Mon corps est un champ de bataille - Tome2

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Mon corps est un champ de bataille - Tome2
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mon
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corps est un
champ de bataille
tome 2
témoignages
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éditions ma colère, février 2009
ISBN 978-2-9522116-2-8
22 bis rue dumont d’urville
69004 LYON
http://ma.colere.free.fr
[email protected]
achevé d’imprimer en février 2009
par l’Imprimerie 34 à Toulouse
[email protected]
merci de nous demander l’autorisation pour toute utilisation des textes et des images
contenus dans ce livre.
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préface
Les éditions ma colère ont été créées en
octobre 2004 pour le livre mon corps est
un champ de bataille, qui a fait l’objet d’un
deuxième tirage l’année suivante.
Nous proposions une analyse de certains
impacts de la représentation du corps des
femmes dans nos sociétés occidentales.
Standards de beauté, culte de la minceur et
de la jeunesse, racisme, etc. ancrent profondément dans le vécu corporel des
femmes des modèles d’identification étroits
et peu soucieux du bien-être de chacune.
Partant de la question du rapport au corps
que les femmes peuvent développer dans
une culture violente à l’égard de ce corps,
nous avons proposé nos propres histoires :
par le texte et par l’image.
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Comment exprimer nos vécus corporels, les logiques conflictuelles qui
font parfois de nos corps des “champs de bataille” ou au contraire des
espaces de liberté ? Douleur, plaisir, mémoire s’installent sur un terrain
en friche, parfois laminé de violences, mais sont autant d’éléments par
lesquels construire un corps possible et confortable.
Mon corps est un champ de bataille a été le support de nombreux
échanges et partages d’expériences, lors de rencontres-expositions
dans les librairies et autres lieux d’accueil. Il a également été le point
de départ d’autres initiatives, parmi lesquelles une traduction en
espagnol*, un spectacle de danse - théâtre à Grenoble, un atelierdiscussion dans une MJC avec un groupe d’adolescentes, un atelier
de peinture corporelle (body painting) à visée thérapeutique avec des
personnes malades (VIH…) à Lille.
Ces résonances ont été, outre les nombreux moments d’émotion et
d’enthousiasme partagés, une grande source d’encouragement et une
invitation à poursuivre notre travail. Nous avons ainsi lancé un appel
à contributions pour ce deuxième tome, axé sur l’expression du vécu
du corps. Un livre de témoignages donc : des récits, des poèmes,
des illustrations, ouvrant une parole et des représentations plus diverses
et subtiles.
L’élaboration de cet ouvrage a été plus longue et délicate que
prévue ; il a fallu jongler sur nos temps libres collectifs et faire une
sélection parmi les nombreuses contributions reçues. Nous
remercions chaleureusement toutes les personnes qui ont souhaité
participer et nous excusons de ne pas avoir pu faire la place à toutes.
Nous espérons que ce livre restituera la richesse et l’émotion de ce qui
a été échangé et qu’il sera l’outil de nouvelles initiatives.
Myriam Battarel, Lucile Brisset, Sabine Li, Fabienne Meunier
* mi cuerpo es un campo de batalla, éditions la burbuja
[email protected]
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Maité Soler
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contributions graphiques
couverture
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16-17
25
30-31
38
41
44
49
62-63
64-65
73
75
79
83
91
94-97
98-99
102-111
119
123
129
134
139
141-147
150-151
160
162-165
170-171
172-173
174-175
6
modèle vivant - encre
Sabine Li
1
je suis modèle - dessin
Maité Soler
2
terres fortes - sculptures
Sabine Li
3
tarot fou - peinture à l’huile et acrylique sur isorel
lacla
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barquettes de femmes - sculpture
lacla
derrières (atelier matte ta touffe) - photo
Collectif
devants (atelier matte ta touffe) - photo
Collectif
frigo sans titre 1 - photo
Lucile et Myriam
frigo sans titre 2 - photo
Lucile et Myriam
règles douloureuses - dessins
Alice
intérieurs - photos
Hélène
modèle vivant - encre
Sabine Li
riots not diets - patch
Inconnu
terres fortes - sculptures
Sabine Li
terre forte - sculpture
Sabine Li
sans titre - dessin
Delphine Bochart
nos vulves (atelier matte ta touffe) - photos
Lucile
nos clitos (atelier matte ta touffe) - photos
Lucile
ces petits riens... - dessins
Vanessa
sans titre - collage
Hélène
terre forte - sculpture
Sabine Li
sans titre - photomontage
Delphine Bochart
sans titre - photomontage
Delphine Bochart
décalage - dessin
Vanessa
sans titre - dessins
Valeirie
le fantôme blanc - dessin
Maité Soler
sans titre - dessin
Delphine Bochart
frises - photos
Lucile et Myriam
sans titre - nu
Hélène
accouche ! - dessins
Fabienne Meunier
ans-corps - photos retouchées
Jacqueline Michaud
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178-179
186
195
200-201
208
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détails - photos
modèle vivant - encre
terres fortes - sculpture
terres fortes - sculptures
je m’aime telle que je suis - dessin
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Delphine Brouchier
Sabine Li
Sabine Li
Sabine Li
Maité Soler
contributions écrites
8
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66
70
74
84
92
100
114
120
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140
148
152
160
166
172
176
1
2
3
sur la voie
Anonyme
la femme est la femelle de l’Homme
lacla
attentat à la pudeur
Patouche
la boulimie expliquée à ma mère
Lucile Brisset
la puberté
Charlotte, Emilie, Natacha
les règles douloureuses
Alice
trilogie.1
Sylvie
dans le port d’Amsterdam
Claudine Lebègue
mon corps, mon a…
Cécé
©
comme Erika
Nina Yargekov
dédicace à mon clito
Cris
ces petits riens qui font un grand tout
Vanessa
enveloppe
Sulfur
no body no
Claudine Lebègue
trilogie.2
Sylvie
bonjour Monsieur le Critique
Lucile Brisset
l'anorexie et l'a-symétrie kaos-tic
Valeirie
crustaceste
Marine Bernard
l’amour en héritage
Lucile Brisset
comme ça
Lucile Brisset
trilogie.3
Sylvie
ventre
Orisha
après la bataille
Isabelle Nicod-Fournier
www.maite-soler.com
www.lisabi.net
en couleur sur le site http://lacla.is.free.fr
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sur la
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voie
Ce texte nous a été envoyé par mail
suite à une rencontre et exposition
autour du premier tome de mon corps
est un champ de bataille. Avec
l’accord de l’auteure, nous le publions
ici comme témoignage.
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Voilà où j’en suis : j’ai 34 ans, je suis mal dans ma peau, je souffre
de boulimies alimentaires sévères depuis 7 ans et précédemment 17
ans de troubles alimentaires dont une anorexie, je suis obsédée par
la nourriture et surtout par le fait de m'alimenter, je suis obèse bien
que je fluctue au niveau du poids, j’ai une peur affreuse de grossir, j’ai
peur de transmettre mon mal-être à ma fille, en bref je pense parfois
que je suis folle.
Quand j'étais bébé : je suis née grosse, ça parait bête mais ma mère
m'a toujours considérée comme un gros bébé. Ma petite sœur est née
un an plus tard et était parfaite à tout point de vue, mince et calme.
Quand je regarde les photos, c'est vrai que j'étais plutôt potelée mais
pas vraiment grosse en fait et puis j'avais une banane naturelle sur la
tête, c'est rigolo mais pas très féminin aux yeux du commun des
mortels.
Quand j'étais petite : j'ai eu une période jusqu'à mes 8 ans où franchement tout ça n'avait pas d'importance, j'étais un enfant et j'ai des
souvenirs d'enfant, principalement de jeux avec mon frère et ma sœur,
la vie était belle et j’étais impatiente de grandir.
Et un jour on a déménagé à la campagne, mes parents ont commencé
à avoir des problèmes d’argent, on ne connaissait personne. Alors
est-ce que c’est l’âge ou simplement les circonstances, j’ai commencé
à me sentir mal dans ma peau, je grignotais beaucoup, je m’ennuyais,
on se moquait de moi car mon prénom a longtemps prêté à rigolade.
Et puis j’ai été amoureuse, je devais avoir 10 ans, alors vous imaginez bien qu’au grand jamais je ne serais allée tester mon pouvoir de
séduction. Mais tout de même c’est à ce moment-là que j’ai mes
premiers souvenirs de fantasmes érotiques (gentillets, attention !!) et je
me rappelle dans mes délires que je me voyais mince et avec des
seins.
À y réfléchir, j’étais déjà en décalage.
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Quand je suis devenue adolescente, à mon arrivée en 6ème, mon
relationnel était catastrophique (en fait pas le mien, j’étais pas associable) : moqueries, et encore moqueries…
Je me rappelle d’un voyage scolaire, où je m’étais faite, à mon idée,
toute jolie et quand j’ai vu les photos, je me suis rendu compte que
j’étais énorme…
Puis mon frère est mort quand j’étais en 5ème… toute la famille est
rentrée dans un trou noir… Six mois après je me mettais au régime,
régime qui a tourné en anorexie, je n’ai pas mangé pendant quatre
mois. Si ! Une tranche de tomate, 1 cuillère de yaourt à 0 % par jour !
Je pleurais mais j’étais d’une efficacité, une soif d’apprendre incroyable, en gros une dépression importante.
L’été est arrivé, mes parents me suppliaient d’aller voir un médecin…
et j’ai cédé. C’est aussi le temps du premier boulot (13 ans) et des
copains en dehors de l’école, c’était chouette, je me suis remise à
avaler comme quatre mais j’avais beaucoup maigri et pesais 40 kg,
j’avais de la marge.
Donc j’ai débuté l’année scolaire avec une pêche extraordinaire, et
là plein de nouveaux copains, même un flirt… Mais j’ai trop regrossi
et fin de la 3ème tous mes nouveaux copains avaient disparu.
Arrivée au lycée : l’internat, quelle liberté !!! Je ne pensais pas
vraiment à mon corps, je ne me trouvais pas belle mais c’était pas
obsessionnel, on va dire que du coup je suis restée assez stable…
jusqu’au jour où m’est revenue l’idée que pour être belle et surtout pour
plaire aux garçons, il faut être mince… rebelotte régime… je perds
20 kg… le grand amour de l’époque tombe enfin amoureux de moi…
tiens sauf que j’étais occupée à user de mon nouveau pouvoir de
séduction et je l’ai oublié.
C’est aussi la période des premières relations sexuelles : bien, mais
après toute cette restriction, j’ai recommencé à regrossir et un jour
cette facilité de plaire a disparu.
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J’avais tant passé de temps à compenser ces années de stand-by
amoureux, que j’en ai oublié que j’avais aussi un avenir à tracer… J’ai
quitté le domicile familial, je n’ai jamais trouvé l’énergie pour me
remettre aux études, trop préoccupée à vivre la fête… mais en restant
sur le carreau bien souvent.
Je faisais des petits boulots, je claquais tout, je sortais… et je me
sentais malheureuse car peu de garçons me regardaient et j’étais
perdue dans ma vie affective et professionnelle. C’est drôle je n’avais
pas conscience de mon image à cette époque, je refusais les
photos… c’était une sorte d’errance… je survivais, je n’avais pas de
projets, je travaillais quand même et je continuais à grossir.
Un jour, je rencontre la personne qui devient mon mari, ex-mari, et je
crois, mon prince charmant à l’époque, celui qui me sauve. En tout cas
il m’a toujours aimée même énorme (120 kg) et ne m’a jamais fait
aucun reproche là-dessus, il n’aimait pas spécialement les grosses, je
pense qu’à l’époque on s’aimait tout simplement… on a un enfant,
ma fille…
Quand elle a pointé son nez, j’ai grandi, j’ai pris conscience qu’il
fallait assumer et j’ai commencé à me projeter à plus long terme.
Mon corps de femme enceinte, on voyait à peine que je l’étais, une
sage-femme a été très étonnée quand j’entamais mon 9ème mois et m’a
tirée pour m’ausculter et vérifier la taille du bébé.
Cela m’attristait, me blessait un peu mais à cette époque seul mon
ventre comptait.
J’en profite pour dire un grand merci au corps médical qui m’a toujours
rabaissée au rang d’obèse, qu’il fallait à tout prix faire maigrir, ça me
heurtait dans mon amour-propre.
De la première visite médicale scolaire jusqu’au médecin que l’on
consulte pour des allergies, j’étais cataloguée, voire parfois réprimandée pour être trop grosse, donc gourmande, laxiste…
Première visite chez le gynécologue, d’ailleurs une femme, cela
signifiait beaucoup à mes yeux car passage à la vie de femme.
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Et voilà qu’elle commence à me dire qu’il faudrait que je me muscle
car ça laisse à désirer (ben oui j’avais perdu 25 kg), vous imaginez
la vexation.
Et je rappelle au passage que je n’ai jamais eu de problèmes de
santé liés à mon poids, essoufflée certes… Voilà un aperçu des petites
humiliations ordinaires où la compassion du milieu médical est inexistante.
Enfin mon gynéco de l’époque était un ange !!!
Je suis devenue vraiment énorme, en couple certes, mais mal dans ma
peau : je me trouve objectivement laide, n’arrive plus du tout à
m’habiller, ni me féminiser…
Je me remets au régime et perds 50 kg, je romps, j’ai 26 ans… Zut,
ma peau n’est plus élastique, ça pendouille de tous les côtés, et je
n’arrive pas à me satisfaire de mon reflet, j’ai les seins qui pendent,
le gras du ventre sur le pubis, les jambes cellulitées, les muscles atrophiés, sans commentaire pour les bras…
Enfin quand je suis habillée, je fais normale ronde et de nouveau je
plais, un peu moins qu’avant certes et je me rends compte aussi qu’au
niveau professionnel, je suis plus appréciée, faut-il y voir une corrélation ? Sûrement, c’est plus sympa une jolie fille et le gras ça fait pas
dynamique.
