La sirène du Mississipi François Truffaut

Transcription

La sirène du Mississipi François Truffaut
Avril
2005
François Truffaut
NAISSANCE DE L’AMOURmme
Fiche d’analyse de film
Jean-Paul BELMONDO
Catherine DENEUVE
Michel BOUQUET
Nelly BORGEAUD
Roland THÉNOT
La sirène du Mississipi
France ���1969 ���Couleurs ���2h
Scénario François TRUFFAUT
d’après le roman Waltz into Darkness de William Irish
Photographie Denis CLERVAL
Musique Antoine DUHAMEL
131
L’histoire
L’histoire
Louis Mahé, riche propriétaire d’une
fabrique de cigarettes à La Réunion, attend à
l’embarcadère de Saint-Denis le «Mississippi»
en provenance de Nouméa, pour accueillir sa
fiancée, Julie Roussel. Il a fait sa connaissance
grâce à une petite annonce. La jeune fille ne
descend pas. Louis regagne sa voiture et y trouve
une belle jeune femme inconnue qui prétend être
celle attendue. Elle ne ressemble pas à la photo
envoyée : un mensonge, avoue-t-elle. Louis
l’accepte. Le mariage a lieu. Julie disparaît peu
après avec toute la fortune de son nouvel époux.
Berthe Roussel, la sœur de Julie, voyant la photo
de l’épouse de Louis lui révèle qu’il ne s’agit pas
de sa sœur. Louis soupçonne alors sa femme
d’être une aventurière et d’avoir supprimé la
vraie Julie. Il charge un détective privé, Comolli,
d’enquêter sur cette ténébreuse affaire.
En France, Louis soigne sa dépression
nerveuse à la clinique Heurtebise à Nice. Il
retrouve la trace de sa femme qui s’appelle en
réalité Marion et travaille dans une boîte de nuit à
Antibes. Il n’a pas le courage de la tuer et Marion
l’apitoie en lui parlant de son enfance malheureuse
et en lui apprenant que c’est son amant, Richard,
qui a tué Julie et l’a forcée à prendre sa place.
Éperdument épris de Marion, Louis lui fait
confiance et ils s’installent dans une petite maison
près d’Aix-en-Provence. Mais Comolli a retrouvé
lui aussi la trace de Marion et pour l’empêcher de
livrer à la police celle qu’il aime, Louis le tue.
Marion et Louis s’enfuient à Lyon où ils se
cachent, puis vers Grenoble dans un chalet de
montagne. Louis empêche Marion de partir et
elle tente de l’empoisonner avec de la mort-auxrats. Il lui avoue alors qu’il est prêt à mourir tant
il est éperdu d’amour pour elle. Touchée par
les sentiments de Louis et comme « convertie »
à l’amour, Marion lui avoue sa tentative et le
sauve.
Réconciliés, les deux amants vont à nouveau
affronter leur destin.
Pistes de réflexion
En sortant d’un cinéma où ils ont vu Johnny
Guitare, Marion dit à Louis « Ce n’est pas
seulement un film avec des chevaux », « Non,
lui répond Louis, c’est une histoire d’amour
avec des sentiments ».
De la même façon, La Sirène du Mississipi
s’apparente moins au film d’aventures dont il
épouse le genre qu’à un mélodrame explorant
la version douloureuse et obsessionnelle de la
passion amoureuse.
Mais le rapprochement explicite des deux
films va bien au-delà. S’y retrouvent à la fois
le même principe de l’histoire : une passion
tributaire du passé, le parti pris d’inverser les
rôles (hommes faibles et femmes fortes) et les
ruptures de ton dans le récit. Ces éléments
contribuent à la singularité de la ligne mélodique
de cette histoire d’amour absolu entre deux
êtres que tout sépare et qui vont entreprendre
chacun le chemin vers l’autre.
nuit passionnelle
passionnelle de louis...
Louis …
• DeDelalanuit
L’histoire de cette passion est ressentie
par Louis. Secret et idéaliste, il essaie de
transformer sa vie en ayant recours aux petites
annonces matrimoniales. Louis, avec son
côté « fleur bleue » apparaît comme un être
vulnérable et faible. Sa solitude est d’autant plus
profonde qu’il espère follement de l’amour.
C’est précisément dans le coryphée tragique
de la solitude des êtres à la recherche de l’âme
sœur, que s’ouvre le générique.
La jeune femme rencontrée est le contraire
de celle qu’il attendait mais sa beauté lumineuse
prédispose à l’amour et Louis, tout à son désir
naissant, se laisse prendre par la main des
sentiments. Il accepte Julie telle qu’elle est.
