Entretien avec Lama Namgyal

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Entretien avec Lama Namgyal
Entretien avec Lama Namgyal∗
Maître Spirituel
Dans le bouddhisme, il est fait mention de deux niveaux de vérité – la vérité relative et la
vérité ultime des phénomènes.
La première vérité est fondée sur la connaissance relative avec toutes les notions
dualistes telles que le bien ou mal, pur ou impur, masculin ou féminin, juste ou injuste…
Cette vérité est impermanente car elle change suivant le mode de pensées des êtres, les
lieux ou les époques où ils vivent.
En ce qui concerne la vérité ultime, elle est au-delà de toute dualité sujet ou objet, espace
ou temps et par conséquent est immuable.
Il existe un chemin spirituel qui conduit de la vérité relative à la vérité ultime, qui est
appelé le Dharma. C’est le moyen qui permet de passer de l’état d’ignorance
fondamentale à l’état de sagesse absolue.
Vous êtes actuellement moine d’une congrégation bouddhiste, quelle a été votre
recherche spirituelle auparavant, votre questionnement personnel avant de faire ce
choix ?
Actuellement, la plupart des êtres ne savent pas qui ils sont réellement et ce qu’ils ont à faire
sur terre. Il n’y a pas vraiment de réponses aux questions essentielles, telles que de savoir ce
qu’il y a avant la naissance, ou bien ce qui se passe au moment de la mort.
C’est dans le but de rechercher le sens de l’existence, de soi-même et de tous les phénomènes
de l’univers, que l’on s’engage sur un chemin spirituel quel qu’il soit.
Le fait d’entrer dans une congrégation monastique n’est pas réellement un choix, mais le
résultat d’une réflexion intérieure.
Le Bouddha et le Christ n’étaient-ils pas des moines eux-mêmes ? Concernant les vœux, ils
sont à peu près identiques dans les deux religions de ces grands Maîtres.
Comment devient-on lama ? Quels sont les engagements ?
Dans la tradition du Bouddhisme tibétain, il est nécessaire d’effectuer une ou deux retraites
spirituelles de trois ans, trois mois et trois jours pour avoir la fonction de lama.
Un lama est une personne, homme ou femme, qui peut dispenser l’enseignement : le Dharma.
Bien que la plupart des Lamas soient des moines ou des moniales, il est aussi possible
d’accéder à cet état pour des personnes laïques.
En ce qui me concerne, j’ai effectué 10 années de retraite spirituelle.
Que signifie votre nom ?
Mon nom signifie : « Victorieux » (de l’enseignement)
A quelle expérience correspond « l’Illumination » dans le bouddhisme ?
∗
Premier moine bouddhiste ordonné en Occident. Vie et enseignement d'un moine bouddhiste occidental, publié
aux Presses de la Renaissance, retranscrit les propos de Lama Namgyal recueillis par Dominique Lormier,
historien spécialiste des religions.
Ce qu’il y a à atteindre, c’est la connaissance du sens de l’existence, à travers la sagesse
omnisciente, et de développer un amour et une compassion embrassant toutes les créatures de
l’univers.
Cette réalisation de la sagesse et de l’amour-compassion est l’état d’éveil ou d’illumination.
Quelles sont les pratiques (méditations, visualisation de mandalas, mantras…) du
bouddhisme tibétain qui permettent l’évolution spirituelle ? Quelles en sont les
fonctions ?
Il existe une multitude de pratiques dans le bouddhisme. Au sujet de la méditation, il faut tout
d’abord établir la pacification du mental. Ensuite, il est important de développer une
conscience claire de la réalité des phénomènes, extérieurs ou intérieurs à l’esprit.
