a n g è r e et n ' i n t e r vient p a s .
C h e z les Z e m m o u r , le vieillard est en général respecté
et très écouté. On a foi en son expérience, on sollicite souvent ses conseils. Si sa situation de fortune le lui permet, il
vivra d a n s sa tente, avec sa femme et ses enfants non
m a r i é s . S'il est veuf et qu'il n'ait plus de filles a u p r è s de lui,
ou il se r e m a r i e r a avec une femme d'âge p r o p o r t i o n n é qui
s'occupera des soins du ménage, ou il d e m a n d e r a à faire
tente c o m m u n e avec l'un de ses fils.
Il est bien rare q u ' u n vieillard nécessiteux ne soit pas
recueilli par l'un ou l'autre de ses enfants qui pourvoit à ses
besoins matériels, au cas où u ne puisse y subvenir p a r luim ê m e . Un désaccord vient-il à les obliger à une séparation,
le fils quittera la tente qu'il laissera à la disposition du
p è r e et e n v e r r a la n o u r r i t u r e nécessaire.
21
Les miséreux qui n ' o n t plus aucun parent et que leur
grand âge e m p ê c h e de travailler vivent de la charité publique,
ou sont recueill's par des voisins secourables.
2°
(La
LA
FAMILLE ÉTENDUE AU CLAN
kharouba arabe, le ikhs des
la fraction, la tribu ou qabila,
langage.)
Chleuh, la sous-fraction
le khoms, le rebaâ, le
La famille, étendue à toute la descendance mais far les
mâles seulement, constitue le groupement au premier degré.
C'est la cellule originelle sur laquelle se construira l'édifice
social par assemblage avec d ' a u t r e s cellules similaires, plus
ou moins a p p a r e n t é e s entre ellec. Elle forme l'ossature de
la tribu, c o m m e l'indique son nom : àdham (os), et c o m p r e n d
un certain n o m b r e de tentes qui peut varier de dix à \ i n g t :
c'est bien la famille patriarcale au sens complet du mot,
appelée en chleuh le ikhs (plur. ikhsan) » os ».
Les m e m b r e s en restent généralement groupés, chaque
chef de foyer habitant dans sa tente avec ses descendants.
Le foyer s'appelle kanoun, mot qui a une signification synonyme de celle de l'ancienne expression française « !e feu ».
La jeune fille qui se marie change de ikhs et passe dans
une autre famille.
Les m e m b r e s d ' u n e m ê m e famille ont, en plus des
devoirs naturels q u ' i m p o s e tout lien de parenté, l'obligation
d ' o b s e r v e r une solidarité constante entre e u x . C'est là
d'ailleurs une nécessité pour a s s u r e r la sauvegarde de leurs
intérêts et parfois de leurs existences.
Les chefs de famille importants ont souvent des clientèles de gens p a u v r e s , qui vivent sous leur protection et
habitent dans leurs tentes. Ce sont soit des m a l h e u r e u x qu'ils
recueillent et nourrissent en échange de leur travail, soit
des serviteurs salariés qu'ils emploient, ou des esclaves
qu'ils ont achetés. Ce serait d'ailleurs u n e e r r e u r de croire
nue ces derniers ont une vie pénible, sans cesse en bute
aux vexations cl châtiments corporels ; ils sont, au contraire,
généralement bien traités et lont partie de la famille. T r è s
souvent m ê m e une esclave sera la concubine du maître et
admise à partager sa couche ; si elle devient enceinte, l'enfant sera considéré au m ê m e titre que les a u t r e s .
22
Q u a n t au n o m b r e , à !a composition et à la d é n o m i n i tion des diverses subdivisions entre la famille et la tribu, il
est bien difficile de d o n n e r des précisions et il y a lieu de se
r a p p o r t e r aux indications générales suivantes •.
P l u s i e u r s familles, ou ikhsan se réunissent pour former
un asoun (plur. isoun), groupe qui offre certainement plus
de cohésion et une personnalité plus grande que la tribu
elle-même, et qui peut être considéré c o m m e la sous-fraction.
Après le asoun, n o u s trouvons la fakhda, c o m p r e n a n t un
n o m b r e variable de issoun. et c o r r e s p o n d a n t à la fraction.
La réunion de plusieurs fakhdas constitue la tribu ou
qabila, g r o u p e m e n t indépendant, ayant son chef et suffis a m m e n t fort p o u r pouvoir résister par ses p r o p r e s m o y e n s
à ses e n n e m i s e x t é r i e u r s . Les gens qui composent la tribu
ont e n t r e eux des liens de parenté plus ou moins lointains;
ce qui explique leur solidarité et l'appellation de « frères »
qu'ils se donnent entre e u x .
Enfin, au-dessus de la tribu se trouve un g r o u p e m e n t
s u p é r i e u r , qui ne porte pas de nom spécial et qui englobe
l'ensemble des tribus d ' u n e m ê m e confédération : c'est sous
ce nom q u ' o n la désignera, et l'on dira proupemenf zemmour.
g r o u p e m e n t zaïan. etc.
Autrefois, lorsque les Zemmour relevaient encore de
l'autorité m a k h z é n i e n n e , l'ensemble du bloc avait été divisé
en cinq g r o u p e s ou khoms, se fractionnant e u x - m ê m e s en
divisions olus petites ou rebaâ. Le rebaâ, malgré son nom,
n'était pas toujours le quart du k h o m s , et ce cas était m ê m e
u n e exception.
Ce sectionnement avait été opéré non en vue du comm a n d e m e n t , mais p o u r la répartition de l'impôt et des contributions, chaque k h o m s payant un cinquième de la part
totale et le répartissant à son tour entre les rebaâ.
C ' e s t ainsi qu'il existait d a n s l'ensemble des Z e m m o u r
les cinq khoms ci-dessous :
r
I. - Ait Zekri : r Rebaâ : Aït Ouribel, Qabliyin :
2° Rebaâ : Ait Abbou, Aït Belqacem, Aït O u a h i ; 3 Rebaâ :
Beni A m a r .
II. — M e s s a g h r a .
I I I . — Aïf M i m o u n .
I V . — Djebel ed D o u m .
V. — Beni H a k e m .
e
— 23 —
Le tout était c o m m a n d é par un seul caïd : Si Bel Ghazi,
des Qabliyin, qui habitait personnellement à Ras Tfaouti,
entre Tiflet et Khemisset.
A sa mort, des dissensions intervinrent et le bloc se
scinda en deux : un p r e m i e r g r o u p e m e n t formé par le
k h o m s des Ait Zekri fut c o m m a n d é par Djilali M ' B a r e k , des
Ait Belqacem ; le deuxième groupement, c o m p r e n a n t les
quatre autres k h o m s , resta sous les o r d r e s d ' u n n o m m é
T o u m i , des Ait Sibeur.
Sous le prétexte que la région z e m m o u r était infestée
de c o u p e u r s de route, le sultan Moulay A b d e r r a h a m a n rendit
les d e u x caïds responsables. Djilali ben M ' B a r e k fut saisi et
envoyé en prison à Mogador. T o u m i , p r é v e n u à temps, s ' e n fuyait chez les B e n H a s s e n . Moulay A b d e r r a h a m a n vint luim ê m e en pays z e m m o u r , s'installa aux e n v i r o n s de Khemisset et brûla les récoltes, cependant que les indigènes
s'enfuyaient au Tafoudeit. Les m ê m e s représailles eurent
lieu pendant trois a n n é e s de suite, l o r s q u e Moulay Abderrahaman mourut à Meknès.
:
Le nouveau sultan, Sidi Mohamed, qui résidait à Marrakech, voulut se r e n d r e à sa capitale de Fez. Arrivé à Rabat,
il ne put continuer sa route, les Beni H a s s e n s'étant o p p o s é s
par la force à son passage. Le Sultan eut r e c o u r s aux cavaliers z e m m o u r , les fit appeler et se fit escorter par eux jusq u ' à Fez, dont les portes furent forcées. En r é c o m p e n s e ,
il libéra Djilali Ben M ' B a r e k et laissa c o m m e prérogative
aux Z e m m o u r d'appliquer entre eux leurs coutumes locales.
A ce m o m e n t c o m m e n ç a une longue période au c o u r s
de laquelle des luttes continuelles mirent aux prises les différentes fractions entre elles. C h a q u e g r o u p e m e n t se s é p a r a
du bloc, devint peu à peu a u t o n o m e et se donna un chef
p o u r défendre ses intérêts. C e r t a i n s d ' e n t r e eux réussirent
à faire ratifier leur nomination par le Sultan dont ils reçurent
un dahir. En réalité, leur autorité était nulle et leur rôle ne
consistait guère q u ' à aller se présenter au Sultan à l'occasion des fêtes, quand ils ne l'oubliaient pas, ce qui arrivait
souvent. Aussi le Sultan n'avait en eux q u ' u n e confiance
limitée et entretenait, dans les tribus, des indigènes dont il
connaissait l'influence et qu'il mandait souvent a u p r è s de
lui ; ce représentant en quelque sorte du M a k h z e n était
désigné sous le nom de rouaga et intervenait principalement
dans la répartition et la levée des impôts, résultat qui ne
pouvait d'ailleurs être obtenu q u ' à la condition que la
— 24 —
mehalla makhzéViîenne vienne s'installer au milieu des contribuables.
P u i s l'anarchie devint de plus en plus complète, et le
pays échappa entièrement à l'autorité du Sultan, p o u r devenir
bled siba. D a n s la tribu elle-même, le caïd n'avait aucun
pouvoir et la direction des intérêts c o m m u n s était confiée à
un groupe de gens c o n n u s p o u r l e u r expérience et jouissant
de l'estime de tous : ce conseil portait le nom de djemâa.
Les Z e m m o u r sont des B e r b è r e s , bien que l'on trouve
chez eux des g r o u p e m e n t s arabes : dans l ' a n n e x e de Tiflet,
les Beni A h m a r (Ait Ali ou I.hassen, Qotbiyin, M'zeurfa,
Rzazna) : dans l ' a n n e x e de Khemisset, les Ait Sibeur et
les Ait bou Khaled. En réalité, les p r e m i e r s sont très arabisés, parlent indistinctement l'arabe et le berbère, tout en
employant de préférence le chleuh dans leurs relations q u o tidiennes.
Les femmes emploient p r e s q u e toutes le chleuh, et
n o m b r e u s e s sont celles qui ne c o m p r e n n e n t oas l ' a r a b e .
Les coutumes suivies sont les m ê m e s p o u r l'ensemble
de la confédération z e m m o u r , quelles que soient les origines.
Les relations des tribus entre elles, lorsqu'elles ne sont
pas en état de g u e r r e , sont assez fréquentes et de nature
commerciale.
T o u t étranger ne peut p é n é t r e r s u r le terrain z e m m o u r
sans risquer de s'y faire tuer : le moins qu'il puisse craindre
serait de se voir dépouiller et enlever ses m a r c h a n d i s e s .
P o u r pouvoir circuler avec le m a x i m u m de sécurité, il lui
faut d e m a n d e r son mezrag à un indigène de la tribu où il
désire se r e n d r e . Si celui-ci accepte, ce qui entraîne toujours le paiement d ' u n e certaine redevance, soit en n a t u r e ,
soit en argent, appelée la zetata. il conduit ou fait conduire
son protégé au point c o n v e n u . Naturellement, la protection
est fonction du protecteur. II n ' e n est pas moins vrai que
celui qui accorde son mezrag considère son h o n n e u r comme
engagé et par tous les m o y e n s fera respecter la parole
donnée, dût-elle lui coûter la vie.
La m ê m e cérémonie r e c o m m e n c e p o u r traverser la
tribu voisine et l'on conçoit facilement q u ' u n étranger, qui
n ' y est pas appelé par ses affaires, évite soigneusement h
territoire z e m m o u r plutôt que de s ' e x p o s e r à tous ces aléas.
Si l'étranger veut séjourner, il lui faut se placer sous
la protection d ' u n p e r s o n n a g e important à qui il immolera
— 25 —
un m o u t o n . Le protecteur fait crier sur le souq le nom de
son protégé et avertit q u ' o n a à respecter ses e n g a g e m e n t s .
C e s conditions satisfaites, l'étranger peut se r e n d r e
sur les souqs où il apportera les m a r c h a n d i s e s de la ville,
étoffes, drogueries, etc., qu'il échangera contre les produits
agricoles locaux.
Les Z e m m o u r , qui trouvaient sur leurs p r o p r e s m a r chés les objets nécessaires à leur existence, se déplaçaient
très peu. P o u r passer de leur tribu dans u n e autre, ils
étaient e u x - m ê m e s obligés de s ' e n t e n d r e avec un ami qui
leurs facilitait le « passage >> en leur assurant la « protection ».
L o r s q u e deux tribus avaient entre elles des relations
fréquentes, elles concluaient u n e sorte de traité, échangeaient leur mezrag, et toute violation à ce pacte d'alliance
entraînait généralement la g u e r r e . D a n s chacune des tribus,
un m e m b r e de la djemâa, le Moul cl Mezrag. était r e s p o n sable de la narole donnée et répondait de ses frères.
En p a y s b e r b è r e , Vamghar est e m p l o y é dans le sens de
chef de douar, toutefois les Z e m m o u r lui d o n n e n t plutôt la
signification de chef de g u e r r e . L o r s q u ' u n e tribu entre en
lutte, elle réunit les djemâas de différentes fractions qui
choisissent ceux qui sont c o n n u s pour leur courage et leur
expérience des choses de la g u e r r e d e s imgharen). Ceux-ci
s'assemblent en conseil et d o n n e n t les o r d r e s de détail. Ils
marchent à la tête de leurs frères le jour du combat.
En temps de paix, aucun des notables de la djemâa n ' a
voix p r é p o n d é r a n t e , l'égalité de tous étant le p r e m i e r des
principes.
Les réunions de la djemâa sont publiques et se tiennent
soit dans la tente de l'un des m e m b r e s , soit en plein air. Il
n ' y a pas de rang de préséance, et les gens se placent en
cercle où bon leur semble. Les h o m m e s p r é s e n t s peuvent
être appelés à d o n n e r leur avis, puis la djemâa décide.
P e r s o n n e ne pouvait s ' o p p o s e r à la décision de la
djemâa, et un chef, fût-ce m ê m e un caïd, qui ne s'y serait
pas conformé de bonne grâce, y était contraint par la force,
sous peine de voir ses biens razziés.
Les attributions des djemâas étaient des plus variées :
elles traitaient des affaires criminelles, civiles, politiques et
financières ; elles réglaient en particulier les contestations de
terrains, les discussions entre familles, les questions ue
— 26 —
mariage, divorce, ventes et transactions ; elles étaient chargées de l'entretien des mosquées, écoles, de la location des
terrains collectifs, de la police, de la distribution des eaux
d'irrigation, si les propriétaires intéressés ne s'entendaient
pas à l'amiable, enfin elles présidaient à l'organisation des
fêtes.
En r é s u m é , la djemaâ était le véritable o r g a n e de comm a n d e m e n t dans la tribu z e m m o u r , o r g a n e essentiellement
démocratique, puisque tous étaient admis à p r e n d r e part
aux délibérations.
2°
L'HABITAT
Les Z e m m o u r occupaient autrefois la région O u l m è s Azrou, tandis que les Beni Hassen résidaient dans leur territoire actuel. Obéissant au m o u v e m e n t de migration SudE s t - N o r d - O u e s t qui amenait les tribus du Moyen Atlas vers
les plaines du Sebou et du G h a r b , ils descendirent de la
montagne, cédant à la double pression des Zaïan et des Beni
M ' G u i l d . A leur tour ils refoulèrent les Beni Hassen qu'ils
rejetèrent au Nord de la M a ' m o r a , à la suite de longues luttes
que d'un c o m m u n accord les combattants interrompaient au
m o m e n t des moissons. Le Sultan Moulay .Abderrahman, pas
plus que son prédécesseur Moulay Sliman, ne put intervenir
et dut accenter le nouvel état de choses. Anrès i<ne trêve de
courte durée, les Z e m m o u r r e p r i r e n t les a r m e s et achevèrent la conquête de la M a ' m o r a . Battus à Dhaiet Aicba, à
I alla Ito, à D a r bel Amri, les B e n H a s s e n se retirèrent
dans la boucle du Sebou, a b a n d o n n a n t entièrement la forêt
à leurs vainqueurs qui la considérèrent dès lors comme leur
propriété, labourant les vallées, les clairières, envovant leurs
t r o u p e a u x dans des azibs : c'est d'ailleurs s u r ces faits que
les Z e m m o u r appuient aujourd'hui leurs prétentions à la
possession de la M a ' m o r a .
;
Sous le règne de Sidi Mohamed, les Z e m m o u r ont définitivement acquis droit de cité, et s'installèrent dans la région
Monod-Tiflet-Khemisset. Des querelles intestines ou des
causes diverses viendront par la suite modifier les emolacements primitifs. Telle tribu, c o m m e les Rzazna, cnmpée
entre le Zimeri et le Bou Regreg, cédera le terrain aux Ait
Belqacem plus puissants, et ira planter ses tente'- sur les
rives du T a g h e r e s t . Telle autre, c o m m e les Ait Ali ou Lahsen,
peu favorisée p a r la mauvaise qualité des t e r r e s qui composent son domaine, quitte son emplacement du Bel Kouch
et du H a m m a p o u r aller s'installer plus au N o r d , dans le
S m e n t o et le Zilli aux abords de la forêt.
Enfin, vers 1S60, les tribus occupent à peu près des
emplacements définitifs, et le Sultan aurait alors envoyé des
r e p r é s e n t a n t s pour procéder officiellement aux l i m i t a t i o n s ,
consacrant en quelque sorte la c o n q u ê t e . C ' e s t d'ailleurs
vers cette m ê m e époque que la région échappa à l'autorité
m a k h z é n i e n n e p o u r devenir bled siba.
Puis, les djemâas, prenant la direction des tribus, divisèrent le territoire qui leur revenait en partage, d o n n è r e n t à
chacun u n e portion de terrain en r a p p o r t avec sa richesse,
sa situation, ses animaux de labour. Elles r é s e r v è r e n t p o u r
les besoins de la c o m m u n a u t é u n e partie des terres, dites
terres collectives, qu'elles pouvaient louer à des particuliers,
jamais pour plus d ' u n e saison, et le prix de la location était
remis au m o q a d d e m du Jamaâ (école) qui utilisait l'argent
p o u r l'entretien de l'école (réparation à la tente, achat de
natles, paiement des fqihs).
Les terrains non cultivés, collectifs ou particuliers,
étaient considérés comme terrains de p a r c o u r s et tous
avaient le droit d'y e n v o y e r leurs animaux en pacage. I.a
propriété des terres n ' e n était pas moins établie, r e c o n n u e
et respectée.
En r é s u m é , la délimitation était parfaitement définie,
tant à l'inférieur des tribus q u ' e n t r e celles-ci et leurs voisines. Naturellement des transactions ultérieures vinrent
a p p o r t e r des modifications de détail, et, pourvu que les
contribules du v e n d e u r aient fait abandon de leur droit de
chefâa (préemption), rien ne s'opoosaif à ce q u ' u n indigène
acquierre des propriétés d a n s l'intérieur des tribus voisines.
I.e résultat était un enchevêtrement inextricable des p r o priétés, source inépuisable de discussions dont le règlement
était rendu très diffic'le par l'absence de titres écrits et p a r
la mauvaise foi de-, intéressés. N o u s v e r r o n s plus loin comment la coutume intervient p o u r régler ces contestations.
l e s Z e m m o u r sont exclusivement des c a m p a g n a r d s ,
pratiquant le s e m i - n o m a d i s m e . Ils s ' a d o n n e n t à l'agriculture, mais dans des proportions assez restreintes. S a n s
cesse en g u e r r e , jamais certains de récolter le produit de
leur travail, ils ne cultivaient guère jusqu'à notre arrivée
que pour leurs besoins strictement nécessaires. Ils préféraient s ' a d o n n e r à l'élevage des t r o u p e a u x , se déplaçant
— 28 —
avec leurs a n i m a u x p o u r utiliser les vastes terrains de parcours.
Ils habitent constamment sous la tente (khima) en group e m e n t s plus ou moins n o m b r e u x suivant l'état de sécurité
du m o m e n t . Si la situation le permet, ils s'isoleront de p r é férence, chacun habitant a u p r è s du morceau de terrain qu'il
cultive.
D e u x poteaux, rkiza, soutenant une perche en bois, ou
hommar. que recouvre et maintient u n e bande mince de toile,
triga, fixée en terre par ses extrémités inférieures ; s u r le
tout repose par sa partie médiane une pièce d'étoffe noire
formée de plusieurs flidjs cousus ensemble : telle est la tente
z e m m o u r . Le flidj est u n e bande d'étoffe d ' u n e largeur
formée de plusieurs fellidjs cousus ensemble : telle est la tente
m o y e n n e de s<> centimètres et pouvant atteindre m mètre:;
de l o n g u e u r . Ce sont les femmes qui généralement s ' e m ploient d a n s les d o u a r s à la confection des flidjs, qu'elles
tissent, soit avec du poil de chèvre mélangé de fibres d ' a s phodèles, soit avec de la laine de mouton et du palmier nain,
suivant la condition de fortune du m a î t r e . Les tentes de
dimensions m o y e n n e s comptent de sept à huit flidjs, les
plus grandes en ont j u s q u ' à douze et s'achètent de No à <;n
d o u r o s . La richesse d ' u n indigène peut p r e s q u e s'apprécier
au n o m b r e de flidjs de sa tente. Les p a u v r e s se contentent
d ' u n e misérable tente tissée en palmier nain. Les bords de
la tente, rabattus la nuit, sont relevés le jour au moyen de
bâtons (amoud), l'intervalle libre étant fermé par des sortes
de nattes étroites et longues (m.s.s). L'intérieur est divisé en
deux compartiments par une pièce d'étoffe. U n e moitié est
affectée à la cuisine et aux femmes, l'autre est le côté des
h o m m e s . Le mobilier est des plus simples, un moulin à
m o u d r e les grains, quelques plats et ustensiles de cuisine.
Le luxe de la tente se manifestera par les tapis que l'on
étendra sur le sol le jour des réceptions. La literie est également peu compliquée : un matelas de laine de mouton
(farrach) étendu à ferre, quelques c o u v e r t u r e s ou h'anbels et
un oreiller formé d ' u n e peau de mouton b o u r r é e de laine
(nusada) ou simplement de v ê t e m e n t s légers (mzoud). On
c o m p r e n d fac'lement combien ce matériel est portatif et avec
quelle mobilité l'indigène transporte sa tente : quelques
mulets suffisent, au besoin des bourricots ou m ê m e des
bœufs assureront le t r a n s p o r t .
— 2Ç —
Si les tentes se groupent p o u r les besoins de leur sécurité, elle se placeront en cercle, d'où le mot douar. Au
centre, ou merati, se trouve généralement la tente école,
ïamaa, qui servira également à abriter les hôtes de pasoage.
La p é r i p n é r i e porte le nom de rij. La nuit venue, tou.; les
a n i m a u x , cnevaux, Dœuis, moutons, etc., sont r e n t r é s uans
l'intérieur du d o u a r .
Aucune deciira ni gourbi d a n s la région. Toutefois,
depuis i j paviiiwauv.ni uu p a y s par nos troupes, quelques caïus
ont tait construire s u r l'emplacement de leur douar des
noualas laites de roseaux assembles et recouvertes de p â m e ,
u est la un p r e m i e r essai vers le oien-etre matériel, et nui
doute q u ' a v e c le temps, et la sécurité se taisant de j o u r eu
jour plus grande, le cnapitre ue 1 naDitat aura a enregistrer ae
nouveaux progrès.
L o r s q u e les p â t u r a g e s commencent a m a n q u e r , et que
leurs a n i m a u x n y trouvent plus u n e n o u r r i t u r e suffisante,
les indigènes les envoient dans une tribu voisine plus favorisée en terrains d h e r b a g e . Le bétail est alors en azib sous
la garde de bergers que va visiter de temps à autre un fils
ou un p a r e n t de l'un des p r o p r i é t a i r e s . Au cours de ces
déplacement, on laisse la g r a n d e tente à l'emplacement du
c a m p e m e n t habituel, et on e m p o r t e u n e petite tente légère,
dite acha, généralement tissée en douin. C ' e s t la tente d'été,
rudimentaire et facilement transportable, juste assez g r a n d e
p o u r contenir d e u x ou trois h o m m e s accroupis. U n e natte,
une mauvaise c o u v e r t u r e , un ustensile ou d e u x de cuisine
composent tout le mobilier. N o m b r e u x d'ailleurs sont ceux
qui ne disposent pas d ' a u t r e chose leur vie d u r a n t .
L'habillement est également des plus simples et bien
souvent ne consiste q u ' e n une u n i q u e chemise de cotonnade
descendant j u s q u ' a u x g e n o u x et s e r r é e à la taille p a r u n e
corde formant ceinture. Le c a m p a g n a r d circule p r e s q u e toujours pieds nus et tête nue, et si, p a r hasard, il porte un
rezza, celui-ci laisse toujours à découvert le s o m m e t du
c r â n e . Q u e l q u e s - u n s s ' e n t o u r e n t la tête d ' u n e corde en
poil de c h a m e a u ou khit.
P o u r les indigènes de condition plus élevée, le costume
c o m p r e n d ordinairement, en c o m m e n ç a n t p a r les vêtements
de dessous, la qachaba, sorte de chemise fermée de chaque
côté du cou par un cordon, la faradjia, qui se fixe s u r le
devant p a r - u n e rangée de petits b o u t o n s . S u r ces d e u x vêtem e n t s , compris sous la dénomination de kesoua, se portent
—
3
o —
la djellaba braz, lâche et tombante, à m a n c h e s larges et
courtes, et enfin le selham ou b u r n o u s , blanc ou bleu foncé.
Les jours de fête, on revêt une d e u x i è m e jaradjia en
couleur, appelée qajtan, qui se place sous la djellaba choisie
à cette occasion en tissu plus fin et t r a n s p a r e n t .
L'hiver, on porte entre la djellaba et le selham u n e pièce
d'étoiie, le liaïk, dont on s ' e n v e l o p p e r a les épaules et la tête.
Les femmes, employées aux travaux pénibles ou dans
les c h a m p s , s'habillent p r e s q u e u n i q u e m e n t d ' u n vêtement
de cotonnade, ou izar, fixé sur les épaules par des agrafes,
ou khellala, et maintenu à la taille p a r une ceinture assez
large (hezam). Hlles ne se voilent généralement p a s .
Le costume complet de la femme de condition plus
élevée c o m p o r t e la qachaba, le qajtan en couleur, une
d e u x i è m e qachaba plus fine laissant transparaître b vêtement de dessous, et Y izar reguig. Le degré de richesse se
manifestera plutôt p a r le n o m b r e et le volume des bijoux
que p a r des variations d a n s le c o s t u m e .
3"
(Agriculture,
MOYENS D'EXISTENCE
élevage,
commerce,
échanges,
industrie.)
D e m i - n o m a d e s et vivant constamment en état d'insécurité, les Z e m m o u r ne cultivaient guère avant notre arrivée
que p o u r leurs besoins strictement nécessaires. Les nejras,
les m e u r t r e s pouvaient être autant de causes amenant p o u r
eux l'obligation de fuir d a n s le délai le plus bref s o u s peine
de représailles £t d'être razziés. Il leur fallait donc être très
mobiles afin de pouvoir rapidement évacuer, le cas échéant,
tentes, femmes et t r o u p e a u x vers l ' a r r i è r e , d'où la nécessité
de s ' a d o n n e r de préférence à la vie p a s t o r a l e .
Les indigènes divisent leurs cultures en cultures bekri :
blé, orge, qui se sèment à l'automne, et en cultures mazouzi :
maïs, mil, sorgho qui se cultivent plus tardivement, à la fin
de l'hiver. De m ê m e ils classent leurs terres en bled kebira,
c o m p r e n a n t le tirs ou terre noire, grasse et argileuse, et le
hamri, riche en calcaire et acide p h o s p h o r i q u e , et en bled
sghira formé de rmel ou terrain s a b l o n n e u x . Ils ont l'habitude de laisser les c h a m p s relevant de la p r e m i è r e catégorie en jachère un an s u r trois, les autres un an sur d e u x .
Avant de c o m m e n c e r leurs labours, ils attendent généralement que les pluies aient d é t r e m p é le sol desséché et durci
p a r le soleil d'été. L e u r s i n s t r u m e n t s aratoires sont en effet
— 3i
—
assez primitifs •. u n e c h a r r u e en bois m u n i e d ' u n sabot en
fer (mahrats) qui, s'usant très vite, a besoin d'être remplacé
plusieurs fois au cours de la saison. L'attelage est inuistinctement composé de kidars, mulets ou bourricots, souvent
m ê m e de b œ u f s . Un faux collier en duum, un bâton placé
sous le ventre de l'animal, des cordes reliant le tout à la
c h a r r u e , tel est le h a r n a c h e m e n t dont disposent les labour e u r s . Il est inutile d'ajouter q u ' a v e c le pareils m o y e n s le
sillon aura à peine 15 à 20 centimètres de p r o f o n d e u r ; aussi
sèment-ils souvent avant de l a b o u r e r . S u r les terres de
qualité m o y e n n e , on laboure deux fois en croisant les
sillons. Malgré toutes ces imperfections et le m a n q u e complet d'irrigation, les céréales arrivent cependant à d o n n e r
un r e n d e m e n t pouvant atteindre de 10 à 12 u/'o d a n s les
bonnes a n n é e s .
