Comment optimiser l`écoute et la prise de parole de chaque enfant
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Comment optimiser l`écoute et la prise de parole de chaque enfant
Education et Sociétés Plurilingues n°16-juin 2004 Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? L'expérience d’un Conseil d'enfants Odile JENNY-GORCE Da molto tempo ed in particolare da quando insegnava nell'ultima classe della scuola elementare, l'autore ha constatato delle carenze nella produzione orale degli alunni. Solo un terzo circa prende regolarmente l'iniziativa di parlare davanti alla classe mentre gli altri lo fanno solo se direttamente interpellati. La capacitá di ascolto e la produzione attiva sono inoltre diverse nei gruppi di lavoro e nelle discussioni di classe. D'altro canto gli alunni sono sicuramente piú allenati a determinati tipi di attivitá orale – rispondere a domande, fare un'esposizione, recitare una poesia – rispetto ad altre situazioni come narrare degli avvenimenti, esprimere il loro pensiero, porre delle domande. L'esperienza del "Consiglio dell'infanzia" permette di sviluppare queste nuove competenze. For quite a while, and especially when teaching the last year of elementary school, the author has noticed insufficiencies in the oral productions of her pupils. On one hand, only about a third of them take the initiative to speak in front of the class, the others only do so when asked. Listening to the others and speaking up are also very unequally shared during group activities and debates among the children. On the other hand, the pupils are certainly better at some oral activities – answering questions, presenting a report, reciting poetry – than at others – recounting an event, expressing their opinion, asking questions. The experience of the "Children's Council" allows the teacher to develop these new capabilities. Depuis longtemps, et notamment ces dernières années où j’enseigne dans un CM2 (dernière année de l'école élémentaire), j’ai constaté des insuffisances dans les productions orales de mes élèves. D'une part, seulement un tiers environ prennent régulièrement l’initiative de parler devant le groupe classe, les autres ne le font que sur ma demande. L’écoute d’autrui et la prise de parole sont d’ailleurs aussi inégales lors de travaux de groupe que lors des débats collectifs entre enfants. D'autre part, mes élèves sont certainement plus entraînés dans certains types d’activités orales – répondre à des questions, faire un exposé, réciter une poésie – que pour d’autres situations – narrer des évènements, expliciter leur pensée, poser des questions. Selon moi, le fait de ne pas s’investir dans ces moments de parole en classe a des conséquences néfastes sur le développement de certains enfants, tant du point de vue de leurs apprentissages – désintérêt, ennui, voire échec scolaire – que de celui de leur socialisation – mise à l’écart, violences verbales ou physiques. Afin de trouver comment remédier à cet état de fait, je pense qu’il est nécessaire d’analyser les pratiques de l’oral mises en O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? oeuvre dans ma classe, qui ont jusqu’à présent compris les ensembles d'activités suivants: Oraliser des textes écrits (récitation de poésies, lecture à voix haute, mise en scène de saynètes de théâtre, exposés…), Répondre aux questions que je leur pose (lors d’une leçon, pour corriger un exercice), Bain de parole (la parole du maître) dans lequel les enfants ont été plongés d’une façon plus passive, les nombreuses heures de la semaine où j’ai expliqué, argumenté, commenté, questionné, évalué… tantôt avec un discours construit, dans un langage soutenu, tantôt dans un langage plus spontané. De plus, pendant les moments de langage, aussi bien en classe que lors d’une sortie ou dans d’autres lieux de l’école, la parole des enfants a parfois fait l’objet d’une évaluation ou d’une intervention normative de la part des adultes: une tournure incorrecte ou un mot familier ont été corrigés, on a demandé à l’élève de parler plus poliment, d’améliorer sa prononciation, le débit de ses paroles, la syntaxe, etc. Il est clair que tous ces types d’expression orale sont soit dirigés par l’enseignant (qui se doit d’utiliser un certain niveau de langue), soit liés à un texte écrit, situé lui aussi dans un registre de langue soutenu. Je me suis alors demandé si les élèves, notamment issus de classes sociales défavorisées, comprenaient le vocabulaire, la syntaxe, l’accent… employés. Pour ces enfants, je crains que l’expérience scolaire n’implique de facto une censure de la langue acquise dans leur famille et provoque un décalage progressif entre celle-ci et «le niveau de langue requis» dans l’enceinte de l’école ou qu’ils soient en difficulté pour comprendre les