Toutes les techniques de méditations, avec ou sans support, ont pour but de réaliser la nature
essentielle de l’esprit qui est au-delà de toute confusion et ignorance. C’est uniquement dans
le silence intérieur que l’on peut développer cette dimension de sagesse et d’ouverture
altruiste. Mais, il est nécessaire de recevoir les instructions d’un guide spirituel qualifié afin
d’éviter tout obstacle sur la voie spirituelle. Dès que l’on a reçu les initiations et les
enseignements d’un lama, on doit les mettre en pratique afin de les actualiser en soi-même.
Quelles sont les qualités intérieures à développer en soi ?
Il y a de nombreuses qualités à développer en soi et principalement les quatre qualités
infinies que sont l’amour, la compassion, la joie et l’équanimité.
L’amour infini, c’est souhaiter que tout les êtres soient heureux et créer toutes les causes et
conditions pour le bonheur d’autrui.
La compassion infinie, c’est souhaiter que tous les êtres ne soient plus malheureux, et créer
toutes les causes et conditions afin d’éliminer la souffrance d’autrui.
La joie infinie, c’est souhaiter constamment que les êtres soient toujours heureux et plus
jamais malheureux.
L’équanimité infinie, c’est développer toutes les qualités sans aucune discrimination quelles
qu’elles soient (raciale, religieuse, nationale, sexuelle ou autre)
Peut-on suivre l’enseignement bouddhiste en étant chrétien ?
Etant donné que le bouddhisme est la voie de la tolérance, de la non-violence et de l’antisectarisme, tout le monde peut le pratiquer sans aucune distinction. Je connais
personnellement quelques moines et prêtres chrétiens qui sont initiés au Yoga et au Zen. Bien
que n’appartenant pas à leur religion, je me situe souvent proche de toutes. A mon sens, la
nature du Bouddha et celle du Christ sont essentiellement indifférenciées.
Le bouddhisme comme le christianisme enseignent l’amour et la compassion. En quoi
l’enseignement et la vision du monde sont-ils différents ?
Dans les religions monothéistes ou polythéistes, on considère qu’il y a un Dieu créateur et
des créatures qui tendent vers lui.
Dans le bouddhisme, il n’y a pas cette dualité. Lorsque l’on atteint l’état d’Eveil ou de
Bouddha, on devient « un » avec la réalité ultime, quel que soit le nom qu’on lui donne, qui
est au-delà des concepts d’ego et de non-ego. Tous les êtres participent du divin, qui est
intrinsèquement en chacun d’entre nous.
Quel message personnel donneriez-vous en conclusion ?
Eh bien, je voudrais seulement citer une phrase du Dalaï Lama qui dit : « Avant de faire la
paix dans le monde, il faut d’abord faire la paix en son propre esprit ».
Le chemin spirituel
par Lama Namgyal
Maitre spirituel
Dans le bouddhisme on distingue deux voies principales : le Petit véhicule : Hinayana,
et le Grand véhicule : Mahayana.
Le petit véhicule : Hinayana
Cette voie se réfère principalement à deux aspects que sont l’observance d’une pure conduite
éthique qui a pour fondement de ne pas nuire à autrui et la compréhension de l’absence de
réalité de la saisie égoïste ou de l’ego.
Cette voie mène à l’apaisement de toutes les émotions conflictuelles. L’état de réalisation
obtenu est celui d’Arahat, c'est-à-dire celui qui a vaincu toutes ses passions négatives. C’est
un certain niveau de libération, mais pas encore celui de l’éveil ultime.
L’enseignement de base est celui sur les Quatre Nobles Vérités.
- La vérité de la souffrance, principalement la souffrance causée par tous les phénomènes,
qu’ils soient extérieurs ou intérieurs à l’esprit.
- La vérité de l’origine de la souffrance que sont toutes les émotions ou tendances
négatives. Particulièrement les cinq poisons que sont la colère-aversion, le désir-attachement,
l’orgueil, la jalousie et l’ignorance fondamentale. C’est à cause de ceux-ci que nous créons
des actes à travers notre corps, notre parole et notre esprit qui engendrent le Karma.
