Lire l`article complet

Transcription

Lire l`article complet
D
O
S
S
I
E
R
T
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
Chimiothérapie dose-dense des cancers du sein
Dose-dense chemotherapy in breast cancer
● L. Zelek*
près 15 ans d’essais cliniques successifs, en particulier dans le cancer du sein, la dose-densité demeure
un sujet débattu dont l’intérêt a été récemment relancé
après la publication de résultats encourageants en adjuvant (1).
Le sujet avait fait l’objet d’une revue générale exhaustive en 2000
(2). En résumé, si les chimiothérapies avec intercure raccourcie
à 14 jours sont bien tolérées et de maniement globalement aisé,
la supériorité des traitements dose-denses n’était pas établie sauf
peut-être dans certaines tumeurs proliférantes comme les cancers
bronchiques à petites cellules. Dans le cancer du sein, en
revanche, où le nombre d’essais publiés est le plus grand, aucun
essai randomisé en phase métastatique ne permettait d’affirmer
une quelconque supériorité, l’essai en adjuvant de J.H. Fetting
retrouvant une amélioration non significative de la survie à 4 ans
au prix d’effets secondaires significatifs, avec des protocoles qui
de toute façon ne correspondent plus aux standards actuels (2).
Les essais se sont depuis accumulés, avec des protocoles de type
FEC, aucun ne retrouvant de bénéfice significatif (3, 4). La question se pose essentiellement pour les taxanes, le paclitaxel hebdomadaire semblant supérieur au schéma classique (5), la question demeurant posée pour le docétaxel, dont la toxicité
extrahématologique n’est pas négligeable avec un tel schéma (2).
Par ailleurs, après plus de 10 ans de recherche clinique, nous ne
savons toujours pas si des sous-groupes donnés de patients tirent
un bénéfice particulier d’un traitement dose-dense, notamment
les patients atteints de tumeurs à fort coefficient de prolifération.
Enfin, la meilleure compréhension des mécanismes de l’oncogenèse et les avancées thérapeutiques qui en découlent pourraient
rendre la problématique du traitement dose-dense dépassée pour
certains cancers :
– dans l’exemple du cancer du sein, le bénéfice apporté par
l’introduction du trastuzumab excède largement celui, hypothétique, attendu avec un traitement dose-dense, mais cela ne
concerne que la minorité de patientes avec surexpression de
HER2 (par ailleurs, la question de la dose-densité n’est pas complètement exclue de la prise en charge de ces patientes, un essai
ayant montré des résultats intéressants avec un schéma paclitaxel
+ carboplatine + trastuzumab hebdomadaire par rapport à un
schéma classique [6]) ;
– dans le cas des cancers colorectaux, les traitements dose-denses
A
* Service d’oncologie médicale, CHU Henri-Mondor, Créteil.
100
sont une référence en France depuis de nombreuses années, mais
leur supériorité sur le FUFOL en adjuvant n’est pas évidente (7),
et l’avancée marquante de ces dernières années réside surtout dans
l’utilisation des antiangiogéniques et des inhibiteurs de l’EGFR.
QUELQUES RAPPELS THÉORIQUES
Il n’est pas inutile de rappeler en premier lieu les lois de Skipper :
– l’espérance de survie spontanée dépend du volume tumoral au
moment du traitement ;
– l’administration d’un cytotoxique à une dose définie détruit un
pourcentage constant de cellules tumorales, indépendamment du
volume tumoral au moment de l’application du traitement.
Quatre principes fondamentaux ont été déduits des lois de Skipper :
– sensibilité des cellules en cycle à l’action des cytotoxiques ;
– taux de destruction cellulaire dépendant de la dose et de l’intervalle entre les injections ;
– efficacité (log-kill) décroissant avec la réduction des doses ;
– recroissance de la population cellulaire tumorale avec l’élargissement des intervalles entre les traitements (8).
