Je suis allé au marché aux oiseaux Et j`ai acheté des oiseaux

Transcription

Je suis allé au marché aux oiseaux Et j`ai acheté des oiseaux
POUR TOI MON AMOUR
Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j’ai acheté des oiseaux
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j’ai acheté des fleurs
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j’ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
mon amour
Et puis je suis allé au marché aux esclaves
Et je t’ai cherchée
Mais je ne t’ai pas trouvée
mon amour
JACQUES PREVERT
1
L’an est si lent
abandonnons nos ancres dans l’encre
mes amis
Robert DESNOS
2
BERCEUSE À L’ENFANT MALADE
Dors, mon petit, pour qu’aujourd’hui finisse.
Si tu ne dors pas, si c’est un caprice,
Aujourd’hui, ce vieux long jour,
Ce soir durera toujours.
Dors mon petit, pour que demain arrive.
Si tu ne dors pas, petite âme vive,
Demain, le jour le plus gai,
Demain ne viendra jamais.
Dors, mon petit, afin que l’herbe pousse,
Ferme les yeux : les herbes et la mousse
N’aiment pas, dans le fossé,
Qu’on les regarde pousser.
Dors, mon petit, pour que les fleurs fleurissent.
Les fleurs qui la nuit se parent, se lissent,
Si l’enfant reste éveillé,
N’oseront pas s’habiller.
MARIE NOËL
3
BERCEUSE
Dors au profond de ma joie
Dors, petit chat de mon coeur
Dors, bébé, comme une fleur
Le soleil ne te fait peur
Ni la nuit aux yeux de soie
Dors et partageons nos songes
Et les mots qui nous prolongent !
GEORGES JEAN
4
LE BONHEUR
Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite.
Le bonheur est dans le pré, cours-y vite. Il va filer.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite.
Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite.
Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite.
Sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite.
Sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.
De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite.
De pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite.
Saute par-dessus la haie, cours-y vite. Il a filé !
PAUL FORT
5
BRINDILLES DE TEMPS ANCIENS
Les photographes d’autrefois
se cachaient sous un grand drap noir
pour attraper l’oiseau du temps.
En ce temps-là la boulangère
posait le pain sur la balance
et avec un grand couperet
coupait un carré de croûte
pour ajouter le juste poids.
Les morts à la guerre
étaient morts dans une autre guerre.
Les poilus sortaient des tranchées.
On chantait les vêpres
à l’abbatiale et en latin.
Il y avait des merceries
et des marchands de parapluies
des fabricantes de corsets
et des allumettes soufrées
des encriers où l’encre séchait
en fines lamelles noires
et des plumes sergent-major
dans des plumiers en simili-laque
et en bas des rues escarpées
des chevaux de renfort
pour aider les charrettes
à monter la côte.
C’était le bon vieux temps
Mais était-il si bon que ça?
On se demande. On ne sait pas.
CLAUDE ROY
6
CE QUI EST COMIQUE
Savez-vous ce qui est comique ?
Une oie qui joue de la musique,
Un pou qui parle du Mexique,
Un boeuf retournant l’as de pique,
Un clown qui n’est pas dans un cirque,
Un âne chantant un cantique,
Un loir champion olympique.
Mais ce qui est le plus comique,
C’est d’entendre un petit moustique
Répéter son arithmétique.
MAURICE CARÊME
7
DANS LES CORBIÈRES
La route tournait sous la pluie.
Novembre... les eaux étaient grises.
Les enfants cueillaient des alises.
Les villages sentaient la suie.
L’église contre la montagne
N’était plus qu’une aile lassée.
Une bourrasque était passée,
Un troupeau regagnait l’Espagne
Sur un tapis de feuilles mortes
Et la dernière rose blanche
S’ennuyait comme le dimanche
Dont le vent tourmentait les portes.
JEAN LEBRAU
8
IL Y A DES MOTS...
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis.
PAUL ELUARD
9
LE DIT DU PAUVRE VIEUX
Quand le froid vient me saisir, je me mets à réfléchir.
Dans les jours de ma jeunesse, l’été je fauchais le foin, l’automne je battais le
grain, l’hiver je chauffais mes mains.
Je n’ai pas dans ma vieillesse, même un chien qui me caresse et me chauffe
un peu les mains de sa langue de bon chien.
Décembre, toujours décembre. Jamais de feu dans la chambre.
Las ! tous les boutons des portes me sont de glace. Mais qu’importe !
Tous les cœurs me sont de glace. Alors je passe, je passe...
Si je rentre ou si je sors, c’est toujours le même sort.
Mes yeux sont tournés vers l’ombre et dehors je ne rencontre sur la route que
des chagrins, dans les bois que des tourments même au souffle du printemps.
Je rentre et, croisant les mains, je m’assieds, j’attends un brin que je sente
couler mes larmes.
Je chauffe mes mains à mes larmes, puis tâtant cherche mon pain.
Puis le froid me ressaisit. Je tombe. Je réfléchis.
PAUL FORT
10
LES DOIGTS
Quand on regarde bien
Le bout de ses doigts
On en voit sortir
Une souris blanche
Quand on regarde mieux
C’est un petit peu
De feu
Avec les doigts on sait
Si on a le nez frais
Avec les doigts on peut
Parler à son chien.
JEAN ROUSSELOT
11
DOUCEUR
Douceur,
Je dis : douceur.
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t’accueillent
Qui te donnent du temps.
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
Je dis : douceur,
Pensant aussi
A des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
A des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,
A des poignées de main.
Je dis : douceur, pensant aux heures d’amitié,
A des moments qui disent
le temps de la douceur venant pour tout de bon,
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s’installera.
EUGÈNE GUILLEVIC
12
L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS
Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant les enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Emerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
A la minute
Devant eux.
