Reportage : Forêt de Tronçais

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Reportage : Forêt de Tronçais
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MAGAZINE Reportage
Photo Pascal Xicluna /MAAPR
Forêt de Tronçais
La dernière coupe
des chênes de Colbert
Vieux de 300 ans, les derniers chênes commercialisés de la futaie Colbert seront coupés cet
hiver. Dans quelques mois, dans les plus prestigieuses caves, ils connaîtront une nouvelle vie.
marielle roux
a vente d’automne est la plus prestigieuse. « On vient pour savoir qui
achète quoi », confie un observateur discret. « On » ? La filière vin.
Tonneliers, grandes caves, exportateurs. Les adjudications sont publiques. Dans la salle, on écoute, on regarde. On prend des notes. Qui
achète quoi ?
Couleur claire, écorce fine, fil droit, qualité du grain, ce bois-là est précieux, connu du monde entier. Réputé pour l’exploitation des tanins.
Boisé mais pas trop. On en fait des fûts que l’on réserve aux meilleurs
vins. Tant et si bien que depuis quelques années, on ne compte plus les
tonneaux qui se prévalent de « Tronçais ». Mais la production annuelle est
d’environ 500 fûts. Pas plus.
L
UN RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE
Octobre 2004, salle des ventes de Cerilly, rendez-vous avec l’Histoire.
Pour la dernière fois sont mises en vente des parcelles de la futaie
Colbert. En 1669, par une ordonnance sur les Eaux et Forêts, le ministre
des finances de Louis XIV entreprend de restaurer les forêts royales laisBima 1512 janvier/février 2005
sées à l’abandon, dont celle de Tronçais. De ces arbres âgés de 300 ans
et plus, l’Office national des forêts (ONF) en conserve une partie au titre
du domaine. Les autres parcelles sont commercialisées. « La forêt est
amenée à se renouveler, explique Olivier Poite, directeur de l’agence ONF
de l’Allier. C’est un cycle naturel. Passé leur limite d’âge, les arbres meurent sur pied. » En cinq ans, l’ONF a commercialisé les derniers lots de la
prestigieuse futaie. L’entreprise Canadell emporte la dernière vente des
chênes plantés sous Colbert. Pour marquer l’événement, clients du merrandier et amis de Tronçais sont conviés à assister à la coupe de deux de
ces fameux chênes.
Début novembre, près de 150 personnes se retrouvent près de l’étang de
Tronçais, direction la futaie Colbert. Jaunes, vertes, bleues, rouges, des
inscriptions bizarres, incompréhensibles, couvrent l’écorce de quelques
troncs. Explications d’Olivier Poite. « Ce sont les acheteurs qui font leur
estimation avant la vente. Ils viennent en forêt avec le cahier de vente de
bois de l’ONF. Le trait rouge au pied de l’arbre est un martelage de l’Office.
Il indique le lot à vendre. Un acheteur passe en moyenne 4 heures sur une
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parcelle. Sur le tronc de l’arbre, les entreprises qui répondent à l’appel
d’offre portent leurs repères, leurs indications. » La vente se fait en bloc,
sur pied. L’ONF a un rôle de grossiste. Le contrat de vente prévoit un délai
d’exploitation de 18 mois. Les coupes se font toujours durant l’hiver. Pour
un merrandier, la qualité d’un chêne se repère à son pied, plus développé,
et surtout, son tronc rectiligne. Ce bois serré et régulier permettra de
fabriquer des barriques d’une exceptionnelle qualité. D’un tronc d’arbre,
D’un tronc d’arbre,
25 % en moyenne permettra
de faire des merrains.
25 % en moyenne permettra de faire des merrains. Les autres parties du
tronc seront débitées pour divers usages : meubles en chêne massif, placage, bois de charpente ou bois de chauffage.
