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Editions Hatier
Corrigé
(plan détaillé avec introduction et conclusion rédigées)
Introduction
On peut définir l'imagination en l'opposant à la fois au réel et à la raison. L'imagination s'oppose au réel : elle
nous porte en effet dans un monde où tout est possible, où les fantaisies les plus délirantes deviennent plausibles
(chevaux ailés, dragons...). Mais l'imagination s'oppose aussi à la raison : en effet, elle a affaire à des images,
autrement dit à des caractères et des marques sensibles ; la raison, au contraire, a affaire à des concepts.
Dès lors, n'est-il pas clair que l'imagination nous éloigne à la fois du réel et de la raison ? Ne constituerait-elle
pas un obstacle à notre savoir, et la principale cause de notre ignorance ? À ceci s'ajoute que nous ne pouvons
nous affranchir de l'imagination : en tant que nous sentons et construisons des images, nous sommes forcés
d'imaginer.
Imaginer est donc une activité nécessairement liée à la condition humaine en général ; mais elle signale en même
temps son impuissance à faire face au réel, et à exercer adéquatement sa raison. L'imagination serait-elle donc la
cause essentielle d'une impuissance fondamentale de l'homme, d'une faiblesse intrinsèquement liée à la condition
humaine, bref, de notre malheur ?
1. L'imagination comme malheur de l'homme
A. L'imagination comme source d'illusions
Comme le montre Pascal dans ses Pensées1, l'imagination est bien cette “ maîtresse d'erreur et de fausseté ”, la
source des illusions qui marque la condition humaine : “ cette faculté trompeuse qui semble nous être donnée
exprès pour nous induire à une erreur nécessaire ” détermine en effet toutes les actions humaines : guerres
d'ambition, amours, etc. Elle nous donne une vision faussée de la réalité et de nous-mêmes en nous déterminant à
juger d'après nos propres impressions. Si bien que “ l'imagination dispose de tout ”, tout en étant au service d'une
illusion généralisée.
De plus l'imagination a deux grands torts aux yeux de Pascal : d'une part, elle dissimule sa propre fausseté : elle
se révèle parfois vraie, lorsque par exemple nous imaginons un événement qui se produit réellement. Si bien
qu'en imaginant, nous ignorons si nous nous trompons. D'autre part, il n'est pas possible de se débarrasser de
l'imagination : elle persiste, même lorsque l'on s'est rendu compte de sa propre erreur. L'imagination est donc
illusion plus qu'erreur.
B. L'imagination et le pouvoir
D'après Pascal, l'imagination est aussi la source de toute domination politique et sociale. Elle fonde ainsi la
soumission du peuple aux “ grands ”. Elle exerce une très forte contrainte sociale : elle fait croire qu'un signe
extérieur de noblesse (le port d'une perruque, d'une épée) renvoie à un caractère réel de la personne. Elle est donc
à l'origine d'un pouvoir arbitraire, fondé sur une illusion, car il s'agit bien d'un pouvoir imaginaire. Pascal affirme
ainsi : “ Qui dispense la réputation ? Qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois,
aux grands, sinon cette faculté imaginante2 ? ”
Pascal fait ainsi apparaître l'imagination comme la cause essentielle d'un malheur de l'homme : malheur lié à ses
illusions ; malheur lié à sa condition sociale et politique. Mais d'un autre point de vue, l'imagination n'apporte-telle pas des remèdes à ce malheur ?
2. L'imagination comme remède au malheur
A. La satisfaction imaginaire
En effet, si l'imagination porte à se détourner de la réalité, elle permet aussi la satisfaction imaginaire de désirs
que la réalité ne permet pas d'accomplir. Ainsi Freud montre-t-il qu'un désir, refoulé parce qu'incompatible avec
la réalité (ex. : inceste), trouve une satisfaction “ hallucinatoire ” dans le rêve ou la névrose.
Le détour par l'imagination est donc ici une solution au conflit entre le désir et la réalité. Parce que l'imagination
éloigne de la réalité, elle est aussi une solution pour échapper à ses impératifs contraignants. L'imagination
permet ainsi de remédier à la condition malheureuse de l'homme, qui implique nécessairement le refoulement
d'un certain nombre de désirs contredisant les normes sociales.
B. L'imagination comme consolation
Ce rôle consolateur de l'imagination avait déjà été bien perçu par Épicure. Il affirme ainsi dans la Lettre à
Ménécée3 que le souvenir et l'image de plaisirs passés peuvent servir de remèdes et de consolation face à des
maux présents (maladie, vieillesse). L'imagination, en tant que mémoire, permet de rendre présents, actuels, des
biens que la réalité peut faire croire définitivement perdus.
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Une fois encore, c'est précisément parce que l'imagination contredit la réalité présente qu'elle constitue un
remède au malheur de l'homme. La même propriété de l'imagination peut donc avoir des effets contraires :
engendrer le malheur, ou inversement faire revenir le bonheur. L'imagination n'est donc pas, par essence, la
cause d'un supposé malheur de l'homme.
3. L'imagination créatrice comme condition du bonheur
A. Imagination et projet
Bien plus, l'imagination peut même apparaître comme la condition d'un bonheur de l'homme. En effet, elle seule
peut donner à l'homme une image de son avenir, et le déterminer dans le présent à réaliser cette image. Dès lors,
l'imagination apparaît comme la condition d'un bonheur possible, c'est-à-dire d'un bonheur que l'on conçoit et
que l'on s'efforce de réaliser.
En ce sens, si l'homme n'imaginait pas, il serait incapable de dépasser la réalité présente : il ne pourrait faire
aucun usage de sa liberté ; il ne pourrait se construire un avenir conformément à un projet. Sartre affirme ainsi : “
S'il était possible de concevoir un instant une conscience qui n'imaginerait pas, il faudrait la concevoir comme
totalement engluée dans l'existence et sans possibilité de saisir autre chose que de l'existant4. ”
B. L'imagination créatrice
Ce rôle fondamental de l'imagination dans la construction du projet fait apparaître la dimension créatrice de
l'imagination : dans l'accomplissement d'un projet, l'imagination construit la réalité et ne s'oppose plus à elle.
À cet égard, le - supposé - malheur de l'homme dû à l'imagination n'est plus une donnée éternelle de la condition
humaine. Bien au contraire, l'imagination est ce qui permet de dépasser la réalité pour la reconstruire, en faveur
d'un bonheur à venir. Bergson, dans l'Énergie spirituelle, souligne bien cette dimension créatrice de
l'imagination : tous les inventeurs (mécaniciens, écrivains, peintres, musiciens...) construisent leurs inventions à
partir d'un schéma de l'imagination déterminé à l'avance.
Conclusion
Certes, l'imagination est source d'illusions qui déterminent (entre autres) une domination sociale et politique de
l'homme par l'homme. Il est néanmoins difficile de concevoir un malheur de l'homme dû exclusivement à
l'imagination : en tant qu'elle dépasse et fuit la réalité, l'imagination permet aussi bien de remédier à ce malheur.
Elle donne même les moyens de modifier la réalité, de la reconstruire en vue d'un bonheur futur : en cela, elle
n'est pas seulement condition du bonheur, mais condition d'exercice de la liberté.
1. Pascal, Pensées, éd. Brunschwicg, § 82, le Livre de poche, p. 41.
2. Cf Méditations métaphysiques, méditation sixième, GF p.175.
3. Épicure, Lettre à Ménécée, Hatier, coll. “ Profil philosophie ”, n° 711.
4. Sartre, L'Imaginaire, Gallimard, coll. “ Folio-essais ”, p. 236.
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