JACQUES PRÉVERT
13
L’ÉCOLIER
J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche
quand je n’irai pas à l’école
j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans
et même des paraboles
je parlerai de mon village je parlerai de mes parents
de mes aïeux de mes aïeules
je décrirai les prés je décrirai les champs
les broutilles et les bestioles
puis je voyagerai jusqu’en Iran
au Tibet ou bien au Népal
et ce qui est beaucoup plus intéressant
du côté de Sirius ou d’Algol
où tout me paraîtra tellement étonnant
que revenu dans mon école
je mettrai l’orthographe mélancoliquement
RAYMOND QUENEAU
14
IMAGINONS
Le temps que met l’eau à couler de ta main
Le temps que met le coq à crier le soleil
Le temps que l’araignée dévore un peu la mouche
Le temps que la rafale arrache quelques tentes
Le temps de ramener près de moi tes genoux
Le temps pour nos regards de se dire d’amour
Imaginons ce qu’on fera
de tout ce temps.
EUGÈNE GUILLEVIC
15
J’AI PLANTÉ UN GRAIN DE BLÉ...
J’ai planté
un grain de blé
J’ai récolté
du pain doré
J’ai planté un pépin de raisin
J’ai récolté
un tonneau de vin
J’ai planté un noyau d’olivier
J’ai récolté
un rameau de la Paix
J’ai planté un germe de coeur
J’ai récolté
une forêt d’amour.
ROBERT FABBRI
16
JOIE DU PRINTEMPS
Au printemps, on est un peu fou,
Toutes les fenêtres sont claires,
Les prés sont pleins de primevères,
On voit des nouveautés partout.
Oh ! regarde, une branche verte !
Ses feuilles sortent de l’étui !
Une tulipe s’est ouverte...
Ce soir, il ne fera pas nuit,
Les oiseaux chantent à tue-tête,
Et tous les enfants sont contents
On dirait que c’est une fête...
Ah ! que c’est joli le printemps !
LUCIE DELARUE-MARDRUS
17
A tous les repas pris en commun, nous invitons
la liberté à s’asseoir. La place demeure vide
mais le couvert est mis.
RENÉ CHAR
18
Un enfant m’a dit :
“ La pierre est une grenouille endormie.”
Un autre enfant m’a dit :
“ Le ciel c’est de la soie très fragile.”
Un troisième enfant m’a dit :
“ L’océan quand on lui fait peur, il crie.”
Je ne dis rien, je souris.
Le rêve de l’enfant c’est une loi.
Et puis je sais que la pierre,
vraiment est une grenouille,
mais au lieu de dormir
elle me regarde.
ALAIN BOSQUET
19
MARDI GRAS
As-tu vu mon nez
Tout enluminé
As-tu vu ma bosse
Mon ami Pierrot ?
Ma moustache en croc
Et mon air féroce
Cuic, eh ! oh ! eh ! oh !
Monsieur Carnaval
Qui les mène au bal
S’élance
Et lance
De longs serpentins
Sur les rires enfantins
Entrez dans la danse
Mon ami Pierrot
Cuic ! eh ! oh ! eh ! oh !
WILLIAM LEMIT
20
MARDI GRAS NE T’EN VA PAS...
Mardi gras ne t’en va pas,
On fera des crêpes,
T’en mangeras !
Mardi gras s’en est allé
On a sauté des crêpes
Il n’en a pas mangé.
CHANT POPULAIRE
21
LE MESSAGE
La porte que quelqu’un a ouverte
La porte que quelqu’un a refermée
La chaise où quelqu’un s’est assis
Le chat que quelqu’un a caressé
Le fruit que quelqu’un a mordu
La lettre que quelqu’un a lue
La chaise que quelqu’un a renversée
La porte que quelqu’un a ouverte
La route où quelqu’un court encore
Le bois que quelqu’un traverse
La rivière où quelqu’un se jette
L’hôpital où quelqu’un est mort
JACQUES PREVERT
22
A LA MI-CARÊME
A la mi-carême,
Margot, mets tes sabots :
Prends au verger noir
Tes plus beaux accessoires.
Le pommier transi
Te verra couronnée
De pommes dorées
Mordues par la gelée.
Les baies d’églantier
Te feront un joli collier
Cent fois plus joli
Qu’un collier de rubis.
Quant à la baguette,
Si tu veux être fée,
Coupe à la serpette
Un rameau d’olivier.
Par-dessus tout ça,
Génies des blancs frimas,
Tissez un corselet
De givre et de rosée.
MAURICETTE CATILLON
23
MOUILLÉ
La pierre rebondit sur l’eau,
La fumée n’y pénètre pas.
L’eau, telle une peau
Que nul ne peut blesser
Est caressée
Par l’homme et par le poisson.
Claquant comme corde d’arc,
Le poisson, quand l’homme l’attrape,
Meurt, ne pouvant avaler
Cette planète d’air et de lumière.
Et l’homme sombre au fond des eaux
Pour le poisson
Ou pour la solitude amère
De l’eau souple et toujours close.
PAUL ELUARD
24
NOËL
Trois petits sapins
se donnaient la main
car c’était Noël
de la terre au ciel.
Prirent le chemin
menant au village
jusqu’à l’étalage
d’un grand magasin.
Là, ils se couvrirent
de tout ce qui brille :
boules et bougies,
guirlandes pour luire,
et s’en retournèrent
la main dans la main
par le beau chemin
de l’étoile claire
jusqu’à la forêt
où minuit sonnait,
car c’était Noël
de la terre au ciel.
J.-L. VANHAM
25
NOËL
Courez à la forêt prochaine,
Courez à l’enclos des fermiers ;
Coupez le gui sur le grand chêne,
Coupez le gui sur les pommiers !
Coupez le gui ! Coupez le houx !
Feuillage vert, feuillage roux ;
Mariez leurs branches !
Perles rouges et perles blanches.
Coupez le gui ! Coupez le houx !
C’est la Noël ! Fleurissez-vous.
Chassez les grives et les merles,
Chassez la mésange au dos bleu
Du gui dont les fleurs sont des perles,
Du houx dont les fleurs sont du feu !
