Book Review: Missionnaires et Églises en Afrique et à Madagascar

Transcription

Book Review: Missionnaires et Églises en Afrique et à Madagascar
616
Studies in Religion / Sciences Religieuses 45(4)
Missionnaires et Églises en Afrique et à Madagascar
Annie Lenoble-Bart (dir.)
Turnhout : Brepolis, 2015. 732 p.
L’ouvrage collectif dirigé par l’historienne Annie Lenoble-Bart nous propose un voyage
au cœur de l’activité missionnaire en Afrique aux 19e et 20e siècles. Optant pour une
perspective chronologique et œcuménique, l’ouvrage est divisé en trois parties thématiques rassemblant des récits de voyage, des correspondances et des parcours autobiographiques de catholiques ou protestants. Chacun de ces témoignages est précédé d’une
mise en contexte, d’un historique de la communauté et d’une brève analyse. Ces textes
introductifs varient énormément d’un auteur à l’autre : certains misent sur l’analyse au
détriment de la mise en contexte, alors que pour d’autres, c’est le contraire. C’est donc à
travers une période espace–temps assez large que l’ouvrage navigue sur les eaux d’une
histoire passionnante, celle du zèle prosélyte de missionnaires chrétiens en Afrique.
L’action de ces hommes et femmes de foi se situait, bien souvent, en marge de celle
des marchands, des militaires et du personnel politique. C’est ce que rappelle la première
partie de l’ouvrage qui se consacre à l’installation des premières missions sur le continent. Que ce soit le parcours de mère Rosalie Javouney de la Société Saint-Joseph de
Cluny à son arrivée au Sénégal en 1818, l’arrivée de spiritains entre 1860 et 1869 près de
Bagamoyo en Tanzanie, l’expérience vécue par la première communauté de Lagos
originaire du Brésil ou l’installation de sœurs blanches à Issavi au Rwanda en 1909,
on perçoit les tensions perpétuelles sur le terrain missionnaire. L’acclimatation aux
contextes géographique, culturel et social n’est pas toujours facile. C’est aussi « l’agitation perpétuelle » (85) du missionnaire qui est abordé, notamment dans le texte consacré
au père Duparquet, un spiritain français, qui a créé de nombreux diocèses en Guinée, au
Gabon, au Sénégal et au Congo. Dans un récit fascinant, la théologienne Waltraud
Verlaguet retranscrit les mémoires de la missionnaire allemande Élisabeth Wittrock qui
a œuvré en Afrique du Sud. De la Guerre des Boers à la Deuxième Guerre mondiale, elle
a épousé « tous les poncifs de la propagande [ . . . ] jusqu’à un antisémitisme stéréotypé »
(98). Ces histoires mettent en exergue les rapports parfois difficiles des missionnaires
non seulement avec les colonisateurs et colonisés, mais aussi avec les autres chrétiens en
sol africain. La seconde section de cette première partie s’attarde à la consolidation des
réseaux missionnaires en Afrique. On retrace, lors de cette phase de découvertes, le
voyage de sœurs blanches vers une terre peu connue à l’époque, le Rwaza (Rwanda)
en 1913, la préhistoire de la mission de Lumezi en Rhodhésie du Nord par le père blanc
néerlandais Jan Willekens ainsi que la trajectoire du premier prêtre nigérian, Paul Ogbodoecine, via les yeux du père Zappa des Missions africaines. La mission y est présentée
comme un combat contre le paganisme et le protestantisme.
La deuxième partie de l’ouvrage collectif aborde la question de la vie quotidienne en
mission et de son évolution au 19e siècle. Les documents mettent l’accent sur les problèmes quotidiens, des plus banals aux plus fondamentaux, sur les rapports à l’administration coloniale et sur les enjeux de gouvernance spirituelle et d’adaptation. Deux
récits concernent le Sénégal, mais dans des perspectives différentes : le périple de sœur
Book Reviews / Comptes rendus
617
Marie de La Croix de Saint-Joseph de Cluny qui adhère à un esprit de conquête coloniale
pour se rendre au poste de traite de Podor en 1854, en comparaison avec la perspective
quasi anthropologique et logistique du père Louis Reymond de la Société des missions
africaines à Dakar en 1858. Un récit similaire raconte les impressions géographiques et
anthropologiques du jeune évangéliste Élie Allégret lors d’un séjour au Gabon entre
1889 et 1891. Deux autres récits évoquent, pour leurs parts, des tensions quotidiennes
entre missionnaires : l’un réfère aux tensions de prêtres des Missions africaines du
Dahomey avec des prêtres brésiliens, alors qu’un autre récit s’attarde aux tensions
d’un groupe de missionnaires en Afrique équatoriale avec le haut clergé lors d’un conseil
général de la Société des Missions Étrangères. Les deux derniers récits relatés concernent l’esclavagisme : le cas de la Gold Coast en Guinée qui a fait l’objet d’un rapport du
père Maximilian Albert en 1898 et un rapport de Jules Moury sur les villages de liberté
en 1911 en Côte d’Ivoire, rapport qui note que « la religion a ennobli ces pauvres
esclaves » (369).
La seconde section de cette partie sur la vie quotidienne s’attarde au 20e siècle.
