Un concerto pour des achats

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Un concerto pour des achats
LA LIBERTÉ MARDI 2 OCTOBRE 2012
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MAGAZINE
LOCATION-VENTE
AVIS MORTUAIRES
RADIO-TV
JARDINAGE
MÉTÉO
25
MARDI
EXPOSITION
Jeux de parcours
de migrants
CLAUDINE DUBOIS
Un Valais authentique qui ne serait peuplé
que d’autochtones? Un mythe selon l’anthropologue Viviane Cretton qui signe avec
Thierry Amrein «Serious Games», une expo à
la fois ludique et scientifique pour vivre de
l’intérieur le parcours d’un migrant en Valais.
L’expo vient de s’ouvrir au Musée de Bagnes,
commune qui compte 22% d’habitants d’origine étrangère, de 55 nationalités.
Pour l’expo, vingt-cinq migrants ont été
sélectionnés dans la région et invités à raconter leur parcours de vie: le départ du pays,
l’arrivée en Valais, les difficultés rencontrées,
les liens conservés avec le pays d’origine,
ceux tissés avec le Valais... Confrontés à un
accueil plutôt rude, ils ont dû mettre en place
des stratégies pour se sentir acceptés. Un
processus d’intégration qui a duré entre cinq
et dix ans.
Selon diverses études, avec un fond sonore, les gens passent plus de temps dans les marchés. CHARLY RAPPO-A
Un concerto pour des achats
SOCIÉTÉ • La musique s’invite dans les commerces. Fraises, pantalons, livres, tout
s’achète en musique. Est-ce que ça marche vraiment? Le point avec des spécialistes.
NICOLE RÜTTIMANN
Acheteurs, êtes-vous sous influence?
Boutiques de vêtements, librairies,
marchés alimentaires, la musique est
partout. Inconsciemment ou non, elle
vous entoure, créant une ambiance. Si,
d’après les experts, elle ne détermine
pas directement l’acte d’achat, elle le
met néanmoins en condition favorable. D’autres techniques de marketing,
comme les senteurs ou la présentation
inciteraient quant à elles plus directement à l’achat. «Tout est étudié, bien
entendu», relève Valérie Muster, juriste
à la Fédération romande des consommateurs. Petit tour d’horizon de
l’univers marketing.
«Nous diffusons une bande sonore
spécifiquement conçue pour les commerces: Radio Swiss Pop», détaille le
gérant et manager de la Migros d’AvryCentre, Charles Krebs. «C’est un mix de
musique classique, tubes, chansons
françaises et autres, adapté à une large
clientèle. Cela répond à une demande
de la part des gens, habitués à un fond
sonore quotidien entre radio, télé, bars,
etc. De plus, la bande sonore couvre
les bruits dérangeants – escalators,
ascenseurs et autres.»
A l’origine, la musique
«Le premier vecteur de vente dans
un magasin est l’ambiance. Il faut mettre le consommateur en situation favorable», souligne de son côté Nicolas Ingland, directeur général d’Imadéo,
société d’étude et conseil pour le
commerce basée à Lausanne.
«La musique est un fait, c’est son
absence qui est inhabituelle!», s’exclame Olivier Droulers, 53 ans. Professeur de marketing à l’Université de
Rennes en France, il a écrit un livre sur
le «Neuromarketing», marketing revisité par la neuroscience. «Chez Aldi, où
il n’y a pas de musique, l’ambiance est
étrange, il manque quelque chose!»,
exprime, lui faisant écho, Coraline
Heinrich, 18 ans, étudiante à Fribourg.
L’usage de la musique dans les magasins remonte déjà aux années 1920
aux USA, et débute en France en 1927
avec Monoprix, selon Olivier Droulers.
Pour lui, le fond sonore d’un commerce doit répondre à plusieurs critères: «Il doit être en adéquation avec
la cible recherchée. Pour un supermarché, il faut choisir une musique de variété qui touche un public large. Elle
doit correspondre au style du magasin,
être synonyme de décontraction et ne
pas attirer trop l’attention: trop connue,
trop stimulante, elle détourne le client
de l’acte d’achat.» Son but est donc de
mettre de bonne humeur le client, ainsi
plus disposé à «envisager l’acte de
consommation». Il perçoit plus positivement le produit et le magasin par
«contagion émotionnelle».
«Je n’y fais pas souvent attention,
mais une musique qui me plaît
m’incitera peut-être à acheter plus,
étant de bonne humeur», reconnaît
Marion Clément, 17 ans, collégienne à
Fribourg.
Marketing multisens
Une influence limitée
«Avec un fond sonore, les gens passent plus de temps dans les marchés.
Ils adaptent leur rythme à celui de la
musique: plus cette dernière aura un
tempo lent, plus ils ralentiront», explique le psychologue Yves-Alexandre
Thalmann, se basant sur des études
menées dans des marchés. A l’inverse,
une musique à volume trop élevé ou au
tempo rapide fait fuir les clients: «Chez
Tally Weijl, la bande-son est tellement
forte que je n’ai plus envie d’entrer!»
renchérit Coraline Heinrich. Il ne s’agit
pas là de manipulation, puisque «nous
Des parfums pour créer une identité
La musique n’est pas le seul
domaine abordé par Audiadis. La
société utilise également des gels
polymères, qui libèrent un parfum
au contact de l’air. Comme pour la
musique, ces parfums sont utilisés
soit pour reproduire des senteurs
(odeur de pain frais, vanille, etc.),
soit en tant que signature olfactive
d’un magasin – une banque se crée
ainsi une identité, qu’elle reproduit
dans toutes ses filiales. «Les senteurs sont un média très puissant,
elles encodent tout un contexte,
ramènent à une émotion, un visuel...