Suis-je mieux dans ma peau ? Pas vraiment, car c’est à cette période
qu’a débuté une peur impérieuse de regrossir… Je vomis après toute
ingurgitation massive et, trop cool, je découvre désormais que je peux
manger à l’infini, je me suis vite lassée…
Puis nouveau boulot : déménagement, nouvel environnement, je suis
éloignée de mes proches donc je dois plaire à de nouvelles
personnes, c’est horrible !!! Et mon syndrome s’aggrave. Parallèlement
j’ai quelques aventures et un jour je rencontre l’homme qui va me
réconcilier avec la gente masculine.
Car j’avais développé l’idée que les hommes ne s’intéressent qu’au
physique (est-ce vraiment faux ? Les femmes aussi, non ?). Dès lors
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l’approche avec une personne du sexe opposé dans le jeu de
séduction est pour moi très stéréotypée. C’était je baise puis après on
voit. Les règles du jeu ainsi posées peu de relations ont tourné ne
serait-ce même amicalement alors que je ne rêve encore aujourd’hui
que d’amour et d’eau fraîche. Je ne comprenais pas les codes, je trouvais les hommes nuls sauf quelques amis et les compagnons de mes
copines.
Donc je fais “la” rencontre.
Mais mon mal n’est pas lié qu’à la recherche du compagnon, c’est
une soif insatiable d’amour, de réconfort et de sécurité… Je n’ai donc
pas abandonné mon objectif : améliorer mon image (pour ce qu’il y
a à sauver !!!). Je subis une abdoplastie : je ne suis pas mécontente
du résultat, une large cicatrice de 50 cm me balafre, à la place de
mon gros bourrelet retombant, mon ventre est à peu près plat mais
cinq heures d’intervention n’ont pu rattraper intégralement mes yoyos
incessants, il faudrait pour bien faire tirer la peau mais cette fois sous
les seins. À quel prix ? Un mois de douleur extrême, une insensibilité
d‘une partie de mon ventre et surtout le risque d’y passer sur le billard
pour un résultat médiocre.
Notre histoire se termine…
Entre-temps je reprends 30 kg en deux ans car je ne vomissais plus et
je n’avais pas réglé mon sérieux problème.
Depuis que je suis devenue une adulte (y a pas si longtemps que ça),
j’éprouve une nécessité de résoudre mon problème de boulimie, avant
je voulais juste maigrir et donc m’arrêter de manger.
J’ai aussi abandonné l’idée que j’y arriverais seule, seule inévitablement mais avec un soutien tout de même.
J’ai donc consulté des thérapeutes divers, comportementalistes, nutritionnistes (les pires), je cite le dernier en date “il faut que vous
acceptiez que vous aurez toujours une dépendance à la nourriture”,
psychologues et psychiatres…
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J’ai fini par trouver un spécialiste “spécialisé” dans le problème de la
boulimie-anorexie. Il a tellement de patients qu’il fait une sélection, et
vous imaginez bien que je rentrais dans les critères. Quel soulagement de rentrer dans la case “névrosée” mais au moins quelqu’un a
entendu ma souffrance.
À ce jour, je travaille avec lui et je trouve que j’ai fait quelques
progrès : il a orienté la thérapie sous deux angles : la déculpabilisation alimentaire et l’estime de soi.
Je progresse très doucement mais je suis assez optimiste. Je crois que
quand je n’aurai plus peur de ne pas plaire, de vouloir modifier mon
corps pour être acceptée et m’accepter, je serai moins exigeante avec
moi, j’accepterai ce que je suis : c’est-à-dire une personne commune
qui n’a rien d’exceptionnel mais qui n’est pas sans intérêt, que
j’arrêterai de regarder mon nombril et j’en culpabiliserai moins.
Ce que je retire de toutes mes cogitations tournées sur moi-même c’est
que j’ai longtemps été perdue, attachée au regard des autres, rejetée,
humiliée, la maladie a marqué à long terme une empreinte sur mon
corps et mon fonctionnement. Ce n’est pas lié qu’à l’identité physique
mais aussi celle morale, un manque d’affirmation, d’ego sans doute,
je n’ai pas pu assumer d’être différente, mais y a-t-il beaucoup
d’enfants qui le peuvent quand on sait que l’obésité a un caractère
infamant pour le lambda moyen.
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Sabine Li
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la
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femme est la
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lacla
2006
femelle de
l’Homme
J'ai écrit ce texte en 2006. J'y
expose, presque par ordre
chronologique, les traumatismes vécus. Maintenant, je ne
dirais plus les choses comme
ça. L'eau a coulé sous les
ponts, l'eau a passé et repassé
dans mon corps. J'entraperçois
mon identité féminine et vis mon
corps de femme. Il me faut pour
cela travailler sur moi, comme
tant d'autres – un plaisir difficile
qui se paie.
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je suis une femme
femelle de l'espèce humaine
or
Eve a donné la pomme à Adam
la salope
alors
je dois souffrir dans mon corps de femme
y accueillir la supériorité des hommes
je suis une femme
filiale bourgeoisie catho coincée
“tiens-toi droite
rentre ton ventre
serre les fesses
ferme tes jambes – et ta bouche
Mon Dieu !”
je suis une femme
femelle occidentale, cuvée 1973
à quatre pattes entre jeans MLF et faux foulards Hermès
école publique et dimanches à la messe
travaille !
coups de poing
c'est pour ton bien !
tu seras femme
libre
des diplômes, bon salaire, grosses responsabilités
cependant
je dois rester
vierge
en prévision de mon mariage
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je suis une femme
femelle de l'espèce humaine
petite fille
j'aimais jouer à
chattes perchées
plaisir de chair de poule et de sang aux joues
je suis une femme
filiale bourgeoisie catho coincée
rangée, discrète, obéissante
un peu fillasse
un poil trop de caractère
la mobylette part au quart de tour
je veux des trous aux oreilles, connaître l'amour, et que ça pète !
“quel clown cette petite
vous en ferez une artiste, c'est sûr !”
je suis une femme
fillette fuyante de féminité
j'aurais préféré être... un homme
c'est trop injuste
pourquoi suis-je une fille ?
d'ailleurs je suis un garçon
à l'intérieur
juste pour moi toute seule
ce corps de femme est
mensonge
je suis une femme
androgyne par choix imposé
une nuit
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des nuits
je me suis sentie homme
profondément
j'ai senti mon corps au masculin
un truc entre les jambes
ma poitrine plate
les épaules larges
une force musculaire décuplée
je me sentais bien
je me suis un peu rapprochée de moi
cette nuit
ces nuits
je suis une femme
filiale bourgeoisie catho coincée
sainte mère bonne éducation
culpabilisatrice
“tu ne dois pas entrer dans l'ascenseur avec un inconnu !”
mais... il est entré après moi...
rester
désobéir
risquer que c'est vraiment un méchant
culpabilité
“tu ne dois pas juger les gens sur leur apparence !”
mais... il est bizarre quand même...
sortir
désobéir
risquer de le vexer et le rendre méchant
culpabilité
“ça ne te dérange pas si je descends à la cave avant ?”
vite... un prétexte...
manque de répartie
j'accepte
culpabilité
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je suis une femme
fillette urbaine des vies verticalisées
11 ans de
petite
vie bien rangée
11 ans le
temps
s'arrête
comme l'ascenseur au
[-1]
je suis une femme
femelle de l'espèce humaine
au sous-sol près des poubelles
petite branlette
“donne-moi ta culotte
– non !
larmes, peur, honte
– donne-la moi ou je la prends
c'est pour ma collection de
culottes
de petites filles”
honte
sans ma culotte
mes fesses tremblent
sous la jupe plissée
culpabilité
honte
ma vieille culotte
usée salie trouée
bien rangée pliée classée numérotée
sous verre ?
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comme les papillons épinglés
morts
je suis une femme
fillette coupable dans sa féminité
je suis allée chez le coiffeur
couper les longs cheveux blonds
me vieillir
m'enlaidir
je regardais mes cheveux morts
en vrac sur le carrelage
cadavres
dernières traces de mon enfance
reliques de ma féminité
morte
je suis une femme
future bonne travailleuse respectée
mon père et ma mère
mariage patriarcal
d'une seule voix
mon père
bien calé dans le canapé
avec son canard enchaîné
ma mère
à la cuisine avec son tablier
range tout bien à sa place
passe l'éponge
“tu dois bien travailler
avoir un bon travail, un bon statut social
être libre, autonome
indépendante de ton mari”
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lacla
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le même discours martelé
à coup de balai brosse et de jolis mots
parfois à coups de poing
enferme-toi dès maintenant dans ton rôle futur de
femme libre
je suis une femme
culture occidentale surmédicalisée
corps féminin
corps étranger
corps vrillé plié voûté
violences à l'intérieur
tiens-toi droite !
on a tout fait pour
me redresser
dans ma bouche
pour un sourire dentifrice
ça prend la tête
le long de ma colonne
dorsale
violentée
vertèbres déplacées étirées plâtrées
corset
de bas en haut
gain + 3 cm
étirement – compression
souffrance...
honte
culpabilité
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je suis une femme
objet de consommation courante
corps féminin adulé
brisé
alors merde
merde à la chasse aux poils
aux crèmes dépilatoires, rasoirs
pinces à épiler, outils de torture
poils aux pattes et merde
d'abord, j'aime les poils
ça fait des trucs à tripoter
ça retient la transpiration
et puis je trouve plus beau
plus doux
les aisselles poilues
qu'un menton rasé à la culotte
sans maquillage
produit sans emballage
en vrac
sans valeur ?
je suis une femme
filiale bourgeoisie catho coincée
amoureuse
enfin quelqu'un qui
m'aime
je veux prendre la pilule
convocation au salon
portes closes
discours ultra rétrograde
je dois rester
vierge
en prévision de mon mariage
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“ton mec
il me donne des boutons !”
je suis une femme
androgyne coquette et poilue
il m'aime
oui mais
honteusement
corps atypique
belle au lit
pas en public
je l'aime
tout le temps
douloureusement
je suis une femme
femelle de l'espèce humaine
petite fille
j'aimais jouer à
l'amour playmobil
plaisir de faux-semblant sanguin avec mon cousin
je suis une femme
filiale bourgeoisie catho sacrée
3 heures
3 heures à dire
non
3 heures à ôter
sa main ses mains partout sur
mon corps
son doigt dans
mon sexe
"viol digital"
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le matin
je lui ai fait son café
noir
culpabilité
je suis une femme
catégorie maladive dépressive suicidaire
âme et corps mêlés
moins les mots pour le dire
migraine
tu me prends [moitié] la tête
tu monopolises [moitié] mon temps
tu es la mort dans mon corps
n'auriez-vous pas un décapsuleur de tête ?
je rêve de
tortures
les pires sévices
m'enfoncer une longue épingle
comme une aiguille à tricoter
là où ça fait mal
me lacérer le dos
solution suicide
mourir comme dormir
ne plus souffrir
je m'endormais me rêvant morte
suicidée
parfois aussi, assassinée
morts violentes
chaque fois
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lacla
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m'empaler
en me recroquevillant tout doucement
presque au ralenti
sur un pic
empalée
et promenée en trophée
au-dessus de la foule
sur un pic
pour de vrai
me faire mal
me jeter la tête contre les murs
très fort
me frapper, m'arracher les cheveux, me ronger les doigts
m'étrangler et tomber à
terre
me taillader les veines des avant-bras
bandages honteux
et
fumer fumer fumer
nuits blanches drogues et alcools
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je suis une femme
éducation occidentale surmédicalisée
médicament
un verre de médicaments
pilules gélules drogues
vous prendrez bien un bon verre de mort ?
j'ai voulu faucher ma vie
urgences
corps nu dans le couloir
vidée, lavée dedans
réveillée par la vieille pissant sur la chaise
à deux culs de ma tête
j'ai voulu peindre mes suicides
débloquer
trop de honte
je les rêvais tous
aussi
pleurer ma mort
ne pas comprendre
regretter
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à quoi bon si je n'en profite pas ?
la vie
la vie
la vie
dedans
[mon corps]
cadeau ou prison ?
je suis une femme
femelle de l'espèce humaine
la mort
est là
dans ma vie
depuis que mon frère s'est
flingué
le poids monstrueux de la
tristesse
énorme
douleur
sensation d'une partie de mon corps
arrachée détachée
80 kg partis en fumée
toujours là
sur mes épaules
je porte
culpabilité
le retour de l'ascenseur
j'avais 11 ans
lui 9
remontée de la cave
jetée contre la porte
choquée
dans les bras de ma mère
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à côté
lui, le petit frère
ne comprend pas mes
cris de larmes hurlantes
comme un animal torturé
il avait 23 ans
quand
il a pu faire l'amour
enfin
sans peur de faire souffrir
atrocement
les femmes
il avait 27 ans
il aura toujours 27 ans
et 80 kg
toujours là
sur mes épaules
je porte
culpabilité
je n'étais pas là
je suis une femme
femelle de l'espèce humaine
je suis toujours là
par choix /pas le choix
mon corps est mon ennemi privé numéro un
féminin
mais pas assez
ou trop
fragile
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mon corps ne peut être moi
imposé
il ne peut me convenir
il est autre
peut-être le mal
ou pire
une enveloppe
un socle
mon corps n'est pas moi
je suis coupable
j'aime pas mon corps
je devrais
l'accepter, le choyer, le protéger
mon corps raidi de haine et de violences contenues
j'ai honte de moi
je ne m'aime pas
ce moi fabriqué de toutes pièces
jeune fille de bonne famille
je me suis rudifiée
je me suis rendue cassante
pour les autres
pour moi
j'ai la haine de moi-même
dans mon corps féminin
mes règles se déclenchent
je les bloque
dedans
ça pourrit
ça gonfle
jusqu'à l'explosion
filaments et caillots de sang
marrons
s'échappent douloureusement et tardivement
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ça me permet de souffrir plus longtemps
de mes règles
de ma déprime
d'être une femme
je suis une femme
femelle occidentale cuvée 1973
je cherche
cette femme à l'intérieur de moi
pas à pas
j'intègre mon corps dans moi
je relie ces deux touts de moi
je commence
à aimer mon corps
à aimer la vie
à aimer moi
je commence
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attentat à la
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Patouche
pudeur
Pour converser avec mon corps,
j’attends qu’il soit correctement vêtu.
