Phénomène d`addiction dans les MMOG et MMORPG
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Phénomène d`addiction dans les MMOG et MMORPG
Phénomène d'addiction dans les MMOG et MMORPG par Aurélien Pfeffer aka Uther (février 2006) Au même titre que les "jeux vidéos" (pris dans leur globalité) qu'on accusait, il y a une dizaine d'années, d'accaparer les plus jeunes, les jeux en ligne massivement multijoueurs (ou MMORPG) sont régulièrement pointés du doigt pour leur caractère "addictif" et le phénomène de dépendance qu'ils engendrent sur les joueurs. En décembre 2001, dans son essai "Virtual Worlds", Edward Castronova rendait compte d'études faites auprès des joueurs d'EverQuest (le MMORPG occidental le plus populaire de l'époque) indiquant que 12 000 d'entres eux considéraient le jeu comme "leur véritable demeure" et voyaient leur vie réelle uniquement comme un moyen d'entretenir leur vie virtuelle au sein de Norrath (le monde d'EverQuest). On dénombrait plusieurs milliers de joueurs considérant même que leur "existence virtuelle avait plus d'importance que leur vie réelle". Et face à ce constat, des associations de parents avaient tenté de faire reconnaître (en vain) la responsabilité des éditeurs de jeux en ligne devant les tribunaux suite aux suicides de joueurs accros. Il en va de même en Asie. En 2002, la presse spécialisée s'était faite l'écho d'un fait divers au cours duquel un joueur coréen avait succombé d'épuisement, suite à une crise cardiaque, après une phase de jeu marathon de 86 heures interrompue. En septembre 2005, la "Korea Agency for Digital Opportunity and Promotion" (agence gouvernementale coréenne) soulignait que les cas d'addiction aux jeux en ligne étaient en progression régulière en Corée. La même agence comptabilisait 2243 cas d'addictions aux jeux en ligne en 2003. En 2004, le chiffre quadruplait pour passer à 8978 joueurs souffrant d'addiction aux jeux en ligne. Entre janvier et juillet 2005, 7649 cas supplémentaires étaient comptabilisés. Après des faits divers tragiques (mort d'un nourrisson laissé seul par ses parents incapables de quitter leur partie de World of WarCraft), le même phénomène est constaté en Chine, qui inaugurait en 2005 les premières cliniques spécialement ouvertes pour accueillir les joueurs cyberdépendants. Plus proche de nous, à ce jour, on compte deux joueurs français d'une vingtaine d'années internés en hopital psychatrique (placement d'office pour le premier, placement à la demande d'un tiers pour le second) à cause de leur dépendance aux jeux en ligne. World of WarCraft Même si ces cas s'avèrent extrêmement marginaux au regard du nombre total de joueurs de MMORPG à travers le monde (quelques dizaines de milliers de joueurs dépendants déclarés pour plusieurs millions de joueurs de MMOG), on ne peut nier la réalité de ce phénomène de dépendance et/ou d'addiction aux jeux en ligne (nous reviendrons sur ces notions). On peut néanmoins s'interroger sur les causes de ce phénomène. Les MMOG sont-ils intrinsèquement addictifs et si oui, en quoi ? A l'inverse, existe-il un terreau favorable à l'addiction et les jeux en ligne s'adressent-ils spécifiquement à une population particulièrement sujette à la dépendance ? Mais avant d'apporter les premiers éléments réponses, il conviendra de définir les notions de dépendance et d'addiction. 1. Les notions de dépendance et d'addiction Les notions de "dépendance" et "d'addiction" ne sont évidemment pas spécifiques aux jeux en ligne, ni même aux nouvelles technologies de l'information (via la cyberaddiction, la dépendance à Internet). Les effets de dépendance (physique) aux psychotropes ou (psychologique) à certains comportements sont largement connus et étudiés par la médecine et la psychiatrie. Très classiquement, on définit l'addiction comme le fait d'être dépendant d'une habitude (le terme addiction trouve son origine dans la langue anglaise* et renvoie, en français, à l'assuétude, du latin assuetudo, signifiant "habitude", voire "être esclave de..." et désigne médicalement la dépendance à une drogue). En psychologie, l'addiction se comprend comme un comportement compulsif et autodestructeur par lequel le sujet se révèle dépendant de l'objet de son addiction. Ramené aux jeux en ligne, le joueur "addict" sera celui ne pouvant s'empêcher de se connecter à son MMOG (le comportement est dit compulsif quand il est motivé par "une force intérieure irrésistible, à laquelle le sujet ne peut résister sans angoisse"), tout en ayant conscience qu'il ne devrait pas céder à sa pulsion et en culpabilisant de jouer malgré tout. L'addiction traduit une dépendance à laquelle s'associe une perte de capacité d'autocontrôle. * En anglais, "addiction" est un terme médiéval désignant la servitude où tombe un vassal incapable d'honorer ses dettes envers son suzerain. 