Imaginez-vous si chaque lieu avait
son odeur spécifique, l’impact que
cela aurait par exemple sur un
enfant particulièrement réceptif...
Mais attention, il ne s’agit pas pour
gardons notre recul cognitif», nuance
Olivier Droulers. Et la musique reste un
vecteur «soft», soutient Yves-Alexandre
Thalmann, «elle ne produit pas en soi
de comportements d’achats».
autant de manipulation! Ces attirances existent déjà de manière
naturelle», argumente Guy Hausermann. «Il y a beaucoup plus puissant que ces techniques», convient
le psychologue Yves-Alexandre Thalmann. «La manipulation n’est pas
toujours là où on le croit. Par exemple, les images subliminales n’ont en
réalité aucune influence!
»En revanche, le matraquage
marche: plus on multiplie les expositions à un produit, plus on finit par le
trouver attirant.» Le packaging des
produits, le marketing ciblé pour les
enfants («Lilibiggs» ou «Nano» de la
Migros) sont aussi pointés du doigt
par le psychologue, qui souligne leur
efficacité. NR
Il existe en revanche des sociétés
spécialisées qui remixent des musiques afin qu’elles servent de bandesson aux magasins et développent une
panoplie de techniques pour optimiser l’ambiance, propice ainsi à l’achat:
Audiadis, société genevoise, «Agence
de communication multisensorielle
in-store», a été créée en 2001 par Guy
Hausermann. Elle met notamment ses
compétences au service de la Migros
de Genève, de Max Mara ou encore du
Ciné Pathé au Flon à Lausanne. Partant d’annonces personnalisées, elle
propose de véritables stratégies
audio.
«Ces dernières doivent faire le lien
entre trois points: l’esprit de l’enseigne,
le profil de ses consommateurs et ses
objectifs commerciaux», explique Guy
Hausermann.
Ainsi les magasins Morgan, vingt
ans d’existence, ont décidé de rajeunir
leur image et leur clientèle et ont fait
appel aux services d’Audiadis. La musique correspondra ainsi à l’enseigne:
glamour, sexy et quelque peu provocante. La société en a aussi renouvelé
la «signature ou logo sonore», - le fameux «Morgan de toi». S’il s’agit là
d’un slogan sonore, Audiadis travaille
également avec le visuel et les senteurs, notamment avec des «signatures
olfactives» (voir encadré). Le marketing est donc un domaine très complexe, touchant à tous les sens. La
question est donc vaste et la limite entre influence naturelle et manipulation
semble parfois floue. Au consommateur de garder intact son esprit critique
et réfréner sa «fièvre acheteuse»... I
Pour garantir l’anonymat des personnes qui
se sont confiées, la mise en scène a transformé le musée en vaste terrain de jeux de société. Salle après salle, un jeu colle avec une
étape du cheminement du migrant. Celui de
l’oie illustre par exemple l’installation, puis
l’enracinement: avancer de trois cases, reculer de deux, etc. Autre exemple: s’inspirant de
Cherchez Charlie, une section de l’exposition
se penche sur les préjugés: «tout le monde a
des stéréotypes sur tout le monde, souligne
Viviane Cretton: les Valaisans sur les gens
d’origine étrangère, et vice versa, mais aussi
les habitants de tel village valaisan sur tel autre.» «Serious Games» émane d’une recherche du Centre régional d’études des populations alpines (CREPA) de Sembrancher,
en collaboration avec la HES-SO Valais. I
> Serious Games, Musée de Bagnes, le Châble, jusqu’au 2 déc. me-di, 14-18 heures.
COUREZ-Y!
Amour et handicap:
le film fait un carton
Il a fallu refuser du monde, dimanche, à la
première du film «Deux amours» à Fribourg:
quelque 400 personnes se sont précipitées au
Rex pour découvrir l’émouvant documentaire de Miguel Béchet. Résultat: samedi et
dimanche prochains, le film revient pour
deux projections supplémentaires en présence du réalisateur. Ancien éducateur à la
communauté de la Grotte à Fribourg, celui-ci
a suivi l’histoire d’amour de Marie-Esther et
Olivier, deux résidents qui vivent avec un
handicap mental. Des premiers baisers à la
séparation, ce film tendre et sensible parle de
sentiments et de sexualité, de Dieu et de Gottéron... et des rapports parfois compliqués
avec les parents. Un document rare. AMO
> Sa et di à 14 h 15 au Rex 1 à Fribourg
EN BREF
CARICATURES
Jules Stauber et
Tell(e) est la Suisse
Le centre Dürrenmatt de Neuchâtel présente une sélection des
17 000 dessins de Jules Stauber
(1920-2008), l’un des maîtres du
trait de plume satirique. Le caricaturiste né à Montreux développe une rhétorique subtile sur
le thème de la Suisse et de ses
symboles. Stauber se rapproche
de Friedrich Dürrenmatt dans ses
caricatures de Guillaume Tell ou
du cor des Alpes. Il avait été
récompensé par le Swiss Cartoon
Award en 2007. CDB
«Tell(e) est la Suisse», Centre Dürrenmatt,
Neuchâtel, jusqu’au 23 déc. me-di, 11h-17h.