L`Amérique latine en 2013 - Etudes économiques du Crédit Agricole

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L`Amérique latine en 2013 - Etudes économiques du Crédit Agricole
Apériodique – n° 13/03 – Août 2013
L'Amérique latine en 2013
Amérique latine : quelles perspectives à moyen terme ?1
La croissance moyenne de l'Amérique latine a été de 4% depuis 2003, en nette progression par rapport aux
vingt-cinq ans précédents. Ce rythme est soutenable d'ici la fin de la décennie : les pays andins peuvent
continuer à croître entre 4,5% et 5,5%, l'Argentine et le Venezuela, après un ajustement certainement
douloureux, disposent des ressources pour maintenir une croissance élevée, et le Mexique devrait rebondir.
La plus forte incertitude porte sur le Brésil, qui peut tout aussi bien atteindre un rythme de croisière de 5%
comme s'étioler à 1,5%-2%.
 La performance globale de la région dépendra, en effet, largement de celle des deux géants, le Brésil et
le Mexique, qui représentent 62% du PIB régional, et qui pendant la dernière décennie ont enregistré une
croissance inférieure à celle du reste de l'Amérique latine.
 La contribution du facteur travail sera un peu moins favorable que pendant la dernière décennie. Il n'y a
cependant pas de contrainte sérieuse sur le travail, car une partie importante des actifs est sousemployée.
 L'épargne et l'investissement peuvent augmenter sensiblement dans la plupart des pays, pour autant que
la confiance des épargnants et des investisseurs soit préservée. Grâce à un environnement économique
plus stable et prévisible, cette confiance se renforce dans les grands pays du versant Pacifique (Chili,
Pérou, Colombie, Mexique) et en Uruguay. Un potentiel évident d'amélioration existe en Argentine et au
Venezuela. Reste le Brésil, pour lequel l'incertitude est forte, car la relance nécessaire de l'épargne et de
l'investissement y exigera une adaptation plus que marginale de la politique économique.
 La productivité peut progresser, à deux conditions :
-
D'une part, une amélioration significative du fonctionnement des secteurs éducatifs. Le problème
porte plus sur leur "management" (définition des priorités, formation des enseignants, évaluation des
performances…) que sur l'effort financier global. Pour l'heure, l'Amérique latine est loin des autres
pays émergents de niveau de revenu comparable (Turquie, Europe orientale, Asie du Sud-Est) ;
-
D'autre part, un rebond des secteurs industriels. L'industrie est le secteur où la "convergence" (avec
les pays avancés) de la productivité peut être la plus rapide, mais elle a partout perdu du poids dans
l'emploi, ce qui compromet le rattrapage au niveau macro-économique. Les pays disposant d'une
base industrielle (Brésil, Mexique, Argentine, Colombie, et dans une moindre mesure Chili, Pérou, et
même Venezuela) devront trouver les moyens (politique industrielle, fiscalité, politique de change…)
de relancer le secteur.
Par ailleurs, la région est loin d'être autonome : une crise prolongée dans les pays avancés ou un fort
ralentissement en Chine auraient pour elle un coût en termes de croissance. Enfin, la "bonanza" des
matières premières dont a bénéficié la région pendant les dix dernières années n'est pas extrapolable, ce
qui se traduira par un resserrement de la contrainte extérieure, mais aussi par des taux de change plus
favorables à l'industrie.
1
Cet article est une version très abrégée d'un travail réalisé pour l'Agence Française de Développement, à paraître début 2014 dans "Les
enjeux du développement en Amérique latine".
Études Économiques Groupe
http://etudes-economiques.credit-agricole.com
Jean-Louis Martin
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La croissance des économies latino-américaines a été de
4,0% en volume entre 2003 et 2012 contre respectivement
2,6% et 1,6% pendant les périodes 1990-2002 et 19801989. Le PIB par habitant a ainsi pu progresser de 2,8%
par an au cours des dix dernières années, alors qu’il
n’avait crû que de 1,0% par an entre 1990 et 2002, et
reculé de 0,5% par an pendant les années 80.
Croissance du PIB réel en Amérique latine
8
%
6
4
La ressource en travail n'est pas une
contrainte forte
Le facteur travail a participé de manière très significative à
l'accélération de la croissance dans la région, avec une
évolution démographique favorable et une augmentation du
taux d'activité (incluant une plus forte participation féminine
au marché du travail). Ce contexte va perdurer jusqu'à la fin
de la décennie, mais l'amélioration sera nettement plus
modeste que pendant les dix dernières années. Ce n'est
sans doute pas un obstacle insurmontable : la croissance
économique s'est accélérée depuis dix ans, alors que la
croissance de la ressource en travail ralentissait déjà.
Des perspectives démographiques favorables, mais
moins que par le passé
2
4
0
-2
-4
1980
1985
Source : FMI
1990
1995
croissance a/a
2000
2005
2010
croissance moyenne
2
Cette croissance est-elle soutenable ? Rodrik rappelle
que la "convergence" (i.e. le rattrapage des économies
développées par les moins avancées) est loin d'être
automatique. En Amérique latine, sur longue période, il y a
même eu divergence : le PIB par habitant de la région ne
représente (en parité de pouvoir d'achat, PPA) que 30%
du PIB moyen des pays développés, contre 45% en 1950.
Le retournement observé depuis 2004 est très loin de
compenser le recul relatif de la région pendant les
cinquante-cinq années précédentes. Dans le passé, les
périodes de rattrapage (fin des années 1950 et années
1970) ont été suivies par une dégradation très rapide, en
particulier dans les années 1980.
Selon les auteurs d'un Working Paper très récent du FMI3,
l'accélération de la croissance pendant la dernière
décennie est principalement due aux augmentations de la
force de travail en activité et du stock de capital, la
seconde résultant elle-même de celle (souvent modeste)
du taux d'investissement dans la plupart des pays. La
contribution de la productivité a été en général positive,
mais limitée. Leurs conclusions sont donc peu encourageantes : la force de travail employée et le stock de
capital vont continuer à augmenter, mais plus lentement,
et ils ne croient guère à la possibilité d'extrapoler les
progrès de productivité des dernières années. Cela les
conduit à anticiper, pour la période 2013-2017, une
croissance qui reviendrait autour de 3,25% pour la région.
2
3
Rodrik, D., "The Future of Economic Convergence", Harvard
University, 2011.
Sosa, S., Tsounta, E., et Kim, H.S., "Is the Growth
Momentum in Latin America Sustainable?", Working Paper
13/109, FMI, 2013. Les données concernent l’Amérique latine
(hors Argentine et Guatemala) et les Caraïbes.
N° 13/03 – Août 2013
Les taux de dépendance vont décroître d'ici 2020 dans
tous les pays de la région, à l'exception du Chili : selon
l'Organisation internationale du travail et le Programme des
Nations-unies pour le développement, le taux moyen dans
la région est aujourd'hui de 51%, et va revenir à 48,6% en
2020 ; le vieillissement de la population fera ensuite
lentement remonter le taux de dépendance. De ce point de
vue, l'Amérique latine sera, d'ici la fin de la décennie, dans
une situation optimale. Les ratios calculés par tranche d'âge
doivent aussi être corrigés en raison de la participation
croissante des femmes au marché du travail : celle-ci
implique que la contribution du facteur travail à la croissance économique est plus élevée que ne le fait apparaître
la seule évolution de la pyramide des âges.
Toutefois, cette contribution va se réduire : alors que la
population d'âge actif s'accroissait de 1,70% par an entre
2000 et 2010, elle n'augmente plus que de 1,26% par an au
cours de la présente décennie. De même, la participation
féminine au marché du travail va continuer à progresser,
mais plus lentement, et le surplus de croissance qu'elle
apporte à la population active ne va plus être que de 0,19%,
contre 0,46% pendant la décennie précédente.
La baisse des taux de chômage est une conséquence
de l'accélération de la croissance
Depuis dix ans, le taux de chômage a baissé dans tous les
grands pays latino-américains. L'évolution la plus nette est
observée au Brésil, où il est passé de 12% en 2002-2003 à
moins de 6% aujourd'hui. La baisse est également sensible
au Pérou, en Colombie, et au Chili.
La baisse du taux de chômage a contribué à la hausse de la
force de travail effectivement active et, donc, à la croissance
économique. Mais dans une région où le chômage et
surtout le sous-emploi sont élevés, il n'y a pas de rareté
quantitative du facteur travail. S'il y a eu réduction du taux
de chômage, c'est donc parce qu'il y a eu une accélération
de la croissance. De même, la forte hausse de la participation féminine au marché du travail s'explique d'abord
par des évolutions sociologiques dans la région, mais aussi
par la croissance, et en particulier celle des services. La
variable significative dans l'explication de l'accélération de la
croissance est donc plutôt l'évolution de la "ressource en
travail" disponible (i.e. en âge de travailler, après ajustement
pour cause de hausse du taux d'activité des femmes) que
celle de la population effectivement employée.
4
Ratio : population totale - population d'"âge actif" (de 15 et
64 ans)/population d'âge actif.
2
Jean-Louis Martin
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La nature, formelle ou informelle, des emplois, n'est par
ailleurs pas décisive. Si l'origine de l'informalité se trouve
dans la volonté de l'employeur d'éviter certains coûts
associés à la formalisation (cotisations sociales,
impôts…), elle ne modifie alors que la répartition de la
valeur ajoutée entre le travailleur, l'employeur et l'État, et
pas le niveau de cette valeur ajoutée. C'est probablement
la croissance économique qui fait la formalisation, et
assez peu la formalisation qui contribue à la croissance.
troubles, dévorés par un impôt arbitraire ou une confiscation, ou réduits à néant par une récession brutale
provoquée par l'éclatement d'une bulle ou l'apurement de
déséquilibres insupportables. Dans beaucoup de pays, les
progrès ont été réels depuis 1995. En fait, l'agrégat régional
est faussé par le poids du Brésil, dont les taux d'épargne et
d'investissement sont les plus bas (17,6% et 18,0% du PIB
sur la période 2003-2012) des grands pays de la région.
À moyen terme, une remontée du taux d'épargne de 3 à
5 points (ce qui conduirait la plupart des pays autour de
25% du PIB) est possible. Trois points paraissent
essentiels :
Le capital productif : des taux d’épargne et
d’investissement trop bas
L'Amérique latine se caractérise par des taux d'épargne et
d'investissement faibles, très en-deçà par exemple de
ceux de l'Asie à croissance rapide. Ils se sont cependant
améliorés dans certains pays, grâce au rétablissement de
la confiance des entreprises et des ménages. L'expérience d'autres parties du monde montre que des progrès
significatifs sont encore possibles. Les choix de politique
économique joueront ici un rôle décisif.