L’anthropologue François Richard présente deux sources : les instructions de monseigneur Streicher aux missionnaires de Notre-Dame-de-Lourdes en Ouganda en 1916
et les circulaires du vicaire apostolique du Togo, monseigneur Cessou, entre 1933 et
1941. Ce dernier récit recense ses efforts linguistiques et culturels ainsi que son désir
d’apprendre de ses visites en sols africains. Un saut dans les années 1950 nous amène
ensuite à une Église qui s’institutionnalise ou s’africanise à travers les mémoires passionnantes du père Balluet, rédemptionniste en Haute-Volta. Enfin, le parcours de Paul
Coulon durant ses années de missionnariat et de journalisme à Brazzaville évoque les
défis auquel est confronté le développement d’une presse locale.
La dernière partie de l’ouvrage rassemble divers documents sur les mutations des
missions, soit les « modifications significatives de la façon d’envisager la mission et ses
modes de communication » (445). Il s’agit de la transition vers des Églises « postmissionnaires » dans le langage, les méthodes et les modes de communication et de
transport. Pour ce faire, les auteurs explorent les tractations dans les années 1940 menant
à l’exposition d’art chrétien africain à Rome, les demandes de retour dans leur pays natal
de sœurs blanches dans les années 1930 et les enjeux menant à la création d’une université nationale rwandaise par les Dominicains en 1963 avec l’aide du père canadien
Georges-Henri Lévesque. C’est sans compter le captivant journal de mère Marcellus,
sœur blanche, en Côte d’Ivoire en 1956, qui est précédé d’une excellente analyse de
l’historienne Catherine Marin. Trois autres récits reflètent des mutations de l’engagement missionnaire : l’aggiornamento des pratiques par le prêtre Fidei Donum au Burundi
entre 1968 et 1971, la « zaı̈risation » sous le président Mobutu au Congo des années 1970
et la réaction face aux attentats perpétrés en Algérie au milieu des années 1990.
La toute dernière section se concentre sur les remises en question des missions et de
l’Église en Afrique. La question de « l’authenticité » des missions est au cœur des
réflexions. Ces dernières passent autant par le père François Aupiais qui utilise ses
tribunes européennes pour « réhabiliter les noirs » (591) et combattre les préjugés en
1929 que par la conférence de monseigneur de Souza appelant à libérer l’homme
d’Afrique de l’impérialisme occidental en 1976. La conférence du père blanc André
Demeerseman en 1938 permet aussi de réfléchir sur le dialogue qui représente « une
618
Studies in Religion / Sciences Religieuses 45(4)
rencontre à dimension apostolique de quelqu’un qui est disposé à écouter l’âme de son
interlocuteur pour faire de cette rencontre un moment théologal » (600). Des réflexions
théologiques sont présentées autour du missiologue Marc Spindler : sa prédication dans
une perspective de dialogue et d’échanges à la suite des attentats des Jeux de Munich en
1972, les réflexions du jeune théologien camerounais Étienne Domché en 1986 ainsi que
la conférence de Spindler en 1996 à l’Église réformée d’Anduhalo concernant un
État laı̈c.
À travers leurs yeux, c’est l’histoire des communautés religieuses, de la coopération
internationale, de la colonisation et de la décolonisation qui s’observent. Les récits
présentés recensent le caractère dialogique des missions, la prise de parole dans l’espace
public africain ainsi que les transformations de l’éthos missionnaire. Comme le rappelle
Jean-Marie Bouron dans l’ouvrage, la vie missionnaire « définit de nouvelles limites à la
subjectivité des prêtres qui, au contact de réalités pastorales, réaménagent leurs propres
identités » (412). Par-dessus tout, un tel livre permet de constater la panoplie de documents disponibles aux chercheurs s’intéressant aux relations interculturelles, aux rapports de domination, aux dynamiques religieuses et aux mouvements nationalistes et
identitaires africains depuis plus de 200 ans.
Éric Desautels
Concordia University
L’épı̂tre aux Romains
Commentaire biblique : Nouveau Testament 6
Alain Gignac
Paris : Cerf, 2014. 645 p.
Dans un premier temps de l’introduction (34–64), Gignac utilise la notion d’herméneutique pour clarifier : 1) les présupposés des méthodes et des recherches historicocritiques et ceux des modèles épistolaire et rhétorique (50, 54, 57, 60) ; 2) ses propres
présupposés en tant que commentateur : ce sera un commentaire francophone par rapport
à un commentaire anglophone (54, 57) ; et l’auteur est un québécois (image du fleuve
Saint-Laurent, 63–64) ; 3) l’interprétation ouvre enfin à une actualisation du texte dans la
ligne des questions identitaires, proposées par Gignac.
La dimension historique permet de voir la différence du contexte originel par rapport
à celui du lecteur d’aujourd’hui (différence des horizons). Cependant, deux raisons font
que Gignac relativise la situation précise des communautés romaines : 1) cette situation
est difficile à saisir ; 2) la lettre échappe à l’auditoire que lui avait fixé Paul. Gignac
conclut que « la prise en compte du macro-contexte culturel sera plus importante que
celle du micro-contexte communautaire » (54). Alors que la tendance actuelle est de
contextualiser Romains à travers une reconstruction hypothétique d’un micro-contexte
communautaire (33), Gignac choisit une approche synchronique qui consiste dans une
« analyse discursive qui nous donne à penser et qui renouvelle notre regard » (34). Les
modèles rhétorique et épistolaire permettent d’ancrer Romains dans le grand contexte du