Le langage symbolique: pourquoi et pour quoi faire? (Symboles

Transcription

Le langage symbolique: pourquoi et pour quoi faire? (Symboles
Le langage symbolique:
pourquoi et pour quoi faire?
(Symboles, paraboles, mythes et allégories)
Cette planche maçonnique a été composée pour être lue à des apprentis
. Elle ne veut pas être une étude complète, exhaustive du langage
symbolique, mais simplement une approche simplifiée pour ceux que le
sujet intéresse. Les lecteurs trouveront des articles très complets sur ces
questions dans Encyclopédia universalis et Le Vocabulaire de
la Philosophique de A.Lalande.
Il n’est ni difficile, ni contestable, de montrer que notre vie quotidienne
est jalonnée de symboles. Ils sont tellement indispensables à notre
fonctionnement qu’on nous les apprend dès notre première classe de
maternelle.
Dans les mathématiques c’est évident. Le signe « plus » est bien
simplement tracé ! Et pourtant ne signifie-t-il pas un concept
extrêmement complexe : ajouter une valeur à une autre valeur. Et si
j’emploie le mot valeur c’est qu’il soulève en lui-même déjà, une certaine
problématique : j’aurais pu écrire « nombre», ou bien « quantité », mais
cela aurait déjà été réducteur. J’aurais pu également employer le mot
chose ; mais si l’on ajoute « quelque chose » à une « autre chose » c’est
que ces « choses » ont pour nous une certaine valeur, un certain sens,
sinon nous ne ferions pas cette « addition. »
Lorsque nous conduisons sur une route les panneaux indicateurs sont là
pour nous indiquer les décisions à prendre. Certains, le feu rouge par
exemple, ont force de loi.
Si nous rencontrons une personne et que nous souhaitons lui signifier
notre absence d‘agressivité nous lui tendons une main ouverte (sans
arme) et nous serrons la sienne, indiquant ainsi que nous somme prêts à
diminuer la distance qui nous sépare d’elle, et même à partager avec
elle un peu de notre territoire. Et si nous la connaissons bien nous lui
demandons souvent, en même temps : « Comment allez-vous ? », alors
même que nous n‘attendons aucune réponse de sa part… Nous
écoutons cette réponse distraitement et il faut parfois faire un certain
effort pour ne pas passer à la suite si elle nous annonce une catastrophe
survenue dans sa vie… C’est une sorte de code, c'est-à-dire un symbole
verbal, de notre attitude involontairement agressive.
Dans les religions ce sont les cérémonies rituéliques : vêtements,
mouvements, paroles, objets, tous sont porteurs de sens.
Les idéaux politiques sont également friands de symboles : Hitler comme
Staline les ont largement utilisés (défilés, manifestations de masse, style
de musique ou de peinture, etc.)
L’utilisation des symboles est maximale dans les arts: le symbolisme
n’est-il d’ailleurs pas un puissant courant artistique contemporain ?
Le langage enfin, théoriquement expression de la pensée est lui-même
symbolique. Il l’est tellement qu’il existe des langues différentes pour
exprimer des faits, des pensées et des sentiments qui devraient être
identiques pour tous les hommes… ce qui est faux bien entendu et ce
qui montre d’ailleurs, entre autres choses, que les hommes sont loin
d’être parfaitement égaux.
C’est dire enfin que l’utilisation du symbole est un acte essentiellement
lié à la culture. Mais, qu’en revanche, il permet parfois de faire cohabiter
deux cultures différentes en raison du dialogue qu’il suscite.
Mais encore faut-il définir les mots et même pénétrer assez loin dans le
sujet pour comprendre pourquoi le langage symbolique est fondamental
dans la transmission d’une idée surtout en matière spirituelle ou
ésotérique. Et il nous faut alors définir quatre systèmes utilisés
fréquemment en ces matières.
Le symbole
Du grec sun et bolein (placer avec) il signifie « signe ». Initialement c’est
un signe de reconnaissance fourni par les deux moitiés d’un objet qu’on
rapproche. Plus tard ce sera un signe figuratif, ou un être animé ou une
chose qui représente un concept abstrait et qui en est donc l’image: la
balance est le symbole de la justice. C’est ce qui représente autre chose
que ce dont on parle en vertu d’une correspondance analogique.
L’analogie reposant sur le rapport entre deux idées qui ont un même
sentiment commun.