S’il m’arrive de tomber dessus
impromptu, alors qu’il est dans sa plus
simple nudité, je pousse illico un cri et
m’excuse immédiatement en fermant
chastement les yeux.
Bon, j’exagère un poil, mais il est vrai
que, d’une part, la nudité me gêne, et
que d’autre part, ma propre graisse
exposée aux regards me pose
problème. Petite, je me disais potelée.
Je n’étais pas grosse, mais ma grande
sœur était bel et bien fine. Du coup,
mes formes plus rondes faisaient de
moi la risée de mes frères. Ils me traitaient de “grosse”, je rétorquais “non,
je suis potelée”, en prenant plaisir à
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insister sur chaque syllabe. À la maison, on ne parlait pas de sexe.
Mes parents étaient très pudiques et assez mal à l’aise avec ces
choses-là. Relents de catholicisme. On ne choisit pas la religion de ses
ancêtres ni les mauvaises habitudes laissées dans une famille pourtant
peu versée dans l’Église. Tout cela pour expliquer mes rapports
“gênés” avec ma propre carcasse. Cet été-là, j’ai passé quelques
jours chez des amies en Bretagne. On s’est trouvé une dizaine à vivre
ensemble dans une petite maison, et surtout son jardin. Climat de
vacances et ambiance joyeuse. Je connaissais tout le monde, j’étais
en confiance. Et puis il y avait pléthore de femmes, un seul mec. Cela
donnait à l’atmosphère une touche spéciale. Séances de massage, de
gym douce se succédaient. L’homme perdu parmi ces amazones ne
montrait aucune trace de machisme. On avait l’impression qu’une
petite musique douce imprégnait toute la maison. Les tabous intérieurs
tombaient peu à peu. On était entre amies. Un après-midi, on a marché dans un sentier au milieu d’un bois. Au bout de vingt minutes, on
arrive à un lac. Personne à l’horizon, le temps est au soleil. On se
baigne ? Personne n’a de maillot de bain sur soi. Tant pis, quatre filles
décident d’y aller dans leur plus simple appareil. Elles se dévêtent en
un clin d’œil, sautent à l’eau, naturellement. Restée, prudente, sur le
bord avec les autres, je regarde, amusée et interloquée. Je voudrais
bien, mais j’peux point. Mes seins, mon sexe sont inmontrables.
Pudeur, quand tu me tiens ! Tiens, des cyclistes apparaissent à l’horizon. Des ados, juchés sur leur fidèle monture, ils nous regardent, se
rincent l’œil. Je m’approche. “Vous ne pouvez pas aller plus loin ?”
“On attend les parents”. Les voilà justement. Gagné ! Toute la famille
typiquement bretonne et bourgeoise. Du bien mis, des principes. Les
parents, dignes. D’autres enfants, et d’autres adultes. Le tout se dirige
droit vers la petite plage, passant sous mon nez effaré. “Vous pensez
rester longtemps ici ?” “Non non”, répond, un rien pincée, la maman.
“On montre juste le coin à nos amis”. Les voilà qui s’emballent devant
la beauté du lieu. “C’est ici que je venais petite”, dit la maman. À
quelques mètres, nos quatre nageuses s’ébattent, on ne voit que leurs
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têtes, heureusement. Mais la famille s’éternise, ne donne pas signe
d’une envie de partir. Au bout d’un moment, on sent un frémissement
dans le groupe des nageuses. Elles se mettent à former une rangée de
simili-soldates et s’avancent vers nous, naturelles, majestueuses, la
nudité exposée sans complexe. Silence de mort dans le groupe des
bien-pensants. Après quelques secondes d’hébétude, c’est une ado
qui réagit, énervée. “Bon, on s’en va ?” La bande s’ébroue, abandonne le champ de bataille, muette. Mais cinquante mètres plus loin,
c’est le défoulement, orchestré à distance. “C’est une honte”, s’écrie
la maman d’une voix forte. “Un attentat à la pudeur”. “Et puis il est
interdit de se baigner dans ce lac”, rétorque vivement son mari. Le
jeune cycliste de tout à l’heure, lui, se régale d’avoir assisté au scandale, et reste à la traîne : “toutes à poil, toutes à poil” lance-t-il joyeusement. Nos troupes rient de bon cœur, et les nageuses de nous narrer
leur stratégie. “On commençait à avoir froid, alors on s’est dit : on
sort toutes ensemble ou personne ne sort. On ne voulait pas faire semblant d’avoir honte !” Leur air réjoui me donne envie. Amélie me tente.
“Si tu veux y aller, je t’accompagne”. Marie aussi, qui était restée sur
la berge, est volontaire. On se déshabille. En ôtant mes vêtements, je
me dis que je vais garder le slip, quand même. Oh et puis zut ! Je
saute allègrement par-dessus la barrière de mes peurs coincées. Il fait
chaud, pas un nuage. On se glisse dans l’ondée un peu fraîche. On
s’habitue. De là où je progresse, j’aperçois mes deux congénères.
Elles clapotent doucement, enchantées. Il fait calme, on est bien. Une
mouche volette autour de moi, me fait des signes encourageants du
bout des ailes. Le lac s’étend à perte de vue. Autour, la forêt profonde.
Et l’eau qui glisse sur mon corps entier sans rencontrer d’entre-deux.
Drôle de sensation. Plénitude.
On sort, on se rhabille. Je me sens heureuse. Et garde au plus profond
de moi ce sentiment d’avoir survolé un cap.
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la
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boulimie
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Lucile
décembre 2006
expliquée à ma
mère
Maman, je vais t’expliquer. Je voudrais
m’expliquer à toi. Je voudrais que tu me
comprennes.
Tout ce que j’ai vécu, ce que j’ai ressenti, tu
ne l’as pas vu, pas su. Moi non plus je n’ai
pas vu grand chose. Les sentiments je les ai
étouffés. La honte, le dégoût, l’angoisse, la
tristesse, le désespoir, la rage, je n’ai rien
ressenti, j’ai tout enfoui. Et toi tu me voyais
placide, tranquille, heureuse, épanouie,
petite fille ou jeune fille “sans problème”.
Il y a quelque temps, peu de temps, à peine
quelques années, j’ai commencé à parler.
À me découvrir et à parler. Un jour, je t’ai
lâché comme ça : “j’étais boulimique”.
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Lucile et Myriam
Tu as à peine réagi. Et puis j’ai redit cette phrase
un peu plus souvent, dans nos conversations
pleines de larmes. Il y a peu, tu m’as dit que tu ne
connaissais pas du tout ce qu’était la boulimie.
Oui, ça t’échappe. Tu ne connais pas ça, c’est
une expérience qui t’est étrangère. Alors ça ne
résonne pas en toi la phrase “j’ai été boulimique”. Toi tu connais la dépendance à la cigarette, alors tu n’es peut-être pas si loin de moi, on
va voir, tu me diras.
Car je vais essayer de t’expliquer, de te raconter
ma boulimie à moi.
Tu es prête ?
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Boulimique.
C’est un drôle de nom.
La première fois que je l’ai entendu, tu vas rire, c’était… de ta bouche.
J’avais peut-être 16 ans, j’étais dans ta cuisine, et je mangeais. Plutôt
je remangeais. Des trucs qui sont trop bons, mais qui ne sont pas un
repas. Peut-être un énième cône à la pistache dont tu remplissais le
congel pour moi. Tu es passée dans la cuisine et tu as lancé comme
ça : “mais j’ai des filles boulimiques moi !”.
Je t’ai demandé ce que ça voulait dire. Tu as dû me répondre que ça
se disait de quelqu’un qui mangeait trop. J’ai un vague souvenir que
j’ai compris que c’était une maladie. Et je me suis dit que quelqu’un
qui mangeait trop grossissait, il devenait une boule, et que voilà pourquoi ça s’appelait “boulimie”. C’est quand une fille mange trop et
qu’elle devient une petite boule, ou une grosse boule.
En fait, tu le sais peut-être, mais ce mot vient du grec et “boulimia” ça
signifie “faim de bœuf”.
(Tu crois qu’un bœuf, après un gros repas du soir, il mange trois cônes
à la pistache, et puis encore du chocolat, et puis même quand il faut
dégrafer le pantalon et qu’il se sent mal, il mange encore des yaourts
pour “faire passer” tout ça ?)
En tout cas ça m’a fait sourire. Parce que ça ne m’a pas touchée.
Peut-être parce que tu ne me parlais pas directement, ça concernait
ma sœur aussi. Mais aussi, peut-être parce que c’était le début, rien
que le début, le début du cauchemar de la boulimie, et à ce moment,
ce n’était encore rien. Et aussi parce que j’étais mince, et ado, et
comme mes copains, manger trois fois plus que les parents à cet âge,
c’est normal et rigolo.
En tout cas à cette époque, je ne me sentais pas concernée.
En fait, je n’étais pas encore véritablement boulimique, selon la définition d’un dictionnaire que j’ai là sous les yeux, c’est le Flammarion
médical de 2003. Ecoute un peu ce qui est dit sur la boulimie :
“Le sujet accumule des victuailles et les dévore dans la solitude. (…)
L’acmé de cet assouvissement fait succéder, à la tension qui l’avait
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précédé et qui avait déterminé l’engloutissement, une éphémère sensation d’apaisement. Aussitôt après s’installe un sentiment de dégoût,
de culpabilité et, dans la majorité des cas, le sujet boulimique se fait
vomir.” Blablabla, après ça parle “d’aliénation profonde de l’image
du corps”.
Bon, donc dans ce premier souvenir, pas de solitude dans l’engloutissement, pas de culpabilité, pas de vomissements.
Mais tout ça est venu très vite.
Juillet 1990, j’ai encore 16 ans. Je pars en Angleterre, dans une
famille. Je dois me débrouiller seule, ça se passe très mal, changement
de famille, angoisse, panique, solitude, incapacité de parler avec la
femme qui m’accueille, je me sens très mal, très seule, perdue, je
rechange de famille pour la deuxième fois. C’est l’horreur. Je me sens
toujours très mal. Tout mon malaise intérieur remonte : famille de
débiles, éducation pourrie des enfants, mépris pour tout le monde, et
solitude très forte. Je passe le plus clair de mon temps avec les deux
petits garçons de la maison, ils ont 4 et 7 ans, et je fais comme eux :
je regarde des dessins animés à la télé du matin jusqu’au soir, et je
mange en continu des biscuits au caramel et au chocolat. D’ailleurs
je ne pense qu’à ça, à ces biscuits. Je n’attends que le moment où la
maman va les distribuer. Et quand elle ne les distribue pas, je monte
dans ma chambre, et j’ouvre en douce le placard, et je m’enfile
quelques Nuts, barres chocolatées caramel noisettes. Je fais ça comme
une voleuse, en évitant de faire du bruit en déchirant l’emballage,
pour que personne ne m’entende.
Ça y est, c’est ça la boulimie. J’y suis. Manger en cachette, avoir
honte de faire ça. Mais être prise par ce désir irrépressible de le faire.
Je rentre à Paris. Tu m’attends à la gare routière. Je descends du car.
Tu viens vers moi. Et tu ne peux retenir un cri de surprise : “mais tu es
comme soufflée !!!”. Oui, je ne sais pas combien de kilos j’ai pris,
peut-être 10, mais en un mois, je suis guère reconnaissable. J’étais
une jeune fille “normale”, me voilà passée au statut de fille “grosse”.
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Visage rond, joues gonflées, double menton… et tout le reste du corps
dont les proportions suivent.
L’effondrement intérieur.
Le drame. Le vide. L’enfer.
À la rentrée suivante, je sors avec Nicolas.
Un soir où nous sommes seuls à la maison, je ne sais pas comment on
se retrouve devant la télé, mais on tombe sur une émission de Mireille
Dumas dont les invités parlaient de leur boulimie. Je suis restée scotchée devant l’émission. J’étais en train de comprendre que j’étais boulimique, et que ça allait être dur et long. Nicolas se faisait chier et
s’impatientait d’aller se coucher, et moi j’étais scotchée devant le
poste.
Nicolas, qui quelque temps après me traitera de “boudin”.
Effondrement intérieur.
J’étais boulimique, et j’étais un boudin.
Un boudin boulimique mange normalement à table, fait bonne figure.
Ne mange pas devant les autres des choses trop sucrées et trop
grasses et en grande quantité. Un boudin boulimique est un monstre,
un glouton, et engloutit, bâfre, s’empiffre… tout seul en cachette.
Tant que j’ai vécu chez toi ou chez papa, je ne mangeais pas en
cachette. Je n’avais pas à me cacher.
Et puis à 20 ans je pars à 500 km de chez vous, je vais faire mes
études, habiter seule.
Et là… ça devient très dur… c’est ça l’enfer ? :
j’ai recouvert mon miroir de papier journal. Pour ne pas me voir. Ne
pas voir ce monstre.
Je fais mes courses seule bien sûr, alors plus rien ne me retient. Et je
suis seule chez moi tout le temps. Et quand je suis seule, je ne pense
qu’à une seule chose : manger. Des noisettes, un gros pot de fromage
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blanc, un fromage en entier, je n’arrête pas, je ne peux pas m’arrêter.