paroles de l’enseignant, notamment lorsque sont évoquées des notions abstraites. Apprentissage de la langue orale et caractéristiques de la langue parlée Le langage comporte non seulement le message que transmet un sujet parlant, mais aussi d’autres aspects non linguistiques (psychologiques, sociologiques, ethnologiques et même psychanalytiques) relatifs aux protagonistes et au contexte spatio-temporel et culturel de la situation. Au sens pédagogique du terme, le langage (synonyme ici de «parole» et de «faculté de parler») est intimement lié à la situation de communication dans laquelle il s’inscrit. On doit tenir compte des facteurs suivants: 1) Il n’y a pas un oral mais une pluralité d’oraux, régis par des normes différentes selon leur fonction: raconter, questionner, informer, expliquer, échanger des données, essayer de convaincre (argumenter), exprimer ses réactions, donner des conseils ou des ordres, animer, régler des conflits, résoudre des problèmes, signifier une décision de justice. Le choix des mots, des tournures syntaxiques voire de la prononciation varie selon ces différents types de prise de parole. 2 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? 2) Les choix langagiers sont aussi déterminés par l’idée que l’énonciateur se fait des capacités à comprendre de ses interlocuteurs. Il est possible qu’il modifie également son discours selon l’image qu’il se fait de ses propres capacités langagières (s’il manque de confiance en lui par exemple, il peut avoir tendance à en rajouter ou, au contraire, à s’auto-censurer). Il se fait enfin une idée de l’image que les autres ont de lui-même. 3) L’oral étant éminemment interactif, tout en parlant, l’énonciateur perçoit les réactions de son auditoire (mimiques, moue, rire, bavardages, demande – ou prise – de parole …) dont il peut tenir compte en feed-back pour adapter son discours. Pour beaucoup de personnes, l’oral semble plus difficile à vivre que l’écrit car il se déroule sous le regard des autres qu’il est parfois difficile de soutenir. 4) Il arrive de plus que des désirs inconscients (de se faire reconnaître, admettre, aimé, ou de vouloir démontrer sa valeur ou son pouvoir) modifient la parole de l’énonciateur à son insu, sous forme de lapsus par exemple. 5) Le langage, oral comme écrit, comprend également l’intertexte (allusions plus ou moins camouflées à d’autres formules, proverbes, chansons à la mode, paroles d’hommes célèbres) qui crée une connivence très agréable dans une conversation mais qui peut aussi être une source de malentendus et d’incompréhension (si les interlocuteurs ne connaissent pas ces références culturelles) d’autant plus difficile à surmonter à l’oral qu’il est peu aisé de marquer une pause pour demander une explication ni de faire un retour en arrière longtemps après. C’est pourquoi la communication orale – parce que directe et non préparée – est souvent une prise de risques assez difficile à calculer, dans le sens où l’image que les autres ont de l’énonciateur peut, par sa parole, être mise en jeu (valorisée ou dévalorisée). Alors que l’écrit semble plus sécurisant car il autorise une analyse de ses conséquences et un éventuel ajustement des choix langagiers. Pédagogies de l’oral actuellement pratiquées Parallèlement à l’évolution de la linguistique, les Instructions Officielles (I.O.) françaises ont oscillé ces trente dernières années entre diverses approches pédagogiques de l’apprentissage de la langue parlée, s’attachant de moins en moins à l’usage exclusif de la langue orale soutenue – proche de l’écrit – et faisant la part belle tantôt à l’imprégnation et à la pratique, tantôt à l’analyse des formes langagières employées. Les I.O. de 1995 stipulaient dans le chapitre «pratique orale de la langue» au cycle III: «Les élèves doivent s’exercer à raconter, décrire, expliquer, questionner… prendre part à un dialogue et utiliser à bon escient les registres de langue en fonction des situations». Un pas semble avoir été franchi avec les I.O. de 2002 dans la volonté de ne pas cantonner l’apprentissage de la langue orale au domaine du seul «français» mais plutôt de l’intégrer à toutes les situations de communication et d’expression qui pourraient s’y prêter, l’objectif 3 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? transversal «Parler» se trouvant dans toutes les disciplines aux côtés de ceux de «Lire» et d’«Ecrire»: «Au cycle III, la maîtrise du langage et de la langue française constitue la priorité des priorités et une préoccupation permanente. Aucun enfant ne doit quitter l’école primaire sans avoir cette assurance minimale dans le maniement du français oral et du français écrit qui permet d’être suffisamment autonome pour travailler au collège» (Instructions Officielles, 2002). D’après P. Perrenoud (1988), l’école