Reportage : Forêt de Tronçais
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Reportage : Forêt de Tronçais
28 MAGAZINE Reportage Photo Pascal Xicluna /MAAPR Forêt de Tronçais La dernière coupe des chênes de Colbert Vieux de 300 ans, les derniers chênes commercialisés de la futaie Colbert seront coupés cet hiver. Dans quelques mois, dans les plus prestigieuses caves, ils connaîtront une nouvelle vie. marielle roux a vente d’automne est la plus prestigieuse. « On vient pour savoir qui achète quoi », confie un observateur discret. « On » ? La filière vin. Tonneliers, grandes caves, exportateurs. Les adjudications sont publiques. Dans la salle, on écoute, on regarde. On prend des notes. Qui achète quoi ? Couleur claire, écorce fine, fil droit, qualité du grain, ce bois-là est précieux, connu du monde entier. Réputé pour l’exploitation des tanins. Boisé mais pas trop. On en fait des fûts que l’on réserve aux meilleurs vins. Tant et si bien que depuis quelques années, on ne compte plus les tonneaux qui se prévalent de « Tronçais ». Mais la production annuelle est d’environ 500 fûts. Pas plus. L UN RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE Octobre 2004, salle des ventes de Cerilly, rendez-vous avec l’Histoire. Pour la dernière fois sont mises en vente des parcelles de la futaie Colbert. En 1669, par une ordonnance sur les Eaux et Forêts, le ministre des finances de Louis XIV entreprend de restaurer les forêts royales laisBima 1512 janvier/février 2005 sées à l’abandon, dont celle de Tronçais. De ces arbres âgés de 300 ans et plus, l’Office national des forêts (ONF) en conserve une partie au titre du domaine. Les autres parcelles sont commercialisées. « La forêt est amenée à se renouveler, explique Olivier Poite, directeur de l’agence ONF de l’Allier. C’est un cycle naturel. Passé leur limite d’âge, les arbres meurent sur pied. » En cinq ans, l’ONF a commercialisé les derniers lots de la prestigieuse futaie. L’entreprise Canadell emporte la dernière vente des chênes plantés sous Colbert. Pour marquer l’événement, clients du merrandier et amis de Tronçais sont conviés à assister à la coupe de deux de ces fameux chênes. Début novembre, près de 150 personnes se retrouvent près de l’étang de Tronçais, direction la futaie Colbert. Jaunes, vertes, bleues, rouges, des inscriptions bizarres, incompréhensibles, couvrent l’écorce de quelques troncs. Explications d’Olivier Poite. « Ce sont les acheteurs qui font leur estimation avant la vente. Ils viennent en forêt avec le cahier de vente de bois de l’ONF. Le trait rouge au pied de l’arbre est un martelage de l’Office. Il indique le lot à vendre. Un acheteur passe en moyenne 4 heures sur une MAGAZINE Reportage 29 parcelle. Sur le tronc de l’arbre, les entreprises qui répondent à l’appel d’offre portent leurs repères, leurs indications. » La vente se fait en bloc, sur pied. L’ONF a un rôle de grossiste. Le contrat de vente prévoit un délai d’exploitation de 18 mois. Les coupes se font toujours durant l’hiver. Pour un merrandier, la qualité d’un chêne se repère à son pied, plus développé, et surtout, son tronc rectiligne. Ce bois serré et régulier permettra de fabriquer des barriques d’une exceptionnelle qualité. D’un tronc d’arbre, D’un tronc d’arbre, 25 % en moyenne permettra de faire des merrains. 25 % en moyenne permettra de faire des merrains. Les autres parties du tronc seront débitées pour divers usages : meubles en chêne massif, placage, bois de charpente ou bois de chauffage. La famille Canadell a débuté la fabrication de merrains dans les années 50, pour les tonneliers situés sur les quais de Bordeaux. Depuis, pour satisfaire ses clients, elle s’approvisionne dans les meilleures futaies domaniales : Fontainebleau, Bercée, Jupilles, Loches, et Tronçais. Chaque provenance de merrain vendu est garantie par une attestation de l'Office national des forêts. Ensuite, au tonnelier de travailler le merrain. Il doit chauffer le bois pour en faire ressortir les arômes. Les barriques en chêne ont d’abord été recherchées pour le cognac. Puis les grands crus s’y sont intéressés, à l’étranger tout autant qu’en France. Jacques Canadell vend 50 % de sa production de merrains à l’étranger. En 2004, l’entreprise a débité 25 000 m3 permettant la fabrication de 400 m3 de merrain par mois. Soit près de 4 000 tonneaux qui seront l’objet de la plus grande attention l Photo Pascal Xicluna /MAAPR L’EXCEPTION Le mythe de la futaie droite La qualité des bois de Tronçais, dans le département de l’Allier, est reconnue depuis le début du XVII siècle. Moins connue mais tout aussi remarquable est la continuité de sa gestion. Depuis le premier aménagement en futaie régulière en 1832, le choix des essences, le mode de traitement et les critères d’exploitabilité sont restés quasiment les mêmes. Cette continuité a prévalu même au XIX siècle quand tant de forêts ont été cassées pour alimenter les forges et autres sites industriels. Les différents gestionnaires de Tronçais se sont appuyés sur une approche pragmatique et une bonne connaissance de l’histoire de la réserve située au cœur de la forêt. Résultat : Tronçais n’est pas une forêt plantée et la régénération naturelle assure la conservation génétique de ses chênaies. E E Quand le chêne se fait douelle Le grain du bois, l’origine et l’essence déterminent la qualité des merrains utilisés pour les vins élevés en fûts neufs. Une expérimentation « Chêne de tonnellerie » a été menée de 1993 à 2000 par le Groupe d’étude sur l’élevage des vins de Bourgogne en fûts de chêne. Elle a révélé des différences sensibles entre les chênes sessiles (1) et pédonculés et entre les diverses régions d’approvisionnement de merrain. Ces travaux ont également montré l’importance de la largeur des cernes à l’intérieur d’une même espèce. Un chêne de qualité merrain doit être jaune paille, homogène et clair. Les cernes doivent être fins et réguliers avec un espacement inférieur à 2 millimètres. C’est cette particularité qui permet de conjuguer la pauvreté en tanins à la richesse aromatique. Le merrandier débite les pièces de bois, par fendage, dans le droit fil du bois, parallèlement aux rayons médullaires. Un charme qui perdure Exploitation forestière, chasse, pêche, protection des eaux de source, pistes équestres, randonnées …. Tronçais a su concilier écologie, économie et accueil du public. L’association des Amis de Tronçais, présidée par Philippe Magne, organise sorties, pique-niques et conférences dans et autour de Tronçais. Elle publie un bulletin trimestriel où les informations pratiques, les rappels historiques et données actuelles font la part belle aux témoignages de promeneurs enchantés. Extraits. « Rapidement, dès la première visite, le charme agit : on est pris par la hauteur vertigineuse de la canopée des hautes futaies, par la rectitude des fûts, par la finesse de l’écorce, par l’abondance de belles tiges, par l’esthétique des vielles futaies, mélangées, étagées clairiérées. Puis, au fur et à mesure des sorties, on découvre les charmes cachés de la forêt : la vigueur de l’osmonde(1) royale, les fontaines cachées dans les fonds, l’abondance des arbres monumentaux, la toponymie évocatrice… » (1) Se dit d’une plante dont les feuilles ou les feuilles partent directement de l’axe de la tige www.amis-tronçais.org sans l’intermédiaire d’un pédoncule. (1) Variété de fougère aimant les lieux humides. Photo Anne Testud /MAAPR Bima 1512 janvier/février 2005