1.1. Une perte de contrôle En liminaire, on ne peut faire l'impasse sur le fait que le sujet dépendant trouve un plaisir certain dans l'objet de son addiction (faute de quoi il s'en désintéresserait rapidement). Traditionnellement, la psychologie (et notamment les théories freudiennes) tend à expliquer ce phénomène. Freud estime que l'addiction trouve sa source dans « une expérience de satisfaction des besoins du sujet », comblant « une grande détresse face à l'absence et au manque ». Marqué par le contentement né de cette expérience, le sujet cherchera à la reproduire jusqu'à ne plus pouvoir s'en passer. L'objet de l'addiction vise en premier lieu à procurer une satisfaction au sujet (s'évader d'une réalité difficile à supporter, par exemple). Mais en psychologie, on rattache en outre le phénomène d'addiction à un comportement "autodestructeur" dans la mesure où elle est source de souffrance (ne pas pouvoir lutter contre la satisfaction que procure l'objet de l'addiction) pour celui qui la subit. A des degrés très divers, de nombreux joueurs ont sans doute déjà connu ce tiraillement entre "la raison" et "la passion". La "raison" poussant à "quitter" le jeu pour enfin se consacrer à diverses autres obligations autrement plus importantes, face à la "passion" du jeu poussant à "terminer son level" ou "vaincre un dernier monstre"... Mais bien que la médecine définisse aujourd'hui (relativement) clairement ce que recouvre l'addiction, pour certains ce phénomène s'avère difficile à classer : doit-on voir dans l'addiction une véritable maladie ou une simple "mauvaise habitude", comme l'étymologie du terme pourrait le laisser penser, à laquelle on ne peut résister par manque de volonté ? Plus théoriquement, la question repose sur la distinction que l'on fait (ou non) entre les addictions physiques et les addictions purement psychologiques. L'addiction physique (c'est-à-dire lorsque le sujet est physiquement dépendant d'une substance – psychotrope, alcool, etc. - absorbée dans l'organisme) est aisément reconnue puisqu'elle peut être évaluée expérimentalement. La dépendance psychologique (dépendance au jeu, par exemple, mais aussi au sport, au travail, au sexe, alimentaire ou encore à la consommation compulsive et plus généralement à une pratique ou une situation sociale) soulève plus de questions. Ces addictions psychologiques ont longtemps été considérées comme de simples "habitudes envahissantes, socialement ou politiquement incorrectes". Alors que l'addiction (principalement physique) est reconnue comme une pathologie à la fin du XVIIIe siècle (quand la médecine s'émancipe de la religion) notamment grâce aux travaux de Benjamin Rush (voir "An inquiry into the effects of ardent spirits upon the humain body and mind", en 1785), il faudra attendre 1945 pour que Otto Fenichel introduise la notion psychanalytique de "toxicomanie sans drogue" renvoyant aux addictions psychologiques (parmi lesquels on classe le jeu pathologique). Il sera ensuite relayé par Stanton Peele qui démontra en 1975, les équivalences entre l'addiction physique et l'addiction psychologique, puis surtout A. Goodman qui proposa en 1990, la définition contemporaine de l'addiction (dans "Addiction : Definition and Implication", British Journal of Addiction – 1990 ; 85-11). Plus généralement, on considère ainsi aujourd'hui que la dépendance (physique) à une ou plusieurs substances relève également d'une dépendance psychologique (en cas de sevrage, le sujet ressent une souffrance d'ordre psychologique). Et quelle soit physique ou psychologique, la dépendance induite par l'addiction s'accompagne d'un phénomène d'accoutumance, voire de manque. La privation est douloureuse et est envisagée comme une angoisse (c'est-à-dire qu'elle engendre un malaise ou une anxiété, voire une angoisse de mort dans les pathologies les plus grave). Un joueur dépendant ne pouvant jouer subira une forme d'obsession ayant trait au jeu, ne pourra s'empêcher de penser au jeu et à ce qu'il rate en n'étant pas connecté (un événement important auprès de sa guilde, le meilleur moyen de progresser, etc.). C'est-à-dire que l'addiction aux jeux en ligne ne se définit pas forcément par la durée que le joueur consacre au MMOG. Un gros joueur peut être parfaitement satisfait de son statut, l'assumer et ne pas souffrir de sa passion. En terme psychologique, l'addiction suppose de ne pas pouvoir contrôler sa passion et d'en souffrir. 