peut adopter deux pédagogies de l’oral: 1) L’une, traditionnelle, privilégiant la norme, c’est-à-dire la forme des messages des élèves qui «s’expriment davantage qu’ils ne communiquent», 2) L’autre, plus récente, visant la communication et résultant d’une pédagogie plus active amenant les élèves à construire leurs compétences langagières dans le cadre de vraies situations interactives où ils écoutent, prennent la parole ou analysent ces actes dans leur contexte. Problèmes que posent l’enseignement traditionnel de l’oral … Cette pédagogie est conditionnée par la structure scolaire classique où prime la relation élève-enseignant. Ce dernier, détenteur du savoir, a alors la difficile tâche d’entretenir et de contrôler 28 relations duelles simultanées! Les échanges oraux fonctionnent souvent sur un mode que D. Martin (1991) a appelé dans son étude comparative celui de la «récitation»: pour en résumer les points forts, il apparaît que ce sont les mêmes enfants qui prennent la parole, et pour un temps très bref chacun; le maître, lui, parle plus des 2/3 du temps et les échanges sont en général d’un niveau cognitif relativement bas. Observons le statut de l’enfant dans un tel contexte. A-t-il la faculté d’agir dans, et sur, son environnement, d’être informé ou de participer aux décisions qui le concernent, de communiquer…? Non, il n’a certes pas le statut d’acteur (cf. Vincent, 2002). Tous les enfants – les plus discrets notamment – ne sont pas mobilisés dans l’apprentissage de l’oral, peut-être du fait de l’appréhension que représente la parole devant un grand groupe d’enfants ou alors, parce que les prises de parole des élèves restent cantonnées à quelques exercices (qui sont loin de couvrir tous les genres de situation de communication), dans lesquels le souvenir d’échecs passés et/ou l’aspect peu attractif inhibent toute initiative. D’autre part, même si le maître impose le silence et distribue la parole, il ne parvient pas totalement à maîtriser toutes les formes de communication parasites, clandestines ou contestataires des élèves entre eux, dans la classe et en dehors, et qui sont souvent sources de perturbation. … et le passage à une pédagogie plus active 4 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? Pendant des siècles, le silence fut un attribut de l’enseignement magistral. De nombreux élèves aujourd’hui en font encore l’expérience, avec pour corollaire le sentiment que la prise de parole plus autonome, pour s’exprimer ou pour communiquer, est clandestine ou hors champ scolaire. De plus, du fait qu’on ait jusque-là particulièrement évalué et travaillé l’écrit et très peu l’oral, «parler en classe» représente pour une partie des élèves une détente voire un défoulement mais rarement un travail. Pour l’enseignant, il ne s’agit plus d’ «exiger» le silence ou d’ «interdire» les apartés, mais d’«organiser» le droit à la parole pour que chacun puisse s’exprimer, en fixant aux enfants des limites et des repères (dont le maître est le garant). Le changement de statut des élèves et de l’enseignant ainsi que celui de la parole bouleversent les représentations que les enfants et leurs parents se font du travail scolaire. Et même s’ils sont suggérés dans les nouveaux programmes de 2002 (avec l’instauration d’un débat hebdomadaire sur la vie de classe et l’importance accrue des apprentissages pour la maîtrise de la langue orale), ils requièrent à mon avis tous les efforts possibles d’explication auprès des élèves comme auprès de leurs parents. De son côté, l’enseignant doit aussi accepter de surmonter une double difficulté: renoncer de lui-même à sa position de monopole de la parole et accueillir l’imprévu. D’autre part, sachant que le maître accumule de nombreuses informations qui peuvent se retourner contre les élèves, ceux-ci peuvent être tentés de se cantonner au mutisme pour se protéger de tout ce qui pourrait les mettre en difficulté (et particulièrement ce qui comporte des risques comme: poser une question, prendre une initiative, avancer une hypothèse, assumer une responsabilité…). C’est pourquoi le mode d’évaluation est une question essentielle et délicate. ARGUMENTS EN FAVEUR D'UNE PÉDAGOGIE ACTIVE DE L’ORAL Si l’on conçoit la scolarité obligatoire comme un moment d’acquisition des compétences de base utiles à la vie personnelle ou professionnelle future, le développement des facultés langagières se justifie. Car sans ces compétences, même si un individu sait plein de choses ou a de très bonnes idées, il peut être mis en échec lors d’un examen ou encore, «il risque de rester muet devant l’absurdité ou l’injustice, marginal dans les débats, minoritaire dans les décisions ou paralysé dans les conflits» (Perrenoud 1991). Outre les bénéfices à venir, faire travailler l’oral aux enfants représente dès à