Roger Gay (Professeur honoraire des universités) 9, rue Paul
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Roger Gay (Professeur honoraire des universités) 9, rue Paul
Lettres à la rédaction / Réanimation 14 (2005) 663–667 [38] Rodeau JL, Malan A. A two-compartment model of blood acid-base status at constant or variable temperature. Respir Physiol 1979;36:5– 30. [39] Negovskii VA. Resuscitation and artificial hypothermia. Preface by Claude S Beck. Translation from the Russian. London: Pitman; 1962. [40] Fuhrman GJ, Fuhrman FA. Effect of temperature on the action of drugs. Annu Rev Pharmacol 1961;1:65–78. [41] De Witte J, Sessler DI. Perioperative shivering. Physiology and pharmacology. Anesthesiology 2002;96:467–84. Roger Gay (Professeur honoraire des universités) 9, rue Paul-Verlaine, 87100 Limoges, France Adresse e-mail : [email protected] (R. Gay). 1624-0693/$ - see front matter © 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2005.09.012 Vérités historiques sur l’utilisation de l’hypothermie en thérapeutique humaine : de Diên Biên Phu à Harbin, en passant par la Sibérie Je tiens à remercier le professeur Roger Gay, pour sa lettre extrêmement argumentée concernant l’article « hypothermie en réanimation : un sujet brûlant » [1]. Plusieurs points dans sa lettre méritent d’être précisés ; certaines réponses peuvent également être apportées à ses interrogations. En guise de préambule, il me semble essentiel de préciser que je n’ai aucune connaissance particulière me permettant de rédiger un article d’histoire de la médecine, ce qui n’était d’ailleurs pas le sujet qui m’avait été confié. Néanmoins, il me semblait important en débutant une revue générale sur l’utilisation de l’hypothermie en réanimation de rappeler en guise de préambule que, comme bien souvent en médecine, les « nouvelles » procédures thérapeutiques reposent sur des expériences antérieures, comme cela était clairement exprimé dans la phrase d’introduction. Ce fut le cas par exemple de la ventilation non invasive qui, après des « balbutiements » (c’est-à-dire la publication de résultats initiaux !) dès le XIXe siècle [2,3], des séries cliniques dont certaines françaises sous l’impulsion de l’équipe de Paul Sadoul à Nancy dans les années 1960 [4], n’a connu un développement important que dans les années 1990–2000. Ce fut également le cas de l’utilisation des mélanges gazeux hélium–oxygène en réanimation respiratoire, qui fut développée dès le début du XXe siècle [5], a connu une période « d’ombre » liée à des problèmes de disponibilité de l’hélium à la sortie de la guerre 1939–1945, avant d’être remise au goût du jour plus récemment. Une revue générale ne peut que rarement être exhaustive, en particulier en raison de contraintes éditoriales que ne saurait ignorer le professeur Roger Gay, ancien rédacteur en chef 665 de la revue. Les multiples références de Vladimir Negoski, ainsi que celles sur la prévention des frissons n’ont ainsi pas pu trouver leur place dans un article qui dépassait déjà de loin les quarante références autorisées par la revue (merci à François Fourrier, rédacteur en chef précédent de m’avoir autorisé cette entorse...). L’interprétation des gaz du sang en fonction de la température n’a pour moi que peu de sens, car ce phénomène est clairement établi et fait partie des recommandations usuelles de bonne pratique médicale et d’analyse biologique. Aucune mention ni référence bibliographique à ce sujet n’a donc été faite. Les expérimentations fondatrices essentielles de Philippe Huguenard et Henri Laborit n’ont pour ces mêmes raisons pas été référencées [6]. Cependant, leur application clinique directe, à savoir l’utilisation de l’hypothermie en chirurgie de guerre est évoquée. Si comme le rappelle à juste titre monsieur le professeur Roger Gay de très nombreuses publications ont été faites sur le sujet avant 1966, peu d’entre elles sont accessibles ; seules quelques très rares études étaient par ailleurs de qualité scientifique indiscutable. Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier que cette procédure thérapeutique a complètement disparu de la pratique médicale en réanimation pendant plus de 25 ans. Dire que « L’affırmation selon laquelle les militaires français ont utilisé l’hypothermie lors d’interventions chirurgicales à Diên-Biên-Phû est erronée » me semble une affirmation excessive et non documentée. L’utilisation de l’hypothermie durant la guerre d’Indochine est une réalité historique ! Ainsi, Claude Chippaux (cité par KH Polderman [7]), médecin–commandant à l’hôpital central Lanessan, lieu d’évacuation des blessés, rapporte dans une revue générale en plusieurs épisodes les indications et modalités pratiques d’application de cette procédure [8]. Si après une utilisation très large au début du conflit, les indications ont été restreintes (10 % des opérés les plus graves) et les modalités d’applications redéfinies [9], la technique a été employée dès le niveau des antennes chirurgicales mobiles pendant tout le conflit. Comme le lecteur peut très clairement le voir sur la feuille de surveillance d’un patient mise en annexe (Fig. 1), « l’hibernation artificielle » (ou « hibernothérapie » selon le terme également employé à l’époque) était appliquée avant l’évacuation en avion Dakota vers Hanoï. Cette procédure consistait en l’adjonction de 4560RP (chlorpromazine : Largatil®) au « cocktail de déconnexion neurovégétative M1, dit de Nicol » (3277RP [Phénergan ® ], péthidine [Dolosal®] ± barbituriques), réalisant ainsi le cocktail « M2 » (ou « DLP » ou encore « cocktail lytique » ; utilisé par la suite en cancérologie) qui était réservé aux patients en état de choc hémorragique sévère. Si les témoins de l’époque sont malheureusement devenus fort rares, j’ai cependant eu le privilège de pouvoir discuter de ce sujet avec Pierre Huguenard, protagoniste essentiel de l’époque et responsable conjointement avec Henri Laborit d’une mission d’expertise sur le terrain en 1952. Il m’a bien confirmé que cette procédure « d’hibernation artificielle » a été utilisée durant toute la cam- 666 Lettres à la rédaction / Réanimation 14 (2005) 663–667 Fig. 1. Courbe de surveillance d’un patient blessé à l’abdomen et « hiberné à l’avant », préalablement à l’évacuation vers Hanoï. Comme on peut clairement le voir sur la figure, ce patient en état de choc extrêmement sévère a reçu une injection de cocktail M2 dans les heures précédant son évacuation. La température corporelle est descendue en dessous de 35 °C dans l’heure suivante et maintenue en dessous jusqu’à la sortie du bloc opératoire. Reproduit avec autorisation d’après [8] (© Masson, éditeur). pagne d’Indochine et appliquée dès les antennes chirurgicales mobiles enterrées, proches du champ de bataille. Il n’a malheureusement pas pu me certifier que dans la phase ultime du combat à Diên Biên Phu, qui a duré plusieurs semaines, cette technique a réellement été utilisée. Il est effectivement vraisemblable que la situation sanitaire des derniers jours de combat a rendu difficile l’utilisation de « l’hibernation artificielle » en raison de conditions matérielles et sanitaires effroyables. Il serait cependant extrêmement étonnant qu’une procédure aussi standardisée à l’époque n’ait pas été utilisée, alors qu’elle l’avait été auparavant sur bien d’autres champs de bataille. Dans les deux ouvrages généraux cités par le docteur Roger Gay et que j’ai également consulté, le terme « d’hibernation artificielle » n’est pas utilisé, vraisemblablement parce que ces ouvrages étaient initialement destinés à un très large public et non pas à un comité de lecture médical. Cependant, plusieurs passages de ces deux ouvrages et en particulier celui du docteur Paul Grauwin responsable d’une de ces fameuses antennes chirurgicales enterrées de Diên Biên Phu, évoquent l’utilisation de « cocktails » de drogues, et le terme de « déconnexion neurovégétative » (base même de « l’hibernothérapie ») est clairement rapporté [10]. Les nombreuses références historiques additionnelles proposées par le professeur