CHARLES FRÉMINE
26
PAGE D’ÉCRITURE
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize
Répétez ! dit le maître
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize
Mais voilà l’oiseau lyre
qui passe dans le ciel
l’enfant le voit
l’enfant l’entend
l’enfant l’appelle
Sauve-moi
joue avec moi
oiseau !
Alors l’oiseau descend
et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre...
Répétez ! dit le maître
et l’enfant joue
l’oiseau joue avec lui...
Quatre et quatre huit
huit et huit font seize
et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente-deux
de toute façon
et ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau
dans son pupitre
et tous les enfants
entendent sa chanson
et tous les enfants
entendent la musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un à un s’en vont également.
Et l’oiseau lyre joue
et l’enfant chante
et le professeur crie:
Quand vous aurez fini de faire le
pitre !
Mais tous les autres enfants
écoutent la musique
et les murs de la classe
s’écroulent tranquillement
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.
JACQUES PRÉVERT
27
JE NE SUIS PAS SEUL
Chargée
De fruits légers aux lèvres
Parée
De mille fleurs variées
Glorieuse
Dans les bras du soleil
Heureuse
D’un oiseau familier
Ravie
D’une goutte de pluie
Plus belle
Que le ciel du matin
Fidèle
Je parle d’un jardin
Je rêve
Mais j’aime justement.
PAUL ELUARD
28
PAS VU ÇA
Pas vu la comète
Pas vu la belle étoile
Pas vu tout ça
Pas vu la mer en flacon
Pas vu la montagne à l’envers
Pas vu tant que ça
Mais vu deux beaux yeux
Vu une belle bouche éclatante
Vu bien mieux que ça.
ROBERT DESNOS
29
Quand le Printemps est dans la rue
On se met à la fenêtre
Et l’on regarde passer les poèmes
Alors on appelle le plus beau
Et hop ! il vous saute au cou
PIERRE ALBERT-BIROT
30
PETIT AIR
La pierre tombe dans l’eau
Le ciel tremble sur l’étang
Un oiseau crie dans mos dos
Le chien Puck flaire le vent
Et dit que c’est le printemps
Qui arrive à grand galop !
Alors, vite, les enfants
Remontons le cours du temps.
GEORGES JEAN
31
PETITE BERCEUSE D’ÉTÉ
Allons, redescends du ciel,
L’alouette, l’alouette,
Allons, redescends du ciel
Voici l’heure du sommeil.
Viens chanter tout près d’ici,
L’alouette, l’alouette,
Viens chanter tout près d’ici
Pour endormir mon petit.
Apporte à mon cher trésor,
L’alouette, l’alouette,
Apporte à mon cher trésor
Une belle lune d’or.
Mets aux pieds de mon enfant,
L’alouette, l’alouette,
Mets aux pieds de mon enfant
Un vol de nuages blancs.
Pose sur ses jolis yeux,
L’alouette, l’alouette,
Pose sur ses jolis yeux
Un doux ruban de ciel bleu.
Allons, redescends du ciel,
L’alouette, l’alouette,
Allons, redescends du ciel
Voici l’heure du sommeil.
LOUISA PAULIN
32
LA PLACE DE LA CONCORDE
Il n’y avait ce jour là
il n’y avait ce jour là
que deux personnes dans Paris
dans Paris
un petit monsieur à Montmartre
une petite dame à Montsouris
à Montsouris.
Du sud au nord du nord au sud
de bon matin ils sont partis
sont partis
sur la place de la Concorde
sur la place de la Concorde
ils se sont rencontrés à midi
à midi.
Bonjour Monsieur bonjour Madame
bonjour Madame bonjour Monsieur
oh je vois bien dit-il dit-elle
c’est pour ça que nous étions partis
étions partis.
Mais nom de nom dit-il dit-elle
mais où sont les habitants ?
les habitants ?
Elle lui répond il lui répond :
chacun mon bon chacun ma belle
chacun croit qu’il n’y a personne
sinon l’amour de lui pour elle
sinon l’amour d’elle pour lui
d’elle pour lui.
C’est ainsi mon bon ma belle
c’est ainsi ma belle mon bon
c’est ainsi qu’il n’y a personne
c’est ainsi qu’on est des millions
des millions.
JEAN TARDIEU
33
C’est place de la Concorde à Paris
qu’un enfant assis au bord des fontaines
entre à pas de rêve au cœur de la nuit
fraîche comme l’eau claire des fontaines
Un enfant de nuit de rêve d’espoir
qui voudrait pouvoir lutter sans répit
contre son sommeil pour apercevoir
ses rêves de nuit venir à la vie
Toutes les voitures avec leurs phares
toutes les voitures tracent pour lui
des lignes de feu flottant dans la nuit
comme de longs fils de vierge où Paris
retient son cœur ses rêves ses espoirs
JACQUES CHARPENTREAU
34
QUAND...
Quand le lionceau déjeune
la lionne rajeunit
Quand le feu réclame sa part
la terre rougit
Quand la mort lui parle de l’amour
La vie frémit
Quand la vie lui parle de la mort
l’amour sourit.
JACQUES PREVERT
35
J’ai rêvé d’un oiseau
Ma voisine a rêvé d’une cage
J’ai rêvé d’un bateau
Tu as rêvé d’un naufrage
Un poisson a rêvé d’une île
Et ma mie a rêvé de la mer
ARMAND LANOUX
36
EN RÊVE J’AI TROUVÉ...
En rêve j’ai trouvé
- Le joli, joli rêve en rêve j’ai trouvé
la clochette enchantée
qui dit la vétité.
En rêve j’ai trouvé
- Etait-ce bien un rêve ? en rêve j’ai trouvé
les miettes semées
par le Petit Poucet !
En rêve j’ai trouvé
- L’étrange, étrange rêve ! en rêve j’ai trouvé
la citrouille si grosse
qui se change en carosse !
Dans mon plus joli rêve,
au pied d’un blanc perron,
j’ai trouvé, Cendrillon,
ta pantoufle de vair...
