Côté jardin - ETHNISTORY

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Côté jardin - ETHNISTORY
PARIS MATCH - 23/08/2012 - N° 3301
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Darren TulettMulsanne P. 98
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Côté jard
De gauche à droite, le bouquet
de paysagistes qui sème le style français
dans le monde entier : Erik Borja,
sur la branche Pascal Cribier, Louis
Benech, Patrick Blanc, Jean Mus,
Eric Ossart et Arnaud Maurières.
Ils posent dans la Forêt dorée et la
Prairie, au milieu des bouleaux, des
épicéas et des herbes hautes des jardins
Albert-Kahn. Remerciements au
département des Hauts-de-Seine,
propriétaire d’Albert-Kahn, musée et
jardins à Boulogne-Billancourt.
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Les artisans
de la nature
CES FRANÇAIS SONT DES STARS INTERNATIONALES.
LEUR MÉTIER TOUCHE AUX CINQ SENS, ET À EUX SEPT CES PAYSAGISTES
DESSINENT LES PLUS BEAUX JARDINS DU MONDE. RENCONTRE.
Par Sixtine Dubly – Photos Hubert Fanthomme
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Côté jar
Jean
Mus
Un jardin en Méditerranée
Avec son accent du Sud, l’architecte paysagiste
s’exporte partout. De Shenzhen à Gstaad, de Santa
Barbara à l’Ukraine. Il dessine des jardins sensuels avec
force oliviers et cyprès, roses de Damas et jasmin. « Le
jardin méditerranéen est un théâtre. Il joue sept à huit
mois de l’année, de jour comme de nuit, où s’exhalent
toutes les odeurs. » Né dans un jardin, ou presque, d’un
père jardinier dans l’un des plus beaux domaines de
Grasse, la Villa Croisset, il est imprégné des senteurs
du Sud, et suit l’Ecole nationale du jardin et du paysage
de Versailles. Il a dessiné plus de 1 000 jardins, de
Monaco à Saint-Paul-de-Vence, dont la Villa Fiorentina et l’ancien Potager du roi des Belges à Cap-Ferrat.
S’il est sollicité par les contrées nordiques pour
apporter l’esthétique des jardins du Sud, en
bon Méditerranéen il ne cesse de leur
répéter : « Un olivier, ça se mérite ! »
Elevé sur un
domaine de Grasse,
il est devenu
le porte-parole
du jardin
méditerranéen et
parcourt le monde
avec ses oliviers.
Son conseil « Se lever tôt !
C’est au petit matin que l’on sent le mieux les
besoins de son jardin. L’arrosage automatique
est un barda de fainéant ! Coupez-le et
arrosez vous-même en dehors des heures
chaudes, ni trop ni trop peu. C’est aussi la
meilleure façon d’en profiter. »
Au Grand Hôtel de Cap-Ferrat, à quelques kilomètres
de Grasse, Jean Mus a choisi pour les clients
une allée de roses blanches romanesque et parfumée.
Les ongles longs, les cheveux verts,
Patrick Blanc est une espèce rare, l’inventeur du
mur végétal, copié dans le monde entier.
Jardin vertical sur
la côte ouest des
Etats-Unis, dans la ville
de Tacoma, pour la
fondation Tacoma
Goodwill, en 2009. Ici et en haut : l’ancien Potager du roi des Belges à Cap-Ferrat
où se mêlent palmiers, cyprès et buis bien taillés.
