Migros Magazine N° 06 / 02 FÉVRIER 2009 (française)
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Migros Magazine N° 06 / 02 FÉVRIER 2009 (française)
chronique | 21 Migros Magazine 6, 2 février 2009 MINUTE PAPILLON Votre tête est à quel format? Quantité de gens sont bien embêtés pour remplacer leur poste TV. Surtout ceux qui avaient choisi d’encastrer le leur dans un superbe meuble à multiples usages. A l’ère de l’écran plat, les postes à tubes cathodiques sont en effet devenus introuvables dans le commerce: à moins d’aller dénicher aux puces un poste à l’ancienne, c’est le meuble multifonctionnel collé à votre paroi qui y finira, aux puces, faute d’offrir une niche assez large. Jean-François Duval, journaliste Oui, l’achat désormais obligé d’un écran plat peut vous contraindre à chambouler l’aménagement de votre living. Ce qui trouvait place au-dessus, audessous, à gauche et à droite du poste encastré devra sans discutailler migrer ailleurs. Et cela, sans briser la belle harmonie de votre salon: la briseriez-vous que votre psychisme pourrait en être affecté, car votre tête passe là une partie importante de son existence. Comme je viens de m’offrir un écran plat 36 pouces, j’ai proposé mon ex-poste à une personne qui – le sien étant mort de vieillesse – n’en trouvait nulle part de semblable, pas même aux puces; or elle avait promis loyauté et fidélité à son meuble design. Autant faire son bonheur, n’est-ce pas, d’autant plus que mon vieux poste était depuis quelque temps sujet à des crises de bizarreries. Selon les émissions et les chaînes que je regardais, les têtes et les visages changeaient constamment de format, phénomène que je n’avais observé jusque-là que dans les miroirs concaves et convexes des fêtes foraines: tantôt ils étaient complètement aplatis, tantôt ils étaient allongés en hauteur. Du coup, je ne savais plus bien quelle était la vraie physionomie du visage humain, au point que, quand je marchais dans la rue, je regardais les passants pour tenter de retrouver l’image et les proportions exactes d’une tête humaine. Le problème, m’a expliqué un technicien, c’est que nous sommes en pleine phase de transition entre la diffusion 3/4 et la diffusion 16/9. Il m’a aussi assuré que, contrairement à ce que tout le monde a cru pendant un demi-siècle, les visages qu’on nous a montrés sur les anciens postes avaient TOUJOURS été un rien trop élongés. Notre œil avait pris un mauvais pli, et ce n’est que justice si les têtes reviennent aujourd’hui à la normale grâce à l’écran plat. Mon écran plat est d’ailleurs si intelligent que, quelles que soient la chaîne ou l’émission, il rétablit presque instantanément le bon format. N’empêche, le mal est fait. Car j’ai maintenant un doute constant sur les proportions réelles du visage humain. Je me promène dans les rues de ma ville comme le philosophe Diogène, je cherche partout le vrai visage de l’homme. Faites comme moi, vous verrez, ce n’est pas si facile. 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Frimousse espiègle, costume repassé de près et francparler, Bénabar est un chanteur popu et il l’assume. Rencontre sous le signe de l’humour dans un hôtel genevois. Avez-vous réussi à arrêter de fumer? Oui (franc!). Je ne fume plus depuis euh… plusieurs mois. Il a fallu que je m’y reprenne à deux fois. Mais pour l’instant, je tiens le coup et j’en suis très fier. Pourvu que ça dure! Je me suis mis au sport, au footing. N’empêche, je continue à me coucher très tard et à faire le fou. Je ne suis pas devenu complètement chiant. (Il tripote un morceau de métal indiquant qu’il est interdit de fumer dans la salle.) Le manque de nicotine vous rend-il triste? Votre dernier album est beaucoup plus mélancolique que les précédents. Peut-être