L'ordre public est un préalable, comme le montrent les
expériences péruvienne et colombienne ; il doit être
préservé, ou rétabli là où il est menacé ;

La confiance des épargnants et des investisseurs est le
principal déterminant ; elle se construit sur le long
terme, via l'amélioration de la gouvernance et de
l'environnement des entreprises ; on en est encore
loin : selon le rapport Latinobarometro 2011, seulement
35% des Latino-américains considèrent que leur pays
est gouverné "pour le bien de tous"5 ;

Au Brésil, les progrès seront plus ardus, car ils
exigeront des choix politiques difficiles6 (allégement de
l'administration, moindre interventionnisme de l'État); le
besoin de relancer l'épargne et l'investissement y est
pourtant particulièrement aigu.
Taux d'investissement et taux de croissance
%
% PIB
35
7
6
30
x
x
25
20
x
x
x
x
5
x
x
4
x
15
x
x
10
x
x
x
x
x
3
x
x
2
1
5
0
Am. latine M.-Orient Eur. centr. Asie S-E Afr. SS développés
1980-1989
1990-2002
2003-2012
x x x taux de croissance moyen (éch. dr.)
Source : FMI
0
Les taux d’épargne et d’investissement : une faiblesse
spécifiquement latino-américaine
L'épargnant latino-américain bénéficie ces dernières années d'un environnement plus favorable : l'inflation a
reculé presque partout (aux exceptions notables de
l'Argentine et du Venezuela), l'autonomie croissante des
Banques centrales a rétabli la cohérence de la structure
des taux d'intérêt et, peut-être surtout, la confiance des
agents économiques privés dans la soutenabilité des
politiques publiques s'est améliorée. Cette meilleure "prévisibilité" a contribué à stabiliser les anticipations, un
développement favorable à l'épargne et à l'investissement.
Les exemples péruvien et colombien illustrent le rôle d'un
autre aspect de l'environnement : les taux d'épargne y ont
fortement augmenté (à partir de 1994 au Pérou et de 2003
en Colombie) grâce à l'amélioration de la situation d'ordre
public (et, au Pérou, aux réformes introduites par Alberto
Fujimori).
L'épargne extérieure va aussi continuer à apporter une
capacité supplémentaire d'investissement. Pour les cinq
grands pays "ouverts" de la région (l'Argentine et le
Venezuela sont exclus), Les IDE ont représenté de 1,5%
(Mexique) à 4,2% du PIB (Pérou) entre 2003 et 2012. Avec
les investissements de portefeuille, on atteint un minimum
de 2,9% du PIB au Brésil, et jusqu'à 7% au Chili. Les
déficits courants (chroniques sauf au Venezuela) ont ainsi
été aisément financés7. La région va rester attractive, et les
principaux pays peuvent espérer d'ici la fin de la décennie
un apport d'épargne extérieure d'au moins 3 % du PIB, qui
viendra s'ajouter à l'épargne domestique.
Le contenu de l’investissement : biens d’équipement,
infrastructures, immobilier
Au Mexique, le taux d'investissement reste médiocre, malgré des progrès pendant la dernière décennie. En 2012, il
est ainsi de 20,7%, l’un des plus faibles de la région.
Toutefois, l'analyse de l'évolution de l'investissement depuis
dix ans fait apparaître une caractéristique originale : si
l'investissement total a progressé en volume de 46% depuis
2003, celui en construction résidentielle n'a augmenté que
de 8%, contre 85% pour les investissements en biens
d'équipement (hors matériel de transport). Or, l'impact de
l'investissement en biens d'équipement sur la croissance est
différent de celui de la construction résidentielle : il est
moins immédiat (en particulier si les équipements sont
importés), mais il accroît les capacités de production. Au
5
En Amérique latine, la "bonne gouvernance" est donc
avant tout la capacité à générer et à entretenir chez les
opérateurs économiques une certaine confiance en l'avenir : il s'agit de les convaincre que leur épargne ne sera
pas engloutie par l'inflation, et que les fruits de leurs
éventuels investissements ne seront pas détruits lors des
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6
7
Ce pourcentage est particulièrement faible en Amérique
centrale (Honduras : 7 %, Guatemala : 8 %, Costa Rica : 18 %)
et au Mexique (22 %). Latinobarometro est une ONG chilienne.
Les événements de juin 2013 pourraient toutefois accélérer le
processus.
Dans la plupart des cas, les seuls IDE excèdent le déficit
courant de la balance des paiements, avant même prise en
compte des investissements de portefeuille.
3
Jean-Louis Martin
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Mexique, l'effort d'investissement en biens d'équipement a
effectivement permis une évolution de l'appareil industriel
mexicain, avec par exemple un développement rapide de
la construction de matériel de transport, automobile (et
ses équipementiers) mais aussi ferroviaire et, plus
récemment, aéronautique.
niveaux de développement comparables en Asie ou en
Europe centrale et orientale. La qualification de la main
d'œuvre va donc être une contrainte à la croissance9.
Les besoins en investissement sont, par ailleurs, différents
d'un pays à l'autre. Si les insuffisances des infrastructures
sont générales en Amérique latine, c'est à des degrés très
variés : pour les transports, par exemple, beaucoup plus
au Brésil ou en Colombie qu'au Mexique ou en Uruguay.
Rodrik a clairement montré qu'il n'y a pas de convergence
automatique : un pays ayant initialement un bas niveau de
productivité n'est ni plus ni moins susceptible de la voir
augmenter qu'un pays ayant initialement une productivité
élevée11. Mais il remarque aussi que dans les pays
émergents, la dispersion de la productivité entre secteurs
est beaucoup plus forte que dans les pays riches. L'exemple
le plus évident et le plus lourd de conséquences de cette
dualité est bien sûr la Chine, où le transfert de centaines de
millions de paysans peu productifs vers l'industrie a été l’un
des facteurs majeurs de l'accélération de la croissance. En
Amérique latine, il n'existe pas de tels gisements de
productivité : à l'exception de l'Amérique centrale, la part de
l'agriculture dans l'emploi est déjà modeste (15,3% au
Brésil, 13,3% au Mexique, 17,7% en Colombie).
La productivité est l'enjeu majeur
Par définition, la croissance de la productivité est un
"résidu" : la part de la croissance du PIB qui ne s'explique
ni par l'évolution de la ressource en travail, ni par celle du
stock de capital. La mesure de son évolution passée est
donc très fragilisée par les incertitudes sur celles du PIB,
du travail et du capital. Mais il est possible d'identifier des
éléments qui pourraient contribuer à la faire progresser :
des systèmes éducatifs plus efficients, un effort de recherche et développement (R&D) et, surtout, une évolution de
la structure de l'activité vers des secteurs à plus forte
productivité.
L’éducation : des performances médiocres, sans
exception dans la région
L'illettrisme est en voie de disparition en Amérique latine
et dans les Caraïbes. Dans tous les grands pays, le taux
d'alphabétisation des adultes est supérieur à 90%, et
proche de 100% dans le cône sud, à Cuba, ou à Trinidad.
Partout, les performances du système éducatif sont
cependant très médiocres. Dans les tests Program for
International Student Assessment (PISA) de l'OCDE8, tous
les pays latino-américains sont loin du niveau moyen de
l'OCDE. À niveau de développement comparable, l'enseignement secondaire latino-américain est nettement moins
efficient que ceux de la plupart des pays émergents à forte
croissance. En outre, l'accès à l'enseignement supérieur
est souvent faible ou médiocre : 27% au Mexique, entre
35% et 40%au Brésil et dans les pays andins.
Il existe donc une marge de progression considérable, et
la productivité pourrait à moyen terme bénéficier de
manière significative de l'amélioration des systèmes éducatifs. Mais ces progrès exigeront parfois une augmentation des budgets (Uruguay, Pérou, Amérique centrale),
une révision des priorités et un plus grand souci de justice
sociale (Brésil, Chili) et, partout, une réorganisation en
profondeur du fonctionnement du secteur éducatif. Certains pays ont déjà pris des initiatives. Ainsi, le président
mexicain Enrique Peña Nieto a fait voter une ambitieuse
réforme du secteur, incluant un volet d'évaluation. Sa mise
en œuvre sera toutefois difficile, car elle a suscité une
forte hostilité du puissant syndicat des enseignants, qui
"cogère" le secteur depuis longtemps.
Les performances des systèmes éducatifs vont sans
doute lentement s'améliorer d'ici à 2020, et donc
contribuer à une progression de la productivité du travail,
mais elles resteront moins bonnes que celles des pays de
8
Ces tests évaluent les compétences en lecture, mathématiques et sciences d'élèves de quinze ans.
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L'industrie, le principal gisement d'amélioration de la
productivité
10
Mais Rodrik (ibid.) montre qu'à l'intérieur d'un secteur
industriel, il y a bien une "tendance automatique" de la
productivité à converger vers celle du même secteur dans
les pays les plus avancés. Pour prendre un exemple :
l'industrie mexicaine des pièces détachées automobiles se
rapproche, en termes de productivité et de capacité
d'innovation, de celle des États-Unis. On trouve aussi des
exemples dans l'agriculture, comme la production de fleurs
coupées en Colombie et en Équateur. L'explication est
simple : s'agissant de produits échangés internationalement,
un producteur trop loin des "standards" de productivité est
rapidement sorti du marché.
Le problème est que, comme l'écrit Rodrik, "les activités qui
sont bonnes pour absorber des technologies nouvelles ne
sont pas forcément bonnes pour absorber le travail". La
convergence intra-sectorielle (appelée "interne" par l’auteur)
ne se traduit pas nécessairement en convergence de la
productivité au niveau d'une économie, parce que le poids
des activités les plus productives dans l'emploi global peut
reculer (l'évolution "structurelle"). Et c'est bien le cas en
Amérique latine. À la différence de la Chine, où beaucoup
de paysans peu productifs ont été absorbés par un secteur
industriel où leur production était mieux valorisée (puisqu'en
grande partie exportée), les latino-américains quittant les
campagnes pour la ville se sont tant bien que mal intégrés
dans des services peu productifs, car souvent informels.
Partout, la part de l'industrie (le secteur le plus susceptible
d'une "convergence de productivité") dans l'emploi recule
très nettement pendant les années 1990.
9
10
11
On signalera aussi le très faible effort de R&D dans tous les
pays de la région, à l'exception du Brésil.
Rodrik, op. cit..
Easterly ("National Policies and Economic Growth: A
Reappraisal" in Aghion, P. et Durlauf, S.L., "Handbook of
Economic Growth", vol. 1A, Elsevier North-Holland, 2005) estimait aussi que cette convergence ne peut même pas être
"stimulée" à l'échelle d'un pays par des ajustements de la
politique économique : selon lui la corrélation entre la croissance et diverses variables de politique économique disparaît si
l'on ne prend pas en compte les observations correspondant à
des "politiques économiques extrêmement mauvaises" (par
exemple, avec un déficit budgétaire supérieur à 12% du PIB).
