- Fondation Pierre Arnaud

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- Fondation Pierre Arnaud
Vendredi 19 décembre 2014 | 24 heures
24 heures | Vendredi 19 décembre 2014
Culture&Société
Culture Société
Gastro Ciné Conso
Sortir Les gens
«Tout le monde avait envie de travailler avec
Jérôme Savary, tous se sentaient impliqués»
Carnet de bord
Opéra
Frédérique Lombart a été
longtemps l’assistante de
Jérôme Savary. Elle remonte
à Lausanne «La veuve joyeuse»,
du saltimbanque français
décédé en 2013. Rencontre
PHOTOS: GUILLAUME BINET
«Normalement, il devrait débarquer ces
jours-ci, avec son chapeau, son cigare. Il
embrasserait toutes les dames et il viendrait apporter sa patte au spectacle.» Impossible d’oublier la figure de Jérôme Savary en discutant avec Frédérique Lombart à l’Opéra de Lausanne, où elle dirige
les répétitions de La veuve joyeuse de
Franz Lehár. Pendant vingt ans, elle a été
son assistante sur ses opéras, opérettes
ou comédies musicales: «Jérôme me laissait le champ libre pour les reprendre, en
disant: «Avec Frédo, c’est toujours plus
fin», mais il venait chaque fois les derniers
jours, avec de nouvelles idées formidables. Il ne pouvait pas reprendre une production à l’identique.»
Intarissable sur ce grand «mélancomique» aux coups de gueule mémorables et
qui «remplissait sa vie par peur de la
mort», Frédérique Lombart est plus discrète sur son propre parcours, qui n’est
pourtant pas banal. Son grand-père a été
le premier percussionniste de l’OSR et,
gamine, elle se souvient d’avoir sauté sur
les genoux d’Ernest Ansermet! Si elle a
beaucoup œuvré dans l’ombre des régies
et de l’assistanat, cette intermittente au
long cours a aussi signé quelques mises en
scène personnelles, des films documentaires, des livres pour enfants, bref «plein
de choses et beaucoup de transmission».
Hemingway décrétait qu’écrire, c’était simplement coller son fond de pantalon au fond de
sa chaise. Pauline Guéna et Guillaume Binet sont allés chercher ses compatriotes écrivains.
Fort Worth, Texas, mars 2014. Pauline Guéna songe à l’imagerie drainée par l’Amérique:
«Cadillac roses, voyous des rues, boogie salace, etc.». Guillaume Binet à la photographie.
Sarasota, Floride, février 2014. Dans le Sud, la famille trouve Ron Rash qui
raconte les superstitions maléfiques de sa grand-mère et les motels hantés.
Une smala frenchie sur la route de Kerouac
Avec leurs quatre enfants, Pauline Guéna et Guillaume Binet ont avalé 40 000 kilomètres à la rencontre de 26 écrivains américains. Mieux qu’un safari
A
près un an de route, leur
journal de bord, L’Amérique des écrivains, tient de
l’album de famille et de
l’encyclopédie littéraire.
Pendant un an, la romancière Pauline Guéna et son compagnon
photojournaliste, Guillaume Binet, la quarantaine, ont cavalé aux Etats-Unis avec
leur jeune marmaille, Nine, Colette, Arsène et Joseph, de 2 à 11 ans. Des sauvages
Adirondacks de Russell Banks au macadam
de Brooklyn de Paul Auster, une odyssée
excentrique s’est esquissée. Elle raconte.
photos en casant les gamins, par exemple.
Mais c’était le concept, nous voulions pratiquer le journalisme «gonzo»,
à la Hunter Thompson,
qui dit «je» et décale les
sujets.
Voyager en troupe, était-ce
une manière d’instaurer un autre
rapport avec ces écrivains
célèbres, voir Nine qui vomit sur les
mocassins de Richard Ford?
Et du coup, Richard Ford s’est soudain dévoilé sous un autre jour: pas l’homme
connu pour détester les kids, mais un gentleman affable, offrant du jus d’orange et
des goûters aux petits Frenchies foufous!
En fait, nos plans se sont très vite désorganisés: nous ne savions jamais où nous
allions passer la nuit suivante, l’itinéraire se construisait selon des rendezvous mouvants. Notre stratégie s’est
déglinguée: impossible de prendre les
«En France, il y a cette
pudeur à parler d’une
conviction viscérale
à écrire; les Américains
causent labeur, patience,
acharnement»
Pauline Guéna Coauteur
de L’Amérique des écrivains
Que direz-vous à vos enfants
plus tard s’ils vous
reprochent de les avoir
mis en scène?
C’était un souci: les exposer sans
les cacher ni attenter à leur intimité. Néanmoins, du moment que
nous pénétrions dans la vie privée de
ces auteurs, dans leur environnement
intime, il y avait aussi un échange. Mais
Nine me demandera peut-être des
comptes dans vingt ans pour avoir raconté «la légende du vomi»!