Les indigènes emploient u n i q u e m e n t les faucilles pour
effectuer leurs moissons et coupent les tiges à vingt centimètres environ des épis. Le reste est a b a n d o n n é s u r place,
sera m a n g é par les t r o u p e a u x , ou, en se décomposant constituera l'engrais pour l ' a n n é e suivante. Q u e l q u e s branches
d ' a r b r e s assemblées en forme de hotte p e r m e t t r o n t aux
h o m m e s et aux femmes de r e n t r e r le produit de leur récolte,
si elle ne l'est pas à dos de mulet au moyen de grands filets.
Le dépiquage des grains est fait par les pieds des a n i m a u x
tournant en cercle s u r une aire de fortune. P o u r le vannage,
une fourche en bois suffira. Le grain sera aussitôt soigneusement enfoui d a n s les silos, le teben mis en meule formera
la réserve p o u r l'alimentation du bétail à la mauvaise saison.
II est à r e m a r q u e r , du moins dans l ' A n n e x e de Tiflet,
q u ' a u blé se trouve toujours mélangée une notable p r o p o r tion de grains d ' o r g e . La raison en est la suivante .- les Z e m m o u r ont l'habitude de s'installer en d o u a r et de faire
c a m p e r leurs troupeaux sur les t e r r a i n s qu'ils désirent
cultiver en blé. Les déjections des a n i m a u x fournissent ainsi
une fumure naturelle, mais c o m m e parmi elles se trouvent
toujours des grains d ' o r g e mal digérés, ceux-ci germent avec
le blé s e m é . C'est évidemment là un gros inconvénient du
procédé.
Un des p r e m i e r s bienfaits de notre occupation a été
d'inciter les indigènes à a u g m e n t e r leurs travaux agricoles
d a n s de grandes p r o p o r t i o n s . Les blés et les orges y ont la
place dominante, puis, d a n s l ' o r d r e d ' i m p o r t a n c e décroissante, le maïs, le s o r g h o , les fèves et les pois chiches. On
— 32 —
r e n c o n t r e un peu partout, et notamment dans les vallées,
u n e quantité de petits jardins plantés d'oliviers et d ' o r a n gers en excellent r a p p o r t . Q u e l q u e s - u n s , plus favorisés par
leur situation, ont pu être irrigués par des saqias amenant
l'eau de l'oued voisin ; on y trouve alors des oignons,
carottes, navets, pastèques, etc. A noter également des plants
de vignes n o m b r e u x et d ' u n e belle venue, d o n n a n t un raisin
de bonne qualité et en assez grande abondance pour alimenter les m a r c h é s locaux, lînfin, les tribus riveraines de
la M a ' m o r a pratiquent encore l'élevage des abeilles, mais la
nécessité de se p r o c u r e r des écorces d ' a r b r e s p o u r la confection et la réparation des ruches, et les m e s u r e s prises en
vue de la protection de la forêt, ont un peu ralenti cette
industrie. On ne rencontre plus guère aujourd'hui q u ' u n e
trentaine de zribas, renfermant chacune de cinquante à cent
ruches et fournissant un miel d ' u n e excellente qualité.
L'élevage est surtout la principale ressource des p o p u lations z e m m o u r , et c o r r e s p o n d mieux à leurs goûts naturels et à leurs habitudes de d e m i - n o m a d i s m e . Résidant d a n s
les emplacements habituels de c a m p e m e n t pendant la bonne
saison, les bergers s'en vont, dès que l'herbe se fait r a r e ,
à la recherche de pâturages meilleurs où leurs t r o u p e a u x
trouveront une n o u r r i t u r e plus a b o n d a n t e .
M a l h e u r e u s e m e n t , avec son insouciance habituelle, l'indigène ne se préoccupe nullement d'améliorer les conditions
d'élevage, et préfère s'en r e m e t t r e à la fatalité. Aussi rien
d ' é t o n n a n t s'il subit chaque année des pertes sensibles par la
disparition d ' u n certain n o m b r e de têtes qui périssent en
raison du m a n q u e complet de soins. Si en plus l'herbe vient
à m a n q u e r par suite d ' u n e trop g r a n d e sécheresse, alors la
mortalité atteint de fortes proportions : c'est ainsi q u ' e n 1 9 1 2 ,
où l ' a n n é e fut particulièrement mauvaise, le déchet alla jusq u ' à 50 0/0 pour les ovins et 75 0/0 p o u r les bovins. La
p r e s q u e totalité des veaux fut p e r d u e , seule la race caprine
résista m i e u x .
Le bœuf, élevé à la fois en vue de la boucherie et c o m m e
bête de trait q u ' o n attellera à la c h a r r u e pendant la période
des labours, est la ressource la plus précieuse du c a m p a g n a r d .
Aussi enfre-t-il p o u r une g r a n d e part d a n s la composition du
cheptel marocain.
La vache est une laitière médiocre, ayant probablement
perdu ses qualités par ce fait que les jeunes veaux sont sevrés
aussitôt que possible et e n v o y é s au p â t u r a g e .
— 33 —
Le m o u t o n , de g r a n d e taille et à toison épaisse, est u n e
des sources importantes de r e v e n u s , avec les c h è v r e s , de tace
rustique et résistante.
Les Z e m m o u r se livrent peu à la production des chevaux et mulets ; ils vont de préférence acheter chez les Z a ë r
et les Beni H a s s e n les a n i m a u x qui leur sont nécessaires.
Ils utilisent les juments et les c h e v a u x de mauvaise qualité,
dits kidars, soit à la c h a r r u e , soit c o m m e bêtes de bât. A ce
point de vue, l'âne ou bourricot est l'auxiliaire le plus
apprécié de l'indigène et bien p a u v r e est celui qui n ' e n possède point. Les c h a m e a u x , en très petit n o m b r e d'ailleurs,
appartiennent à des doukkala c a m p é s d a n s le p a y s .
En r é s u m é , la région z e m m o u r peut devenir un excellent centre d'élevage, mais il y aurait lieu, p o u r lui faire
d o n n e r son véritable r e n d e m e n t , de combattre l'indifférence,
pour ne pas dire l'incurie de l'éleveur indigène. Celui-ci
aurait des résultats bien s u p é r i e u r s en apportant des soins
plus s é r i e u x , en construisant des installations, m ê m e sommaires, p o u r abriter les jeunes têtes en cas d ' i n t e m p é r i e , en
prévoyant des réserves de fourrages p o u r p a r e r a u x disettes
probables.
Les échanges se faisaient en g r a n d e partie s u r les m a r chés locaux, surtout entre indigènes de tribus différentes.
Les tribus, jalouses les u n e s des autres, avaient p r e s q u e
toutes leur souq particulier, qui se tenait en un point central
de la fraction, sous la présidence du caïd. C e s souqs étaient
non seulement des centres c o m m e r c i a u x , mais encore des
lieux de réunion publique, où les gens causaient de leurs
affaires personnelles, des é v é n e m e n t s de la semaine, où les
djemâas tranchaient les questions d ' o r d r e politique intéressant la c o m m u n a u t é et communiquaient leurs décisions.
Un petit n o m b r e de c o m m e r ç a n t s de M e k n è s et de Rabat
avaient l'habitude de les fréquenter, et s'y rendaient s o u s
la garantie du mezrag qu'ils devaient acheter de tribu en
tribu. Ils y apportaient les produits d'usage courant •. thé,
sucre, cotonnades, parfumerie, bijouterie, et achetaient p o u r
les e m m e n e r vers les ports ou les villes de l'intérieur : œ u f s ,
b e u r r e , volailles, céréales et a n i m a u x .
Il faut cependant reconnaître q u e la sécurité toute relative dont jouissaient les colporteurs é t r a n g e r s était u n e
entrave sérieuse au m o u v e m e n t commercial.
Q u e l q u e s transactions avaient lieu directement dans l'intérieur des d o u a r s , soit quand elles intéressaient des gens
— 34 —
d'une même
munitions.
tribu, soit q u a n d il s'agissait d ' a r m e s
et de
S u r les s o u q s se vendent également les quelques p r o duits industriels du p a y s ; ceux-ci ne sont pas fabriqués en
vue de l'exportation, mais p o u r les besoins agricoles et la
vie familiale indigène.
Les femmes confectionnent des hanbch (couverture)
d ' u n cachet spécial, des nattes en palmier nain doublé de
laine, d ' u n travail assez original.
C h e z les Ait O u a h i n o t a m m e n t , elles îabriquent des
tapis présentant des dimensions, des assemblages de couleurs et des dessins qui rappellent les tapis zaïan.
Ce sont elles aussi qui font les jlidjs qui, cousus
ensemble, constituent la tente indigène. Lnfin, elles pourvoient à p r e s q u e tous les besoins de l'habitation, de l ' a m e u blement et des vêtements, elles tissent les b u r n o u s , gand o u r a s et haïks de laine.
Avec le palmier nain, les h o m m e s fabriquent les divers
objets de vannerie (nattes ordinaires, couffins, paniers, plats
à couscous), et le c h a p e a u , tenu, à bords très larges et garnis
de dessins et glands de laine que les indigènes portent p o u r
se p r é s e r v e r du soleil.
Les Kotbiine, les M ' Z e u r f a ont le monopole de la construction des c h a r r u e s en bois, des accessoires de tente (piquets
et m o n t a n t s ) . Les Ait O u a h i fournissent les m a r é c h a u x ferrants et les forgerons. Les Ait Belqacem sont des potiers,
ils trouvent l'argile nécessaire à leurs travaux aux environs
de T a ï c h a . Les principales essences d ' a r b r e s sont : le c h ê n e liège de la forêt de M a ' m o r a , dont le liège et le tanin sont
v e n d u s à la ville et l'écorce utilisée par les éleveurs d'abeilles,
le cèdre et le tizera qui se rencontrent plus particulièrement
dans les vallées du Bou Regreg et du Beth.
4°
LA
PROPRIÉTÉ
Il n'existe pas de titres écrits établissant les droits de
l'occupant, mais ces droits sont c o n n u s de tous, et la djemâa
se charge de les faire respecter. Ils sont de m ê m e n a t u r e ,
que la terre soit cultivée ou non ; d a n s ce dernier cas, celle-ci
entre dans la catégorie des terrains de p a r c o u r s et les anim a u x de la collectivité y ont le droit de pacage.
L'indigène peut devenir propriétaire par héritage ou par
acquisition, soit à titre gratuit, soit à titre o n é r e u x .
— 35 —
La transaction immobilière, de quelque n a t u r e qu'elle
soit, est r a r e m e n t consignée p a r un acte, et se passe devant
l'assemblée des notables, qui se contente de recevoir les
déclarations verbales des partis intéressés ; aussi, les contestations de terrain sont-elles toujours d ' u n règlement très difficile, qui s ' a u g m e n t e e n c o r e du fait de la vénalité des g e n s .
Le plus favorisé sera celui qui peut p r o u v e r à son actif u n e
possession paisible pendant dix ans, sans empiétement ni
usurpation é t r a n g è r e . Ne pas faire acte de propriétaire p o u r rait donc e x p o s e r , en cas de discussions ultérieures, à u n e
dépossession.
Il existe une certaine catégorie de terres, vagues ou
vaines, n ' a y a n t jamais été défrichées (dayas, berges d ' o u e d s ,
etc.) désignées s o u s le nom de meharem ou mahruum, qui
sont généralement utilisées c o m m e t e r r a i n s de p a r c o u r s .
Le propriétaire d ' u n e parcelle contiguë à un bled
meharem peut p r é t e n d r e avant tout autre à la p r o p r i é t é de
la prolongation de sa parcelle dans ce terrain, mais seulement l o r s q u ' u n tiers essaie de le d é t o u r n e r à son profit. En
cas de conflit, la djemâa intervient et fait le partage entre
les riverains.
Enfin, tout particulier peut devenir p r o p r i é t a i r e d ' u n e
t e r r e inculte et que p e r s o n n e ne r e v e n d i q u e en la défrichant,
en la mettant en valeur ; c'est l'application du droit de vivification parfaitement admis- en matière indigène.
Il reste encore à noter l'acquisition des propriétés p a r
droit de conquête, la tribu victorieuse s ' e m p a r a n t de la
partie de terrain évacuée p a r une tribu vaincue, et, au
m o m e n t de conclure la trêve, régularisant la nouvelle situation par un a r r a n g e m e n t m u t u e l .
Le bled z e m m o u r , ayant é c h a p p é à l'autorité d o m a niale du Sultan, a donc été morcelé e n t r e les individualités, et
de ce fait la propriété privée est devenue la règle du régime
foncier local. Toutefois, certaines terres avaient été r é s e r vées p o u r les besoins de la collectivité, et les djcmâas qui les
géraient pouvaient les louer en partie à des particuliers. Le
montant de la location servait à l'entretien des écoles. En
aucun cas, ces terres ne pouvaient être vendues et ne devenaient p r o p r i é t é privée. P o u r éviter toute emprise, la location était à la saison, les terres incultivées restaient t e r r a i n s
de p a r c o u r s pour la c o m m u n a u t é , et jamais il ne s'élevait de
contestation à ce sujet.
-
36
-
Les terres incultes pouvaient être mises en culture p a r
des particuliers après autorisation de la djemâa et devenir
propriété privée p a r droit de vivification, c o m m e n o u s
l'avons vu plus haut, mais à la condition que les riverains
aient renoncé à leur droit de p r é e m p t i o n .
Il n ' y avait pas de régime d'exploitation des forêts,
chacun avait le droit d'y m e n e r paître ses t r o u p e a u x , d'y aller
c h e r c h e r le bois mort ou d'industrie p o u r la fabrication des
c h a r r u e s , d'y cueillir les glands pour la n o u r r i t u r e des anim a u x , d'y chasser le gibier, d'y établir des c h a r b o n n i e r s ,
d'enlever l'écorce des a r b r e s pour la confection des
ruches, etc.
Les Z e m m o u r , qui avaient conquis la forêt à la suite
de luttes longues et pénibles, tenaient à se r é s e r v e r cette
source inépuisable de r e v e n u s et ne toléraient pas la moindre
incursion d ' u n e tribu é t r a n g è r e à la confédération.
Q u e l q u e s indigènes exploitaient le liège et le tanin ~es
a r b r e s , mais le m a n q u e de connaissances techniques, leur
insouciance imprévoyante causèrent de n o m b r e u x m é c o m p t e s
p o u r la vitalité des a r b r e s , et nous d û m e s imposer une réglementation stricte pour la s a u v e g a r d e de la forêt.
Il n ' y avait généralement pas de contestations au sujet
des terres de p a r c o u r s , m ê m e entre tribus voisines, celles-ci
convenant au préalable d ' a r r a n g e m e n t s à l'amiable.
Les transmissions et aliénations immobilières
être classées en quatre catégories :
peuvent
a) Héritage. — Les préceptes du C o r a n et le la S o u n n a
ne sont pas appliqués, seules les coutumes locales règlent les
questions d'héritage, sous la surveillance des djemâas.
Les enfants mâles se partagent la succession en parties
égales, au détriment des femmes et filles qui n ' o n t aucun
droit. Si le défunt n ' a pas laissé de fils, les collatéraux héritent
d a n s l ' o r d r e ci-après : frère, oncle, cousin germain, cousin
éloigné, etc. Les femmes ne peuvent p r é t e n d r e à rien en
aucun cas et font elles-mêmes, en quelque sorte, partie de
l'héritage.
Si les enfants sont en bas âge, la m è r e ou, à son défaut,
le plus proche parent mâle du mort, conserve l'usufruit des
biens j u s q u ' à la majorité des ayants droit, vis-à-vis desquels
elle d e m e u r e responsable.
Si la femme est enceinte au m o m e n t du décès de son
mari, elle conserve l'usage des biens j u s q u ' à son accouche-
m e n t . Si elle met au m o n d e un garçon, elle a s s u r e r a la
gérance j u s q u ' à la majorité de l'enfant ; s'il naît u n e fille,
l'héritage passe aux m a i n s du plus proche p a r e n t mâle.
Celui-ci recueille généralement la femme et les filles du
défunt.
b) Vente.
Aucun contrat écrit n'enregistrait les ventes
immobilières ; celles-ci étaient consenties par de simples
déclarations verbales de la part des contractants, faites en
présence des djemâas de la ou des fractions intéressées.
L ' a c h e t e u r choisissait d a n s la tribu du v e n d e u r un indigène
c o m m e caution du m a r c h é . Cet indigène portait le nom de
douaz ou hamil, assistait au règlement de l'opération, dont
il était une garantie vivante, et touchait une légère rétribution de л à 5 d o u r o s ; sa parole faisait force de loi en cas de
contestations ultérieures. Si le douaz venait à m o u r i r , son
fils le remplaçait. En r é s u m é , il consacrait la vente, s'assurait que les paiements en étaient intégralement effectués et
faisait respecter le contrat en toute occasion. Il était e x t r ê m e m e n t rare q u ' u n douaz se laisse déconsidérer p a r l'apport
d ' u n faux témoignage en cas de conflit ; certains se sont m ê m e
fait tuer p o u r n ' a v o i r pas voulu se parjurer, d'où l'appellation symbolique de qimt el kefen (traduction : prix du linceul
d'ensevelissement) donnée à la redevance qui leur est remise.
Inutile d'ajouter que les douaz étaient gens de caractère ;
tous n'acceptaient pas cette fonction, peut-être honorifique,
mais toujours périlleuse.
Il n'existait donc pas de pièce pouvant établir le droit
de propriété et, en cas de discussions, les témoignages o r a u x
étaient les seuls q u ' o n puisse i n v o q u e r . Les témoins étaient
en principe au n o m b r e de douze, mais cependant d e u x suffisaient parfois, si leur honorabilité et leur loyauté étaient
indiscutées des partis en c a u s e .
En cas de vente de terrain, les p a r e n t s du vendeur,
d a n s l ' o r d r e du degré de parenté, ont toujours le droit de
priorité sur les autres acheteurs, à condition toutefois de
p a y e r la valeur de l'enchère présentée p a r le plus offrant
des candidats. De plus, le vendeur ne peut aliéner son bien
s'il n'est muni du consentement, toujours verbal et devant
témoins, de la totalité des enfants.
c) Don. -- Un propriétaire ne peut disposer du sol à
titre gratuit que dans le cas d ' u n e terre, dite morte, qu'il
défriche et remet en valeur a p r è s le consentement de la
djemâa. P u i s ce terrain peut devenir à son tour l'objet de
— 3*
transmissions successives, par héritages ou ventes. P e r s o n n e
ne peut déshériter ses héritiers naturels ni d é t o u r n e r une
partie de ses biens au profit d ' u n tiers é t r a n g e r . Les dons,
lorsqu'il en est fait, le sont toujours sous forme d ' a n i m a u x
(moutons, chèvres, e t c . ) .
Il n ' y a pas de biens aliénés au profit de fondations religieuses, les mosquées sont entretenues par les soins des
visiteurs et les revenus des zaouias proviennent en totalité
des offrandes des pèlerins.
Les travaux d'utilité publique sont à peu p r è s nuls, les
c r e u s e m e n t s de puits, les saqias sont faits par les p r o p r i é taires intéressés après entente entre e u x .
d) Confiscation des terres. - - La propriété individuelle
étant imprescriptible, la coutume n ' o r d o n n e jamais U confiscation des biens. D a n s les affaires de sang, elle peut autoriser les p a r e n t s de la victime à cultiver le terrain du m e u r trier en fuite, mais celui-ci p o u r r a r e p r e n d r e sa propriété
quand il aura acquitté le paiement de la dia.
5° ATTENTATS CONTRE LA PROPRIÉTÉ
La djemâa avait qualité p o u r juger les contestations de
terrains.
D e u x indigènes de la m ê m e tribu avaient-ils une discussion entre eux, ils portaient le différend devant les
m e m b r e s de leurs djemâas, qui se réunissaient pour juger
le conflit. C h a c u n des adversaires amenait avec lui un dhaman
ou répondant, qui avait le double rôle d'intervenir p o u r
r a m e n e r les parties au calme, si cela était nécessaire, et d ' a s s u r e r l'exécution de la sentence p r o n o n c é e . C'était généralement lui d'ailleurs qui prenait la parole. Le dhaman était,
en principe, de la fraction de celui qu'il assistait et souvent
l'un de ses p r o c h e s p a r e n t s .
Naturellement le témoignage oral était la seule preuve
q u ' o n pouvait invoquer en l'occurrence et il était fourni par
le douaz que devait p r o d u i r e celui qui prétendait avoir
acheté le t e r r a i n .
Ce douaz choisissait, parmi ses frères, dix témoins q-t
certifiaient de sa qualité, déclarait par s e r m e n t avoir présidé
à la vente qui faisait l'objet du litige, et désignait le nom de
l'ayant droit. Le jugement était toujours rendu conformément
à sa déclaration.
— 39 —
Si l'adversaire évincé se refusait à e x é c u t e r la sentence,
il y était contraint par son d h a m a n qui forçait son obéissance par tous les m o y e n s , j u s q u ' a u m e u r t r e s'il était nécessaire.
P a r contre, si aucun douaz ne pouvait être présenté, le
réclamant eût-il cultivé le bled pendant vingt ans et plus, il
était obligé de renoncer à ses prétentions.
Autre cas : il n ' y a pas eu vente, et l'un des partis
déclare avoir hérité de son p è r e du bled que lui conteste son
a d v e r s a i r e . T o u s deux, toujours accompagnés de leur
d h a m a n , vont encore p o r t e r le différend devant leurs
djemâas.
Celui qui prétend avoir reçu le terrain en héritage doit
a m e n e r cinquante ou cent témoins choisis parmi ses frères.
Si ceux-ci attestent par serment que le p è r e du plaignant
possédait bien en toute propriété le terrain contesté et l'a
laissé effectivement à son fils a p r è s sa mort, il lui est d o n n é
raison. Si, par contre, les témoins se refusent à jurer, le
bled lui est enlevé. Le d h a m a n responsable assure l'obéissance de son client en cas de décision défavorable à ce
dernier.
Cette fois, le désaccord porte s u r u n e question de
limites entre deux parcelles voisines ; les deux partis vont
encore avec leur d h a m a n trouver la djemâa de leur fraction.
Si celle-ci connaît la limite, elle la trace et l ' i m p o s e . Au cas
contraire, elle désigne, soit le plus âgé des deux plaignants,
soit celui dont l'honorabilité semble présenter le plus de
garanties, lequel jure connaître la limite, en indique le tracé
devant tous, s e r m e n t qui est complété par celui de cinquante
de ses frères ; la djemâa prononce alors sa décision qui est
imposée aux partis en cause, au besoin p a r la force.
La djemâa ne se réunissait généralement pas à chacun
des conflits, mais déléguait toujours trois ou q u a t r e de ses
m e m b r e s p o u r e x a m i n e r la réclamation.
Il pouvait être fait appel de l e u r s jugements devant la
djemâa qui jugeait alors en dernier ressort.
En cas de non acceptation de cette dernière décision,
les biens du récalcitrant étaient razziés ou, si ce dernier était
assez puissant, le barond seul tranchait la question.
P a r contre, la djemâa s'occupait r a r e m e n t des questions
de vols, et laissait aux intéressés le soin de se débrouiller en
l ' o c c u r r e n c e . Aussi le vol était-il d'un usage courant, et
d ' a u c u n s disent que les jeunes gens z e m m o u r offrant
— 40 —
q u e l q u e s aptitudes étaient dressés par les professionnels à ce
genre d ' e x e r c i c e s . 11 faut reconnaître d'ailleurs que le vol et
le brigandage étaient p r e s q u e considérés c o m m e des actes
honorables et donnaient m ê m e une g r a n d e considération à
leur auteur, l'essentiel était de ne pas se faire p r e n d r e .
Un animal était-il volé, le propriétaire lésé se mettait
aussitôt à la r e c h e r c h e de sa bête. Si les traces le conduisaient d a n s une tente, il s'y rendait. D e u x solutions pouvaient se p r é s e n t e r : ou il trouvait la bête et, dans ce cas,
l ' e m m e n a i t p u r e m e n t et simplement, ou on l'avait fait disp a r a î t r e . Il s'abouchait alors avec le chef de la tente qui,
p o u r se défendre de l'accusation qui pesait s u r lui, devait
p r ê t e r s e r m e n t avec dix de ses frères. D a n s la pratique, il
avait souvent plus d'avantage à p r o p o s e r à son voleur un
a r r a n g e m e n t à l'amiable et, m o y e n n a n t u n e légère r e d e vance, rentrait généralement en possession de son animal.
Aucune trace, aucun indice ne renseignent le volé. D a n s
ce cas, celui-ci sera contraint d'avoir recours à un bechar,
s'il a la b o n n e fortune d'en trouver un. le bechar est un
indigène quelconque, qui a l'avantage de connaître l'animal
dérobé, d'avoir p a r hasard vu les voleurs l ' e m m e n e r , et qui
s'est bien gardé d'intervenir p o u r pouvoir ensuite vendre le
renseignement argent c o m p t a n t . Ce sera d'ailleurs souvent
lui qui ira au devant de la victime et lui fera des propositions p o u r lui faire r e t r o u v e r sa b ê t e .
La coutume veut q u ' e n aucun cas son n o m soit dévoilé
— aussi son rôle se borne-t-il uniquement à fournir le renseignement — et que la s o m m e d e m a n d é e , la bechara, ne soit
payée q u ' a p r è s restitution de la chose d é r o b é e .
Il appartient au volé d'aller trouver l'indigène d é m a s q u é
p a r le bechar et de lui d e m a n d e r la prestation au s e r m e n t
qui sera complété p a r celui de dix témoins (hellafas).
En r é s u m é , on voit que les questions
dans la plupart des cas par s e r m e n t prêté
témoins, devant un marabout local, en
accusateur. Les dix témoins appartenaient
qui jurait et étaient choisis p a r lui.
de vol se réglaient
par l'accusé et dix
présence du parti
à la tribu de celui
Naturellement, la valeur du s e r m e n t était fonction de
l'honorabilité de ceux qui le prêtaient. Aussi, certaines tribus
avaient-elles é p r o u v é le besoin d ' a u g m e n t e r les condit'ons
de garantie en concluant entre elles un lien d'amitié p a r l ' a p plication de la c o u t u m e du taia.
— 4i
--
L o r s q u ' u n e affaire de vol se réglait e n t r e ces tribus, le
n o m b r e des gens auxquels le s e r m e n t était d e m a n d é était
p o r t é à vingt-cinq, dix d ' e n t r e eux étant désignés p a r le
plaignant. Il fallait donc à ce dernier un ami ou conseiller
dans chacune des tribus alliées par le tata. Ce conseiller occasionnel -— qui était son tata c o r r e s p o n d a n t --• l'aidait à
choisir, le cas échéant, des témoins présentant une h o n o r a bilité sérieuse. Il lui était désigné au c o u r s de la cérémonie
suivante :
L o r s q u e deux tribus avaient décidé de faire c o m m e r c e
d'amitié, elles se réunissaient un jour fixé. Un r e p r é s e n t a n t
de chacune d'elles rassemblait toutes les belghas de ses
frères et les plaçait sous son b u r n o u s . Un troisième indigène
se plaçait entre eux, prenait successivement une belgha
d a n s chacun des b u r n o u s et les élevait en l ' a i r . Aussitôt les
propriétaires des d e u x belghas sortaient de la foule, se désignaient à haute voix, se promettaient amitié devant tous et
s'en allaient e n s e m b l e . L ' u n était d é s o r m a i s le tata de
l ' a u t r e . Il est procédé ainsi j u s q u ' à l'épuisement des belghas.
Il était très r a r e q u ' u n indigène lié p a r cette c o u t u m e
cherchât à t r o m p e r son tata en lui désignant des témoins douteux, car il se serait fait déconsidérer p a r tous et sa mauvaise
foi aurait jeté le discrédit s u r sa tribu e n t i è r e .
6°
LES
IMPOTS.
—
REDEVANCES.
— CORVÉES
Les Z e m m o u r payaient autrefois les impôts suivants au
M a k h z e n : la zaka. qui portait s u r les a n i m a u x ; Vachour,
s u r les grains.