4
Jean-Louis Martin
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Quelles perspectives à l'horizon 2020 ? Concernant la
convergence "interne", il n'y a aucune raison d'imaginer
que les progrès vont s'interrompre; au contraire, certains
facteurs pourraient les soutenir. Ainsi, l’IDE dans les
secteurs industriels latino-américains devrait continuer à
progresser, et en partie se substituer à l'effort local
d'investissement en R&D : l'investisseur apporte aussi des
avancées technologiques. L'amélioration lente des
systèmes éducatifs aura également un impact positif. Des
progrès sont aussi possibles dans les secteurs agroindustriels, notamment en Colombie, en Argentine et au
Paraguay, comme cela a été le cas au Brésil. Enfin, la faible
productivité des services n'est pas générale. Certains sont à
forte valeur ajoutée, avec un réel potentiel de
développement : le tourisme (particulièrement au Mexique),
les services financiers (la région est globalement sousbancarisée), et certains services à la personne à forte
valeur ajoutée (par exemple, les services médicaux).
Encadré – Les ressources naturelles : une chance ou un malheur ?
La majorité des pays latino-américains sont de plus en plus dépendants des matières premières.
Partout, à l’exception de l’Amérique centrale, leur part dans le total des exportations a augmenté. Sur
l'ensemble de la région, elle est ainsi passée de 42% à 61% entre 2000 et 2010. Dans les pays plus
dépendants, cette part dépasse ou s'approche de 90% : Venezuela, mais aussi Chili, Pérou, Bolivie,
Équateur, Colombie. Il s'agit avant tout d'un effet prix : entre 2004 et 2011, l'indice des prix des matières
premières exportées par la région a augmenté de 128%. Les exportations ont beaucoup moins
progressé en volume, à quelques exceptions près.
Cette "bonanza" a eu un impact majeur sur les économies. Elle a d'abord considérablement desserré la
contrainte extérieure, qui était sauf exception (le Venezuela) forte. Ceci a contribué à faciliter l'accès
aux marchés financiers des États (mieux notés) et des entreprises, qui ont ainsi pu accroître leurs
investissements. Cette nouvelle aisance a aussi permis d'augmenter massivement les importations de
biens de consommation, ce qui a amélioré le niveau de vie. Mais cela a aussi contribué à
l'affaiblissement des industries locales, rarement en état de résister à la concurrence des pays avancés
ou de la Chine, d'autant que la progression des recettes d'exportations et l'afflux de capitaux ont provoqué une appréciation soutenue des devises sud-américaines, parfois (comme au Brésil) jusqu'à un
niveau à l'évidence insoutenable. Le risque de "maladie hollandaise" est donc patent : appréciation du
taux de change, attrition des secteurs productifs en dehors des activités rentières, vulnérabilité accrue à
la conjoncture mondiale… Certains pays, comme le Chili, ont assez bien réussi à maîtriser ces effets
négatifs. Mais la région compte aussi des cas avérés, voire terminaux (Venezuela), et d'autres pays
sont menacés : Colombie, Argentine, et bien sûr le Brésil.
Cette menace appartient toutefois peut-être au passé. Les prévisions des analystes pointent, en effet,
une probable baisse des prix des matières premières minérales (énergie et métaux) et agricoles à
l'horizon 2020. Au minimum, il est plus que probable que l'augmentation massive depuis dix ans des
prix des matières premières exportées par la région ne peut être extrapolée. Par ailleurs, les
perspectives d'accroissement significatif des volumes exportés sont limitées à quelques pays : au
Venezuela, où la production pétrolière peut être redressée, au Brésil, avec les gisements "pre-sal", et
en Argentine, au Brésil et sans doute en Colombie pour les produits agricoles. Les contraintes
financières (externes et budgétaires) vont se resserrer, mais le risque de "reprimarisation" des
économies latino-américaines va s'atténuer (le Venezuela constituant bien sûr une exception).
Les risques de dérapage
Des "accidents" pourraient cependant perturber le
scénario central. Les deux principaux éventuels facteurs
perturbateurs sont un ralentissement économique global
(et en particulier aux États-Unis et en Chine), et la
matérialisation du risque politique dans la région.
Le risque de ralentissement global : un double impact
sur la région
Une crise économique durable dans les pays développés
affecterait presque certainement les pays latinoaméricains. En 2009, le PIB régional a reculé de 1,5% en
volume, alors qu'il avait progressé en moyenne de 5,3%
par an pendant les cinq années précédentes.
Il est clair que si une telle crise devait être durable, le choc
serait cette fois plus violent en Amérique latine. Il n'y a pas
de "découplage" entre la conjoncture régionale et son
environnement global. La contagion d'une crise se ferait
N° 13/03 – Août 2013
par deux canaux. D’une part, via le commerce extérieur. Les
États-Unis restent de loin le principal client du Mexique, de
la Colombie et du Venezuela, et de tous les pays
d'Amérique centrale et des Caraïbes (sauf Cuba). Et la part
de la Chine dans les exportations latino-américaines a
augmenté partout depuis dix ans, dépassant 20% au Chili et
au Pérou, s'en approchant au Brésil. Une Chine qui ne
croitrait plus qu'à 5% ou moins réduirait fortement sa
consommation de matières premières dont les prix ne
manqueraient alors pas de chuter. D’autre part, via le "canal
financier" : un ralentissement durable dans les pays avancés se traduirait par une montée de l'aversion au risque
émergent. Les entrées d'investissements directs seraient
sans doute assez peu affectées, mais les investissements
de portefeuille et les crédits bancaires pourraient se tarir.
Une forte réduction ou un retournement de ces flux rendrait
plus difficile le financement des déficits des paiements
courants, qui tendraient, en outre, à se creuser en raison de
la chute des prix des matières premières exportées par la
région.
5
Jean-Louis Martin
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Dans la région, les conséquences seraient en général
négatives : resserrement de la contrainte extérieure suite
à la contraction du volume (moindre demande) et de la
valeur (chute des termes de l'échange) des exportations,
accès plus difficile aux capitaux et, in fine, ralentissement
durable de la croissance. Ce qui exacerberait les tensions
sociales latentes, et certains gouvernements pourraient
alors être tentés par l'exploration de politiques
économiques "alternatives" ou radicales. Une chute du
prix des matières premières aurait cependant quelques
effets positifs, pour les pays qui en sont dépourvus, mais
aussi pour les exportateurs : le risque de maladie
hollandaise diminuerait. En particulier, la fin de
l'appréciation des devises redonnerait de la compétitivité
aux industries locales.
Le risque politique : persistant mais mesuré
La nature du régime politique n'affecte sans doute pas per
se la croissance et le développement d'un pays (et
l'Amérique latine, qui a connu des régimes très divers,
l'illustre bien), mais les actions des responsables
politiques le peuvent. Ces derniers peuvent, par exemple,
initier une politique économique aventureuse qui se
terminera par une crise, qui ne sera résorbée qu'en
plusieurs années (telle la crise de la dette de 1982). Ils
peuvent aussi mener une politique économique
apparemment orthodoxe, mais mal conçue ou mal menée
(comme la libéralisation du secteur financier au Mexique
avent 1995). Ils peuvent aussi laisser dériver l'économie
dans la mono-exportation de matières premières et la
"maladie hollandaise", ou perdurer des structures sociales
archaïques (Amérique centrale), ou négliger au-delà du
supportable la qualité des services publics (le Chili de
l'hiver 2011, le Brésil de juin 2013). Les contraintes
politiques peuvent aussi interdire ou retarder durablement
des réformes pourtant opportunes, comme dans le secteur
pétrolier au Mexique ou la fiscalité au Brésil. Des conflits
de nature politique peuvent aussi affecter directement des
projets ou des secteurs. C'est, par exemple, le cas de
plusieurs projets miniers au Pérou, bloqués ou retardés
N° 13/03 – Août 2013
par l'opposition de communautés indiennes, ou de la
"guerre du soja" entre le gouvernement argentin et une
partie du monde rural en avril-mai 2008. Il n'est pas
surprenant que ces conflits apparaissent dans les secteurs
"rentiers"12. Dans quelques cas, les tensions politiques ont
évolué en de véritables guerres civiles, qui ont gravement
perturbé l'activité économique des pays concernés : en
Colombie sur très longue période, au Pérou dans les
années 1980, en Amérique centrale.
On ne peut exclure que d'ici la fin de la décennie, ce type de
risque politique se matérialise dans un ou plusieurs pays de
la région et en ralentisse la croissance, soit en affectant le
potentiel de croissance (par exemple en décourageant
l'épargne et l'investissement), soit en précipitant une crise
aigüe. Ce risque ne peut être écarté car les facteurs qui
l'entretiennent (inégalités, présence de rentes, corruption,
discrédit des politiciens, etc.) resteront présents. Il semble
toutefois déclinant. Les conflits les plus violents ont en effet
été aplanis (Amérique centrale, Pérou) ou sont en cours de
résolution (Colombie). L'existence, presque partout, d'institutions et de processus démocratiques (fonctionnant certes
à des degrés divers) améliore la possibilité de résolution
négociée d'éventuels conflits. Et même dans les pays dont
les politiques économiques semblent aujourd'hui les plus
inefficientes, et qui ont sur longue période pesé sur la
croissance moyenne de la région (le Venezuela et
l'Argentine), il est plus probable que soient, dans les prochaines années, adoptées des politiques plus soutenables,
permettant une croissance moins heurtée.
_____________________
12
Les conflits sur le partage des rentes (pétrolière, minière,
agricole – y compris la production et le commerce de marijuana
et de cocaïne) sont un des principaux facteurs de risque
politique en Amérique latine. Cf. Martin, J.L., "Amérique latine :
un risque politique qui change de nature", Éclairages
Émergents n°21, Crédit Agricole, 2012.
6
Jean-Louis Martin
[email protected]
Brésil
2012 a été pour l'économie brésilienne la plus mauvaise année depuis plus de dix ans (hors la crise globale de
2009), avec une croissance pratiquement absente, un regain d'inflation, et une détérioration sensible de la
balance des paiements. Cette dernière pourrait cependant se stabiliser, grâce à la forte correction sur le change.
Celle-ci est due au moindre intérêt général des investisseurs pour les émergents, mais aussi à une déception
spécifique vis-à-vis des performances du Brésil, malgré son potentiel considérable. Les troubles sociaux et
politiques de juin font, en outre, craindre un attentisme accrû des autorités, alors que les blocages de
l'économie ne pourront être levés que par des réformes profondes. Dans l'immédiat, la croissance restera
médiocre.