C’est donc un signe concret évoquant par un rapport naturel quelque
chose d’absent ou un concept impossible à percevoir: par exemple le
sceptre, symbole de la royauté. La fonction d’un signe ou d’un symbole
est toujours de provoquer certains états de conscience soit intellectuels,
soit émotifs, souvent les deux surtout dans nos travaux. Les symboles
sont employés pour exprimer des rapports qui, en raison de leur
caractère élevé et idéal, ne peuvent être exprimés directement. Le
symbole implique un rapport analogique entre le signifiant et le signifié
(ainsi la balance, dans notre culture représente la justice)
Au sens propre, linguistique, le symbole nomme (signe + en
mathématique). Au sens philosophique, le signifié déborde largement le
signifiant et le symbole indique seulement : par le symbole la pensée fait
allusion à l'absent, elle figure ce qui au delà du langage est de l'ordre de
l'indicible.
En outre le symbole est un raccourci qui permet d'exprimer plus
complètement une somme de sentiments ou de pensées, fonction l'une
de l'autre et qui nécessiterait en langage parlé un développement
rhétorique important [1].
Le symbole est un fait humain tellement établi que lors de la révolution
philosophique du siècle dernier Hegel pouvait en assurer la mort
considérant comme acquise cette illusion du « savoir absolu » qui
soumet tout à la clarté du concept.
Le symbole en effet a la charge de rendre compte de ce qui est hors
concept et dont on affirme la nécessité indépendamment de sa vérité
historique (Totem et tabous par exemple et le meurtre primitif du père à
rapprocher de la légende d'Hiram). Il permet donc de dire le non dicible.
Saisi sur un autre niveau, nous avons vu que le symbole veut dire
rapprocher (étymologiquement : sumboleïn, poser ensemble) Dans une
société comme la notre il acquiert ainsi une fonction sociale et une
notion de transcendance, bien que je pense ce mot sur employé!
L'utilisation du symbole alors acquiert une fonction sociale fondamentale,
celle d'affirmer la non transparence de notre société à elle même et la
distance qu'elle entretient entre l'ordre de sa vérité et celui de son vécu
idéologique.
Disons pour terminer que le symbole est essentiellement différent de la
métaphore[2].
La parabole
Du grec para et bolein (placer à côté de, auprès de) c’est une
comparaison développée dans un récit et servant à présenter un
enseignement.
Il faut comprendre la parabole comme la mise en scène de plusieurs
symboles, c’est à dire d’images tirées de réalités terrestres pour signifier
des réalités supraterrestres et nécessitant le plus souvent une
explication en profondeur. Dès le début de son histoire Israël s’est trouvé
devant la gageure de parler avec une mentalité très concrète d’un Dieu
transcendant qui n’admettait aucune représentation sensible. Les
prophètes eux-mêmes en usent abondamment aussi bien dans l’énoncé
des promesses divines que dans leurs invectives (Isaïe - Jérémie Osée). Le procédé s’amplifiera ensuite dans le Judaïsme tardif jusqu’à
devenir un véritable procédé pédagogique.
J’ai défini ici la parabole car vous verrez tout à l’heure son utilisation en
matière spirituelle. Mais il nous faut également définir le mythe. Il utilise
également le procédé de l’analogie qui chez nous est largement
employé. Je vous en donnerai un exemple tout à l’heure.
Le Mythe:
Du grec muthos, est une légende. C’est un récit populaire ou littéraire
mettant en scène des êtres surhumains et des actions imaginaires dans
lesquelles sont transposés des événements historiques réels ou
souhaités et dans lesquelles se projettent des structures sous-jacentes.
Ce peut être aussi une construction de l’esprit qui ne repose pas sur un
fond de réalité. C’est alors une représentation symbolique qui influence
la vie d’une société.
Pratiquement c’est un récit fabuleux, parfois populaire et non réfléchi
dans lequel des agents impersonnels sont représentés sous forme
d’êtres personnels dont les actions ou les aventures ont un sens
symbolique. Le mythe de la caverne par exemple est l’exposition d’une
idée sous une forme volontairement poétique et narrative où
l’imagination mêle ses fantaisies aux vérités sous-jacentes (A.Lalande).
On connaît également les mythes d’Orphée, d’Icare, du meurtre de père,
etc.
En fait, les grands courants de pensées fondamentaux de l'homme ont
toujours fait appel au mythe, de celui de la caverne jusqu'au mythe de
Sisyphe [3] . Et affirmons humblement que, hommes et surtout au stade
de l’apprenti, nous n'en sommes qu'au début de notre recherche de la
vérité. Acceptons donc comme heureuse l'existence du mythe et du
symbole.