présent des avantages à plusieurs niveaux: 1) d’une part, sur le plan cognitif. Même si tous les enfants parlent et écoutent avant leur entrée à l’école et que ces compétences se développent au fil du temps, les différences sont très fortes dans ce domaine et conditionnent d’autres inégalités dans la 5 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? vie comme devant l’enseignement, quant à la compréhension des consignes orales par exemple; 2) au niveau psychoaffectif d’autre part. La parole comme expression de soi permet aux enfants de mieux se connaître, de s’affirmer et de reconnaître l’Autre comme un autre «eux-mêmes», à la fois identique et différent; 3) en tant qu’accès au symbolique, la parole est aussi un moyen de mettre à distance leurs propres affects (craintes, amertume, rancœur, désirs…), de les nommer, de réfléchir sur eux et de les apprivoiser progressivement; 4) enfin, aux niveaux relationnel et social, l’apprentissage du dialogue est essentiel à la vie collective: «C’est par la parole que sont produites les normes sociales, les règles, les lois… C’est par elle que se tissent les relations, que se prennent les décisions qui nous permettent de vivre et d’agir ensemble (…). C’est cette parole qui me permet de m’opposer à l’autre de façon non violente, c’est elle qui me permet de m’exprimer en respectant les règles, les conventions de la vie en société» (Vincent 2002). Les élèves sont désormais producteurs d’oral mais aussi récepteurs ou «consommateurs» de messages oraux (médiatisés notamment), à l’égard desquels il leur faut développer leur esprit critique et s’entraîner à ne pas tout prendre pour argent comptant ni tout propager sans réfléchir. La maîtrise progressive de la langue (écrite comme orale) va de pair avec la formation à l’autonomie et à l’esprit critique. Sans limiter le travail oral à ce qui paraît directement rentable dans l’approche de l’écrit, «il est sûr qu’une bonne maîtrise de l’oral est aussi un préalable à la maîtrise de la langue écrite (par ex: savoir exprimer oralement quelques idées cohérentes aide à rédiger un texte)» (Perrenoud (1988). A ce sujet, J.-M. Hébrard (2001) préconise que l’oral et l’écrit soient liés au niveau d’une progression qui tienne la langue comme un tout, articulant chacun les deux objectifs de la communication, d’une part et de la structuration du langage, d’autre part. Mise en œuvre pédagogique dans ma classe de CM2 Les conditions favorisant l’investissement des élèves dans la communication orale se retrouvent dans les activités d’expression ou de communication orales que j'ai plus récemment mises en place dans ma classe de CM2 (conseils d’enfants, actualités, conter une histoire, théâtre). 1) La motivation: «La pratique de l’oral ne peut être formatrice que si elle correspond à un véritable besoin de s’exprimer ou de comprendre, comportant de vrais enjeux entre les interlocuteurs» (Perrenoud 1988). J’ai donc essayé de construire des projets et d’établir des progressions qui induisent de vraies situations de communication, mettant en jeu différentes fonctions du langage et qui traitent de sujets suffisamment «attractifs» aux yeux des élèves pour susciter leur réflexion, leur parole, leur point de vue ou un débat: «faire exister des objets ou des textes est un préalable absolu avant de faire parler les élèves» (Meirieu 2002). 6 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? 2) La confiance, le respect, la solidarité. Il est arrivé que des enfants expriment des contenus surprenants ou inhabituels. Il m’est alors apparu essentiel de créer un climat de confiance où aucune moquerie ne peut être acceptée, où les différences et la parole de chacun sont protégées et où les interlocuteurs doivent toujours être considérés avec respect. 3) La dédramatisation de l’erreur. Ce n’est qu’en prenant la parole que mes élèves vont développer leurs capacités langagières. Ainsi, pour laisser leur chance à ceux qui ne sont pas sûrs d’eux, je dois faire tout mon possible moi aussi pour les mettre en confiance, notamment en ne portant pas trop tôt un jugement sur leurs productions orales (voir plus loin, à «évaluation»). 