Les limites du modèle de croissance exponentielle ont par la suite
conduit au choix du modèle gompertzien, qui comprend une phase
initiale exponentielle suivie d’une croissance en plateau ; ce
modèle a été revisité en 1988 par L. Norton (9). Il implique que
la quantité de cellules malignes tuées par la chimiothérapie est
supposée proportionnelle à la croissance cellulaire à un moment
donné et donc variable au cours de l’évolution de la tumeur. D’un
point de vue pratique, les schémas J1-J21 induisent pendant
l’intercure une croissance cellulaire qui augmente en raison
inverse du volume tumoral, ce qui conduit à l’échappement thérapeutique mais pourrait être contrebalancé par le raccourcissement de l’intercure.
Par ailleurs, dans ses versions ultérieures (10), le modèle a fourni
un rationnel pour des monothérapies séquentielles, en contradiction avec l’hypothèse de J.H. Goldie et A.J. Coldman (11).
Cette dernière revient à relier la probabilité d’émergence d’un
clone résistant au volume tumoral, selon une loi de Poisson, mais
deux observations cliniques simples la contredisent quotidiennement : corrélation entre prolifération cellulaire et réponse à la
chimiothérapie, réintroduction efficace de la même chimiothérapie en cas de progression tumorale survenant dans les mois suivant l’arrêt du traitement.
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
DONNÉES CLINIQUES RÉCENTES DANS LE CANCER DU SEIN
Trois essais cliniques avec des schémas de type FEC ont été
publiés depuis 2000 dans les cancers du sein localement avancés
ou métastatiques, aucun d’entre eux ne montrant une activité
significativement accrue malgré des augmentations de dose-intensité allant jusqu’à 80 % :
– l’essai de L. Del Mastro et al. (12) a randomisé 151 patientes
présentant un cancer métastatique entre un FEC60 tous les 21 jours
et un FEC100 tous les 14 jours sans retrouver de différence significative ni en termes de taux de réponse ni en termes de délai
avant progression ; l’essai était conçu pour détecter une amélioration du taux de réponse de 25 % avec un risque d’erreur de
type I de 5 % et une puissance de 90 %. Il est un peu étonnant
qu’aucune différence ne soit détectée : l’essai de C. Focan et al.
(13) montre la supériorité du FEC100 sur le FEC50 avec des intervalles de 21 jours, l’essai de L. Bastholt et al. randomisant
4 paliers de doses d’épirubicine allant dans le même sens (14) ;
– l’essai de E. Baldini et al., plus récent (3), a inclus 150 patientes
atteintes d’un cancer de stade IIIA ou IIB recevant 3 cycles de
FEC toutes les 2 semaines versus 3 semaines, ce qui correspond
à une augmentation de la dose-intensité de 30 %, l’objectif étant
de mettre en évidence une augmentation de 30 % du taux de
réponses complètes histologiques. Ce taux demeure étonnamment bas dans les deux bras : 2,6 % versus 4,1 %. On notera que
la médiane de survie n’est pas atteinte dans le bras dose-dense,
mais l’effectif limité ne permet pas d’en tirer des conclusions formelles ;
– l’essai de P. Therasse et al. (SAKK) [4] compare chez
448 patientes atteintes de cancers localement avancés un FEC
standard (6 cycles espacés de 28 jours) à un EC à forte dose + GCSF (6 cycles espacés de 14 jours), sans retrouver de différence
significative entre les deux bras.
Par ailleurs, deux essais cliniques ont été publiés avec des schémas anthracyclines + taxane :
– l’essai de G. Fountzilas et al. (15) compare un schéma classique avec épirubicine + paclitaxel tous les 21 jours à un schéma
séquentiel avec épirubicine 110 mg/m2/14 jours x 4 puis paclitaxel 225 mg/m2/14 jours chez 183 patientes atteintes de cancer
du sein métastatique. La méthode de randomisation utilisée n’est
pas optimale (tables de nombres aléatoires). Le traitement séquentiel J1-J14 permet un taux de réponses complètes significativement supérieur : 21,5 % versus 9 %, mais le taux de réponse et
le délai avant progression ne sont pas significativement différents
(55 % versus 42 %, 10 mois versus 8,5 mois) ;
– l’essai allemand GEPARDUO (German Preoperative Adriamycine Docetaxel) [16] vient d’être publié : 1 000 patientes ont
été incluses en 2 ans dans 77 centres et randomisées entre 4 cycles
de doxorubicine + docétaxel/14 jours (ADOC) [+ G-CSF] et
4 cycles d’AC suivis de 4 cycles de docétaxel avec des intervalles
de 21 jours (AC-DOC). Le taux de réponses complètes histologiques est de 14 % avec AC-DOC versus 7 % avec ADOC (hypothèse de départ : 15 % de réponses complètes histologiques dans
chaque bras, pour un essai de non-infériorité avec deux analyses
intermédiaires planifiées). Cependant, cet essai compare un traiLa Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
tement séquentiel à 2 + 1 cytotoxiques sur 24 semaines à 2 cytotoxiques délivrés sur 8 semaines… Il n’existe pas à l’heure
actuelle d’essai publié comparant EC (ou équivalent) x 4 puis
docétaxel x 4 tous les 21 jours versus 14 jours.