que ça joue sur les hormones. Je ne saurais pas dire pourquoi cet album est plus sombre. Il ne s’agit pas d’un choix ou de quelque chose de réfléchi. Vous avez cessé de parler de problèmes d’«adulescents». Parce que vous êtes casé, que vous avez un enfant? Non, enfin… Peut-être, un peu. En tout cas, je ne me sens pas casé du tout dans certains domaines. C’està-dire que je ne crois pas qu’on soit jamais casé, que les choses soient jamais acquises par principe et par caractère. «Adulescent», je ne me retrouve plus dans ce terme. Je ne suis pas du tout le genre à regarder les Barbapapa ou Capitaine Flamme. En fait, je n’ai pas de nostalgie par rapport à l’enfance. Peut-être parce que j’ai eu un petit garçon. L’enfance maintenant, c’est la sienne, plus la mienne. Dur, dur d’être séparé de votre fils Manolo pendant les tournées… Il vit avec sa maman à Paris, dans le vingtième. Et je le vois souvent. C’est bien qu’il reste dans le quartier avec ses copains, qu’il mène sa vie de petit garçon, pas de fils de chanteur. J’essaie d’être vigilant sur ce sujet. Vous êtes devenu le personnage de votre chanson «Monospace», un «bon chef de famille»… Non, parce que je ne conduis pas! Pour tout vous avouer, j’ai le permis, mais j’ai très peur en voiture. J’ai un côté Rain Man. C’est donc ma com- pagne qui prend le volant. Alors qu’en tant que chanteur, je pourrais manœuvrer une grosse bagnole! Là, je perds quand même un des principaux atouts de virilité machiste. Vous avez dit que vous, pour séduire, il fallait que vous fassiez trois albums, deux Zénith et huit cents concerts. Vous êtes à cinq albums. Quelle relation avez-vous avec les filles maintenant? Toujours la même. J’ai une certaine fascination pour elles. Je suis un homme casé, mais même les hommes mariés regardent les filles dans la rue. Et ils ne regardent pas forcément que leur nuque. (Il embrasse la médaille qu’il porte autour du cou, se lève et va toucher un lampadaire.) Bio express Bruno Nicolini est né à Thiais (France) le 16 juin 1969. Papa régisseur de cinéma, maman libraire, lui, il se voit devenir clown et commence la trompette à 8 ans. Son bac en poche, il passe six mois dans une école américaine. Apprenti photographe, technicien pour le cinéma puis assistant régisseur, il réalise son premier court métrage en 1991, «Nada Lezard». Suivront «José Jeannette» (1992), présenté au Festival de Cannes et qui recevra un prix au Festival de Cognac, et «Sursum Corda» en 1994. Il commence à jouer dans les bars avec un groupe. Premier album: «La p’tite monnaie» sorti en 1997. Son ami Patchol le surnomme Bénabar, verlan de Barnabé. Son troisième album, «Les risques du métier», reçoit une Victoire de la musique en 2004, l’année où il devient papa. «Reprise des négociations» est disque de diamant, avec 1,3 million d’exemplaires vendus. En 2007, Bénabar est couronné artiste interprète masculin de l’année. En juillet 2009, on découvrira ses talents d’acteur dans le film «Incognito» dans lequel il incarne un chanteur. Sa drogue favorite: regarder l’émission «Vidéo gag». Bénabar: «Le costume me donne une image de gentil garçon.» entretien BÉNABAR | 23 Que faites-vous? Un petit truc parce qu’on a parlé de… sans importance! Superstitieux? Oui, c’est ma petite médaille. La médaille de la Vierge et la corne italienne de ma grand-mère. Catholique et païen, comme ça, je suis entre les deux. La famille reste très importante pour vous… J’ai eu la chance d’avoir une famille très unie, avec beaucoup de monde, à l’italienne, les pâtes chez la grandmère, tout le folklore. C’est comme ça encore aujourd’hui. Pourtant, ça n’est même pas quelque chose que je défends bec et ongles comme une valeur, je ne suis pas pétainiste. J’ai simplement baigné