4) L’organisation de la prise de parole: Outre son caractère «risqué», un autre obstacle à l’oral provient du fait que l’espace de parole en classe est «encombré» (vu le nombre d’enfants à qui l’on demande de s’exprimer). Il faut de plus gérer des différences spectaculaires dans leur participation: les mécanismes de défense des élèves qui n’ont pas envie de parler ou le font difficilement sont facilités par la propension d’autres élèves à monopoliser la parole. J’ai donc organisé le droit à la parole en trois volets: pour ceux qui parlent (modalités de prise de parole, durée, puissance de la voix), pour ceux qui écoutent (silence, modalités de demande de parole), et éventuellement pour ceux qui animent les débats ou des travaux de groupe (distribution de la parole, recherche d’un consensus, reformulation). Quand mettre en œuvre des séquences d’oral? La maîtrise de l’oral s’acquiert essentiellement par la pratique. Or cette pratique prend du temps. Je l’ai mise en œuvre au travers de plusieurs types de situations: … au travers de situations fonctionnelles où la maîtrise de l’oral est capitale … conseils d’enfants contes exposés théâtre interview actualité correspondance avec la vidéo… …et qui entrent dans des champs disciplinaires variés: éducation civique littérature sciences, géographie, arts, histoire… littérature, expression corporelle champs multiples ‘’ ‘’ ‘’ ‘’ … lors de travaux de groupe en situations-problèmes, dont l’objectif prédominant reste celui de la discipline dans laquelle ils se déroulent. Or je n’ai pris conscience de l’intérêt qu’offre cette situation pour l’apprentissage de l’oral que récemment et j’en suis encore aux tâtonnements quant aux compétences pouvant y être travaillées et leur mode d’évaluation. … enfin, hors contexte communicationnel, sous la forme d’exercices visant à développer les compétences d’ordre physique (vocale et corporelle) et énonciatif (improvisation), notamment pour préparer la diction d’un conte ou d’une saynète de théâtre: 7 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? «Pour que l’enfant investisse sa propre parole et qu’il soit dans le geste tout entier, il doit travailler l’importance du geste, de la voix, sortir de la gesticulation, de l’onomatopée… pour arriver à cette parole précise, juste, exacte, qui dit ce qu’elle a à dire et qui le dit avec une force qui vient de l’intérieur, qui fait que quand elle le dit elle est entendue» (Meirieu, 2002). Un enseignement à trois temps 1) Préparation de la prise de parole ou de l’écoute en en rappelant les enjeux, les contraintes, les critères de réussite attendus et les règles précédemment énoncées éventuellement. 2) Participation active des élèves à de vraies situations de communication, phase qui favorise la perception des différents paramètres (extra-linguistiques, sociologiques, psychologiques…) de la communication ou pendant les travaux en groupe, où l’activité orale de métacognition encourage les élèves à expliciter leurs stratégies de résolution et à réfléchir sur ces stratégies. 3) Construction des savoirs conceptuels et opératoires permettant de surmonter les obstacles rencontrés. Evaluation Comme je l’ai expliqué plus haut, il me semble avant tout essentiel de permettre l’émergence et le développement de la parole des enfants et d’en reconnaître la valeur, d’autant plus s’il s’agit pour eux de s’initier à des situations nouvelles de prise de parole. Concernant le genre d’évaluation, je rejoins la position d’Evelyne Charmeux qui précise que, des deux formes d’évaluation retenues en pédagogie… «… l’évaluation formative fait partie intégrante du processus d’enseignement / apprentissage, et permet de le réguler. L’évaluation sommative quant à elle, dont la vocation certificative est purement sociale, n’a pas à exister à l’école, si ce n’est au passage d’un secteur d’études à un autre (où une certification de compétences acquises est nécessaire), cette dernière devant être effectuée par une instance extérieure au système d’enseignement» (Charmeux 1996). Par cette évaluation formative, il s’agit donc de définir si un discours a été suffisamment audible, compréhensible et si la communication a été efficace. La fonction de ce type d’évaluation est de permettre aux élèves de se situer dans leurs apprentissages, d’autant plus que les critères de réussite leur sont fixés et expliqués avant la tâche langagière. De mon côté, cette évaluation me permet de réguler mon enseignement. Au fur et à mesure des séquences d’oral (sur le conte et pour les conseils d’enfants par exemple), nous avons donc dressé la liste d’indicateurs précis – ou critères de réussite. J’effectue une évaluation à l’issue de chaque période pendant laquelle mes élèves s’entraînent à un type d’oral. Dans certains cas les autres enfants auditeurs le font également et l’enfant orateur lui-même s’auto-évalue. Puis, lors d’un entretien avec ce dernier, les 8 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? différentes observations sont comparées pour donner une appréciation finale. D’autre part, l’école n’ayant pas à évaluer ce qui s’acquiert tout seul dans la vie familiale, j’ai choisi de n’évaluer que les situations d’oral qui font l’objet d’apprentissages en classe et en particulier les situations impliquant la difficile prise de parole en public (conte, exposé, conduite de réunions, diction poétique ou théâtrale, lecture à voix haute, voir Djouadi 1999), nécessaire à la