L’argument essentiel en faveur des traitements dose-dense dans
le cancer du sein est donc l’essai intergroupe du CALGB, publié
par M.L. Citron et al. (1), qui a été abondamment commenté et
dont les résultats actualisés viennent d’être présentés à San Antonio (17). On rappelle qu’il s’agissait d’un essai avec un design
factoriel 2 x 2 comparant les séquences A ➞ T ➞ C versus AT ➞ C,
avec des intervalles de 14 jours versus 21 jours. L’analyse publiée
a été faite à 36 mois, 2 005 patientes atteintes de cancers avec
envahissement ganglionnaire ayant été incluses. Les réductions
de risque de rechute et de décès sont de 26 % et 31 % avec un
traitement tous les 14 jours, la survie à 4 ans étant de 82 % versus 75 % avec des intervalles de 21 jours. Il n’y a pas de différence en fonction de la séquence thérapeutique. Les autres publications récentes concernent essentiellement la faisabilité et la
tolérance de tels schémas (18, 19).
Si l’intérêt des schémas dose-denses demeure réel, la question
reste posée de leur rapport coût/bénéfice et de la sélection des
patientes qui doivent en bénéficier. Pour certains, ils seraient à
réserver aux patientes atteintes de maladies agressives à fort
risque de rechute, mais aucun essai spécifique à ces patientes n’a
été conduit, pas plus qu’il n’a été tenu compte dans les essais
antérieurs de la cinétique tumorale (un comble !). À l’heure où
les thérapeutiques innovantes en développement se multiplient
dans le cancer du sein, et où les critères de sélection se complexifient, avec un intérêt croissant pour la génomique, il devient
de moins en moins probable que des essais randomisés portant
sur les chimiothérapies dose-denses voient le jour. Il est donc à
craindre que ce chapitre de l’oncologie médicale soit clos en l’état,
en laissant de multiples questions sans réponse définitive. ■
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Citron ML, Berry DA, Cirrincione C et al. Randomized trial of dose-dense
versus conventionally scheduled and sequential versus concurrent combination
chemotherapy as postoperative adjuvant treatment of node-positive primary
breast cancer: first report of Intergroup Trial C9741/Cancer and Leukemia
Group B Trial 9741. J Clin Oncol 2003;21(8):1431-9.
2. Fizazi K, Zelek L. Is one cycle every three or four weeks’ obsolete? A critical
review of dose-dense chemotherapy in solid neoplasms. Ann Oncol 2000;11(2):
133-49.
3. Baldini E, Gardin G, Giannessi PG et al. Accelerated versus standard cyclophosphamide, epirubicin and 5-fluorouracil or cyclophosphamide, methotrexate
and 5-fluorouracil: a randomized phase III trial in locally advanced breast cancer. Ann Oncol 2003;14(2):227-32.
4. Therasse P, Mauriac L, Wielnicka-Jaskiewicz M et al. Final results of a randomized phase III trial comparing cyclophosphamide, epirubicin, and fluorouracil with a dose-intensified epirubicin and cyclophosphamide + filgrastim as
neoadjuvant treatment in locally advanced breast cancer: an EORTC-NCICSAKK multicenter study. J Clin Oncol 2003;21(5):843-50.