Roger Gay ne viennent à mon sens que confirmer la raison de ce petit chapitre historique : nous n’avons rien inventé (ou presque), mais nous l’avons cependant standardisé et validé selon nos standards scientifiques actuels. Je suis en revanche en totale opposition avec lui quand il nous dit « qu’on ne peut passer sous silence certaines expériences menées en 1942 et 1943 par les médecins nazis dans les camps de concentration ». Le débat concernant la diffusion des « résultats des études scientifiques » menées par le docteur Rascher du sinistre groupe d’étude Seenot (« Péril en mer ») au camp de Dachau a enflammé l’opinion publique et la communauté scientifique internationale à de multiples reprises et des positions de principe ont été définies [11–14]. Tout comme les « expérimentations » japonaises similaires réalisées en Mandchourie à partir de 1936, cela ne mérite pas d’être détaillé dans une revue médicale, tant la « méthodologie » de ces expérimentations était ignoble et dénuée de sens scientifique. Le lecteur intéressé par ces épisodes sombres de l’histoire « médicale » lira avec attention le remarquable ouvrage de Stanislav Zàmecnik, historien juif tchèque interné à Dachau, qui y consacre un chapitre [15]. À la lecture de ces « études observationnelles » ignobles, je préfère sans l’ombre d’une hésitation celle des mémoires du Baron Larrey [16] qui, dans la partie consacrée à la retraite de Russie (températures extrêmes de –70 °C), détaille de façon très précise les signes cliniques de l’hypothermie, avec ses conséquences physiques générales, puis neurologiques. Le passage concernant la survie plus importante des soldats blessés éloignés du foyer y est également clairement identifié. J’espère que ces quelques lignes auront pu éclairer des zones d’ombres et intéressé des lecteurs plus habitués à des discussions d’ordre technique, thérapeutique ou éthique. Références [1] [2] [3] L’Her E. L’hypothermie en réanimation : un sujet brûlant ? Réanimation 2005;14:177–85. Dalziel J. On sleep and apparatus for promoting artificial respiration. Br Assoc Adv Sci 1838;1:127. Fell GE. Forced respiration. JAMA 1891;16:325. [4] Entretiens de physiopathologie respiratoire : Nancy, Octobre 1964. Bull Physiopath Resp 1965;1:35–344. [5] Barach AL. The use of helium in the treatment of asthma and obstructive lesions in the larynx and trachea. Ann Intern Med 1935;9:739–65. [6] Laborit H, Huguenard P. Pratique de l’hibernothérapie en chirurgie et en médecine. Paris: Masson; 1954. [7] Polderman KH. Application of therapeutic hypothermia in the intensive care unit. Opportunities and pitfalls of a promising treatment modality. Part 1: indications and evidence. Intensive Care Med 2004; 30:556–75. [8] Chippaux C. Hibernation artificielle et déconnexion neurovégétative. Partie I. Anesth Analg 1958;15:1–15. [9] Chippaux C, Carayon A, Rouffilange F, Fabre A, Borjeix L, Lapalle J. L’hibernation artificielle en chirurgie de guerre (d’après son emploi actuel en Indochine). Presse Med 1954;62:504–6. Lettres à la rédaction / Réanimation 14 (2005) 663–667 667 [10] Grauwin P. J’étais médecin à Diên Biên Phu. Paris: France Empire; 1954. [16] Larrey B. Mémoires de chirurgie militaire et campagnes –– 1786– 1840. Paris: Tallandier, coll. Bibliothèque Napoléonienne; 2004. [11] Wade N. The errors of Nazi science. New York Times 1990 [May 27]. E. L’Her Service de réanimation et urgences médicales, CHU de la Cavale-Blanche, 29609 Brest cedex, France Adresse e-mail : [email protected] (E. L’Her). [12] Cohen BC. The ethics of using medical data from Nazi experiments. Jewish virtual library. URL : http://www.jewishvirtuallibrary.org/ jsource/Judaism/naziexp.html. [13] Bogod D. The Nazi hypothermia experiments: forbidden data? Anaesthesia 2004;59:1155–9. [14] Roelcke V. Nazi medicine and research on human beings. Lancet 2004;364:s6–7. [15] Zàmecnik S. C’était ça Dachau –– 1933–1945. Paris: Le Cherche Midi; 2003. 1624-0693/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. doi:10.1016/j.reaurg.2005.09.013