Avez-vous décelé une tonalité
commune à ces romanciers?
Tous affichent une attitude face à l’écriture très différente de leurs homolo-
gues français: elle repose sur le travail et la
rigueur, pas sur un talent inné. Chez nous,
il y a cette pudeur à parler d’une conviction
viscérale à écrire; eux causent labeur, patience, acharnement. Ils ont aussi inventé
les ateliers de creative writing, où on apprend à écrire comme un élève ferait ses
gammes dans un conservatoire de musique. Ça donne une idée de leur approche.
devinais chez un James Lee Burke par
exemple, qui traite de la Louisiane comme
d’un personnage vivant. Sur le terrain, je
retrouvais des paysages «lus» chez T. C.
Boyle, des arrière-salles de bar croisées
chez Thomas McGuane ou Dinaw Mengestu. Ce sens du lieu les définit. Même si
écrire, ce «crime sans victime», n’interdit
aucun sujet, comme le note Russell Banks.
que Richard Ford nous avait vivement conseillé de rencontrer. Comme beaucoup, il
ne vient pas d’un milieu intellectuel, a appris à écrire en autodidacte, en recopiant
les textes des autres. Son grand-père trafiquait au temps de la Prohibition à Albany,
lui a été promu coscénariste de Francis F.
Coppola sur Cotton Club. Du coup, tout un
pan d’histoire hollywoodienne surgissait!
Les lieux influencent-ils leur style?
La géographie façonne l’imagination. Je le
Lequel vous a le plus surprise?
Peut-être William Kennedy, un patriarche
Avez-vous été déçue?
Alors que la plupart des écrivains contac-
La blondeur éclatante de l’actrice Virna Lisi a fui
Cinéma
L’actrice italienne Virna Lisi, éclatante beauté blonde, est morte à
l’âge de 78 ans après une longue
carrière au côté des plus grands
réalisateurs, de Rome à Paris en
passant par Hollywood, et qu’elle
a poursuivie jusqu’à ses derniers
jours. Italienne au visage de madone que Hollywood imaginait en
nouvelle Marilyn, elle a été dirigée
par les plus grands, d’Alberto Lattuada à Mario Monicelli, Dino Risi,
Henri Verneuil, Joseph Losey.
VC5
AFP
La comédienne italienne
est décédée après une
longue carrière auprès
des plus grands cinéastes
Virna Lisi, ici en 1969, a joué
dans de multiples registres.
C’est sous la direction de ce dernier cinéaste qu’elle tourne l’un
de ses premiers grands films, Eva
(1962), avec Jeanne Moreau.
Deux ans plus tard, elle apparaît
au générique des Poupées (1964),
de Risi. Elle part ensuite à Hol-
lywood, où elle signe un contrat
de sept ans avec la Paramount et
joue dans Comment tuer votre
femme (1965), de Richard Quine,
avec Jack Lemmon. Mais, refusant
d’être cantonnée aux rôles de
blonde sexy, elle dédaigne Barbarella, de Roger Vadim – qui sera un
immense succès pour Jane
Fonda –, et rompt son contrat
après seulement trois ans.
Sa carrière se poursuit de
Rome à Paris, Londres ou Berlin,
parfois dans des productions hollywoodiennes, comme L’arbre de
Noé de Terence Young (1969), Barbe-Bleue d’Edward Dmytryk (1972)
ou encore Le Serpent d’Henri Verneuil (1972). Ses films phares
comptent aussi Au-delà du bien et
du mal (Liliana Cavani, 1977),
La cigale (Alberto Lattuada, 1980),
Joyeux Noël… Bonne année (Luigi
Comencini, 1990)…
Dans près de 80 films pour le
grand écran et une quarantaine
pour la télévision, la déesse italienne est apparue dans des registres multiformes, osant passer des
rôles de vamp à ceux de femme
vieillie, enlaidie, méconnaissable
mais toujours éblouissante.
Après quarante ans de carrière,
elle a été couronnée Meilleure actrice à Cannes en 1994 pour sa
puissante interprétation de Catherine de Médicis dans La reine Margot de Patrice Chéreau, qui lui a
aussi valu le César du meilleur second rôle féminin. AFP
par Lord Snowdon: le protocole
se craquelle. Dans la compilation
Grands écrivains frappent encore
une exquise Karen Blixen au turban,
un fort sexy D. H. Lawrence,
un malicieux George Bernard Shaw.
L’essayiste italien Goffredo Fofi,
qui a opéré cette sélection internationale
d’auteurs du XXe siècle, oppose
«les maîtres des images et les maîtres
des mots». A scruter les face-à-face,
l’intellectuel décèle le narcissisme du
modèle, la perspicacité du photographe.