Souvenir de déjeuner le matin, et puis de courir en bas de chez moi
m’acheter deux grosses brioches brûlantes. Les mettre sur ma fenêtre
deux minutes pour qu’elles refroidissent. Partir pour l’arrêt de bus,
dévorer les brioches avant de passer l’angle. Englouties en 1 mn. Je
passe l’angle, je rejoins les copains, il ne s’est rien passé, ils ne peuvent pas se douter, je fais semblant, semblant d’être “normale”. Je suis
une fille "sociable, sympa, forte, qu’on aime bien, rigolote…"
personne ne se doute, personne ne doit se douter de toute façon.
Le week-end toute seule, je dors et je mange.
Quand j’ai trop mangé, que mon estomac est tiré, énorme, je suis au
plus mal. Le néant, le vide, une sous-merde, mourir. Je me vois encore,
allongée sur mon lit, les bras en croix, les yeux hagards, et je bave ;
je n’arrive même pas à pleurer ce désespoir.
Parfois je pars en ville, pour bouger, pour dépenser des calories, pour
fuir je ne sais quoi, ou pour chercher une boulangerie ouverte en ce
dimanche après-midi.
Ne pas pleurer. Ne pas être vue. Et quand je trouve une boulangerie,
j’achète quelque chose, et je le bouffe. Soulagement instantané. Qui
ne dure que quelques instants.
(J’imagine que tu as déjà vu des témoignages de drogués parlant de
la drogue, de leur irrépressible besoin, de la recherche de leur dose,
puis du moment du shoot, puis du malaise. Ça a bien l’air de ressembler à ce que j’ai vécu avec la nourriture…)
Cette année-là, je crois que j’atteins ma limite du malaise.
Je cherche des solutions :
Un premier type de solutions, du type trash :
- tomber gravement malade
- avoir un très grave accident
- devenir anorexique (ah que je les envie ces filles…)
- trouver un moyen d’avoir le ver solitaire (je ne comprends pas com48
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Lucile et Myriam
ment ne se développe pas le commerce d’œuf de ver solitaire, qu’on
pourrait ingérer à la demande, ça me paraît évident qu’il y aurait une
demande très forte)
- je crois que j’ai lu quelque part quelque chose qui ressemble à : tu
mets dans une boîte un morceau de viande, et plein d’autres trucs
bien crades. Tu laisses le cadavre se décomposer. À chaque fois que
tu as envie de manger, tu n’as qu’à ouvrir la boîte et mettre le nez
dedans. Normalement ça te passe l’envie de manger.
- partir, fuir, fuguer, tout arrêter, et partir avec rien, même pas d’argent,
quelque part en France, n’importe où à la campagne. Ainsi, pour
manger, je ne pourrais que voler. Je ne sais pas voler, alors comme ça
je mangerais à peine. Je propose même à une copine qu’on fasse ça
pendant les grandes vacances. Ça ne l’enchante pas du tout mon
plan…
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Un autre type de solution :
- je prends à la bibliothèque un livre sur la boulimie. Comme ça a été
dur ! Dur de le sortir du rayon. De le présenter à la personne qui
l’enregistre. Je suis tétanisée. Et bien sûr je pense que si quelqu’un que
je connais me croise à ce moment-là, je mourrais sur place…
Je retiens de ce livre quatre choses :
1- il vaut mieux être boulimique qu’anorexique (yes ! j’ai de la
chance…).
2- les personnes qui se font vomir sont à un stade plus compliqué à
soigner que celles qui ne le font pas. Ça me marquera. Ainsi,
j’éviterais au maximum de me faire vomir. J’ai utilisé ce procédé de
soulagement très peu, juste quand je ne pouvais plus respirer tant mon
estomac était au bord du déchirement, soit peut-être une dizaine de
fois dans l’année (rien à voir avec les 5 ou 7 fois par jour pour
certaines personnes).
Et puis, y’a une voix qui me dit : “assume”. Je ne sais pas trop c’est
quoi cette voix-là, mais c’est elle qui m’interdit de me faire vomir aussi.
Plus le fait d’avoir lu que vomir ça pourrissait les dents.
3- boulimie = problème avec la mère.
4- pour sortir de la boulimie, on conseille aux personnes d’être aidées
par un psy. J’ai souvenir d’avoir lu que ça pouvait durer quelque chose
comme 1 an.
Ça me paraît impossible : je ne supporte pas l’idée d’aller voir un psy
(“je ne suis pas folle”).
Je ne supporte pas l’idée de devoir aller creuser “oui c’est à cause de
ma maman”.
Un an ça me paraît trop long (maintenant ça me fait sourire, car c’est
vraiment rien une thérapie d’une année ! Des années après, j’y
penserais souvent : “purée, mais si j’avais fait ça en 1993, ça serait
passé en 1994 !”).
J’ai pas de thunes.
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- au pire des moments, je prends les pages jaunes, je relève des noms
de psychiatres (car remboursés) et je passe mon premier coup de fil,
hésitante et tremblante :
“bonjour, je suis boulimique, est-ce que vous croyez que vous pouvez
faire quelque chose pour ça ?”
La femme qui me répond a une voix très bizarre :
“ouiiiii… il faut qu’on en parle…”
Je raccroche tétanisée, cette femme m’a fait trop peur.
Je n’irai pas. Et mes appels à l’aide vers des psy s’arrêteront là.
Alors ma vie continue, et son quotidien obnubilé par la nourriture :
- souvenir d’un cours en amphi où je suis “en manque”, je ne tiens
plus sur ma chaise, je n’ai qu’une idée : “trouver un Mars !”, c’est la
panique.
- chaque “sortie” devient compliquée : si je pars quelques jours avec
d’autres, je m’empiffre juste avant de partir, et toujours cette peur continuelle de manquer quand je suis en groupe.
- à partir de 1994, je n’habite plus seule mais avec des colocataires.
C’est difficile. Il faut aller à la cuisine sans faire de bruit. Ou cacher
un paquet de biscuits dans ma chambre, que j’ouvrirais très lentement,
pour ne pas que ma colocataire m’entende ouvrir le paquet, et que
je croquerais et mâcherais au ralenti pour ne pas me trahir.
***
L’angoisse. Ça prend là dans le ventre. L’angoisse de quoi ? Je ne
sais pas. Mais cette impression très désagréable, je sais qu’elle va
passer si j’avale quelque chose. Quelque chose de bon. Tout mon
corps et mes pensées sont tendus vers ce moment-là. Et quand je
n’arrive plus à me “contrôler”, je me remplis.
Et ça marche. Après j’entends plus rien.
De l’angoisse de départ. Car une autre arrive.
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Qui ressemble à un mépris de soi, pour cette faiblesse, pour mon
corps qui va grossir… juste cette impression sourde d’être nulle.
***
Les années ont passé. La boulimie s’est estompée au fil du temps.
Pourquoi ? Je ne sais pas trop. Comme je ne sais pas encore bien
quelles étaient ces angoisses qui me poussaient à m’étouffer de nourriture.
Peut-être est-ce parce que je me sens moins seule.
Peut-être que j’extériorise beaucoup plus ma souffrance, et mes émotions en général désormais, plus besoin de mettre un oreiller dessus.
J’en sais rien.
Je ne dis pas que mon rapport à la bouffe est désormais fluide. Pas
encore bien. Mes quantités de nourriture absorbée dépendent clairement de mes états émotionnels, et parfois dépassent mes limites, celles
que j’ai à l’intérieur de moi, et qui font que je me sens bien ou non ;
à ça tu ajoutes que je n’arrive pas à passer une journée sans chocolat et voilà quoi. Rien de bien dramatique désormais.
Voilà maman, j’espère t’avoir fait un peu comprendre ma boulimie.
T’as une autre question ?
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la puberté
une nouvelle vision de soi
et du monde qui nous entoure
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Charlotte 15 ans, Émilie 15 ans, Natacha 16 ans
2007
En préambule…
À la MJC de Saint-Martin-en-Haut (commune des Monts du Lyonnais),
je m’occupe d’un “Point Ressources Santé-Sexualité”. Un dispositif qui
propose des permanences d’informations destinées aux jeunes de 12
à 26 ans et des animations collectives auxquelles s’ajoutent quelques
actions plus spécifiques.
Je rencontrais fréquemment à l’espace Jeunes de la MJC le groupe
d’adolescentes qui témoigne ici. Quelquefois, elles venaient aux permanences (seules ou en groupe). À la suite de ces entrevues, j’ai eu
l’idée de leur proposer de participer à cet ouvrage collectif. Elles ont
tout de suite adhéré au projet.
Cela a commencé sous la forme d’un groupe de parole où chacune
d’entre elles s’est exprimée abondamment sur son vécu. Ces échanges
étaient très riches (lien avec leur histoire familiale, rôle des influences
diverses, poids des représentations…).
Mais ce qui m’a frappée, c’était la manière dont elles parlaient de leur
corps, intransigeantes face à la moindre imperfection. Heureusement,
les autres membres du groupe réagissaient souvent avec humour.
Ensuite, elles sont passées à la phase de rédaction. Elles ont cherché
les points communs à leurs trois témoignages et elles ont décidé de
partir de leurs corps puis de parler de leur vécu des règles et de la
puberté en sélectionnant leurs souvenirs les plus marquants.
Marie-Hélène, intervenante du Planning Familial (M.F.P.F. 69)
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Discussion entre amies :
- “À 13 ans, on m’a dit que j’avais la morphologie d’une femme.
- Moi, vers 13 ans, mon bassin s’est élargi.
- Et moi, à 9 ans et demi, j’avais déjà mes règles et j’étais plus grande
que les autres. Je portais des soutiens-gorge et personne n’en avait
et j’avais des boutons et personne n’en avait.”
Et le nez :
- “Mon nez a changé. Il est devenu plus fort avec deux bosses de
chaque côté tandis qu’avant il était tout rond, tout mignon.
- Le mien est bizarre mais je l’aime bien. Il ressemble à aucun autre
dans ma famille.
- Moi, mon nez, c’est une patate !”
Et les poils :
- “Vers 10/11 ans, j’avais la jungle sous les bras.
- Pour moi, c’est pas arrivé partout en même temps.
- Je me souviens que j’ai eu très tôt des poils au sexe et aux jambes
et sous les bras un peu plus tard.”
Et la peau :
- “Ma peau est devenue carrément moisie avec plein de trous, de
boutons et aussi très grasse.
- Moi, j’ai eu plein de petits boutons.
- Et pour moi, bizarrement, ma peau, ça allait !”
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La conversation se poursuit autour de notre ressenti vis-à-vis de nos
nouvelles formes…
- “Je suis disproportionnée du corps.
- À quoi tu fais allusion ?
- Mon buste me plaît, mais c’est en bas que ça ne va pas : mes
hanches sont trop développées.
- Moi, je ne trouve pas que c’est choquant, ça te donne du charme.
- Oui, mais les autres filles sont plus longilignes.
- Les hanches larges, c’est aussi ton côté femme.
- C’est pas plus mal pour plus tard mais à notre âge, il n’y en a pas
beaucoup qui sont comme cela… C’est vrai que j’étais plutôt en
avance sur les autres, j’ai eu des poils plus tôt.
- Hé, oui ma vieille, assume !
- Moi, j’ai remarqué que je grossis quand je vais avoir mes règles. Je
prends à peu près trois kilos.
- Moi aussi je grossis et je maigris, je suis plus souvent mal que bien.
Mais est-ce que tu n’es pas trop exigeante avec toi-même ?
- Oui, je sais que je le suis. Je veux tellement être dans la norme, être
comme ma sœur.
Et puis ma sœur, elle me fait toujours des remarques à trois balles du
genre : “Arrête de bouffer !… T’es grosse !...”. Alors j’y crois.
Lorsque je fais un régime et plus de sport, ça me soulage la
conscience et pourtant je ne perds pas tant de poids que ça.
- Hé oui, le plus important c’est de se faire plaisir…
- Effectivement, un moment j’en ai eu marre. Je mangeais comme je
voulais et j’ai maigri. Et puis, j’aime bien aussi quand mon ventre
laisse apparaître un petit bourrelet après les repas.”
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Nos nichons :
- “Avant mes seins étaient moins beaux, maintenant ils se sont arrondis et sont devenus beaucoup plus féminins.
- Et puis maintenant quand tu fais ta femme sexy avec tes hauts moulants, t’as de quoi mettre dedans !
- Et toi ! T’as toujours eu de quoi mettre dedans !
- C’est pas drôle ! Je me sentais à part. Et les gros tétés, ça fait mal
au dos. Et puis quand on court, ça fait bouing, bouing ! En plus, je
suis petite, c’est disproportionné. Plus tard, j’aimerais me faire enlever un ou deux bonnets.
- Et dire qu’il y a plein de filles, comme moi, qui voudraient en avoir
plus !
- Bah ! Vous ne vous rendez pas compte de ce que c’est ! Et pour les
soutifs, on trouve plus que des trucs de vieilles, hyper chers !
- Au moins, tu as des formes et c’est déjà ça !”
Nos règles :
- “La première fois que j’ai eu mes règles, je m’en rappelle comme si
c’était hier : j’allais me coucher et aux toilettes je me suis aperçue
que j’avais des tâches de sang.
Toute paniquée et toute contente, je suis allée voir ma sœur qui était
en train de se laver les dents et avait du dentifrice de partout. Je lui
ai annoncé la nouvelle. Elle a tiré une tête de trois mètres de long
et a écarquillé les yeux. Je me rappelle trop de sa tête ! (rires…)
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- Moi, mes règles se sont déclenchées suite à un choc émotionnel :
un décès.
- Les miennes sont arrivées d’un coup, sans ressentir quoi que ce soit.
C’était le 6 juin, le jour du débarquement ! Au début, j’étais toute
contente, j’allais toutes les deux secondes les voir. Mais avec le
temps, c’est devenu plus gênant. Le problème, c’est qu’après, ce
n’est plus un plaisir.
