La course carte postale

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La course carte postale
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DÉCOUVERTE
Pas le temps d’admirer le pain de sucre qui surplombe la baie.
Les chaussettes usées par les kilomètres, Augustin Harilala file vers Diego.
La course carte postale
MARATHON DE DIEGO - Plongée au cœur d’une course qui fait ses premiers pas. En toile de fond :
les paysages extraordinaires de la pointe nord de Madagascar.
Ça commence par un long briefing à l’ancienne à quelques minutes du départ. Mégaphone à la
main, Jean-Marie Daval s’époumone. “La sono n’est pas encore
arrivée”, sourit-il. Connu sous
nos cieux pour être notamment
le “papa” de la Cimasalazienne,
il avait rêvé de ce jour où Diego
Suarez, son port d’attache, accueillerait son premier marathon
international. International ? Le
terme n’est pas tout à fait usurpé.
Au départ, des Malgaches bien
sûr, quelques Français, un Américain, un ou deux militaires venus de Mayotte et un coureur
originaire de Turquie. Venue de
Tana, la ministre du Tourisme,
Irène Andréas, a l’honneur de
donner le départ. Elle dit : “C’est
un honneur pour Diego d’accueillir
un tel événement”. Pour le reste du
discours, on verra plus tard. La
meute est lâchée. Le mot “tactique” n’a, ici, pas sa place dans les
dictionnaires d’athlétisme. Le
départ est ultra-rapide. Trop. Et
après un petit tour dans les rues
du centre-ville, les coureurs gagnent la route de Ramena. Vue
imprenable sur la baie de Diego
et son pain de sucre. C’est l’atout
numéro un de la course : son dé-
cor. Cette baie, avec 156 kilomètres de côte, est la deuxième plus
grande du monde après celle de
Rio de Janeiro. Le tracé ne quitte
jamais vraiment la mer. Courir
au milieu d’une carte postale,
c’est donc possible. Le prix à
payer : des rafales de vent et une
route aux allures de montagnes
russes.
AUGUSTIN, VAINQUEUR
AUX PIEDS NUS
Devant, le Malgache Fabien
Randrianarison, sur le semi-marathon, mène le bal. Il est venu
de la capitale. Pas loin de deux
jours de route pour un petit moment de gloire et la prime accordée aux vainqueurs. 100 000
ariarys, soit une cinquantaine
d’euros, c’est pas l’Amérique,
mais ça permet voir venir. Le médaillé d’or du 10 000 m des Jeux
des Îles décroche son compagnon d’échappée et s’impose à
Ramena. Le charmant petit village de pêcheurs est en fête, aussi
et surtout parce que la plage accueille également l’arrivée d’une
régate à la voile entre les meilleurs marins du coin. Les marathoniens, eux, doivent remettre
Mercredi 30 septembre 2009
Le Journal de l’Île
le cap au sud pour le long chemin du retour vers Diego. Il fait
chaud, très chaud sur la baie. Les
moins prudents dépérissent. En
tête depuis le début du marathon, Christian Mosa voit son
avance fondre à quelques kilomètres du but. Le jeune vainqueur de l’utra trail de l’Isalo, en
juillet dernier, flanche. Déshydraté, les yeux blancs, il refuse
d’abord d’abandonner. Quelques
spectateurs le portent. En vain.
Il s’écroule sur la chaussée et c’est
la voiture chargée de transporter
les journalistes qui se transforme
en ambulance. “Ils ne boivent
presque pas pendant la course. Et
certains n’ont rien mangé avant le
départ”, nous dira plus tard une
bénévole de la Croix Rouge. Originaire de Diego, Augustin Harilala en profite pour passer en
tête. Il court en chaussettes
usées, sa foulée n’a rien de très
académique mais il est le seul à
ne pas avoir marché sur les longues portions montantes. Son
temps : 3h06’. C’est une heure
de plus que le record du monde
mais ça lui donne le sourire à Augustin. “Gagner ici, chez moi, c’est
bien. C’était très dur...”, résume til après un passage express par les
tentes des secouristes.
peau de l’athlétisme réunionnais. Il raconte : “Là, j’ai beaucoup souffert. Mais franchement, je
ne regrette pas d’avoir tenté l’aventure. Ça restera une super-expérience. Courir ici, c’est fantastique”.
L’objectif des organisateurs et des
autorités de la ville est clair : attirer de plus en plus de Réunionnais lors des prochaines éditions.
À l’initiative de l’office du tourisme local, les hôteliers de la
place ont joué le jeu en proposant des tarifs préférentiels. La
crise politique qui a touché la capitale a fait des ravages ces derniers mois et ces nouveaux vacanciers pas comme les autres
sont les bienvenus. “Pour l’année
prochaine, j’ai déjà des pistes avec
certains clubs de la Réunion pour
faire venir des groupes”, dit JeanMarie Daval à l’heure de la remise des récompenses. La fanfare
militaire donne le LA des festivités. Folklorique, dépaysant et
bon enfant à souhait. “J’espère
que cette belle fête va créer une émulation. Pour nos jeunes, à Diego
comme ailleurs, c’est valorisant de
découvrir qu’il y a autre chose dans
la vie que de traîner dans les discothèques et les bars. Le sport peutêtre un moyen de s’en sortir. Et si
en plus, dans les années qui viennent, ce marathon permet de resserrer nos liens avec la Réunion, le pari
sera entièrement gagné”, sourit
madame la ministre. Cette
course est bien née. Souhaitonslui de garder longtemps ce parfum enivrant de l’aventure. Ce
marathon-là ne sera jamais celui
de New-York, Paris ou Berlin.
C’est certain, et c’est tant mieux.
Textes et photos Lukas Garcia
COCKTAIL GAGNANT
Derrière, loin derrière, les “touristes” profitent plus tranquillement de la “promenade”. Pour
mêler vacances et rendez-vous
sportif, impossible de rêver meilleur cocktail. Quatrième du semi,
Judex Dhurone, licencié à l’AJA
Cambuston, est le seul porte-dra-
Y aller...
Située sur la pointe nord de Madagascar, Diego Suarez est accessible par des vols directs depuis la Réunion le vendredi et le
lundi via Air Madagascar. Comptez environ 400 euros en cette
période. Charmante ville animée et agréable, elle fait figure de
destination idéale pour un séjour de quelques jours. Ses lagons
aux eaux turquoises, son célèbre parc national de l’Ankanara, ses
tsingys rouges ou encore ses merveilleux paysages de brousse...
Diego et sa région sont riches d’atouts touristiques. La deuxième
édition du marathon est déjà programmée pour le 25 septembre 2010. Possibilités de tarifs préférentiels sur l’avion et l’hébergement. Renseignements : www.randorun.fr
Un départ très solennel, de folles enjambées au bord de la baie, une foule curieuse, une superbe moto ouvreuse, des rebondissements, des défaillances et un beau vainqueur... Diego tient là son épreuve de référence.