Le Sultan envoyait des r e p r é s e n t a n t s , généralement les
C a ï d s des C h e r a r c h a : Ben Driss, Ahmed Zirari ou Ben
Chliha, qui en assuraient la répartition e n t r e les t r i b u s . Les
djemâas rassemblaient le montant de la quote-part fixée, qui
était acquittée partie en argent, partie en n a t u r e . Cette perception ne se faisait pas d'ailleurs sans de g r a n d e s difficultés et la p r é s e n c e d ' u n e force a r m é e n'était pas indispensable p o u r en a s s u r e r l'exécution. La mehalla campait
au milieu du p a y s et brûlait les récoltes des récalcitrants,
aussi b e a u c o u p s'enfuyaient au djebel avec l e u r s a n i m a u x
et n ' e n rentraient q u ' a p r è s le départ des r e p r é s e n t a n t s du
Sultan.
— 42 —
C ' e s t vers la d e u x i è m e a n n é e du règne d'Abd el Aziz
que le p a y s échappa complètement à toute autorité et aucune
contribution ne fut plus payée par la suite.
En d e h o r s de ces d e u x impôts, les djemâas ne levaient
d'imposition q u ' e n cas de g u e r r e , en vue d'achat d ' a r m e s ,
de munitions et de c h e v a u x . C h a c u n était taxé suivant ;on
degré de richesse, et participait ainsi à la formation de la
h a r k a levée pour la défense de la c o m m u n a u t é . Les
Imgharen se réunissaient en conseil, prenaient la direction
des opérations, mais ne touchaient aucun subside. Ils infligeaient des a m e n d e s à ceux qui ne se conformaient pas à
leurs o r d r e s dans le délai voulu ; ces a m e n d e s entraient d a n s
le casuel de g u e r r e .
Les frais occasionnés p a r les fêtes étaient s u p p o r t é s
par la collectivité sous forme de dons volontaires.
La liberté individuelle était le p r e m i e r des principes,
les corvées en n a t u r e n'étaient jamais imposées et n ' e x i s taient p a s . A l ' é p o q u e des moissons, les caïds ou les particuliers qui désiraient r é u n i r des o u v r i e r s non rétribués circulaient en tribus et demandaient des gens de b o n n e volonté
p o u r aider à leurs récoltes. Ils les trouvaient toujours, et
leur offraient une dhifa en r e m e r c i e m e n t . Ce n'étaient donc
là que des prestations librement consenties, ou touiza,
n ' a y a n t aucun caractère régulier.
Les travaux d'utilité publique étaient à peu près n u ' s
et les quelques a m é n a g e m e n t s qui étaient faits relevaient
plutôt de l'initiative privée des p r o p r i é t a i r e s intéressés, qui
s'entendaient entre eux dans chaque cas particulier.
Le service des reqqas des Imgharen ne fonctionnait
q u ' e n temps de g u e r r e et était assuré par des cavaliers volontaires. De m ê m e aucune redevance n'était p a y é e p a r le commerçant ou l'industriel qui exerçaient leurs métiers en toute
liberté. Parfois, d a n s les a n n é e s m a l h e u r e u s e s , on faisait des
collectes au profit des p a u v r e s de la tribu, mais cet appel
aux bonnes volontés individuelles relevait plutôt du domaine
de la charité publique.
Aucune pénalité n'était prise en temps de paix en d e h o r s
des paiements de la dia, r e m b o u r s e m e n t de vol ou règlement des dommages-intérêts que les particuliers p o u r s u i vaient entre eux, soit par entente mutuelle, soit sous la direction de la djemâa. En cas de lutte avec les voisins, celui qui
ne se conformait pas aux o r d r e s d o n n é s p a r les Imgharen
— 43 —
se voyait infliger des a m e n d e s payables immédiatement au
profit du trésor c o m m u n .
7°
LA
JUSTICE
Les prescriptions du C o r a n et de la S o u n n a étaient
très mal c o n n u e s et inobservées. Le Cadi ou fonctionnaire
similaire n'existait p a s . Seules les lois de la c o u t u m e étaient
appliquées. Elles ne sont notées dans aucun recueil. Les
anciens les transmettaient aux jeunes et p e r s o n n e ne les
ignorait. C e s coutumes étaient sensiblement les m ê m e s pour
la confédération z e m m o u r , les variantes de tribu à tribu ne
portant que s u r de légers points de détail. Les réclamations
étaient portées en principe devant la djemâa, qui pouvait
déléguer plusieurs de ses m e m b r e s p o u r e x a m i n e r le dinérend ; chacun des plaignants se présentait avec son hamil
qui répondait de l'exécution de la décision prise. Parfois
aussi les conflits étaient portés devant des p e r s o n n a g e s âgés,
c o n n u s pour leur caractère droit et impartial, leur connaissance des choses juridiques, ou tout au moins la jusiesse de
leur jugement. B e a u c o u p préféraient cette juridiction patriarcale, en laquelle ils avaient confiance, et qui était moins
susceptible d ' ê t r e achetée.
N o u s avons vu plus haut que la djemâa était le seul
organe compétent p o u r la consécration des m a r i a g e s . C'est
p a r son intermédiaire que la d e m a n d e était transmise au père
de la jeune Fille r e c h e r c h é e . C ' e s t elle encore qui préside la
discussion s u r le montant et la composition de la dot. Le
caractère public de la réunion tient lieu du m a n q u e d ' e n r e gistrement.
C ' e s t elle enfin qui, s u r la d e m a n d e justifiée de l'un
ou de l'autre des partis p r o n o n c e r a le divorce et en réglera
les conditions suivant les raisons qui l'ont motivé. Les causes
du divorce peuvent être des plus variées ; à r e n c o n t r e de la
femme : adultère, m œ u r s dissolues, stérilité, mauvaise condition physique, insuffisance dans la conduite du ménage,
simple volonté m ê m e du mari ; à l'encontre de l ' h o m m e :
mauvais traitements e n v e r s sa femme, m a n q u e de n o u r r i ture ou de vêtements, etc.
La polygamie est permise, mais dans la p r a t i q u e est
peu fréquente. Seuls, les gens fortunés peuvent acheter plusieurs femmes. La c o u t u m e , d'accord avec le C o r a n , en
— 44 —
accorde quatre, mais ce n o m b r e peut s ' a u g m e n t e r des concubines qui vivent sous la tente conjugale.
Les différends journaliers étaient réglés à l'amiable e n t r e
les intéressés et, seuls, les conflits plus importants (contestations de terrains, délits sérieux, règlement de dia) étaient
portés devant la djemâa ou ses délégués. R a r e m e n t celle-ci
intervenait d a n s les questions de crime et laissait à chacun
le droit de se venger, l'individu ne reconnaissant en cette
matière d ' a u t r e autorité que celle de son fusil.
L o r s q u ' u n h o m m e riche ou puissant en tuait un autre,
il se tirait généralement d'affaire en acquittant aux p a r e n t s
de sa victime le prix du sang (dia). C'était là le seul tempérament q u ' a p p o r t a i t la c o u t u m e et, si le m e u r t r i e r était d a n s
l'incapacité de payer, il n'avait d ' a u t r e ressource que dans
la fuite et l'exil.
8° ATTENTATS CONTRE LA V I E . •— LA SÉCURITÉ
T o u t indigène qui se rend coupable d'homicide, volontaire ou non, n'a pas à r e n d r e compte de son acte devant la
djemâa. Il n ' e n répond q u e vis-à-vis de la famille de la victime, qui peut e x e r c e r sur lui le droit de vengeance. T r è s
souvent, chacun p r e n a n t fait et cause p o u r les siens, non en
toute connaissance des faits, mais u n i q u e m e n t par solidarité ; il se formera deux partis hostiles, qui parfois en
viendront a u x m a i n s . C e sera alors d ' â p r e s démêles, d o n n a n t
lieu à des vendettas interminables j u s q u ' à ce q u ' u n e intervention étrangère r a m è n e le calme et fasse aboutir une
transaction. La liste des morts sera faite ainsi que le
décompte des dias respectives. Le clan resté en débet sera
indemnisé.
H e u r e u s e m e n t les m e u r t r e s ne seront pas toujours
suivis de pareilles querelles intestines, et les p a r e n t s du
meurtrier, qui a été obligé de se réfugier d a n s u n e tribu
é t r a n g è r e , décideront de payer l'impôt du sang à la famille
du défunt. Ils lui adresseront alors quelques représentants,
accompagnés de plusieurs m e m b r e s de leur djemâa. Ils immoleront un mouton devant la tente du père, frère ou parent
mâle le plus proche du mort. C ' e s t la debiha, indiquant qu'ils
demandent la réconciliation et proposent des négociations.
Si leur offre est acceptée, des p o u r p a r l e r s , souvent longs et
pénibles, c o m m e n c e r o n t entre les djemâas et les intéressés.
L'accord finit par se faire. Les p a r e n t s du coupable, soli-
— 45 —
daires les u n s des autres, s ' e n t e n d e n t p o u r acquitter le m o n tant de la s o m m e fixée. Seulement alors le m e u r t r i e r p o u r r a
r e n t r e r d a n s sa tribu. Il viendra, en signe de paix, égorger un
mouton devant l'habitation de son ancien e n n e m i . Il r e p r e n d r a ses biens que, pendant son absence, ses adversaires
avaient le droit de saisir et de cultiver j u s q u ' a u règlement
définitif du litige.
Parfois, la famille de la victime refuse tout a r r a n g e m e n t ,
se sentant plus puissante et plus a p p u y é e . Le m e u r t r i e r sera,
dans ce cas, contraint de s'exiler pendant plusieurs a n n é e s ,
et la g u e r r e ensanglantera les deux p a r t i s . Ce n ' e s t q u ' à la
longue que le calme renaîtra et que la paix se fera p a r l'intermédiaire d ' u n p e r s o n n a g e influent de la tribu ou d ' u n
chérif de p a s s a g e .
La coutume ne fait aucune différence, quels que soient
les motifs qui aient p r o v o q u é le m e u r t r e ; raisons d ' o r d r e
privé ou intime, raison d'intérêt ou a u t r e s . Il est seulement
tenu compte p a r la djemâa des circonstances diverses et des
considérants qui entourent l'acte : situation de la victime,
validité des motifs qui sont présentés, etc. Mais, dans tous
les cas, elle ne peut q u ' é m e t t r e un avis. Les p a r e n t s du mort
peuvent toujours se refuser à toute considération et p o u r suivre l'accomplissement de leur vengeance. Celle-ci se
transmettra de père en fils si elle n ' a pu être c o n s o m m é e p a r
la fuite du parti adverse, tous les p a r e n t s ayant au m ê m e
degré le souci et la volonté C!J venger ieurs m o r t s .
Si le m e u r t r i e r appartient à la m ê m e tribu que la victime, la vengeance p o u r r a s'accomplir en tout t e m p s et en
tout lieu, au c o u r s des r é u n i o n s publiques ou privées, fêtes,
m a r c h é s locaux et leurs c h e m i n s d'accès. Seule, la tente
d ' u n tiers est inviolable, et l'individu qui s'y réfugie est
m o m e n t a n é m e n t en sécurité. Mais ce n'est là q u ' u n e trêve
de courte durée, car son e n n e m i , qui l'a aperçu, attendra
patiemment sa sortie, caché dans un sentier des e n v i r o n s .
Si m e u r t r i e r et victime sont de d e u x tribus différentes,
le droit de représailles ne s ' e x e r c e r a pas dans une fête
publique, mais il est d'usage que le p r e m i e r , avant de s'y
r e n d r e , d e m a n d e l'autorisation au parti a d v e r s e . C o m m e au
cas ci-dessus, la tente d ' u n tiers est un lieu inviolable. Enfin,
un m e u r t r i e r poursuivi et en danger de mort peut é c h a p p e r
à son ennemi en se mettant sous la protection d ' u n e femme.
Cette protection de la femme — anaia — s'obtient en faisant
le simulacre d ' ê t r e allaité p a r elle, ou en lui entourant la
-
46
—
taille des d e u x b r a s . T o u t e puissante, elle cesse dès que le
protégé a quitté sa protectrice.
Le taux de la dia est e x t r ê m e m e n t variable et dépend,
c o m m e nous Lavons vu, de la condition sociale de la victime et surtout des exigences autorisées des ayants droit. Il
est également tenu compte du sexe et de l'âge de la pers o n n e tuée. La dia d ' u n h o m m e oscille entre i . o o o et 1.500
d o u r o s ; celle d ' u n e femme, évaluée à la moitié de celle d'un
h o m m e , sera de 500 à 700 d o u r o s ; celle d ' u n enfant, p r o portionnelle à son âge, varie également suivant son s e x e .
La dia est payée, suivant les conditions convenues, à la
fois en argent et en n a t u r e , et à des é p o q u e s échelonnées.
P o u r compléter le paiement de cet impôt du sang, le m e u r trier n'hésitera pas, si cette solution lui offre quelque avantage, à utiliser la valeur m a r c h a n d e de sa fille, en la donnant en mariage à son débiteur, ce qui diminuera d'autant la
s o m m e dont il a à s'acquitter.
Les blessures, non suivies de mort, entraînent de m ê m e
le paiement d ' u n e dia. Si celles-ci p r o v o q u e n t une infirmité
et p a r suite une incapacité de travail (perte d ' u n m e m b r e ,
d ' u n œil, etc.), la dia s e r a tarifée à la moitié de celle qui
aurait été payée p o u r le m e u r t r e du m ê m e individu. Si le
blessé n'est que m o m e n t a n é m e n t dans l'impossibilité de travailler, il n'est pas accordé de dia, mais le coupable s u p p o r t e
les frais de n o u r r i t u r e du blessé jusqu'à son complet rétablissement.
Enfin, le m e u r t r i e r qui s'obstine à refuser tout a r r a n gement sera a b a n d o n n é des siens, obligé de s'exiler de sa
tribu, et les p a r e n t s du mort auront l'usufruit de ses oiens
j u s q u ' a u règlement définitif de l'affaire.
Il en résulte que, malgré le régime de siba, les m e u r t r e s
étaient moins fréquents q u ' o n pourrait le s u p p o s e r . La
crainte des représailles était en effet un frein puissant et la
meilleure garantie pour le respect de la vie des g e n s .
</'
(Les
LA
GUERRE
querelles intestines dans la sous-fraction, la
Les çofs.
- La guerre entre les tribus.
La guerre sainte.)
fraction.
Les querelles de partis sont le fond m ê m e de l'âme berbère, et les Z e m m o u r , au caractère naturellement h a r g n e u x
et vindicatif, ne pouvaient manquer à cette tradition. Aussi,
— 47 —
tout était matière à discussion, et les incidents les plus futiles,
toujours considérablement grossis, engendraient des disputes
interminables, chacun p r e n a n t fait et cause p o u r ses frères,
sans m ê m e r e c h e r c h e r la cause du conflit et le côté du droit.
Il se formait ainsi, dans la fraction, deux partis hostiles,
g r o u p é s a u t o u r de deux individualités qui prenaient la q u e relle à leur compte et entraient en lutte. F r é q u e m m e n t des
fractions voisines intervenaient à leur tour dans l'incident,
se rangeaient d a n s l'un ou l'autre des g r o u p e m e n t s adverses,
et la g u e r r e ensanglantait toute la tribu. I.'alliance des partis
était consacrée par la remise officielle des b u r n o u s à celui
qui d e m a n d e le secours, en gage de la parole d o n n é e . Si l'un
des partis m a n q u e aux engagements pris, les o u r n o u s de ceux
qui se sont parjurés sont teints de h e n n é , en noir ou en vert,
et p r o m e n é s ostensiblement dans les lieux publics, pendant
q u ' o n crie à haute voix les n o m s des gens ayant m a n q u é à
leur s e r m e n t de fidélité. Ceux-ci étaient désormais l'objet
du plus profond m é p r i s , et toute considération leur était
enlevée de la part de leurs frères.
L o r s q u ' u n des partis, vaincu ou épuisé, désirait conclure la paix, il le faisait connaître à son adversaire p a r l'intermédiaire d ' u n e fraction n e u t r e à laquelle il offrait des
debiha (sacrifice de m o u t o n s ) . Cette oernière intervenait
alors et proposait des a r r a n g e m e n t s . Si les offres étaient
acceptées, il était procédé au décompte des dias à r a p p e l e r
et au paiement des a r r i é r é s . Parfois aussi, des p e r s o n n a g e s
influents et jouissant du respect général s'immisçaient entre
les combattants p o u r rétablir Yaman. T r è s souvent leur
parole était écoutée et l'accord se faisait sous leurs auspices.
Les causes qui provoquaient ces querelles étaient
plus diverses : m a n q u e m e n t a u x obligations du mezrag,
tata, m e u r t r e , rapt, contestations de terrains, refus de
tituer le produit d ' u n vol découvert, néfras s u r les souqs,
des
du
resetc.
P o u r les m ê m e s raisons, d'ailleurs, la g u e r r e p o u r r a
s'allumer e n t r e tribus différentes. U n e femme est-elle enlevée
p a r un h o m m e de la tribu voisine, quatre ou cinq k e b a r s
vont trouver la djemâa de la fraction du ravisseur, et d e m a n dent la restitution de la femme, lin cas de refus, le m e z r a g
est officiellement r o m p u entre eux et la g u e r r e déclarée.
U n e tribu essaie-t-elle de déplacer ses limites au détriment d ' u n e autre, les hostilités éclateront si la p r e m i è r e
persiste dans sa mauvaise foi.
-
4
8
-
L o r s q u e l'état de g u e r r e est décidé, la djemâa le fait
connaître sur les souqs et c o m m u n i q u e r dans l'intérieur de
la tribu. T o u s les notables se réunissent et il est procédé à
la nomination des imgharen, ou chefs de g u e r r e , qui donneront des o r d r e s pour le rassemblement et l'organisation
des effectifs, l ' a p p r o v i s i o n n e m e n t en a r m e s , munitions et
chevaux.
Sur la proposition des chioukii, qui indiquent le degré
de fortune de l e u r s frères, chacun est taxé suivant ses r e s sources et se voit imposer, sous peine d ' a m e n d e , l'achat
d ' u n fusil, d ' u n e m o n t u r e ou de cartouches ; les r a n c u n e s
particulières sont a b a n d o n n é e s d a n s l'intérêt générai, et tous
les h o m m e s valides deviennent des d é f e n s e u r s . En général,
le choc des d e u x g r o u p e s e n n e m i s ne sera pas b r u s q u é , et
des r e q q a s sont envoyés pour avertir le parti opposé de la
date à laquelle c o m m e n c e r o n t ies hostilités. C e s cavaliers
sont toujours respectés, et il leur est accordé un délai suffisant p o u r se retirer a p r è s l'accomplissement de leur
mission.
La lutte a u r a lieu partout, sans distinction de lieu ni
d ' é p o q u e , s u r les territoires des tribus belligérantes c o m m e
en terrain n e u t r e . Tout point de rencontre est un lieu de
bataille, on fait évacuer vers l ' a r r i è r e les femmes, les enfants
et les t r o u p e a u x . Ce sont alors d ' â p r e s luttes à la faveur
desquelles les vengeances et les haines seront satisfaites, des
crimes de toutes sortes se c o m m e t t r o n t .
En principe, aucune trêve n ' e s t accordée, chacun cherchant l'écrasement complet de son a d v e r s a i r e . C e p e n d a n t
une suspension des hostilités sera parfois consentie, d ' u n
accord mutuel, pendant d e u x ou trois lunes, soit à l'époque
des moissons, soit à celle des l a b o u r s .
P o u r a u g m e n t e r leurs chances de succès, les g r o u p e ments en lutte se p r o c u r e r o n t des alliés parmi les tribus
amies. Il se forme ainsi des ligues temporaires, ou leffs,
basées s u r des raisons d'intérêt ou fondées s u r des traditions a n c i e n n e s .
L o r s q u ' u n e fraction engagée désire contracter u n e
alliance, elle e n v e r r a les plus anciens de sa djemâa trouver
la fraction recherchée, à laquelle des debihas seront offertes.
Si les propositions sont acceptées, un b u r n o u s est remis
aux délégués qui l ' e m p o r t e n t en gage de l'alliance conclue.
La m ê m e cérémonie r e c o m m e n c e d a n s toutes les tribus dont
on sollicite le c o n c o u r s . Puis une assemblée générale des
v
— 49 —•
notables a lieu ; des imgharen sont n o m m é s p o u r diriger
l'ensemble des opérations, le plus ancien reçoit en dépôt
tous les b u r n o u s remis p a r les tribus e n t r é e s d a n s le réseau
d'alliances. L ' h o n n e u r de chacune d'elles est ainsi engagé,
et u n e trahison individuelle entraîne la flétrissure s u r toute
la fraction. La dhifa habituelle clôture la réunion, et rendezvous est d o n n é à la date choisie p o u r le c o m m e n c e m e n t des
opérations.
Si la g u e r r e a lieu e n t r e Z e m m o u r et u n e confédération
é t r a n g è r e , Beni H a s s e n p a r e x e m p l e , alors viendront
s'ajouter les haines de g r o u p e m e n t à g r o u p e m e n t , et la lutte
a u r a de suite un caractère plus aigu et plus a c h a r n é . L ' e n vahisseur c h e r c h e r a à brûler les tentes de l'ennemi, piller
ses d o u a r s , enlever ses t r o u p e a u x , et à écraser entièrement
son adversaire ou tout au moins l'obliger à fuir pendant
plusieurs a n n é e s . Il s'installera aussitôt s u r le terrain
évacué, qu'il r e v e n d i q u e r a p a r la suite c o m m e lui a p p a r t e nant p a r droit de conquête. Il n ' y a u r a ni trêve ni terrain
neutre.
Les femmes elles-mêmes interviennent d a n s la lutte,
portant les munitions, soignant les blessés, et, p o u r exciter
l ' a r d e u r des combattants, de vieilles femmes n u e s circulent
parfois d a n s la mêlée, agitant des d r a p e a u x et portant des
pots de h e n n é dont elles aspergent les fuyards.
Les m o r t s de l ' e n n e m i sont toujours a b a n d o n n é s sur
place, s a n s sépulture ; p a r contre, on met un point d ' h o n n e u r à e m p o r t e r les siens.
Les é t r a n g e r s qui, p a r le concours des circonstances, se
trouvent m o m e n t a n é m e n t dans les tribus en lutte, ne sont
jamais inquiétés s'ils conservent une neutralité absolue. Si
l'un d ' e u x était tué p a r hasard, u n e dia serait offerte i m m é diatement ; d'ailleurs, celui sous le mezrag duquel cet
é t r a n g e r a p é n é t r é d a n s le pays a s s u r e r a sa protection et
r é p o n d r a de sa sécurité ; il porte le n o m de zettat et la r e d e vance qui lui est p a y é e est la zettaia.
Le parti qui, le p r e m i e r , désire d e m a n d e r l ' a m a n t r a n s mettra sa d e m a n d e p a r l'intermédiaire d ' u n e tribu é t r a n g è r e
au conflit, ou fera intervenir un p e r s o n n a g e religieux.
Les prises faites au c o u r s des combats ne reviennent
pas à la c o m m u n a u t é , mais sont la propriété de l'individu ou
du g r o u p e qui les a faites.
Enfin, il reste à envisager la levée en m a s s e p o u r la
g u e r r e sainte. Mais il faut mettre les c h o s e s au point en
— 5o —
ajoutant de suite que les Z e m m o u r , assez indifférents en
matière religieuse, ont vu plutôt en n o u s , p a r e x e m p l e , les
e n n e m i s de leur indépendance que de leur religion. L o r s q u ' e n
i y i i , ils combattirent contre nos troupes, à Kenitra, à Lalla
Ito, puis chez e u x , ils luttèrent m o i n s contre le « r o u m i »
que contre l'envahisseur qui menaçait leur territoire. Il ne
pouvait en être a u t r e m e n t de la part de gens j u s q u ' a l o r s
réfractaires à toute autorité, et dont le Sultan lui-même
évitait soigneusement ie p a y s . Aussi, rien n etait-h prévu
pour le cas de la levée en m a s s e . Aucun trésor de g u e r r e ,
aucune r é s e r v e d ' a r g e n t et d ' a r m e m e n t n'existent. Le
m o m e n t venu, on fait appel aux contributions volontaires en
invoquant les facteurs d ' o r d r e moral et religieux. Les contingents disponibles se r é u n i r o n t au grand complet sous la voix
des chefs les plus écoutés ou des chérits les plus influents,
et si l'insuccès répond aux efforts et aux sacrifices, les
m e n e u r s , toujours mis h o r s de cause, ne seront p o u r ainsi
dire jamais atteints.
10"
LA
RELIGION
(Tulbas. — Ecoles coraniques.
Chorja. — Marabouts. —
Confréries.
— Zaouias.
Rôle des personnages religieux.
—
Pratiques
religieuses.
-•Mosquées.
Influence de l'Islam.)
L ' e n s e i g n e m e n t coranique est très peu r é p a n d u chez
les Z e m m o u r . La raison principale en est certainement l'indifférence et l'ignorance complètes des populations, et aussi,
il faut bien le reconnaître, le m é p r i s manifeste qu'elles ont
p o u r les gens d ' é t u d e .
C e s d e r n i e r s sont considérés p a r c e u x - m ê m e s qui les
emploient c o m m e un élément sans valeur utile, incapable de
fournir des cavaliers un jour de r a n d o n n é e , craignant les
fatigues et les risques de la g u e r r e . Aussi n ' y a-t-il pas de
véritables lettrés dans le pays, et les fqihs et tolbas ne possèdent q u ' u n e instruction des plus r u d i m e n t a i r e s . La science,
la réputation q u ' o n leur prête parfois, reposent surtout sur
la profonde ignorance générale.
Il y a quatre à cinq écoles (djamâa) par tribu ; mais,
p a r école, c o m p r e n o n s une misérable tente, placée au centre
du douar et servant en m ê m e temps d'habitation pour le
fqih et d'asile p o u r les hôtes de passage.
Lx3 tolbas qui les dirigent sont p r e s q u e tous des étr..ngers à la confédération, et originaires des D o u k k a l a ou des
Beni H a s s e n . Ils a p p r e n n e n t aux jeunes enfants les p r e m i e r s éléments de la lecture et de l'écriture, et les initient
aux principes de la religion. Bn réalité, ils ont e x t r ê m e m e n t
peu d'influence, et pas la m o i n d r e considération. D'ailleurs,
les enfants sont envoyés à la garde des t r o u p e a u x dès que
leur âge le p e r m e t , et il est bien r a r e qu'ils fréquentent
l'école plus d ' u n e saison ou d e u x . Les tolbas forment entre
eux une sorte d'association, sous la direction d ' u n m o q a d dem ,- une fois l'an ils se réunissent et organisent entre eux
u n e petite fête.
Les dépenses afférentes à l'école (réparation de la tente,
achat de nattes, tapis, etc.) sont s u p p o r t é e s au moyen des
bénéfices p r o v e n a n t de la location de certaines terres a p p a r tenant aux djemâas. Les fqihs ou tolbas sont rétribués p a r
les d o n s volontaires des gens des d o u a r s qui contribuent suivant leurs m o y e n s à les payer, soit en argent, soit en n a t u r e .
T o u t e autre est la considération a p p o r t é e aux chorfa. De
tout temps, les Z e m m o u r furent visités p a r des chorfa
d ' O u e z z a n qui habitaient quelque t e m p s d a n s chaque tribu
successivement. A cette occasion, les tentes étaient rassemblées formant d ' i m m e n s e s cercles autour du c a m p e m e n t du
chérif. On se livrait à des fantasias en son h o n n e u r , la
p o u d r e parlait pendant plusieurs jours ; on lui offrait des
ziaras, toujours librement consenties ; on honorait en lui un
rang sacré, on avait foi d a n s sa bénédiction p o u r la fertilisation de la terre, la prospérité des t r o u p e a u x et la guérison
des m a u x divers. Son passage était considéré c o m m e un
bienfait pour la c o m m u n a u t é et sa parole très écoutée.
Les chorfa intervenaient parfois dans les questions de
dia, restées j u s q u ' a l o r s insolubles, p o u r a m e n e r les adversaires à composition, et fixaient e u x - m ê m e s le montant de la
dia à p a y e r . Ils réconciliaient souvent des partis e n n e m i s qui
s'entredéchiraient depuis plusieurs a n n é e s . L e u r intervention h e u r e u s e ramenait le calme et la paix. L e u r s jugements
et leurs décisions étaient r a r e m e n t discutés et il est h o r s de
doute que leur influence sur ces populations primitives et
brutales était salutaire et bienfaisante.
Les chorfa descendent du P r o p h è t e p a r sa fille Fatma,
mais beaucoup parmi eux n ' o n t aucune filiation, bien que se
réclamant de cette qualité. Parfois des tribus entières se p r é tendent issues de Moulay Idriss. C'est ainsi que, uans l'An-
— 5
2
—
nexe de Khemisset, les Ait Yaddine, les Ait Sibeur, les Ait
El Madjoub, les Ait Khaled et les Ait Ben H a m a d i puisent
dant cette origine la considération et le respect qui les
e n t o u r e n t . En réalité, ils ont souvent e m p r u n t é le caractère
religieux de celui qui les a évangélisés.