De nombreux indicateurs sont passés à l'orange en
2012. La croissance tout d'abord. Après une année 2011
déjà médiocre (+2,7%), elle a encore ralenti en 2012, à
+0,9%. Un modeste rebond s'est dessiné au quatrième
trimestre (+0,64% t/t). Mais le caractère hésitant de la
reprise s'est confirmé au premier trimestre 2013, avec une
croissance de seulement 0,55% t/t. Au deuxième trimestre,
la production industrielle et les investissements semblent
toutefois rebondir. Mais la croissance sera encore
médiocre en 2013 : nous pronostiquons au mieux 2,3%.
L'évolution des prix inquiète également. Après avoir été
menaçante en 2011 (jusqu'à 7,3% a/a en septembre), elle
s'était peu à peu modérée pour revenir au-dessous de 5% à
la mi-2012. Mais elle était à nouveau à 6,7% a/a en juin
2013, au-dessus du seuil maximal de l'objectif de la Banque
centrale. Les autorités ont réagi en relevant le taux directeur
(le Selic) de 125 pdb depuis avril. D'autres relèvements sont
probables d'ici la fin de l'année. Cependant, la poussée
d'inflation est due à la forte hausse du prix de l'alimentation,
et à celle des services (2 points au-dessus de celle de
l'indice général depuis 2009). Il est peu probable que les
taux aient beaucoup d'impact sur ces prix, dont la
progression rapide s'explique plutôt par les contraintes
logistiques (pour l'alimentation), les insuffisances de la
concurrence, l'inflation salariale (le marché de l'emploi reste
tendu), et le dynamisme de la demande, qui permet aux
fournisseurs de services de maintenir et même d'améliorer
leurs marges. Les pressions inflationnistes ne sont pas
au Brésil que conjoncturelles, elles sont aussi
structurelles.
Brésil : balance des paiements
60
cumul 12m, Mds USD
2003=100
160
40
150
20
140
0
130
-20
120
-40
110
-60
100
-80
2000 2002 2004 2006
bal. commerciale
t. de l'échange (éch. dr.)
2008
90
2010 2012
bal. courante
Source : IBGE
La détérioration de balance des paiements est sensible,
mais a peut-être atteint son point extrême. Le déficit
commercial a été de 3,1 Mds USD au premier semestre,
conduisant à un déficit courant sur douze mois (juillet-juin)
de 72,5 Mds (3,3% du PIB). Mais un retournement est sans
doute en cours sous l'effet du recul du real : un excédent
N° 13/03 – Août 2013
commercial de 2,3 Mds USD a été enregistré en juin, et le
déficit courant sur l'année 2013 pourrait revenir à 60 Mds
USD (2,7% du PIB). En particulier, la croissance des
importations tend à se modérer. Ce n'est pas encore le cas
du poste "voyages", qui côté crédit reste stable (6,6 Mds
USD en 2012), mais qui continue à augmenter côté débit :
10,9 Mds USD en 2009, 23,9 Mds en juin 2013 (cumul
douze mois). Au total, le déficit courant reste toutefois
aisément finançable, pour autant que les investisseurs de
portefeuille ne se détournent pas du Brésil. Au premier
semestre, cela n'a pas été le cas : ils ont atteint 17,9 Mds
USD, contre 7,5 Mds au premier semestre 2012. Mais le
real, qui reste objectivement surévalué, est devenu plus
vulnérable aux changements d'humeur (ou de liquidité)
des marchés, plus nerveux ces derniers mois vis-à-vis des
marchés émergents.
On observe aussi un certain relâchement sur le front
budgétaire. Le projet de budget 2014 présenté au Congrès
brésilien par le gouvernement affiche encore un excédent
budgétaire de 3,1% du PIB. Mais cette prévision d'excédent
est à la fois exagérée (elle ne prend pas en compte des
dépenses d'investissement public, et même certaines
dépenses courantes ou certains allégements fiscaux) et
irréaliste (car basée sur une prévision de croissance, très peu
probable, de 4,5%). Au total, le niveau anticipé d'excédent
primaire "réel" (2,1% du PIB en 2013, 1,8% en 2014) ne
suffira pas pour réduire le ratio dette publique/PIB, en raison
de la faiblesse du real (une partie, certes décroissante, du
numérateur est en USD). On n'est pas dans une situation
de "dérapage" budgétaire ; mais les comptes publics
brésiliens deviennent moins lisibles.
Les troubles qui ont agité les villes brésiliennes en juin
ont surpris. Au-delà des revendications matérielles limitées,
il s'agit sans doute d'un mouvement d'exaspération devant
un système politique certes démocratique mais corrompu et
déconnecté des préoccupations de la population. Préoccupation par exemple pour la qualité des services publics,
notoirement médiocres. Et certainement aussi déception à
l'égard du PT, qui s'est avéré être lui aussi un parti de
politiciens ordinaires. Le risque de dérapage semble
toutefois limité. Le danger est plutôt celui d'un
immobilisme aggravé, jusqu'aux élections présidentielles
d'octobre 2014, alors que l'atonie de l'économie confirme le
besoin d'une action politique beaucoup plus décisive.
Au total, et sans que rien d'irrémédiable ne soit en cours
(le rating souverain BBB ne semble ainsi pas menacé sur les
douze prochains mois, même si Moody's l'a assorti en juin
d'une perspective négative), le Brésil déçoit. Un potentiel de
croissance élevé reste latent, en raison de blocages
(infrastructures inadéquates, rigidités structurelles, bureaucratie pesante…) non traités par une politique économique qui a semblé depuis deux ans se limiter à la
recherche d'une relance à court terme.
7
Jean-Louis Martin
[email protected]
Mexique
L'économie mexicaine déçoit depuis le début de 2013, avec une croissance de seulement 2,2% au premier
trimestre, et peu d'indices d'un véritable rebond au deuxième. Les anticipations de croissance pour 2013 sont
donc revues à la baisse, à 2,5%. Pour le reste, aucun déséquilibre majeur (prix, finances publiques, comptes
extérieurs) ne menace. L'enjeu est donc de relancer la croissance. Les premiers mois du gouvernement Peña
Nieto pourraient en avoir établi les bases, avec la signature en décembre d'un accord entre les trois grands
partis (PRI, PAN et PRD) qui permettra, même en l'absence de majorité, de voter des réformes jusqu'ici
bloquées. Une ambitieuse réforme du secteur éducatif a déjà été votée. Elle est capitale (la médiocre
qualification de la force de travail est une des faiblesses du pays), mais elle n'aura d'impact qu'à moyen terme.
Le PIB mexicain n'a crû que de 2,2% a/a en volume au
premier trimestre 2013. C'est largement en-deçà des
attentes, en particulier alors que l'activité aux États-Unis,
bien qu'hésitante, montre une certaine résilience, et qu'un
accord entre les trois grands partis mexicains a permis
d'initier des réformes attendues depuis longtemps.
Le plus surprenant est sans doute le "décrochage" de
l'activité manufacturière par rapport à celle des ÉtatsUnis, avec laquelle elle est historiquement étroitement
corrélée. Les données aujourd'hui disponibles ne laissent
pas attendre de rebond significatif au deuxième trimestre
Une explication fréquemment avancée est la faiblesse de
la dépense publique au premier trimestre, en recul de
0,8% a/a (phénomène qui n'avait plus été observé depuis
huit ans). La médiocrité de l'activité est aussi liée à
l'absence de dynamisme des exportations, qui ont elles
aussi très peu progressé (+0,3% a/a), sans doute en
raison de la faiblesse des importations américaines
(+0,1% a/a).
Mexique et États-Unis : production manufacturière
mm3m, a/a, %
15
10
5
0
-5
-10
-15
-20
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Mexique
Source : INEGI, Federal Reserve
Etats-Unis
Alors qu'il avait réussi à augmenter assez sensiblement sa
part de marché dans les importations américaines en
2009 et 2010 (de 10,0% en 2008 à 11,7% en 2010, le
Mexique a piétiné ces deux dernières années (actuellement : 11,9%). L'écart avec la Chine sur les salaires
moyens dans l'industrie a pourtant continué à se réduire,
et n'était plus en 2012 que de 14%. En 2013, le recul du
peso et la modération salariale persistante au Mexique
pourrait réduire cet écart à néant.
Mais les progrès de productivité sont bien moindres au
Mexique qu'en Chine, en particulier en raison des graves
faiblesses du secteur éducatif. Le gouvernement Peña
Nieto s'y est attaqué, avec une réforme du secteur votée
dans le cadre du "Pacte pour le Mexique" signé entre les
trois grands partis. Mais les effets n'en seront perçus qu'à
N° 13/03 – Août 2013
moyen terme, pour autant que la mise en œuvre
(politiquement difficile) soit soutenue.
D'autres réformes pourraient relancer la croissance.
D'une part, dans le secteur pétrolier : de meilleures
incitations à l'investissement étranger (qui permettrait de
relancer la production) sont possibles, mais l'amélioration de
la gouvernance de Pemex est un objectif très ambitieux.
D'autre part, en matière de fiscalité : le prélèvement de
l'État sur l'économie est à la fois injuste (car reposant
largement sur la fiscalité indirecte) et très faible (11 à 12%
du PIB, hors fiscalité pétrolière et prélèvements sur Pemex),
ce qui limite les capacités d'intervention de l'État (notamment dans le domaine social). Mais il n'est pas certain
qu'une telle réforme soit vraiment souhaitée par la majorité
de la classe politique mexicaine.
Elle serait cependant opportune : les événements
récents au Brésil nous confirment que le risque politique n'a pas totalement disparu en Amérique latine. Or,
le contexte mexicain nous semble nettement plus porteur de ce risque que celui du Brésil, avec en particulier
un État beaucoup plus passif face aux inégalités (qui se
sont moins réduites au Mexique depuis dix ans que dans
presque tous les pays de la région, sauf en Amérique centrale) et une gouvernance très médiocre : pour les indicateurs "État de droit" et "contrôle de la corruption" de la Banque Mondiale, le Mexique est ainsi, loin derrière la moyenne
latino-américaine, et derrière le Brésil et la Colombie.
Ce risque politique ne serait pas nécessairement
catastrophique : des institutions démocratiques existent,
qui favorisent la capacité d'adaptation de la société et des
autorités. Il est toutefois aggravé au Mexique par la
présence d'une violence de droit commun, largement
liée aux trafics de stupéfiants vers les États-Unis, qui perturbe la vie économique et sociale dans certaines parties du
pays (notamment la frontière nord et une partie de la côte
Pacifique). La stratégie de confrontation avec les cartels du
précédent gouvernement Calderón a échoué, mais celle du
président Peña Nieto n'apparaît pas encore clairement.