1.2. Un comportement autodestructeur Par ailleurs, certains associent les addictions aux conduites ordaliques (on pourra citer Marc Valleur, chef de service au centre médical Marmottan à Paris, ayant ouvert un service dédié aux "accros du jeu vidéo" en 2002 – voir notamment "Les addiction sans drogue et les conduites ordaliques" publié dans l'Information Psychiatrique - mai 2005 ; 81-423). Très caricaturalement, les conditions ordaliques font référence aux comportements à risque (justifiant notamment la classification des addictions parmi les pathologies autodestructrices). Par définition, l'ordalie fait référence à une épreuve juridique du Moyen-Âge dite du "Jugement de Dieu" par laquelle un sujet prouvait sa bonne foi en réussissant une épreuve mettant sa vie en danger. S'il survie à l'épreuve, c'est qu'il bénéficie d'un soutien divin que ne peut contester la justice des hommes. Dark Age of Camelot En psychologie, les conditions ordaliques renvoient à un comportement par lequel un individu se met volontairement en danger pour se sentir exister. D'après Marc Valleur, la condition ordalique suppose paradoxalement que le sujet ait la pleine maîtrise du risque qu'il s'impose à lui-même tout en acceptant de remettre le résultat au hasard ou à la chance. Les conditions ordaliques répondent alors à une forme d'addiction ouvertement risquée, "basées sur une recherche de sensations, de nouveautés et d'aventures". A titre d'exemple, on pourra considérer que les adeptes de "sports extrêmes" (parachutisme, saut à l'élastique, etc.) ou encore des "transgressions sociales" (infraction à la loi, mais aussi aux codes de son milieu social d'origine, par exemple) et plus largement des prises de risques actives, adoptent une conduite ordalique. Face à ce tableau brossant à grands traits ce que recouvre la notion d'addiction et de dépendance, on peut se demander dans un premier temps si les MMORPG répondent en eux-mêmes à ses critères de définition. Et plus largement, les jeux en ligne constituent-ils intrinsèquement un objet d'addiction ? 2. Les MMOG sont-ils intrinsèquement addictifs ? Même si l'affirmation est moins vraie maintenant, pendant longtemps, l'addiction fut un argument de vente pour les éditeurs de MMOG. Il y a encore quelques années, des accroches comme "le jeu le plus addictif du monde" ou "ne commencez jamais" (sous peine de ne plus pouvoir décrocher) étaient légion et vantaient les qualités addictives d'un monde virtuel. On se souvient même du célèbre slogan d'EverQuest précisant au joueur qu'il était maintenant prisonnier d'un autre monde (celui des développeurs du jeu). A tel point qu'au début des années 2000, suite aux suicides de plusieurs joueurs du même EverQuest, des parents s'étaient regroupés en association afin de poursuivre les éditeurs de jeu et faire reconnaître la responsabilité des développeurs devant les tribunaux. Les MMORPG étaient trop efficacement addictifs (psychologiquement)... au même titre qu'aujourd'hui les tribunaux américains condamnent ponctuellement les marchands de tabac à dédommager les plus gros fumeurs, victimes de leur dépendance à la cigarette (soumis à une addiction principalement physique). A notre connaissance, aucun tribunal (ni aux Etats-Unis, ni ailleurs) n'a encore reconnu de cas d'addiction psychologique aux jeux en ligne, méritant réparation. On peut néanmoins s'interroger sur le bien fondé de ces demandes. Les MMORPG sont-ils addictifs, au regard des critères de définition des dépendances pathologiques ? L'addiction devant les tribunaux Des proches de joueurs ont envisagé de poursuivre des éditeurs de MMO (notamment SOE, le développeur de la série des EverQuest) afin que les tribunaux américains reconnaissent leur responsabilité et leur imposent réparation. A ce jour, ces poursuites ne semblent pas avoir abouties. Mais à titre de comparaison, on pourra signaler qu'en France, un joueur pathologique (de jeux d'argent, fréquentant le casino de Vichy) a tenté la même démarche contre les casinos "Partouche" après que le jeu l'ait ruiné. Il estimait que son addiction au jeu puis sa ruine relevait de la responsabilité des casinos dans la mesure où ses derniers lui envoyaient des invitations et lui accordaient des facilités de paiement pour régler ses dettes. Dans un jugement du 16 janvier 2006, le tribunal n'a pas partagé cette argumentation et n'a donc pas retenu la responsabilité des casinos. D'après les tribunaux, le joueur (de jeux d'argent – mais dont l'addiction semble psychologiquement proche de celle du joueur de jeux en ligne) est donc seul responsable de son comportement, même pathologique. 