- La vérité de la cessation de la souffrance comme reconnaissance de l’absence de réalité
de toutes ces passions, ou tendances, au niveau ultime. La réalisation de la non-existence de
l’ego a pour effet la cessation des actes Karmiques.
- La vérité du chemin qui mène à la cessation de la souffrance. C’est la pratique du chemin
spirituel qui permet de purifier tous les voiles de l’esprit.
Dans cette voie, il est aussi recommandé de suivre le chemin Octuple, c'est-à-dire à huit
branches : la vue juste, l’intention juste, la parole juste, la conduite juste, le moyen d’existence
juste, l’effort juste, la vigilance juste, la méditation juste.
En résumé, ce chemin octuple est inclus dans les dix actes négatifs et les dix actes positifs.
Les dix actes nuisibles :
- Oter la vie consciemment à quelque être que ce soit, même s’il s’agit d’une petite créature
car quand il s’agit de la vie, il n’y a ni grand ni petit. Il est très négatif de tuer les êtres, en
faisant la guerre par exemple, mais il est aussi nuisible de tuer les animaux uniquement pour
le plaisir, comme la chasse ou la pêche.
- Prendre directement ou indirectement le bien d’autrui lorsqu’il ne nous a pas été donné ou
proposé. C’est le fait de voler les possessions ou les propriétés des autres, quelle que soit la
grandeur ou l’importance de la chose appropriée.
- Avoir une conduite sexuelle incorrecte. Par exemple avec un(e) partenaire inapproprié(e),
à un moment ou en un lieu qui ne convient pas.
- Tromper les êtres avec nos paroles, le fait de mentir ou de falsifier la vérité.
- Créer la discorde entre les êtres, mais aussi entre les groupes, les races, les nations…
- Calomnier, ou médire en exposant formellement les fautes des autres ou en essayant de
dévoiler les défauts de quelqu’un.
- Bavarder inutilement dans le sens de s’engager dans des discussions qui ne servent à rien.
- Convoiter les possessions, la position sociale, le succès d’autrui,… sous l’effet de la
jalousie.
- Avoir de la malveillance envers les êtres, et être mécontent de leur bonheur, ou de leur
bonne fortune.
- Entretenir des vues fausses par rapport aux vérités énoncées par les grands Maîtres
réalisés.
Les dix actes bénéfiques :
- Sauver la vie des êtres humains ou des animaux.
- Pratiquer la générosité matérielle telle que donner de la nourriture, des vêtements, ou des
biens matériels…
- Préserver une conduite éthique pure comme par exemple la fidélité conjugale.
- Dire la vérité sans détournement.
- Créer de l’harmonie ou la paix entre les êtres.
- User de paroles bénéfiques et agréables.
- Parler à bon escient discuter sur des sujets utiles.
- Le contentement de ce que l’on est et de ce que l’on a se réjouir également du bonheur
matériel ou spirituel d’autrui.
- Avoir uniquement de la bienveillance envers les êtres.
- Ne pas dénigrer les autres religions ou traditions et maintenir sa foi en la loi du Karma et
des renaissances par exemple.
Il y a un proverbe tibétain qui dit :
« Trouver des défauts chez autrui et des qualités chez soi, ceci est un très grand défaut.
Trouver des qualités chez autrui et des défauts chez soi, ceci est une très grande qualité »
En vérité il ne faut ni nuire à autrui, ni nuire à soi-même.
Le grand véhicule : Mahayana
Le Bouddha a enseigné le sens profond de la vacuité, qui est l’essence ultime de tous les
phénomènes. Bien qu’en vérité relative, tous les êtres expérimentent la loi des causes et effets
(Karma) et le cycle des vies successives, en vérité absolue, tous les phénomènes sont dénués
de réalité.
Dans cette voie du Grand Véhicule, le but n’est pas seulement d’atteindre la libération pour
soi-même, mais également pour autrui, afin de libérer tous les êtres de la souffrance du cycle
des existences (Samsara).