Pourtant Louis sait, comme le spectateur,
qu’il est trompé dès le début.
Les indices vont se multiplier qui prouvent
le caractère illusoire de cette apparition (le
mensonge de la photo, la malle sans clé, le
désintérêt de Julie pour son canari, l’appel de
Berthe,…).
Mais si Louis accepte cette rencontre qui n’a
rien de celle espérée c’est qu’il est prêt depuis
longtemps à la rencontre amoureuse.
Ce qui intéresse Truffaut au travers de cette
rencontre en forme de « non-rencontre », c’est
la situation où par excellence Louis n’est plus
seul. L’autre se présente, magnifique visage, et
brise l’enchaînement de Louis à lui-même.
Sur un mode léger, caractéristique du style de
Truffaut, c’est toute la déraison et la profondeur
de la rencontre amoureuse qui est traitée.
L’intrigue nouée avec autrui, presque anodine et
fausse au départ, révèle à Louis le miracle de la
sortie de soi par le simple fait de la présence de
l’autre. Le voile de la légèreté se déchire pour
approcher la soudaine gravité de l’être. Les
rapports entre Louis et Marion (de l’homme et
de la femme) seront sans cesse suggérés dans les
ruptures brutales de tons des personnages alliée
à une mise en scène totalement libre.
C’est ainsi, que Louis entre dans une passion
sourde et aveugle où le monde extérieur n’existe
plus. Julie/Marion, arrivée du dehors, s’est
installée en lui et l’a atteint jusqu’à accaparer tout
son champ de conscience. Très vite le champ
de vision du personnage est centré sur le seul
objet de son désir. Louis ne voit qu’elle. Peu
à peu, tous ses actes, guidés
par cet amour obsessionnel,
consistent à détruire les
barrières sociales, morales,
légales qui l’entravent. Par
amour, il abandonne tout, il
se dépouille de son être social,
il fuit, il tue. La rage de ses
sentiments s’exprime dans la
scène où il déchire la lingerie
de Marion et la jette au feu.
Louis ne pourra plus jamais s’accommoder
de la tiédeur du commerce des hommes. C’est
ce qu’il va expliquer à Jardine, l’homme des
réalités qui mettra tout au long du film la vie en
statistiques. Louis rejette tous les critères de
normalisation. Il ne s’agit pas de bonheur mais
de survie. « Je ne sais pas si je suis heureux»,
avouera-t-il à Jardine, «mais je ne peux pas vivre
sans elle.»
Tout au long du récit, mu par une
force impérieuse, Louis sortira de lui-même
pour s’engager dans une course éperdue vers
l’inconnu et le risque, symbolisée par les
espaces et les lieux traversés. Il quittera La
Réunion, la Clinique Heurtebise de Nice, la
maison d’Aix-en-Provence, l’appartement de
Lyon, le chalet de Grenoble. Chaque départ
marque un point de non-retour dans son
itinéraire vers l’absolu.
« L’acte le plus sublime, c’est de placer
un autre devant soi » (William Blake). C’est la
voie insensée qu’a choisi Louis qui ira jusqu’à
l’acceptation lucide et assumée de la mort
infligée par l’autre. Ici est atteinte la beauté
lyrique du personnage de Louis qui avait
prévenu : « Même si tout ça doit finir mal je
suis enchanté de vous connaître, madame ».
A l’itinéraire amoureux de Marion,
•
une étrange ascèse…
Marion se dérobe aux définitions et apparaît
tour à tour comme une garce, une putain, une
fée… Elle apparaît d’abord comme une vision
ou un reflet (comme la photo sur les paquets
de cigarettes, les miroirs) que Louis brûle de
toucher.
Plus tard, il la comparera aux premières
femmes, des prostituées, venues peupler l’île
de La Réunion.
A Lyon, Louis évoquera à son égard, cette
race de femmes modernes sortes de parasites
qui vivent en dehors de
la société normale. Car
le voyou de l’histoire
c’est elle. L’escroquerie,
la délinquance, le crime
aussi font partie de sa
nature. En fait, Marion
s’exprime toujours selon
deux modes : le sexe et
l’argent. Elle se joue de
Louis par des pulsions
sexuelles soudaines et
inexpliquées. Dès que l’argent vient à manquer,
elle lui manifeste une indifférence glacée qui ira
jusqu’au meurtre. Pourtant, chez elle le calcul
ne semble jamais totalement exclure la sincérité.
