LE PRIX DES LIVRES EN 5 QUESTIONS/ RÉPONSES
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LE PRIX DES LIVRES EN 5 QUESTIONS/ RÉPONSES
? LE PRIX DES LIVRES EN 5 QUESTIONS / RÉPONSES ? ? ? ? FÉVRIER 2015 Madame, Monsieur, chère cliente, cher client, Vous êtes nombreux à manifester votre incompréhension – pour ne pas dire votre mécontentement – face au différentiel de prix que vous constatez sur les livres importés (environ 90 % des livres en langue française vendus en Suisse romande viennent de France) depuis la décision de la BNS, le 15 janvier dernier, d’abolir le taux plancher et l’appréciation du franc suisse par rapport à l’euro qui s’en est suivie, pour atteindre désormais la quasi-parité de 1 CHF pour 1 €. Pour autant, le prix des livres en Suisse n’a pas augmenté : c’est la perception de leur prix en euros par rapport à leur prix suisse qui s’est trouvée modifiée en raison de l’évolution du taux de change. Il est à noter que le prix moyen des livres a baissé de plus de 15 % entre 2010 et 2012, alors que le pouvoir d’achat en Suisse est resté stable sur la période. Il nous paraît important d’apporter des réponses aux questions que vous vous posez, d’une part pour vous expliquer les mécanismes et les raisons de ce phénomène et, d’autre part, pour vous informer des actions qui sont menées dans ce domaine et des perspectives d’évolution de la situation. MINI-GLOSSAIRE DE LA CHAÎNE DU LIVRE IMPORTÉ DE FRANCE (1) Éditeur. Il publie le livre et fixe son prix de vente pour son marché d’origine (en l’occurrence la France). Il assure la promotion de sa production auprès des médias. Diffuseur. Il assure la commercialisation et la promotion auprès des revendeurs (libraires) et décide, pour le marché suisse, des prix de vente conseillés ainsi que des conditions commerciales du revendeur (libraire), donc de son prix d’achat. Tous les grands diffuseurs présents en Suisse sont des filiales des groupes français d’édition. Distributeur. Il assure le stockage, les flux physiques et la facturation aux revendeurs (libraires), en appliquant à chaque libraire ou revendeur le prix d’achat fixé par le diffuseur. Le principal distributeur, OLF, autonome des diffuseurs, n’est donc pas responsable des prix des livres pour lesquels il n’assure que la distribution. Libraire ou revendeur. Maillon final de la chaîne du livre, au contact direct des lecteurs acheteurs de livres, il propose les livres à la vente. S’il n’est pas légalement obligé de respecter les prix conseillés par le diffuseur, tout rabais pratiqué ampute directement sa marge, celle-ci dépendant du taux de remise (conditions commerciales) que lui accorde le diffuseur sur le prix de vente conseillé. Groupes. Les grands groupes d’édition pratiquent en général les trois premiers métiers : édition (sous différentes marques), diffusion et distribution. En Suisse, trois grands groupes français (Gallimard/Flammarion, Éditis/Interforum et Hachette) sous-traitent la distribution, confiée à une société tierce, suisse et indépendante (OLF). Le cas du groupe Volumen (Le Seuil/La Martinière) est particulier, puisque la société de distribution (Servidis) est partagée entre Volumen et Slatkine, éditeur suisse. (1) Nous ne nous intéressons ici qu’aux quatre principaux groupes d’édition, qui représentent à eux seuls environ 85 % des ventes de livres en langue française en Suisse. 1 QUI FIXE LE PRIX DES LIVRES EN SUISSE ? Le système en Suisse romande pour l’importation des livres français repose sur les mêmes fondements que dans leur pays de production, en l’occurrence un système de diffusion/distribution exclusif. Ceci signifie qu’un libraire ne peut commander les livres d’un éditeur donné que chez un et un seul fournisseur s’il s’approvisionne en Suisse (voir point 3 pour la position de Payot sur son approvisionnement). Ce fournisseur applique les conditions fixées par le diffuseur. Il n’y a donc pas de concurrence entre fournisseurs, et chaque diffuseur est libre de fixer unilatéralement un prix de vente conseillé pour les livres des éditeurs dont il a l’exclusivité. Les diffuseurs ayant des politiques de prix différentes, deux livres d’éditeurs différents ayant le même prix de vente d’origine en euros peuvent de ce fait être vendus, en francs suisses, à des prix différents l’un de l’autre. 2 POURQUOI LA BAISSE DE L’EURO N’EST-ELLE PAS DAVANTAGE RÉPERCUTÉE SUR LE PRIX DES LIVRES EN SUISSE ? Pour tous les éditeurs français diffusés et distribués en Suisse, nous nous approvisionnons, en tant que libraires, auprès des diffuseurs en Suisse et nous payons les livres en francs suisses : nous ne bénéficions donc pas de la baisse de l’euro et ne pouvons par conséquent pas la répercuter mécaniquement sur les prix. Seuls les diffuseurs, qui achètent les livres en euros, peuvent le faire. Si nous pouvons les y inciter, nous ne pouvons pour autant pas les y contraindre. Cela dit, une nouvelle baisse des prix, après celles que nous avons connues en 2011 et 2012, mettrait les acteurs suisses (distributeurs et libraires) dans une situation très délicate, pour ne pas dire périlleuse. En effet, une baisse du prix moyen entraîne automatiquement une baisse