MADELEINE LEY
37
RIRE
Je ris
Je ris
Tu ris
Nous rions
Plus rien ne compte
Sauf ce rire que nous aimons
Il faut savoir être bête et content
BLAISE CENDRARS
38
JE VEUX RIRE !
Les feuilles pourront tomber,
La rivière pourra geler !
Je veux rire, je veux rire.
La danse pourra cesser,
Le violon pourra casser !
Je veux rire, je veux rire.
Que le mal se fasse pire!
Je veux rire, je veux rire.
JEAN MORÉAS
39
LA RONDE DES BERGÈRES
Où courez-vous, bergères,
Si fraîches, si légères,
Si blondes toutes trois ?
Au bois ! Au bois !
Et qu’allez-vous donc faire
Quand verdit la fougère,
Par les sentiers étroits,
Au bois ! Au bois !
Cueillir la pâquerette
Et les coeurs-de-Jeannette
Qui poussent quelquefois
Au bois ! Au bois !
Cueillir aussi la fraise
Qui mûrit à son aise
Dans quelques bons endroits,
Au bois ! Au bois !
Puis après, sous l’ombrage,
Ainsi qu’il est d’usage,
Nous dansons toutes trois,
Au bois ! Au bois !
ANNAÏK LE LEARD
40
CHANSON POUR SAUTER À LA CORDE
La grenouille se marie
Avec un alligator
Et tout le monde lui dit
Grenouille vous avez tort
Oui mais la grenouille rit
Elle rit de plus en plus fort
Et dit si je me marie
Avec un alligator
C’est pour avoir des enfants
Avec cent quatorze dents
Une grenouille avec des dents
Voilà qui est amusant
Une deux trois quatre
La grenouille veut se battre
Cinq six sept huit
Allez vous cacher bien vite
Neuf dix onze douze
La grenouille est très jalouse
Treize quatorze quinze seize
De toutes les grenouilles anglaises.
ANNE SYLVESTRE
41
SIESTE
Un bourdon dans l’été
Traverse le silence
Les volets sont tirés
Sur notre nonchalance
Le chien gobe les mouches
Et les rate souvent
Le chat se mord la queue
De l’or entre les yeux
Nos livres sont par terre
Nous regardons en l’air
Le soleil les nuages
Et partons en voyage
Aux pays enchantés.
GEORGES JEAN
42
EN SORTANT DE L’ECOLE
En sortant de l’école
nous avons rencontré
un grand chemin de fer
qui nous a emmenés
tout autour de la terre
dans un wagon doré
Tout autour de la terre
nous avons rencontré
la mer qui se promenait
avec tous ses coquillages
ses îles parfumées
et puis ses beaux naufrages
et ses saumons fumés
Au-dessus de la mer
nous avons rencontré
la lune et les étoiles
sur un bateau à voiles
partant pour le Japon
et les trois mousquetaires des cinq
doigts de la main
tournant la manivelle d’un petit
sous-marin
plongeant au fond des mers
pour chercher des oursins
Revenant sur la terre
nous avons rencontré
sur la voie de chemin de fer
une maison qui fuyait
fuyait tout autour de la terre
fuyait tout autour de la mer
fuyait devant l’hiver
qui voulait l’attraper
Mais nous sur notre chemin de fer
on s’est mis à rouler
rouler derrière l’hiver
et on l’a écrasé
et la maison s’est arrêtée
et le printemps nous a salués
C’était lui le garde-barrière
et il nous a bien remerciés
et toutes les fleurs de toute la terre
soudain se sont mises à pousser
pousser à tort et à travers
sur la voie du chemin de fer
qui ne voulait plus avancer
de peur de les abîmer
Alors on est revenu à pied
à pied tout autour de la terre
à pied tout autour de la mer
tout autour du soleil
de la lune et des étoiles
A pied à cheval en voiture et en
bateau à voiles.
JACQUES PRÉVERT.
43
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne
Faisait voler la givre à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
PAUL VERLAINE
44
JARDIN DE FRANCE
Calme jardin,
Grave jardin
Jardin aux yeux baissés au soir
Pour la nuit,
Peines et rumeurs,
Toutes les angoisses bruissantes de la Ville
Arrivent jusqu’à moi, glissant sur les toits lisses,
Arrivent à la fenêtre
Penchée, tamisée par feuilles menues et tendres et pensives.
Mains blanches,
Gestes délicats,
Gestes apaisants.
Mais l’appel du tam-tam
bondissant
par monts
et
continents,
Qui l’apaisera, mon cœur,
A l’appel du tam-tam
bondissant,
véhément,
lancinant ?
LÉOPOLD SÉDARD SENGHOR
45
TANT DE TEMPS
le temps qui passe
le temps qui ne passe pas
le temps qu’on tue
le temps de compter jusqu’à dix
le temps qu’on a pas
le temps qu’il fait
le temps de s’ennuyer
le temps de rêver
le temps de l’agonie
le temps qu’on perd
le temps d’aimer
le temps des cerises
le mauvais temps
et le bon et le beau
et le froid et le temps chaud
PHILIPPE SOUPAULT
46
UN DEUX TROIS...
Un deux trois - j’irai dans les bois
Quatre cinq six - cueillir des cerises
Sept huit neuf - dans un panier neuf
Dix onze douze - elles sont toutes rouges
Les cerises de Toulouse.
COMPTINE
47
QUAND LA VIE EST UN COLLIER...
Quand la vie est un collier...
Chaque jour est une perle
Quand la vie est une cage
Chaque jour est une larme
Quand la vie est une forêt
Chaque jour est un arbre
Quand la vie est un arbre
Chaque jour est une branche
Quand la vie est une branche
Chaque jour est une feuille
JACQUES PREVERT
48
LA VOIX
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu’elle ne fait plus tinter les oreilles.
Une voix, comme un tambour, voilée,
Parvient pourtant, distinctement jusqu’à nous.