2.1. Des mondes attractifs Par définition, les MMO constituent une activité attractive. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, il semble évident que tout jeu se respectant cherche à être attrayant et à attirer des joueurs. C'est d'autant plus vrai pour les MMOG qui nécessitent généralement plusieurs années de développement (entre deux et quatre ans) et coûtent plusieurs millions d'euros. Pour assurer la survie d'un monde virtuel, un éditeur de MMOG d'envergure moyenne doit pouvoir compter sur environ 100 000 joueurs réguliers. De même, les MMOG étant généralement soumis au paiement d'un abonnement mensuel par le joueur, proposer un contenu attractif sur la durée et régulièrement renouvelé est l'un des objectifs principaux des développeurs de jeux en ligne. Cette logique est d'autant plus flagrante lorsque l'on observe les formalités et pages de désabonnement de la plupart des jeux en ligne. Le formulaire de suspension de compte de World of WarCraft (ci-contre) est célèbre... même si l'on peut se demander sur des joueurs ont réellement des scrupules à "faire pleurer le péon"... Concrètement, plusieurs principes et facteurs clairement identifiés de longue date peuvent contribuer à rendre le "gameplay" d'un MMORPG attractif pour les joueurs. Le caractère fantastique (dans son sens propre faisant référence à l'imaginaire) et immersif des mondes virtuels est sans doute l'un des premiers facteurs expliquant l'attrait pour les MMORPG. Sans sombrer dans les clichés bon marchés, la réalité est souvent compliquée et ponctuée par les difficultés du quotidien. A l'inverse, les MMORPG offrent un accès facile à une vaste sélection de mondes virtuels oniriques, renvoyant au merveilleux (que le terme soit utilisé pour renvoyer aux contes fantastiques de l'enfance ou plus largement à ce "qui s'éloigne du cours ordinaire des choses"). Et même si tous les MMORPG ne tiennent pas les promesses de leurs ambitions, le joueur est invité à prendre part à cet univers fantastique et à la légende, à devenir acteur du merveilleux, à vivre une aventure qui se veut unique ou à devenir un héros... Il s'agit sans doute là d'un appel auquel on résiste difficilement. Et au-delà de l'univers, consciemment ou non, les joueurs peuvent aussi s'attacher à ce qu'ils ont virtuellement bâti. L'avatar "créé à son image" (voir notamment notre dossier traitant de "la notion d'avatar") est l'objet d'un attachement, voire d'une certaine fierté. Le personnage est le symbole des réussites du joueur et un objet de valorisation (nous y reviendrons). Par ailleurs, en total accord avec les jeux de rôle qui ont inspiré les MMORPG, les jeux en ligne reposent généralement sur la progression du personnage. Dans une majorité de cas, la progression (qu'elle consiste à faire progresser un personnage ou à progresser "géographiquement" pour explorer un donjons ou une région toujours plus reculée) est la base même du jeu. Or, le plus souvent, cette progression consiste à accumuler des niveaux, remplir des missions, ou toutes autres tâches plus ou moins répétitives. Comme l'ont développé de nombreux "game designers" (Raphaël Koster, par exemple), le "gameplay" d'un MMORPG prend la forme d'un "cycle de récompenses". Le joueur exécute une action (tuer un monstre, par exemple), qui lui vaudra une récompense (le gain de points d'expérience). Le "cycle de récompenses" consiste à multiplier une action, pour multiplier les récompenses et obtenir une récompense plus importante (gagner un niveau, qui permettra aux personnages d'utiliser de nouvelles compétences, de devenir un peu plus puissant, etc.), offrant aux joueurs une satisfaction conséquente. Cet engrenage est sans conteste un facteur contribuant à l'attrait des jeux en ligne. Quel joueur ne s'est jamais dit qu'il "finissait son niveau" avant de déconnecter ? Le processus se complique quand le "cycle de récompense" porte sur des objets multiples se chevauchant mutuellement. Un joueur peut être confronté simultanément à une quête, un niveau, un donjon, un "loot", etc. et pour chacun de ces éléments de "gameplay", le joueur sera tenté de vouloir les achever. La complexité augmente encore quand une quête par exemple, s'achève par le lancement automatique de la suivante (quêtes à tiroirs), quand plusieurs quêtes sont liées ou quand une quête doit être réalisée dans un délai limité (le joueur ne peut l'interrompre sous peine "d'échouer" dans sa mission). Par ailleurs, afin d'initier cet engrenage de récompenses, le processus est généralement progressif. Dans la plupart des MMORPG, les premiers niveaux sont vite passés (vaincre quelques monstres suffit pour