Non-obligation pour un journal de retirer complètement de

Transcription

Non-obligation pour un journal de retirer complètement de
du Greffier de la Cour
CEDH 224 (2013)
16.07.2013
Non-obligation pour un journal
de retirer complètement de ses archives internet
un article jugé inexact par un tribunal
Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Wegrzynowski
et Smolczewski c. Pologne (requête no 33846/07), la Cour européenne des droits de
l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
Non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la
Convention européenne des droits de l’homme.
Dans cette affaire, deux avocats se plaignaient qu’un article de presse portant atteinte à
leur réputation demeurait accessible au public sur le site internet du journal (les
tribunaux polonais, dans une action pour diffamation antérieure, avaient jugé que
l’article en question n’était pas fondé sur des informations suffisantes et était contraire
aux droits des intéressés).
La Cour déclare le grief irrecevable en ce qui concerne un des requérants, qui n’a pas
introduit sa requête dans le délai requis de six mois après la décision définitive des
juridictions polonaises.
En ce qui concerne l’autre requérant, la Cour estime que les tribunaux polonais ont
ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit d’accès du public à l’information et,
d’autre part, le droit du requérant à la protection de sa réputation. Elle considère en
particulier que le retrait total de l’article litigieux des archives du journal aurait été
disproportionné. Elle relève en même temps que le requérant n’a pas demandé l’ajout
dans l’article mis en ligne d’une référence au jugement rendu en sa faveur.
Principaux faits
Les requérants, Szymon Węgrzynowski et Tadeusz Smolczewski, sont deux
ressortissants polonais résidant à Katowice (Pologne). Ils sont avocats. En mai 2002, ils
obtinrent gain de cause dans le cadre d’une action en diffamation qu’ils avaient dirigée
contre deux journalistes travaillant pour le quotidien Rzeczpospolita à la suite de la
publication d’un article dans lequel il était allégué qu’ils avaient fait fortune en assistant
des hommes politiques pour des transactions commerciales douteuses. Le jugement fut
confirmé en appel en avril 2003. Estimant en particulier que les allégations des
journalistes étaient largement fondées sur des ragots et des rumeurs et qu’ils n’avaient
pas pris les mesures minimales nécessaires pour vérifier les informations, les tribunaux
condamnèrent les intéressés ainsi que le rédacteur en chef à payer une amende sous
forme de versement à une œuvre caritative et à publier des excuses dans le journal. Ces
obligations furent respectées.
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas
définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le
renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si
l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un
arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille
l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse
suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
En juillet 2004, les deux avocats engagèrent une nouvelle procédure civile contre
Rzeczpospolita, soutenant qu’ils venaient de se rendre compte que l’article litigieux était
toujours disponible sur le site internet du journal. Ils demandèrent une décision
ordonnant le retrait de l’article du site et la publication d’excuses. Le tribunal régional de
Varsovie rejeta leur demande en septembre 2005. Il estima que la découverte de l’article
sur le site internet du journal fournissait une base factuelle pour une nouvelle demande.
Dès lors, les questions soulevées n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision dans la
première procédure. Toutefois, le tribunal déclara en particulier que le retrait de l’article
du site internet constituerait une censure et équivaudrait à réécrire l’histoire. Si les
requérants avaient demandé une décision ordonnant l’ajout à l’article figurant sur
internet d’une note ou d’un lien informant les lecteurs des jugements rendus dans la
procédure en diffamation initiale, le tribunal aurait procédé à un examen sérieux de cette
demande. La cour d’appel de Varsovie confirma le jugement en juillet 2006. Les
requérants formèrent en vain un pourvoi en cassation devant la Cour suprême.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 8, les requérants se plaignaient du rejet par les tribunaux de leur
demande de retrait de l’article litigieux des archives du site internet du journal.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 7 août
2007.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Ineta Ziemele (Lettonie), présidente,
David Thór Björgvinsson (Islande),
Päivi Hirvelä (Finlande),
George Nicolaou (Chypre),
Ledi Bianku (Albanie),
Zdravka Kalaydjieva (Bulgarie),
Krzysztof Wojtyczek (Pologne),
ainsi que de Françoise Elens-Passos, greffière de section.