- J’ai toujours eu des règles très douloureuses. J’avais mal au ventre et
je vomissais. Depuis que je prends la pilule et que l’on m’a appris
des exercices à faire pour muscler mon bas-ventre, ça va mieux.
- J’avais des règles irrégulières et hyper douloureuses. Heureusement,
avec la pilule elles se sont régularisées et j’ai eu moins mal au
ventre. Au début c’est bien : tout beau, tout rouge ! On est contente
de se sentir plus femme. Mais après on réalise que c’est une galère
que l’on va vivre chaque mois pendant environ quarante ans.”
Pour terminer, à propos de la puberté…
- “Nous trouvons que les changements s’effectuent rapidement alors
que l’adaptation à cette transformation se fait très lentement.
- C’est vrai, au départ notre corps change, pourtant on est encore un
enfant dans notre tête avec un corps de femme. Après, on mûrit et
on s’habitue progressivement à ce nouveau corps.”
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les règles
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Alice
Quelque chose que seules
les filles peuvent connaître
douloureuses
et encore pas toutes
(heureusement)
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voici mon histoire
vers 13 ans “ça” arrive
c’est la surprise à chaque fois
“ça” fait mal
j’essaye des tas de médocs, rien ne marche
j’en ai marre
cette douleur doit sortir, je me mets à vomir
puis des fois j’ai eu tellement mal que j’ai eu
envie de mourir, de tuer mon ventre
il y a comme des lames de couteaux qui me
transpercent
des fois ça fait pleurer
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Alice
des fois je pousse des
drôles de cris animaux
et puis j’ai froid
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quand “ça” se déclare, je sais que je vais être
immobilisée ou quasi, pendant plusieurs heures
mes jambes ne me portent plus
mes bras ne peuvent rien faire
mon ventre se contracte
mon dos ne me porte plus
alors je m’allonge, recroquevillée
... et j’attends
depuis quelque temps, j’ai laissé mon ventre
décider pour ces moments-là, c’est lui qui commande, mon cerveau alors est comme en “sommeil
clinique”, il dort
aujourd’hui je prends une alcoolature d’achilée millefeuille, ce qui m’empêche d’avoir assez mal pour
que l’idée de me tuer revienne
mais c’est un moment spécial hors de tout, comme
un vide
un tête à tête avec la douleur
avec mon corps
une fois par mois
13 fois par an
déjà 150 fois au moment où j’écris.
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Hélène
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trilogie
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Sylvie
.1
Toi, mon pauvre corps, je t'ai trahi,
Depuis plus de vingt ans je t'ai trahi.
Mon corps d'abord petit
D'abord fragile
Mon corps enfin grandit
Plutôt gracile
Puis les premiers émois
Et aussi quelques effrois
Pas de conte où une princesse
Rencontre une autre princesse
Une route, et puis une autre
Laquelle prendre, l'une ou l'autre ?
Celle-là il y a plus de monde
Celle-là comme tout le monde.
Qui a parlé
Qui a décidé
C'est toi ma tête
Qui jamais ne s'arrête
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Et la vie va
Elle coule comme ça
Puis viennent les premières rondeurs
Et mon corps tu n'as plus peur.
Tu te rappelles à toi-même
Tu te prends à aimer un autre corps
Tout pareil à toi-même
Mais il y a ma tête d'abord
C'est elle qui décide
C'est elle qui préside.
Toi ma tête
Si pleine de morale
Et tu t'entêtes
Et tu lui fais mal.
Tu reprends les rênes
Toujours les mêmes
Et toi mon pauvre corps
Tu t'oublies, tu n'es plus toi
Et la vie va
Elle coule comme ça
Heureusement il y a ces petits corps
Qui sortent de toi
Et que tu aimes plus que toi
Pourtant, de temps en temps,
Reviennent les mêmes émois
Qu'elle interdit inlassablement
Mon pauvre je t'ai trahi
Forcé à faire ce dont tu n'avais pas envie
C'est cette tête
Cette pauvre tête
Qui veut te dominer
Qui veut t'oublier
Elle voudrait bien même
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Que tu ne sois toi-même
Et bien souvent
L'envie lui prend
De te déchirer
De te lacérer
Te forcer à partir
Et ne plus revenir
Mais s'il te plaît pour une fois
Oui, s'il te plaît tais-toi
Juste pour cette fois
Tais-toi
Et laisse mon corps
Apprendre à ne plus avoir tort.
***
Voilà ma valise. Ça fait longtemps que je sais tout ça. Ma vie sexuelle
a commencé avec des filles, et bien vite j'ai enfoui tout ça bien
profond.
Mais de temps en temps ça revient, et chaque fois un peu plus fort. Et
quand je tombe amoureuse d'une nana, je me dis “bon d'accord mais
maintenant on passe à autre chose hein ok ?”. Et ça passe.
Pas un seul jour où je n'aie envie de crier ma colère mais je n'y arrive
pas. Pas un seul jour où je n'en pleure mais en silence. Parce que
chaque soir je me couche à côté d'un homme dont je ne supporte
plus les caresses, et parce que c'est quelqu'un de bien il a accepté,
même s'il ne comprend pas pourquoi.
Alors quand ça ne va vraiment pas j'écris.
Pourtant je continue à vouloir enfouir tout ça et à vouloir que ça
s'arrête.
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dans le port
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Claudine Lebègue
octobre 2008
d’Amsterdam
Loïc : plombier, pianiste, chanteur, auteur-compositeur. Un p’tit gars
bourré de tics qui avait une toute petite bite coincée dans sa braguette. C’est la plus petite que j’ai jamais vue et heureusement pour
moi d’ailleurs, parce que s’il avait été monté comme un mammouth
j’en serais morte et ma mort aurait été pré-historique. Il me l’a plantée
au fond du ventre comme on plante un couteau sans cran d’arrêt. Un
soir dans ma chambre. Et ce p’tit couteau-là, c’était le premier à fouiller dans ma chair et il a été coupant, très coupant. Huit centimètres le
long de mon couloir de la petite mort. Pour vous donner une idée en
temps, c’est long comme toute une vie.
Huit centimètres qui ne se refermeront jamais.
Loïc avait huit ans de plus que moi et j’en avais 18. Un homme.
C’était un homme à mes yeux noyés de bleu. Je l’ai pris pour un
homme. Il a dit “y’en a marre des baisers, moi je suis un homme, un
vrai, j’ai pas besoin de jouer à la poupée, j’ai besoin de balles dans
le fusil moi, tu comprends ?” oui je comprenais. Et j’avais très peur. Et
pas confiance du tout. Et j’étais pas prête. Voilà. Pas prête. Ça aurait
dû être suffisant comme réponse. Mais lui, n’entendait pas du tout la
musique de mes mots, ne voyait pas du tout l’importance de mes mots.
Il a continué, il m’a dit que j’étais bien la seule sur terre à ne pas
saisir cette magnifique occase et que si je ne m’y mettais pas mainte71
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nant, je finirais vieille peau. J’ai redit “je suis pas prête” et je lui ai
quand même ouvert mon jardin, comme on ouvrirait sous la menace
d’une arme.
Il est arrivé en moi plus vite qu’une lame de sabre. Un éclair, un jet de
foudre en chair et en os, la fin du monde, la fin de moi. Je me suis
sentie, comment dire, défigurée. Voilà, c’est le mot. Défigurée. Je ne
savais même pas que cette partie-là de mon corps existait. Je l’entrevoyais à peine que déjà elle était abîmée pour la vie. J’ai hurlé un cri
de bête sauvage. Ça lui a fait peur, et son beau p’tit septième ciel à
lui tout seul s’est éteint avec toutes ses étoiles en même temps. Ça, il
a pas aimé du tout, et il m’a dit “ne recommence jamais ça, c’est un
coup à rendre impuissant un mec”. Il a râlé et puis il a secoué sa
mouillette, il a remonté son pantalon, il y a fourré vite fait, en vrac, son
p’tit outil, il a roté un coup comme les marins d’Amsterdam et il m’a
juste dit une dernière phrase, son dernier mot, son chrysanthème sur
ma virginité. Il a dit : “tu seras jamais une femme”… Et il est parti.
Il avait raison. Je ne suis pas devenue une femme, je suis devenue un
monstre de perversité.
Loïc était le premier. Un acte définitif. Une semence sur le chemin des
sens.
Mon corps est une terre qui se nourrit de souvenirs, et comme on n’a
jamais vu pousser des roses là où on a planté des clous, il me restait
deux possibilités, mettre mon corps en jachère, ou le vendre. Je n’ai
pas pu attendre, je l’ai vendu contre de grands péchés, en échange
de tous les vices.
Depuis ce jour, mes plaisirs ne sont qu’une monnaie d’échange.
Échange branlette contre réparation.
Loïc était breton et fier de l’être, il était aussi issu d’une famille de
marins du côté de Cancale.
Y’a pas de quoi en faire une chanson.
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Sabine Li
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mon
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corps
mon a...
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Cécé
mai 2005
alliée
amante
arme
Parce qu’on écrit toujours
de là où on en est : je
suis plutôt une grosse
gouine blanche anarkaféministe pro-sexe à
tendance butch-sensible
issue du milieu prolE. Je
suis aussi végétarienne,
drôle, timide et bordélique mais p’têtre que ça
c’est une autre histoire…
bien que.
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Mon corps ne ressemble pas à ceux que l’on voit dans les magazines.
Je ne suis pas mince, je ne suis pas épilée, j’ai les cheveux vraiment
pas très longs pourtant j’aime mon corps.
Longtemps, je ne l’ai pas aimé, pas regardé, pas touché. Parfois, lourdement aiguillée par ma mère, j’ai tenté ou plutôt elle a tenté de me
faire perdre du poids.
À la maison, pas de gâteau, pas de chocolat ou alors soigneusement
répertoriés, comptés, rationnés.
Je suis en primaire, j’ai 10 balles d’argent de poche par semaine. En
me faisant pote avec la boulangère, les 10 balles suffisent à me
fournir en bonbecs et gâteaux pour la semaine. OUF !!!
Certains autres enfants me disent que je suis grosse, ils ont l’air de
penser que c’est un problème, ma mère aussi. À la télé, je regarde
une émission où ils parlent des “mauvaises graisses” : le beurre, la
crème, trop de fromage…
Pourquoi “mauvaises” ?
Moi j’adore les pâtes avec beaucoup de beurre, beaucoup de
fromage râpé et je mange du pain avec. Ça aussi ça a l’air d’être un
problème.
Aujourd’hui, quand je me délecte de pâtes dégoulinantes de beurre
et de fromage, j’ai toujours une pensée revancharde envers ma mère,
les magazines et tous les gardiens des normes relatives au corps des
femmes.
Avec mon corps, j’ai parfois pensé que rien n’allait.
Ma chère mère me disait souvent que j’étais habillée “comme l’as de
pique” mais je trouvais plutôt que je ressemblais (au niveau du look au
moins) à plein d’autres djeun’s de mon âge et de mon milieu.
Jeans et sweats larges, baskets, casquette : un manque flagrant de féminité pour certaines, un style djeun’s décontract’ de la banlieue pour
d’autres mais pour toutes une trop grande part de masculinité : un garçon manqué ! Pour moi, mes premiers pas vers la butch attitude !
Puis, j’ai attentivement regardé un jeu de cartes et franchement le look
de l’as de pique n’a rien de commun avec celui d’une butch !
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Un jour, j’ai genre 12 ou 13 ans et je vais chez le médecin pour une
connerie de vaccin : auscultation classique, je soulève mon tee-shirt
pour qu’il écoute mon cœur et là il se met à me parler de mes seins,
de leur maintien et du coup de l’intérêt du soutif !!!
J’hallucine !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Moi qui choisissais toutes mes fringues sur le critère principal du
confort, autant dire que les soutifs ne pouvaient pas faire partie de
ma garde-pantalons (et oui les robes c’est pas trop mon style).
Six mois plus tard… je retourne chez ce médecin pour une autre
connerie : là il constate atterré que je ne porte toujours pas de soutiengorge et il m’annonce froidement que si je n’agis pas rapidement mes
seins vont tomber !
Je prends quelques jours pour m’en remettre, j’essaie plusieurs soutifs…
et déjà je commence à m’habituer à l’idée que mes seins vont tomber.
C’est pas vraiment que ça me réjouisse… mais ça me paraît toujours
moins chiant que de porter cette espèce de camisole à seins en
permanence.
Ma mère, toujours bonne conseillère, avait choisi pour moi ceux qui
ont des armatures. Un peu plus tard, elle m’a expliqué que le bon
plan avec les armatures c’est que ça remonte les seins, que selon elle
“ça les met en valeur” et qu’avec un décolleté je pourrais même être
jolie… moi jolie ?????
Très intriguée, j’ai essayé seule dans ma chambre, c’était un peu
bizarre mais c’est vrai que je me trouvais un peu jolie quand même !
Un jour où je voulais être “jolie” comme ils disent, j’ai mis un décolleté avec une camisole à seins à armatures et je suis sortie. Les
regards m’ont semblé lourds, dérangeants, intrusifs et agressifs, c’était
les regards des hommes bien sûr.
Retour immédiat aux sweats larges et à la presque tranquillité.
Un autre truc qui allait pas avec mon corps, c’est que j’avais compris
vers 5 ou 6 ans en me caressant le sexe dans le canapé devant la
télé, que ça aussi c’était très mal, lorsque ma mère m’a dit le visage
livide d’arrêter ÇA tout de suite. Après, j’ai essayé de me cacher sous
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une couverture pour le faire mais mon frère, mon père ou ma mère
passaient toujours par là pour me rappeler sèchement d’arrêter ÇA !