Les perspectives à moyen terme du pays sont pourtant
favorables. Il bénéficie d'une position géographique
exceptionnelle, à proximité du premier marché de consommation au monde. Sa propre taille (117 millions habitants)
lui donne un marché domestique important (qui pourrait être
développé par une réforme bancaire). Les réformes
maintenant possibles (après deux sexennats de blocage)
devraient contribuer à lever certaines des contraintes
pesant sur la croissance. La compétitivité de certains
secteurs industriels est réelle et va permettre au pays de
renforcer ses positions à l'exportation (États-Unis, Amérique
latine). Enfin, quelques activités de services (tourisme,
services médicaux…) ont un vrai potentiel, pour autant que
l'ordre public soit maintenu.
8
Jean-Louis Martin
[email protected]
Argentine
L'Argentine croît bien en-deçà de son potentiel. Non pas, comme le proclame le gouvernement, en raison de
l'hostilité du reste du monde, mais bien à cause de l'incohérence de la politique économique. Celle-ci handicape
le secteur moteur, l'agriculture, qui continue pourtant à dégager des excédents considérables et à assurer une
part significative des recettes budgétaires, et est en train de tuer l'industrie. Elle est aussi, via les prix,
responsable de distorsions majeures. Pourtant, la capacité de rebond existe bien : beaucoup de fondamentaux
sont sains. Manque un ingrédient : la confiance, qui ne sera pas rétablie tant que l'équipe actuelle sera en place.
Sa popularité chute, et des élections législatives auront lieu en octobre, mais l'opposition semble elle aussi peu
cohérente. Le problème de l'Argentine est clairement politique.
L'économie argentine tourne au ralenti. Selon les
chiffres officiels (on y revient plus bas), la croissance n'a
été que de 1,9% en 2012, et la production industrielle est
en recul depuis le deuxième trimestre 2012. La demande
intérieure soutient de moins en moins l'activité, par ailleurs
handicapée par les distorsions de prix, par un taux de
change irréaliste, et par les restrictions aux importations
mises en place par les autorités pour freiner la dégradation des échanges extérieurs.
américain de la contraindre à rembourser immédiatement ses
créanciers non restructurés en 2005 ou en 2010 (les
"holdouts", pour la plupart des "fonds vautours" ayant acquis
leurs créances sur le marché secondaire). Le gouvernement
s'y refuse. D'où les outlooks négatifs de Standard & Poor's et
de Moody's, et la remontée à des niveaux stratosphériques de
la prime de risque argentin (le spread EMBI est supérieur à
1200 pdb). La décision est actuellement en appel.
Argentine : balance des paiements
L'obstination des autorités argentines dans l'affichage
d'un indice des prix totalement irréaliste (en juin,
+10,5% a/a, contre entre 18,1 et 26,0% selon diverses
sources alternatives) et sans aucune crédibilité (même les
négociations salariales entre le gouvernement et les
syndicats de fonctionnaires se font sur la base des
estimations alternatives) rend difficile toute analyse économique. Les problèmes de l'économiste sont fâcheux, mais
les manipulations de prix et d'indices ont des conséquences bien plus graves pour l'économie. Par
exemple, le blocage des prix de l'énergie conduit à des
gaspillages considérables, et à un déficit énergétique
croissant, alors que le pays devrait être exportateur net.
cumul 1 an, Mds USD
25
La monétisation croissante du déficit fiscal (2,5 Mds
USD en 2008, près de 20 Mds en 2012 – 60% en pesos,
40% en dollars –, soit un peu plus de 4% du PIB) est la
principale source d'inflation : la masse monétaire croît à
un rythme supérieur à 35%, même si là encore, le lien est
nié par les autorités. Malgré la forte progression des
recettes budgétaires, le déficit se creuse car les dépenses
augmentent encore plus rapidement (+8 points sur la
même période). Le poste "services économiques" est celui
dont la croissance a été la plus forte : 1,3% du PIB en
2002, 6,2% en 2011; il s'agit en fait des subventions aux
entreprises publiques (par exemple Aerolineas Argentinas) ou privées, notamment celles qui fournissent des
services publics (électricité, transport…) dont les tarifs
sont gelés. Ce transfert du coût des services du
consommateur au contribuable (et aussi, de plus en plus,
à la Banque centrale) est un des fondements du "populisme" du gouvernement actuel.
* calculé comme solde entre la bal. courante et la var. des réserves
énergie
hors énergie
bal. commerciale
bal. courante
compte financier*
Source : BCRA
L'abondance de pesos contribue aussi à l'affaiblir. Il
est également affecté par la médiocre performance des
échanges extérieurs depuis 2010. Mais l'existence d'un
marché parallèle (le dollar "blue"), où le dollar a dépassé
10 ARS en mai, illustre la montée de la défiance des
entreprises et des ménages envers la politique
économique de Cristina Fernández. Cette défiance se
retrouve aussi dans le déficit croissant du compte
financier et dans la chute des réserves en devises
(37,0 Mds USD fin juin, contre 43,3 en début d'année) : les
capitaux fuient l'Argentine.
20
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2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Pourtant, la capacité de rebond est réelle. L'Argentine
confirme sa capacité à dégager des excédents extérieurs
(malgré les incohérences des politiques agricole et énergétique) ; la capacité à percevoir l'impôt a été renforcée (un
des rares succès des administrations Kirchner); les agents
économiques sont peu endettés, le système bancaire est
sain ; les infrastructures sont meilleures qu'ailleurs en
Amérique latine – malgré leur vieillissement faute d'investissement. Mais il manque la confiance, qui ne se rétablira
pas avec l'actuel gouvernement.
Des élections législatives se tiendront le 27 octobre. Les
Argentins renouvelleront un tiers des sénateurs et la moitié
des députés. Selon les sondages les plus récents, le
gouvernement pourrait garder une majorité simple à la
Chambre des députés, mais devrait perdre la majorité au
Sénat. La présidente serait alors tentée de gouverner de
plus en plus par décret jusqu'à la fin de son mandat en
2015 : l'incohérence de la politique économique pourrait
dans ce cas atteindre de nouveaux sommets, et augmenter
la probabilité d'une crise, dont il est difficile d'anticiper la
forme : peut-être une crise de change, avec une aggravation de la fuite devant le peso (phénomène déjà observé
en Argentine), peut-être une crise sociale dans laquelle les
principales forces d'opposition seraient les syndicats et la
rue. L'Argentine se relèvera, mais seulement ensuite.
L'Argentine risque aussi un nouveau défaut sur sa dette
extérieure, suite à la décision en février 2012 d'un juge
N° 13/03 – Août 2013
9
Jean-Louis Martin
[email protected]
Venezuela
Les événements politiques (campagne et élection d'Hugo Chávez, puis décès de celui-ci, et enfin élection
contestée de Nicolás Maduro) ont fortement influencé la politique économique vénézuélienne. Avant les
élections, les autorités ont accéléré les dépenses publiques, souvent hors budget, pour renforcer les
programmes sociaux. La dévaluation du bolivar, nécessaire pour redresser les finances publiques (très
dépendantes des recettes pétrolières en USD) a aussi été repoussée jusqu'en mars 2013. Elle a permis de
modérer la croissance des importations, au prix d'une nouvelle poussée d'inflation. Les perspectives
économiques sont très incertaines : le gouvernement Maduro a semblé montrer ces derniers mois un peu plus
de réalisme que le gouvernement précédent, mais on reste très loin des conditions d'une croissance équilibrée.
Les développements les plus importants au Venezuela
depuis un an ont été de nature politique. Il y a d'abord
eu, en octobre 2012, la réélection d'Hugo Chávez à la
présidence. Élection assez large, avec 55% des voix,
malgré la bonne performance du candidat d'opposition
Henrique Capriles. Mais Hugo Chávez était déjà très
malade, vraisemblablement d'un cancer diagnostiqué en
2010, et il passe l'essentiel des mois suivants en traitement à La Havane. Il décède le 5 mars 2013, sans avoir
pu prêter serment. Une nouvelle élection est alors organisée, qui a lieu le 14 avril. Elle est remportée par son
dauphin désigné Nicolás Maduro, contre le même Henrique Capriles. Le résultat de cette seconde élection, très
serré (50,75% des voix contre 49,0%), est fortement
contesté par l'opposition ; beaucoup d'observateurs signalent de nombreuses irrégularités. Depuis avril, Nicolás
Maduro s'est cependant installé au pouvoir.
Ce calendrier politique a largement influencé la politique économique. Pour "préparer" les élections présidentielles d'octobre, les dépenses publiques ont fortement
augmenté en 2012, dans des proportions toutefois
difficiles à mesurer puisqu'une partie (en particulier certains programmes sociaux) est effectuée hors budget,
financée directement par la compagnie pétrolière PDVSA :
alors que le déficit budgétaire 2012 est de l'ordre à 4,8%
du PIB, l'IFI estime le déficit consolidé des finances
publiques à 15,2% du PIB pour la même année. Le budget
2013 était ainsi un modèle d'irréalisme, basé sur les
hypothèses suivantes : (i) une croissance du PIB de 6%
en volume (elle sera de l'ordre de 1 à 1,5%), (ii) une
inflation de l'ordre de 15% (ce sera plutôt 30%), (iii) un
baril de pétrole à 55 USD (le prix du WTI est de 105 fin
juillet) ; et (iv) un taux de change VEB/USD inchangé à 4,3
(il a été dévalué à 6,29 en mars).
Les autorités ont donc fini par accepter une dévaluation du bolivar, annoncée en février, quelques jours
avant le décès d'Hugo Chávez et le début d'une nouvelle
campagne électorale. Elle a redonné un peu d'espace aux
finances publiques, et freiné la demande en produits
importés. Mais elle a immédiatement provoqué une nouvelle poussée d'inflation, qui atteignait 37,3% a/a en
juin, malgré un renforcement du contrôle des prix, contre
19,5% en décembre 2012. Même si elle ralentit au cours
des prochains mois, l'inflation va rester élevée, entre 35 et
40% en 2013. Elle pourrait être entretenue en 2014 par
une nouvelle dévaluation du bolivar.