Le mythe est un discours qui est porteur de sens et de référence, c'est-àdire qu'il dit quelque chose sur quelque chose. J'adopterai l'hypothèse
selon laquelle le mythe est un récit sur les origines. Et je m'appuie pour
cela sur Mircea Eliade qui prétend que le mythe a essentiellement une
fonction d'instauration, c'était dire qu'il n'y a mythe que si l'événement
fondateur n'a pas de place dans l'histoire, mais dans un temps qui
précède l'histoire. Et c'est donc le rapport de notre temps avec ce temps
ancien qui constitue le mythe, et non pas la catégorie des choses à
raconter. Le mythe dit toujours comment quelque chose est né [4].
«Le mythe n'offre jamais à ceux qui l'écoutent une signification
déterminée. Un mythe propose une grille, définissable seulement par ses
règles de construction. Pour les participants à la culture dont relève le
mythe, cette grille confère un sens, non au mythe lui-même, mais à tout
le reste: c'est-à-dire aux images du monde, de la société et de son
histoire dont les membres du groupe ont plus ou moins conscience, ainsi
que des interrogations que leur lancent ces différents objets. En général,
ces données éparses échouent à se rejoindre, et le plus souvent elles se
heurtent. La matrice d'intelligibilité fournie par le mythe permet de les
articuler en un tout cohérent.» ( Lévi-Strauss - 1983 ) Une dernière
conséquence c'est que le mythe rend compte des valeurs émotionnelles
du Sacré. La liaison entre le temps originel et le temps historique permet
de développer des affects particuliers ; il y a toujours un sentiment
ambivalent de crainte et d'amour lors ce qu'on l'on considère le Sacré. Et
vivre selon un mythe, c'est cesser d'exister seulement dans la vie
quotidienne mais se projeter hors des parvis. Ce n'est pas une fable. La
fable n'institue rien ni dans le récit, ni dans l'action ni dans les émotions.
Seul le mythe sait faire cela.
L’allégorie
Elle ne comporte pas seulement une signification globale, mais chacun
de ses détails possède une signification propre qui requiert une
interprétation particulière. Il s'agit d'un symbolisme concret, se
poursuivant dans tout l'ensemble d'un récit, d'un tableau, etc.... Et tel que
tous les éléments du symbolisant correspondent systématiquement
chacun à chacun aux éléments du symbolisé. C'est également l'oeuvre
elle-même qui est composée suivant ce procédé [5].
L'allégorie est donc le développement logique, systématique et détaillé
du symbole. Si la faveur du public moderne va plutôt vers le symbole, qui
semble plus riche et plus profond que l'allégorie, c'est que nous avons
une conception trop étroite et trop superficielle de cette dernière [6]
et [7].
On pourrait dire que l'importance de l'allégorie a des limites puisqu'elle
est fondée sur le simple principe de ressemblance. Mais cette critique
est infondée car, dépassant la perspective du temps, elle atteint la
singularité de l'événement et du sentiment et peut espérer désigner la
vérité. Elle est une émanation de la pensée symbolique.
Au total:
Utiliser ces trois procédés (symbole, parabole et mythe) c’est affirmer
par là-même que nous ne savons rien et que nous cherchons. Nous
débouchons par ce biais sur le secret maçonnique qui n'existe que
comme l'affirmation de cette impossibilité de communiquer à autrui ce
que nous ressentons profondément. Le symbole en effet n'a de valeur
que pour celui qui le perçoit et s'il a une signification générale admise en
commun (ce qui fait sa valeur de trait d'union) il n'en reste pas moins
qu’il laisse toute sa liberté à celui qui l'interprète. Ce dernier ne peut
néanmoins que difficilement faire part à son voisin de la signification
intime du symbole considéré [8].
Cette ambivalence du symbole (facilité de transmission et difficulté
d'expression) en rend nécessaire l’étude pour celui qui veut
communiquer, mais cette étude en elle même n'est pas contraignante,
car on se rend compte très rapidement qu'elle n'est qu'un tremplin pour
manier les idées et les concepts sur un plan personnalisé. Je dirais que
le symbole est le point d'appui du levier qui permet de soulever une
lourde charge, et, ce faisant, je fais du symbolisme maçonnique en
utilisant directement l'un de nos outils
On arrive donc à un système autonome parfait, qui d'une force de
concentration sur soi-même par la réflexion, arrive à une expansion vers
l’extérieur qui est constructive. Et c'est, là aussi, l’image du Delta
lumineux placé à l’orient, qui peut nous en donner l'illustration.