J’ai continué de me caresser le sexe, mais uniquement la nuit dans
mon lit, la lumière éteinte, les yeux fermés en me disant que je faisais
sûrement encore une connerie…
Vers 15 ans, j’ai eu envie que d’autres touchent mon corps. Des
garçons l’ont fait, souvent ça ne provoquait aucune sensation, parfois
c’était désagréable et rarement ça m’a donné du plaisir. Globalement
c’était plutôt décevant et encore une fois j’ai pensé qu’il y avait un
problème avec mon corps.
J’entérine alors mon look de “garçon manqué” d’la banlieue, c’est
confortable et ça éloigne les regards et l’intérêt des hommes sur mon
corps.
Un soir, mon père, à son grand désespoir je pense, m’a fait réaliser
un truc primordial dans ma vie. Au moment où j’allais remettre du
beurre pour la troisième fois dans mes pâtes ou quelque chose comme
ça et qu’il remarque également que mon caleçon dépasse délicatement de mon jean large, il me lance : “c’est pas comme ça que tu vas
plaire aux garçons !”.
J’ai rien dit mais j’étais vexée sur le coup. Après, j’y ai repensé et je
me suis dit que de toutes façons, les quelques expériences que j’ai
eues avec les garçons ne me donnaient aucune envie de leur plaire.
Là-dessus, j’ai été rassurée.
Par contre, j’avais envie d’avoir du plaisir avec mon corps et avec
d’autres personnes.
L’hétéronormalité faisant bien son boulot, il m’a fallu encore un peu de
temps avant de m’autoriser à avoir du désir pour d’autres femmes.
Là, nouveau problème : que mon corps ne plaise pas aux garçons
faisait de mon corps mon alliée et une arme de défense, par contre
s’il ne plaisait pas aux femmes non plus ???
C’est la panique !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Mon père avait bien précisé que c’était aux garçons que je ne plairais pas comme ça : je me raccroche à cette idée…
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Sabine Li
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Je me rends vite compte qu’il ne plaît pas à toutes les femmes
non plus…
J’ai 18 ou 20 ans, je me donne du plaisir seule avec mon
corps, c’est bon, j’aime me toucher, mon corps est mon
amante. Envie d’avoir du plaisir avec des femmes, de les
toucher…
Je ne veux pas qu’elles touchent mes seins, étonnement je les
trouve trop gros et moches parce qu’ils tombent…
Je cherche à rentrer dans le milieu lesbien, c’est compliqué,
j’hésite, je bafouille, je me sens mal à l’aise.
Je lis, je lis, je lis des bouquins de lesbiennes, je fais des
recherches sur les théories féministes.
Elles aussi pensent que le regard des hommes peut être un
problème quand on met un décolleté, ça me rassure, je
croyais être la seule paranoE.
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Quand je dis autour de moi que j’aimerais rencontrer des féministes,
souvent on rigole, on me dit que ça va, il faut que je me calme, que
quand même la place des femmes a bien changé et que j’ai pas trop
à me plaindre en tant que blanche vivant en france.
Je me décide alors à essayer de rencontrer des groupes féministes
sans en parler aux potes du moment.
Là, c’est la classe : plusieurs trucs que je pense en secret depuis un
bout de temps, elles le pensent aussi. Elles ne trouvent pas que les
poils sont laids et qu’on doit absolument leur faire une guerre permanente. Elles pensent aussi qu’on ne doit pas forcément porter des
décolletés pour être jolie. Encore plus attrayant : elles pensent qu’on
peut être “un garçon manqué” et être jolie.
Lorsque j’explique que je trouve ça plus sécurisant dans la rue d’être
plus grosse que la moyenne et d’avoir des fringues larges : elles ne
lèvent pas les yeux au ciel, elles comprennent.
Lorsque je parle de masturbation, je vois des regards, des sourires
complices, elles pensent que c’est normal.
J’ai même pu dire que je suis lesbienne sans que ça déclenche des
fous rires ou un blanc d’1/4 d’heure dans la discussion.
J’ai eu très envie qu’elles deviennent des amies et certaines le sont
devenues.
On a parlé ensemble des jours, des nuits, des semaines, on a fait des
réus, des collages, des soirées, du sexe.
J’ai continué de me masturber sans plus jamais me dire que c’était une
connerie.
Parfois, je ne mets pas des fringues larges, je me regarde dans la
glace, c’est pas désagréable.
2 ou 3 fois j’ai mis un décolleté pour aller à des soirées entre femmes,
j’ai remarqué que ça plaisait à certaines d’entre elles…
J’ai même commencé à trouver sexy mes poils entre le pubis et le
nombril.
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Mon corps devient une arme de séduction envers les femmes en même
temps qu’il est une arme de défense envers les hommes. Mon corps
est donc mon alliéE.
Les poils, les bourrelets sont de moins en moins un problème…
Je fais du sexe avec des femmes, certaines me disent que mon corps
est confortable, joliE et même sexy… je rougis.
J’aime de plus en plus mon corps, j’ai de plus en plus de plaisir avec
lui.
Jusqu’à y’a pas longtemps encore je trouvais mes seins encombrants,
trop gros et plutôt moches… Longtemps j’ai voulu faire en sorte de les
réduire.
Mes questionnements autour du corps, du plaisir et de la sexualité
m’ont amenée à m’intéresser aux pratiques sm. Entre autres découvertes, il y a eu les jeux avec les seins, j’ai parfois pensé qu’il y a une
connexion entre mes tétons et mon clito. Je me suis mise à les trouver
beaucoup moins encombrants. Je trouve ça agréable que d’autres les
caressent et jouent avec. Maintenant, j’apprécie de jouer seule avec
aussi.
Mon corps est mon amante !
Aujourd’hui j’ai 28 ans et je suis plutôt bien avec mon corps, exception faite de ces poils qui poussent sous mon menton et de cette moustache que j’épile régulièrement. Tous les autres poils, je me suis fait
pote avec, mais ceux-là je bloque.
Heureusement, maintenant j’ai plein de potes féministes. Je vais continuer de lire et de parler avec elles des jours et des nuits et j’espère
bien qu’un jour je serai pote aussi avec ces poils-là.
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Sabine Li
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comme
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Nina Yargekov
2008
Erika
J’ai compris pourquoi Erika se
mutilait le sexe dans La Pianiste
de Jelinek. Quand je dis j’ai
compris, c’est au sens étymologique du terme et sans mauvais
jeu de mot, au sens de prendre
avec soi, incorporer, ressentir,
vivre : c’est proprement insupportable que cette petite queue
qui nous démange.
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Une queue, oui, et ça, ça fait longtemps que je l’ai remarqué. Enfin
pas si longtemps que cela. En réalité au départ, je n’avais pas localisé mon clitoris, je le confondais avec mon urètre. Oui, cela arrive,
ne me regardez pas avec cet air navré : on me parle d’un petit bout
de chair extrêmement sensible aux caresses, eh bien je suis désolée
mais chez moi, l’urètre correspond parfaitement à cette définition.
Alors je ne vois pas comment je pouvais deviner qu’il y avait encore
autre chose à chercher. Pour autant, mon clitoris n’était pas à cette
époque d’heureuse ignorance en hibernation, loin de là, simplement
je le percevais comme une zone érogène parmi d’autres et non pas
comme un organe à part entière. C’est d’ailleurs ainsi qu’il se
comportait : une chose molle et passive, réactive mais pas active et
ne se distinguant en rien de son environnement immédiat. Cependant,
un jour de l’année de mes vingt-deux ans, tout a changé. J’étais en
chemise de nuit assise sur une chaise, une chaise de bureau noire à
roulettes modèle dossier rembourré pour être tout à fait précise, j’examinais mon sexe les jambes écartées à l’aide d’un poudrier perfection
du teint et d’un coup je me suis rendu compte que s’y trouvait logée
la parfaite réplique d’un sexe masculin : un membre spongieux,
allongé et cylindrique, garni d’un œil globuleux à son extrémité, une
sorte d’hybride entre une trompe d’éléphant et un cyclope. Même
texture, même forme, même structure – aucun doute possible. Rien à
voir avec le bouton de rose mignon et délicat qu’on essaie de nous
refourguer dans les magazines féminins.
C’est à ce moment-là que les ennuis ont débuté. Mon clitoris, enfin
sorti de son anonymat diffus, s’est trouvé animé d’une existence
propre. Il s’est mis à avoir des exigences. À vouloir attirer l’attention
sur lui. À lancer des appels de phare. À prendre des décisions sans
me consulter. En un mot, il est devenu une foutue petite queue fonctionnant exactement comme les spécimens géants d’en face. Sauf que,
et c’est là toute la différence, c’est une petite queue qui n’éjacule pas
et dont la jouissance n’est jamais totale. J’ignore s’il y a un rapport
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entre les deux, je constate. La preuve, je peux avoir dix orgasmes
clitoridiens de suite, ce qui montre bien que la tension perdure et que
la satisfaction n’est jamais complète.
Je vis donc, depuis le réveil de mon clitoris, dans un état de frustration
permanente. De plus, et c’est loin d’arranger les choses, cette télécommande autoproclamée de mon système nerveux se met en action
n’importe quand et de préférence dans des situations où il est impossible d’aller se masturber. Je me retrouve régulièrement à tenter de me
soulager dans les toilettes d’un avion, d’un train, d’un bureau, c’est
extrêmement humiliant et très inconfortable. Surtout que j’ai besoin de
mes deux mains, je n’arrive pas moi comme les héroïnes des téléfilms
du dimanche soir à jouir en effleurant mon sexe avec une plume
colorée, au passage merci à Catherine Breillat de m’avoir montré que
je n’étais pas la seule.
Entre nous, je ne sais pas comment font les hommes pour supporter
cette tension mais pour ma part je n’en peux plus, j’en suis à ne plus
oser m’asseoir dans le bus de peur que dans cette position mon
pantalon n’exerce une pression sur mon sexe et ne déclenche une
crise de clitoris. En effet le vêtement serré et en particulier le jean slim
qui moule sournoisement l’entrejambe sont l’ennemi absolu de la
sérénité génitale, j’y renoncerais volontiers cependant essayant pour
les raisons que vous imaginez de rester une fille attirante, je n’ai guère
le choix. Mais pour en revenir à mes congénères masculins, parce
que décidément cette affaire m’intrigue, je me demande si ce n’est pas
plus facile pour eux dans la mesure où ils n’ont pas de vagin. La chose
n’est pas très claire dans mon esprit toutefois je pressens confusément
que toute cette torture est liée à la relation qu’entretiennent mon
clitoris et mon vagin. Je m’explique : le désir sexuel est initié par le
premier, mais son assouvissement ne peut passer que par le second.
Autrement dit, ce que mon clitoris demande lorsqu’il se signale auprès
de moi par un brusque afflux sanguin, c’est un sexe d’homme, et vite.
Je ne sais pourquoi il en est ainsi. Peut-être le clitoris est-il l’ambassa87
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deur du vagin chargé de communiquer au monde extérieur son besoin
impérieux d’orgasme ? ou peut-être souffre-t-il d’une confusion identitaire, se prenant pour son voisin du dessous qu’il jalouserait, ne
pouvant donc jouir véritablement que par procuration ? Peu importe,
de toute façon, connaître la réponse ne résoudrait en rien mon
problème de dictature clitoridienne.
Car c’est bien de dictature qu’il s’agit là : il existe une petite chose qui
règne sur moi, qui me donne des ordres et qui me fait me tordre de
douleur lorsqu’elle est mécontente – c’est-à-dire les trois quarts du
temps. Récemment, je me suis retrouvée à me compromettre, à perdre
toute dignité pour essayer d’obtenir un rapport sexuel d’un homme qui
après m’avoir administré un certain nombre de touchers vaginaux a
refusé d’aller plus loin. J’étais prise au piège, excitée mais insatisfaite.
Démunie face à mon propre désir pour quelqu’un qui n’en était
l’objet que par accident. Je ne souhaite à personne de vivre un tel
supplice, c’est un sentiment terrifiant que de faire face au caractère
absolument incontrôlable de son désir physique, de n’être qu’un trou
béant, une furie en chaleur prête à tout pour être remplie. Je sais :
vous allez me dire, mais c’est terriblement antiféministe tout cela, on
dirait un discours dix-neuvième sur les femmes comme êtres entièrement dominés par leur sexe. Peut-être. Tout ce que je peux en dire,
c’est que je n’ai pas toujours été comme ça. Auparavant, je faisais
l’amour, c’est-à-dire que je couchais avec des hommes parce que
j’avais des sentiments pour eux. Prolongement de romantiques étreintes
ou viol consenti selon les cas, je me donnais avant tout parce que
c’était ce qu’il convenait de faire avec l’homme qu’on aime. Puis, suite
au coup d’état de mon clitoris, j’ai commencé à aimer le sexe pour le
sexe. J’ai cessé de tenter maladroitement de correspondre à la fausse
image de la fille sexuellement libérée qui assure au lit – qui est bonne
comme on dit – dont mon cerveau était gavé et je me suis mise à me
préoccuper de mon plaisir personnel avant tout. J’y ai gagné des
orgasmes, j’y ai perdu mon indépendance physique. Pour la première
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fois, j’étais plus demandeuse de sexe que les hommes qui partageaient mes nuits, je n’avais jamais la migraine et me scandalisais
de constater que parfois ceux-ci avaient juste envie de tendresse. Je
trouve cela véritablement révoltant : pendant des années, on se voit
reprocher son absence d’enthousiasme sexuel et à présent que l’on est
enfin une fille qui désire, il se trouve des hommes qui osent refuser de
nous baiser. Il faut savoir, vous voulez des frigides ou des filles qui
aiment ça, maintenant j’aime ça et il convient de me satisfaire. En
outre, je le remarque en passant, une fille qui aime le sexe dès le
début d’une histoire passe pour moins crédible dans le rôle de la candidate à une relation durable. Les vieux schémas ont la dent dure : les
épouses d’un côté, les maîtresses et les putes de l’autre. Pour être prise
au sérieux, il faut être dans la retenue, ne pas trop montrer son envie,
se laisser faire, du moins au début. À bien y repenser ce qui gêne les
hommes au fond, c’est que l’on puisse aimer le sexe indépendamment
de leur petite personne, aussi il faut faire croire à chaque nouveau
partenaire que c’est seulement et seulement depuis qu’il nous a culbutée que nous avons compris le sens du mot plaisir. En d’autres
termes, il faut la jouer vierge, je n’ai jamais vraiment fait l’amour avant
toi le reste ne compte pas, tu m’as fait découvrir mon corps et tu m’as
montré le chemin de ma jouissance, que dieu te bénisse, tu es inoubliable. Tout cela me fatigue.