Le développement de l’esprit d’éveil – La Bodhicitta.
C’est le souhait d’atteindre l’état d’éveil, uniquement afin d’œuvrer pour le bien d’autrui.
On engendre, tout d’abord, l’aspiration à libérer tous les êtres de tous leurs tourments et de les
amener à la réalisation de l’état au-delà de la souffrance (Nirvana).
Il y a trois sortes d’aspiration sur le chemin de ceux qui développent l’esprit d’éveil, c'est-àdire les Bodhisattvas :
- La motivation semblable à celle du roi
- La motivation semblable à celle du passeur
- La motivation semblable à celle du berger
La première est celle qui consiste à vouloir atteindre l’état d’éveil d’abord afin de pouvoir
ensuite aider les êtres. C’est la motivation semblable au « roi » qui attend d’avoir la puissance
pour aider ses sujets.
La deuxième est de souhaiter accomplir son propre bien en même temps que celui des autres.
C’est la motivation semblable au « passeur » qui transporte les êtres d’une rive à l’autre avec
lui.
La troisième est de ne pas vouloir atteindre l’état d’éveil avant que tous les êtres infinis soient
libérés de toutes leurs souffrances. C’est la motivation semblable au « berger » qui ira
chercher sa dernière brebis perdue dans la montagne avant de rentrer chez lui.
La Bodhicitta de la pratique
La pratique de l’esprit d’éveil s’effectue au moyen des six perfections ou six paramitas :
- Le Don dans ses trois formes, la générosité matérielle qui est le fait de donner aux êtres ce
dont ils ont besoin comme de la nourriture, des vêtements, des abris, des médecines, des
territoires… Le don de protection qui est l’action de soigner ou de protéger les êtres qui sont
en difficultés physiques ou morales, les handicapés corporels ou mentaux, les enfants
malheureux, les personnes âgées ou persécutées… Le don de l’enseignement comme acte
d’enseigner le chemin spirituel à autrui afin d’éliminer les causes de la souffrance et
d’atteindre l’éveil ultime.
- La Conduite éthique dont on peut résumer tous les vœux de bonne conduite en cinq
préceptes que sont Ne pas tuer les êtres humains ou les animaux mais les protéger. Ne pas
voler ou s’approprier le bien d’autrui, mais pratiquer la générosité. Ne pas mentir ou tromper
les autres par la parole mais dire la vérité. Ne pas avoir d’inconduite sexuelle. Ne pas prendre
de drogues ou d’intoxicants, ni sombrer dans l’alcoolisme.
- La Patience vis-à-vis de l’hostilité d’autrui, il faut développer une attitude de tolérance et
de non violence. La compréhension de la souffrance du monde telle que la maladie, la
vieillesse, la mort… L’acceptation de la vérité de l’enseignement , par exemple sur le Karma
et la réincarnation.
- La Persévérance comme enthousiasme à pratiquer les actes de bien et les exercices
spirituels sans aucun découragement ou doute. C’est déjà établir une pratique quotidienne
d’une demi-heure ou une heure par jour, au minimum.
- La Méditation par deux processus de la pratique méditative, la pacification du mental : en
tibétain Shine et en sanscrit Samatha, La conscience claire : en tibétain Lhaktong et en
sanscrit Vipassana. Il faut principalement – Laisser son esprit en son état naturel de
simplicité, sans suivre l’agitation mentale, ni sombrer dans la torpeur ou la somnolence – La
concentration sur le va-et-vient du souffle qui permet de stabiliser le mental et de développer
les expériences de silence intérieur. Cette méthode est celle qui est également pratiquée par
les adeptes du Zen de la tradition japonaise.
- La Sagesse que sont les connaissances utiles au développement de l’humanité telles que la
médecine, l’astrologie, les sciences et les arts… La réalisation de la non-existence de l’ego ou
du soi, en l’individu. La réalisation de l’absence de réalité de tous les phénomènes extérieurs
ou intérieurs à l’esprit.