Sur le tournage du prochain Despentes

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Sur le tournage du prochain Despentes
Sur le tournage du prochain Despentes
05/09/2010
Crédits photo: Emmanuelle Béart sur le tournage du prochain film de Vriginie Despentes. (Photo
David Balicki)
Dix ans après le controversé "Baise-moi", Virgine Despentes repasse derrière la caméra et adapte
son roman "Bye bye Blondie", avec Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart. Reportage sur le tournage
à Nancy, où elle recrée les années punk de son adolescence. Photos David Balicki.
Nancy, 21 juillet. Accoudée à un muret sur le toit d'un immeuble, cheveux en pétard et Docs aux
pieds, Gloria tient une lettre chiffonnée. "Mais tu te rends compte, comment peut-elle me dire ça ?",
demande-t-elle à son meilleur ami sans attendre vraiment de réponse. Elle est en larmes, le
maquillage coule. Pour apaiser son chagrin, elle boit à la bouteille de grandes lampées de vin. Elle
vient de se faire larguer par sa petite amie, Frances. Ses potes, punks comme elle, tentent mollement
de la calmer. "Elle n'était pas faite pour toi cette fille, laisse tomber." "Allez tous vous faire enculer !
Allez tous vous faire enculer !", hurle Gloria en s'éloignant. "Coupez !" Gloria, c'est Soko, chanteuse et
jeune comédienne révélée il y a deux ans par A l'origine de Xavier Giannoli. Elle n'est pas contente de
la scène. Pas contente du rythme, de son jeu et de celui des autres punks. Assise près du combo en
compagnie de l'équipe technique, Virginie Despentes se lève et rejoint sa comédienne pour en
parler.
Dix ans après Baise-moi, film coup-de-poing réalisé avec Coralie
Trinh Thi et censuré à sa sortie, Despentes passe à nouveau
derrière la caméra. Elle adapte Bye Bye Blondie, son roman paru
en 2004, avec Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle dans les rôles
principaux. En attendant la reprise, les jeunes punks figurants
squattent dans l'herbe, s'amusent et viennent échanger
quelques mots avec la réalisatrice. Jeans ultraslim, T-shirts
déchirés ornés d'épingles à nourrice, crêtes, yeux noirs : ils
semblent tout droit sortis des années 80, durant lesquelles se
déroule une partie du film. "On les a trouvés comme ça à Paris
en faisant un casting. On a plutôt dû en enlever qu'en ajouter,
explique Béatrice Préciado, compagne de Despentes et
conseillère sur le film. Ils étaient couverts de piercings, ça ne
faisait pas très années 80."
Le tournage de la scène reprend. Planquée sous des tentes et
des parapluies, l'équipe tente de composer avec la pluie
intermittente et les bagnoles, hip-hop à fond, qui passent trop
près en bas de l'immeuble et perturbent la prise de son. "On la
refait !" Béatrice Dalle, vêtue de noir de la tête aux pieds
(sweat à capuche, grosses lunettes) fait une apparition. Elle
fonce vers Despentes : "Je suis en pleine forme ! Salut copine, je
suis revenue vous faire chier !" Une varicelle l'a tenue à l'écart
ces dernières semaines et tout le plan de tournage a dû être
modifié en catastrophe.
21 heures, c'est dans la boîte. L'équipe fonce dîner sous un chapiteau dressé sur un parking à
quelques centaines de mètres. La pause est rapide : il faut encore tourner une séquence de nuit dans
les rues de la ville. A table, l'ambiance est bon enfant. Despentes plaisante avec l'équipe. Soko a
quitté son costume noir et blanc et son maquillage à la Siouxie pour une longue tunique néohippie,
très en vogue à Los Angeles où elle vit plusieurs mois par an. En mangeant son menu végétarien, elle
explique qu'elle hésite à partir en tournée ou à retourner en studio achever son premier album. Un
emploi du temps chargé qui a failli la tenir à l'écart du film. "Virginie avait peur que je ne sois pas
assez disponible, raconte-t-elle. Au départ, je devais jouer Frances et j'ai appris que Virginie
continuait les castings alors que je pensais avoir été choisie. Je lui ai envoyé des mails tous les jours.