passer accumuler les niveaux) et la difficulté est progressive. Il en va de même pour les quêtes : les premières peuvent consister à apporter un objet à un personnage du village voisin. Celles qui suivent (des quêtes plus épiques) consisteront de mener des enquêtes au quatre coins du royaume, à retrouver d'anciens secrets enfouis ou nécessiteront la participation de nombreux intervenants... Ce type de processus progressifs permettant d'initier un "cycle un récompenses" est un mécanisme courant puisqu'ils sont notamment utilisés dans le cadre des jeux d'argent par les casinos. On murmure par exemple que les machines à sous de Las Vegas (la "ville du jeu" du Nevada aux EtatsUnis) offrent des gains variables selon leur localisation. Les machines à sous des aéroports (que les visiteurs croisent en premier lieu dès leur arrivée) abandonneraient des gains plus élevés et plus fréquemment que celles situées au coeur des villes (utilisées par les joueurs déjà appâtés). Mythe ou réalité, on retrouve ici la logique voulant les premiers pas doivent être simples pour capter le joueur novice et se compliquer progressivement pour le garder. Cette même logique appliquée aux MMORPG incite le joueur à rester connecté. Encouragé par des victoires faciles au début du jeu (permettant aussi d'apprendre à mieux maîtriser le "gameplay"), le joueur est incité à poursuivre son aventure auprès d'autres joueurs. Au même titre que l'avatar est un objet de reconnaissance pour le joueur qui le contrôle, il est aussi le lien avec une communauté, troisième objet d'attraction des MMORPG. Un jeu vidéo solo, voire un livre ou un film peuvent aisément plonger le joueur, lecteur ou spectateur dans un monde imaginaire attractif. En plus de ce facteur immersif, un MMORPG permet de partager cet univers avec des milliers d'autres intervenants, ayant généralement les mêmes centres d'intérêts et avec lesquels il est facile d'interagir. Les MMORPG sont en effet un théâtre propice à la formation de communautés au sein desquels il est aisé de s'intégrer et de s'investir. Par définition, un jeux massivement multi-joueurs confrontent de nombreux individus, intègrent des moyens de communications très complets (écrits ou vocaux, subdivisé en canaux de discussions) et encouragent les joueurs à se rencontrer pour collaborer. Inspirés des principes des jeux de rôles, les MMORPG reposent en effet souvent sur la complémentarité des compétences. Dans la plupart des MMORPG, les joueurs progresseront généralement bien plus vite en jouant en groupe qu'en restant isolés. Certaines activités imposent même l'action d'un grand nombre de joueurs pour être réalisées (les raids ou encore l'artisanat à haut niveau supposant la collecte de ressources très diverses pour réaliser des objets rares). On comprend dès lors la place que peut prendre une communauté, voire des "amis virtuels" (regroupés dans une "liste d'amis" pour faciliter plus encore les contacts) qui encouragent à rester connecté. Il n'est pas rare de croiser des joueurs incarnant des personnages ayant atteint le niveau maximum et connaissant déjà les moindres arcanes du jeu... le jeu lui-même n'est plus réellement attractif, mais le joueur continue de s'y connecter (et de payer son abonnement) pour rester en contact avec les connaissances qu'il s'y ait faites. Ces critères constituent autant de facteurs susceptibles d'expliquer l'engouement pour les MMORPG, leur caractère attractif sur les joueurs, voire la source d'une certaine addiction. Mais audelà de cette considération purement "attractive" permettant de prendre plaisir à jouer, que ce soit via la satisfaction de progresser ou par le contact avec les autres joueurs, les jeux en ligne sont aussi source de compétitions. Ils constituent des challenges et défis que les joueurs sont encouragés à relever. 2.2. Les MMORPG comme challenge La plupart des MMORPG se classent sans doute parmi les jeux compétitifs. Que ce soit à l'égard des développeurs ou un GM prenant un malin plaisir à dresser toujours plus d'obstacles sur la route du joueur ou contre d'autres joueurs, la compétition est la base d'une grande majorité de jeux en ligne. On l'a vu, pour faire progresser son personnage, le joueur devra réussir des "actions". Il devra réussir à vaincre des créatures hostiles toujours plus puissantes, réussir des missions plus ou moins complexes, explorer des contrées toujours plus éloignées, etc. A des degrés divers, chaque combat mené est un défi au cours duquel le joueur met sa progression en jeu (l'objet même de la plupart des MMORPG, nous l'avons vu). Tous les joueurs ont mémoire de la frustration, voire de