Mais, plus que ces considérations théoriques et très générales, il me
semble intéressant de montrer ce à quoi peut servir pratiquement
l’utilisation d’un langage symbolique.
Utilisation des symboles
Souvenez vous de votre initiation d’Apprenti. Vous avez effectué des
voyages et l’on vous a clairement expliqué ce qu’ils signifiaient. Mais en
fait ce n’était qu’un commentaire et la véritable explication est tellement
personnelle, son vécu tellement intime et les conséquences pour
l’ascèse de chacun tellement particulières qu’il y a deux conséquences.
La première c’est qu’il est difficile de les expliquer à qui ne les a pas
vécues (d’où la discrétion et même le secret qui les entourent). Par
analogie vous pourrez toujours expliquer à un ami l’une de vos séances
de psychanalyse mais il vous sera impossible de lui communiquer ce
que cela a provoqué dans votre moi intime, si tant est que vous le
sachiez vous-même... La seconde c’est qu’on vous redemandera par la
suite de retravailler sur ces mêmes sujets pour en découvrir votre propre
interprétation et surtout, surtout ce en quoi cela peut vous être utile pour
votre développement personnel. Ce que l’on vous a dit n’est qu’une
proposition: à vous de développer, de creuser, de tracer une épure, de
buriner et de sculpter ce matériau que l’on vous a donné.
Souvenez vous aussi de la poignée de main et de l’échange verbal qui la
suit. A vous de trouver le sens profond de cet échange, de l’humilité qu’il
suppose et l’apprentissage qu’il comporte. Ne tenter pas de le retenir par
coeur, bêtement... C’est tellement plus simple d’en intérioriser le sens
profond...
Descendons de la main vers le pied. Cette démarche parfaitement
anormale et antiphysiologique, bien sûr c’était initialement celle de
l’apprenti charpentier sur une poutre haut placée... il hésitait et prenait
toutes les précautions possibles pour ne pas chuter... et vous dans votre
démarche initiatique qu’allez-vous faire si ce n’est d’être hésitant,
maladroit et d’avoir une démarche heurtée parfois chaotique?
Dernier exemple, quand on parle du niveau utilisé par les constructeurs,
l’idée d’égalité ne vient-elle pas rapidement à l’esprit et ce, d’autant plus
aisément, que l’image de l’outil vient simultanément dans notre champ
visuel virtuel.
Concernant l’utilisation de symboles, notamment en Franc Maçonnerie –
mais aussi dans de nombreuses sociétés traditionnelles – tout est très
simple.
Utilisation des paraboles
L’un des meilleurs exemples me semble être celui d’une Écriture sainte
telle que celle des Évangiles. Une parabole, ou un langage symbolique
est une comparaison simple que les personnes utilisent pour mieux se
faire comprendre de leurs vis à vis. Où trouver en effet un meilleur
exemple?
Prenons celui de Luc (8. 4-15) [9]. Il y montre en effet que ce langage
permet de faire passer un message compréhensible en dehors de toute
culture donnée, qu’il dépasse même les époques. Mais, et c’est peut être
le plus important, il montre surtout que l’efficacité de ce type de langage
dépend surtout de la bonne volonté de celui qui le reçoit...
Sur le même sujet, le texte de Matthieu (13. 1 - 23) [10] donne une
interprétation plus complète à mon sens. Mais ce qui compte, c’est
qu’avec des mots différents le sens du message reste le même...
Pourquoi avoir cité ces textes ici ? Bien évidemment ce n’est pas pour
faire du prosélytisme, encore moins pour que le lecteur adhère au
contenu. C’est peut-être qu’en milieu maçonnique cela m’a amusé d’être
un peu provocateur...C’est surtout pour montrer que l’utilisation de
symboles permet de faire passer un message complexe qui serait
beaucoup plus laborieux à faire comprendre à un auditeur. Et que ce
serait encore plus pénible face à un auditoire nombreux ; la rationalité de
chacun des auditeurs engagerait le locuteur à de difficiles
démonstrations. En revanche l’utilisation de symboles laisse à l’auditeur
sa totale liberté de réflexion et de compréhension. Et comme les
compréhensions sont souvent différentes, c’est de leur confrontation que
naît pour chacun une vérité qui devient la sienne.
Concernant la parabole du semeur, vous êtes libre d’adhérer à
l’explication donnée par Luc ou Matthieu ; vous êtes aussi libre d’y être
totalement opposé. Mais votre réflexion, votre processus cognitif, sera
simplifié car vous aurez été face à une histoire sommaire, et si vous êtes
plusieurs à confronter vos opinions, ce sera fait en fonction d’éléments
précis et non d’une théorisation toujours plus complexe à saisir.