Il y a lieu de distinguer entre le chérit et le marabout dont
les tombeaux sont l'objet de vénération à un titre p r e s q u e
égal. Le p r e m i e r a une signification exclusivement religieuse,
appartient à la secte Idrissiste ou Alaouite. Le second a un
sens plus général et ce titre lui a été acquis a p r è s sa mort,
p a r sa réputation de sainteté, ses vertus, sa sagesse. Q u e l quefois aussi la folie, l'imbécilité conduisent à la réputation
m a r a b o u t i q u e et sont h o n o r é e s c o m m e aes é m a n a t i o n s de la
divinité. Les femmes elles-mêmes peuvent p r é t e n d r e à la
sainteté et devenir des oualias dont le tombeau sera visité par
les fidèles. C e s tombeaux se rencontrent un peu partout
dans la c a m p a g n e marocaine, a u p r è s d ' u n arbre, d ' u n e
source, d ' u n puits et on peut juger de leur fréquentation par
le n o m b r e des petits fanions blancs accrochés en ex-voto, i.es
uns sont e n t o u r é s d ' u n e modeste m u r e t t e en pierres sèches,
disposée de m a n i è r e à former u n e enceinte circulaire à ciel
ouvert : c'est le haouch. D ' a u t r e s sont r e n f e r m é s dans des
édifices plus s o m p t u e u x , affectant u n e forme c a r r é e , et dont
la partie s u p é r i e u r e est formée p a r une coupole r o n d e ou
ogivale : c'est la qoubba classique, blanchie à la c h a u x ,
point de r e p è r e précieux p o u r le voyageur é g a r é . Parfois
enfin, à côté de la qoubba viendront s'édifier une école, u n e
maison d'asile, une m o s q u é e et l'habitation du chef religieux.
L ' e n s e m b l e de ces constructions porte le n o m de zaouia.
La zaouia est un lieu de refuge p o u r le fidèle qui vient
y prier et v i v r ' quelque temps d a n s la paix et l'isolement,
p o u r le voyageur qui y passera la nuit sans avoir à craindre
les voleurs et les c o u p e u r s de route, p o u r le p a u v r e qui est
toujours certain d'y trouver l'hospitalité, p o u r le réfugié,
enfin, qui m o m e n t a n é m e n t é c h a p p e r a à l'étreinte de ses
ennemis.
La zaouia s'érige ainsi en tribunal de paix et de concorde, et bien souvent des différends s'y régleront, des
adversaires s'y réconcilieront, des animosités s'y apaiseront.
Elle constitue un terrain n e u t r e où les poursuites s'arrêtent,
où la vengeance ne peut s ' e x e r c e r , où le criminel c o m m e
l ' h o m m e de bien trouvent un abri égal. C o m m a n d é e p a r un
p e r s o n n a g e généralement descendant du chérif, dont il se
— 53
-
réclame, elle est administrée par un m o q a d d e m , qui réunit
les offrandes et les ziaras a p p o r t é e s p a r les visiteurs et les
pèlerins, dont l'ensemble constitue les ressources de la zaouia.
Naturellement la personnalité morale et la réputation du
m o q a d d e m a une très g r a n d e importance p o u r la prospérité de l'institution.
Il existait d a n s la région
quentées autrefois :
z e m m o u r trois
zaouia
fré-
A. — Celle de Qabliyn, c o m m a n d é e p a r Moulay
M ' H a m m e d ould Moulay Ahmed avec Mouloud ould H a s s o u t
c o m m e m o q a d d e m . Affiliée à la confrérie des Kettaniyin,
elle subsiste encore aujourd'hui, mais a beaucoup perdu de
son influence.
B. — Celle des Ait Ouribel, c o m m a n d é e par Sidi
M o h a m e d Ben El H a d j , a été détruite par n o u s en 1 9 1 1 , son
chef s'étant enfui en dissidence à l'arrivée des t r o u p e s françaises ; se rattache à la confrérie des D e r q a o u a .
C. — Celle des Ait Sibeur, c o m m a n d é e par Sidi Dahat
avec M ' B a r e k comme m o q a d d e m . D'affiliation kertanite,
elle est en ruines a u j o u r d ' h u i . Son chef est toujours en dissidence.
La seconde était certainement la plus florissante et la
plus fréquentée. Leur zone d'action était cependant assez
restreinte et leur influence L,:alisée p a r suite de la concurrence et de la jalousie des zaouias voisines et aussi de l'action des caïds du M a k h z e n .
Ls indigènes du pays seuls les visitaient, y demeuraient
quelque temps pour faire leurs dévotions, assistaient à la
prière dite en c o m m u n le vendredi. C e u x qui se faisaient
r e m a r q u e r par leur piété, leur zèle surérogatoire, recevaient du moqaddem l'appellation de faqir (pluriel .- foqqara), et étaient généralement affiliés à une confrérie religieuse.
Des confréries se sont en effet créées sous la direction
de saints personnages, recrutant des adeptes un peu partout
qu'elles envoyaient ensuite dans les tribus les plus éloignées
du pays siba exalter la foi et réagir contre la froideur religieuse. Elles constituent de formidables organisations, disposant de ressources et de m o y e n s p r o p r e s , et e x e r ç a n t parfois une puissance considérable que le Sultan a cherché en
vain à combattre plusieurs fois.
— 54 —
T r è s n o m b r e u s e s (certains d o n n e n t le chiffre de 42),
elles m a n q u e n t certainement de cohésion entre elles et rivalisent d'influence. Elles ont cependant des principes comm u n s excellents : la recherche du bien et de la justice, l'observance des principes coraniques et des devoirs des musulm a n s . C e r t a i n e s de ces confréries sont r e p r é s e n t é e s chez les
Z e m m o u r , en particulier :
Les Touhamiyin ( 1 ) . dont le fondateur fut Moulay T h a m i ,
e n t e r r é à O u e z z a n . Cette confrérie, qui se rattache directement aux chorfa d ' O u e z z a n , est certainement la plus puissante et la mieux organisée. Elle compte de n o m b r e u x
adeptes d a n s les tribus Beni A h m e u r . Ses foqara jouissent
d ' u n e g r a n d e réputation de sagesse parmi leurs contribules,
et passent la plus g r a n d e partie de leurs journées en p r i è r e s .
;
Un o r d r e simila re est les T'albiyin (2), dont la doctrine fut prêchée par le frère de Moulay T h a m i : Moulay
T ' a ï e b , mais il ne compte pas de représentant dans le p a y s .
Les Tidjanivin (.-;), fondés par Si Ahmed Tidjani, e n t e r r é
à Fez ; o r d r e tranquille, se b o r n a n t à la récitation des
prières.
Les Kettaniyin (4), fondateur Sidi M o h a m m e d Kettani,
dont le tombeau est à Eez orôn;?nt surtout l'assistance
mutuelle.
Les Derqaoua (5), fondateur Moulay El Arbi, e n t e r r é
chez les Djebala : o r d r e affect.nt de m é o r i s e r les richesses.
Ses adeptes s'habillent de vêtements sordides, se coiffent
d ' u n e rezza verte, laissant croître cheveux et barbe, et se
nourrissent de farine d ' o r g e . Si ceux du pays paraissent assez
indifférents à ces pratiques, il n ' e n est pas de m ê m e des
(1) Sur les Chorfa d'Oua7?cn, Touhamiyin et T'aihiyin, cf.
Depont et Coppolani. Les Confréries religieuses musulmanes, p. 484
et suiv. E. Michaux Bellaire, La Maison d'Ouazzen, in Reçue du
Monde Musulman, T. V, p. 23 et suiv.
(2) Sur les T'aibiyin, cf. de Neveu, Les Khouan, 3' édit., Alger,
1913, p. 29 et suiv.
<3) Sur les Tidjanivin du
Maroc, cf.
Rinn,
Marabouts et
Khouans, pp. 416 et suiv. : Depont et Coppolani, Les Confréries
religieuses musulmam:s, pp. 439 et suiv. ; Montet, Les Confréries religieuses de l'Islam marocain, pp. 14 et suiv.
(4) Sur les Kiltaniyin, cf. Reçue du Monde Musulman,
I . V,
p. 403 et stiiv
(5) Sur les Derqaoua. cf. Rinn. op. cit., p. 108 et suiv. ; Depont
et Coppolani, oO. cit.. p. 503 et suiv. ; Montet, op. cit., p. 16 et
suiv. ; de Neveu, p. I 15 et suiv.
—
55
—
adeptes é t r a n g e r s , qui viennent parfois visiter la région.
Ce sont des fanatiques, e r r a n t de par les routes, a p p u y é s s u r
de longs bâtons, mendiant leur n o u r r i t u r e et se livrant sans
cesse à des imprécations contre les impies.
Les Naceriyin ( i ) , fondateur Sidi Ahmed
e n t e r r é dans l'oued Dra ; peu r é p a n d u .
ben
Nacer,
Les Qadriyin ( J ) , fondateur Sidi Moulay Abd el Q a d e r
Djilali, mort et e n t e r r é à Baghdad ; comptent peu de fidèles,
constitueraient plutôt un o r d r e violent et intransigeant. Les
prières sont récitées b r u y a m m e n t avec de n o m b r e u s e s
démonstrations e x t é r i e u r e s . L e u r s adeptes, au c o u r s de
leurs exaltations religieuses, se percent les joues, les bras,
les jambes avec de longues aiguilles ou des lames de couteau, et se livrent à toutes sortes d'exercices relevant plutôt
du domaine de l ' h y p n o s e .
Les quatre p r e m i è r e s confréries sont certainement celles
qui ont réuni le plus d ' a d h é r e n t s d a n s les tribus z e m m o u r ;
les deux dernières, bien que connues, n ' e n comptent q u ' u n
n o m b r e infime. Fn réalité, les Z e m m o u r sont toujours restés
insensibles à toutes ces influences, et si quelques-uns sont
e n t r é s dans des confréries, ils en connaissent à peine la
doctrine et s'en désintéressent. Ils sont restés Z e m m o u r avant
tout, jaloux de toute emprise, m ê m e sous le couvert de la
religion, p r e s q u e fiers de leur réputation de bandits et faisant le nécessaire d'ailleurs pour la c o n s e r v e r . Enfin, on
trouve e n c o r e chez eux des r e p r é s e n t a n t s de certaines confréries, d ' u n degré bien inférieur, bien qu'elles soient peutêtre les plus r é p a n d u e s .
Ainsi, les Aisanua (\), fondateur Sidi Mohamed ben Aïsa,
e n t e r r é à M e k n è s . H o n n ê t e s fellahs en t e m p s ordinaire, ils
se réunissent une fois l ' a n , à la fête du Mouloud, p o u r se
r e n d r e au pèlerinage à M e k n è s et visiter le tombeau du
cheikh de l ' o r d r e . C ' e s t alors qu'ils se livrent à toutes sortes
de d é b o r d e m e n t s et d'exaltations fanatiques. Ils organisent
(1) Sur les Naceriyin. cf. Rinn, op. cit., p. 277 et suiv. : Depont
et Coppolani. op. cil., p. 467 et suiv. : Monlet, op. cit., p. 2 0 - 2 1 .
(2) Sur les Qadriyin, cf. Rinn, op. cii., p. 173 et suiv. ;
Depont et Coppolani, op. cit., p. 293 et suiv. ; Montet, op. cit.,
p. 4 8 - 4 9 ; de Neveu, Les Khouan, 3" édit., Alger, 1913, p. 21 et
suiv.
(3) Sur les Aïsaoua, cf. Rinn, op. cit., p. 349 et suiv. ; Depont
et Coppolani, op. cit., p. 3 4 9 et suiv. : Montet, op. cit., p. 8 ët
suiv. ; de Neveu, p. 55 et suiv.
-
56
-
des processions, ils dansent la hadkra, danse faite de m o u vements du corps lents et lascifs, puis rapides et convulsifs,
p e n d a n t que la tête est secouée violemment en tous s e n s . Ils
atteignent bientôt ainsi un degré d'excitation qui en fait de
véritables fous furieux. Si, à ce moment, on leur jette un
mouton vivant, p a r e x e m p l e , ils se précipitent dessus,
I'égorgent avec les mains et les dents, et en dévorent toutes
les parties, peau et laine c o m p r i s e s . C ' e s t d'ailleurs là un
spectacle r é p u g n a n t car dans leurs yeux brillent des lueurs
féroces, tandis q u e le sang coule s u r leurs figures et l e u r s
vêtements.
L o r s q u ' i l s traversent le bled pour se r e n d r e à leur lieu
de pèlerinage, ils se font p r é c é d e r généralement de fifres et
de sonnettes, avertissant ainsi les gens de leur passage. Il
faut alors s ' e m p r e s s e r de faire évacuer les quelques a n i m a u x
qui sont restés s u r leur route, car ils les saisissent et les
e m p o r t e n t pour les sacrifices.
A cet o r d r e se rattachent : les Hamadcha (i) (cheikh Sidi
Ali ben H a m d o u c h du Z e r h o u n ) qui p r e n n e n t part aux
démonstrations des Aïsaoua, se frappent la tête et se tailladent le corps de coups de hachette ; les Dghoughiyin ( J ) , qui
lancent en l'air des boulets qu'ils se laissent ensuite r e t o m b e r
sur le c r â n e . On trouve des r e p r é s e n t a n t s de ces sectes
fanatiques chez les Kotbiyin, les Ait Ali ou I.ahssen et surtout les S e h o u l .
Les cinq devoirs qui sont imposés à tout bon m u s u l m a n
sont : le jeûne, la prière, l ' a u m ô n e , le pèlerinage, la g u e r r e
sainte.
Le jeûne n'est pas imposé aux jeunes gens n ' a y a n t
pas encore atteint l'âge de p u b e r t é . Mais, en général, les
Z e m m o u r observent peu ce précepte, et n o m b r e u x sont ceux
qui s'en dispensent totalement ou qui, tout au moins, y
apportent de sérieux t e m p é r a m e n t s .
L ' a u m ô n e est
certainement l'obligation la
mieux
acceptée, car elle s'accorde naturellement avec le t e m p é r a ment des indigènes. Un vieux p r o v e r b e dit : « La prière
conduit à mi-distance du P a r a d i s , le jeûne m è n e j u s q u ' à la
porte, seule l ' a u m ô n e la fait passer ». Aussi le M a k h z e n n ' a
pas hésité, p o u r faciliter la rentrée de certains impôts, à
leur d o n n e r un caractère religieux. D ' o ù la distinction e n t r e
(1) Sur les Hamadcha, cf. Mont, \oc. cit., p. 12-13.
(2) Sur bs Dglio.g'aiyin, cf. Montet, /oc. cit., p. 13.
— 57 —
les a u m ô n e s légales : zaka, et les offrandes faites librement
p a r les fidèles et les dons g é n é r e u x aux p a u v r e s .
Il n'est pas de fêtes, de réjouissances, où la part des
m a l h e u r e u x ne soit mise de côté. Les Z e m m o u r ne faillissent jamais à cette obligation, et, s'ils donnent u n e a u m ô n e ,
ils la donnent généreusement, sans se soucier s'ils tendent
une petite pièce de m o n n a i e ou u n e s o m m e plus i m p o r t a n t e .
T r i e r leur argent d a n s le but de limiter leur a u m ô n e serait
à leurs yeux p e r d r e tout le bénéfice de leur b o n n e action.
E x t r ê m e m e n t hospitaliers, ils hébergent toujours le passant
qui se présente à leur tente et se confie à eux sous la
r u b r i q u e du dhif Allah (hôte de D i e u ) . Il est vrai que, le lendemain, ils ne se gêneront pas pour le dévaliser en cours
de route s'ils le savent nanti d ' u n e quantité respectable de
d o u r o s ; leurs scrupules s ' a r r ê t e n t avec la limite de leur circonscription.
La plus g r a n d e ambition du m u s u l m a n est d'aller une
fois au moins dans sa vie visiter les lieux sacrés de la
M e c q u e . D a n s ce but, il économisera laborieusement l'argent
nécessaire et, lorsqu'il reviendra parmi les siens, il p o u r r a
faire p r é c é d e r son nom du titre de El Hadj (le p è l e r i n ) .
Si le n o m b r e des Z e m m o u r n'est pas très élevé dans le
contingent qui chaque année quitte le Maroc, c'est plutôt à
cause de la pauvreté de la population que du m a n q u e de
désir de leur part. I e u r n o m b r e oscille entre m et 15 par an.
N o u s avons vu p r é c é d e m m e n t que la g u e r r e sainte n'est
pas p r é v u e et que celle-ci a plutôt les allures d ' u n e lutte
p o u r la défense de leur indépendance q u ' u n appel aux a r m e s
contre l'ennemi de leur religion.
D'ailleurs
l'étroitesse
et
l'intolérance
du
dogme
m u s u l m a n étaient incompatibles avec le caractère et les habitudes z e m m o u r . T r o p ignorants pour se livrer à l'étude de
la langue et des principes coraniques, ils ne sont que très
superficiellement islamisés et on retrouve chez e u x de nom
breux débris de croyances primitives et de superstitions
anciennes. Ainsi la peur des djenoun est restée profondément ancrée en leur esprit. Nul ne met en doute que le
djinn, être mystérieux et malfaisant, rôde constamment dès
la tombée de la nuit et menace les voyageurs. Il fréquente
de préférence les endroits s o m b r e s , plantés d ' a r b r e s , ou les
b o r d s des rivières dans lesquelles il entraîne ses victimes.
Aussi, avant de t r a v e r s e r un oued, la nuit venue, il sera bon
-
5«
-
de p r e n d r e ses précautions contre le mauvais génie, et il
faudra répéter plusieurs fois : ••< Bism Allah ar-rahman ar
Rahim » (au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux).
Le djinn sera sans nul doute obligé de s'enfuir. De m ê m e ,
s'il p é n è t r e dans u n e tente, c'est p o u r prédire la m o r t de
l'un des habitants. Il y a donc lieu de l ' e m p ê c h e r d'y entrer,
et dans cette intention, on lui p r é p a r e à discrétion des plats
de couscous, q u e l'on placera à la tombée de la nuit p r è s
de la source ou du puits où il s'abrite dans la j o u r n é e . Le
sel et le goudron sont également très r e c o m m a n d é s .
Enfin, c o m m e toutes ces frayeurs sont cause d'insomnies fréquentes, il est bon de se m é n a g e r de t e m p s à autre
une b o n n e nuit en s'aspergeant le corps d'eau salée avant
de s ' e n d o r m i r . Le procédé est absolu, paraît-il! l e s djenoun,
poussés p a r leurs mauvais instincts, cherchent parfois à
détruire les meules de céréales, fruit du travail du p a u v r e
fellah. On a u r a encore r e c o u r s au goudron et à l'eau salée,
q u ' o n r é p a n d r a s u r les grains désormais protégés contre
leur action.
C o m m e on le voit, l'indigène est très superstitieux, et
la peur des djenoun le hante sans cesse : mais il est bien
possible que cette crainte, habilement entretenue chez les
simples, soit mise à profit par q u e l q u e s - u n s . C ' e s t ce que
me faisait c o m p r e n d r e l'un des p e r s o n n a g e s de la région,
lorsqu'il me disait avec un fin sourire : •< Les djenoun...
mais fous les Z e m m o u r en sont ».
T o u j o u r s est-il que le Z e m m o u r en voyage e m p o r t e r a
toujours deux choses : son fusil p o u r se défendre contre les
mortels, une amulette, cousue dans un petit sac en cuir,
pour conjurer le mauvais esprit contre lequel son courage
ne peut r i e n .
Il y a également certaines pratiques qui sont intéressantes à connaître :
Y a-t-il une trop g r a n d e sécheresse et la récolte est-elle
m e n a c é e ? Les gens du douar se réunissent, r e n v e r s e n t la
tente école, puis vont c h e r c h e r une vache de robe noire
qu'ils traînent p a r les oreilles et p r o m è n e n t autour des
tentes. Ils frappent de leurs mains en criant : « Es Seboula
Akhana, ghitini ta moulana » (l'épi a soif, ô mon Dieu,
aidez-moi). C h a q u e fois que la procession passe devant une
khima, le propriétaire de celle-ci jette le contenu d ' u n seau
d'eau en l'air ; le liquide retombant s u r les gens simule la
pluie désirée, qui dès lors ne saurait tarder à t o m b e r !
— 59 —
Cette fois, les v œ u x sont exauces et la pluie tombe,
mais tellement en abondance que les craintes renaissent
dans le sens o p p o s é . Il y a lieu de l ' a r r ê t e r . D e u x m o y e n s
se présentent p o u r cela :
Les femmes emplissent d'eau un pilon à grains, qu'elles
couvrent d ' u n e planchette et enfouissent à une légère p r o fondeur dans le sol ; s u r le tout est r a p p o r t é e une légère
couche de terre sur laquelle un feu sera allumé. De cette
façon on d e m a n d e que la pluie disparaisse c o m m e l'eau du
pilon d e m e u r e cachée dans la t e r r e .
Un second procédé consiste à planter en terre u n e
aiguille longue, la pointe effilée en l'air. Mais il faut avoir
soin d ' e m p l o y e r une aiguille ayant servi au préalable à
coudre le linceul d ' u n m o r t .
P o u r apaiser un o u r a g a n , on prend la crépine d ' u n
mouton égorgé par l'Aïd el Kebir. et q u ' o n a soigneusement
laissée sécher dans u n e tente. On la coupe en petits m o r c e a u x
q u ' o n projette en l'air.
Enfin, il y a les devins et devineresses (maouchia ou
n'daka), qui lisent l'avenir dans la main, font des prédictions et indiquent les emplacements d'objets égarés, p e r d u s
ou volés.
On trouve également les maciciens et magiciennes pratiquant la demi-sorcellerie. Il v a lieu de r e m a r q u e r que ce
sont surtout les femmes oui s ' a d o n n e n t à ces pratiques, et
c'est elles que l'on va trouver dans les cas difficiles :
r e p r e n d r e un mari qui se détache de vous, réchauffer l'ardeur de son a m o u r , asservir sa volonté à ses uésirs, etc.
La magicienne n ' e s t jamais à bout de ressources et connaît
une g r a n d e variété de r e m è d e s et de procédés m y s t é r i e u x .
Ainsi, une femme stérile qui désire avoir des e n t a n t s
pour ne pas être répudiée par son mari ira trouver u n e
mqeddema. Celle-ci lui enduit les gencives et les dents de
souak. lui met du khol aux y e u x et u n e application de henné
aux pieds : puis elle se p r o c u r e un jeune coq noir, et, après
avoir enlevé une partie des vêtements de la femme, p r o m è n e lentement l'animal sur toutes les parties de son corps
sans exception. Le manège continuera j u s q u ' à la m o r t de la
bête. P e n d a n t la cérémonie, qui a lieu de suite a p r è s le
dohor, c'est-à-dire a p r è s le milieu de la journée, l ' o p é r é e
doit se n o u r r i r d'aliments sans sel ; o r d i n a i r e m e n t la m o r t de
l'animal se produit avant le coucher du soleil ; le coq, enve-
— 6o —
loppé d ' u n linceul, est enseveli d a n s une Fosse creusée à son
intention, avec le m ê m e rite que s'il s'agissait d ' u n e personne h u m a i n e . La mqeddema assiste à l ' e n t e r r e m e n t .
Il appert de toutes ces pratiques que le culte superstitieux et mystique des primitifs a survécu en dépit du dogme
m u s u l m a n . D'ailleurs les Z e m m o u r n'hésitent pas à adapter
la religion à leurs besoins et joindre le caractère pratique au
côté idéaliste. Aussi, lorsqu'ils vont en pèlerinage à un m a r a bout vénéré, ils vont sans nul doute faire l e u r s dévotions,
mais n'oublieront pas cependant que Moulay Yaqob guérit la
syphilis, que Moulay Idriss est très r e c o m m a n d é p o u r les
r h u m a t i s m e s et la stérilité, que Moulay bou Azza des Zaïan
assure la fécondité des femmes. Si les tombeaux des saints
locaux sont de leur part l'objet de démonstrations de piété,
il n ' e n est pas moins vrai que le fidèle sera c o m m e p a r
hasard un malade qui a une guérison à d e m a n d e r . T o u t en
faisant ses prières, il immolera un mouton aux m â n e s du
saint dont il implorera le secours, mouton qui, d ' a p r è s la
coutume, doit être a b a n d o n n é sur place au bénéfice du p r e mier passant.
II ne faut n é a n m o i n s pas nier l'influence très réelle des
chorfa s u r les populations z e m m o u r , bien plus effective que
ne l'a jamais été celle des Sultans. C ' e s t ainsi q u ' à la voix
du chérif Moulay Taïbi, ces insoumis irréductibles se levèrent
en masse p o u r aller défendre la cause du Makhzen contre les
Ghiata, les Tsoul et H a y a ï n a . U n e h a r k a de cavaliers zemm o u r aida Moulay Abd el Aziz à combattre le p r é t e n d a n t Bou
H a m a r a qui menaçait la capitale. Mais de pareils sentiments
ne pouvaient d u r e r , et a p r è s deux ou trois mois d ' u n e a d h é sion inaccoutumée au pouvoir central, les Z e m m o u r décidèrent de r e n t r e r chez eux, e m p o r t a n t 4.000 fusils et de l'argent. L o r s q u ' i l s revinrent quelques mois plus tard s u r un
nouvel appel du Makhzen, ils mirent littéralement la ville de
Fez au pillage, saccagèrent les s o u q s de la capitale, dévalisèrent les négociants, dévastèrent les p r o p r i é t é s . P u i s ,
lorsque le Sultan se p r é p a r a à d o n n e r l ' o r d r e de départ à la
mehalla, les Z e m m o u r , gorgés de butin, ne se sentirent
aucune disposition pour engager de n o u v e a u x combats,
plièrent leurs tentes un beau matin et regagnèrent leur p a y s .
Inutile d'ajouter que le M a k h z e n , instruit par l'expérience,
ne sollicita plus jamais leur intervention.
En r é s u m é , les Z e m m o u r b e r b è r e s forment une p o p u lation e x t r ê m e m e n t fermée, orgueilleuse, vindicative, jalouse
— a i de son indépendance et du respect de son territoire. Ils ne
se sont pas plus soumis à l'autorité m a k h z é n i e n n e qu'ils ne
se sont laissés d o m i n e r p a r l'absolutisme de la religion musulm a n e . T r o p insuffisamment arabisés, p o u r ainsi dire complètement illettrés, ils ne pouvaient, de p a r leurs origines
et leur t e m p é r a m e n t , p r e n d r e q u ' u n e teinte très superficielle
de l'islamisme.
C'est pourquoi ils virent en nous bien plus l'ennemi de
leur liberté et de leurs prérogatives que celui de leur religion, et la résistance qu'ils nous o p p o s è r e n t fut bien plus
dirigée contre l'étranger que contre le roumi. Aussi est-il
nécessaire de tenir compte, d a n s nos méthodes administratives, de leur race, de leurs coutumes locales et de leurs traditions anciennes. L'observance de ce principe, et leur i n a n férence en matière religieuse, sont certainement les meilleurs
facteurs de notre réussite et les plus solides garanties de
notre domination.
CAPITAINE
QUERl.EUX,
Chef du Bureau des Renseignements de T if let.
LE TALION ET LE PRIX DU SANG
CHEZ LES BERBÈRES P R O G R E S
Avant de tendre à la p r é s e r v a t i o n sociale, ou m ê m e à
la moralisation du coupable, la répression n ' e s t à l'origine
que la revanche prise p a r la victime de l'infraction ou p a r
les siens. C h e z tous les peuples primitifs, la vendetta existe
au profit de l'individu ou du clan offensé contre l ' a g r e s s e u r
ou la collectivité dont il t'ait partie : le talion est la p r e m i è r e
loi p é n a l e .
A ce droit de vindicte privée, qui peut faire l'objet
d ' u n e renonciation gratuite ou payée, vient se s u p e r p o s e r
plus tard la vindicte publique, sur laquelle la société ne
transige pas, et qui absorbe peu à peu, ou du moins discipline le droit de l'individu en lui interdisant de se faire justice lui-même ; la réparation aussi bien que la répression
est alors a s s u r é e p a r l'Etat.
Cette évolution c o m p o r t e de n o m b r e u x stades intermédiaires, c o r r e s p o n d a n t à des degrés plus ou m o i n s élevés
d'organisation sociale.
La vengeance privée et l'action
publique coexistent d ' a b o r d en restant i n d é p e n d a n t e s ;
mais à m e s u r e que celle-ci se développe, elle p r e n d s u r î o n
aînée un ascendant de plus en plus considérable et l ' a m è n e
progressivement à résigner e n t r e ses m a i n s un pouvoir dont
elle fera un usage plus équitable et plus h u m a i n .
La transition s ' o p è r e p a r le système de la composition.
Le rétaliateur est maître d ' e x e r c e r sa vindicte ou d ' y
renoncer, soit en p a r d o n n a n t au coupable, soit en acceptant de lui un d é d o m m a g e m e n t . L ' a b a n d o n de la vengeance,
(I) La plupart des matériaux qui ont servi pour cette étude ont
été puisés dans des rapports fournis à la Résidence Cénérale par les
Officiers du Service des Renseignements sur les coutumes locales en
matière de diya.