du chiffre d’affaires, à volume de ventes égal, et par conséquent une baisse de la marge en valeur. Si des adaptations ont pu être opérées suite à la première baisse de l’euro, la marge de manœuvre est désormais trop étroite : les charges des acteurs suisses (en particulier les salaires et le loyer) sont en effet fixes, n’étant pas indexées sur l’euro. Il est donc indispensable que les diffuseurs qui veulent baisser leurs prix compensent la perte de marge en valeur des libraires par l’amélioration de leurs conditions commerciales. Pour illustrer cela, prenons l’exemple du salaire d’un libraire suisse comparé à celui d’un libraire français : avec la parité des monnaies, le salaire d’un libraire suisse est dorénavant environ 2.5 fois plus élevé que celui de son homologue français. C’est pour cette raison que, même si baisse des prix il y a, elle ne pourra être la répercussion intégrale du gain de change, ni, a fortiori, réduire le différentiel de prix en-deçà d’une certaine limite. 3 POURQUOI NE NOUS APPROVISIONNONS-NOUS PAS DIRECTEMENT EN FRANCE ? Les diffuseurs sont majoritairement des filiales des groupes français d’édition. Nous ne pouvons ouvrir de comptes en France sans leur accord et sans la garantie de pouvoir bénéficier du niveau de services dont nous avons besoin pour vous satisfaire. Par ailleurs, même si un groupe comme Payot pourrait envisager d’organiser ses flux de marchandises depuis la France, ce ne serait pas le cas pour les libraires indépendants. Mais si Payot s’approvisionnait en direct, cela déstabiliserait fortement le marché et aurait des conséquences néfastes sur le réseau des libraires indépendants. Nous considérons que notre position de leader du marché nous confère une responsabilité envers les autres acteurs, en particulier les libraires les plus fragiles. Et si nous appelons de nos vœux une réforme du système, nous ne voulons pas provoquer son implosion qui, par réaction en chaîne, mettrait en péril le réseau des indépendants et entraînerait très certainement, dans un délai assez court, la disparition de nombre d’entre eux. 4 QUELLES PEUVENT ÊTRE LES CONSÉQUENCES DU TOURISME D’ACHAT ? Comme nous l’avons écrit en introduction, ce ne sont pas les prix en Suisse qui ont augmenté mais, du fait de l’appréciation du franc suisse, les prix en France qui sont devenus moins chers pour un acheteur en franc suisse. Le pouvoir d’achat des Suisses en Suisse n’a pas baissé, et leur salaire ne doit pas baisser. Oui, la Suisse est un pays cher. Mais le niveau de vie et des revenus y est élevé. Tout cela est lié. Le consommateur, dont l’intérêt immédiat pourrait être de vouloir profiter de cette différence de prix par le tourisme d’achat, doit toutefois être conscient qu’il est aussi un contribuable, et qu’à plus ou moins long terme, le développement du tourisme d’achat lui sera néfaste. En effet, les acteurs locaux participent à l’économie de la collectivité : emploi, impôts et taxes y contribuent. Ce potentiel appauvrissement de l’économie locale consécutif au tourisme d’achat débouchera inexorablement sur une diminution des recettes, une nouvelle répartition des charges de la collectivité et/ou une diminution des prestations publiques. Un cas particulier est celui du site de vente en ligne Amazon : y acheter ses livres, c’est légitimer ses pratiques qui enfreignent les lois fiscales (impôts et TVA) des pays dans lesquels il opère, auxquelles s’ajoutent des conditions de travail indignes pour ses employés *. Nous en appelons donc à une conscience collective, des autorités, des acteurs de l’économie mais aussi des consommateurs : pour le bien de tous, des solutions doivent être trouvées pour préserver le tissu économique local. 5 QUELLES SOLUTIONS À TERME ? Tous les acteurs locaux du marché du livre sont concernés. Mais la clé est entre les mains des diffuseurs français. Nous avons engagé des discussions avec eux afin de pouvoir répondre, d’une part aux attentes des consommateurs de voir les prix baisser, attentes légitimes dans une certaine mesure, en tenant compte du contexte particulier de la Suisse et, d’autre part, à la nécessité de ne pas dégrader davantage nos marges déjà trop basses. Nous espérons pouvoir trouver et mettre en œuvre rapidement des solutions adaptées. Le prix n’est toutefois pas le seul critère pour les consommateurs, et le débat autour de cette question ne doit pas occulter les autres attentes : l’accueil et la compétence de nos libraires, la largeur et la qualité de l’offre qui vous est proposée, le confort de nos librairies et les différents services que nous vous offrons. Il est en tout cas au cœur de nos préoccupations de continuer à vous assurer le niveau de qualité que vous attendez et de vous satisfaire. Si la qualité a de la valeur, elle a aussi un prix ! Au nom de l’ensemble des collaborateurs de Payot Libraire, je vous remercie pour votre fidélité et votre confiance, qui sont pour nous la plus belle récompense de notre travail. Pascal Vandenberghe Président-directeur général Lausanne, le 18 février 2015 * À ce sujet, lire l’enquête de Jean-Baptiste Malet, En Amazonie : Infiltré dans le «meilleur des mondes», Fayard (2013)