Utilisation du mythe :
Je n’en donnerai ici aucun exemple car tout le monde connaît les mythes
déjà cités plus haut.
Utilisation du langage allégorique.
Nous nous en servons à de nombreux niveaux. Et sans rien dévoiler de
secret, ni à vous apprentis et encore moins à des profanes, en voici un
exemple puisé dans la tradition hébraïque. Selon cette tradition celui que
nous nommons le GADU demeure en lui-même inconnaissable. Mais
comme l’ombre sur le mur permet de déceler la présence du soleil, il
existe toute une série de traces, ou de reflets du Principe Créateur. Dans
la Kabbale ces émanations du nom de Dieu se nomment les Sephiroth.
Et pour faire saisir cette approche, je vais vous conter une légende.
Longtemps après la mort d'Hiram et de Salomon, après que les armées
de Nabuchodonosor eurent détruit le royaume de Juda, rasé la ville de
Jérusalem, renversé le Temple, et emmené en captivité ceux qui avaient
survécu au massacre des populations; alors que la montagne de Sion
n'était plus qu'un désert aride, trois voyageurs arrivèrent un matin au pas
lent de leurs chameaux.
Ces trois voyageurs étaient des Mages, des Initiés de Babylone, qui
venaient en pèlerinage et en explora-tion aux ruines de l'ancien
Sanctuaire.
Ils se mirent à examiner les chapiteaux gisant à terre, à examiner les
pierres pour y découvrir des inscriptions ou des symboles.
Pendant qu'ils procédaient à cette exploration, ils découvrirent une
excavation sous un pan de mur renversé au milieu des ronces. Le plus
âgé, se couchant à plat ventre sur le bord, regarda à l'intérieur.
On était en été au milieu du jour, le Soleil culminait et ses rayons
plongeaient pres-que verticalement dans le puits. Un objet brillant frappa
les yeux du Mage. Il y avait là un objet digne d'attention: sans doute un
bijou sacré. Les trois pèlerins résolurent de s'en emparer. Ils dénouèrent
les ceintures qu'ils avaient autour des reins, les at-tachèrent bout à bout.
Ils placèrent une extrémité de la corde faite des trois ceintu-res sur une
pierre plate placée près du puits, et sur laquelle on lisait encore le mot «
Jakin ». Ils roulèrent dessus un fût de colonne où l'on voyait le mot «
Boaz », puis s'assurèrent qu'ainsi tenue la corde pouvait supporter le
poids d'un homme.
Tandis que, s'aidant des mains et des pieds, le Mage descendait dans la
profondeur du puits, il constata que la paroi de celui-ci était divisée en
zones ou anneaux faits en pierres de couleurs différentes. Quand il fut
en bas, il compta ces zones et trouva qu'elles étaient au nombre de dix.
Il regarda ensuite autour de lui et constata l'existence, dans la muraille,
d'une ouverture par laquelle un homme pouvait pénétrer. Il recula alors,
regagna le fonds du puits, avertit ses compagnons. Ils pensèrent qu'il
devait y avoir là un mystère; ils délibérèrent et résolurent d'aller
ensemble à la découverte.
Ils fabriquèrent trois torches avec du bois sacré.
Là, ils s'enfoncèrent, sous la conduite de leur chef, dans le couloir
menant à la porte de bronze. Arrivés devant celle-ci, le vieux Mage
l'exa-mina attentivement à la lueur de sa torche. Le Mage s'absorba
dans une profonde méditation, puis prononça le mot « Malkuth» et la
porte s'ouvrit brusquement.
Les explorateurs se trouvèrent alors devant un escalier qui s'enfonçait
dans le sol; ils s'y engagèrent, et se trouvèrent devant une deuxième
porte de bronze. Le vieux Mage l'examina comme la précédente et
prononça le mot « Jesod » et cette porte s'ouvrit à son tour.
Un troisième porte s'ouvrit encore à la prononciation du mot « Hod », et
donna accès à une deuxième salle.
Cette situation se reproduisit de telles façons que le vieux mage
prononça successivement les mots : Netsah, Tiphereth, Geburah,
Chesed, Binah, C'hocmah et Kether.
Quand ils entrèrent dans la dixième salle, les Mages s'arrêtèrent surpris,
éblouis, effrayés. Celle-là n'était point plongée dans l'obscurité; elle était,
au contraire, brillamment éclairée.