Décision de la Cour
La Cour déclare le grief irrecevable en ce qui concerne M. Węgrzynowski, celui-ci n’ayant
pas introduit sa requête dans le délai requis de six mois après la décision définitive
rendue par les juridictions polonaises. Dès lors, la Cour ne peut examiner que le grief de
M. Smolczewski.
La Cour observe que dans le cadre de la première procédure civile – dans laquelle les
tribunaux polonais avaient reconnu que la publication de l’article litigieux avait porté
atteinte aux droits des requérants –, M. Smolczewski n’avait pas formulé de demande
concernant la présence de l’article sur internet, où il avait été publié en même temps
que dans la version papier. Les tribunaux n’avaient donc pas pu statuer sur cette
question. Dès lors, leur jugement dans la première procédure n’a pas créé pour les
requérants une espérance légitime de voir l’article retiré du site internet du journal.
M. Smolczewski n’a avancé aucun argument expliquant la raison pour laquelle il n’avait
pas abordé la question de la disponibilité de l’article en ligne, compte tenu en particulier
du fait que les archives internet de Rzeczpospolita sont largement connues et constituent
une ressource couramment utilisée tant par les avocats polonais que par le grand public.
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La Cour a dit dans des affaires antérieures qu’internet était un outil d’information et de
communication qui se distinguait particulièrement de la presse écrite, notamment quant
à sa capacité à emmagasiner et diffuser l’information. Desservant des milliards d’usagers
partout dans le monde, ce réseau électronique n’est pas et ne sera peut-être jamais
soumis aux mêmes règles ni au même contrôle. Assurément, les communications en
ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse écrite de porter atteinte à
l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit
au respect de la vie privée. Aussi, les règles régissant la reproduction de matériaux tirés
de la presse écrite et celle de matériaux tirés de l’internet peuvent être divergentes. Il
faut manifestement ajuster les règles régissant la reproduction des seconds, en fonction
des caractéristiques particulières de la technologie de manière à voir assurer la
protection et la promotion des droits et libertés en cause.
A la lumière de ce qui précède, la Cour observe que, dans la seconde procédure
introduite en 2004, le tribunal de première instance a estimé que l’affaire ne portait pas
sur une question ayant déjà fait l’objet d’une décision dans la première procédure.
M. Smolczewski a donc eu la possibilité de faire examiner ses demandes par un tribunal,
en jouissant de toutes les garanties procédurales. Les tribunaux ont admis que la
demande de protection des droits et de la réputation pouvait être examinée en vertu du
code civil, ce qui démontre, de l’avis de la Cour, qu’il existait un cadre juridique
approprié.
La Cour partage l’avis du tribunal régional de Varsovie qui a estimé que ce n’était pas le
rôle des autorités judiciaires de réécrire l’histoire en ordonnant le retrait du domaine
public de toute trace de publications passées qui, par des décisions judiciaires
définitives, ont été jugées constituer des atteintes injustifiées à la réputation d’individus.
En outre, pour la Cour, il y a lieu de prendre en compte que l’intérêt légitime du public à
l’accès aux archives électroniques publiques de la presse est protégé par l’article 10 de la
Convention (liberté d’expression).
Il importe de noter que les juridictions polonaises ont indiqué qu’il serait souhaitable
d’ajouter à l’article figurant sur le site internet du journal un commentaire informant le
public de l’issue de la première procédure civile dans laquelle les tribunaux avaient fait
droit à la demande des requérants tendant à la protection de leurs droits individuels. La
Cour est donc convaincue que les tribunaux polonais étaient conscients de l’incidence
que peuvent avoir les publications sur internet sur la protection effective des droits des
individus et de l’importance qu’il y avait à diffuser des informations complètes sur les
décisions judiciaires concernant les articles litigieux mis en ligne. Or, dans la procédure
civile introduite en 2004, M. Smolczewski n’a pas demandé la rectification des
informations par l’ajout à l’article litigieux d’une référence aux jugements rendus en sa
faveur.
Prenant en compte l’ensemble des circonstances, la Cour admet que la Pologne a
respecté son obligation de ménager un équilibre entre les droits garantis par l’article 10
(liberté d’expression) et ceux protégés par l’article 8 (droit au respect de la vie privée)
de la Convention. Elle estime qu’une restriction à la liberté d’expression destinée à
protéger la réputation de M. Smolczewski aurait été disproportionnée au regard de
l’article 10. Partant, elle conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8.
L’arrêt n’existe qu’en anglais.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts
rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci,
peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s’abonner aux communiqués de presse
de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats
membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de
la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
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