construction de la liberté d’expression de chacun. Les objectifs à atteindre sont les mêmes pour tous les enfants. Or leurs compétences langagières au départ, conditionnées par le milieu social et familial, sont très inégales. C’est pourquoi je précise aux élèves que le but de ces évaluations ponctuelles est de repérer leur niveau à un moment donné (notamment en me donnant les moyens de connaître leur «savoirdéjà-là»), de les encourager à progresser dans des domaines précis et de mettre en valeur leur évolution pendant l’année. La pédagogie différenciée Afin d’éviter de renforcer certains élèves dans une image négative d’euxmêmes et pour lutter contre l’échec scolaire en matière d’oral, le choix du mode d’évaluation et le développement d’une pédagogie différenciée me semblent primordiaux. Si tant est qu’on puisse «individualiser» la communication orale, il me semble important de soutenir plus spécialement les élèves s’exprimant peu d’habitude dans la préparation de leurs interventions «monologales» (exposé, conte, actualités) ou d’étayer leur discours et reformuler de façon empathique les propos peu compréhensibles, lors d’un débat ou de travaux en petits groupes. Le rappel des critères de réussite du travail oral à effectuer, juste avant la tâche langagière, représente également un appui important. Le fait de varier les situations de communication et les types de discours pratiqués multiplie les chances de se sentir à l’aise, du moins plus en confiance, et développe les facultés d’adaptation et d’improvisation si précieuses en communication. Enfin et surtout, je cherche de plus en plus à faire varier la taille de l’auditoire car les élèves qui sont en difficulté pour prendre la parole en grand groupe, parlent souvent plus aisément face à un petit nombre: 1) Echanges duels (contes) ou en petits comités (travaux de groupe), 2) Echanges en petits comités, sous le regard de spectateurs (débats, improvisations de théâtre), 3) Prise de parole en public (exposé, actualité, poésie, conte, débat), 4) Oral en situation de communication différée (correspondance avec la vidéo). PRATIQUE DE L’ORAL DANS LES CONSEILS D’ENFANTS 9 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? Le but de cette réunion bimensuelle a été présenté oralement aux enfants comme une discussion à propos de leurs idées pour améliorer la vie à l’école ou bien pour trouver des solutions aux éventuels problèmes qu’ils y rencontrent. Modalités d’organisation: 1) Date fixée à l’avance mais parfois reportée de quelques jours en cas d’absence d’un enfant afin que tous puissent y assister. 2) Disposition des chaises et des bancs en cercle, afin que tous puissent se voir. Une «boîte à idées» recueille des mots signés sur lesquels les enfants ont écrit les sujets qu’ils souhaitent aborder au prochain conseil d’enfants. 3) Elus par les élèves tous les mois, deux délégués jouent le rôle de Présidents de séance. Ils écrivent au préalable l’ordre du jour en classant les mots de la boîte à idées puis animent conjointement la réunion du conseil d’enfants. Cette fonction particulière est détaillée et régulièrement remise à jour sur une affiche de classe. 4) Trois enfants volontaires – appelés secrétaires – prennent en note l’essentiel des interventions des orateurs ainsi que leurs décisions ou les solutions retenues par le conseil d’enfants. A la fin du conseil, ils reformulent oralement les décisions qui ont été prises pour chaque point à l’ordre du jour. Peu de temps après, je réécris leurs notes au propre sur un cahier spécial que chacun peut consulter. Trouvant qu’il est difficile de mener un débat avec autant d’enfants, j’ai proposé récemment à mes élèves de jouer tour à tour des rôles différents: animateurs et secrétaires (5 enfants), participants au débat (16 enfants) et «observateurs» (7 enfants). Pendant les dix dernières minutes, la parole est à ces derniers ainsi qu’aux présidents de séance, qui, en se basant sur les critères de réussite de l’animation d’un débat, donnent leur appréciation sur la manière dont il s’est déroulé; les points forts avant tout sont mis en valeur, je demande aux enfants qui évoquent les points faibles de faire des suggestions pour y remédier. Quelques extraits des réunions, en forme de tableau: Demandes exprimées par l’auteur du mot de la boîte à idées Contenu du débat qui en a découlé Difficultés de communication rencontrées et les parades que nous avons trouvées Effets des débats «Je ne veux pas répondre à la violence par la violence mais je ne veux pas qu’on me traite de rapporteur quand je parle d’un problème à un adulte». S’ensuit un débat sur les attitudes possibles face à un(e) agresseur qu’on n’arrive pas à stopper seul, sur la difficulté de ne pas répondre avec les mêmes «armes», sur le besoin parfois d’un arbitrage