La famille Canadell a débuté la fabrication de merrains dans les années
50, pour les tonneliers situés sur les quais de Bordeaux. Depuis, pour
satisfaire ses clients, elle s’approvisionne dans les meilleures futaies
domaniales : Fontainebleau, Bercée, Jupilles, Loches, et Tronçais. Chaque
provenance de merrain vendu est garantie par une attestation de l'Office
national des forêts. Ensuite, au tonnelier de travailler le merrain. Il doit
chauffer le bois pour en faire ressortir les arômes. Les barriques en
chêne ont d’abord été recherchées pour le cognac. Puis les grands crus
s’y sont intéressés, à l’étranger tout autant qu’en France. Jacques
Canadell vend 50 % de sa production de merrains à l’étranger. En 2004,
l’entreprise a débité 25 000 m3 permettant la fabrication de 400 m3 de
merrain par mois. Soit près de 4 000 tonneaux qui seront l’objet de la
plus grande attention l
Photo Pascal Xicluna /MAAPR
L’EXCEPTION
Le mythe de la futaie droite
La qualité des bois de Tronçais, dans le département de l’Allier,
est reconnue depuis le début du XVII siècle. Moins connue mais
tout aussi remarquable est la continuité de sa gestion. Depuis le
premier aménagement en futaie régulière en 1832, le choix des
essences, le mode de traitement et les critères d’exploitabilité
sont restés quasiment les mêmes. Cette continuité a prévalu
même au XIX siècle quand tant de forêts ont été cassées pour
alimenter les forges et autres sites industriels. Les différents
gestionnaires de Tronçais se sont appuyés sur une approche
pragmatique et une bonne connaissance de l’histoire de la
réserve située au cœur de la forêt. Résultat : Tronçais n’est pas
une forêt plantée et la régénération naturelle assure la conservation génétique de ses chênaies.
E
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Quand le chêne
se fait douelle
Le grain du bois, l’origine et l’essence déterminent la qualité des
merrains utilisés pour les vins
élevés en fûts neufs. Une expérimentation « Chêne de
tonnellerie » a été menée de
1993 à 2000 par le Groupe
d’étude sur l’élevage des vins de
Bourgogne en fûts de chêne. Elle
a révélé des différences sensibles entre les chênes sessiles (1) et pédonculés et entre les diverses
régions d’approvisionnement de merrain. Ces travaux ont également
montré l’importance de la largeur des cernes à l’intérieur d’une
même espèce. Un chêne de qualité merrain doit être jaune paille,
homogène et clair. Les cernes doivent être fins et réguliers avec un
espacement inférieur à 2 millimètres. C’est cette particularité qui
permet de conjuguer la pauvreté en tanins à la richesse aromatique.
Le merrandier débite les pièces de bois, par fendage, dans le droit fil
du bois, parallèlement aux rayons médullaires.
Un charme qui perdure
Exploitation forestière, chasse, pêche, protection des eaux de
source, pistes équestres, randonnées …. Tronçais a su concilier
écologie, économie et accueil du public. L’association des Amis
de Tronçais, présidée par Philippe Magne, organise sorties,
pique-niques et conférences dans et autour de Tronçais. Elle
publie un bulletin trimestriel où les informations pratiques, les
rappels historiques et données actuelles font la part belle aux
témoignages de promeneurs enchantés. Extraits.
« Rapidement, dès la première visite, le charme agit : on est pris
par la hauteur vertigineuse de la canopée des hautes futaies, par
la rectitude des fûts, par la finesse de l’écorce, par l’abondance
de belles tiges, par l’esthétique des vielles futaies, mélangées,
étagées clairiérées. Puis, au fur et à mesure des sorties, on
découvre les charmes cachés de la forêt : la vigueur de l’osmonde(1) royale, les fontaines cachées dans les fonds, l’abondance
des arbres monumentaux, la toponymie évocatrice… »
(1) Se dit d’une plante dont les feuilles ou les feuilles partent directement de l’axe de la tige
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sans l’intermédiaire d’un pédoncule.
(1) Variété de fougère aimant les lieux humides.
Photo Anne Testud /MAAPR
Bima 1512 janvier/février 2005