La bonne tenue du cours du pétrole en 2012 n'a pas
empêché une contraction de l'excédent courant de la
balance des paiements, qui est resté cependant confortable (2,9% du PIB). Il devrait rester du même ordre en
2013, le prix du pétrole montrant une résistance un peu
inattendue (94 USD/bbl en moyenne au premier semestre
pour le WTI, soit le même niveau qu'en 2012, et 105 USD
en juillet). Mais les sorties de capitaux (le poste "prêts à
N° 13/03 – Août 2013
l'étranger par les résidents", qui recouvre une surestimation
des exportations pétrolières, mais aussi une thésaurisation
en USD et une classique fuite de capitaux : des résidents
vénézuéliens transférant une partie de leurs revenus à
l'étranger) sont depuis 2007 systématiquement plus élevées
que l'excédent courant. Les réserves en devises sont
donc, malgré l'accumulation d'excédents (le dernier déficit
remonte à 1998), à peine suffisantes : 25,8 Mds USD fin juin
2013, soit 3,4 mois d'importations de biens et services. Le
risque de défaut est cependant limité à un horizon de
dix-huit mois, sauf décision politique de ne pas honorer tel
ou tel poste de dette (ainsi l'annonce récente du nonpaiement de l'obligation 2016 de l'entreprise sidérurgique
Sidetur, nationalisée en 2010).
Le gouvernement a cependant assorti cette dernière annonce d'une promesse de constituer une réserve pour le cas où
le Venezuela serait condamné à payer cette dette. Il s'agit
d'un exemple parmi d'autres d'une certaine modération du
gouvernement Madero, du moins si on le compare au radicalisme d'Hugo Chávez. Un dialogue (heurté) avec les
États-Unis a été rouvert, et les relations avec la Colombie
sont moins conflictuelles. Dans le champ économique aussi,
une évolution est évidente, avec une nette contraction des
dépenses publiques réelles (après ajustement pour inflation), et une politique de change plus réaliste (cf. la dévaluation, mais aussi un meilleur mécanisme d'allocation des
devises). On reste cependant très loin d'une politique
économique soutenable et permettant une croissance plus
ou moins stabilisée : les indicateurs de gouvernance du
Venezuela restent parmi les plus mauvais au monde.
Venezuela : les "World Governance Indicators"
(notes de -2,5 à +2,5)
0,6
0,4
0,2
0,0
-0,2
-0,4
-0,6
-0,8
-1,0
-1,2
-1,4
-1,6
-1,8
expression
démocratique
Venezuela 2003
Colombie
stabilité
politique
efficacité du qualité de la respect de la lutte contre la
gouvern.
régulation
loi
corruption
Venezuela 2011
Pérou
Argentine
Equateur
Mexique Source : Banque mondiale
Selon la constitution vénézuélienne, un référendum
révocatoire (du président) est possible en 2016. L'opposition le demandera sans doute, et pourrait le gagner (cela
dépendra du prix du pétrole et du niveau de la fraude). Cela
pourrait alors relancer l'attractivité du Venezuela, mais
même alors il conviendra de rester prudent : la transition
sera difficile dans un pays très polarisé.
10
Jean-Louis Martin
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Colombie
La croissance a ralenti en 2012 (4,0%, après 6,6%), mais reste réalisée sans déséquilibre majeur : l'inflation est
au plus bas, les finances publiques sont proches de l'équilibre, et le déficit courant reste aisément finançable (il
se creuse cependant). La principale inquiétude porte sur la perte de compétitivité de l'industrie et de certains
secteurs agricoles exportateurs (café, fleurs) en raison de l'appréciation du peso. Celle-ci semble toutefois en
train d'être maîtrisée, par une combinaison adéquate de politiques monétaire et budgétaire, et grâce aussi au
moindre enthousiasme des marchés pour les émergents. La menace pourrait cependant ressurgir si les entrées
d'investissements de portefeuille venaient à décoller. Les négociations entre le gouvernement et la principale
guérilla se poursuivent à La Havane, mais la mise en œuvre d'un accord sera difficile, d'autant qu'une partie de
l'opinion s'y oppose.
Le PIB colombien a progressé de 4% en volume en
2012, après des révisions significatives, à la hausse, pour
les trois premiers trimestres (et pour l'année précédente, ce
qui a porté la croissance 2011 de +5,9% à +6,6%). Mais
elle s'essoufflait en fin d'année, et le premier semestre 2013
est assez décevante, avec +2,9% au premier trimestre et
un deuxième trimestre qui ne devrait pas dépasser 3,5%.
Même si un rebond est attendu au second semestre, la
croissance sera cette année un peu inférieure à 4%.
fortement augmenté ses achats d'USD sur le marché. Le
gouvernement poursuit ses efforts d'assainissement
budgétaire : le déficit est revenu en-deçà de 2,0% du PIB en
2012 (avec un excédent primaire), et la dette publique n'est
que de 32% du PIB. Le repli de certains investisseurs de
portefeuille a aussi contribué à stabiliser le peso, revenu
autour de 1900 COP/USD.
L'évolution la plus préoccupante est sans doute le
recul confirmé de l'industrie : la production industrielle a
chuté au premier trimestre de 6,1% a/a (en partie pour des
raisons de saisonnalité, avec -11,7% en mars, corrigé par
+8,7% en avril). En mai, la contraction se poursuivait, avec 2,5% a/a. On ne peut pas ne pas lier ce recul au niveau trop
élevé du peso.
1 500
140
1 700
130
1 900
120
2 100
110
2 300
100
2 500
90
2 700
80
L'excédent commercial a lui aussi reculé, à 2,1 Mds
USD, contre 2,7 Mds en 2011. Les termes de l'échange n'e
se détériorent légèrement après un pic en 2012 (-2,3% a/a
au premier semestre 2013), et le volume des exportations
de pétrole a plafonne depuis qu'il a atteint 1 million de
barils/jour en décembre 2012. Il ne devrait plus augmenter
à court terme faute de découverte significative. Par ailleurs,
le volume des importations de biens augmente
systématiquement (depuis 2000) plus vite que celui des
exportations. Un déficit commercial devrait ainsi être
enregistré en 2012, de l'ordre de 1,6 Md USD. En outre, le
poste "débit" des flux de services et de revenus croît
rapidement : de 11,3 Mds USD en 2005 à 29 Mds en 2012.
Au total, le déficit courant de la balance des paiements a
atteint 11,9 Mds USD en 2012, soit 3,2% du PIB, et
devrait continuer à se creuser au-delà de 13 Mds USD
(3,5% du PIB) en 2013. Ce déficit est cependant presque
entièrement financé par les investissements étrangers
directs.
L'essoufflement est cependant bien réel : la production
industrielle croissait en 2011 à un rythme supérieur à 5%, et
elle régresse depuis août 2012; les exportations non
pétrolières ou minières (hors pétrole, charbon et ferronickel)
avaient augmenté de 18,7% (en valeur) en 2011, et
seulement de 4,3% au premier semestre 2013 (tirées par
l'automobile); la dépendance au pétrole s'aggrave : il
représentait 41% des exportations en 2010, 50% en 2011,
et 52,6% en 2012. La menace de "maladie hollandaise"
est bien présente.
Les autorités colombiennes en sont bien conscientes. Le
premier souci de la politique économique est
aujourd'hui la maîtrise de l'appréciation du peso, qui
était au premier trimestre proche de son pic de juin 2008.
La Banque centrale a abaissé quatre fois son taux directeur
pour le ramener à 3,25% (ces ajustements sont permis par
la baisse de l'inflation, revenue autour de 2%) et a
N° 13/03 – Août 2013
Colombie : évolution du peso
2000 = 100
2 900
04 05 06
Source : Reuters,
JPMorgan
07
70
08 09 10 11 12 13
COP/USD
tx de change effectif réel (éch. dr.)
Les insuffisances des infrastructures, en particulier de
transports, handicapent aussi la compétitivité. Quelques
projets ont été menées à bien (aéroport de Bogotá, routes),
mais d'autres traînent en raison d'une géographie difficile, et
aussi des faiblesses de la gouvernance, qui s'améliore
cependant depuis 2010 et l'entrée en fonction du
gouvernement Santos.
Celui-ci s'oppose très vivement à son prédécesseur Uribe sur
la question des relations avec la guérilla des FARC. Le
président Santos a pris l'initiative d'ouvrir des négociations,
tout en poursuivant l'offensive militaire sur le terrain. Pour
Uribe et la droite colombienne, il s'agit au mieux d'une
mollesse coupable, au pire d'une trahison. C'est pourtant la
seule voie possible d'une réelle pacification du pays,
condition préalable à la concrétisation de son potentiel de
croissance. La guérilla est affaiblie, et un accord à La
Havane est assez probable, mais sa mise en œuvre sera
complexe et incertaine : quel processus de désarmement ?
Quelle participation des FARC à la vie politique (l'opinion est
ambigüe sur ce point : elle souhaite la paix et est favorable
aux négociations, mais reste hostile à une intégration
politique de la guérilla) ? Comment traiter le problème des
millions de déplacés par la violence en milieu rural ? Des
élections présidentielles auront lieu en 2014 : J.M. Santos
sera très probablement candidat, et sera favori, pour autant
que les négociations en cours apportent quelques réponses
satisfaisantes à la population.
11
Jean-Louis Martin
[email protected]
Chili
Les principaux atouts du Chili sont la prudence de la gestion des finances publiques, la qualité de la
gouvernance, et ses importantes ressources en cuivre (un quart des réserves et un tiers de la production
mondiales). Son système bancaire est particulièrement solide. Quelques fragilités cependant dans un bilan très
positif. D'une part, la dépendance au cuivre, (54% des exportations) qui rend le Chili directement vulnérable aux
fluctuations de l'économie mondiale, et en particulier au risque de ralentissement de l'économie chinoise, son
principal client. Ensuite, des signes de surchauffe, dont un creusement très rapide du déficit courant. Et enfin,
une société in fine pas si prospère (à 17730 USD, le PIB ppa/habitant est le plus bas de tous les pays notés A+
par les agences), et très inégalitaire. Cependant, le Chili reste très nettement le meilleur risque en Amérique
latine.
L'économie chilienne a progressé de 5,6% en volume
sur l'ensemble de 2012, malgré un ralentissement en fin
d'année. Après +5,8% et +5,9% en 2010 et 2011, la
performance est remarquable, d'autant que l'environnement
était un peu moins porteur, avec en particulier un
ralentissement de l'économie chinoise, qui absorbe 23%
des exportations chiliennes. Le ralentissement se
confirme toutefois au premier semestre 2013, avec une
croissance de 4,1% au premier trimestre, et un indicateur
avancé d'activité (l'IMACEC) qui ne progressait plus que de
3,9% au 2ème trimestre.
exportations hors cuivre, qui en 2011 augmentaient de 24%,
étaient en 2012 en recul de 2%. Le déficit courant a continué
à se creuser au premier trimestre 2013, mais il devrait se
réduire au second semestre.