là-dedans et j’y crois. Malgré les rires, vous restez un inquiet. Pour vous, «être anxieux c’est voir la vie sans naïveté, sans angélisme». A quel âge avez-vous perdu votre candeur? Franchement, je n’étais pas un enfant très candide. Ce qui ne m’a pas empêché d’être très heureux d’ailleurs, avec mes deux frères. Eh oui, nous ne sommes que des garçons. Les filles, c’est trop les emmerdes (murmuré). Vous aimez jouer au clown. A tel point que, enfant, vous imaginiez en faire un métier… Oui, j’aime bien les grandes gueules sympas qui font que la vie est un peu plus belle, un peu plus grande… Pourquoi n’êtes-vous pas devenu clown alors? Parce que quand vous appreniez à jouer de la trompette votre chien aboyait en même temps? C’est une jolie et vraie histoire (rires). Sans faire de la psychologie de comptoir, je voulais être clown, je suis devenu chanteur. Mais pas dentiste! Ça reste dans la même lignée. J’ai juste plus tendance à faire le con qu’à jouer le Julio Iglesias. Pourtant, sur scène, vous portez toujours des costumes élégants. LIRE LA SUITE EN PAGE 24 24 | entretien BÉNABAR Migros Magazine 6, 2 février 2009 beaucoup copié Sautet, enfin pas copié parce que j’en serais incapable, mais il reste une grande référence pour moi. Ce qui me fascine, ce sont ses seconds rôles. Il n’utilise presque jamais de premiers rôles ou estampillés comme tels. C’est pas Brad Pitt qui arrive et qui casse la gueule à tout le monde. Et puis, on est tous des deuxièmes rôles. Il faut quand même admettre qu’il y a peu de Jean Moulin ou de Picasso dans nos connaissances. Je trouve ça très bien d’ailleurs. Dans mes chansons, je parle rarement de héros ou de personnages fantastiques. Plutôt des êtres qui demeurent un peu flous sur la photo. Pourquoi? Pour avoir le plaisir de le déchirer à la fin du spectacle ou parce que votre maman vous a appris à bien vous habiller lors de grandes occasions? (Rires). Quand j’ai commencé, j’avais une grande théorie – j’ai souvent des théories à l’emporte-pièce complètement débiles d’ailleurs – qui était qu’il faut s’habiller sur scène comme dans la vie. Et je me souviens que dans un café-concert à Limoges, on est montés sur scène pas habillés. Le patron est venu me remonter les bretelles à la fin du concert, avec une colère froide, en me disant: «Tu t’es même pas changé, t’as pris les spectateurs pour des cons.» Ça m’est resté. Le costume en lui-même me donne une image de gentil garçon. Marrant, parce que je dis beaucoup de bêtises sur scène. Vous tournez tout à la dérision, même des sujets lourds, comme la dépression, la mort. Par timidité? Il y a de ça. Dire les choses sans trop y toucher. Et surtout sans utiliser le pathos, qui m’emmerde. C’est tellement facile de faire une chanson triste. Tu parles d’un enfant qui est perdu dans la forêt, tu mets les violons, un joli thème au piano, et à moins que tu aies un cœur de pierre, cela devient forcément émouvant. On a une responsabilité en tant qu’artiste. Je pense parfois à la personne qui écoute mes chansons dans sa bagnole le lundi matin, qui vient d’être plaqué par sa copine, qui est dans les embouteillages, sous la pluie. On n’est pas obligés d’aller volontairement à fond dans le pathos. Je trouve que c’est utiliser des procédés un peu déloyaux. Respecter son public reste le plus important pour vous. Vous refusez de lui mentir. Et quand vous chantez avec les Enfoirés ou pour Sidaction, vous lui faites remarquer que «ce n’est pas ça s’engager». S’engager, c’est prendre des risques. Par exemple un artiste algérien qui s’expose contre les intégristes, les opposants chinois qui vont en taule. Des gens qui risquent vraiment leur vie en contestant le pouvoir. Moi, je défends quelques opinions sans avoir le sentiment de