Le miracle surgit souvent, et il n’est pas
Repéré pour vous
Une collection de croches
Si vous avez toujours entendu «Loin Singapour,
c’est long, c’est lent» sur
Belle-Ile-en-Mer Marie Galante, alors que Laurent
Voulzy chante «Loin Singapour, Seymour, Ceylan». Si vous avez tiqué sur
«Afrique adieu, ton cœur samba»
de Michel Sardou, qui lie cavalièrement continent noir et danse brésilienne. Si le «A» de «psychAdélique» qu’appuie Etienne Daho sur
son excellent Tombé pour la France
vous écorche les oreilles. Alors
cette Anthologie des bourdes et
autres curiosités de la chanson française est pour vous. Ce parfait cadeau de Noël recense les plus belles
perles de la variété hexagonale, en des chapitres
comme «Hallucinations
auditives», «Erreur historique», «Liaisons dangereuses» ou «Fautes de syntaxe» (Michel Fugain
chantant «le monde sera
ce que tu le feras», sur Le chiffon
rouge). Les «Very Bad Titres» valent
aussi le coup, tel l’incroyable Danse
et ferme ta gueule du riant Bernard
Constant (1980). F.B.
Anthologie des bourdes
et autres curiosités
de la chanson française
Alister
La Tengo Ed, 143 p.
Frédérique
Lombart
Metteuse en scène
Son ancienne assistante remonte donc
les titres les plus demandés: «Chouchou,
m’avait-il dit alors qu’il se savait condamné, les opéras sont les seules choses
qui vont rester: c’est toi qui vas les sauver!» Alors, en même temps que La veuve
à Lausanne, Frédérique Lombart remonte La belle Hélène à Avignon, laquelle
ira ensuite à Vichy; l’an prochain, ce sera
Lausanne, Opéra
Di 21 décembre (17 h), ma 23 (19 h), di 28
(15 h), ma 30 (19 h), me 31 (19 h)
Rens.: 021 315 40 20
www.opera-lausanne.ch
Repartir, c’est dans l’air?
Il y a peu, je vous aurais dit que je ne
remettrais plus jamais les pieds dans un
camping-car. Maintenant… ces rencontres
nous ont tant reboostés! Rien que voir l’implication de ces auteurs dans la vie, leur
choix sans compromis. Même les enfants
en ont profité. Et si la plus petite n’en
gardera sans doute rien, elle aura bénéficié
de notre compagnie au lieu d’aller un an à
la crèche.
D’autres figures littéraires se laissent tirer le portrait
U Zoom En 1936, Bertolt Brecht, sous
ses gros verres ronds, traîne un air confit
de modeste rond-de-cuir: le stylo-plume
dans la poche du costard indique peu
le génial dramaturge. David Seymour,
cofondateur de l’agence Magnum, alias
«Chim», le saisit comme un photographe
de guerre monte au front: dans la
contradiction de l’instant. A Neuchâtel,
trente ans plus tard, Henri CartierBresson réussit aussi un Dürrenmatt
à la pipe. Les pupilles percent au laser,
la bouche lippue va éructer de cinglantes
vérités. Martin Amis est croqué en dandy
tés se sont montrés curieux, enthousiastes
même, hospitaliers, il y a eu des ratés. Jim
Harrison nous avait fixé rendez-vous n’importe quel jour, du moment que ça soit à
14 h. Avant ou après, il part à la chasse ou
à la pêche. Mais il a tout annulé en raison
de pépins de santé. Nous avons aussi manqué Joyce Carol Oates, la grande dame des
lettres américaines, qui ne correspond que
par e-mail. Et Toni Morrison, accessible via
un staff très compliqué. Philip Roth a fait
défaut, comme Cormac McCarthy.
«A la fin des
représentations,
nous cédons les décors
aux opéras qui nous
accueillent. Les mises
en scène de Jérôme
sont intemporelles»
La vie parisienne à Metz, la Cenerentola à
Rennes, puis à Ljubljana. «A la fin des
représentations, nous cédons les décors
aux opéras qui nous accueillent, ajoutet-elle encore. Les mises en scène de Jérôme sont intemporelles.»
Pour tenir sa promesse, Frédérique
Lombart n’est pas seule, pour son grand
bonheur. Autour d’elle gravite le noyau
d’artistes fidèles à Savary, à sa force de
conviction et à son esprit de troupe.
«Nous nous sommes tous trouvés orphelins à sa mort, car il faisait travailler un
nombre incroyable de gens, qui se sentaient impliqués pour lui, sur scène
comme en coulisses. Tout le monde avait
envie de travailler avec lui.»