Patrick Blanc
Inventeur perché
« Je déteste les jardins, l’homme y est trop interventionniste. » Botaniste et chercheur au CNRS,
Patrick Blanc est donc l’inventeur du jardin vertical, car « on ne se balade pas sur des murs, la nature
reprend ses droits ». « Le brevet consiste en quelques agrafes sur une serpillière avec des plantes dedans »,
décrit-il modestement. Cette création inédite dans le monde est popularisée en 2001 grâce à la designer
Andrée Putman, qui lui en demande 10 mètres pour l’hôtel Pershing Hall à Paris. Il récidive en 2005 pour
l’architecte Jean Nouvel sur une façade du musée du Quai-Branly. Aujourd’hui, le système est copié aux
quatre coins de la planète. Patrick Blanc s’en moque, c’est la rançon du succès. Fasciné depuis l’enfance
par la faune et la flore exotiques, il sillonne le monde en chemise camouflage (fleurs, feuilles...) et cheveux
vert lagon à la recherche de nouveaux spécimens. En 2011, un bégonia qu’il a découvert aux Philippines a
été baptisé « Begonia blancii ». Il teste en parallèle des expériences de plus en plus innovantes. A Bahreïn,
55 °C l’été, il alimente ses plantes avec l’eau des climatiseurs ; à Bali, il enveloppe un resort entier ; à
Sydney, il teste, encore avec Jean Nouvel, les efets graphiques de
carrés de verdure sur un gratte-ciel babylonien. Rien ne l’arrête.
« J’ai la chance d’avoir en ville des millions de mètres carrés
inutilisés qui peuvent nous faire du bien ! » En septembre, il
inaugurera le plus grand mur végétal du monde : 2 000 mètres
carrés au centre commercial de l’Alpha Park aux Clayes-sous-Bois.
Son conseil « Considérez chaque plante comme
une invitée à part entière et renseignez-vous sur ses goûts : soleil,
eau, afnités électives. C’est la moindre des courtoisies ! »
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Eric Ossart et Arnaud Maurières
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Les mauvaises graines
Classé Monument historique, le
jardin des Colombières à Menton a
été réalisé dans les années 20 par
Ferdinand Bac. Eric Ossart et Arnaud
Maurières l’ont restauré avec superbe
dans un esprit très contemporain.
Quand ils parlent ronces et autres mauvaises herbes, ils s’emballent.
A Paris, on s’arrache leurs magnifiques terrasses hérissées de graminées et
d’aubépines. A Taroudannt, dans le sud du Maroc, où ils sont installés
depuis dix ans, ils ont réhabilité toutes sortes de cactées, dont les figues de
Barbarie, aux fleurs roses, jaunes, orange... Parmi leurs
célèbres clients, Jack Lang ou l’impératrice d’Iran, Sa
Majesté Farah Diba (Pahlavi), qui les a lancés au Maroc.
Sans oublier les réalisations françaises de ce couple de
charme, le jardin de l’Alchimiste en Provence, celui des
Colombières à Menton. En ce moment, ils terminent à
Marrakech les 8)hectares d’une galeriste française
installée à Londres et sont de plus en plus souvent au
Mexique, à San Miguel de Allende. Tous deux ont eu un
coup de cœur pour cette région à la flore extraordinaire
et encore très préservée. « Là-bas, c’est l’éden, assure Arnaud, c’est en train
de devenir le Luberon de l’Amérique du Sud. »
A cheval entre le Maroc,
la France et le Mexique,
ils ont l’art de réhabiliter les
mal-aimées, graminées, cactus Leur conseil « Repérez dans votre région un beau
talus de fleurs naturelles. Récoltez les graines après la floraison,
et autres mauvaises herbes.
fin août, conservez-les au sec dans un sachet en papier et
semez-les au printemps, dans un bac à fleurs ou un massif. »
Sur une commande de Jack Lang, Ossart
et Maurières ont aménagé, il y a vingt ans, une roseraie
atypique dans la ville de Blois, qui mariait pour
la première fois les espèces modernes et anciennes.
Un balcon baroque sur la Loire qui n’a pas pris une ride.
Une prairie de graminées avec
vue sur l’Arc de Triomphe, rue
de Tilsitt à Paris, inspiré par
la Grande Prairie de Chicago.
Le duo est devenu au fil
du temps spécialiste des terrasses
parisiennes échevelées.