extérieur et la possibilité de faire appel aussi à un autre enfant, au délégué par exemple, sur le droit de chacun d’être en sécurité à l’école, sur l’importance qu’on accorde aux jugements que les autres portent sur nous-mêmes… 10 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? Ce sujet fait écho chez de nombreux enfants (qui osent prendre la parole exceptionnellement à cette occasion) mais qui manifestent une certaine impatience ou du moins semblent si concentrés pour exprimer leur idée qu’ils ne sont plus vraiment à l’écoute pendant qu’ils lèvent la main. Dans de tels débats passionnés, la tendance naturelle est de passer très vite la parole au suivant et pour éviter que les différentes idées ne s’enchaînent sans être approfondies, j’ai parfois posé des questions aux enfants qui venaient de s’exprimer pour les aider à compléter ou à affiner leur pensée. Il est encore assez rare que les enfants se posent mutuellement des questions et les présidents de séance ne jouent pas souvent ce rôle non plus. Prise de conscience de la fonction des règles de l’école (rapport à la violence) Plus d’aisance à affirmer ses droits à la sécurité et à de bonnes conditions de travail «Je trouve que TOUTES les familles Information sur le rôle initial de «soutien» mutuel de la devraient payer la coopérative, si elles en coopérative. J’interviens pour rappeler la liberté des familles ont les moyens». de donner ou non. Changement d’attitude de l’enfant qui a écrit ce mot (très volontaire et active dans la classe, elle sollicitait énergiquement la participation des autres). Après ce conseil, elle a continué à faire part de ses projets avec enthousiasme mais demandait l’avis des enfants et le respectait. « X me colle du scotch dans le dos quand Partant de ce cas particulier, on a cherché quelle attitude on travaille et malgré que je lui aie demandé (générale) pourraient adopter les enfants dans une situation d’arrêter, il continue». similaire Concernant cette dernière citation, puisqu’elle met en cause nominativement et publiquement un enfant (ce que ce dernier peut mal vivre), j’interviens pour aider l’auteur du message à transformer son message «TU» (où il accuse l’autre) en message «JE» (où il affirme ses propres besoins à lui ou ses droits): «Tu souhaites dire haut et fort que tu veux travailler en sécurité, sans craindre que quelqu’un te dérange, qui plus est par derrière, n’est-ce pas? C’est tout à fait ton droit». Les enfants «énervants» ont très souvent changé d’attitude à la suite de conseils où ils étaient remis en cause. Entendre le vécu des autres les a plus touchés que les multiples rappels à l’ordre des adultes jusqu’à présent. Comme pour cet enfant hyperactif, qui rencontrait de grandes difficultés de socialisation, et qui fut bouleversé d’entendre combien était forte l’irritation que presque tous les élèves ressentaient face à son comportement en classe («j’en ai marre que Y réponde tout haut aux questions posées, sans lever la main, alors que nous on est nombreux à demander la parole patiemment; ça ne sert à rien»). Peu après la classe, ce garçon est venu me demander comment faire. Lui ayant rappelé que tout le monde peut se tromper et aussi que tout le monde peut décider de changer, ce garçon est venu discrètement au tableau, juste avant le travail de l’aprèsmidi me dire qu’il souhaitait parler à la classe. Très ému, il leur a dit qu’il avait découvert pendant le conseil d’enfants leur point de vue et leur a simplement demandé de l’excuser. C’était la première fois que je voyais tout un groupe d’enfants se mettre à applaudir spontanément et chaleureusement un des leurs, qui plus est un enfant qu’ils n’avaient pas en grande estime. Par la suite, ce garçon a fait de magnifiques efforts 11 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? pour tenir sa langue (et lever la main) mais aussi en prenant part plus activement et positivement à la vie de la classe. De nombreux autres points à l’ordre du jour me sont plus spécialement destinés … sous la forme de mécontentements: «Il y a des enfants qui trouvent qu’on a trop de devoirs». «Z et moi n’aimons pas quand les tables sont disposées tout le temps en groupes. On préfèrerait qu’elles soient 2 par 2, face au tableau.» «J’aimerais que l’on fasse plus d’expériences en sciences et technologie.» «Les petits ont 5 minutes de récréation de plus que nous!» Je trouve très intéressant de les informer sur certaines de mes obligations (emploi du temps, programmes…), de tenir compte de leurs remarques pour gérer ma classe ou alors de dissiper des malentendus tenaces. …ou sous la forme de souhaits exprimés: «Peut-on remplacer le projet de voyage annulé à l’étranger (à cause du plan Vigipirate) en classe de neige?» «W et moi aimerions inventer la suite de la lecture suivie en