Bien qu’elle semble sortir d’un tombeau
Elle ne parle que d’été et de printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L’écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous ? Ne l’entendez-vous pas ?
Elle dit : “ La peine sera de courte durée. “
Elle dit : “La belle saison est proche. “
Ne l’entendez-vous pas ?
ROBERT DESNOS
49
DES YEUX POUR VOIR
Des yeux pour voir
le ciel du soir,
la lune rouge,
un arbre noir.
Des yeux pour voir
l’éléphant blanc,
le cygne noir
et le chat rose,
le singe bleu
et bien des choses.
PIERRE GAMARRA
50
DITES-MOI ZOU
Où sont les porteurs d’eau ?
Où sont les petits savoyards ?
un jour on demandera où sont les mécanos
les motards les chauffards
ils seront tous partis
dans le passé
RAYMOND QUENEAU
51
LES QUATRE CENTS COUPS
Quand le chat n’est pas là
que font les souris ?
Les souris dansent, les souris pensent
« On s’amuse bien, le chat est parti! »
Quand le vacher n’est pas là
que font les vaches à l’étable ?
Les vaches vont brouter leur lit,
les vaches montent sur les tables.
Quand la grande ourse est en vacances
les petits ours rient et dansent.
Et quand les parents sont partis
que font les enfants si gentils ?
Ils font les fous, les casse-cou.
Ils font les quatre cents coups.
CLAUDE ROY
52
UN BON CONSEIL QU’IL EST BON
DE NE PAS SUIVRE
« Il ne faut pas être dans la lune »
disent les parents aux enfants distraits.
Mais dans la lune il fait bien frais.
On se distrait,
sans grandes personnes importunes,
dans la lune.
CLAUDE ROY
53
LES BONNES MANIÈRES
Si vous voulez qu’un éléphant
son amitié jamais ne rompe
(si on le trompe son cœur se fend)
ne vous moquez pas, mes enfants,
de sa trompe.
Si vous voulez qu’une hirondelle
à la maison reste fidèle
pas de si de mais et de parce que !
ne posez pas de grain de sel
sur sa queue.
Si vous voulez qu’un hérisson
se mette en boule et à pâlir
répondez toujours à ses mots pour rire
« Quel esprit piquant a ce hérisson
polisson! »
Si vous voulez qu’une baleine
vous dise Allô au téléphone
ne répondez pas A l’eau quand elle sonne :
Les jeux de mots font toujours de la peine
aux baleines.
Les animaux ne sont pas bêtes.
Ils aiment les bonnes manières,
détestent ceux qui font les fiers
et disent des gens sans cœur et sans tête
« Ah les sales bêtes ! »
CLAUDE ROY
54
LA CLEF DES CHAMPS
Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre brun ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a touché la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a perdu la clef des champs ?
Le porc-épic ? Le renard roux ?
Qui a volé la clef des champs ?
Ce n’est pas moi, ce n’est pas vous.
Elle est à personne et partout,
la clef des champs, la clef de tout.
CLAUDE ROY
55
COMPLAINTE DU PAUVRE
RADIATEUR
Le pauvre radiateur
raide comme une grille
se sent triste et rêveur.
Personne ne s’arrête
pour s’occuper de lui
ou lui faire la causette.
On le regarde à peine
on ne lui parle pas
et le chat le dédaigne.
Le pauvre radiateur
si loin de sa chaudière
en a gros sur le cœur.
Si j’étais le mazout
au moins j’aurais du feu
comme un grand soleil d’août.
Je suis né radiateur ?
Si J’avais pu choisir
je serais cheminée.
Si j’étais cheminée
avec du feu qui brille
et deux bons gros chenets
j’aurais une bouilloire
une pince un soufflet
et des soirs pleins d’histoires.
On me tendrait les mains
Le chat ronronnerait
Je grillerais le pain.
Mes flammes danseraient
sur la joue des enfants
ma fumée monterait.
On dirait « Qu’il est beau».
On dirait « Que c’est bon »
Je me sentirais chaud.
Je serais à mon aise
endormi sous la cendre
et veillant sur ma braise.
On me donnerait du chêne
ou des grains de lavande
et des présences humaines.
Mais je suis radiateur
sans bûches qui pétillent
sans flamme et sans odeur.
Un pauvre radiateur
sans flamme et sans couleur
on ne voit pas son cœur.
CLAUDE ROY
56
LES CORRIDORS OÙ DORT ANNE
QU’ON ADORE
La petite Anne, quand elle dort,
où s’en va-t-elle ?
Est-elle dedans, est-elle dehors,
et que fait-elle ?
Pendant la récré du sommeil,
à pas de loup,
entre la terre et le soleil
Anne est partout.
Les pieds nus et à tire-d’aile
Anne va faire
les quatre cents coups dans le ciel.
Anne s’affaire.
La petite Anne, quand elle dort,
qui donc est-elle ?
Qui dort ? Qui court par-dessus bord ?
Une autre, et elle.
L’autre dort et l’une a des ailes,
Anne dans son lit, Anne dans le ciel.
CLAUDE ROY
57
IL EST DÉFENDU DE DESCENDRE AVANT
L’ARRET COMPLET
« Il est défendu de descendre avant l’arrêt complet. »
Pour avoir oublié ce précepte fort sage
on vit les passagers d’un ballon très peuplé
accomplir dans le ciel un rapide passage.
Pour éviter aux gens ces dures gymnastiques
les Transports en Commun ont depuis adopté
le système appelé portes automatiques
qui donne aux passagers plus de sécurité.
CLAUDE ROY
58
LIMERIME DE LA DEMOISELLE AU CŒUR
FROID
Il était une fois au fin fond de l’Arctique
une demoiselle au cœur vraiment froid.
Très bien élevée, mais fort apathique
Eulalie restait sur son quant-à-soi.
Eulalie trouvait qu’il n’était pas chic
de parler aux gens qu’on ne connaît pas.