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Côté jar
Erik Borja
Le maître zen
Dans la Drôme, il a fait de son jardin une œuvre d’art composée
de six espaces, dont le jardin de Méditation où chaque pierre a été
soigneusement choisie. Visite sur rendez-vous.
A 71 ans, il a des allures de moine jardinier de Kyoto. Tous ses
jardins s’inspirent de l’art zen japonais.
Ne comptez pas sur lui pour vous
réaliser un jardin en cinq sec. Erik Borja est
zen jusqu’au bout des doigts, il lui faut trois
à cinq ans au minimum pour concevoir,
penser et réaliser un projet. On l’imagine
coller lui-même les
feuilles des arbres une
à une. Ses clients sont
d’ailleurs des esthètes, des maisons de
luxe au jardin de la photographe Bettina
Rheims dans le Marais. « Le jardin zen
évoque un sentiment, explique-t-il. Il
transcende la nature, à la manière des
“Nymphéas” de Monet. » Erik Borja est
tombé dedans en)1977 lors d’un voyage au
Japon. Il plaque son métier de sculpteur
et fait de sa bergerie de la Drôme un
autoportrait sur 3)hectares ouverts à tous.
Avec des pins, des érables, des camélias,
des azalées, des mousses et des rochers.
En ce moment, il mûrit les 5)hectares
d’une colline de Lausanne pour des
particuliers très patients.
Pascal Cribier
Belle plante
A peine descendu d’un arbre qu’il y remonte. Jardinier au physique d’athlète
et à la gueule d’ange, Pascal Cribier taille lui-même les pins d’Alep de son dernier
chantier, la villa du milliardaire russe Andreï Melnichenko à Cap-d’Antibes. Le même
qui a fait construire son yacht pharaonique par le designer Philippe Starck. Dans ce
jardin botanique de 12 hectares, le propriétaire n’a pas hésité à raser des maisons sur
les conseils de son célèbre jardinier, qui travaille sans portable ni ordinateur. Pascal
Cribier est un puriste. Il élague de par le monde,
Il déteste les
comme en son bois de Morville, « pour laisser
jardins bien
passer la lumière ». Une valleuse normande avec
ficelés et
vue sur la mer, qu’il travaille au corps depuis)1972
s’attache à
avec ses amis Eric Choquet et Robert Morel.
créer un
C’est dans ce laboratoire de plein air que le
désordre
jardinier replante chaque printemps la superbe
« beau de
prairie ondoyante et estivale qui l’a fait connaître.
partout ».
Un champ dans un jardin. L’idée a été largement
copiée. « Le plus beau compliment qu’on puisse
me faire ? C’est beau... mais vous n’avez rien fait !
Je n’aime pas les gestes. A chaque jardin son jardin. » Comme le motu du géant
cosmétique François Nars à Bora Bora replanté de cocotiers et de fougères ou le
ranch du patron français William Kriegel dans le Montana. S’il sera cette année entre
le Chili, l’Autriche et l’Angleterre, Pascal Cribier, ex-champion de kart, architecte et
petit-fils de garde champêtre, se ressource toujours au bois de Morville. En trente)ans
ont fleuri tout autour des jardins d’amateurs éclairés qui s’échangent des graines
précieuses comme d’autres, des recettes de cuisine.
Son conseil « Quand vous achetez une plante, regardez bien ses racines. Si elles
forment un chignon emmêlé, elles auront plus de mal une fois plantées à aller chercher
l’eau sous terre. Les arbres fruitiers seront moins productifs et mourront plus jeunes. »
PARIS MATCH DU 23 AU 29 AOÛT 2012
Au donjon de Vez, dans l’Oise,
l’artiste s’inspire des jardins
médiévaux pour créer des parterres
minimalistes d’iris de Sibérie en écho
à la forteresse. Ouvert au public.
A Varengeville-sur-Mer,
une valleuse ombragée
de hêtres, chênes et
châtaigniers, mêlée aux
floraisons des azalées et
des géraniums
rhizomateux. Pascal
ouvre son domaine sur
rendez-vous : www.
boisdemorville.fr.