l'excès de colère ressenti après la mort de leur personnage et du malus qui l'accompagne (perte de points d'expérience, d'objets ou d'or qu'il faudra gagner à nouveau). Mais à l'inverse, ces mêmes joueurs connaissent tous l'excitation et le contentement de la victoire. Ces sentiments sont d'autant plus exacerbés dans le cadre d'un MMORPG intégrant du PvP, c'est-àdire des phases de combat opposant le joueur à d'autres joueurs (et non à des créatures contrôlées par l'ordinateur). La défaite ou la victoire est d'autant plus significative. En plus des expériences personnelles, les forums et groupes de discussion sont pleins de récits relatant les poussées d'adrénaline vécues lors des premiers raids PvP d'Ultima Online ou de batailles particulièrement épiques de Dark Age of Camelot pour la reconquête d'une relique sacrée... Et même au-delà des principes compétitifs des MMORPG, les jeux collaboratifs sont également source de défis et challenges. Lorsqu'un groupe explore un donjon "instancié" (c'est-à-dire accessible uniquement à un nombre limité de joueurs qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes sans espoir de soutien extérieur), voire même dans le cadre d'un raid contre un adversaire puissant (comme ce peut être le cas dans EverQuest, City of Heroes ou World of WarCraft), la lourde responsabilité qui incombe à chacun est nécessairement source d'une certaine excitation (dû au fait de participer à un événement qui semble hors du commun, voire exceptionnel), mêlée de peur (peur de mal faire, de faire échouer la mission du groupe par sa seule faute ou plus simplement de décevoir ses compagnons d'arme). Là encore, cette exitation ou ses poussées d'adrénaline ressenties lors de ces événements peuvent sans doute être considérées comme autant de sources d'attraction vers les MMORPG, susceptibles parfois de conduire à une forme d'addiction. D'autant plus que ces sentiments de satisfaction mêlés de peur constituent peut-être une prise de risque à rattacher aux comportements ordaliques précédemment évoqués. De prime abord, le simple fait de se connecter à un MMORPG ou de participer à un raid ne semble pas être particulièrement "risqué" pour le joueur... Mais à titre de comparaison, il en va de même pour les sports équestres ou nautiques que les assurances classent pourtant parmi les sports les plus dangereux. A l'inverse, la pratique du parachutisme ou du saut à l'élastique, dans l'inconscient collectif, est considérée comme une activité risquée, réservée aux adeptes des comportements ordaliques. Le risque est objectivement minime compte tenu du soin apporté à la sécurité, la poussée d'adrénaline qu'ils procurent est pourtant réelle. Il peut sans doute en être de même des expériences ressenties dans les jeux en ligne pour certains joueurs. Que ce soit par leurs aspects intrinsèquement (et volontairement) attractifs ou par les sensations exacerbées qu'ils engendrent chez les joueurs, les MMORPG semblent pouvoir être considérés comme l'objet de pratiques addictives et entraîner la dépendance des joueurs. Mais force est aussi de constater que l'addiction aux MMORPG ne touche qu'une infime minorité de joueurs. A en croire les statistiques, on dénombre plus d'une dizaine de millions de joueurs de MMORPG dans les pays industrialisés (et les chiffres, en hausse constante, augmentent encore mécaniquement lorsqu'on y inclue l'ensemble des jeux en ligne). Or, à ce jour, on ne totalise "que" quelques dizaines de milliers de joueurs "addicts" à travers le monde. La Corée, unanimement reconnue comme la "patrie du jeu vidéo", comptait en 2004 moins de 10 000 joueurs suivis médicalement pour addiction (8978 cas dénombrés en 2004, 7649 pour le premier semestre 2005). Faute de chiffres fiables et par extrapolation, sans doute pouvons nous en compter autant respectivement en Chine, aux Etats-Unis et en Europe (à ce jour, la France compte deux cas déclarés de joueurs internés spécifiquement du fait de leur dépendance aux jeux en ligne). Même en intégrant les joueurs dépendants mais non suivis médicalement (par définition impossible à quantifier), malgré leurs contenus manifestement attractifs (et forcément développés pour être attractifs), si les MMORPG étaient intrinsèquement "addictifs", la proportion de joueurs touchés d'addiction et dépendants du jeu en ligne devrait être infiniment plus élevée. Or, même si ce nombre est en augmentation (au même rythme que l'augmentation du nombre global de joueurs), objectivement, l'addiction ne semble frapper qu'une infime minorité des joueurs. Dès lors que l'addiction aux MMORPG est reconnue comme une réalité que l'on ne peut