-
6
3
—
s u r t o u t lorsqu'il est acheté, c o m m e n c e p a r s o u l e v e r l a r é p r o bation ; puis les moeurs deviennent m o i n s fières en devenant moins farouches, et ce qui était l ' e x c e p t i o n h o n n i e est
consacré c o m m e c o u t u m e a d m i s e . La compensation, débattue
par les parties, est bientôt fixée par la c o u t u m e , qui fait loi,
et dès qu'il existe un pouvoir assez fort p o u r l ' i m p o s e r , elle
cesse d ' ê t r e facultative : dès lors le talion a vécu, et il n ' y a
plus d'option ouverte au profit de la victime ou de ses a y a n t s
cause, d é s o r m a i s forcés d'accepter la composition légale ( 1 ) .
La p e i n e infligée au nom de la société, contre laquelle l ' a u teur de l'infraction a péché en y troublant l ' o r d r e , p r e n d le
pas de plus en plus s u r cette r é p a r a t i o n de l'atteinte p o r t é e
a u x intérêts particuliers de l'individu ou du clan. La juridiction qui p r o n o n c e la p r e m i è r e en vient à a p p r é c i e r le
taux de la seconde, l ' o p p o r t u n i t é m ê m e de l ' a c c o r d e r , et
d a n s le dernier état du droit la répression socialisée domine
la vindicte privée au point que de la loi b a r b a r e du talion
ne subsiste que ce résidu juridique : la faculté de r é c l a m e r
des d o m m a g e s - i n t é r ê t s .
L e s B e r b è r e s n ' o n t franchi que les p r e m i è r e s étapes
de cette évolution du droit p é n a l . L o r s q u e la F r a n c e soumit
la Kabylie, elle y trouva la vengeance privée (thamegueret,
a r . reqba - litt. cou), exercée p a r la k h a r o u b a , et la vindicte publique, e x e r c é e p a r le village ; mais celle-ci n'existait
que l o r s q u e l'infraction portait atteinte à l ' h o n n e u r ou à la
sécurité générale, et elle n'avait p a s a b s o r b é le droit privé,
(1) C'est le point auquel était arrivé le droit germanique lorsque
furent codifiées les lois franques des Saliens et des Ripuaires, qui contiennent les tarifs des compositions (Wehrgeld) à payer pour le meurtre
de toutes les catégories de personnes, car elles variaient suivant la condition sociale de la victime.
D e s institutions parallèles ont été relevées en droit celtique, iranien, Scandinave.
La loi romaine des X I I I ables montre l'évolution déjà achevée
pour les délits publics, dont le meurtre, et plus ou moins avancée pour
les délits prr.^s, où le droit de l'offensé prime encore celui de la
société, mais où il n'a plus qu'en certains cas (libelle diffamatoire,
rupture d'un membre, vol Haçjrant) le choix entre la vengeance et la
composition, qu'il est forcé d'accepter dans les autres (fracture d'un
os, coups et blessures, vol non flagrant, etc.). Cf. Girard, Manuel de
Droit romain, pp.
3 9 0 sqq.
Il est à noter que la diffamation est avec l'adultère l'un des cas
où subsiste encore dans la loi française un droit privé de répression
(Hanoteau
et Letourneux, La Kabylie
et les
Coutumes
kabvlcs.
tome III. p. 106).
-
6
4
-
sauf d a n s des cas assez r a r e s . Le plus souvent elle s ' e x e r çait i n d é p e n d a m m e n t de ce droit, et parfois elle lui prêtait
main forte. Le talion était la règle, et la composition n'était
admise que dans quelques tribus plus arabisées du versant
méridional du Djurdjura ( i ) .
Cette admission est évidemment due à l'influence de
la loi m u s u l m a n e , qui laisse le choix, en matière de m e u r t r e
ou de blessures intentionnelles, entre l'exigence du talion
(qiçàç) et l'acceptation du prix du sang (diva), et impose la
diya en matière d'homicide ou de blessures involontaires.
Le montant de la diya est fixé p a r la loi : il y a donc composition légale, tantôt facultative, tantôt obligatoire. U n e
peine est p r o n o n c é e contre le m e u r t r i e r dont on a accepté
le prix du sang : la société agit contre le coupable qui
é c h a p p e au talion en rachetant sa vie.
L o r s q u e la doctrine m u s u l m a n e lut importée en Afrique,
elle r e n c o n t r a chez les B e r b è r e s une doctrine moins évoluée, tant au point de vue juridique q u ' a u point de vue dogmatique et politique ; et de m ê m e que le m o n o t h é i s m e rigide
du P r o p h è t e dut incorporer les vieux cultes naturistes en
leur i m p r i m a n t seulement une islamisation superficielle, de
m ê m e que la constitution démocratique des cités (2) berbères résista à la théocratie des khalifes, de m ê m e le Chraâ
islamique fut souvent réduit à c o m p o s e r avec les coutumes
auxquelles ces populations indépendantes étaient fermement
attachées. N é a n m o i n s le contact avec des institutions plus
avancées eut p o u r effet de hâter à certains é g a r d s l'évolution
de ï'azref b e r b è r e : c'est ainsi q u ' e n matière pénale le système primitif de la vengeance p u r e a fait place à celui de la
composition facultative d a n s certaines tribus.
L'option e n t r e la vengeance et l'acceptation du prix du
sang est admise au M a r o c p a r la majorité des tribus b e r b è r e s
du g r o u p e septentrional (3) : Ait Mgild, Ait N d h i r , Izayan,
Ait T s e g h r o u c h e n , Ait Youssi, etc. C h e z les Igerouan, l'islamisation est e n c o r e plus complète, puisque le talion a été
absolument supplanté p a r la diya d a n s le cas d'homicide ou
(1) Hanotcau et Letourneux, op. cit., tome III, 3" section.
(2) Nous prenons ici, bien entendu, le mot cité dans le sens du latin
cioitas, non dans celui d'agglomération urbaine.
(3) Sur le groupe du Sud-Ouest (Chleuh de l'Atlas de Marrakech, du Sous, etc), nous ne disposons pas d'indications nous permet-
tant de nous prononcer.
— fis —
de blessures involontaires ( i ) . Il en
Kabylie, dans quelques villages (2).
était
de
m ê m e , en
Mais les Imazighen du Sud-Est (Ait Atta du Reteb, Ait
Izdeg, Ait Aissa, Ait M o r g h a d , Ait H a d d i d o u (3), les B e r a ber (Ait Yafelman, Ait Atta) (4), les Djebala du N o r d et les
tribus non soumises de la région de l ' O u e r g h a (5) s'en
tiennent encore, c o m m e la plupart des Kabyles (6), au
vieux principe d ' a p r è s lequel la dette de sang ne peut se
p a y e r que p a r le sang, et r é p r o u v e n t toute transaction pécuniaire (7). D ' a p r è s les p r e m i e r s , se faire p a y e r la diya serait
« v e n d r e l ' â m e du mort » et l ' e x p o s e r à être t o u r m e n t é e éternellement d a n s l'autro m o n d e . Celui qui souscrirait à un
pareil m a r c h é encourrait le m é p r i s public. Q u e la victime ait
été tuée volontairement ou non, u n e tête vaut u n e tête. Les
m o n t a g n a r d s , d ' a p r è s certaines indications, ne se contenteraient m ê m e p a s d ' u n e seule exécution et immoleraient,
o u t r e le m e u r t r i e r , un ou d e u x de ses p a r e n t s (8).
C e s représailles avec u s u r e , contraires à la c o u t u m e
kabyle (9), et dont l'existence ne nous a p a s été attestée
dans d ' a u t r e s tribus m a r o c a i n e s , sont s a n s doute le vestige
(1) Rapport du Colonel Seal, Commandant la Région de Meknès.
On a constaté également dans le territoire de Bou Denib que plus les
Berbères se rapprochent des tribus arabes, plus le principe de la diya
reprend de force. Ex. : Ait Bouchaouen et Beni Guil. (Rapport du
Lieutenant-Colonel Bertrand, Commandant le Territoire de Bou
Denib).
(2) Llanoteau et Letourneux, III, p. 71.
H) Nous devons la plupart des renseignements que nous donnons
sur v-es populations à l'obligeance de VI. Nehlil, le distingué Directeur de l'Ecole Supérieure de Langue arabe et de Dialectes berbères
de Rabat.
(4) Lieutenant-Colonel Bertrand.
(5) Rapports du Colonel Jouinot-Gambetta, Commandant la
Région de Rabat, et du Chef de Bataillon Becker, Commandant le
Cercle de l'Ouergha.
(6) Hanoteau et Letourneux, III, p. 6 2 .
(7) Certaines tribus, qui admettent la diya entre leurs membres,
ne composent pas ou ne composent qu exceptionnellement avec les gens
d'autres tribus : ainsi les Bouhassoussen (Izayan) avec les Arabes. Il
semblait du reste impossible à un Arabe de venir tirer vengeance d'un
meurtrier en pays zayan et réciproquement. (Rapport du Capitaine
Mortier, Chef du Bureau des Renseignements de l'Annexe de Moulay
Bou Azza.)
(8) Chef de Bataillon Becker.
(9) Hanoteau et Letourneux, III, p. 6 2 .
—
66
—
d ' u n âge plus b a r b a r e , où la vengeance ne connaissait pas
de loi et n'avait d ' a u t r e frein q u e la force. En général, on
ne dépasse p a s le talion, c'est-à-dire le châtiment m e s u r é à
l'offense, et si n o u s n ' a v o n s pas relevé au Maroc, c o m m e
en Kabylie, l ' e x i g e n c e précise d ' u n e équivalence r i g o u r e u s e
de qualité entre la victime de la thamegret et celle de
Vertal ( i ) , du m o i n s l'équivalence de quantité est-elle la
règle o r d i n a i r e .
La vengeance peut d'ailleurs s ' e x e r c e r , en principe,
c o n t r e tout p a r e n t du m e u r t r i e r aussi bien que contre luim ê m e : en vertu de cette solidarité du clan qui est un trait
c o m m u n à toutes les organisations sociales primitives, tous
ies m e m b r e s de la famille (guulsa des B r a n è s , ri] des Z a ë r )
sont débiteurs au m ê m e titre du sang versé p a r 1 un d ' e u x .
De m ê m e chacun des p a r e n t s de la victime a le droit d ' e x e r cer la v e n g e a n c e .
En fait, cette responsabilité collective est souvent
écartée, de sorte que la vengeance ne s ' e x e r c e pas c o n t r e
les khuut (frères au sens large) du m e u r t r i e r . Ceux-ci
obtiennent de la famille de la victime leur mise h o r s de
cause m o y e n n a n t le paiement d ' u n e s o m m e appelée, suivant ies régions, fçàl (2) ou tcbriya (3). Cette t r a n s a c tion, que les c o u t u m e s kabyles e u s s e n t p r o b a b l e m e n t
r é p r o u v é e (4), est en usage d a n s les tribus b e r b è r e s du
(1) Hanoteau et Letourneux, III, p 6 4 . Les Kabyles appellent
citai (prêt) l'homicide initial qui a donné naissance à la reqba. (lbid.,
111, p. 6 3 ) .
(2) Berbère du Sud-Est.
(3) Izayan, région de b e z . — Les Izayan lappellent, sous une
forme berbérisée, leblith. Avant de dégager complètement par ce
moyen leur responsabilité, les parents du meurtrier peuvent obtenir de
ceux du mort une trêve dite lehna, pendant laquelle ils peuvent rester
dans la tribu sans être exposés à aucunes représailles. L observation
rigoureuse de la trêve est garantie par Yah.mil, choisi parmi les parents
de la victime. Cette trêve est ordinairement de dix jours, exceptionnellement d'u> mois, et peut être prorogée de deux mois en deux mois
jusqu'à concurrence d'un an. A l'expiration de lehhna, les parents du
meurtrier doivent suivre celui-ci dans sa fuite, ou payer la teblith si
elle est acceptée par la famille de la victime.
Nous empruntons ces détails à une étude très documentée de
M. l'interprète-stagiaire Loubignac, du poste de Moulay Bou A z z , sur
la diya chez les Iza\)an.
(4) En Kabylie, en effet, la vengeance pouvait s'exercer contre
tous les parents du meurtrier, et celui qui se rachetait à prix d'argent
était méprisé de tous, et même parfois puni d'une amende. (Hanoteau
et Letourneux, III, p. 61.)
Sud-Est, d a n s celles de la région de Fez et chez les I z a y a n .
D a n s la région de Fez, la tebriya est p a y é e p a r le frère ou
le plus p r o c h e héritier du m e u r t r i e r ( i ) et fixée p a r la
djemâa ; lorsque le m e u r t r i e r est inconnu, tous les m e m b r e s
de la djemâa sont t e n u s de la p a y e r , à m o i n s qu'ils ne
désignent le coupable (2). C h e z les B r a n è s (3), elle est
versée p a r les p a r e n t s éloignés, et quelquefois aussi p a r les
frères et les p r o c h e s p a r e n t s du m e u r t r i e r , qui reste alors
seul soumis à la r e q b a . C h e z les B o u h a s s o u s s e n (Izayan),
la tebriya est p a y é e p a r la famille et quelquefois m ê m e p a r
la fraction ; on égorge un animal p o u r la faire a g r é e r des
p a r e n t s de la victime. Le m o n t a n t en est fixé p a r la djemâa ;
il varie suivant les relations a n t é r i e u r e s d e s d e u x familles,
l'état de fortune des intéressés, l ' a n n é e b o n n e ou m a u v a i s e ,
et peut aller d ' u n qaleb de sucre à 200 r é a u x (4). La tebriya
n ' e s t jamais r e m b o u r s é e . L e s Izayan l'imputent s u r la diya
quand elle est ensuite acceptée ; les B r a n è s , au c o n t r a i r e ,
ne la font jamais e n t r e r en ligne de c o m p t e .
Ainsi désolidarisés d'avec le m e u r t r i e r , ses « frères »
échappent à la nécessité de le suivre d a n s sa fuite (5) ; car il
quitte toujours le territoire de la fraction ou de la tribu
p o u r c h e r c h e r au d e h o r s un asile plus s û r . Il y est m ê m e
poussé souvent p a r ses p r o p r e s p a r e n t s ou sa djemâa.
S'il ne s'éloignait, en effet, il serait e x p o s é à tomber
sous les coups des p a r e n t s de sa victime, qui ont le droit
de le tuer là où ils le r e n c o n t r e n t , sauf d a n s u n e zaouia,
s u r un m a r c h é ou s u r la route qui y conduit, au c o u r s d ' u n e
fête ou d ' u n m a r i a g e , d a n s la maison d ' u n tiers, ou en p r é sence d ' u n e femme ((>). C e s diverses restrictions découlent
( I ) Rapport du Capitaine de Blois, Chef du Service des Renseignements du poste d'Anoceur. Le plus proche héritier supporte-t-il
seul cette charge ou toute la famille y centribue-t-elle ? Nous ne
01r1u.es pas en mesure de l'affirmer.
(2)
Ibidem.
(3) Les renseignements que nous reproduisons sur les Branès sont
tirés d'une intéressante monographie consacrée à cette tribu par
M. l'Officier Interprète de l ' classe Trenga.
(4) Capiuii'i Mortier.
(5) A Merzaga (Zaër), où l'usage de la tebriya n'est pas signalé,
le ril du meurtrier quitte avec lui le douar où il a commis son crime.
(Rapport du Lieutenant Tailhadc, Chef du Bureau des Renseigner.ïen • )
(6) Trenga, op. cit. Sur la anâ'ia de la femme, cf. Hanoteau et
Letourneux, III, p. 8 0 . Il est rare que l'on se venge sur une femme.
r
—
68
—
toutes du mezrag
'anàia kabyle) ( i ) , de la protection
accordée à l'hôte, au réfugié, à celui qui s'est placé sous
l'égide d ' u n e p e r s o n n e ou qui se trouve d a n s un lieu inviolable.
C ' e s t en considération de la m ê m e idée que le m e u r trier fugitif sera en sécurité dans la tribu, le village, le clan
étranger qui lui aura d o n n é asile. S'il y était tué, il y aurait
violation du mezrag, ce qui entraînerait de graves conséquences : le respect de cette s a u v e g a r d e est chose sacrée,
et sa r u p t u r e , qui peut déchaîner la g u e r r e (2), fait naître
un droit de vengeance au profit du protecteur o u t r a g é . Moins
r i g o u r e u x que les Kabyles, les C h l e u h d ' A n o c e u r (3) et les
Ait Mgild (4) permettent à l ' a u t e u r de cette violation de s'en
libérer en versant au maître du m e z r a g qu'il a enfreint une
indemnité dite 'dr (honte) (5). Mais il reste débiteur du
sang e n v e r s la famille de l ' h o m m e qu'il a tué (0). C h e z les
Izayan, le protecteur qui n ' a pu sauver son protégé parait
agir p o u r le compte de la famille du mort en m ê m e temps
que p o u r le sien p r o p r e : il doit tuer le violateur du m e z r a g
ou l ' u n de ses p a r e n t s , ou se faire r e m e t t r e p a r eux
200 m o u t o n s et 50 d o u r o s qu'il partage avec les p a r e n t s
de la victime. C ' e s t ce q u ' o n appelle « d i y a t - e l - a r ». D a n s
l ' u n et l ' a u t r e cas, la dette, payée p a r le talion ou p a r la
composition, est éteinte à l ' é g a r d de tous (7). linfin certaines tribus astreignent le maître du m e z r a g violé à p a y e r
et les parents du meurtrier peuvent généralement venir, sans être
inquiétés, au souq de la tribu, qu'elles ne quittent pas pour suivre leur
famille. U n e sauvegarde temporaire peut parfois être accordée au
meurtrier ou à l'un de ses parents, qui revient dans la tribu pour une
affaire exigeant sa présence. 11 y séjourne alors sous la protection de
1 ameztidh (ar. I^asi) qui l'accompagne partout. 11 en est ainsi chez les
Izayan (Loubignac)
(1) V. Hanoteau et Letourneux, II, p. 61 et suiv., III, pp.
77 ss., 107 ss.
(2) La horma de la tribu ou du groupe est, en effet, intéressée à
ce que réparation soit obtenue, au besoin par les armes.
(3) Capitaine de Blois.
(4) Notes sur » La Société berbère >:, par l'Officier interprète
stagiaire Condamine.
(5) Sur le 'âr, cf. Doutté, En Tribu, pp. 252 ss. : Westermarck,
L'âr, or tbe Transparence oj conditional curses in Morocco, dans les
« Anthropological Essais presented to E. B. Tylor » (Oxford, 1907),
pp. 361 ss.
(6) Cf. Hanoteau et Letourneux, III, p. 8 1 .
(7) Capitaine Mortier.
-
6o
-
aux p a r e n t s de son protégé u n e indemnité (50 brebis chez
les Igerouan) ( 1 ) .
Le m e u r t r i e r réfugié d a n s u n e tribu voisine et protégé
p a r le m e z r a g ne r i s q u e g u è r e de p a y e r de sa vie son forfait ; ses biens sont quelquefois saisis et cultivés p a r les
créanciers du s a n g . Cette confiscation est en usage chez les
Ait Mgild, les Z e m m o u r et les Z a ë r ; ceux-ci, qui solidarisent toujours avec le m e u r t r i e r ses p r o c h e s p a r e n t s (rif)
et ne leur p e r m e t t e n t pas, semble-t-il. de se d é r o b e r à cette
solidarité (2), font également main basse s u r leurs p r o priétés q u a n d ils ont fui leur d o u a r . Aucune trace ne subsiste
d a n s l'orf des B r a n è s de l ' u s a g e de démolir la maison du
m e u r t r i e r , qui se r e t r o u v e en Kabyl'e (3), ni du s é q u e s t r e de
ses biens au profit de la famille de la victime. C e p e n d a n t ,
ces m e s u r e s ont pu y exister à l'origine, et c'est peut-être
p o u r s'y soustraire q u e les p a r e n t s du m e u r t r i e r , qui vivent
p r e s q u e toujours d a n s l'indivision avec lui, ont c o m m e n c é
à d e m a n d e r leur mise h o r s de cause (4). Quoi qu'il en soit,
le c o n c o u r s de l'indivision et de la tebriya rend impossible
ou illusoire cette m a i n m i s e s u r les biens du débiteur du
sang, et faute de pouvoir l'atteindre d a n s sa p e r s o n n e ni
d a n s son patrimoine, les p a r e n t s de la victime se r é s o u d r o n t ,
l o r s q u e l'azref local ne le leur interdira pas, à p r ê t e r l'oreille
a u x offres de composition qui leur seront faites de la p a r t
de l'exilé d é s i r e u x de r e n t r e r d a n s sa fraction.
C ' e s t habituellement a p r è s q u e la violence de leur r e s sentiment a eu le t e m p s de s'apaiser, c'est-à-dire au m o i n s
un an a p r è s le crime, que les p o u r p a r l e r s sont e n t a m é s ,
g é n é r a l e m e n t p a r l ' e n t r e m i s e des m a r a b o u t s , des chorfa,
des notables du d o u a r du m e u r t r i e r ou du d o u a r où il s'est
réfugié (5).
(1) Colonel Seal.
(2) Cf. ci-dessus, p. 9. note 1.
(3) Hanoteau et Letourneux, III, pp. 70, 109.
(4) Trenga, op. laud.
(5) Chez les Izayan, l'intermédiaire choisi pour entamer les
pourparlers est un notable choisi parmi ceux de son douar et nommé
akesouath. II reçoit du meurtrier un aâl°ib (arabe : taârqiba) ; c'est
un nouvel exemple de la permutation de / et de r, cf. tcblith pour
tebriya, p. 7 n° 3, comprenant en pénéral un taureau, un bélier, une
brebis, de la farine et quelques cruches de beurre salé (oudi). L'n^esouath, accompagné de la grande djcmâa, se rend chez
famille de
la victime : on coupe le jarret du taureau (d'où le nom de taârgib),
on égorge les autres bêtes et, pendant la diffa, le délégué du meur-
— 7o —
On égorge un animal ( i ) et les négociations comm e n c e n t . Elles sont souvent longues et laborieuses, c o m m e
toutes les tractations en pays m u s u l m a n , et d'autant plus
que les p a r e n t s du mort, m ê m e s'ils ne r é p u g n e n t p a s au
fond à accepter le prix du sang, aiment à paraître céder à
des instances pressantes, pour ne pas avoir l'air de tirer
un profit pécuniaire du m e u r t r e de leur p a r e n t . Il y a là un
reste de la vieille conception, non d é p o u r v u e de noblesse,
qui attache u n e idée de d é s h o n n e u r au paiement du sang
a u t r e m e n t q u e par le sang. Parfois c e p e n d a n t la c o u t u m e
oblige la famille du mort, au bout d ' u n certain temps, à se
contenter de la diya : la vengeance peut s ' e x e r c e r pendant
un délai, passé lequel la composition ne peut plus être
refusée. Il en est ainsi, au bout de deux ans au plus, chez
les Ait Ndhir, et la diya est exclusive de toute autre
peine (2). La diya est aussi obligatoire chez les Ait Mgild,
lorsqu'il s'agit du m e u r t r e d ' u n e femme p a r son m a r i (3).
L o r s q u ' o n s'est mis d'accord sur l'acceptation de la
diya, la réconciliation s ' o p è r e avec un cérémonial particulier : chez les Izayan, le m e u r t r i e r et sa djemâa conduisent
aux p a r e n t s de la victime une offrande expiatoire. Le sacrifice a lieu e n t r e les pieds du cheval du plus proche parent,
ou à défaut en face de la grande corde située au milieu de la
tente. En égorgeant l ' a n i m a l , le m e u r t r i e r sollicite son
p a r d o n , puis il e m b r a s s e la tête du plus proche p a r e n t . Cette
réconciliation a lieu tantôt a p r è s !e p r e m i e r versement,
tantôt a p r è s le paiement intégral de la diya (4). C h e z les
B r a n è s , le débiteur du sang est a m e n é par le chérif médiateur, les m a i n s liées liées d e r r i è r e le dos, à la maison
de sa victime : le p è r e ou les frères du m o r t le délient,
le m o n t a n t de la diya est compté par le chérif et remis
à la famille, et le m e u r t r i e r racheté e m b r a s s e la tête des
trier étend le pan de son burnous au-dessus du plat de couscouss en
demandant à ses botes d'accepter la diva (I.oubipnac).
(1) Cette coutume de sacrifier un animal à quelqu'un dont on
veut obtenir quelque chose procède du 'âr. Cf. ci-dessus, p. 10,
note 3.
(2) Indications fournies par le caïd Akka Bouidmani et recueillies
par le Capitaine Le Glay.
(3) Condamine. op. cit. Cela s'explique vraisemblablement par
1 idée que la femme est en quelque sorte la propriété du mari, ou du
moins au'il a sur elle droit de vie et de mort. En tous ras. la femme
infidèle oeut être tuée impunément .
(4) Loubignac.
—
7i
—
p a r e n t s du défunt en signe d ' a m e n d e h o n o r a b l e . O u t r e
le prix du sang, il doit fournir le bœuf du sacrifice, un tellis
de blé moulu et un pot de b e u r r e ou d'huile qui serviront à
l'apprêt du r e p a s de çolh ( i ) . Ailleurs il fournit un bovin,
deux quintaux de semoule, vingt-cinq kilos de b e u r r e , sucre,
thé et bougies (Beni Yznacen), et parfois paie les frais funéraires (Beni Mathar et Ouled Bakhti) (2). C h e z les Izayan,
il doit verser des s o m m e s variables suivant ses ressources à
tous les chefs de tente du d o u a r de la victime, p o u r qu'ils
gardent le silence s u r son crime et évitent de le lui r e p r o cher (2 bis).
Le m e u r t r i e r , et sa famille q u a n d elle l'avait suivi,
r e n t r e n t alors dans leur d o u a r et r e p r e n n e n t possession de
leurs biens.
Le taux de la diya (3) est tantôt débattu de gré à
gré (4), tantôt fixé p a r la djemâa (5) ou p a r des arbitres (6),
tantôt déterminé p a r la coutume (7). 11 varie non seulement
de tribu à tribu (s), mais parfois de clan à clan et m ê m e de
d o u a r à d o u a r . Il diffère encore suivant que le m e u r t r i e r
appartient ou non à la m ê m e fraction, à la m ê m e tribu que
la victime (<)), suivant l'état des relations entre les deux
(1) Trenga, op. cit. Le baiser sur la tête est signalé aussi à Mer7aga (Zaër). Comp. les rites du pardon chez les Kabyles, où il y a
adoption du meurtrier par la famille de la victime (Hanoteau et
Letourneux, III, pp. 68-69).
(2) Rapports du Capitaine Grasset, du Cercle des Beni Yznacen,
et du Capitaine Morbieu, du Cercle d'Oudjda.
(2 bis) Loubignac.
(3) V. à l'appendice, tableaux donnant les chiffres moyens de
la diya dans les diverses tribus.
(4) Slès, Fichtala. Zemmour. Tadla, Ait Mgild, et au Figuig
entre Ksouriens et Nomades.
(5) Ait Makhlouf, A ï t Fringo, Ait Tseghrouchen, Yzayan.
(6) Aït Youssi Gheraba, Ait Halli (des Aït Youssi Djebala).
(7) Aït Ndhir, igerouan, Chleuh de la région de Fez, Zaër.
(8) On a remarqué que c'est chez les tribus les plus guerrières
que la diya est le plus élevée. Cela tient au souci de restreindre le
plus possible le nombre des attentats contre la vie des personnes, afin
de conserver le plus grand nombre de combattants pour la défense de
la tribu (Trenga).
(9) L'extîanéité est tantôt un motif d'augmentation, tantôt de
réduction.
Chez les Ait Sidi Abdessclam, petite fraction de chorfa des Aït
Ndhir, la diya est d'environ 100 réaux quand le meurtrier appartient
g r o u p e s ( i ) , la condition (2) et la fortune
les circonstances du m e u r t r e (3).
des p e r s o n n e s ,
à la fraction ; lorsqu'il fait partie des fractions voisines des Ait Mgild,
elle va jusqu'à 2 0 0 brebis. Chez les Igerouan, le meurtrier -qui appartient à une autre tribu paie une diya inférieure (Colonel Seal).
Chez les Ait Tseghrouchcn d'Immouzer, la diya est : entre eux,
de 12 taureaux estimés 12 douros l'un : entre eux et les gens du
Kandar, de 250 douros (Capitaine de Blois).
Les Ait Youssi Gheraba entre eux paient 300 douros, les Ait
Halli entre eux jusqu'à 700 douros ; ils paient ;iux tribus voisines, en
moyenne, 500 douros (Chef de Bataillon Grasset, Commandant le
Cercle de Sefrou).
Entre Ait Raho, la diya est de 450 à 6 5 0 réaux ; entre eux et
les Ait At'ssa ou Lhacen, elle monte jusqu'à 1.050 réaux. Dans le
groupe des Ait Raho, Hammara et Ait Chao, elle est de 6 0 0 réaux.