Les pèlerins éteignirent leurs torches, ôtèrent leurs chaussures et
rajustèrent leur coiffure comme en un lieu saint, puis ils s'avancèrent.
Un Autel de marbre blanc était dressé sur la face étaient représentés les
outils suivants : la règle, le compas, l'équerre, le niveau, la truelle et le
maillet.
Cependant ils détournèrent leur attention de l'autel et regardèrent le ciel
de la salle qui se perdait à une hauteur prodigieuse. Ils arrivèrent ainsi
devant une onzième porte. Ils appelèrent leur Maître et lui dirent: «
Ouvre-nous encore cette porte, elle doit cacher un nouveau mystère ». «
Non, leur répondit-il, il ne faut point ouvrir cette porte. Elle cache un
mystère, mais c’est un mystère de mort! ».
« Oh ! Tu veux nous cacher quelque chose, mais nous voulons tout
savoir, nous l'ouvrirons nous mêmes, cette porte ». Ils se mirent alors à
prononcer une accumulation de mots mais, comme ces mots ne
produisaient aucun effet, l'un deux prononça: « Nous ne pouvons pas
cependant continuer à l'infini (En Soph) ». Sur ce mot, la porte s'ouvrit
avec violence, les deux imprudents furent renversés sur le sol, un vent
furieux souffla dans la Voûte; les lampes magiques en furent éteintes.
Le Maître leur dit: « Hélas! Cet événement terrible était à prévoir. Il était
écrit que vous commettriez cette imprudence. Essayons cependant d'en
sortir ».
Ainsi firent-ils. Après beaucoup d’angoisse et d’hésitations ils arrivèrent
au pied de l'escalier. Ils le gravirent et se retrouvèrent au fond du puits. Il
était minuit; les étoiles brillaient au firmament; la corde pendait toujours.
Les trois initiés regagnèrent l'enceinte du Temple en ruines; ils roulèrent
de nouveau le fût de colonne, mais sans y voir le mot « Boaz » ; ils
détachèrent leurs ceintures, s'en enveloppèrent, se mirent en selle, puis,
sans échanger de paroles, plongés dans une profonde méditation, sous
le ciel étoilé, au milieu du silence de la nuit, ils s'éloignèrent, dans la
direc-tion de Babylone, au pas lent de leurs chameaux.
Les mots hébreux que vous venez d’entendre signifient : le Royaume, la
Fondation, la Gloire, la Victoire, l’Harmonie, la Rigueur, la Générosité, la
Connaissance, le Discernement, et la Sagesse. Ce sont les Sephiroth
dont je vous parlais plus haut, c'est-à-dire les émanations du Principe
Créateur, grâce auxquelles il est possible d’en tenter une approche.
Pour être précis, et que dès maintenant vous soyez informés, soulignons
qu’un Rite est l’ensemble des règles qui fixent le déroulement d’un
cérémonial. Ce déroulement est fait de la succession d’un certain
nombre de messages symboliques, délivrés dans une suite plus ou
moins logique mais toujours immuable. Par exemple le rite d’ouverture
ou de fermeture des travaux.
Ces messages sont l’expression de pensées et parfois de croyances qui
se sont construites petit à petit et transmises de générations en
générations. Ainsi le Rite que nous pratiquons ici, le REAA, est-il un
corpus de règles dont nous ne pouvons nous abstraire sous peine d’être
« en dehors » de notre transmission traditionnelle, donc « irréguliers ».
Quant aux Rituels ce sont simplement les livres qui contiennent ces
règles.
En conclusion, le plus important me semble être le fait que le langage
symbolique atteint directement notre affectivité. Nous savons que notre
attitude est faite de trois composantes : la pensée (composante cognitive
dont, entre autres, la mémoire), l’émotion (composante affective à
laquelle nous attribuons telles ou telles tonalités et importance), et la
composante physique et physiologique (qui comporte elle-même une
pléiade de niveaux : sensoriel, neuro-vasculaire, moteur, etc.). Le tout
détermine notre comportement face à un stimulus donné, dans une
situation donnée.
Tout ceci pour dire que le langage symbolique, dont la nature est le plus
souvent sensorielle, nous atteint plus facilement et plus directement
qu’un raisonnement, ou qu’une explication si logique soit-elle. Et c’est
cette particularité, de type analogique, qui en fait sa force.
Nous sommes à la fois touchés au cœur et au cerveau.