m’engager. J’inscris mes chansons «S’engager, c’est prendre des risques» dans une réalité. Aujourd’hui, il y a du racisme, des guerres, mais aussi des iPod, du progrès! Je me sens concerné par la crise, la politique, j’en parle, mais par décence pour les personnes qui mettent leur peau en danger tous les jours, je ne peux pas dire que je m’engage en chantant que la banquise fond. En tant qu’artiste, vous vous situez où? Bien au-dessus du lot! Je vois tout le monde en bas et moi en train de rayonner. Je ne sais pas si eux ont la même image de moi, je n’en suis pas sûr (rires). Disons que je me situe quelque part entre Elton John et Patricia Kaas. «On a tout à apprendre de Claude François», comme vous le clamez dans la chanson «Maritie et Gilbert Carpentier»… Je le crois sincèrement! J’ai une famille de cœur: Michel (Delpech), Higelin, Louis Chedid. Je me sens proche de ces gens-là. La critique vous a comparé à Brel, à Renaud. Mais finalement n’êtesvous pas plutôt un chansonnier à la Bourvil? Pourquoi pas! Si cela consiste à raconter des choses et essayer, parfois, de faire rire, oui, je veux bien être comparé à Bourvil. Le p’tit bal perdu et Ballade irlandaise sont des chansons magnifiques. Avec un père régisseur, vous avez commencé votre carrière derrière une caméra. Vous avez même été reconnu par la profession en recevant des prix. Pourquoi être passé à la chanson? J’ai obtenu un prix pour un court métrage seulement. Je pense qu’il faut un vrai souffle pour tenir une histoire d’une heure et demie. Souffle que je n’ai pas, je crois. A l’époque où je travaillais beaucoup sur un scénario, dans l’espoir de sortir un long métrage, j’ai commencé à jouer dans les bistrots. De plus en plus souvent, parce que j’y prenais du plaisir, que c’était moins compliqué que le cinéma. En fait, c’était très opportuniste. Pour être franc, je m’étais rendu compte que j’aurais été un très mauvais cinéaste. Vous admirez Claude Sautet. Qu’est-ce qui vous charme chez ce réalisateur? Son côté, j’expose la vie quotidienne tout en parlant des grandes questions universelles. Mes chansons sont très inspirées de son œuvre. D’ailleurs la pochette de mon album est un clin d’œil au film César et Rosalie. Derrière une vitre, on voit des gens en train de boire des coups et un mec qui fait le con. J’ai Vous avez aussi écrit des scénarios pour la série télévisée «H» dans laquelle joue Jean-Luc Bideau. Que pensez-vous de ce Suisse? Jean-Luc Bideau? Une espèce de génie décalé. Il est culte. C’est une perle rare pour un scénariste, car il fait tout. Si tu mets dans le scénar «et à ce moment-là, le professeur Strauss (son nom dans la série, n.d.l.r.) se met à poil», Bideau se met à poil et il joue. Il n’a pas de coquetterie d’acteur. S’il refuse de jouer, c’est qu’il considère que c’est mauvais ou qu’il veut améliorer la scène. J’ai un magnifique souvenir de lui, de son jeu fabuleux, son physique incroyable. Un super bonhomme! Vous chantiez «bon anniversaire petit trentenaire, rien de rassurant». Et maintenant, à bientôt 40 ans? (Pause). Je n’ai pas encore 40 ans! Le jour J, je pense que ça sera difficile. Vieillir ne me déplaît pas, cela m’impressionne un peu, me fait assez peur, mais reste dans l’ordre des choses. Le tout étant de vivre avec son âge. Je ne me teindrai pas les cheveux. Refuser son âge, c’est un peu comme de dire, je ne veux pas de téléphone portable (sur un ton sec). C’est anachronique. Comme ceux qui s’insurgent contre internet. Pour moi, c’est comme s’ils étaient contre les perceuses par exemple. Je ne l’intègre pas. Propos recueillis par Virginie Jobé Photos Corbis / Dukas Concerts en Suisse: le 14 février aux Docks à Lausanne et le 8 avril à l’Arena de Genève. A écouter: «Infréquentable», Sony BMG, 2008