Elle est de 50 à 60 moutons dans les rares cas où un arrangement
intervient entre Izayan et Arabes (Capitaine Mortier). Cf. p. 6,
note 1.
A Oudjda. les Beni Oukil, qui paient entre eux 1.000 francs,
ne paient aux tribus voisines que 750 francs, et les Zekara 2 5 0 (Capitaine Morbieu). Aux Beni Guil. dans la même fraction, la diya est
de 500 douros ; entre deux fractions de la tribu, elle est de 8 0 0 douros ; entre Beni Guil et gens d e s tribus limitroDhes, elle monte à
1.000 douros (Chef de Bataillon Panel, Commandant le Cercle).
(I) Aux Beni Yznaccn, pour le premier sang qui coule entre
deux familles, la diya est généralement de 1.000 francs : s'il s'agit
d'une vendetta et que le prix du sang du premier mort n'ait pas été
payé, elle n'est plus que de moitié (Capitaine Grasset).
Entre tribus différentes, quand il existe des relations suivies et
amicales, le prix du sang est fixe, soit qu'il ait été arrêté par convention spéciale, comme entre Haouara, Sedjâa et Ahlaf (Capitaine
Garbies. Chef de l'Annexe de Guercif) ou entre Oulad Naceur et
Ait Aïssa ou Ait Tseghrouchcn (Capitaine Noël, Chef du Bureau
des Renseignements du Poste de Bou Anan), ou entre Ait Raho,
Hammara, Ait Chao (Capitaine Mortier), soit qu'on applique le
tarif de la tribu de la victime, comme cela avait lieu entre Aït
Yafelman, Ait Tseghrouchen et Ait Atta 'Beraber) lorsque la diva
y était en usage (Capitaine Allemand. Chef du Service des Renseignements à Bou Denib).
Lorsqu'il n'y a pas de relations, le montant de la diya est
débattu de gré à gré et fait l'objet de marchandages parfois prolongés.
Il en est ainsi entre les Haouara et les Chlcuh de l'Est marocain
(Ghiata, Mtalsa, Beni Bou Yahhi. Beni Ouaraïn) et entre Ksouriens
et Nomades du Eiguig (Capitaine Garbies, Chef de Bataillon Pariel).
Lorsque les deux tribus sont en état d'hostilité (et cet état peut
tenir précisément à l'existence de vendettas entre membres de l'une
et de l'autre), le talion seul est la règle : chaque meurtre est payé
d un meurtre. On a vu ainsi, en pavs zaër, jusqu'à 75 morts à la suite
d un seul assassinat (Lieutenant Tailhade). Si de guerre lasse on
songe à faire la paix ou à conclure une trêve, par exemple pour les
— 7.3 —
Le sexe de la
influence : la diya
celle d ' u n h o m m e ,
s'agit d ' u n e femme
victime, mais non
d ' u n e femme est
le plus souvent de
enceinte, les Ait
son âge, a aussi une
toujours m o i n d r e que
moitié ( i ) . Lorsqu il
N d h i r font p a y e r une
moissons, on calcule le nombre de morts de chaque côte, et la tribu
qui a tué le plus d hommes à l'autre lui paie le prix du sang de ceux
qu'elle a tués en surplus, le reste se compensant. Ce mode de règlement, usité dans les tribus du Sud-Lst (Nehlil) et dans le Cercle
d'Oudjda (Capitaine Morbieu) est aussi signalé comme existant à
Merzaga (Lieutenant Tailhade).
Ln ce cas, le montant de la diya est fixé d'avance conventionnellernent à tant par homme.
(2) La diya d'un homme libre diffère de celle d'un esclave, celle
d un Ksourien de celle d'un Nomade, celle d'un Juif de celle d'un
Musulman.
On n'accepterait par la diya dans le cas de meurtre d'un
Musulman par un Juif et celui-ci serait tué (Capitaine Noël).
(3) Aux Béni Y/naccn, la diya n'est que du tiers ou du quart
lorsque la victime a été tuée près de la tente ou de la maison du
meurtrier, où elle venait pour voler ou pour séduire une femme. C'est
une application de la théorie de la légitime défense (Capitaine
Grasset). Observons cependant que la légitime défense est, en droit
français, une excuse légale dont l'admission soustrait le meurtrier à
toute sanction.
En général, un meurtre commis par vengeance, en même temps
qu'il éteint la dette de sang, en fait naître une nouvelle a la charge
du vengeur et de sa famille. M. Condamine signale une singulière
exception chez les Ait Mgild où, d'après lui, le vengeur n est pas
poursuivi par les parents de lassassin qu'il a tué.
(I) Ait Mgild, Ait Ndhir, Igerouan, Zaër, Zemmour, Izayan,
Tadla. De ce principe, les Izayan concluent que la vengeance est
éteinte par la mort donnée à deux femmes de la famille du meurtrier,
et que si l'on en a tué une, la moitié seulement de la diya reste exigible. Pour la même raison, la livraison d'une femme compte également chez eux pour moitié de la diya (Capitaine Mortier). Comp. en
droit musulman, le témoignage de deux femmes
celui d'un homme.
—
Chez les Ouerba, fraction des Branès, la diya de la femme est
de 100 à 150 réaux et celle de l'homme de 2 0 0 . Elle est plus forte
dans les autres fractions de la même tribu. Celle de l'homme l'est
du reste également : les Taifa, par exemple, la fixent à 400 réaux
(Trenga).
Chez les Zaër, la diya de la femme est de moitié à Merzaga
(Lieutenant Tailhade) ; à Nkheila. elle est fixée à 700 douros alors
que celle de l'homme oscille entre 1.200 et 2 . 0 0 0 doiffos (Colonel
Jouinot-Gambetta).
Au Tadla. tandis que la diya d'un étranger est de 50 réaux,
pour une étrangère rien n est fixé et l'on ne verse généralement rien
(Lieutenant-Colonel Thouvenel, Commandant le Cercle du Tadla).
— 74 —
diya entière ( i ) ; les B o u h a s s o u s s e n (Izayan) exigent, outre
la diya de la femme, celle de l'enfant, qui est toujours p r é s u m é mâle (2) ; les B e r a b e r déterminent le sexe du fœtus
p a r autopsie et perçoivent, suivant le cas, le prix du sang
d ' u n garçon ou d ' u n e fille ; les B r a n è s débattent e n t r e p c r ties la s o m m e à p a y e r p o u r la m è r e et l ' e n f a n t qu'elle o r fait d a n s son sein (;,).
Au cas d ' a v o r t e m e n t , les Z a ë r de Nkheïla font p a y e r
u n e diya de femme (700 douros) l o r s q u e l'enfant était du
sexe masculin, et la moitié de cette s o m m e s'il était du sexe
féminin (4). Chez les Izayan de Moulay Bou Azza, celui qui
a p r o v o q u é l ' a v o r t e m e n t en causant u n e g r a n d e frayeur à
la femme doit u n e diya ou u n e demi-diya, suivant le s e x e
d e l'enfant ( 5 ) .
L'homicide involontaire, sauf d a n s les q u e l q u e s tribus
qui ont adopté intégralement s u r ce point la loi m u s u l m a n e (C>), fait naître c o m m e le m e u r t r e la dette de s a n g .
D a n s la conception primitive, en effet, la mort d ' u n m e m b r e
de la famille, qu'elle ait été voulue ou non, la lèse et la
diminue pareillement, et le droit de représailles ne procède
p a s à l'origine de l ' i d é e m o r a l e de culpabilité et de châtiment, mais de celle de perte à c o m p e n s e r p a r un affaiblissement égal de l ' a d v e r s a i r e . C e p e n d a n t , de m ê m e q u ' e n
Kabylie on en était arrivé à c o n s i d é r e r que l'homicide involontaire pouva't sans d é s h o n n e u r être p a r d o n n é (7), au
Maroc, la plupart des tribus qui admettent la diya l'acceptent
plus aisément et en réduisent le m o n t a n t l o r s q u e la m o r t n ' a
pas été d o n n é e à dessein ( s ) . Les Izayan semblent ne faire
(1) Colonel Sral.
(2) Capitaine Mortier. On fait quelquefois l'autopsie : plus
souvent I o n se met d'accord sur une diya intermédiaire (Loubignac).
(3) Trenga.
(4) Colonel Joinnot-Gambetta.
(5) Capitaine Mortier.
(6) Cf. ci-dessus, p. 5.
(7) Hanoteau et Letourneux, III, p. 6 8 .
(8) Chez les SIès et Fichtala, l'arrangement est habituel et la
diya est alors de 50 à 100 douros au lieu de 300 à 600 (Chef de
Bataillon Becker). Lile est réduite considérablement chez les Igerouan, où elle est en outre obligatoirement acceptée (Colonel Seal,
cf. ci-dessus, p. 5). F.lle est réduite de moitié ou des trois quarts chez
les Zemmour, et diminuée chez les Zaër : dans l'Annexe de Nkheila,
elle varie de 1.200 à 2 . 0 0 0 douros « suivant que l'homme a été tué
accidentellement ou au cours d'une discussion » (Colonel Jouinot-Gam-
de réduction qu'exceptionnellement ; mais si la victime est
de g r a n d e famille, ses parents n'exigent généralement pas la
tebriya des p a r e n t s du débiteur du sang ( i ) . Les B e r a b e r ,
qui répudient la diya en matière de m e u r t r e , l'admettent en
matière d'homicide involontaire (2). Les Imazighen du SudEst r é p r o u v e n t la diya m ê m e en matière d'homicide involontaire. (3).
Le talion ne doit g u è r e s ' e x e r c e r en matière de blessures, p o u r les m ê m e s raisons q u ' e n Kabylie (4) ; mais une
blessure entraînant infirmité ou incapacité se paie p a r une
demi-diya chez les Z a ë r et les Z e m m o u r (5) ; la perte d ' u n
m e m b r e ou d ' u n œil vaut aussi u n e demi-diya chez les
Izayan ,- si le blessé a été seulement défiguré, la djemâa fixe
le d é d o m m a g e m e n t à lui p a y e r (6). C h e z les Igerouan, la
perte d ' u n e main, d ' u n b r a s ou d ' u n e jambe d o n n e lieu au
paiement d ' u n quart de diya, et la perte des deux mains,
des deux bras ou des deux jambes au paiement d ' u n e demi
diya (7). La perte d'un m e m b r e se solde p a r un quart de
diya chez les Ait Ndhir, mais ils exigent une diya entière
p o u r la perte des deux y e u x (8).
C h e z les Izayan, le coupable s u p p o r t e , o u t r e la diya,
les frais d'entretien du blessé j u s q u ' à sa guérison, fournit
les victuailles qu'il offre à ses visiteurs p e n d a n t sa maladie,
a s s u r e avec les siens l'exécution des t r a v a u x (labours, moissons, etc.) que le bessé est e m p ê c h é de faire. Si la blessure
est sans conséquence, la djemâa réconcilie les parties en
imposant au m e u r t r i e r le sacrifice d ' u n ou plusieurs anim a u x en p r é s e n c e de sa victime ( g ) . C ' e s t aussi la règle
bettn). A Boujad (Tadla) la diva légale M . 0 0 0 douros) paraît s'appliquer plutôt au cas d'homicide involontaire, et au cas de meurtre les
parties fixent à leur gré une somme qui peut être supérieure ou inférieure (Capitaine de Saint-Martin, Chef du Bureau des Renseignements de Boujad).
(1) Capitaine Mortier.
(2) Lieutenant-Colonel Bertrand.
(3) Nehlil.
(4) Hanoteau et Letourneux, III, p. 7 3 .
(5) Colonel Jouinot-Gambetta.
(6) Capitaine Mortier.
(7) Indications recueillies au cours d'une mission à Meknès par
M. Bruno, Contrôleur civil suppléant, chargé de conférence à l'Ecole
Supérieure de Rabat.
(8) Colonel Seal.
(9) Cf. ci-dessus, p. 12, note I.
-
7
6
-
suivie p o u r réconcilier des individus dont l ' u n a désiré la
mort de l'autre s a n s l'atteindre ( i ) .
C h e z les B r a n è s , la victime a droit à u n e indemnité de
5 à _>o d o u r o s p o u r blessure légère, de 20 à 50 p o u r blessure plus g r a v e .
lorsqu'il
existe un В о й Larba.
le
m o q a d d e m fait v e r s e r au coupable c o m m e caution un ou
p l u s i e u r s fusils qui lui sont r e n d u s s'il paie d a n s le délai
fixé (un ou deux m a r c h é s , soit huit ou quinze jours) et qui,
sinon, sont vendus p o u r d é s ' n t é r e s s e r la victime (2).
La diya se paie r a r e m e n t en une seule fois. Les Izayan
l'appellent alors « diya de d u r e t é » ou « diya d u r e ».
G é n é r a l e m e n t elle se paie chez eux en deux (3), trois (4)
ou q u a t r e (5) fois, à c h a q u e saison, suivant la décision de
la djemâa ; la moitié ou le tiers est fourni en argent (6), le
reste en b é t a l estimé par la djemâa (7). Les Igerouan paient
moitié en espèces, moitié en n a t u r e . C h e z les Ait Ndhir, le
paiement a lieu en espèces, en n a t u r e , ou moitié en espèces
et moitié en n a t u r e ; l'offre d ' u n e femme équivaut à environ
100 геяих ( s ) . C e t t e c o u t u m e de livrer d e s femmes en paie­
m e n t de la diya se r e t r o u v e chez les Izayan : la r e m i s e d ' u n e
femme c o m p t e chez les B o u h a s s o u s s e n p o u r moitié du prix
du sang (()). Les Ait B o u m e z z o u g h exigent c o u r a m m e n t que
la famille du m e u r t r i e r livre une femme qui plaît à l ' u n des
p a r e n t s de la victime ( 1 0 ) . C h e z les C h l e u h de I'Kst (Beni
bou Yahi, Mtalsa et G h i a t a ) , celui qui paie la diya d o n n e
en s u s deux femmes ( I I ) . Au Tadla, le prix du sang peut
consister en u n e pension alimentaire, en a n i m a u x , en
récoltes, en immeubles, en or ou en argent, payable c o m p -
(1) Capitaine Mortier.
(2) Trenga.
(3) Bouazzaouin.
(4) Ait Raho, Ait Boukkeyyo. D'après Loubignac, c'est le
mode de règlement habituel chez les Izayan. qui divisent l'année en
trois saisons : celle des pluies, celle de la verdure, celle de la chaleur.
(5) Hammara, Ait Chao.
(6) Les Ait Boukkeyyo et Ait Chao paient la moitié, les
autres tribus le tiers.
(7) Capitaine Mortier. Il y a généralement surestimation du
quart ou du cinquième (Loubignac).
(8) Colonel Seal.
(9) Cf. ci-dessus, p. 16, note 1.
(10) Capitaine Mortier.
(11) Capitaine Garbies.
— 77 —
tant ou à t e r m e ( 1 ) . D a n s le cercle de la Moulouya, elle se
paie soit en grains et bestiaux, soit en argent (2). Aux B e n >
guil, la diya, e x p r i m é e en argent (monnaie française), est
p r e s q u e toujours convertie en c h a m e a u x et en m o u t o n s (3).
C h e z les Z a ë r et les Z e m m o u r , il y a trois versements, au
p r i n t e m p s , à l'été et à l ' a u t o m n e (4). Un tiers se paie en
espèces, d e u x tiers en a n i m a u x : c'est ce q u ' o n appelle
defâa. Les a n i m a u x sont surestimés au double ou au
triple de leur valeur : ainsi, tout en m a i n t e n a n t un chiffre
élevé qui satisfait Vamour-propre de la famille du mort, on
évite de r u i n e r celle du m e u r t r i e r (5).
Ses « frères » participent en effet au paiement, et ici
reparaît la responsabilité collective : à Merzaga, le m e u r t r i e r
n'est tenu personnellement que de la moitié, l ' a u t r e est
acquittée p a r son rif (0) ; à Anoceur, les gens Ue sa fraction
l'aident aussi et fournissent, sinon la moitié, au moins un
tiers de la s o m m e . La djemâa perçoit du reste la m ê m e p r o portion s u r le p r i x du sang dû à un m e m b r e de la fraction (7). C h e z les Oulad Sidi Abdelhakem, Oulad Sidi Ali
B o u Chenafa, Beni Mathar, Oulad Bakhti (Maroc Oriental),
la diya se partage également e n t r e la djemâa et le plus p r o c h e
p a r e n t mâle de la victime ( s ) . C h e z les Beni Guil, la djemâa
perçoit un tiers et les p a r e n t s de la victime les deux tiers (y).
A défaut de p a r e n t s , le p r i x du sang est touché p a r le
douar (10).
(1) Capitaine de Saint-Martin.
(2) Capitaine Cancel, Commandant du Cercle.
(3) Chef de Bataillon Pariel.
(4) Dans l'Annexe d'Oulmès, un premier versement, appelé
rechoua, a lieu sur-le-champ, indépendamment des trois autres qui
s'échelonnent ensuite (Capitaine Sajous, Chef du Bureau d'Oulmès).
(5) Colonel Jouinot-Gambetta.
Le taux très élevé de la diya dans ces tribus en rend en effet
le règlement très difficile. En fait, au lieu de 1.200 à 1.600 réaux,
on ne vefse guère que 8 0 0 à 1.200 (Lieutenant 1 ailhade). Il n'existe
pas, à l'heure actuelle, à Oulmès un seul indigène assez riche pour
payer une diya, d'où des revendications qui traînent de longues années
et qu'il est impossible de régler (Capitaine Sajous).
(6) Cf. ci-dessus, p. 9, note I.
(7) Capitaine de Blois.
(8) Capitaine Morbieu. Chez les Izayan, le plus proche parent
mâle de la victime remet à la veuve une part de la diya qu'il a perçue
(Loubignac).
(9) Chef de Bataillon Pariel.
(10) Attesté pour Merzaga par le Lieutenant Tailhade.
-
7
8
-
L o r s q u e la victime et le m e u r t r i e r appartenaient à la
m ê m e famille, il ne peut être question de responsabilité collective, car les m e m b r e s de la famille, également a p p a r e n t é s
à la victime et au m e u r t r i e r , seraient à la fois créanciers et
débiteurs du sang. Le m e u r t r i e r r é p o n d donc seul de son forfait. 11 est à p r é s u m e r qu'il peut être mis à mort ou se
racheter. Au Tadla, la transaction a g é n é r a l e m e n t lieu en ce,
cas p o u r une s o m m e intérieure à la diya légale ( i ) . A Mer¬
zaga, le fratricide ne paie la diya que si le i r è r e qu'il a tué
avait des enfants mâles, qui toucheront le prix du sang,
ou si la s œ u r qu'il a tuée était m a r i é e ; le mari touche alors
deux tiers de la diya, l'autre tiers revenant aux p a r e n t s de
la femme, « ce qui est la répartition habituelle p o u r les diya
de femme » (2).
Le paiement de la diya est constaté, chez les Igerouan,
p a r acte dressé devant le cadi y; ; mais les tribus moins
islamisées se contentent de témoins. A Merzaga, un notable
est choisi p a r le m e u r t r i e r c o m m e caution du paiement en
vue u éviter les contestations ultérieures (4). A Anoceur, ia
caution, fournie p a r les gens qui ont reçu la diya, est
appelée adouas et garantit leur renonciation à toute vengeance (5). Ce p e r s o n n a g e porte chez les Izayan le nom
voisin de dououas ; il est choisi par le m e u r t r i e r p a r m i
les p a r e n t s de la victime ou les gens r é p u t é s braves et honnêtes, et a p o u r mission de garantir l'exécution p a r les deux
parties de la décision de la djemâa. C ' e s t lui qui reçoit le
montant de la diya et le verse entre les mains des créanciers
du sang, qui renoncent devant lui à la vengeance. 11 reçoit
10 r é a u x du m e u r t r i e r ((>). 11 doit e m p ê c h e r d a n s la suite
toutes représailles ; car il pourrait arriver que, quoique
ayant touché la diya, quelque p a r e n t du mort veuille tuer
le m e u r t r i e r ou l'un des siens. Cette violation de la parole
d o n n é e est punie d ' a m e n d e p a r certains q a n o u n s kabyles (7);
(1) Lieutenant-Colonel Thouvenel. La jeune fille est
puissance de ses agnats jusqu'à son mariage, et ensuite sous
son époux. Son père et ses frères ont, comme plus tard son
ci-dessus, p. 12, note 3), le droit de la tuer si elle manque
neur.
(2) Lieutenant Tailhade.
(3) Colonel Seal.
(4) Lieutenant Tailhade.
(5) Capitaine de Blois.
(6) Capitaine Mortier.
(7) Hanoteau et Letourneux, III, p. 6 9 .
sous la
celle de
mari (cf.
à l'hon-
— 79 —
l'orf des B r a n è s prévoit le cas, un p e u différent, où le pri::
du sang a été versé en l'absence et sans l'aveu d ' u n parent
de la victime. Si celui-ci tue ensuite le m e u r t r i e r ou l'un de
ses p a r e n t s , on décide simplement que la diya doit être remboursée ( i ) .
C h e z les Slès et les Hchtala, les débiteurs de la diya
qui ne disposeraient p a s de la s o m m e nécessaire p o u r s'acquitter seraient, d ' a p r è s certains r e n s e i g n e m e n t s , e m p r i s o n n é s j u s q u ' à leur m o r t . On cite c o m m e exemple deux
individus qui seraient m o r t s en prison sous le règne de
Moulay Abdelaziz ; mais on ajoute qu'ils y avaient été mis
parce que la diya avait été refusée (2). Le fait paraît étrange,
car si la composition n ' e s t p a s acceptée, c'est n o r m a l e m e n t
la vengeance qui doit s ' e x e r c e r , et, d ' a u t r e p a r t , u n e incarcération, m ê m e p o u r insolvabilité, s u r p r e n d en p a y s berbère, où les peines privatives de liberté n ' e x i s t e n t p a s en
général (3). Si de telles exceptions ont pu se p r o d u i r e , c'est
s a n s doute en des t e m p s et d a n s des régions où un M a k h z e n
puissant avait pu asseoir solidement son autorité et faire
prévaloir ses m é t h o d e s de g o u v e r n e m e n t sur les règles de
l'azref b e r b è r e .
Pareillement, l'influence du M a k h z e n avait a m e n é jadis
l'usage de la diya chez les B e r a b e r , qui se rappellent qu'elle
a été pratiquée dans la vallée du Ziz sous son autorité.
A u j o u r d ' h u i , elle n ' y est plus acceptée, sauf en cas de mort
accidentelle (4). Il y a là un c u r i e u x cas de régression qui
m o n t r e que les p r o g r è s imposés avant l ' h e u r e , fût-ce dans
le sens naturel de l'évolution, ne se maintiennent pas, et
que l'on ne gagne rien à vouloir accélérer cette évolution.
C ' e s t p o u r q u o i , et d'accord en cela avec des p e r s o n nalités autrement qualifiées, n o u s c r o y o n s qu'il n ' y aurait
auun intérêt à t r a n s f o r m e r du jour au lendemain les habitudes des Imazighen m a r o c a i n s et à d é c r é t e r b r u s q u e m e n t
l'abolition de la vindicte privée au profit de la vindicte
publique. Ce n'est p a s en s u p p r i m a n t la p r e m i è r e , mais bien
(1) Trenga.
(2) Chef de Bataillon Becker.
(3) La prison est inconnu e dans toutes les tribus berbères du
Maroc. Aucune peine d'emprisonnement n'est prévue dans les
quelques coutumes écrites qui existent (V. Azref de Bou Denib,
publié par Nehlil, Archives Berbères, n" I, p. 83 ss.). Pour la
Kabylie, cf. Hanoteau et Letourneux, III, p. 128.
(4) Lieutenant-Colonel Bettrand.
—
8o
—
en développant la seconde, que n o u s a m è n e r o n s les B e r bères à la notion m o d e r n e du droit pénal. P o u r r e p r e n d r e la
terminologie juridique r o m a i n e , à m e s u r e que les délits
privés deviendront des délits publics, ils p e r d r o n t d ' e u x m ê m e s leur caractère primitif. Les c o u t u m e s b e r b è r e s
admettent fort bien la coexistence de l'un et de l'autre système : en Kabylie, le droit du village venait se s u p e r p o s e r à
celui de la k h a r o u b a ( i ) ; au Maroc, l'action publique trouve
également place à côté de la vengeance privée et la
djemâa, juge en matière pénale, p r o n o n c e des sanctions
contre les délinquants. L'azref de B o u Denib prévoit une
a m e n d e c o n t r e le m e u r t r i e r (2). D a n s le Rit, o u t r e qu'il est
soumis au talion, il encourt un bannissement d ' u n an et sa
famille doit p a y e r une a m e n d e de 80 à 100 d o u r o s (3). Le
bannissement p o u r un an se r e t r o u v e à Oudjda, indépend a m m e n t du paiement de la diya (4) ; a u x Beni Guil il en
est de m ê m e , sauf que le coupable peut se s o u s t r a i r e à
l'exil m o y e n n e n t un v e r s e m e n t s u p p l é m e n t a i r e de I U U dour o s (5). La c o u t u m e rifaine (et ce ne doit p a s ê t r e la seule)
p r o n o n c e m ê m e la peine de mort contre le m e u r t r i e r qui a
violé le m e z r a g en tuant sa victime sur un m a r c h é ou dans
une n o c e . La fuite seule le soustrait à l'exécution ; il se
trouve alors exilé p o u r longtemps et ses biens sont confisqués, détruits, brûlés ou vendus (o).
C ' e s t un cas ou le droit social absorbe le droit privé,
l ' u n des cas où le coupable en Kabylie était lapidé p a r tout
le village, la famille de h victime n ' a y a n t plus d ' a u t r e droit
que de lancer sa pierre c o m m e les a u t r e s (7). Mais il y a plus,
et déjà les citadins de M e k n è s « n ' e x i g e n t plus de diya et se
contentent u ' u n e sanction p r o p o r t i o n n é e au crime » (S) ;
déjà au Figuig, milieu pius p u r e m e n t b e r b è r e , « l'action
publique s ' e x e r c e seule et il n ' y a plus de diya, mais seulem e n t une a m e n d e infligée p a r la djemâa et variable suivant
(1) Hanoteau et Letourneux, 111, p. 57, 106 ss.
(2) Nehlil, loc. cit.
(3) Biarnay, Archives Berbères, n" 1, p. 2 4 , note I.
(4) Capitaine Morbieu.
(5) Chef de Bataillon Pariel.
(6) Biarnay, loc. cit. Chez les Ait Mgild, celui qui a « cassé
un soûq » encourt une pénalité curieuse, indépendamment du àr,
qui est de 2 0 0 moutons et de 2 0 0 douros : on rase les cheveux de sa
femme en public (Condamine).
(7) Hanoteau et Letourneux, III, p. 6 2 .
(8) Colonel Seal.
—
8i
—
les qçour » ( i ) . Le m e u r t r i e r est, il est vrai, expulsé j u s q u ' à
ce que la famille de la victime ait p a r d o n n é , et ce p a r d o n
s'obtient parfois à prix d'argent ; mais ces vestiges du droit
privé et de la composition, qui ne sauraient disparaître si
vite s a n s laisser de traces, n ' e m p ê c h e pas que la r é p r e s sion sociale a gagné du terrain et que les B e r b è r e s de ces
régions se sont ainsi r a p p r o c h é s sensiblement du terme de
l'évolution.
T o u s s'y acheminent, au reste de leur p r o p r e m o u v e ment, qu'il suffit de surveiller s a n s p r é t e n d r e en régir la
m a r c h e : chez e u x c o m m e chez les autres p e u p l e s , la composition, que bien peu persistent encore à r é p u d i e r , se
substituera de plus en plus au talion ; s a n s prohibition radicale, insensiblement et p a r la force des choses, ils abandonn e r o n t l'habitude de se faire justice lorsqu'ils v e r r o n t qu'elle
leur est r e n d u e . Le jour où une organisation sociale perfectionnée a p e r m i s de se p r o c u r e r chez des fournisseurs spécialisés les objets nécessaires, p e r s o n n e ne s'est plus astreint
à les fabriquer à domicile p o u r sa consommation ; de m ê m e ,
le jour où des juges c o n d a m n e r o n t les assassins et attribueront a u x victimes ou à leur famille la r é p a r a t i o n équitable, les B e r b è r e s s ' e x p o s e r o n t de m o i n s en moins aux
risques de la vendetta, et au lieu de frapper e u x - m ê m e s le
coupable, ils se contenteront de r e q u é r i r son châtiment. Ainsi
disparaîtront peu à peu les interminables séries de m e u r t r e s
et les g u e r r e s civiles e n t r e tribus.
L ' i m p o r t a n t n ' e s t donc pas d ' e m p ê c h e r la vendetta,
mais de la r e n d r e inutile en assurant u n e r é p r e s s i o n qui
satisfasse à la fois l ' o r d r e public et les intérêts p r i v é s . D ' o r e s
et déjà, le Conseil des affaires criminelles institué à Rabat, et
compétent p o u r connaître des crimes commis p a r les M a r o cains (2), juge conformément à l'orf des tribus en c a u s e . Il
(1) Chef de Bataillon Pariel.