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C’est dans le château de
Villandry, ouvert au
public, au bord de la
Loire, que Louis Benech
a aménagé les jardins
du Soleil et la chambre
des Nuages. Oliviers et
marguerites semblent y
batifoler en liberté.
Des pins nains, des azalées et des
camélias bien sûr, pour le jardin zen et privé à
Neuilly-sur-Seine.
Son conseil « Commencez petit.
Dans un pot, un coin de jardin avec des
pierres et de la mousse. C’est en
découvrant une composition minérale
de 1 mètre carré entre deux stationsservice à Kyoto que j’ai eu une
révélation. Ce n’était pas la cathédrale
de Chartres, mais j’ai pleuré ! »
Il vient de gagner le
concours du jardin de
Versailles, la consécration
pour un paysagiste. Il va
bientôt réaménager les
14 000 mètres carrés du
bosquet du Théâtre d’eau,
à Versailles.
Au jardin
d’Aramon, dans le
Gard, Pascal
Cribier ose un rouge
couture au beau
milieu de la nature.
L’esprit du land art
n’est pas loin.
Ci-contre : le jardin fleuri
de la ferme du
Connecticut, aux
Etats-Unis, de la créatrice
de mode Diane von
Fürstenberg..
Louis Benech
L’aristocrate
Petit, il enlaçait les arbres. Aujourd’hui, le paysagiste
revendique douceur et sensualité. « Un jardin se caresse
de l’œil et de la main », souligne l’intéressé, qui allie le style
à la française et le jardin buissonnier, les buis bien taillés
et les parterres de graminées échevelées. Mick Jagger et
François Pinault ont succombé au charme d’un jardin à la
Benech. Son parcours singulier commence par des études
de droit avant de bifurquer dans une pépinière anglaise, où il
apprend le métier comme ouvrier. De retour en
Normandie, il travaille pour Loel Guinness, qui le « prête » à
Guy et Marie-Hélène de Rothschild et,
de fil en aiguille, Pierre Bergé et Yves Saint
Laurent viennent du château Gabriel boire le thé
dans sa caravane. Eux aussi sont séduits. Mais ce
sont d’autres jardins qui le rendront célèbre :
les Tuileries à Paris, qu’il restaure en)1990 avec
Pascal Cribier, le château de Villandry, au bord
de la Loire, ou encore le quadrilatère des
Archives nationales, dans le quartier du Marais.
Depuis, Louis Benech n’a cessé de voyager, pour
des jardins du bout du monde. En ce moment,
à Singapour, au Brésil, au Portugal. Et bientôt
Versailles, où il va restaurer un bosquet.
Il travaille pour l’homme : « Je pense d’abord au
jardinier, son âge, ses moyens, son temps, avant de me lancer. Il est inutile de
vouloir mettre sa patte partout où l’on passe ! D’autant qu’un beau jardin ce sont
dix ans de maturité. Ce temps, plus que tout autre chose, est un vrai luxe. »
Botaniste attentif, il sait aussi secourir des fans d’hortensias désargentés.
Logiquement, il est le plus mal chaussé. Quoique. Son jardin-agence,
dans le XIXe arrondissement de Paris, est « imprésentable ». Alors, il exerce chez
Christian Louboutin, la star des talons aiguilles et son compagnon depuis
quinze ans. « Là, je peux m’amuser un peu ! »
Louis Benech crée du mobilier
Tailler, bouturer, planter et dessiner l’éléde jardin, ici le banc Nara,
gante jaquette du « Bottin mondain 2012 ».
édité chez Philippe Hurel.
Son conseil « En été, ne faites rien !
Profitez-en, c’est le moment où l’on récolte
les eforts d’une année. Au pire, vous pouvez
faire du “deadheading”, couper les têtes des
roses mortes. »
Sixtine DUBLY
pa r i s m a t c h .c o m