5. Seidman AD, Berry D, Cirrincione C et al. CALGB 9840: phase III study of
weekly (W) paclitaxel (P) via 1-hour (h) infusion versus standard (S) 3h infusion
every third week in the treatment of metastatic breast cancer (MBC), with trastu-
101
D
O
S
S
I
E
R
T
zumab (T) for HER2 positive MBC and randomized for T in HER2 normal MBC.
J Clin Oncol 2004;ASCO Annual Meeting Proceedings (Post-Meeting Edition);
22(14 suppl.):512.
6. Rowland KM, Suman VJ, Ingle JN et al. NCCTG 98-32-52: randomized
phase II trial of weekly versus every 3-week administration of paclitaxel, carboplatin and trastuzumab in women with HER2 positive metastatic breast cancer
(MBC). Proc Am Soc Clin Oncol 2003;22:8 (abstract 31).
7. André T, Colin P, Louvet C et al. Semimonthly versus monthly regimen of
fluorouracil and leucovorin administered for 24 or 36 weeks as adjuvant therapy
in stage II and III colon cancer: results of a randomized trial. J Clin Oncol
2003;21(15):2896-903.
8. Pouillart P, Goldwasser F. Histoire des concepts en oncologie médicale : les
lois de Skipper. Réflexions en Médecine Oncologique 2005;5:23.
9. Norton L. A Gompertzian model of human breast cancer growth. Cancer Res
1988;48(24 Pt 1):7067-71.
10. Gilewski T, Norton L. Cytokinetics and breast cancer chemotherapy.
11. Goldie JH, Coldman AJ. Application of theoretical models to chemotherapy
protocol design. Cancer Treat Rep 1986;70:127.
12. Del Mastro L, Venturini M, Lionetto P et al. Accelerated-intensified cyclophosphamide, epirubicin, and fluorouracil (CEF) compared with standard CEF
in metastatic breast cancer patients: results of a multicenter, randomized phase III
study of the Italian Gruppo Oncologico Nord-Ouest-Mammella Inter Gruppo
Group. J Clin Oncol 2001;19(8):2213-21.
13. Focan C, Andrien JM, Closon MT et al. Dose-response relationship of epirubicin-based first-line chemotherapy for advanced breast cancer: a prospective
randomized trial. J Clin Oncol 1993;11(7):1253-63.
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
14. Bastholt L, Dalmark M, Gjedde SB et al. Dose-response relationship of
epirubicin in the treatment of postmenopausal patients with metastatic breast
cancer: a randomized study of epirubicin at four different dose levels performed by the Danish Breast Cancer Cooperative Group. J Clin Oncol 1996;14(4):
1146-55.
15. Fountzilas G, Papadimitrou C, Dafni U et al. Dose-dense sequential chemotherapy with epirubicin and paclitaxel versus the combination, as first-line chemotherapy, in advanced breast cancer: a randomized study conducted by the
Hellenic Cooperative Oncology Group. J Clin Oncol 2001;19(8):2232-9.
16. Von Minckwitz G, Raab G, Caputo A et al. Doxorubicin with cyclophosphamide followed by docetaxel every 21 days compared with doxorubicin and docetaxel every 14 days as preoperative treatment in operable breast cancer: the
GEPARDUO study of the German Breast Group. J Clin Oncol 2005;23(12):
2676-85.
17. Hudis C, Citron M, Berry D et al. Five year follow-up of INT C9741: dosedense (DD) chemotherapy (CRx) is safe and effective. Breast Cancer Res Treat
2005;94(Suppl.1):S20 (abstract 41).
18. Venturini M, Del Mastro L, Aitini E. Dose-dense adjuvant chemotherapy in
early breast cancer patients: results from a randomized trial. J Nat Cancer Inst
2005;97(23):1724-33.
19. Fountzilas G, Skarlos D, Dafni U. Postoperative dose-dense sequential chemotherapy with epirubicin, followed by CMF with or without paclitaxel, in
patients with high-risk operable breast cancer: a randomized phase III study
conducted by the Helleric Cooperative Oncology Group. Ann Oncol 2005;16
(11):1672-71.
La Lettre du Cancérologue
vous souhaite un bel été et vous remercie
de la fidélité de votre engagement
Le prochain numéro paraîtra en septembre 2006
102
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006