Le tarif des amendes est le suivant :
Zenaga : meurtre avec préméditation, 280 douros (mon. fr.) ;
meurtre au cours d'une rixe, 140 douros (mon. fr.).
Oudaghir : 140 douros (mon. fr.).
El Maïz : 180 douiros (mon. fr.).
Oulad Sliman : 150 douros (mon. fr.).
Hammam lougani : 140 douros (mon. fr.).
Hammam Tahtani : 120 douros (mon. fr.).
El Abid : 30 douros (mon. fr.).
(2) A l'exception de ceux déférés aux juridictions françaises du
Protectorat en vertu de l'article 6 du Dahir organique du 12 août 1V13.
— 82 —
serait à désirer q u e des assesseurs b e r b è r e s y siégeassent
p o u r les affaires intéressant les B e r b è r e s . Peut-être m ê m e
un tribunal criminel établi s u r le m ê m e modèle pourra-t-il
fonctionner un jour en p a y s amazigh.
La jurisprudence de ces tribunaux indigènes détermin e r a le passage de la composition facultative à la composition obligatoire, qui, sauf qu'elle ne relève pas de l ' a p p r é ciation du juge, ne diffère pas essentiellement de notre r é p a ration civile. Sous cette forme compatible avec les principes
m o d e r n e s , la vindicte privée, qui aura cessé d ' ê t r e un élément de trouble et d'insécurité, p o u r r a sans inconvénient
subsister à côté de l'action publique.
F.
ARIN,
Contrôleur
Sous-Chef du
Civil,
Bureau de la Justice musulmane
au
Secrétariat
Général
du
Gouvernement
Chérifien.
A P P E N D I C E
TABLEAUX DONNANT UE TAUX DE liA DIYA
dans les diverses Tribus du Maroc
MAROC
OCCIDENTAL
RÉGION DE
Annexe
de
RABAT
Nkhella
(Zaër)
Diya d ' u n h o m m e : 1.200 à 2.000 d o u r o s .
Diya d ' u n e femme : 700 d o u r o s .
Cercle
des
Zemmour
Diya d ' u n h o m m e : 1.000 à 2.000 d o u r o s .
Diya d ' u n e femme : 500 à 1.000 d o u r o s .
RÉGION DE FEZ
Territoire de
Taza
Ghiata : 1.500 à 3.ocx) francs.
Beni O u a r a ï n : 1.500 à 2.500 francs.
Gzemaïa : 1.500 à 2.000 francs.
Tsoul : 1.500 à 2.000 francs.
B r a n è s : 1.000 à 1.500 francs. ( O u e r b a
Taifa 400 r é a u x ) .
Taza-Ville : 500 à 1.000 francs.
M a g h r a o u a -. 500 à 1.000 francs.
Oulad Bou Rima : 500 à 1.000 francs.
Meknassa : 250 à 500 francs.
Oulad B e k k a r .- 250 à 500 francs.
Cercle
de
Fez
Ait Ayach : 100 d o u r o s et 100 brebis.
Sedjâa : 100 d o u r o s .
200
réaux,
-
84
—
C h e r a g a , Oulad Djamaâ : 100 à i .000 d o u r o s .
O u d a ï a : 300 à 1.000 d o u r o s .
O u l a d El Hadj de l ' O u e d : 200 à 500 d o u r o s .
Beni Sadden : 300 à 500 d o u r o s .
Hedjaoua, Oulad Aïssa : 100 à 500 d o u r o s .
Cercle
des
Hayaïna
H a y a ï n a : 200 d o u r o s en m o y e n n e .
Cercle
de
Sefrou
Ait T s e g h r o u c h e n d ' I m m o u z e r : entre eux, 12 taureaux
(estimés 12 d o u r o s chacun) ; avec les gens de Kandar,
250 d o u r o s hassanis.
Ait Youssi G h e r a b a (Ait Rebaà, Ait Fringo, Ait
Makhlouf) : entre eux, 300 d o u r o s hassanis.
Ait Youssi Djebala (Ait Halli) : entre eux, j u s q u ' à
700 d o u r o s hassanis.
E n t r e Ait Youssi G h e r a b a et Ait Halli ou tribus voisines : environ 500 d o u r o s hassanis en m o y e n n e .
Cercle
de
VOuergha
Slès et Fichtala : homicide involontaire, 50 à 100 d o u r o s
hassanis ; homicide volontaire, 300 à 000 d o u r o s hassanis.
RÉGION
DE
MEKNÈS
Oulad Nacir, Z e r a h n a , Dkhissa, B o u a k e r : 250 à
500 d o u r o s hassanis.
G u e r o u a n du N o r d (Ait H a m m o u ) : Ooo r é a u x ; (Ait
Lahssen) : 600 r é a u x . — G u e r o u a n du Sud (Ait Yazem) :
300 r é a u x ; (Ait Ouikhilfen) : 500 r é a u x .
Mjat : 250 r é a u x .
Arab du Sais : 300 r é a u x .
[La moitié en espèces, la moitié en n a t u r e . — Réduction de moitié p o u r u n e femme.]
Ait Mgild : 200 m o u t o n s p o u r un h o m m e ; 100 m o u tons p o u r u n e f e m m e .
Ait N d h i r :
Iqueddaren : environ 500 r é a u x .
Ait N a a m a n : 240 à 550 r é a u x .
Ait B o u r z o u n : environ 600 r é a u x .
-
85
-
Ait Arzalla : 500 à 600 r é a u x .
Ait B o u i d m a n : environ 450 r é a u x .
Aït Lahssen ou Youssef : environ 500 r é a u x .
Ait Sliman : 280 r é a u x .
Aït H a m m a d : environ 300 r é a u x .
Aït Ourtindi : environ 400 r é a u x .
Aït ou Allai : environ 450 r é a u x .
Aït Sidi Abdesselam : entre e u x . environ 100 r é a u x ;
entre eux et les fractions voisines des Aït Mgild : j u s q u ' à
200 brebis.
[Réduction de moitié p o u r une femme.]
SURDIVISION
Cercle
de
TADLA-ZAIAN
Moulay
Rouazza
à) Annexe de Moulay Bouazza (Bouhassoussen) :
Bouazzaouin : 600 r é a u x .
H a m m a r a : 450 à 800 r é a u x .
Aït Raho : entre eux, 450 à 650 r é a u x ; entre eux et les
Aït Aïssa ou Lhassen, j u s q u ' à 1.050 r é a u x .
Aït C h a o : 500 à 1.000 r é a u x .
Mobarkiin : 600 r é a u x .
Ait Raho, H a m a r a . Aït C h a o .- entre e u x . 600 r é a u x •
avec les Arabes ( r a r e m e n t acceptée), 50 à 60 m o u t o n s .
fRéduction de moitié p o u r une femme.]
b) A n n e x e de Merzaga (Zaër) : 1.200 à
(réduction de moitié c o u r u n e femme).
1.600 r é a u x
c) Poste de Christian : 1.200 r é a u x .
d) A n n e x e d ' O u l m è s :
Aït Alla : 100 m o u t o n s et 100 d o u r o s .
Aït Ychcho : 200 m o u t o n s et 20 d o u r o s .
Aït Hattem : 200 m o u t o n s et 20 d o u r o s .
Zitchouen : 220 m o u t o n s et 10 d o u r o s .
Cercle
du
Tadla
Beni Amir, Ait Roboâ : 1.000 r é a u x (réduction de moitié
pour une femme).
Boujad : m ê m e s o m m e ; mais au cas d'homicide volontaire le prix du sang, débattu de gré à gré, peut être s u p é rieur ou inférieur.
— 86 —
MAROC
ORIENTA^
TERRITOIRE
D'OUDJDA
Cercle
d'Oudjda
Oulad Sidi Abdelhakem, Oulad Sidi Ali Bou Chenafa :
12 c h a m e a u x ou 20 c h a m e l o n s .
Beni Mathar, Oulad Bakhti : Ko moutons, s vaches et
1 / 1 4 de c h a r r u e (réduction de moitié p o u r une femme).
Entre Beni Mahiou et Beni Iznacen : 1 5 0 d o u r o s (autrefois 1 0 0 ) .
Beni Bou Zeggou : entre e u x , 100 d o u r o s ; entre eux
et Beni Iznacen, 150 d o u r o s (autrefois 100) ; entre eux et
Sedjâa, 100 d o u r o s ; entre eux et Z e k a r a , 100 d o u r o s ; e n t r e
e u x et Oulad Amor, 100 d o u r o s .
Oulad Sidi Cheikh : 1.000 d o u r o s .
Angad : e n t r e eux, 500 francs ; avec les tribus voisines, 500 francs.
Mehaias : entre eux, 500 francs : avec les tribus voisines. 500 francs.
Beni Oukil : entre eux, 1.000 francs ; avec les tribus
vois nes, 750 francs.
Z e k a r a : entre eux, 1.000 francs ; avec les tribus voisinas, 250 francs.
:
Cercle
des
Beni
Iznacen
150 à 2.500 francs (en m o y e n n e 500).
T E R R I T O I R E DE T A O U R I R T
Cercle de
la
Moulouya
100 d o u r o s (à l'amiable 50 d o u r o s ) .
Annexe
de
Cuercif
H a o u a r a : 500 francs (au m a x i m u m ) .
Entre H a o u a r a , Sedjâa, Ahlaf : 250 francs.
Beni Bou Yahi, Metalsa, Ghiata : fi.000 francs et deux
femmes.
Cercle
de
Debdou
Ahl Debdou et vallée de Debdou : 1.500 francs.
O u l a d O u e n n a n : 2.000 francs.
Beni Fachet : 1.500 francs.
-
87
—
O u l a d A m o r : 1.500 francs.
Oulad Sidi Belkacem, Azeroual du M e k a m : 1.500
francs.
Oulad Sidi Ali ben Samah : r.500 francs.
Beni Reis : 1.500 francs.
Rechida, Beni Kheleften, Ahl A d m e r : 1.500 francs.
Oulad Sidi M o h a m m e d ben Ahmed : 4.000 francs.
Oulad El Hadj : 1.000 francs.
CERCLE DES BENI GUIL
Figuig : entre Ksouriens, pas de diya : entre Ksouriens
et n o m a d e s , de 50 à QOO d o u r o s (en m o y e n n e 250 à 300).
Beni Guil : d a n s la m ê m e fraction, 500 d o u r o s plus
100 d o u r o s p o u r éviter l ' a n n é e de b a n n i s s e m e n t ; e n t r e d e u x
fractions de la tribu, 800 d o u r o s plus 100 d o u r o s p o u r éviter
l ' a n n é e de bannissement ; e n t r e la tribu et les tribus voisines, 1.000 d o u r o s .
TERRITOIRE DE BOU DENIB
Poste
de
Boa
Anan
Oulad N a c e u r : i o n d o u r o s hassanis.
B e r a b e r (Ait B o u c h a o u e n ) : 700 d o u r o s hassanis.
E n t r e Arabes (Oulad N a c e u r ) et B e r b è r e s CAït Aïssa,
Ait T s e g h r o u c h e n ) : =,00 d o u r o s hassanis.
P o u r un Ksourien tué p a r un n o m a d e : 200 d o u r o s
hassanis.
P o u r un n o m a d e tué p a r un Ksourien : 400 d o u r o s h a s sanis.
P o u r un juif tué p a r un M u s u l m a n : s'il a ses siyâd
dans la tribu, .ino douros hassanis : s'il n ' a pas de siyâd d a n s
la tribu, ?no d o u r o s hassanis.
rRédnrfion de moitié n o u r la femme.l
Entre Oulad N a c e u r et ï>oui Menià • 100 m o u t o n s .
E n t r e Oulad N a c e u r et cens d'Aïn C h a i r : 200 d o u r o s .
E n t r e Oulad N a c e u r et pens de Finuig : .100 d o u r o s .
E n t r e Oulad N o c e u r et Reni Guil : 100 m o u t o n s .
Poste
de
Bov
Denib
Aït Yafelman • ?oo francs (usitée autrefois).
Aït T s e g h r o u c h e n : Roo francs (usitée autrefois).
Aït Atta : 1.200 francs (usitée autrefois).
h'RZREf DES TRIBUS ET QSOUR BERBÈRES
DU flflUT-GUlR
(Suite)
11
flzref du
qsar
de
Taouz
( l )
Les Ait Khebbach de Bou Denib se sont réunis pour
a r r ê t e r des m e s u r e s destinées à a s s u r e r l ' o r d r e d a n s leur
qsar et à établir parmi eux tous une bonne organisation. A
cette réunion ont pris part les Ait Atta, les Ait Ghali et les
L e h ' i a n , lesquels ont présenté leurs m e z r a g s et ont déclaré
que ceux d ' e n t r e eux qui sont p r é s e n t s à cette assemblée
parlent également au n o m de leurs frères absents.
Les dispositions suivantes ont été arrêtées d ' u n c o m m u n
accord :
i° P o u r un vol commis dans le qsar, si le coupable est
u n h o m m e , 1 0 d o u r o s d ' a m e n d e ; s i c'est u n e femme,
5 d o u r o s seulement.
2° Les travaux de la muraille du qsar et de la m o s q u é e
incombent aux habitants, c h a q u e maison devant participer
à la d é p e n s e .
3° Le voleur est puni d ' a m e n d e lorsque sa culpabilité
est établie à la suite d ' u n s e r m e n t d'accusation ou d ' u n
témoignage.
4° La victime d ' u n vol qui désire fouiller une maison
ou tout lieu suspecté par elle doit se p r é s e n t e r devant le
che'kh en compagnie d ' u n m e z r a g . Si elle découvre la chose
volée, elle n'est pas tenue de j u r e r ou de p r é s e n t e r des
témoins et le voleur est puni d ' a m e n d e .
(1) Sur la création du qsar de Taouz, à proximité de Bou Denib,
voir la note sur l'azref de Bou Denib, Archives Berbères, fasc. I,
p. 8 3 , note I.
-
89
-
5° Les gardiens de j o u r et les gardiens de
fournis par c h a q u e maison du q s a r .
nuit sont
6° La maison qui ne fournit pas de fusil (pour la garde
du qsar) est frappée d ' u n e a m e n d e de 5 o u q i a s .
7° Le propriétaire d ' u n fusil qui ne se p r é s e n t e pas
(pour p r e n d r e la garde). 5 ouqias.
8° Celui qui a b a n d o n n e la garde du bordj pendant la
nuit, 1 me'tqal ; pendant le jour, 5 o u q i a s .
0° Celui qui se dispense de p r e n d r e part aux corvées
du village, 1 metqal.
ro° Celui qui vole s u r des aires à battre, 2 d o u r o s .
I I ° Celui qui vole et transporte la chose volée d ' u n
bordj dans un autre. 1 d o u r o .
i 2 ° Celui qui vole un seJham, u n e pioche, une faucille
ou une hache, t d o u r o .
0
1 3 Celui qui s ' a p p r o p r i e l'eau de la saqia avant son
tour d ' a r r o s e r , 1 m e t q a l .
1 4 Celui qui vole dans un jardin e n t o u r é de m u r s ,
1 douro.
1 5 ° Celui qui vole ce que la main de l ' h o m m e sème
c o m m e céréales, 1/2 douro d ' a m e n d e , que le coupable soit
un h o m m e ou une femme.
Celui qui monte s u r le palmier d'aufrui alors que
l ' a r b r e est c h a r g é d e fruits, 1 / 2 d o u r o d ' a m e n d e .
0
1 7 ° Si des vaches, des ânes, des chevaux et des cham e a u x sont lâchés dans les cultures d ' a u t r u i , l e u r s p r o p r i é taires paient une a m e n d e de cinq s o u s p a r animal. Cette
a m e n d e est d ' u n sou p a r animal q u a n d il s'agit de brebis,
de chèvres, de chevreaux ou d ' a g n e a u x .
rS" P o u r un mouton
d ' a m e n d e au p r o p r i é t a i r e .
paissant
d a n s la
saqia,
r
sou
I O " Celui qui fauche l'herbe dans une saqia, 1 metqal.
2o° Si des enfants de l'âge de la deuxième dentition
sont s u r p r i s jouant sur les b o r d s de la saqia, il est infligé à
chacun d ' e u x 5 sous d ' a m e n d e .
2 ? " Celui qui porte préjudice aux Ahl Bou Denib en
commettant chez eux des vols paie un metqal d ' a m e n d e si
l'une de ses victimes témoigne contre lui.
0
2 2 Celui qui coupe ou brise les branches d ' u n palmier ne lui appartenant pas, 1 metqal d ' a m e n d e , que le coupable soit un h o m m e ou u n e f e m m e .
— go —
0
2 3 Q u i c o n q u e a la jouissance d ' u n e maison dans le
qsar est tenu de p a y e r toutes les dépenses qu'elle occasionne.
2 4 Si deux h o m m e s se disputent et se donnent des
coups, t metqal d ' a m e n d e à chacun ; s'il n ' y a pas échange
de coups, 5 ouqias d ' a m e n d e seulement.
0
25" D a n s les m ê m e s conditions, les femmes qui se q u e rellent paient la moitié de l ' a m e n d e p r é v u e p o u r les h o m m e s .
0
2C1 D a n s le cas où un h o m m e en blesse ou frappe un
autre, sans être dénoncé à la djemâa au bout de trois jours,
1/2 d o u r o d ' a m e n d e à la victime qui a gardé le silence.
0
2 7 Celui qui blesse son semblable avec un instrument
de fer, 1/2 d o u r o .
Ce tarif de 1 / 2 d o u r o est également appliqué en cas de
blessure faite au moyen d ' u n e pierre ou d ' u n oâton.
2 8 Celui qui. d ' u n coup de poing, fait saigner quelq u ' u n du nez, 1 m e t q a l .
0
0
2Q La femme qui insulte un h o m m e , 1/2 d o u r o , à
condition que l ' h o m m e présente des témoins p o u r certifier
que la femme a m a n q u é de tenue vis-à-vis de lui.
0
3 0 Si c'est l ' h o m m e qui se m o n t r e grossier e n v e r s u n e
femme. l ' a m e n d e à infliger est également de ('2 réal.
0
3 1 Q u i c o n q u e est s u r p r i s par l e cheikh o u p a r tout
autre que lui creusant des t r o u s s u r les b o r d s de la saqia,
1 metqal.
3 2 ° Celui qui inonde un rHsmn !nho"ré aopartenanf à
autrui est tenu de le travailler et de le fumer.
3 3 ° T o u t e femme qui se dispute avec une autre paie
u n e a m e n d e de r metqal.
34° Le cheikh de la qabila doit tenir
dépenses et des recettes du village.
0
un
compte des
;
3 5 S q u e l q u ' u n refuse d'obéir à la qabila en la pers o n n e du cheikh, on compte jusqu'au chiffre 700, a p r è s quoi
si le récalcitrant persiste dans son attitude, il lui est infligé
une a m e n d e de 1/2 d o u r o .
0
3 6 Le cheikh doit traduire devant la djemâa quiconque
refuse de lui obéir p o u r lut être fait application des règles de
l'orf.
37° Si le cheikh e n t r e p r e n d un voyage et néglige de
se faire r e m p l a c e r nar q u e l q u ' u n d u r a n t son absence, u n e
a m e n d e de 1 /2 douro lui est infligée par la djemâa.
— gi —
38° Si deux individus se battent entre e u x et q u ' u n
troisième p r e n n e parti en paroles pour l'un d ' e u x , i metqal.
39° Si c'est en donnant des coups ou en frappant avec
un instrument de fer, r d o u r o .
0
4 0 Si un enfant se m o n t r e grossier e n v e r s une personne âgée et que celle-ci présente des témoins, i metqal
d'amende à lenfant.
4 1 ° Q u i c o n q u e m a n q u e de respect au
feqih, 2 d o u r o s d ' a m e n d e .
cheikh
ou
au
42" Si le cheikh se retire au c o u r s d ' u n e réunion de la
djemâa sans y être invité par l'assemblés, 1 metqal.
43° Si les mezarig quittent la séance dans les m ê m e s
conditions, 1 metqal.
44" Q u i c o n q u e se m o n t r e inconvenant e n v e r s
femmes du feqih du village paie 1 d o u r o d ' a m e n d e .
les
45° Celui qui commet un adultère dans le qsar, 2 d o u r o s
d ' a m e n d e , s'il est dénoncé par la femme.
4f>° S'il y a entente entre l ' h o m m e et la femme, cette
a m e n d e est également payée p a r chacun d ' e u x .
47° Q u a n d deux voisins, s'accusant mutuellement d ' e m piéter sur la plate-bande séparant leurs propriétés respectives, comparaissent devant la djemâa, celui des deux qui a
tort paie 1 metqal.
0
4 S Celui qui obtient la jouissance d ' u n bien pendant
une a n n é e ne doit rien en soustraire sous peine de 1 douro
d'amende.
0
4 9 Celui qui avance un témoignage contre q u e l q u ' u n
paie 1/2 douro d ' a m e n d e si son témoignage vient à être
reconnu faux.
0
5 0 Si les mezarig et le cheikh jugent à p r o p o s d'introduire d a n s le présent règlement des dispositions nouvelles
d ' u n caractère utile, ils peuvent le faire, de m ê m e qu'ils
peuvent corriger toute e r r e u r pouvant y être r e m a r q u é e .
5 1 " C h a q u e fraction de la qabila doit se faire r e p r é senter par deux mezarig pour p r o p o s e r l'adoption d ' u n e
règle nouvelle s u r laquelle l'accord s'est fait e n t r e ses
membres.
52° Il ne p o u r r a être consenti aucun a c c o m m o d e m e n t
touchant ce qui vient d'être a r r ê t é dans cette copie et quic o n q u e se rend coupable d ' u n e infraction est obligé de p a y e r
l ' a m e n d e ici p r é v u e .
— 92 —
53° Celui qui a r r ê t e en chemin q u e l q u ' u n allant
r é p o n d r e à une convocation reçue d a n s un but utile à la
qabila, et lui livre dispute, paie
(r) d ' a m e n d e .
54" Celui qui, ayant reçu du cheikh l'avis d'assister
à la séance de la djemâa, néglige de s'y r e n d r e , i metqal.
5 3 " Celui qui p é n è t r e d a n s le qsar p a r - d e s s u s la
muraille et a u t r e m e n t que p a r la porte ou qui introduit dans
le village ou en fait sortir toute chose au m o y e n d ' u n e corde
(jetée par-dessus la muraille), i d o u r o s d ' a m e n d e .
56° Celui qui, recevant du cheikh et des mezarig l'invitat on d'avoir à participer a u x travaux de la qabila ou de
fournir quelque animal de boucherie, refuse d'obéir en
fomentant en m ê m e t e m p s de l'agitation, 1 douro d ' a m e n d e .
57° Si deux h o m m e s se disputent à l'intérieur du qsar
et q u ' u n troisième ferme la porte du village, soit qu'il la
ferme p u r e m e n t et simplement, soit q u ' a p r è s l'avoir fermée
il enlève le p ê n e qui s'y trouve, T douro d ' a m e n d e sans
aucun a c c o m m o d e m e n t .
5 S Celui qui cogne sur la porte du q s a r avec u n e
pierre ou un bâton, 1 m e t q a l .
;
0
50° Celui qui m a r c h e à l'aveuglette dans les cultures
en s'écartanf du chemin, 5 sous d ' a m e n d e .
6o° Celui qui vole un mouton, soit à l'intérieur du qsar,
soit à un berger du village, 1 d o u r o .
II T
Azref
des
Beni
Ouziem
( 2 )
Louange à Dieu s e u l !
Les m e m b r e s de la djemâa des Beni O u z i e m , Dieu leur
accorde un jugement sain, une parole droite et un entendement parfait, ont, d ' u n c o m m u n accord, pris des décisions
devant avoir p o u r effet d ' a s s u r e r l ' o r d r e dans leur qsar et
consistant en des lois, règlements et dispositions a r r ê t é s suivant la coutume des tribus qui ne sont pas régies par la loi
du M a k h z e n .
(1) Lacune dans le texte arabe.
(2) Beni Ouziem ou Talzimt est un qsar comptant 100 fusils
environ, habité par des Ait Fergan (Aït Izoaz) et des Qbala.
— 93 —
E s p é r a n t couper court au trouble de leur p a y s , ils ont
formulé ces règles d ' u n e m a n i è r e impérative et les ont déclarées non susceptibles de c h a n g e m e n t ni de modification.
Celui qui cherchera à les fausser a u r a à r é p o n d r e de ses
actes devant Dieu et méritera Son châtiment.
P o u r le détail de ces dispositions, voici les règles :
1. — Le gardien qui a b a n d o n n e son poste la nuit paie
i metqal.
2. —• Le gardien qui quitte son poste pendant le jour :
5 ouqias.
3. — Celui qui commet un vol dans u n e maison privée
et qui est a p p r é h e n d é avec p r e u v e s à l'appui, paie 50 metqals p o u r c h a q u e seuil de porte et p o u r chaque pièce p a r où
il est sorti et 100 metqals à la djemâa.
II doit, en outre, quitter le pays et n ' y reviendra q u ' a p r è s qu'il aura offert une debiha à l'entrée de la porte du
qsar.
4. — Q u i c o n q u e vole un ovin doit p a y e r 2 d o u r o s à
la djemâa et restituer d e u x a n i m a u x pareils au propriétaire
volé.
5. — Si deux h o m m e s se disputent : 1 metqal p o u r
chacun d ' e u x . L ' a m e n d e à infliger au provocateur sera
double.
o. — Celui qui dégaine u n e a r m e tranchante : 1 d o u r o .
7. — Celui qui p r e n d parti p o u r q u e l q u ' u n (dans une
rixe) -. 1 d o u r o .
8. — Celui qui lance des p i e r r e s s u r son semblable :
1 douro.
9. — Q u i c o n q u e porte des coups de bâton à un autre :
1 douro.
1 0 . — Q u i c o n q u e d o n n e un souflet à un individu :
1 douro.
n. — Celui qui commet un vol s u r les aires à battre :
50 metqals, nonobstant la restitution de la chose volée.
1 2 . — Q u i c o n q u e subtilise un objet quelconque à un
individu : 1 d o u r o . Il sera, en outre, tenu de restituer l'objet
volé.
1 3 . — Celui qui vole un fusil à la porte du qsar
paie 10 d o u r o s , nonobstant la restitution de l ' a r m e volée.
14.
— Q u i c o n q u e vole sur un palmier : 2 d o u r o s .
— 94 —
i5- — Quiconque
appréhende
un
voleur trouvant
m o y e n de lui é c h a p p e r ensuite : s'il lui a r r a c h e un objet
quelconque de n a t u r e à le d é m a s q u e r et le porte à la djemâa,
le voleur doit p a y e r l ' a m e n d e p r é v u e d ' a p r è s l'endroit où le
vol a été commis ; s'il ne lui a r r a c h e rien, il p o u r r a établir sa
culpabilité au m o y e n de cinq co-jureurs et le voleur sera
tenu de p a y e r l ' a m e n d e qui lui sera infligée.
1 6 . — Celui qui coupe un palmier-nain, entre Hassi
Abdallah ou lil Maâti et Sedret-LT Merfeq, paie 2 d o u r o s .
1 7 . — P o u r tout ovin qui sera trouvé en train de
paitre dans un verger, le p r o p r i é t a i r e devra p a y e r 2 m o u z o u n a s . Si l'animal n'est pas d a n s un verger : 1 m o u z o u n a .
1 8 . — P o u r l'âne, s'il est trouvé paissant d a n s un
verger : 5 o u q i a s . L t ailleurs que d a n s un verger : 10 m o u zounas.
Cette règle est également applicable q u a n d il s'agit de
vache, d ' â n e ou de j u m e n t .
KJ. — Si un âne s ' é c h a p p e et s'en va paitre dans un
verger : 5 ouqias au p r o p r i é t a i r e .
;
20. — Si d e u x p e r s o n n e s sont en contestation au sujet
d ' u n e dette ou de toute a u t r e chose, il y a lieu de recourir à
cinq témoins. Mais si la dette est inférieure à 2 d o u r o s (le
débiteur) doit j u r e r lui-même.
21. Q u i c o n q u e refuse de d o n n e r l'hospitalité à son
hôte
10 m o u z o u n a s . De plus, il sera tenu de l ' h é b e r g e r .
Celui qui ignore l'arrivée
d ' u n hôte
chez lui ne
paie
rien.
2 2 . — Q u i c o n q u e fauche d a n s le c h a m p de son semblable : 1 metqal.
2 3 . -• Q u i c o n q u e coupe, à l'aide d ' u n e faucille, de
la luzerne ne lui a p p a r t e n a n t pas : 1 d o u r o . S'il l ' a r r a c h e à la
main : 1 / 2 d o u r o .
24. - Q u i c o n q u e s ' a d o n n e aux jeux de h a s a r d :
1 douro.
