Ghost, La Playlist de Marcello Previtali
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Ghost, La Playlist de Marcello Previtali
SAMEDI 28 NOVEMBRE 2015 LE JOURNAL DU JURA RIFFS HIFI 23 GHOST Pour son obscur créateur, il faut comprendre son histoire pour comprendre le groupe Diabolus in musica, Deus in absentia PASCAL VUILLE Dans le bus de tournée du mystérieux sextet, un homme ambitieux, la mi-trentaine, prend langue avec nous: le Pape Emeritus III, créateur et mentor du groupe le plus paradoxal de la décennie: Ghost. Depuis cinq ans, un groupe de metal ne cesse de polariser l’attention: on adore ou on déteste Ghost. Les Suédois, qui avancent masqués, produisent un rock racé, romantique, flamboyant, flirtant avec différents genres sur fond de satanisme philosophique. Leur rock est on ne peut plus éclectique: H.I.M., Paradise Lost, Kansas, Toto, Deep Purple, Alice Cooper, Ozzy, Enigma ou Simon & Garfunkel, tous y sont référencés, sans compter les clins d’œil aux musiques de film et un recours massif aux chants grégoriens. Un cocktail explosif qui a séduit Dave Grohl, James Hetfield et Iron Maiden, et qui leur vaut un statut de groupe culte. Révélations. Votre imagerie sans équivoque peut rebuter le mélomane. Pourtant, votre univers musical est très mélodique et varié. Jouez-vous avec ce paradoxe? Notre interlocuteur: On nous le dit souvent, c’est une réaction courante. Chez Ghost, l’image et la musique ne semblent pas aller de pair. C’est à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction, parce que de nombreux fans rejoignent nos rangs par attrait du spectaculaire: des fans d’Alice Cooper, de Kiss, qui deviennent fans de Ghost. Une malédiction parce que certains s’arrêtent aux apparences et ne prennent pas la peine d’écouter notre musique. Mais je le sens et l’espère: si nous restons ensemble assez longtemps, les gens nous connaîtrons. Nous n’avons jamais eu l’intention d’être immédiatement accessibles, d’être facile- ment «digérés». Notre succès est grandissant et notre difficulté est de continuer à rester fidèles à ce que nous faisons, qui est très singulier, tout en étant assez accessibles pour espérer toucher le plus grand nombre. Etonnamment, c’est un sentiment de joie qui se dégage de votre musique, une énergie positive. En êtes-vous conscients? C’est absolument intentionnel. C’est ce qui nous différencie de la majorité des groupes qui utilisent une imagerie semblable à la nôtre. Notre musique n’est pas agressive et notre état d’esprit n’est pas négatif, au contraire de la plupart des groupes de black ou de death metal. Nos concerts sont joyeux, les gens chantent, dansent, sourient. J’ai toujours pensé que l’église était déprimante, qu’elle ne procurait aucun plaisir. De manière analogue, ces trente dernières années, le heavy metal fait preuve d’un certain conservatisme empreint de traditions et d’idéaux figés. C’est carrément du puritanisme musical. Si les gens aiment le conservatisme, c’est qu’il apporte une certaine sécurité, non? C’est cela et ce n’est pas négatif en soi. D’une certaine façon, je suis également conservateur en tant que fan de metal: je n’aime que ce qui a été produit de 1980 à 1993. Rien d’autre. C’est restrictif, mais personne ne dit qu’on doit tout aimer, non? Ce qui m’importe avant tout, en tant que fan comme en tant que musicien, c’est l’authenticité. L’authenticité, c’est l’alpha et l’oméga. Ce que nous faisons est très polarisant, mais en fait très léger: nous ne sommes qu’une bande de jeunes metalheads rigolos et décontractés. Et les mille personnes qui viennent chaque soir à notre concert ne peuvent qu’acquiescer. A voir la large palette de genres musicaux qui est la vôtre, il est difficile de deviner d’où vient Ghost. Pour comprendre Ghost, il faut comprendre mon histoire. J’ai grandi dans une famille monoparentale, élevé par ma mère, qui était très libérale et cultivée, aux côtés de mon grand frère, de treize ans mon aîné. Il y avait beaucoup de musique à la maison. J’ai donc baigné dans un flux de culture. Tout petit, j’écoutais à la fois le générique des Schtroumpfs et la musique qui passait à la maison. Ma mère écoutait les Beatles, les Stones, Janis Joplin, Pink Floyd, Hendrix, les Doors. Mon frère s’habillait comme un punk et aimait les Sex Pistols, les Damned, les Sisters of Mercy, Killing Joke. Kim Wilde et Eurythmics passaient en boucle à la radio. J’ai été marqué par les mélodies de Mike Oldfield ou Jon & Vangelis. Et puis, mon frère me prenait partout avec lui à des concerts et des fêtes. Un jour de 1984, alors qu’il avait acheté un paquet de disques, il m’en a remis un, «Love gun», de Kiss. Ça a été le déclic. Dans la foulée, j’ai découvert Mötley Crüe, Twisted Sister et W.A.S.P, soit la crème du «shock rock». Ce genre était un véritable mode d’expression, que Ghost ne fait que perpétuer. Puis je me suis ouvert au rock progressif grâce à Pink Floyd. J’ai compris qu’il était possible, et permis, de jouer des accords étranges et des rythmes compliqués. Finalement, j’ai été baigné dès la puberté dans le heavy metal extrême et underground, à caractère