Un jour son voisin, hippy sympathique,
dit à Eulalie: « L’eau est bonne, hello !
Me prêterez-vous votre thermomètre ?
Je voudrais savoir à combien est l’eau. »
« Impudent! M’emprunter mon joli thermomètre »
lui répond Eulalie qui jamais ne se lie.
Ah ! que triste est la vie de la froide Eulalie
avoir un thermomètre et n’avoir pas d’amis.
CLAUDE ROY
59
DEVINE UN PEU LA DEVINETTE
Cent mille chats gris couleur de souris.
Ils ont le bout des pattes blanc :
pattes de velours posées doucement
cent mille chats gris dans le ciel tout gris
cent mille chats gris cachés dans la nuit.
La neige neige lentement.
CLAUDE ROY
60
DIALOGUE DE SOURDS
Je n’aime pas les autruches,
dit le train.
Elles ont des tics et des trucs,
pas d’entrain.
Je n’aime pas les trains,
dit l’autruche.
Ce sont des gens restreints,
de vraies bûches.
Les gens c’est des saintes nitouches
qui ont trop d’esprit critique.
Ils font trop la fine bouche,
ils n’ont pas le cœur sympathique,
pour les autruches, s’ils sont trains,
pour les trains, s’ils sont autruches.
Les gens sont fous,
les gens sont louches,
les gens, les trains et les autrouches.
CLAUDE ROY
61
L’ENFANT QUI VA AUX COMMISSIONS
« Un pain, du beurre, un camembert,
mais surtout n’oublie pas le sel.
Reviens pour mettre le couvert,
ne va pas traîner la semelle. »
L’enfant s’en va le nez au vent.
Le vent le voit. Le vent le flaire.
L’enfant devient un vol-au-vent,
l’enfant devient un fils de l’air.
« Reviens, reviens, au nom de Dieu !
Tu fais le malheur de ton père.
Ma soupe est déjà sur le feu.
Tu devais mettre le couvert ! »
Léger, bien plus léger que l’air,
l’enfant est sourd à cet appel.
Il est déjà à Saint-Nazaire.
Il oublie le pain et le sel.
Parents, de chagrin étouffant
d’avoir un fils si égoïste,
parents sans sel et sans enfant,
que votre dîner sera triste !
CLAUDE ROY
62
L’ENFANT QU’ON ENVOIE SE COUCHER
Il faut aller au lit,
mais je n’ai pas sommeil.
Dans le noir je m’ennuie,
tous les soirs c’est pareil.
Si j’avais des ciseaux
pour découper le ciel
j’en prendrais un morceau
pour faire une marelle.
Si j’avais de la craie
sur le noir de l’espace
je me dessinerais
un jeu avec ses cases.
J’irais à cloche-pied
jouer sur la Grande Ourse
et dans la Voie Lactée
me baigner à la source.
Chaque soir c’est pareil :
je me rêve dehors.
Mais j’ai un peu sommeil.
Malgré moi je m’endors.
Je rêve que je dors
et quand je me réveille
il fait grand jour dehors.
Bonjour, Monsieur Soleil !
CLAUDE ROY
63
L’ENFANT VRAIMENT DÉSORDONNÉ
Cet enfant perd tout ce qu’il touche.
Être désordonné, c’est laid :
Il prend sa clef et perd sa clef.
Il prend la mouche et perd la mouche.
Cet enfant-là perd vraiment tout.
Et quand il prend ses jambes à son cou,
il perd ses jambes, il perd son cou :
il perd tout !
CLAUDE ROY
64
L’ENFANT MODESTE
En m’en allant flâner au bois
j’en ai rencontré des hâbleurs
des raconte-n’importe-quoi,
des qui-se-croient, des grands
menteurs.
J’ai vu un pigeon voyageur
avec une gorge irisée
« Je suis des crayons de couleur »
disait ce pigeon déphasé.
En m’en allant courir au bois
j’ai rencontré un roseau creux
qui se prenait pour un hautbois
et jouait des airs de pas-de-deux.
En m’en allant courir au bois
j’en ai vu de bien des couleurs,
des gens bizarres qui se croient,
des gens douteux, des gens menteurs.
J’ai rencontré un lièvre roux
qui se croyait le maillot jaune
faisant la course sur deux roues
contre les fils du téléphone.
Ah, s’ils avaient su qui j’étais
ils auraient été moins vantards.
Car ça vous rabat le caquet,
quand on est pigeon ou canard,
J’ai rencontré un canard vert
qui survolait les autoroutes
se prenant pour l’hélicoptère
de la police de la route.
de rencontrer au coin d’un bois
un petit garçon laconique
qui garde son secret pour soi.
(Je suis un jet supersonique.)
CLAUDE ROY
65
L’ENFANT SAGE
Un nénuphar blanc jaune et blanc
qui s’ouvre sur un feu de braise,
un nénuphar plutôt content.
- Vous en prenez bien à votre aise
Un hérisson roux-rond et noir
qui va dîner au restaurant
avec une pie en robe du soir.
- Vous avez l’air intelligent
Une mésange qui fait l’ange
et faisant l’ange fait la bête
parce qu’une puce la démange.
- Vous me copierez la recette
Ce qui te passe par la tête,
quatre poissons et trois souris,
quand dans ta tête c’est la fête.
- On ne l’aurait vraiment pas dit
Où va-t-il donc chercher tout ça ?
Il a l’air d’un enfant si sage,
mais il ne l’est pas tant que ça.
- Ça lui passera avec l’âge
Ça lui passera. C’est dommage.
A quoi passera-t-il le temps
quand il sera grand, passé l’âge,
passé le temps des dépasse-temps ?
CLAUDE ROY
66
L’ENFANT QUI A LA TÊTE EN L’AIR
L’enfant qui a la tête en l’air
si on se détourne, il s’envole.
Il faudrait une main de fer
pour le retenir à l’école.
L’enfant qui a la tête en l’air
ne le quittez jamais des yeux :
car dès qu’il n’a plus rien à faire
il caracole dans les cieux.