Elle ne me répondait pas, je lui laissais des messages en larmes. J'étais à mille pour cent dès le début,
j'avais vu Baise-moi, lu King Kong théorie : ce livre m'a mise dans un état de rébellion totale.
Finalement on s'est revues, elle m'a dit qu'elle me prenait et que je changeais de rôle. Je suis contente
: le personnage de Gloria (interprété par Béatrice Dalle à l'âge adulte - ndlr), c'est vachement plus
mon énergie."
Cela fait plus de quatre ans que Virginie Despentes travaille à l'adaptation de Bye Bye Blondie. Sur
son nom et sur ceux du casting, elle a réussi à rassembler 3 millions d'euros. Un budget qui s'est vite
révélé serré. "Je ne vais pas me plaindre. Il y en a pour qui c'est encore plus compliqué. Je n'avais pas
réalisé qu'être Virginie Despentes et être une femme dans le milieu du cinéma, c'est mieux que d'être
personne mais ce n'est pas énorme non plus. J'ai l'impression qu'il est très rare que les femmes
bossent avec des gros budgets. Kathryn Bigelow reste une exception. Ce qui est sûr, c'est que
Baisemoi n'a pas créé un capital confiance."
Tourné en DV, avec une équipe qui tenait dans deux voitures, sans costumière ni maquilleuse, Baisemoi avait été réalisé dans une liberté totale. Bye Bye Blondie s'inscrit dans une tout autre économie :
une équipe de quarante personnes et un timing (sept semaines de tournage) à respecter.
Le scénario a donc énormément évolué au cours du projet. "Au départ, il y avait davantage de lieux
et de décors, mais ça coûte cher. J'ai été obligée de m'adapter aux contraintes. Tu ne peux pas aller
chez Costes, chez Colette. C'est trop cher à louer ou à reconstituer. Il y aussi la question de la durée.
Quand tu écris, tu t'en fous. Là, il faut que ça tienne en une heure et demie ou deux heures. J'ai donc
essayé de concentrer toute la seconde partie du livre."
Bye Bye Blondie est l'un des romans les plus
intimes de Despentes. Avec Nancy, sa ville
natale, en toile de fond, il pose la question des
compromis vis-à-vis des idéaux de jeunesse. Il
revient aussi sur les années punk et leur
héritage, en confrontant les trajectoires de deux
personnages qui se rencontrent en HP : Gloria,
une punk écorchée vive issue d'une famille
modeste et Eric, un jeune fils de bonne famille
qui a rejeté les idéaux de sa classe pour épouser
ceux du No Future. Entre eux, une histoire
d'amour passionnelle, violemment interrompue
par la famille d'Eric. Vingt ans plus tard, devenu présentateur télé à succès, Eric revient à Nancy et
tombe sur Gloria qui zone toujours dans les bars de la ville. Leur histoire reprend.
Dès le départ, le choix de Béatrice Dalle pour incarner Gloria a été une évidence. "Ça l'était même
tellement que j'avais des doutes, poursuit Despentes. J'avais peur que le personnage soit trop proche
de Béatrice." La rencontre avec la comédienne les dissipe aussitôt.
Mais survient une difficulté de taille : trouver un partenaire masculin qui s'accorde avec Dalle.
"J'aimais bien Romain Duris mais ils avaient déjà fait ensemble 17 fois Cécile Cassard de Christophe
Honoré. Je ne trouvais pas. Un jour Dalle m'a dit : "On n'a qu'à prendre une femme." Ça m'a paru
évident et ça a débloqué l'écriture du scénario : ça rendait tout plus intéressant."
Dans le film, Eric est donc devenu Frances, star de la télé qui, pour cacher son homosexualité au
grand public, a épousé un écrivain, lui aussi homosexuel (Pascal Greggory). Emmanuelle Béart joue
Frances. Clara Ponsot, jeune actrice sortie du Conservatoire, "très précise et à l'insolence troublante",
interprète Béart jeune.