Dimanche 30 octobre 2005
[1] Le symbole a été érigé en objet de la métaphysique et de ce fait a pu
se voir soumis à une herméneutique (herméneutique est un terme qui,
en première approximation, désigne l'ensemble des règles à suivre) pour
l’interprétation des textes sacrés et par extension cette interprétation elle
même (Ricœur : "De l'interprétation"). Actuellement, par exemple, nous
faisons de l'herméneutique en tant que nous parlons de déchiffrer un
donné considéré comme symbolique. La philosophie contemporaine y a
recours largement tant dans la psychanalyse que dans le structuralisme
dans lequel on vise moins le résultat des arrangements que la manière
même dont les choses sont arrangées. Nous reviendrons
[2] Cette dernière en effet est un procédé par lequel on transporte la
signification propre d’un mot à une autre signification qui ne lui convient
qu’en fonction d’une comparaison sous-entendue (La lumière de l’esprit,
brûler de désire, la fleur des ans). Un autre exemple tiré du manuel
d’Epictète est le suivant : « Si, entre gens vulgaires, la conversation
tombe sur quelque maxime, garde le plus souvent le silence. Tu cours
grand risque, en effet, de vomir aussitôt ce que tu n'as pas digéré. Et,
lorsque quelqu'un te dit : « Tu ne sais rien », si tu n'es pas mordu par ce
propos, sache que tu commences à être philosophe. Car ce n'est point
en rendant aux bergers l'herbe qu'elles ont avalée, que les brebis leur
montrent combien elles ont mangé. Mais, une fois qu'elles ont au-dedans
digéré leur pâture, elles rendent au-dehors de la laine et du lait. Et toi
aussi, ne fais pas étalage de maximes devant des gens vulgaires. Mais
montre-leur les effets de ce que tu as digéré ».
[3] Simultanément d'Aristote à Hegel on a pu y voir l'échec de la pensée
(Hegel : l'emploi du mythe accuse en général une impuissance qui ne
sait pas encore manier la forme de la pensée), soulignons au passage le
mot encore.
[4] En effet que les acteurs d'un mythe soient des êtres surnaturels peu
importe, ils sont appréhendés pour ce qu'ils font et non pas pour ce qu'ils
sont. À cet égard ce qui est important dans une mythologie ce n'est pas
le nom ou la fonction d'un dieu qui est importante, mais ses actions.
L'important n'est pas que de Zeus soit le patron de l'Olympe, mais c'est
qu'il trompe sa femme régulièrement, c'est qu'il lutte avec d'autres dieux,
etc.
Mais quelle est la fonction pratique du mythe ? Plusieurs écoles ont
souligné le lien étroit entre le mythe et le rite. Le mythe, a-t-on dit, fonde
le rite. Et c'est dans la mesure où le mythe institue la liaison du temps
historique avec le temps primordial que la narration des origines prend
de la valeur pour le temps présent : voilà comment les choses ont été
fondées à l'origine, et elles sont encore aujourd'hui de la même façon.
C'est par son sens fondamental que le mythe fera du rituel un processus
autonome ; c'est pourquoi il nous semble que nos rites sont porteurs de
mythe alors que c'est l'inverse. Et c'est pourquoi le mythe peut être tenu
comme l'instruction permettant d'opérer le rite et par là-même de répéter
l'acte créateur
[5] Il y a une différence importante dans l'usage actuel des mots allégorie
et symboles au point de vue esthétique. Dans ce cas-là allégorie à un
sens presque toujours péjoratif : on signale la froideur, la pauvreté des
allégories. Au contraire le symbole peut être vivant, évocateur, parce que
l'image y a un intérêt propre : dans ce cas, elles vont par elles-mêmes en
même temps que ce qu'elles suggèrent. Quelque chose des sentiments
qu'éveille le symbole enrichit donc l'idée symbolisée. C'est ainsi qu'on
parle d'allégories à propos du blason, du Roman de la Rose ou de la
carte du Tendre, ou de l'apothéose d'Henri IV de Rubens, et de
symboles à propos de Faust, du Moïse de Vigny, ou de l’Anneau des
Nibelungen.
[6] En effet chez les Grecs l'allégorie désignait une signification cachée
sous la donnée sensible du langage. Ce n'est pas simplement une forme
d'exposé littéraire. Il ne suffit pas de définir l'allégorie par un certain
décalage entre ce qui est dit et ce qui est signifié. Au fur et à mesure
qu'on s'élève dans la hiérarchie de la spiritualité, l'allégorie apparaît
comme une superposition très savante entre le signifiant et le signifié.