Il donne beaucoup de soucis
à ses parents et à ses maîtres :
on le croit là, il est ici,
n’apparaît que pour disparaître.
Comme on a des presse-papiers
il nous faudrait un presse-enfant
pour retenir par les deux pieds
l’enfant si léger que volant.
CLAUDE ROY
67
LIMERICK DES GENS EXCESSIVEMENT POLIS
Excusez-moi je vous en prie
disait le Monsieur Très Poli
tout ourlé de Bonnes Manières
quand il croisait un dromadaire
Je suis charmé vraiment ravi
disait le Monsieur Si Gentil
en rencontrant rue de Lisbonne
un pangolin avec sa bonne
Je vous présente mes respects
disait le Monsieur Circonspect
en dépassant dans l’escalier
un I sans point très essoufflé
Veuillez agréer mes hommages
disait le Monsieur Tout en Nage
en arrivant très en retard
au bal masqué des nénuphars
Après vous je n’en ferai rien
dira le Monsieur Vraiment Bien
lorsque la Mort sonnant chez lui
le trouvera toujours poli
L’ennui avec les gens polis
c’est qu’ils n’en ont jamais fini
tout en saluts tout en courbettes
mais trop polis pour être honnêtes.
CLAUDE ROY
68
LES MANIÈRES DU SOLEIL
Le soleil luit pour tout le monde
mais un peu plus ou un peu moins.
Il en est que son chaud inonde
D’autres ne le voient que de loin.
Il luit plus pour le cormoran
que pour que la taupe ou le cafard.
Il luit bien plus à Perpignan
qu’à Lille ou à Hénin-Liétard.
Le soleil luit pour tout le monde
mais plutôt plus ou plutôt moins.
CLAUDE ROY
69
LES MAUVAISES LANGUES
Edmée de Pati-Patapas
et Chantal de Couci-Faupas
papi-papotent à petits pas,
cassant du sucre à tour de bras.
Elles examinent les faux pas,
les impairs et les patatras
des Carabas, des Carambas,
des Fortabras, des Pancreas.
« Ils ont fait ci, ils ont dit ça,
ils ont dit ci, ils ont fait ça,
ils font ce qui ne se fait pas,
des impairs et des embarras. »
Edmée et Chantal sa commère
feraient se battre les montagnes.
Elles ont des langues de vipères
et la montagne est en colère.
Le volcan lâche son champagne.
Il se met dans tous ses états
et recouvre les deux compagnes
Pati-Patapas et Couci-Faupas.
Dans cette histoire, que voilà,
la médisance est bien punie.
Mais surtout ne vous y fiez pas :
aux méchants souvent la chance sourit.
On connaît mille mauvaises langues
que la fortune récompense.
Les braves gens tirent la langue
les gredins s’emplissent la panse.
Mais le poète, éducateur,
enseigne aux enfants la morale.
Pédagogue et un peu menteur
il chante le Bien, et punit le Mal.
CLAUDE ROY
70
LA MORALE ILLUSTRÉE
Il faut s’entraider dans la vie,
tendre la main à ses voisins,
de main en main faire la chaîne des amis.
La main qui serre une autre main
n’a peur de personne et de rien.
ARSÈNE GUILLOT
71
OÙ AVEZ-VOUS LA TÊTE ?
- Mais où donc avez-vous la tête ?
Mais à quoi donc pensez-vous ?
- J’ai la tête près du bonnet,
j’ai /a cervelle à tous les vents.
- Mais où donc avez-vous les jambes ?
Mais où donc vous encourez-vous ?
- J’ai pris mes jambes à mon cou,
j’ai mis mes jambes au grand air.
- Mais où donc avez-vous les yeux ?
Vous me rendez vraiment soucieux.
- Je n’ai pas mes yeux dans ma poche.
Je les ai clairs comme eau de roche.
- Mais où donc avez-vous le cœur ?
Vous voulez faire mon malheur !
- J’ai le cœur qui chante à tue-tête
« Les grandes personnes, c’est bête ! »
CLAUDE ROY
72
LES PAS QUI NE SONT PAS PERDUS POUR
TOUT LE MONDE
- Où vous mènent vos pas, jeune homme ?
- A l’étang, voir si l’eau est bonne.
- OÙ vous mène le pas d’après ?
- Courser la sauterelle au pré.
- Où vous mènent vos pas ensuite ?
- A courir le chat qui s’enfuite.
- OÙ vous mènent vos pas enfin ?
- Là où la route n’a pas de fin.
Et c’est comme ça que ça arrive.
un pas, un autre, et on dérive.
On fait la journée buissonnière,
à l’étourdie, à la légère.
On n’est nulle part, on est en l’air,
enfant volé de l’atmosphère.
Ce sont de mauvaises manières.
On fait du chagrin à sa mère.
- Mais comment découvrir le monde ?
La route est longue, la terre est ronde.
CLAUDE ROY
73
PASSE-TEMPS
Tous ces gens qui ont tant à faire,
qui ont des rendez-vous urgents,
un agenda, des tas d’affaires,
où vont-ils donc, ces gens bougeant ?
Pourquoi courir, se mettre en nage,
pourquoi s’essouffler constamment
les gens tranquilles sont plus sages
qui regardent passer le temps.
CLAUDE ROY
74
LE PETIT JOUR
Le petit jour bat la semelle.
Il guette pour voir si j’allume.
Il fait craquer la gelée blanche,
s’amuse à souffler sur la lune.
Son haleine fait de la buée.
Le petit jour a froid aux pieds.
Je me réveille dans mon chaud.
J’aimerais bien prendre mon temps,
n’ouvrir les yeux que s’il fait beau.
Hélas le petit jour m’attend.
- Petit jour qui deviendra grand
pourquoi frappes-tu à ma porte ?
- Je m’ennuie tout seul dans le noir.
Prépare-nous un bon café.
- Petit jour qu’est-ce que tu apportes ?