Chili : croissance soutenue et déficit courant en hausse
10
Mds USD (b. courante) et a/a, % (PIB)
8
6
4
2
L'inflation n'inquiète pas, malgré un fort rebond depuis
quelques mois +2,2% en juillet, après +0,9% en mai),
restant dans la fourchette objectif (2% à 4%) de la Banque
centrale. Les finances publiques sont saines : leur solde
global a été positif de 0,6% du PIB en 2012, en léger recul
par rapport en 2011 en raison d'une forte progression des
dépenses publiques (surtout dans l'éducation et les
transferts aux régions). L'excédent devrait rester du même
ordre en 2013, grâce à l'impact d'une réforme fiscale de
2012 qui va augmenter les recettes de l'impôt sur les
sociétés, mais il pourrait disparaître en 2014 avec une
augmentation des dépenses après les élections. La dette
publique représente moins de 12% du PIB.
L'économie montre cependant des signes de
surchauffe, et les tensions se sont accentuées au cours de
l'année 2012. Ainsi, la progression trop rapide de la
demande domestique. La consommation des ménages a
augmenté de 6,1% en 2012 (pour un PIB en croissance de
5,6% en volume), et encore de 7,2% a/a au premier
trimestre 2013, après déjà +8,9% en 2011. Les
investissements de 12,3%, et encore de 9,6% a/a au 1er
trimestre 2013. Un point positif cependant : la part des
investissements (au total 24% du PIB) qui augmente le plus
rapidement est la composante "biens d'équipement" :
+17,4% en volume en 2012, contre +9,0% pour la
construction.
La contribution nette de l'extérieur à la croissance est
par ailleurs très négative : en 2012, les exportations ne
progressaient que de 1,0% en volume, contre 4,9% pour les
importations. Se superpose à ce dynamisme de la
demande domestique une nette détérioration des termes
de l'échange, qui a commencé dès le début de 2011 mais
s'est accentuée en 2012 (-5,7%), et persiste au début de
2013.
L'impact sur la balance des paiements a été sensible :
chute rapide de l'excédent commercial (15,3 Mds USD en
2010, 10,5 en 2011, et seulement 3,4 Mds en 2012), et
creusement d'un déficit courant, qui a atteint 9,5 Mds
USD en 2012, soit 3,5% du PIB, un niveau jamais constaté
depuis 1998. Les exportations ont baissé en valeur de
3,9%. C'est principalement dû au cuivre (-5,6%), mais les
N° 13/03 – Août 2013
0
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-4
-6
-8
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-12
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
bal. courante (cumul 1an)
PIB
prix à la conso.
Source : BCCh
La stagnation des exportations est en partie due à la faiblesse
de la demande extérieure, mais aussi à une certaine perte
de compétitivité de l'économie chilienne. Le taux de
change effectif réel du peso s'est apprécié de 7,5% entre
décembre 2011 et décembre 2012, il n'est revenu que ces
derniers jours au-dessus de 500 CLP/USD.
Les autorités chiliennes sont donc confrontées à un dilemme
(de riche) : la vigueur de la demande domestique (et les
tensions sur le marché du travail, avec un taux de chômage
de 6,4%) et le déficit courant croissant pourraient justifier un
relèvement des taux. Mais pas le niveau de l'inflation, et
encore moins le risque d'appréciation du peso : les taux réels
sont déjà élevés (le taux directeur est à 5%) et tout
relèvement risquerait d'encourager des entrées de capitaux,
inopportunes dans la situation actuelle. Les autorités
chiliennes temporisent, et se refusent pour le moment à
mettre en place des mesures macro-prudentielles (par
exemple, une hausse du taux de réserves obligatoires ou des
obstacles aux entrées de capitaux).
D'autant que 2013 est une année électorale : des élections
présidentielles et législatives auront lieu en novembre. La
question était jusqu'ici celle de la participation de l'ancienne
présidente Michelle Bachelet, restée très populaire. Elle a
obtenu l'investiture pour la gauche (la "Concertación"). Elle
devrait en novembre être élue à la présidence (face à la
candidate de la droite Evelyn Matthei), d'autant que le
gouvernement reste impopulaire. L'alliance (nouvelle) de la
Concertación avec le Parti Communiste ne doit pas inquiéter :
le risque d'une révision radicale de la politique économique
chilienne est très limité, en particulier avec Michelle Bachelet.
12
Jean-Louis Martin
[email protected]
Pérou
Le Pérou a encore affiché en 2012 des indicateurs macro-économiques parmi les meilleurs de la région :
croissance, inflation, finances publiques. Cela lui a valu de nouvelles appréciations favorables des agences de
rating. La plupart des analystes anticipent aussi une croissance stable, au-dessus de 6%. Les progrès depuis
cinq ans sont réels, mais nous sommes moins optimistes. D'abord, la détérioration très rapide des échanges
extérieurs en raison d'une demande domestique beaucoup trop dynamique va imposer un coup de frein dès
cette année : la croissance devrait donc revenir autour de 4,4% cette année, et à moins de 4% en 2014. Ensuite,
certains risques nous semblent bien présents : à court terme, risques d'un repli des prix des métaux exportés et
d'une correction sur un sol encore surévalué, et à moyen terme risque politique, la seule croissance (qui va
donc ralentir) ne suffisant pas à intégrer une société qui reste duale.
Le PIB péruvien a encore augmenté de 6,3% en volume
en 2012. C'est la deuxième performance de la région, après
Panama. Sur la période 2002-2012, aucun pays n'a fait
mieux que le Pérou, avec une croissance moyenne
annuelle de 6,4% : en dix ans, le PIB péruvien a ainsi
doublé en volume, le PIB par habitant a augmenté
(toujours en volume) de 72%, el le PIB par habitant à parité
de pouvoir d'achat (en USD courants) a lui aussi doublé.
Ces performances exceptionnelles, avec une gestion
particulièrement prudente des finances publiques (en
excédent depuis 2006, à l'exception de déficits modestes
en 2009 et 2010, et une dette publique qui ne représente
que 19% du PIB), ont permis au Pérou une amélioration
spectaculaire des ratings par les agences. Ainsi,
Moody's, qui notait encore le Pérou "Ba3" en juillet 2007, le
note maintenant "Baa2", soit une progression de quatre
échelons. Les marchés sont cependant un peu plus
prudents depuis quelques mois : le prix du CDS à cinq
ans (137,0 le 16 août 2013), est repassé en mai au-dessus
de ceux du Mexique (Baa2; 122,4) et de la Colombie (Baa3;
130,7), tout en remontant beaucoup moins que celui du
Brésil (Baa2; 192,4).
Les derniers indicateurs d'activité publiés par l'INEI
confirment le niveau soutenu de l'activité, avec une
croissance du PIB estimée à 5,6% a/a au deuxième
trimestre (après 4,8% au premier). Les anticipations restent
donc très optimistes sur l'économie péruvienne : le
consensus (en juin) est d'une croissance de 6,0% en 2013,
et de 6,2% en 2014. Nous sommes moins positifs, sur
les perspectives de croissance et sur le risque.
Sur les perspectives de croissance d'une part. L'économie
ne semble pas ralentir, mais il va pourtant falloir appuyer
sur le frein. La détérioration du commerce extérieur
devient sérieusement préoccupante. Le déficit courant a
déjà représenté 3,6% du PIB en 2012, le plus mauvais
chiffre des grandes économies d'Amérique latine. Au
deuxième trimestre 2013, un déficit commercial (850 millions USD) a été enregistré. Compte tenu de l'ampleur du
déficit des échanges de services et de revenus (les
transferts de dividendes des entreprises minières vont
toutefois baisser sensiblement), un déficit courant de
11,7 Mds USD (5,6% du PIB) peut être anticipé pour
2013 (et ce en supposant un net ralentissement des
importations).
La fragilité de la balance des paiements est accrue par
sa dépendance à un très petit nombre de produits : le
cuivre (23% des exportations en 2012), l'or (21%), et le
pétrole (11%). Au total, les minerais et le pétrole représentent 67,4% des exportations péruviennes. Les termes
de l'échange sont orientés à la baisse : ils ont reculé de
4,9% en 2012 et encore de 2,3% a/a au premier semestre
2013.
N° 13/03 – Août 2013
Pérou : croissance et balance des paiements
% du PIB (cumul 12m) et a/a, %
14
12
10
8
6
4
2
0
-2
-4
-6
2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
PIB
Source : BCRP
bal. commerciale/PIB
bal. courante/PIB
La forte correction observée sur le sol depuis le début de
l'année (-8,8% contre l'USD) devrait cependant contribuer à
modérer les importations et à réduire le déficit courant en
2014. Elle s'explique par la montée générale de l'aversion au
risque émergent, mais aussi par une prudence plus
spécifique à l'égard du Pérou. La Banque centrale vend
aujourd'hui de l'USD pour stabiliser le sol, alors qu'elle
essayait en 2012 d'enrayer son appréciation.
Mais les autorités péruviennes vont devoir aussi agir pour
une meilleure maîtrise de la demande domestique. Pour
le moment, elles ne le font pas : la consommation publique a
encore augmenté de 11,4% en volume au premier trimestre
(après 10,6% en 2012). Le secteur de la construction
progresse en moyenne de 12,2% par an (en volume) depuis
2005 (15,2% en 2012). Le président de la Banque centrale a
ainsi évoqué un "gonflement excessif du secteur des nonéchangeables". Les mots n'ont pas été prononcés, mais cela
ressemble beaucoup à l'idée de "maladie hollandaise". Un
coup de frein devient donc de plus en plus probable, qui
va affecter la croissance.
Le risque politique, enfin, reste présent. Malgré l'émergence réelle d'une classe moyenne urbaine, une part
significative (30% ?) de la population reste marginalisée,
et refuse le modèle de développement (l'opposition
persistante au projet minier Conga illustre ce refus). L'élection
en 2011 d'un président réformiste, Ollanta Humala, laissait
espérer de nouveaux efforts d'intégration. Ils sont jusqu'ici
modestes, le gouvernement ayant plutôt choisi de rassurer la
classe moyenne, les entreprises et les marchés. À court et
moyen terme, cela rassure et conforte l'optimisme, mais
laisse persister un clivage social que la seule croissance,
qui va ralentir dès les prochains mois, ne suffira pas à
faire disparaître.
13
Jean-Louis Martin
[email protected]
Uruguay
La croissance s'est repliée en 2012, à 3,9%. Il est vrai que le rythme des années précédentes (8,9%, puis 6,5% en
2011) était insoutenable dans un pays dont la population n'augmente que de 0,3% par an. Cette croissance va
un peu rebondir en 2013 et 2014, portée par la construction et l'entrée en production d'une nouvelle usine
géante de cellulose. Le souci principal de la politique économique est la persistance de l'inflation à un niveau
élevé, en raison surtout d'un marché du travail tendu et des pressions salariales. La modernisation réussie
d'une économie agricole, la bonne gestion de la dette publique et la qualité de la gouvernance ont permis à
l'Uruguay d'obtenir en 2012 et 2013 un "investment-grade" de la part des trois agences de notation. Il reste
toutefois un risque sérieux : les voisins du pays, avec une Argentine à la dérive et un Brésil englué dans une
croissance médiocre.