"Tout à coup, je savais pourquoi j'avais envie de faire ce film, continue Despentes. J'aime l'idée
d'essayer de représenter quelque chose que je n'ai pas déjà vu quarante fois au cinéma. Bye Bye
Blondie est vraiment une comédie bourgeoise classique, avec un coeur dramatique. Formellement,
narrativement, au niveau du casting, je sais que je n'amène pas grand-chose de nouveau. C'est un
projet très différent de Baise-moi. Ce qui est intéressant, c'est que ce soit lesbien.
Cela crée des situations inédites : un personnage comme celui de Frances jeune, en jean, grosses
bottes, peu féminine mais hypersexy, je n'ai pas l'impression de l'avoir vu cinquante fois. Créer des
archétypes en tant que réalisatrice ou écrivaine est ce qui m'intéresse le plus."
23h30, le tournage reprend. Frances et Gloria courent à toute allure et s'engouffrent dans une rue
sombre taguée des noms de groupes de l'époque (Ludwig Von 88...) pour échapper à un fourgon de
police. Dans l'angle de la ruelle, Frances, parfaite dans son look de petite butch, plaque Gloria contre
un mur et tente de l'embrasser. 2 heures du matin. Despentes siffle la fin de la journée. L'équipe
rentre à l'hôtel, face à la gare.
Le lendemain, postée sur le pont d'une voie à grande vitesse avec une équipe réduite, Virginie
Despentes fixe son écran de contrôle avec attention. "J'adore la lumière aujourd'hui", dit-elle en
regardant le ciel de Nancy, gris, étrangement lumineux. L'équipe tourne le premier plan du film. Celui
qui voit Frances revenir vingt-cinq ans plus tard à Nancy dans sa Jaguar. Dans un lent panoramique,
Hélène Louvart, la chef op (Les Plages d'Agnès, Ma mère, Y aura-t-il de la neige à Noël?...), suit la
berline avant de fondre sur la ville. "J'avais le souvenir d'une ville atroce. Là, je trouve ça plutôt joli,
raconte Despentes. A 17 ans, j'ai vraiment eu l'impression de quitter un lieu sinistré. En fait, c'est
assez riche, il y a de très beaux coins."
A 17 ans, Despentes était punk tendance oï, sa branche la plus basique. "Nancy à l'époque était
davantage intello, post newwave, jazzy et industrielle que punk. Il y avait Kas Product, Dick Tracy, le
label Les disques du soleil et de l'acier. Joy Division, c'était presque mainstream." On sent que sa
jeunesse a nourri le personnage de Gloria mais elle stoppe net toute tentative d'amalgame : "Ce que
j'ai vécu était plus complexe et je n'ai pas envie de raconter ma vie. J'ai été punk, j'ai fait un séjour en
HP aussi."
L'après-midi, on rejoint le reste de l'équipe. Stomy Bugsy, qui joue le rôle du chauffeur
d'Emmanuelle Béart, sifflote, en costard, et répète l'air qu'il doit chanter dans la scène suivante. Fine,
perchée sur des talons, Béart papote avec les maquilleuses et entre dans sa loge préparer sa scène.
Au catering, le lieu où sont accueillis les artistes, Béatrice Dalle déconne avec les techniciens. Vue
récemment dans Domaine de Patrick Chiha et bientôt dans Jimmy Rivière, le premier film de Teddy
Lussi-Modeste, elle apparaît plus que jamais comme l'égérie du jeune cinéma d'auteur singulier. Son
personnage ? "Je n'y pense jamais, explique-t-elle. Ce qui me plaît, c'est un réalisateur, une âme. A
partir de là, je peux jouer n'importe quel rôle. Gloria est violente mais je le suis aussi dans la vie, en
paroles, en gestes. Gloria n'a pas fait de compromis et moi non plus. L'intégrité, ça paye." Elle dresse
le portrait d'une Despentes "toujours juste" qui laisse énormément d'autonomie à ses comédiens. "Je
pense que c'est dû à l'écriture. Elle a vraiment écrit en pensant à nous." Vêtue de cuir, Béart rejoint le
plateau. Pour l'instant les deux actrices ont tourné peu de scènes communes. "Etre ensemble et
s'embrasser, c'est assez évident pour elles, conclut Despentes. Je crois que ça les amuse."