2 5 . — Celui qui refuse de suivre son adversaire devant
le C h a r â a paie 10 d o u r o s : moitié p o u r la djemâa, moitié
pour l'adversaire.
26. — Celui qui p r e n d une motte de terre dans le
c h a m p de son semblable p o u r m o n t e r u n e b o r d u r e de saqia
paie 1 m e t q a l .
27. — T o u t h o m m e s o u p ç o n n é doit p r ê t e r s e r m e n t
p o u r se disculper.
— 95 —
28. — Si des femmes se disputent entre elles : i metqal
pour chacune.
Si c'est à l'intérieur de la maison, elles ne paient rien.
2g. — 11 n'est infligé aucune a m e n d e à des frères associés (se disputant).
3 0 . — Q u i c o n q u e voie des grains ou du maïs : 1 d o u r o .
Cette a m e n d e est doublée lorsque le vol est i m p o r t a n t . Si le
vol consiste en épis de maïs, l ' a m e n d e est de 1 d o u r o .
3 1 . — Q u i c o n q u e coupe une grosse branche d e palmier
sans fruits paie 5 o u q i a s .
3 2 . — Celui qui lance des p i e r r e s
c h a r g é de fruits : 1 metqal.
sur
un
palmier
3 3 . — Q u i c o n q u e grimpe s u r le palmier et en secoue
les branches : 1 d o u r o .
3 4 . — Celui
dattes : 2 d o u r o s .
qui c o u p e les (branches)
chargées
de
3 5 . — Celui qui tue un oiseau a p p a r t e n a n t à autrui .¬
1 douro.
3 6 . — Celui qui p r e n d un oiseau d a n s un nid ne lui
a p p a r t e n a n t p a s , s a n s l'autorisation du p r o p r i é t a i r e : t d o u r o .
3 7 . — Celui qui a b a n d o n n e le travail de la « saqia »
paie 5 ouqias et doit terminer le travail i n t e r r o m p u .
3 8 . — Q u i c o n q u e d o n n e sa démission au cheikh c o m m e
« m e z r a g » alors qu'il est un de ceux qui complètent le
n o m b r e des reffads ( 1 ) , paie 1 / 2 d o u r o .
3 9 . — Si le cheikh trouve moyen de compléter p a r un
autre notable le n o m b r e de ces reffads s a n s le démissionnaire, la djemâa se réunit p o u r (désigner) cet autre notable.
40. — Q u i c o n q u e reço't la visite de son créancier, venu
d ' u n e autre tribu, doit lui d o n n e r l'hospitalité j u s q u ' a u
m o m e n t où il a réglé son affaire avec lui.
4 1 . — Le dimmi (israélite) qui offre une debiha à un
h o m m e du qsar (pour obtenir sa protection) est considéré
c o m m e âar (2) de toute la qabila, à m o i n s qu'il ne soit rattaché à cet h o m m e personnellement p a r des liens de protection r e m o n t a n t a u x ancêtres et a n t é r i e u r s à la présente réglementation.
(1) Ici le mot rejjad est synonyme de chef de clan.
(2) Sur le âar, cf. la note 5, p. 68 de l'article Arin.
— go —
4 2 . - - Les s e r m e n t s p o u r délits commis d a n s les
maisons ou dans les jardins doivent être prêtés avec dix coj u r e u r s d a n s le p r e m i e r cas et cinq co-jureurs dans le second.
4 3 . — Q u i c o n q u e grimpe s u r la muraille d'enceinte du
village ou en descend paie 5 d o u r o s .
44. — Le volé qui s ' a r r a n g e avec son voleur, à l'intér i e u r de la maison, paie 5 d o u r o s , si le fait est découvert.
S'il y a simple soupçon de la part des m e m b r e s de la
djemâa, la victime du vol doit p r ê t e r s e r m e n t avec cinq cojureurs.
4 5 . — L ' a m e n d e à infliger q u a n d il y a vol de b r a n c h e s
de palmier sèches est de 5 o u q i a s .
4 5 . — Q u i c o n q u e se sert, p o u r irriguer, de l'eau du
puits de la m o s q u é e : 1 metqal.
47. — Q u i c o n q u e menace une p e r s o n n e de son fusil
s a n s toutefois s'en servir : 10 d o u r o s .
4S. — Celui qui
2 douros.
commet
un
vol dans
un jardin :
49. — P o u r les règles restant à établir, le cheikh solutionnera les cas i m p r é v u s qui pourraient se p r o d u i r e et en
informera le public par le m o y e n du brin'.
50. — T o u t e s les m e s u r e s p r é v u e s d a n s le présent
azref sont indépendantes de celles qu'édicté le C h a r â a et la
justice régulière, applicables d ' a u t r e part.
f4ouvel
Azref
des
Beni
Ouziem
( , )
L o u a n g e à Dieu !
Législation coutumière relative aux r é p a r a t i o n s des p r é judices et applicable sous l'égide du G o u v e r n e m e n t F r a n çais.
Le qaïd M o u h ' a ou H ' a d d o u des Beni Ouziem l'a mise
en vigueur p o u r mettre un frein a u x abus et p o u r p r o t é g e r
s e s administrés contre les o p p r e s s i o n s dont ils étaient victimes.
(I) Cet azref date de l'occupation du Haut-Guir par nos troupes.
Ceci a été a r r ê t é à la suite d ' u n e d é m a r c h e de ceux
d ' e n t r e ses administrés qui ont constaté ces abus et ont l'expérience voulue p o u r indiquer les m e s u r e s à p r e n d r e contre
ceux qui commettent des délits.
Ils r e p r é s e n t e n t leurs compatriotes et ont été désignés
par les p r é s e n t s et les absents.
Ils ont e x a m i n é la question et se sont concertés.
Ce sont : Ali ou H ' a d d o u et les Oulad H ' a d d o u , Q e r bouch, H ' a m o u Ould H ' s a i n ou H ' a m m o u ; H ' s a i n ou
Iddir ould Assou ou Iddir ; M o u h ' a ou Fzit ; A h ' m e d ou
H ' a n i n ; H sain ou H ' a d d o u et L l Arhi ben Ali.
:
Ils ont convenu que le soin d'infliger les a m e n d e s reviendrait au qaïd.
1. — Le voleur s u r p r i s d a n s la cour d ' u n e maison paie
20 d o u r o s français p a r seuil franchi.
2. — Si deux h o m m e s se disputent et en viennent aux
mains, 1 franc d ' a m e n d e à chacun.
3. — Toute p e r s o n n e qui dégaine u n e a r m e t r a n c h a n t e :
1 d o u r o , qu'elle ait frappé ou n o n .
4. — Q u i c o n q u e frappe q u e l q u ' u n avec u n e p i e r r e et
l'atteint : 1 d o u r o .
5. — De
1 douro.
même
celui
qui frappe
avec
un
bâton
:
6. — Celui qui d o n n e une gifle à q u e l q u ' u n , c'est-àdire le frappe avec la main ouverte : 1 d o u r o .
7. — L'individu
tire, lors m ê m e que le
Si l'on témoigne
son côté, sa peine est
qui menace q u e l q u ' u n de son fusil et
coup ne porte pas : 10 d o u r o s .
que les torts sont en m ê m e t e m p s de
doublée.
8. — Celui qui refuse de suivre son adversaire en justice paie 1 douro, si on témoigne qu'il a réellement refusé.
De plus, il doit se conformer au jugement p o r t é contre lui.
9. — Celui qui p r e n d parti p o u r un frère, ou un fils,
ou un de ses p r o c h e s et se bat avec leur adversaire : 4 d o u r o s .
1 0 . — Si d e u x h o m m e s se battent et si, a p r è s s ' ê t r e
s é p a r é s , l'un d ' e u x attaque l'autre p a r surprise, l'assaillant
paie 4 d o u r o s .
1 1 . — Si deux femmes se battent : 1 franc d ' a m e n d e
à chacune.
1 2 . — Si deux enfants se battent : 2 sous c h a c u n .
-
9
8
-
i 3 - — Celui qui vole u n e brebis dans un troupeau doit
4 brebis au propriétaire et 2 d o u r o s à la djemâa, si la p r e u v e
du vol est bien établie contre lui.
1 4 . — Celui qui vole d a n s une aire à battre, au m o m e n t
de la récolte des céréales et des dattes : 5 d o u r o s .
1 5 . — Celui qui vole d a n s un jardin : 2 d o u r o s si la
p r e u v e est bien établie. S'il est simplement accusé, il doit
p r é s e n t e r cinq c o - j u r e u r s .
1 6 . — Si le propriétaire du jardin en p e r s o n n e le s u r p r e n d en flagrant délit, celui-ci doit n é a n m o i n s p r é s e n t e r
cinq j u r e u r s , a p r è s quoi le voleur paie l ' a m e n d e p r é v u e p o u r
les délits commis d a n s les jardins.
1 7 . — Celui qui coupe
voler : 2 d o u r o s .
un
palmier d a n s le
but de
1 8 . — Celui qui dépouille un palmier de ses dattes
paie 1 douro, si ce palmier est à a u t r u i .
1 9 . — Celui qui vole du mais dans un c h a m p paie
50 centimes s'il n ' y a q u ' u n épi de volé ; p o u r plus d ' u n épi :
1 douro.
20. — L'enfant qui vole du maïs : 10 sous, quelle que
soit la quantité volée.
2 1 . — La m ê m e règle s'applique aux grains.
2 2 . — Celui qui vole
1 franc.
de la luzerne
avec la
main :
2 3 . — Avec la faucille : 1 / 2 d o u r o .
24. — De m ê m e pour les productions de la t e r r e (pois
chiches, lentilles, sorgho) : 1 d o u r o .
2 5 . — Si u n e bête de s o m m e , ou u n e vache, ou un
chameau, pénètrent d a n s un verger et y commettent des
dégâts : 50 centimes d ' a m e n d e au p r o p r i é t a i r e .
26. — L ' â n e qui e n t r e dans un c h a m p e n s e m e n c é
5 sous d ' a m e n d e au p r o p r i é t a i r e .
:
27. — P o u r l'ovin qui entre d a n s un verger : 2 s o u s .
51 c'est un
1 sou ( 1 ) .
28. — Celui qui coupe du palmier-nain p o u r voler :
2 d o u r o s , si le vol est commis d a n s l'espace compris entre
l'endroit appelé El Adba et Ait H a r o u et C h â b a t E z - Z a o u i a .
Si le voleur est excusé, il n ' a u r a rien à p a y e r .
(1) Lacune dans le texte arabe.
—
99
—
20- — Celui qui coupe u n e b r a n c h e d ' u n palmier ne
lui appartenant pas : i d o u r o .
30. Celui qui empiète sur les limites qui séparent
son c h a m p de celui de son voisin paie 1/2 d o u r o . D a n s ce
cas, les h o m m e s de la djemâa visitent les lieux et s'ils constatent l'empiétement, ils font cesser le préjudice ; s'ils ne le
font pas dans la m ê m e journée, l ' a m e n d e à payer p a r celui
qui a empiété est de 1 d o u r o .
3 1 . - L ' a m e n d e que s'attire un h o m m e des Beni
O u z i e m . aux Oulad Ali, revient à ces d e r n i e r s et pas à
d'autres.
3 2 . — Celui qui, se trouvant en procès, intéresse à lui
un h o m m e d ' u n e tribu é t r a n g è r e et poursuit l'affaire avec le
concours de ce dernier, 10 d o u r o s d ' a m e n d e , sauf s'il agit
avec l'autorisation du qaïd. S'il est simplement accusé
d'avoir eu recours à cet étranger, il doit, pour se disculper
et éviter l'amende, p r é s e n t e r cinq j u r e u r s .
3 3 . — Celui qui vole un objet important ou insignifiant à son hôte : 4 d o u r o s .
3 4 . — Celui qui commet un vol et qui monte ou descend par-dessus l'enceinte du lieu où se réunit la djemâa :
10 d o u r o s .
3 5 . — Toute décision prise p a r les autorités et p o u r
laquelle le qaïd a donné des o r d r e s doit être exécutée. Si
q u e l q u ' u n en a eu connaissance et ne s'y conforme pas :
2 douros, et il est mis en prison.
3(1. - Celui qui insulte les
2 d o u r o s et la p r i s o n .
3 7 . — Celui qui ne participe
saqia, 1 franc.
hommes
de la
djemâa :
pas aux travaux
de la
3.
- Celui qui vole u n e poutre doit la r e n d r e
p a y e r 1 franc ; de m ê m e p e u r les bois combustibles.
et
3 9 . -— Celui qui a un procès avec q u e l q u ' u n et qui
adresse une plainte au bureau ( 1 ) sans l'autorisation du qaïd :
2 douros, car le qaïd doit recevoir toutes les plaintes de ses
administrés (m. à m. est la porte des plaintes de ses administrés).
Le qaïd est tenu d ' a s s u r e r la solution des litiges portés
devant lui ; s'il se trouve en face de cas e m b a r r a s s a n t s , il
écrit au B u r e a u .
(I) 11 s'agit du Bureau des Renseignements de Bou Denib.
IOO
40. - - Celui qui (faisant partie de la djemaâ) désire
voyager, doit désigner au qaïd la p e r s o n n e devant le r e p r é senter p e n d a n t son absence.
4 1 . — Celui qui s'accroche à u n e b r a n c h e d ' a r b r e derrière la clôture d ' u n jardin ou grimpe s u r le m u r de ce
jardin et vole des abricots, des p o m m e s , des figues ou
d ' a u t r e s fruits •. 1 d o u r o .
4 - ' . — S'il frappe les a r b r e s avec un bâton : 1 d o u r o
d ' a m e n d e également.
1v
Azreî
des
Louange à Dieu seul
Rît
A eh a
( 1 )
!
Inscription des règlements régissant les Ait Acha, p o u r
p e r m e t t r e aux intéressés d'en p r e n d r e c o n n a i s s a r c e .
1. - - Si d e u x h o m m e s se disputent sans se servir
d ' a r m e s tranchantes, l ' a m e n d e à L u r infliger est de 1 d o u r o
à chacun.
J. Si l'un d ' e u x sort une a r m e tranchante, il sera
tenu de payer 10 d o u r o s ; s'il en fait usage •. 20 d o u r o s .
V — Q u i c o n q u e e m p ê c h e une p e r s o n n e de passer en
la menaçant d ' u n fusil -. 10 d o u r o s .
4. Q u i c o n q u e menace une p e r s o n n e avec une
koumia (poignard), un couteau ou autre a r m e semblable :
1/2 d o u r o .
5. — Si, au moyen de ces a r m e s , il blesse q u e l q u ' u n ,
il sera puni d ' u n e a m e n d e de 5 d o u r o s .
6. — Celui qui dit des m e n s o n g e s à un autre, et qu'il
soit établi qu'il a dit ces m e n s o n g e s : 2 d o u r o s .
7. - - Q u i c o n q u e s'introduit d r n s une maison avec le
produit d ' u n larcin paie m douros pour chaque seuil franchi.
S.
- Si deux enfants non adultes se disputent, l ' a m e n d e
à infliger à chacun d ' e u x est de 5 s o u s .
(I) Les Ait Acha sont originaires des Beni Ouziem. A la suite
de querelles intestines, ils se séparèrent de ces derniers et bâtirent le
petit qsar qui porte leur nom, à 150 mèïres des Beni Ouziem.
o. — Si deux femmes se disputent entre elles : i d o u r o
pour chacune.
Mais l ' a m e n d e à infliger à la provocatrice est doublée.
1 0 . — Si une femme p r e n d parti p o u r
2 douros.
une
autre
:
1 1 . — La femme qui dit des m e n s o n g e s à une autre,
si le fait d'avoir dit ces m e n s o n g e s est bien établi : 2 d o u r o s .
1 2 . — Si un h o m m e marié se m o n t r e inconvenant
e n v e r s u n e femme : 2 d o u r o s .
Cette règle est également applicable à la femme.
1 3 . — Celui qui frappe un enfant autre que son fils
paie 1 metqal.
1 4 . — Celui qui g r i m p e s u r la muraille d'enceinte du
qsar : 1 douro.
1 5 . — Q u i c o n q u e i n t r c . u i t un larcin dans le qsar en
sautant par-dessus la muraille d'enceinte : 2 d o u r o s .
1 6 . — Q u i c o n q u e vole un ovin doit en restituer q u a t r e
au propriétaire volé et p a y e r 10 d o u r o s c o m m e a m e n d e à la
djemaâ.
1 7 . — Celui qui vole
quatre.
une
volaille
doit en
restituer
i S . — Tout vol de bestiaux est puni par u n e a m e n d e
de 10 d o u r o s .
uj. — Celui qui a m è n e dans le qsar un voleur ou un
« un c o u p e u r de routes », en d e h o r s des gens «-a qsar : 10
d o u r o s , si le fait est bien établi.
20. — Si le qaïd o r d o n n e à u n e femme de s'occuper,
p o u r i?s besoins de la djemâa, de la m o u t u r e (des grains),
ou du bois à apporter, ou encore de la cuisine à faire, et
qu'elle refuse : 2 d o u r o s .
2 1 . — De m ê m e , les h o m m e s , s'ils sont invités par le
qaïd à faire quoi que ce soit intéressant la djemâa et qu'ils
refusent de se p r é s e n t e r sur-le-champ : 2 d o u r o s .
2 2 . — Q u i c o n q u e ne pourvoit pas c o m m e il faut à la
ration de vivres du berger, si celui-ci dépose contre lui à
ce sujet : 1 d o u r o .
2 3 . — Celui dont le tour arrive de g a r d e r le troupeau,
c o m m e berger, et qui ne le fait pas, paie 1 d o u r o .
24. — Celui qui intercepte l'eau de la (saqia) au détriment de q u e l q u ' u n : 1 d o u r o si la djemâa est saisie de l'affaire.
25. — Celui qui ferme la « saqia >> ailleurs q u ' à l'endroit habituel : i franc.
26. — Celui qui commet un vol d a n s un jardin : 2 dour o s . Il est tenu, en outre, de restituer les l é g u m r s et autres
produits réclamés par le propriétaire du dit jardin.
27. — Q u i c o n q u e coupe, avec une faucille, la luzerne
d'autrui : 1 d o u r o .
2.S. - - Celui qui a r r a c h e la luzerne avec les mains :
1 2 douro.
2(j. — Q u i c o n q u e fauche dans le c h a m p de son semblable : 1 d o u r o .
3 0 . — Celui qui, à l'aide d ' u n e faucille, coupe le blé
d'autrui : 2 d o u r o s .
3 1 . — Celui qui l ' a r r a c h e avec les mains : 2 d o u r o s . Il
est tenu, en outre, de r e n d r e le blé v;.lé.
3 2 . — Q u i c o n q u e lance des pierres s u r un palmier :
1 franc p o u r chaque jet de p i e r r e s .
33- — Q u i c o n q u e grimpe sur le palmier et en s e c o u ;
les branches : 2 d o u r o s .
34. — Q u i c o n q u e coupe une branche
d'autres arbres : 2 douros.
de palmier ou
3 5 . — Celui qui coupe les grosses b r a n c h e s p r o d u c tives du palmier : 1 franc p o u r chaque b r a n c h e .
36. — Q u i c o n q u e coupe les petites b r a n c h e s : 1 d o u r o .
3 7 . — Celui qui s u r p r e n d un individu en flagrant délit
de vol et ne le dénonce pas est puni d ' u n e a m e n d e équivalente à celle infligée au voleur.
3<S. — Celui qui coupe du palmier-nain entre « El
Hassi Abbou ou El Maâti et Sedret-El Merfeq » : 2 d o u r o s .
39. — P o u r tout vol commis, il est infligé une a m e n d e
de 10 d o u r o s qui revient à la djemâa. Le voleur, en outre,
est tenu de restituer à la victime quatre fois autant qu'il a
volé.
4 1 . — Les s e r m e n t s p o u r des délits commis dans les
maisons doivent être c o r r o b o r é s p a r dix co-jureurs.
42. — Q u i c o n q u e refuse de suivre son adversaire
devant le Charaâ .- 20 d o u r o s , si le qaïd est saisi de l'affaire
et que le récalcitrant ne s ' a r r a n g e p a s avec son a d v e r s a i r e .
4 3 . — P o u r tout ovin qui sera trouvé paissant d a n s
un verger : 2 sous d ' a m e n d e au p r o p r i é t a i r e .
— 103 —
44- — Pour les a n i m a u x tels q u e la vache, 1 â n e et le
mulet, le p r o p r i é t a i r e doit p a y e r 4 sous et d é d o m m a g e r la
p e r s o n n e chez qui les dégâts ont été c o m m i s .
45.
- Celui qui refuse de c o m p a r a î t r e devant le qaïd :
20 d o u r o s .
4<). —
Q u i c o n q u e injurie le fqih ou lui m a n q u e do
respect ainsi q u ' à ses enfants, qu'il s'agisse d ' h o m m e s ou
de femmes : 4 d o u r o s .
47. — Q u i c o n q u e applique un souflet s u r la joue de
son semblable : 2 d o u r o s .
48. — Celui
2 douros.
qui frappe q u e l q u ' u n
avec un
bâton
:
4<j. — Celui qui crache sur son semblable : 1 d o u r o .
50. — Si un individu intente un procès à un autre et
que celui-ci refuse de c o m p a r a î t r e devant le Charaâ :
1 / 2 douro.
5 1 . — Celui qui se m o n t r e insolent e n v e r s les m e m b r e s
de la djemâa, qu'il s'agisse d ' h o m m e ou de femme :
1 douro.
5 2 . — Si u n e femme invoque le Charâa contre son
é p o u x (pour obtenir d'être divorcée), celui-ci est tenu de la
r é p u d i e r ; s'il ne le fait pas : 20 d o u r o s .
En outre, il sera e m p r i s o n n é j u s q u ' à ce qu'il la r é p u d i e .
5 3 . — Si un é t r a n g e r verse p o u r le récalcitrant les
20 d o u r o s de pénalité, cet individu sera puni d ' u n e a m e n d e
égale à celle indiquée plus haut.
54. — Si le qaïd c o m m a n d e de faire une chose et
qu'ensuite il se m o n t r e négligent au point que son o r d r e ne
s'exécute pas, il sera tenu de p a y e r 2 a o u r o s .
5 5 . — Dieu tirera vengeance de tous ceux qui o p é r e ront un changement ou une modification quelconque dans les
règles de cet azref.
FIN DE L'AZREF DES AIT ACHA
(A
suivre.)
CHROHIQUE
BERBÈRE
Les Archives B e r b è r e s ont annoncé, dans leur premier
numéro, la création d'une chaire de Langue berbère à l'Institut Oriental de N'aples. A la suite du concours ouvert à
Rome, en avril dernier, le titulaire
de
cette
chaire vient
d'être désigné
: c'est M.
BEGUINOT,
précédemment lecteur de Berbère au même Institut Oriental et qui s'est acquis
une compétence toute spéciale dans la dialectologie berbère
de la Lybie par des études et des recherches poursuivies au
cours d'une mission en Tripolitaine, d'où il a rapporté de
nombreux
documents
sur les
parlers
de
la
région
de
Zouagha.
Nous sommes heureux de lui adresser ici nos plus vives
félicitations.
Les lecteurs des Archives B e r b è r e s trouveront ci-après
le texte du rapport officiel par lequel la Commission du
Concours de Rome a rendu compte de ses travaux.
R. IJiSTiTuTO ORIENTALE DI JiAPOuI
Relazione della Commissione giudicatrice del concorso
alla cattedra di berbero
Eccellenza,
La C o m m i s s i o n e nominata d ' a l l ' E . V. p e r giudicare del
concorso alla cattedra di berbero del Regio Istituto Orientale
di Napoli ha iniziato il giorno 8 aprile 1 9 1 5 e nelle a d u n a n z e
successive, dal 9 al 13 dello stesso mese, ha compiuto i
suoi lavori.
Avevano chiesto di p r e n d e r e p a r t e al concorso i signori :
1 " prof. Francesco BEGUINOT,
2" dott. F. C R O U Z E T di Algeri.
— ios —
Ma ¡1 secondo fece s a p e r e all'ultimo m o m e n t o che, per
troppa scarsa conoscenza della lingua italiana, rinunziava a
partecipare al concorso.
Secondo il bando del Ministero, i candidati dovevano,
non soltanto con titoli scientifici, ma anche con p r o v e scritte
ed o r a l , dimostrare di possedere una buona conoscenza di
almeno uno fra i dialetti berberi della Libia, u n a adeguata
cultura nel campo degli studi berberi in genere, ed ancora
le indispensabili cognizioni di arabo letterario e di qualche
dialetto arabo della Tripolitania. La C o m m i s s i o n e pertanto
delibero che due fossero le prove scritte p e r il berbero : una
consistente nello svolgimento di un tema di genere narrativo nel dialetto del Gebel Nefusa, e l'altra nella traduzione
nello stesso dialetto, con trascrizione fonetica latina e con
caratteri arabi, di un testo italiano, con osservazioni com
parative morfologiche e lessicali con gli altri dialetti berberi
della Tripolitania. P e r l'arabo fu stabilita u n ' u n i c a prova
scritta, consistente nella traduzione italiana di un testo arabo
di carattere storico-geografico, relativo alla Tropolitania.
;
Le prove orali furono stabilite nel n u m e r o ui quattro :
cioè : r) lettura, interpretazione e illustrazione filológicacomparativa di testi berberi di vario genere : 2 ) lettura e
versione di testi in arabo volgare della Tripolitania e conversazione nello stesso arabo volgare : T,") conversazione
nel dialetto berbero del Gebel Nefusa con un indigeno fatto
venire al Ministero a tale scopo : 4 ) una lezione della
durata di so o 45 minuti, su un a r g o m e n t o storico-geografico
relativo ai berberi, per la cui p r e p a r a z i o n e furono assegnate al concorrente tre ore di t e m p o .
0
0
;
La C o m m i s s i o n e n base all'esame dei titoli accademici,
didattici e scientifici del concorrente ed ai risultati delle prove
scritte ed orali testé ndicate, è giunta alle conclusioni
seguenti :
;
Il dott. Francesco B E C U I N O T , laureato in lettere nella
R. Università di R o m a nel 1004, libero docente di lingue
semitiche e storia d'Abissinia nella stessa Università (1007),
e. dal gennaio 1 0 1 4 , incaricato di b e r b e r o nel R. Istituto
Orientale di Napoli, ha p r e s e n t a t o alcune pubblicazioni relative alla filologia semitica, e sovra tutto alle cose d'Abissinia,
nelle quali mostra buona p r e p a r a z i o n e filologica, buon
metodo scientifico e particolare attitudine alle ricerche
i
carattera fonetica.
—
io6
Le stesse qualità si palesano nei copiosi lavori m a n o s critti ch'egli presenta intorno a parecchi dialetti berberi
della Tripolitania ; taluno dei quali è stato da lui studiato
per la prima volta in base ai materiali ch'egli ha con gran
cura raccolto dalla bocca degli indigeni. Essi costituiscono
un notevole e nuovo contributo agli studi berberi. Altre
memorie dimostrano che il concorrente ha rivolto la sua
attenzione anche ai vari aspetti della vita sociale e religiosa
dei berberi tripolitani, in mezzo ai quali ha vissuto parecchio
tempo, facendovi utili e spesso acute osservazioni. Gli studi
d'archeologia berbero-libica fatti dal concorrente in C i r e naica risultano da materiali che il concorrente ha presentato
non ancora elaborati.
Le prove scritte ed orali h a n n o confermato che il concorrente ha ottima cognizione teorica e pratica dei dialetti
berberi del Gebel Nefusa, che sono quelli di maggiore
importanza per la Tripolitania. Meno versato invece è
a p p a r s o nella lessicologia comparata dei dialetti berberi dell'Algeria e del Marocco ; inoltre gli si può m u o v e r e l ' a p punto di non conoscere l'alfabeto tifinagh usato dai T u a r e g h .
Risulta poi dalle prove scrite ed orali che il concorrente
ha dell'arabo letterario le cognizioni necessarie per comp r e n d e r e i libri attinenti alla storia e alla geografia dei paesi
berberi ; e che è in grado di parlare speditamente l ' a r a b o
dialettale della Tripolitania.
La lezione, infine, ha provato che il concorrente sa
e s p o r r e con chiarezza ed efficacia gli argomenti che deve
trattare a voce : confermando cosi le attitudini didattiche che
già e r a n o risultate dall'insegnamento finora da lui tenuto per
incarico dell'Istituto Orientale.
La C o m m i s s i o n e pertanto è lieta di p r o p o r r e unanime
a l l ' n . V . che il dott. Francesco REGUINOT sia nominato p r o fessore titolare di berbero nel R. Istituto Orientale di Napoli,
ritenendo ch'egli abbia in larga misura tutti i requisiti per
occupare degnamente tale cattedra.
Roma, 1 3 aprile 1 0 1 3 .
Firmati : L. B O N E L L I .
R.
H.
I.
C.
BASSET.
STUMME.
GUIDI.
A.
NALLINO.

Documents pareils