Fitch a été la dernière agence de notation à accorder un
investment-grade au souverain uruguayen, le 7 mars
2013. C'était déjà le cas pour S&P depuis avril 2012, et
Moody's depuis juillet 2012 (cette dernière assortissant
même son Baa3 d'une perspective positive). Aucun pays
n'a obtenu une remontée aussi forte de son rating
après un défaut (survenu en mai 2003 pour l'Uruguay).
Les agences relèvent toujours que le poids de la dette
publique reste plus élevé que pour la moyenne des pays
notés à ce niveau (c'est cependant de moins en moins
vrai : le ratio dette publique/PIB était fin 2012 de 37,7%,
contre 36,4% pour la médiane des pays notés Baa par
Moody's), mais toutes reconnaissent que la gestion de
cette dette est remarquable. Par exemple, la maturité
moyenne de cette dette est de onze ans, et d'ici 2020
l'amortissement annuel ne dépasse jamais 2% du PIB. La
part en devises reste plus élevée que pour la moyenne
des Baa (47% contre 29%), mais elle décroît rapidement
(89% en 2005).
Uruguay : indicateurs des finances publiques
4
3
2
1
0
-1
-2
-3
-4
-5
-6
% PIB
00
% PIB
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
02
04
06
08
10
12e
14p
dette publique (éch. dr.)
solde global des finances publiques
solde primaire des finances publiques
Source : Moody's, Crédit Agricole S.A.
D'autres faiblesses sont réelles. Ainsi le niveau élevé de
dollarisation du système bancaire : fin 2012, 72% des
dépôts étaient en devises, le niveau le plus élevé des
pays Baa (Panama exclu), la médiane étant de 27,9%.
Mais ce ratio était de 90% en 2004, et le FMI relève
(Article IV Consultation, décembre 2011) que "one of the
most relevant structural changes occurred in the
regulation and the supervision of the financial system
which has been substantially strengthened", et il est
maintenant "in line with international best practices".
Autre faiblesse : l'inflation. Elle reste dangereusement
proche de 10% (8,7% en juillet), bien au-delà de l'objectif
de la Banque centrale. Son principal moteur est la
N° 13/03 – Août 2013
demande domestique, très soutenue, elle-même portée par
une forte progression des salaires nominaux, dans un
contexte de marché du travail tendu. À court terme, la seule
option pour les autorités est sans doute fiscale : le déficit
budgétaire est modeste (autour de 2,0% du PIB en 2012),
mais il a augmenté par rapport à 2011, alors qu'il faudrait le
réduire. À plus long terme, la réponse est dans doute dans
des progrès de productivité qui permettraient de mieux
utiliser une ressource en travail limitée.
Et aussi : les "rigidités". Certains observateurs en voyaient
partout, qui présageaient un inévitable déclin : dans une
démographie faiblissante, dans l'incapacité à dégager des
progrès de productivité significatifs dans une économie
structurellement agricole, et dans un environnement
"socialiste" (avec un poids élevé du secteur public, une
législation du travail "archaïque"... et des électeurs votant à
gauche : tout le contraire du paradigme libéral en vogue !).
Concernant la démographie, l'âge moyen est certes plus
élevé que dans le reste de l'Amérique latine, mais depuis
2006 la population a recommencé à augmenter (0,35% par
an ; certains émigrés sont revenus). L'Uruguay a, par
ailleurs, des indicateurs d'éducation parmi les meilleurs de
la région (après Cuba et à égalité avec le Chili).
Et s'il est vrai que l'Uruguay est et restera une économie
à dominante agricole (les deux tiers des exportations en
2012), son agriculture a su évoluer et se moderniser :
élevage (avec des capitaux argentins et brésiliens), soja,
viticulture, et cellulose avec deux très grands projets, celui
de Fray Bentos, (1,1 million tonnes), en opération, et celui,
en construction, de Stora Enso et Arauco à Montes de Plata
(1,3 million tonnes et des exportations de l'ordre de
750 millions USD/an). Au total, cette transformation de
l'agriculture a permis à l'Uruguay une croissance moyenne
annuelle de 5,7% sur la période 2004-2012, soit +5,4%
par an et habitant : peu de pays peuvent afficher une telle
performance.
Les "rigidités politiques" enfin, et la meilleure gouvernance
de la région (au sens des indicateurs de la Banque
Mondiale ; celle du Chili n'apparaît supérieure qu'en raison
de la note très supérieure du Chili pour la "qualité de la
régulation"; mais il s'agit là d'idéologie) font que la société
uruguayenne est la plus homogène du continent, et
assurent au pays une stabilité politique sans équivalent.
Ni l'alternance en 2004 (pour la première fois, la gauche
accédait au pouvoir), ni l'élection du "radical" José Mujica en
2009 ne se sont traduits par des revirements significatifs de
la politique économique. Le risque politique uruguayen
est très faible, et le pays peut effectivement apparaître
comme un modèle pour le continent.
14
Jean-Louis Martin
[email protected]
Données structurelles 1
Brésil
Mexique
Argentine
Venezuela
Colombie
Chili
Pérou
Equateur
Rép. Dominicaine
Uruguay
Guatemala
Costa Rica
Am. latine & Caraïbes
PIB
PIB ppa/hab
M. hab
198,4
114,9
41,0
29,5
46,6
17,4
30,5
15,2
10,2
3,4
15,1
4,7
608
Mds USD
2 252
1 178
475
382
364
268
200
81
59
50
50
45
5 689
USD
11 850
15 760
18 070
13 730
10 880
17 700
11 000
8 890
8 650
16 020
5 120
13 320
12 260
Moy. ann., %
3,3
2,0
4,5
3,4
4,3
4,3
5,8
4,5
5,1
3,4
3,4
4,4
3,4
2014
2,7
3,8
2,5
2,5
4,5
4,5
3,8
4,0
4,1
4,8
3,4
4,5
3,3
2012
5,4
4,1
23,8
21,1
3,2
3,0
3,7
5,1
3,7
8,1
3,8
4,5
7,5
Croissance, prix
et échanges
Brésil
Mexique
Argentine *
Venezuela
Colombie
Chili
Pérou
Equateur
Rép. Dominicaine
Uruguay
Guatemala
Costa Rica
Am. latine & Caraïbes
PIB (a/a, %)
2012
0,9
3,9
1,9
5,5
4,0
5,5
6,3
5,0
3,9
3,8
3,0
5,0
2,7
Finances publiques
et risques
Brésil
Mexique
Argentine
Venezuela
Colombie
Chili
Pérou
Equateur
Rép. Dominicaine
Uruguay
Guatemala
Costa Rica
Am. latine & Caraïbes
Taux de
Exportations
croissance Exportations % mat. 1ères
2000-2012
2009-2011
Population
2013
2,3
2,5
2,0
1,0
3,8
4,3
4,4
4,0
3,2
4,5
3,4
4,1
2,7
1
2013
2,3
-0,3
-0,5
-1,8
0,4
1,0
2,2
-0,6
-1,3
0,7
-1,0
-2,3
0,7
3
Doing
Business
2013
% total
63,6
26,5
68,1
94,5
77,7
89,0
88,7
91,0
31,0
74,6
66,4
39,3
58,1
Classement 2
85
61
45
71
91
40
77
89
96
51
133
62
78
Moy. KKZ 3
57,5
51,9
37,4
7,1
55,1
89,4
51,1
21,4
32,3
72,8
31,8
66,9
50,9
Classement 4
130
48
124
180
45
37
43
139
116
89
93
110
102
2014
2,1
-0,4
-0,4
-0,6
0,2
0,4
2,0
-0,7
-0,4
1,0
-1,1
-2,7
0,6
2013
6,4
4,1
26,7
37,4
2,2
1,8
2,7
3,1
4,6
8,5
4,5
5,0
8,8
2014
5,5
4,0
25,0
30,0
2,5
2,5
2,5
2,9
4,9
8,0
4,9
4,8
7,8
2012
-2,4
-1,0
0,0
2,9
-3,3
-3,5
-3,6
-0,2
-6,8
-5,4
-2,9
-5,3
-1,7
Balance courante (% du PIB)
Dette publique (% du PIB)
2012
58,7
28,7
38,3
27,4
32,2
11,9
19,8
17,9
32,9
39,5
24,3
35,2
41,0
chiffres 2012 sauf indication contraire
Indice de Développement Humain, sur 187 pays
moyenne des KKZ 3 à 6, note de 0 (minimum) à 100 (maximum)
4
sur 185 pays
*
compte tenu des controverses sur l'indice officiel, l'inflation est une estimation CASA
2
Gouvernance
2011
Inflation (a/a, %)
Solde primaire (% du PIB)
2012
2,9
-0,7
-0,2
-2,2
0,6
1,1
3,0
-0,8
-4,2
0,4
-0,9
-2,3
0,9
Mds USD
242,6
370,7
80,9
97,3
66,9
78,3
45,6
24,7
9,1
9,9
10,1
11,4
1 110
IDH
2013
59,3
28,9
38,2
28,6
32,1
11,5
18,5
18,0
34,5
37,7
25,0
37,1
40,8
CDS 5 ans
2014
59,8
28,9
38,4
30,8
31,8
11,3
17,3
18,3
35,4
36,2
25,7
38,9
40,5
19/08/2013
203
126
2536
894
136
95
143
nd
440
214
215
301
2013
-2,7
-1,2
-0,2
2,8
-3,5
-2,9
-5,6
-1,0
-4,3
0,9
-4,2
-5,6
-1,9
2014
-2,6
-1,1
-0,3
2,9
-3,4
-2,7
-5,1
-1,2
-3,9
0,9
-4,2
-6,2
-1,9
Notation S&P / Moody's /
Fitch
19/08/2013
BBB / Baa2 / BBB
BBB / Baa1 / BBB+
B- / B3 / CC
B / B2 / B+
BBB / Baa3 / BBBAA- / Aa3 / A+
BBB / Baa2 / BBB
B / Caa1 / BB+ / B1 / B
BBB- / Baa3 / BBBBB / Ba1 / BB+
BB / Baa3 / BB+
Sources : instituts statistiques locaux, Banques centrales,
PNUD, Banque Mondiale, CEPALC, EIU, S&P's,
Moody's, Fitch, Thomson Reuters, Crédit Agricole SA
Achevé de rédiger le 19 août 2013
Directeur de la publication : Isabelle Job-Bazille
Rédaction en chef : Jean-Louis Martin
Réalisation et secrétariat de rédaction : Fabienne Pesty
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N° 13/03 – Août 2013
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