classe». «On voudrait que la récréation soit plus longue». «Peut-on fêter les anniversaires en classe?» «Comment aider U (en difficulté scolaire) à travailler et à avoir de bons résultats?» Confrontation des souhaits à la réalité. Réflexion sur les conditions de réalisation et/ou élaboration d’un projet. Amélioration de l’organisation du travail en classe J’encourage particulièrement mes élèves à contribuer à l’amélioration de la vie à l’école. Les enfants ont alors un statut d’acteur dans l’école et nombre d’entre eux disent leur joie de «donner». L’élaboration collective de projets et les apprentissages liés à leur mise en œuvre ont souvent pris naissance dans cet espace d’expression et de confrontation au principe de réalité qu’est le conseil d’enfants. Enfin, les enfants ont aussi souvent évoqué des problèmes qui dépassaient largement ma compétence: «Nous trouvons que les cours d’anglais sont trop durs. Nous ne comprenons pas toujours l’écriture du professeur, ni ses réponses en anglais et aimerions avoir un livre…» «Les surveillants de cantine nous punissent pour des choses qui étaient permises l’an dernier avec d’autres surveillants, ou pour des fautes qu’un seul a commises …» Dans ces deux cas, j’ai invité les enfants à rencontrer avec moi les adultes en question pour dialoguer de ces problèmes. Après ces discussions, il y a eu dédramatisation des «conflits» et d’autres demandes ont été faites plus tard à ces personnes, sans mon intermédiaire. En guise de conclusion … A l’occasion de la situation que je viens d’évoquer, mes élèves ont partagé des préoccupations communes fortes qui ont contribué à faire émerger chez eux le souci de justice et la bienveillance, motivant l’expression de leur désir de soulager des souffrances, d’améliorer leur cadre de vie, de dépasser des conflits. Ainsi, la mise en œuvre de vraies situations de communication orale, lors de ces conseils d’enfants, amène les élèves à mieux se connaître eux-mêmes, à s’apprécier les uns les autres et à se respecter davantage. Elle favorise le développement des relations entre les élèves et entre enfants et adultes, au travers des projets qu’ils construisent et réalisent ensemble et même dans la résolution de crises ou de conflits qui ne sont pas liés directement à la réalisation de ces projets. 12 O. Jenny-Gorce, Comment optimiser l’écoute et la prise de parole de chaque enfant? Le propre de l’école laïque est de reconnaître l’existence de l’autre, indépendamment de l’affection ou du ressentiment éprouvé(e) à son égard. C’est pourquoi je tiens à ce que les groupes soient composés selon des brassages différents qui amènent les enfants à travailler avec d’autres qui n’ont pas forcément les mêmes goûts, la même religion ou idéologie. Ainsi, ce type de travail de groupe développe la capacité à écouter, se faire comprendre et dialoguer avec qui que ce soit. La pédagogie de l’oral s’inscrit principalement dans le domaine transversal de la maîtrise du langage et de la langue française. Cependant, puisqu’elle ne peut se réaliser que dans un contexte relationnel, elle induit une approche très concrète de la problématique et des notions fondamentales du «vivre ensemble». Certes, les conseils d’enfants sont un des lieux et des moments privilégiés de l’éducation à la citoyenneté (comme le précisent les nouveaux programmes de 2002) mais il me paraît évident que d’autres situations d’apprentissage à l’école peuvent également y contribuer, notamment lorsqu’il s’agit de se familiariser avec des traditions culturelles étrangères à travers l’écoute de contes d’autres pays ou encore dans le fait de «travailler ensemble». De nombreuses autres pistes restent à explorer pour améliorer l’écoute et la prise de parole de chaque élève, notamment l’enregistrement vidéo que j’ai déjà pratiqué en théâtre et en sciences comme outil pour permettre à chacun de mes élèves de mieux maîtriser leurs prestations corporelles et orales. Références CHARMEUX, E. 1996. Apprendre la parole: l’oral aussi, ça s’apprend. Sedrap. DJOUADI, Y. 1999. La lecture à voix haute. Education et Sociétés Plurilingues n° 6 (juin). HEBRARD, J.-M. 2001. Pédagogie de l’oral (Stage régional). MARTIN. D., P. PERRENOUD P., WIRTHNER M. 1991. Parole étouffée, parole libérée. Fondements et limites d’une pédagogie. Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé MEIRIEU, P. 2002. L’accès à la parole, un des enjeux majeurs de l’entreprise pédagogique, Animation–Education (juillet-octobre). VINCENT, J.- F. 2002. Finalité de la parole de l’élève et statut de l’enfant dans notre société, Animation–Education (juillet-octobre). Sur Internet: PERRENOUD, P. 1988. A propos de l’oral. Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Univ. de Genève. http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/ 13