Ce n'est plus un simple procédé d'écriture, mais une forme
d'investigation et d'interprétation. Elle se fonde non seulement sur une
analogie superficielle entre l'image et l'idée, mais sur une relation
profonde, métaphysique, entre tous les événements de l'histoire à
raconter. Ce sera par la suite au coeur même du symbolisme roman que
s'élaborera l'allégorie, religieuse d'abord mais avec des incidences
profanes puisque, au Moyen Âge il n'y a pas de frontières bien nette
entre ces deux domaines.
[7] Si l'utilisation de l'allégorie à tendu à disparaître depuis la
Renaissance et notamment sous l'influence de la religion (Saint Jérôme
bannit de son univers les spéculations dont Saint-Paul semblait avoir
autorisé l'audace), il est vrai qu'elle tend à réapparaître sous des formes
plus subtiles dès que la science historique est remise en question. De
nos jours la pensée moderne sait retrouver à la fois l'histoire et le mythe
car elle ne se laisse plut enfermer dans l'alternative du système ou de la
magie. Elle s'attache au contraire à traduire la recherche anxieuse et
audacieuse d'une raison dans l'histoire, et réfute la mentalité naïve ou
primitive que certains donnent parfois à l'allégorie (Article Allégorie dans
Encyclopédia Universalis).
[8] Les notions d'interprétation, ou d'herméneutique que l’on retrouve
dans O.Wirth, Corneloup, et d’autres auteurs, y sont d’ailleurs
préalablement définis comme personnelles -- et nettement comme des
propositions -- et non comme des dogmes.
[9] « Le semeur est sorti pour semer la semence. Comme il semait, du
grain est tombé sur le bord du chemin, les passants l’ont piétiné et les
oiseaux du ciel ont tout mangé. Du grain est aussi tombé dans les
pierres, il a poussé, et il a séché parce qu’il n’y avait pas d’humidité. Du
grain est aussi tombé au milieu des ronces, et en poussant, les ronces
l’ont étouffé. Enfin du grain est tombé dans la bonne terre, il a poussé, et
il a porté du fruit au centuple. En disant cela il élevait la voix: « Celui qui
a des oreilles pour entendre, qu’il entende! » Ses disciples lui
demandaient quel était le sens de cette parabole. Il leur déclara: « A
vous il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu, mais
les autres n’ont que ces paraboles, afin que se réalise la prophétie: Ils
regarderont sans regarder, ils écouteront sans comprendre. Voici le sens
de cette parabole. La semence c’est la Parole de Dieu. Ceux qui sont au
bord du chemin, ce sont ceux qui ont entendu; puis le démon survient et
il enlève de leur coeur la parole, pour les empêcher de croire et d’être
sauvés. Ceux qui sont dans les pierres, lorsqu’ils entendent, ils
accueillent la parole avec joie. Mais ils n’ont pas de racines, ils croient
pour un moment, mais au moment de l’épreuve, ils abandonnent. Ce qui
est tombé dans les ronces, ce sont ceux qui ont entendu, mais qui sont
étouffés, chemin faisant par les soucis, la richesse et les plaisirs de la
vie, et ne parviennent pas à maturité. Et ce qui est tombé dans la bonne
terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole dans un coeur bon et
généreux, la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. »
[10] « A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des
cieux, mais à eux ce n’est pas donné. Celui qui a, recevra encore et il
sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce
qu’il a. Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans
regarder, qu’ils écoutent sans écouter et sans comprendre. Ainsi
s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : « Vous aurez beau écouter,
vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez
pas. Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille,
ils se sont bouché les yeux, pour que leurs yeux ne voient pas, que leurs
oreilles n’entendent pas, que leur cœur ne comprenne pas, et qu’ils ne
se convertissent pas. Sinon je les aurais guéris !
Mais vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient et vos oreilles parce
qu’elles entendent ! Je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes
ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que
vous entendez et ne l’ont pas entendu. Vous donc, écoutez ce que veut
dire la parabole du semeur. Quand l’homme entend la parabole du
semeur sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui
est semé dans son cœur ; cet homme c’est le terrain ensemencé au
bord du chemin. Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux c’est
l’homme qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie : mais il n’a
pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la
détresse ou la persécution à cause de la Parole il tombe aussitôt. Celui
qui a reçu la semence dans les ronces, c’est l’homme qui entend la
Parole ; mais les soucis du monde et les séductions de la richesse
étouffent la Parole et il ne donne pas de fruits. Celui qui a reçu la
semence dans la bonne terre, c’est l’homme qui entend la Parole et la
comprend ; il porte du fruit à raison de cent, ou de soixante, ou trente
pour un. »

Documents pareils