Je crois qu’il n’y a rien à faire. J’ai ouvert la boîte de Pandore ce jourlà sur ma chaise de bureau à roulettes et maintenant c’est foutu. J’ai
beau compenser, fumer, boire, me droguer, faire du sport, tuer des
centaines de monstres niveau 42 sur ma console de jeux vidéos, ça
ne change rien et me divertit à peine, c’est mon sexe qui est perpétuellement affamé pas le reste. En vérité, la seule chose qui fonctionne
correctement c’est un bon vieux rapport sexuel dans les règles et
encore, on n’a aucune garantie, et si ça ne marche pas c’est encore
pire que s’il ne s’était rien passé. C’est pour cela que j’estime que
celui dont je parlais plus haut m’a insultée en me laissant là comme ça,
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sans me prendre, sans me baiser. Il a refusé de m’honorer et cette
situation m’a renvoyée au vertigineux constat de ma dépendance
physique. Les hommes ne se rendent pas compte du pouvoir qu’ils ont
sur les femmes sinon ils n’oseraient pas se comporter comme ils le font.
Finalement, seul un réseau d’amants très élaboré – disponibles, de
bonne volonté, au désir facile – permettrait de survivre à ce calvaire.
Je le reconnais, quand ça marche c’est très agréable mais si je pouvais me passer de tout cela ça m’arrangerait. Je n’ai rien demandé
moi, j’ai un travail, des amis, un chien, et voilà que je me retrouve
avec ce truc greffé là qui vit sa vie de façon autonome. Alors autant
s’en débarrasser. Autant faire comme Erika, autant arracher de mon
corps cette excroissance qui m’empêche de vivre normalement.
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Delphine Bochart
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dédicace
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à
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Cris
mon
clito
Dans la démesure et la honte, nos sexes
de femmes ont eu tous les noms : le
con, le cloaque, la fente, la cave, là enbas, l'endroit secret, le hou-hou, le kiki,
la touffe, la fouffe, la chatte, le minou,
la moule, le gazon...
Chez moi on me disait que les filles ont
une zézette, et les garçons un zizi.
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J'ai 5 ans, je vois ma mère nue dans sa chambre et je
scrute ce que j'identifie comme un triangle de poils noirs,
qui ont l'air de cacher quelque chose. Je ne comprends
rien à cette partie du corps qui est différente de ce que
j'ai. J'ai juste ma zézette à cet endroit-là. Je pense que
plus tard, j'aurai une autre chose, cachée derrière une
zone de poils, bien triangulaire, moi aussi. Je n'ose pas
demander à ma mère de me montrer ou de m'expliquer
ce qu'elle a, elle, et pourquoi on ne voit rien sous ses
poils. C'est le grand mystère. Mon père, lui, a un pénis.
Je le sais comme une évidence depuis très jeune. Mais
ma mère alors, pourquoi n'aurait-elle pas un pénis elle
aussi, derrière ses poils ?
Evidemment, je ne peux pas non plus la scruter trop longtemps, ça semblerait louche.
Lucile
J'ai 8 ans, je prends ma douche avec ma cousine du
même âge, pendant les vacances d'été. Cette proximité
physique ne gêne personne, parce que nous sommes
jeunes. On en profite pour identifier nos sexes, dans des
démonstrations parfois, dans des jeux sexuels souvent.
Nous ne parlons pas de la différence entre leurs formes.
En fait, peu importent leurs apparences, puisqu'il s'agit
plutôt d'y prendre un certain plaisir, sans trop les regarder, ni les connaître pour autant.
Malgré nos jeux, nos sexes restent tabous et l'on sait très
bien qu'un “adulte” ne tolérerait pas cette proximité
intime. Parfois, je regarde brièvement son sexe, pour
voir comment il est fait, et je n'ai pas vraiment encore
conscience de l'aspect du mien.
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Je peux aussi voir ma grand-mère nue, quand elle prend sa douche.
Il n'y a pas de pudeur entre elle et nous, dans nos nudités respectives.
Chacune peut être nue avec l'autre, sans gêne.
Plus tard, je vois des statues de femmes dans un musée... Leurs sexes
sont représentés par un simple trait vertical, et au mieux par une légère
fente, toujours sans poils. Ça ne m'interpelle pas vraiment, et je me dis
que le mien est peut-être comme ça aussi. Je ne sais pas trop.
J'ai 15 ans, j'ai un rapport assez conflictuel avec mon corps qui
change peu à peu. Je n'accepte pas ma poitrine, ni mes hanches.
J'aurais préféré garder mon corps asexué, mon corps de jeune
androgyne plutôt masculin. Je n'aime pas le regard des hommes sur
moi. J'imagine qu'il n'est pas le même que quand j'étais plus jeune, et
j'en fais effectivement l'expérience avec ce mec qui n'arrête pas de me
regarder pendant un trajet en bus.
J'ai 16 ans et je commence à avoir plus de considérations pour mon
sexe, principalement pour mon clitoris. Bien qu'il soit une source de
plaisir depuis mes 6 ans, je ne l'ai jamais vraiment regardé, toujours
un peu écœurée par l'odeur qu'il a parfois, par les sécrétions, et sa
forme si curieuse/inconnue. Je me pose des questions sur ma sexualité et mes désirs, sur la place des femmes dans les sociétés, et je lis
quelques écrits féministes.
Je vois un film dans lequel des femmes racontent une séance d'autoobservation de leur sexe, dans un groupe féministe. Je me dis que
c'est une idée intéressante et me lance dans l'expérience, dans la salle
de bain, verrou bien fermé. Ma mère crie derrière la porte : “mais
qu'est-ce que tu fais ?”, et moi : “euh... rien, j'ai bientôt fini !”... glups.
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J'ai 18 ans, j'ai plusieurs fois observé mon sexe et le constat semble
le même : j'ai de toutes petites (quasi absentes) “grandes lèvres”, de
grandes “petites lèvres” et un clitoris très externe, très visible, qui me
semble plutôt grand par rapport à mes quelques références : pour
mon sexe, tout est à l'extérieur, tandis que pour les autres sexes que
j'ai pu voir, rien n'était apparent et les “grandes lèvres” étaient effectivement grandes. Les planches anatomiques étudiées au collège me
confirment qu'un sexe de femme est fait de lèvres qui portent bien leurs
noms, “grandes” et “petites”. Je ne trouve rien qui contredise ceci.
Je m'inquiète de cette différence et je ne sais pas où voir d'autres sexes
de femmes pour comparer. Les hommes se montrent leurs bites pour
voir qui a la plus grande, la plus grosse, la plus comme-ci, la plus
comme-ça... C'est un rituel évident pour eux, et fortement conforté par
tout un chacun. Les femmes n'ont pas habituellement cette occasion de
parler de leurs sexes et performances. Leurs sexes sont tabous, bien
plus que ceux des hommes qui les étalent en place publique, au
propre comme au figuré. De la même façon, la sexualité des femmes
est occultée alors que celle des hommes est largement mise en avant
et valorisée depuis des siècles.
Je me donne du plaisir seule depuis que je suis très jeune. Je lis
quelque part que cette activité peut augmenter la taille de mon
clitoris, faire de moi une clitoridienne plus qu'une vaginale et pire, une
lesbienne ! Mon dieu quelle horreur ! Bon, même si effectivement je
suis lesbienne, merci du compliment, c'est sans aucun doute un vieux
texte de phallocrate.
Un tas de questions me viennent concernant la taille de mon clitoris
que je trouve grand. Suis-je normale ? Est-ce que c'est lié à mes
hormones ? Est-ce que je suis lesbienne du fait d'un trop plein
d'hormones ? Est-ce que je suis inter-sexuée ?... Tiens pourquoi pas
d'ailleurs...
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J'ai 22 ans, je suis à une soirée non-mixte femmes. Depuis environ un
mois, nous avons prévu de faire une “spéculum partie” au cours de
cette soirée. Ça consiste à regarder son propre sexe et ceux des
femmes présentes, à l'aide d'un spéculum. Par mail, chacune est très
enthousiaste, en gardant pourtant des réserves sur sa motivation quand
le moment sera venu.
II est déjà 23h00, nous n'avons que timidement évoqué la spéculum
partie dont on avait tant parlé par mail. 23h30, toujours rien. Je me
lance... J'en parle à ma voisine de table, timidement motivée. Voilà,
on est deux à se préparer pour aller s'observer les sexes. On annonce
qu'on va prendre le spéculum et qu'on monte à l'étage pour la
spéculum partie. Bientôt, une, puis deux, puis trois autres femmes nous
rejoignent. Ça y est, on est cinq à se préparer. Après un petit lavage
ou non, chacune se rend dans la pièce choisie, enlève le bas, et on
reste en t-shirt. On s'assoit en cercle, en silence, en riant un peu, puis
l'atmosphère se détend. Une ambiance décontractée se met en place,
et je sens que je peux regarder les sexes de ces femmes, sans quiproquo. On décide que chacune son tour, on montrera et expliquera
un peu nos sexes aux autres, puis qu'on utilisera le spéculum pour
regarder nos intérieurs de vagins et nos cols d'utérus.
C'est au cours de cette soirée que j'ai découvert combien il y a de différences entre chaque sexe, aussi bien au niveau des morphologies
(lèvres plus ou moins grandes ou absentes), des couleurs (du brun au
violet, au rose très clair), des odeurs dont chacune a pu parler, et des
sensations aussi.
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J'ai 24 ans, et avec le recul, je me rends compte que cette expérience
a été vraiment positive pour moi et pour toutes les femmes présentes.
Nous essayons de la renouveler au cours de différentes soirées.
Lucile
Le plaisir sexuel des femmes ayant longtemps été nié, leurs sexes sont
de la même façon cachés, ou représentés de façon fausse, en
peinture, en sculpture, et absents des scènes de cinéma courant.
Quelques femmes metteurs en scène font exception à la règle,
montrant clairement des corps, et des désirs et fantasmes de femmes.
Ces films permettent de faire évoluer l'image que l'on se fait des
femmes, ainsi qu'une ré-appropriation de leur plaisir par elles-mêmes.
Aujourd'hui encore, des gestes et paroles montrent bien cette absence
de reconnaissance de la sexualité des femmes : une gynéco m'a dit
que je n'avais pas besoin d'un frottis parce que je suis lesbienne...
Un type a blagué en refusant de me donner des préservatifs à la
sortie d'une soirée gay et lesbienne, parce que les lesbiennes n'en
auraient pas besoin... Les vulves sont toujours des trous et les pénis des
obélisques à la gloire de l'homme.
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ces petits riens qui font un
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Vanessa
grand tout
Depuis toute petite, j’ai toujours été plus que
rondelette et très vite ma naïveté d’enfant en a
pris un coup quand je me suis rendu compte
de l’importance de l’apparence physique dans
notre quotidien. Très tôt, les filles sont conditionnées pour répondre aux normes de beauté
et de minceur prônées par nos sociétés occidentales. Mon enfance a été bercée par les
“oh, qu’est-ce qu’elle est costaud...”, les “elle
ressemble à sa grand-mère” (qui pèse dans les
130 kg), “elle est trop grosse”... Difficile de ne
pas être influencée par ces paroles qui ont
amplifié ce sentiment de différence si difficile
à accepter durant l’enfance.
Note des éditrices :
À l’origine cette contribution s’inscrivait dans un projet de
bande dessinée. Nous avons choisi de publier en noir et
blanc, avec l’accord de l’auteure, certains extraits en les
agençant un peu différemment.
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ma jumelle
adorée !!!
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Mudler, Scully
au s’cours !!!
l’adolescence :
aux frontières du réel
Le passage critique de la puberté et son lot de changements ont bien
sûr entretenu mes questionnements. Étant en avance par rapport à mes
copines question seins et poils qui poussent, je me suis demandé
pourquoi encore une fois j’étais si différente des autres. J’associais
évidemment tout ça à mon surpoids. Allais-je être condamnée à ce
décalage toute ma vie ?
D’un côté, je jouais à la grande et revendiquais cette différence mais
d’un autre, j’avais honte de ces seins qui pointaient et d’avoir déjà
mes règles. Je rageais aussi à l’idée de porter mon premier soutif, me
sentais sale et avais du mal à accepter de me transformer en femme.
J’avais beau être en avance d’un point de vue morphologique, je n’en
restais pas moins une gamine de 10 -11 ans. Il y avait un gouffre entre
ces deux personnalités qui me tiraillaient.
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Cherche bien, je
suis là, bien enfoui
la confusion des genres
Ma pilosité excessive et surtout les immondes boutons formés lors de
la repousse des poils m’obsèdaient (et m’obsèdent toujours d’ailleurs).
Il ne me suffisait pas de m’épiler comme la plupart le croient pour
mettre mes gambettes à l’air. J’aurais pu chanter à tue-tête “En rouge
et noir” (rouge pour les boutons, noir pour les poils) pour libérer ma
colère contre cette injustice insurmontable à mes yeux. Je décidai
plutôt de consulter un dermato. Après m’avoir auscultée sous tous les
angles tel un babouin en épouillant un autre, il rendit son verdict : trop
d’hormones masculines. Les pires images défilèrent dans ma tête perturbée : étais-je hermaphrodite ? Avais-je une zigounette enfouie dans
le ventre ? Déjà qu’on me prenait parfois pour un mec, ces résultats
ne facilitèrent pas la construction de mon identité mais cultivèrent bien
mon sentiment d’être “hors-normes”.