Ainsi, Michel Dussarat, pilier du Grand
Magic Circus (la première compagnie de
Savary), est de retour pour les costumes;
Nadège Maruta, qui signait les chorégraphies de french cancan pour Savary depuis 1983, forme de jeunes danseurs de
l’Atelier Rudra-Béjart. Et Cyril Diederich
dirige à nouveau le Sinfonietta de Lausanne. «Le plus amusant, note enfin la
metteuse en scène, c’est de voir
aujourd’hui Brigitte Hool, magnifique
dans le rôle-titre, alors qu’elle jouait Nadia
en 2006.» Cette équipe met toute son
énergie à retrouver les mêmes nuances et
les mêmes émotions de cette Veuve
joyeuse, et surtout le rythme car, «avec
Savary, tout est rythme».
Matthieu Chenal
forcément le fait d’un talent célébré:
des anonymes ont aussi laissé leurs
traces à la postérité. Autre séduction
de cette galerie inédite, de très rares
portraits d’écrivains discrets.
Grands écrivains
Collectif
Ed. du Chêne, 512 p.
L’Amérique
des écrivains
Pauline Guéna et
Guillaume Binet
Ed. Robert Laffont,
352 p.
VANAPPELGHEM
Cécile Lecoultre
En 2006, elle était déjà à Lausanne
avec Jérôme Savary pour sa version très
parisienne de La veuve, reprise
aujourd’hui. Savary jouait le rôle du Baron Popov, ambassadeur de Marsovie,
«avec un trac de débutant», glisse-t-elle au
passage. Mais, depuis mars 2013, la Marsovie est en deuil. Terrassé par un cancer,
le saltimbanque a définitivement fermé
boutique, à l’âge de 70 ans, tandis que sa
compagnie, La Boîte à Rêves, possédait
encore les droits et les décors de ses spectacles.
«La veuve joyeuse», un spectacle qui a rendez-vous avec la lune et avec le fameux metteur en scène Jérôme Savary.
Le musée de Lens interroge le réalisme ambigu d’ici et d’ailleurs
Beaux-arts
La seconde exposition
hivernale de la Fondation
Pierre Arnaud présente
une sélection variée
d’un «courant sans école»
La tête posée sur le rail comme sur
un billot, le vagabond attend le
train qui arrive en trombe. La
force de son regard crie une résignation terrifiée. Sans espoir
(1891), du Suisse Gustave Jeanneret, s’impose à Lens (VS) comme
un exemple puissant du propos
de la seconde édition hivernale de
la Fondation Pierre Arnaud: circonscrire une école réaliste dont
les principaux maîtres (dont GusVC5
Le réalisme social de Sans espoir, de Gustave Jeanneret. LDD
tave Courbet) ont toujours nié la
qualité d’école. Ils ont en commun un trait photographique, une
absence d’affectation et, surtout,
une focale portée sur la vie ordinaire, les faits divers, les scènes
du quotidien ou les paysages.
A travers près de 200 œuvres
mêlant peintres suisses et étrangers (la mission originelle de la
fondation), accolant le travail des
champs de l’école de Savièse aux
ouvriers, pêcheurs et autres artisans saisis par des peintres russes,
français ou italiens, l’exposition
magnifie l’ambiguïté d’un mouvement né au milieu du XIXe et oscillant entre idéalisme et naturalisme, modernité et réaction. «J’ai
étudié en dehors de tout esprit de
système l’art des anciens et des
modernes», écrivait Courbet en
1855. Le versant suisse de ce réalisme est représenté avec force
par des œuvres de Valloton, de
Chavaz, de Burnat-Provins, de Hodler, de Biéler, etc. Loin d’un réalisme purement esthétique ou
«mimétique», l’exposition démontre comment d’une nouvelle
façon de penser son sujet (et la
place du peintre vis-à-vis de lui)
est née une production variée et
cohérente. François Barras
Lens (VS), Fondation Pierre
Arnaud
Du 20 décembre au 19 avril
Rens.: 027 483 46 10
www.fondationpierrearnaud.ch
En 2 mots…
Décès de Bontempelli
Chanson Guy Bontempelli,
auteur-compositeur dont les
chansons furent interprétées par
Françoise Hardy, Juliette Gréco,
Dalida ou Mireille Mathieu, est mort
mardi à l’âge de 74 ans. Il avait aussi
écrit pour Nicoletta, Brigitte Bardot,
Nana Mouskouri, Richard Anthony
et Charles Aznavour. AFP
Boulimie est encore beau
Théâtre A Boulimie, l’hommage
à Jean Yanne Tout le monde il est
beau… mis en scène par Güner et
Gérard a, comme il se doit, droit à des
supplémentaires. Sa 20 et du sa 27
au me 31 décembre (20 h 30). B.S.
Rens.: 021 312 97 00
www.theatreboulimie.com