nier mais que seuls certains joueurs en sont affectés, ce constat impose que l'on s'interroge sur le profil spécifique des joueurs frappés d'addiction. Mesures de lutte contre l'addiction par les éditeurs Au-delà du nombre de joueurs frappés d'addiction, les éditeurs de MMORPG se sont saisis du problème contraint ou volontairement afin de proposer des solutions (plus ou moins) efficaces. A titre d'exemple, le gameplay de World of WarCraft (six millions d'abonnés à travers le monde, début 2006) intègre des mesures incitant les joueurs à limiter la durée de leurs phases de jeu. Un joueur resté déconnecté pendant au moins huit heures consécutives bénéficie ensuite d'un bonus de progression de 200% quand il se reconnecte. Le joueur qui reste connecté de longues périodes ne progresse donc pas plus rapidement que celui jouant avec modération. Pour aller plus loin, Blizzard (le développeur de World of WarCraft) propose un logiciel de contrôle parental en libre téléchargement permettant de paramétrer les durées de jeu autorisées (le logiciel fixe les heures quotidiennes ou hebdomadaires de jeu). Hors des horaires autorisés, la connexion au serveur est refusée. Par ailleurs, afin de lutter contre l'addiction des joueurs chinois, le gouvernement de la République Populaire avait envisagé un temps d'imposer des limites de temps de jeu (il aurait été légalement impossible de jouer plus de trois heures consécutives). Il semblerait que cette mesure n'ait pas été mise en oeuvre suite aux réactions des joueurs (il suffisait d'acquérir plusieurs comptes et les utiliser successivement pour la contourner). 3. Un profil de joueurs de MMO "addicts" ? Nous l'avons vu, d'après les canons de la psychologie, l'addiction est la résultante d'une carence et d'un mal-être réel, comblés par l'objet de l'addiction (plus ou moins efficacement - une "solution" trouvant sa source dans une addiction est forcément illusoire et ne règle en rien le problème réel). Nous avons vu également que par le contenu merveilleux ou onirique, les MMORPG constituent un moyen d'évasion. Pour certains joueurs, les MMO représentent aussi un moyen d'échapper à la réalité. C'est-à-dire, un espace ludique et de communication (permettant de rester en contact avec une certaine "société" – la pratique des MMORPG peut incontestablement être une activité socialisante), mais parfaitement sécurisé donnant l'illusion d'un total contrôle. Par définition (et par nécessités techniques, que l'on s'attache aux jeux vidéo solo ou aux MMOG), les mondes virtuels sont des espaces clos, soumis à des règles prédéfinies et connues par le joueurs (le "gameplay"). Le joueur a l'assurance de n'être confronté qu'à des "surprises" extrêmement balisées, entrant dans un cadre de strict. Nous avons indiqué précédemment que les jeux en ligne offraient un challenge aux joueurs. Force est de constater ici que ces défis restent toujours sous le contrôle du joueur. Avant de se lancer à l'assaut d'un adversaire, il en vérifiera la puissance (précisée très clairement par un code couleur). Dans Dark Age of Camelot, par exemple (mais cette classification est maintenant la norme dans la plupart des MMORPG), un adversaire "orange", "rouge" voire "violet" opposera une certaine résistance, alors que l'issue d'un combat contre un ennemi "gris", "vert" ou "bleu" ne fait presque aucun doute et verra la victoire du joueur. Le "risque" est calculé et sous contrôle. Il en va de même dans les rapports humains. Les amitiés ou amours réels supposent des efforts, voire une certaine attention. Les jeux en ligne sont tout autant générateurs de rapports humains (les cas de mariages entre joueurs s'étant rencontrés dans un MMORPG sont largement relayés), mais là encore sous contrôle. Pour trouver l'âme soeur dans un monde virtuel, il suffit de cliquer un bouton pour se déclarer aux yeux de tous "à la recherche d'un groupe" (à la recherche de contacts). De même, les "amis" sont tous à disposition du joueur, regroupés dans une liste dédiée, signalés dès qu'ils se connectent, etc. Pour aller plus loin, la puissance, le prestige d'un "personnage" et la renommée dont il peut jouir sur un serveur sont relativement aisés à obtenir dans un jeu en ligne (généralement fonction du temps que le joueur est prêt à consacrer à sa "vie virtuelle"). Et consciemment ou non, cette reconnaissance de quelques centaines ou milliers de joueurs peut entraîner une satisfaction certaine. Sans sombrer dans les clichés, une "vie virtuelle" peut offrir l'illusion de certaines facilités au regard du quotidien du réel. Face à certaines angoisses que la réalité peut engendrer sur certains