Inflexibilité du droit russe de la famille : exclusion

Transcription

Inflexibilité du droit russe de la famille : exclusion
du Greffier de la Cour
CEDH 247 (2015)
16.07.2015
Inflexibilité du droit russe de la famille : exclusion complète et automatique
d’un père non biologique de la vie de son enfant après qu’il eut été reconnu
qu’il n’en était pas le géniteur
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Nazarenko c. Russie (requête no 39438/13),
la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
Violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne
des droits de l’homme.
Après qu’il eut été révélé que le requérant n’était pas le père biologique de sa fille, il perdit la qualité
juridique de père de l’enfant et fut exclu de sa vie.
La Cour conclut en particulier que les autorités ont manqué à ménager une possibilité de maintenir
les liens familiaux entre le requérant et l’enfant, qui avaient développé un lien affectif étroit pendant
de nombreuses années et qui croyaient être père et fille. En excluant complètement et
automatiquement le requérant de la vie de l’enfant après avoir constaté qu’il n’en était pas le père,
sans tenir compte de l’intérêt supérieur de cet enfant (du fait de l’inflexibilité du droit interne qui
prévoit que seuls les membres de la famille unis par les liens du sang peuvent demeurer en contact),
les juges ont manqué à respecter la vie familiale du requérant.
La Cour considère que les autorités nationales devraient être tenues d’examiner au cas par cas la
question de savoir s’il est dans l’intérêt supérieur d’un enfant de demeurer en contact avec une
personne donnée, que celle-ci soit ou non liée à lui biologiquement.
Principaux faits
Le requérant, Anatoliy Nazarenko, est un ressortissant russe né en 1965 et résidant à Ulan-Ude
(République de Bouriatie, Russie).
Alors qu’il était marié, sa femme eut une fille, A., née en 2007. Le couple divorça en 2010 et les
autorités d’assistance à l’enfance attribuèrent aux deux parents la garde alternée de A. Il s’ensuivit
une procédure judiciaire dans laquelle les deux parties sollicitaient la garde exclusive de l’enfant. À
partir de mars 2011, malgré l’existence de décisions de justice ordonnant que A. réside chez sa
mère, M. Nazarenko refusa de la rendre à son ex-femme, soupçonnant le nouveau partenaire de
celle-ci de maltraiter l’enfant. Au bout d’un an, la mère enleva A. Depuis lors, elle empêche
M. Nazarenko de la voir. La procédure pénale relative à des maltraitances et abus sexuels supposés
de la part du beau-père de A. sur l’enfant fut close en avril 2013 pour manque de preuves.
Entre-temps, la mère contesta la paternité de M. Nazarenko et, en juillet 2012, il fut établi qu’il
n’était pas le père biologique de l’enfant. Ainsi, en septembre 2012, le tribunal du district
Oktyabrskiy déclara que M. Nazarenko n’était juridiquement pas le père de A. Cette décision fut
confirmée en appel par la Cour suprême en février 2013. En conséquence, M. Nazarenko perdit tous
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois
mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En
pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de
l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des
renseignements
supplémentaires
sur
le
processus
d’exécution
sont
consultables
à
l’adresse
suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
ses droits parentaux, y compris celui de demeurer en contact avec A. De plus, son nom fut retiré du
certificat de naissance de l’enfant et le nom de famille de celle-ci dut être changé.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), le requérant se plaignait de ne
plus être considéré comme le père de A. et d’être en conséquence privé de tout contact avec sa fille
ainsi que de la capacité de défendre en justice les intérêts de l’enfant. Sur le terrain de l’article 6 § 1
(droit à un procès équitable / accès à un tribunal) et de l’article 13 (droit à un recours effectif), il se
plaignait aussi, en particulier, de ne pas avoir été informé de l’audience d’appel tenue en février
2013 dans son affaire.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 15 mai 2013.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Isabelle Berro (Monaco), présidente,
Elisabeth Steiner (Autriche),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Mirjana Lazarova Trajkovska (« Ex-République Yougoslave de Macédoine »),
Julia Laffranque (Estonie),
Ksenija Turković (Croatie),
Dmitry Dedov (Russie),
ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.
Décision de la Cour
Article 8 (droit au respect de la vie familiale)
En l’espèce, l’enfant est née alors que le requérant était marié et elle a été inscrite sur les registres
de l’état civil comme sa fille. Il a pris soin d’elle pendant cinq ans et il a développé avec elle un lien
affectif étroit, l’un et l’autre croyant être père et fille. La Cour conclut donc que, malgré l’absence de
lien biologique, la relation entre le requérant et l’enfant était constitutive d’une vie familiale. À cet
égard, elle confirme que l’absence de liens biologiques avec un enfant n’implique pas l’absence de
vie familiale aux fins de l’article 8 de la Convention ; il s’agit essentiellement de savoir s’il existait en
pratique des liens personnels étroits entre les intéressés.
Examinant la question de savoir s’il y a eu atteinte au droit du requérant au respect de sa vie
familiale, la Cour exprime sa préoccupation à l’égard de l’inflexibilité du droit interne. Celui-ci, plus
précisément le code de la famille, ne prévoit aucune exception qui aurait permis à M. Nazarenko de
maintenir une forme quelconque de relations avec l’enfant bien qu’il n’eût pas de liens biologiques
avec elle. Notamment, le code de la famille dispose que seuls les parents, les grands-parents, les
frères, les sœurs et les autres membres de la famille peuvent demeurer en contact. Ainsi, les
personnes qui, comme M. Nazarenko, ne sont pas liées biologiquement à un enfant mais en ont pris
soin pendant longtemps et ont noué une relation personnelle étroite avec lui ne peuvent obtenir de
droit de visite, et ce indépendamment de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les circonstances de
l’espèce, intérêt dont il n’est nullement tenu compte.
La Cour considère que les autorités nationales devraient être tenues d’examiner au cas par cas la
question de savoir s’il est dans l’intérêt supérieur d’un enfant de demeurer en contact avec une
personne qui a pris soin de lui pendant relativement longtemps, qu’il soit ou non lié biologiquement
à cette personne.
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Au vu des faits de l’affaire de M. Nazarenko, la Cour conclut que les autorités ont manqué à ménager
une possibilité de maintenir les liens familiaux entre lui et A., et qu’en l’excluant complètement et
automatiquement de la vie de l’enfant après avoir déclaré qu’il n’en était juridiquement pas le père,
sans pouvoir tenir compte de l’intérêt supérieur de cet enfant (du fait de l’inflexibilité du droit
interne), elles ont manqué à respecter sa vie familiale, en violation de l’article 8.
Autres articles
Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 8, la Cour
considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les griefs que le requérant tire de
l’article 6 § 1 et de l’article 13.
Article 41 (satisfaction équitable)
Le requérant n’ayant pas présenté de demande de satisfaction équitable, la Cour ne lui octroie
aucune somme à ce titre.
L’arrêt n’existe qu’en anglais.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la
Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du
Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950.
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