Ainsi pendant le voyage de Louis à La Réunion,
elle enregistre sur un disque une déclaration
d’amour pleine d’émotion. Le disque se brisera
emportant le secret de l’aveu.
La première partie du scénario s’achève sur
sa longue confession à Louis dans la chambre
de l’hôtel Monorail. Cette scène nous éclaire
sur le passé de Marion qui égrène les étapes
douloureuses de son existence de délinquante.
Le chant de cette sirène a les allures d’une
plaidoirie. Son passé en a décidé pour elle, elle
n’avait pas le choix de ses actions.
Dans cette scène, Louis, envahi par le
silence qu’impose le grand amour, une moue
sur les lèvres, le regard un peu perdu se laisse
convaincre.
C’est alors que le film prend une nouvelle
tonalité. Est-ce que l’amour va enfin s’accomplir
dans le couple libéré du mensonge ?
C’est dans ce recommencement, sorte de
réactivation de l’amour passé qu’est exploré le
chemin qu’accomplit à son tour Marion.
Elle est à l’origine de la séparation par sa
brutale disparition. Sa vie d’aventurière sans
scrupules la pousse sans cesse à fuir le passé.
Ce passé qui par trois fois la rattrape. D’abord
par Richard qui menace de révéler sa véritable
identité, puis Louis qui la retrouve comme
entraîneuse, enfin par Comolli à Aix.
La fuite de Marion devient celle du couple
à partir du moment où elle renoue avec Louis.
Dans cette course emblématique de l’itinéraire
des amants, Marion clivée désormais à Louis,
essaye de se transformer à son contact. Elle
devient aimante. Dans cette lente progression,
le passé lui fait des crocs en jambes, elle se
relève et rechute encore. Mais Marion avance
sur cette route. Poussée par les circonstances,
elle est dépouillée petit à petit de tout bien
matériel jusqu’au dénuement final.
Le couple atteint ce refuge, recherchés
par la police, ils n’ont plus d’argent. La bicoque
est presque vide, abandonnée. Dans ce décor
misérable, Marion ne pense qu’à elle. Louis
prend conscience en lisant Blanche Neige qu’elle
l’empoisonne et le lui dit en acceptant son sort.
Nous contacter
Marion est alors touchée par la grâce. Ses
pleurs se mêlent à ses paroles en même temps
qu’elle se blottit contre l’épaule de Louis. Il s’agit
de la plus belle scène du film par la qualité et la
force du texte : « je viens à l’amour, Louis, ditelle en larmes. Ca fait mal. Est ce que c’est ça
l’amour ? Est-ce que l’amour fait mal ? ». Par ces
paroles, elle s’affranchit du passé et se libère,
ouvrant la voie de la métamorphose.
C’est à une naissance à laquelle nous assistons.
Une naissance en forme de conversion. Et
lorsqu’elle annonce «Il y a des choses incroyables
qui sont vraies » c’est qu’elle est foudroyée à son
tour par l’amour qu’elle découvre si fort en elle,
comme une révélation.
Telle la guérison miraculeuse, la part du
sacré en amour jaillit en elle comme la dernière
des choses à laquelle elle pouvait croire et irradie
l’écran dans la blondeur solaire du personnage.
Touchée par l’amour que lui porte Louis, elle
en viendra elle-même à aimer d’une manière
désintéressée. Son périple est une étrange
ascèse où elle brisera la chaîne de son destin.
Ensemble, mais pas encore...
• Ensemble, mais pas encore...
L’épilogue montre nos amants de dos à
l’écran, côte à côte qui s’enfoncent dans la neige
en direction de la frontière. Allusion directe
à la dernière scène de La grande illusion de
Jean Renoir (à qui le film est dédié), Louis et
Marion vivent, ils nourrissent l’espoir de tout
recommencer à zéro. Cette nappe de neige
évoque la tabula rasa sur laquelle ils tracent les
premières lignes d’une histoire nouvelle.
La ligne d’horizon vers laquelle ils se dirigent
enfin après bien des détours, esquisse la possible
union de l’homme et de la femme que la passion
a révélée. Ce retour à l’unité, cette réunion,
renvoie au nom de l’île où les troupes royalistes
et révolutionnaires ont fraternisé au lieu de se
battre et dont l’épisode est retracé en exergue
du film.
Dans cette marche pénible vers l’invisible,
vers l’énigme de l’autre, nous parviennent
les douces paroles d’Ondine de Jean
Giraudoux : « Depuis que je t’aime, ma solitude
commence à deux pas de toi. »
Anita LINDSKOG
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