sujets, un monde virtuel peut se révéler parfaitement sécurisant, confortable intellectuellement et prendre la forme d'un "lieu" où se réfugier et se protéger de la réalité. On comprend dès lors que ce déficit de confiance en soi dans la réalité, soit comblé "virtuellement" dans un monde en ligne. De même, le manque d'excitation face à la routine du réel ou le manque de considération dans la réalité (manque de considération de son employeur, de la part de proches, etc. – ces exemples sont cités régulièrement par les joueurs reconnaissant leur attrait pour les MMORPG notamment dans les études statistiques menées par Nick Yee auprès des joueurs d'EverQuest) peuvent constituer des frustrations et carences qui pourront être comblées en prenant la tête d'une guilde au sein d'un univers virtuel ou en tirant une certaine fierté à devenir le premier artisan légendaire de son serveur ou le vainqueur reconnu du gardien d'un donjon réputé. Dans son article "Addiction au virtuel", Michael Stora (psychanalyste et psychologue clinicien pour enfants) fait référence à un adolescent joueur compulsif d'Anarchy Online refusant l'autorité de ses parents (mais qui accepte de se soumettre aux principes hiérarchiques de sa guilde). Addiction au virtuel, Michael Stora « En effet, La hiérarchie, propre aux fonctionnements de la guilde, est présente par le sentiment d’obligation et d’allégeance que le joueur se doit d’avoir vis à vis des autres, ses semblables. Thierry refusant d’avoir des obligations vis à vis de ses parents, accepte en revanche d’être présent à 23H30 pour rejoindre sa guilde, car une attaque surprise est prévue. A la différence des exigences de ses parents, qu’il ne considère pas comme devant impérativement être remplies, sa présence est indispensable au près de sa guilde pour mener à bien l’attaque. Ainsi on peut poser l’hypothèse qu’il s’agit là d’enjeux narcissiques phalliques, en lien avec l’idéal du Moi : « ma présence est indispensable pour sauver le monde », et non d’une exigence exogène surmoïque, signe à nouveau de son incomplétude. » Plus largement, le simple fait de ressentir son utilité au sein d'un groupe, même virtuel, est sans conteste valorisant. On peut dès lors comprendre l'attrait qui existe à jouer une classe de personnage dévolue au soin de ses compagnons d'arme (par principe, un "soigneur" combat mal et se défend peu... mais est indispensable au sein d'un groupe car il soigne et ressuscite ses congénères et est à ce titre protégé, parfois au péril de la vie - virtuelle - des autres joueurs). Cette combinaison associant une frustration née dans la vie réelle à laquelle répond une satisfaction à un manque (conscient ou non) est le moteur de l'addiction et de la dépendance à l'objet de l'addiction. Au regard de l'ensemble de ces critères, il semble censé d'estimer que les MMORPG sont conçus pour être attractifs, pour attirer les joueurs et les captiver au sein d'un monde virtuel. Néanmoins, il apparaît que les phénomènes d'addiction tels qu'ils sont définis par la psychologie moderne ne touchent qu'une portion de joueurs prédisposés à la dépendance compte tenu de leur bagage personnel. C'est notamment la raison pour laquelle les individus dépendants (au jeu pathologique, par exemple) sont aussi sujet à d'autres addictions (l'alcool, des psychotropes ou autres). L'addiction psychologique (dont l'objet peut être les MMORPG, les jeux d'argents, le travail, le sexe, la nourriture et bien d'autres comportements) semble être le symptôme d'une pathologie plus profonde, et non intrinsèquement un "mal" susceptible d'être traité médicalement, directement. Il apparaît que dans la plupart des cas d'addiction aux MMORPG, le jeu n'est que le déclencheur d'une fragilité préexistante (pression de parents ou proche, pression scolaire ou professionnelle) et une fuite de la réalité. Même s'il est impossible d'apporter une réponse générale et applicable à l'ensemble des cas de dépendances aux MMORPG, en cas d'addiction identifiée (c'est-à-dire dès lors qu'il devient impossible de contrôler ses phases de jeu, que les déconnexions deviennent une souffrance ou que le jeu devient obsessionnel et envahissant, au détriment d'autres activités), la plupart des psychologues conseillent de consulter un spécialiste. Dans un contexte de jeu pathologique, il pourra être utile de travailler à identifier la source du mal être ayant conduit à l'addiction afin de surmonter des blocages souvent anciens. Le meilleur moyen d'apprécier un jeu consiste sans doute à le considérer à sa juste place, c'est-à-dire celle d'un loisir prenant place aux côtés de dizaines d'autres.