Va au moins me chercher du bois.
- Je t’apporte le rouge-gorge,
l’odeur du brouillard dans les bois.
Je me lève donc avec le jour.
Il entre. Il fait entrer le froid.
Le petit jour devenu grand
disparaît et me laisse en plan.
Me voilà seul avec le feu,
avec le grand jour et le chat.
C’est tous les matins même jeu.
Le jour m’éveille et puis s’en va.
Je dis : on ne m’y prendra plus.
Petit jour je n’ouvrirai plus.
Mais demain encor je serai content
de me réveiller habitant du temps
avec un petit jour qui m’attend à la porte
et qui bat la semelle, attendant que je sorte.
CLAUDE ROY
75
AU MOINS TU PLEURERAS POUR
QUELQUE CHOSE
Comme il faisait mauvais temps
Jean qui pleure était morose
et Jean qui grogne pleurnichant.
Sa mère qui n’est pas manchote
lui envoie une calotte.
« Comme ça, si tu es morose,
tu Pleureras, pour quelque chose ! »
Jean a pleuré tant et tant,
qu’ajouté au mauvais temps,
le résultat est grandiose.
C’est Nivôse et c’est Ventôse.
Jean qui pleure pleure des cordes
et la rivière déborde.
Il pleure une vraie mousson.
L’eau recouvre les maisons,
elle emporte gens et choses.
Sa maman avait raison
d’avoir des démangeaisons.
Jean qui rit, le polisson,
a pleuré Pour quelque chose.
CLAUDE ROY
76
RECETTE POUR FAIRE
UN ARC-EN-CIEL
Pour faire un très bel arc-en-ciel
il faut un arc à songerie
et plusieurs flèches au pluriel.
Prends un grand ciel assez mouillé
pour que les couleurs y sourient
dans la lumière un peu brouillée.
VIOLET
Avec une plume de merlette
ou des moustaches de souris
dilue dans l’eau quatre violettes.
INDIGO
Le plus joli des indigos
s’obtient à partir d’un chat persan
qui sourit et fait le gros dos.
BLEU
Le bleu c’est les yeux d’une blonde
dont la pupille bleue varie
quand le soleil danse sa ronde.
VERT
L’herbe et le trèfle à quatre feuilles
donnent un vert du plus beau vert
qu’on mélange à du chèvrefeuille.
JAUNE
Pour le jaune un petit garçon
couleur de taches de rousseur
de maïs ou de hérisson.
ORANGE
Pour faire un orangé orange
attrape un grand éclat de rire
avec une plume de mésange.
ROUGE
Le rouge-gorge couleur de forge
te prêtera son gentil feu
pour le rouge qui brûle et bouge.
Quand tes couleurs
sont enfin prêtes
tu peux attaquer
l’arc-en-ciel
déjà dessiné
dans ta tête
Tu vises la ligne d’horizon
La flèche trace un arc-en-cercle
corolle aux couleurs de blason
Quand l’arc-en-ciel est terminé
tu te déchausses et les pieds nus
tu commences la traversée
Monte droit dans le ciel ouvert.
Quelqu’un s’avancera vers toi
comme dans un miroir à l’envers
un autre marche qui est toi.
CLAUDE ROY
77
REGARDEZ-VOUS UN PEU DANS LA GLACE
Regardez-vous un peu dans la glace
dit à Jeanne et Marie leur maman qui se fâche.
Vous avez couru et fait mille bêtises
Vous êtes toutes rouges, et vos boucles défrisent.
Pour donner aux poupées leur goûter-biberon
Vous avez tout sali mon joli napperon.
Vous avez habillé la chatte Pandora
avec mon caraco et mon châle angora.
Pour prendre la température à son mari
Albert vous avez fait tomber le thermomètre par terre !
La maman est fâchée et fait la grosse voix.
Mais en se regardant dans la glace elle voit
que les gens en colère font de sales grimaces.
Regardez-vous un peu dans la glace !
CLAUDE ROY
78
RITOURNELLE DES APPARENCES
Sur le cerisier noir et vert
une fleur tombée se repose.
Ce n’est pas un film à l’envers :
c’est un papillon jaune et rose.
Les étourneaux volant par nuées
sans pousser leurs cris monotones,
ce n’est pas du cinéma muet mais
les feuilles au vent d’automne.
L’assiette blanche que tu pêches
c’était la lune dans un seau.
La nouvelle étoile au Verseau
c’est un avion qui se dépêche.
La jeune fille dans le pré
c’était, qui sèche, une chemise.
Si tu vas y voir d’un peu près
la vie, la vue, que de surprises !
Le vrai n’est pas toujours si vrai.
Tu n’as pas vu ce que tu vois.
Le cœur distrait trompe l’œil frais
qui n’avait vu que ce qu’il croit.
CLAUDE ROY
79
SUPPOSONS UNE SUPPOSITION
Suppose et supposons une supposition :
que le mot ver luisant se prononce escarcelle,
que le mot chocolat se prononce violon,
que le mot tirelire se prononce hirondelle.
Les dictées tout à coup ont un air bien bizarre.
On regarde voler les tirelires en l’air,
on regarde briller l’escarcelle très tard,
on mange à son goûter du pain et du violon.
Tu me dis baluchon : ça veut dire grosse bête.
Fourbi ? C’est un poisson. Lézard? Saule pleureur.
Les mots ne savent plus où donner de la tête :
friture de fourbis, ou lézard rose en fleurs ?
Est-ce escarcelle ou escargot ? Est-ce cargo
ou tire-l’air, ou tire-l’eau, ou tire-d’aile ?
Est-ce chacal ou chocolat ? Est-ce hirondelle ? Est-ce rondeau ?
Est-ce vole-au-vent ? Est-ce violoncelle ?
Si on commence à faire trop de suppositions
tout s’en va de travers et rien ne va plus droit
personne ne demande aux mots la permission
et je signe Hérisson - qui veut dire : Claude Roy.
CLAUDE ROY
80