satanique. Voilà pour l’aspect diabolique du groupe. Si l’on y regarde de plus près, Ghost n’est que la prolongation de toutes mes expériences musicales. A l’heure des réseaux sociaux, combien de temps encore espérez-vous pouvoir conserver votre anonymat? Notre premier album est sorti L’imagerie de Papa Emeritus III et de ses «goules sans nom» contraste avec la richesse de leur musique. LDD en octobre 2010. A l’époque, nous étions certains qu’un mois après, tout le monde saurait qui nous étions, que le secret serait ruiné en un rien de temps. Mais finalement, rien n’a vraiment été complètement révélé sur internet. En fait, ce sont nos fans qui sont devenus très protecteurs. Nous n’avons rien à nous reprocher, donc le fait de perdre notre anonymat ne serait pas un drame du tout. Cette idée ne m’empêche pas de dormir. Tout dépendra du niveau d’intérêt et de célébrité que nous atteindrons à l’avenir. Nous sommes conscients que nous ne resterons pas anonymes jusqu’à la fin de nos jours. La plupart de nos fans sont là pour le spectacle, ils veulent s’amuser et se fichent pas bien mal de qui nous sommes. Et nous ne pouvons pas leur promettre de conserver Ghost pour le restant de nos vies. La question de notre identité est moins importante qu’il n’y paraît. L’entité Ghost est plus forte que ce que nous sommes individuellement. Je vais te poser une question: connais-tu le nom du batteur de Coldplay? – Pas du tout. – Sais-tu au moins quelle tête il a? – Vraiment pas. – J’adore Coldplay et moi non plus, je ne connais pas son nom. Et s’il s’asseyait là à côté de nous, je ne saurais pas que c’est lui. Belle démonstration! Au fond, quel est le message que vous cherchez à transmettre? Notre image apporte un côté fantaisiste. Mais au-delà de cela, nous avons un message d’actualité. Nous cherchons en fait à peindre le diable sur la muraille. L’idée du diable est à la fois cool, excitante et totalement absurde. La religion n’est pas mauvaise en soi. Le problème réside dans le fait que les gens n’acceptent pas ce qu’ils ne peuvent pas expliquer. Si nous nous mettions tous d’accord pour dire ensemble que «nous ne savons pas» ce qu’il y a après la mort, le monde serait un meilleur endroit. C’est ce que j’essaie d’enseigner à mes enfants. Je ne suis pas pour brûler les églises, mais pour rester ouvert et curieux des choses. Je ne suis pas athée, j’essaie d’écouter les murmures dans les murs des églises. Et dans nos concerts, j’essaie de favoriser le sentiment d’une présence divine, sans vraiment savoir qui elle est. Papa Emeritus III: la beauté du Diable? C’est vous qui le dites et rien que vous! LDD Vous devez régulièrement faire face à une certaine opposition. Avez-vous davantage de craintes suite aux événements tragiques du Bataclan? Ce serait mentir que de dire que nous n’avons pas peur. Mais pas question de changer nos plans. D’ailleurs, en février, nous irons donner sept concerts en France. Il faut rester debout et tenir bon. Ces assassins ont clairement franchi une limite. Je n’aimerais certes pas avoir leur karma. } EKSEPTION The Fifth (1969) Beethoven à la sauce rock hollandaise, Ghost, «Meliora», Universal Music. LA PLAYLIST DE... Marcello Previtali [email protected] EDDY MITCHELL Big Band (2015) Il avait pourtant annoncé sa retraite scénique en 2011, laissant les honneurs de la rampe à son pote septuagénaire Johnny. Mais voilà,qu’à 73 ans, Schmoll aborde 2016 avec une nouvelle série de concerts et surtout un nouveau CD intitulé Big Band. Avec cet album de crooner, Eddy Mitchel a décidé de marcher sur les pas du maître Frank Sinatra. Il lui rend d’ailleurs un bel hommage avec «Il faut vivre vite» qui ouvre l’album. CHICAGO Chicago X (1976) Une bande de potes avec saxophone, trombone et trompette. Plutôt rare dans le monde du rock dans les années 70. Mais ça marche, le rock cuivré a ses fans. Avec le tube «If you leave me now», les gars de Chicago décollent dans les charts. D’accord, ils ont disparu des radars aujourd’hui, mais les cuivres se sont fait une belle place sur la planète rock. vous connaissez? Non, alors plongez-vous dans le monde d’Ekseption, groupe de rock progressif batave fondé en 1967, et appréciez «The Fifth», la célèbre symphonie du compositeur sourd. Avec la très reprise «Danse du sabre», de l’Arménien Khatchatourian, la 5e restera la véritable marque de fabrique du band. Dans Ekseption, pas de chanteur, que des morceaux instrumentaux avec les claviers omniprésents de Rick van der Linden, le boss. Et un travail de fusion plutôt réussi entre rock, jazz et classique. ANGELO BRANDUARDI Best of (2015) Non, il n’a jamais arrêté d’écrire et de chanter. Bien au contraire, Branduardi sort un disque tous les ans. De plus, le dernier troubadour transalpin est actuellement en tournée à travers l’Europe. Chanteur, violoniste, explorateur de musiques anciennes, de la Renaissance et du baroque, l’éternel ménestrel a, à 66 ans, relancé sa carrière. Si ses gestes sont devenus plus lents, son talent et sa voix n’ont pas changé lorsqu’il interprète ses célèbres «A la foire de l’est», «La Demoiselle» et «Va où le vent te mène». }