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une histoire d’amour
dévorante
Depuis toujours, ma mère a constamment eu un œil sévère sur mon alimentation. Question bouffe, c’était elle qui
décidait où, quand, combien... Je me
suis toujours sentie frustrée qu’elle y
porte une attention aussi excessive (mais
c’était certainement pour mon bien !). À
l’adolescence, je me suis mise à ingurgiter des quantités phénoménales de
nourriture dès qu’elle avait le dos
tourné. Tout ce qui me tombait sous la
main y passait pourvu que ça se mâche
et que ça remplisse l’estomac. Les
emballages vides se sont accumulés
dans les moindres recoins de ma
chambre. Les placards de nourriture, le
frigo m’attiraient comme des aimants. Mais il fallait toujours feinter
pour aller y grappiller sans me faire choper, ne pas faire de bruit en
ouvrant les placards, étouffer les bruits des plastiques d’emballage,
viser dans des paquets déjà entamés et dans lesquels le manque ne
se remarquerait pas trop : quelques poignées de gâteaux apéro, du
nutella à la grosse cuillère, des cornichons, quelques céréales, un bout
de saucisson... tout était englouti en quelques minutes. Un jeu de
cache-cache pas génial pour la silhouette ! Désormais, ces impulsions
voraces se sont calmées mais parfois, quand je suis chez mes parents,
l’envie de taper en cachette dans les placards me reprend. Encore
aujourd’hui, ma mère a un regard plein de reproches si j’ai le malheur
de manger trop à son goût. Son regard accusateur et culpabilisateur
est toujours là à me juger, il me renvoie forcément à une image écœurante de mon corps, il veut dire “ce n’est pas bon pour ce que tu as,
tu ferais mieux de faire attention...” Rendre la nourriture taboue et la
considérer comme un interdit, quelle bonne idée elle a eue… rien de
tel pour que je me jette dessus de manière démesurée comme on peut
le faire avec n’importe quelle drogue.
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inaptitude temporaire. motif : poils
Piscine obligatoire toutes les semaines au lycée. Au-delà de devoir
me montrer en maillot de bain devant toute la classe, une véritable
épreuve à surmonter à cause de mes poils. J’avais sans arrêt les
jambes recouvertes de boutons, ce qu’on appelle si joliment les poils
incarnés, tout un programme ! Impossible à gérer et une véritable
obsession. Du coup, quand j’avais des problèmes de poils, ma mère
me dispensait de sport. Ne pas pouvoir suivre les cours et m’éclater
dans l’eau avec les autres à cause de mes poils, trouver des excuses
à chaque fois... Ça c’est de la discrimination pilaire ! Mais quand
j’assistais au cours, malgré les retards accumulés, je devenais la championne de rapidité pour me jeter dans l’eau.
l’épreuve de rapidité dans
les vestiaires ou l’art d’en
montrer le moins possible
Alors là, sans me vanter, j’étais aussi sans
conteste la championne toutes catégories
pour le changement de tenue. Je connaissais tous les stratagèmes pour que l’on voie
le moins possible de parties de mon corps.
Toutes les semaines, ce passage obligé se
transformait en obstacle à surmonter et en
concours de bonnes idées pour sembler
naturelle (il ne fallait surtout pas que j’aie
l’air mal à l’aise, c’est que j’avais une
réputation à tenir, moi !).
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Y’a du laisser-aller
ma puce, on dirait
un yéti
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Tu ferais mieux de coller tes
poils de cul sur ton crâne
d’œuf, du gland !
jamais sans mon épilateur…
Même si j’accepte désormais mieux tout ça, mes poils sont toujours
une véritable contrainte et obsession pour moi. Départ en vacances,
rendez-vous chez le médecin, préparatifs pour une fête, possibilité de
rencontrer un mec… Ce débroussaillage me prend des heures interminables et tout ça pour être tout de même complexée car jamais
épilée correctement.
Pourquoi les poils sont-ils si dégueus chez une femme et si virils chez
un homme ? D’ailleurs, gros tabou : dans la pub, les rasoirs ou la cire
pour les jambes, c’est monnaie courante même si on ne voit jamais de
nanas poilues. Par contre, les poils au menton, la moustache et le
reste, ça niet ! Je suis la seule à en avoir ou quoi ? Le mythe de la
féminité en prendrait un sacré coup lui aussi si on levait ce tabou.
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les kilos en trop
Grosse vache, grosse truie... autant d’occasions de se sentir soudainement très proche de nos amies les bêtes. Je sais pertinemment que
je suis plus que bien enrobée et je pense désormais à peu près
l’accepter et mettre mes rondeurs en valeur de temps en temps. Mais
je me suis pris une claque monumentale le jour où un médecin consulté
pour un problème de dos m’a demandé de maigrir : “Vous vous rendez compte, vous êtes plus lourde que moi !” Ce ne serait pas lui qui
serait trop maigre plutôt ? “Trop grosse, trop en chair, trop potelée, des
kilos en trop”... toujours trop quelque chose mais par rapport à quoi ?
Qui a décidé des normes auxquelles notre corps doit se plier et se
conformer pour ne pas être dans l’excès ou l’insuffisance ? De toutes
façons, comme on me l’a répété avec tant de tact, j’ai de gros os,
alors je ne serai jamais mince, c’est perdu d’avance docteur !
le test de la bedaine
Autre claque le jour où j’ai vu une
pub pour un régime dans laquelle un
obèse ne voyait pas son sexe caché
par son gros ventre. La prise de vue
en plongée était extrêmement parlante. Quel ne fut pas mon désarroi
en faisant le test... Même résultat ! La
pub semblait viser un mec vraiment
obèse, en étais-je au même point ?
J’ai été obsédée par cette pub pendant une éternité jusqu’à ce que je
refasse ce test au retour d’un voyage
avec pas mal de kilos en moins. Le
résultat demeure le même. C’est
forcément du bidon, non ? Histoire
que je ne désespère pas, merci de
faire le test et d’envoyer vos résultats
à l’adresse suivante :
[email protected]
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jolie bouteille, sacrée bouteille…
La solution la plus simple mais aussi la plus vicieuse
pour accepter mon corps a souvent été l’alcool.
Totalement désinhibée, je gagnais une confiance
qui me laissait croire que j’étais ultra à l’aise dans
mon corps. Je passais du pull large et Doc Martens
la journée, aux fringues sexy, maquillage outrancier
et déhanchement langoureux en soirée. La transformation en un vulgaire bout de bidoche. Avec du
recul, je me rends compte que j’avais du succès seulement parce qu’on me voyait comme une proie
facile tellement j’utilisais mon corps comme un
appât. Cette relation à la séduction a totalement
faussé l’image que j’avais de mon corps, ce corps
que je ne respectais pas plus que ne le faisaient les
mecs qui profitaient de cette faiblesse.
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à poil !!!
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l’alcool, la solution magique pour
se sentir plus séduisante ???
Bouche pâteuse, trop bourrée pour
me laver les dents, haleine de chacal, mélange de cendrier et de tous
les alcools ingurgités et régurgités
Trop mal au crâne pour
tourner la tête…
Allons-y en tâtonnant…
vérifions d’abord si je
suis bien seule
Pas démaquillée, des
yeux d’épagneul battu,
regard vitreux, des
valises sous les yeux.
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Les mêmes fringues que la veille
qui puent la sueur, le tabac
froid, l’alcool et le vomi...
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Quand je suis redescendue sur terre et que j’ai pris
conscience des limites de ce jeu, là, je me suis pris
une grosse claque en pleine pomme. Sans tout ce
tralala superficiel, mes rapports avec les hommes
étaient forcément moins directs et je me sentais
moins désirable voire incapable de l’être. Au
même moment, cause ou conséquence, j’ai pris
pas mal de poids. Le mélange explosif... Résultat :
je me suis blindée, je n’avais plus envie qu’on me
touche car je pensais que de toutes façons, sans
mon déguisement, personne n’avait envie de moi.
À force de me le répéter, j’ai vite sombré dans le
défaitisme et j’ai fini par prendre mon corps pour
une poubelle. Quelques kilos et bourrelets de plus
ou de moins, des poils disgracieux, pfff, au point
où j’en étais de toute façon. À force de m’endurcir,
j’ai fini par perdre toute confiance en moi par rapport à ce corps qui me dégoûtait pour de bon et
que je laissais plus ou moins à l’abandon. Avec
ce sentiment de honte et de mépris, impossible
pour moi d’envisager la moindre relation intime
avec un homme. Depuis quelque temps, j’ai pris
conscience de tout ce mécanisme défaitiste, qu’il
fallait que j’arrête de rejeter la faute sur les autres,
que j’arrête de faire semblant de revendiquer et de
me cacher derrière une pseudo indépendance
féministe. Qu’il fallait plutôt que je me réapproprie
ce corps, que je l’accepte pour être capable de
vouloir que quelqu’un le touche et d’entendre que
quelqu’un en ait envie. Plus facile de détester son
corps que de l’assumer mais petit à petit, le cheminement se fait.
Pendant ces années, j’ai maudit les filles bien foutues qui se plaignaient sans arrêt de leur corps. Très
récemment, j’ai compris que tout dépendait de
l’image que l’on a soi-même de son propre corps.
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J’ai dû prendre au
moins 200 grammes
Elle, c’est la copine qui mène une hygiène de vie irréprochable histoire
de ne pas prendre un gramme : nourriture vapeur, 2 heures quotidiennes de course à pied, elle boit de l’eau comme si c’était une
potion magique... Forcément avec tout ça, et heureusement pour elle,
elle a un corps “parfait” mais s’en plaint non-stop. Ce genre de
plaintes m’étaient insupportables d’autant plus qu’elle rabâchait que
la graisse, c’est dégueu, que de toute façon elle ne serait jamais
grosse car pour elle, c’est vraiment signe de laisser-aller... Je trouvais
ses paroles indécentes jusqu’au jour où j’ai compris qu’elle avait été
anorexique. Le contrôle de son corps est une obsession. Nous en
avons beaucoup parlé et je me suis dit que certes, j’avais des formes
plus que généreuses mais au moins, je ne me prive pas des plaisirs
de la vie.
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De m’être penchée sur mon rapport au corps, d’avoir mis des mots
dessus m’a permis de prendre du recul face à mes complexes et au
malaise que je ressentais à cause de cette carcasse que je suis bien
obligée de me trimbaler. Je ne dis pas que tout est magique et idyllique
mais aujourd’hui, je me sens bien mieux dans mon corps, je l’assume
mieux même si cet équilibre reste fragile et que selon les situations, les
complexes peuvent rapidement prendre le dessus, et ces situations ne
manquent malheureusement pas. Cependant, il est flagrant que j’ose
plus mettre mes formes en valeur, que je prends plus soin de mon corps
qu’auparavant et surtout que je peux me sentir désirable, ce qui n’était
plus le cas depuis belle lurette. Je me suis rendu compte que la vision
que l’on a de son propre corps détermine réellement tout. Plusieurs
personnes ont vu ces dessins censés me représenter et m’ont fait la
même remarque “ne me dis pas que tu te vois réellement comme ça ?”
Certes, ce sont des dessins, les traits sont exagérés mais j’en trouvais
quelques-uns assez ressemblants. Comme quoi il y a un sacré décalage entre la façon dont je me vois et celle dont les autres le font.
Cela m’a aussi permis de réaliser que plein de femmes autour de moi
étaient bourrées de complexes et avaient un rapport problématique
avec leur corps alors que je ne l’aurais jamais soupçonné. Cette
découverte a été plus que positive pour moi, tout d’un coup,
l’expression “hors-normes” perdait de son importance. Mais bon, reste
encore le problème des poils à assumer et ça, c’est loin d’être
gagné... À quand la mode des poilues ?
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Sulfur
enveloppe
Ce texte a été écrit en deux
fois ; la première partie ayant
déjà trois ans, je ne m’y
retrouvais plus, d’où la naissance de la seconde. En
espérant réconcilier les deux…
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Un chat noir cherche son propriétaire dans mon immeuble. Peut-être
devrais-je essayer ?
Jeune fille noiraude a perdu sa maison ; savez-vous où elle est ?
Je ne sais rien, rien du tout, sinon juger, et ce selon une certaine
étiquette esthétique. La mienne. Et encore, cette maigre consolation ne
s’applique qu’au tangible, au monde extérieur. À l’intérieur, c’est la
tempête. Maigre elle me voit. Grosse je m’aperçois. Sournoise, cette
torpeur s’est discrètement faufilée jusqu’aux boyaux de mon cerveau,
effaçant tout amour de l’esprit.
“Tes pieds sont beaux,” m’a-t-on dit.
Mes pieds sont pourris.
Mes jambes petites et épaisses.
Mes hanches larges et souffrantes.
Mes fesses plates et trop grosses.
Mes seins rabougris.
Mes doigts pas assez fins.
Mes yeux cernés.
Mes cheveux filasses et fatigués ; ils étaient plus beaux avant. Avant
quoi ?
Mes bras ? Tiens je les aime assez … quoique plutôt flasques.
Mes poignets, il me reste mes petits poignets. Des brindilles épistolaires prêtes à se dissoudre dans les flammes de la Saint-Jean. Hélas,
elles ne sont point accompagnées, comme l’exigerait la tradition ;
alors, faute de garçon prêt à braver l’incandescence, les allumettes se
fendent d’un craquement et grésillent dans le “feu de joie”.
Trop petits, trop gros. Burlesque et insipide tragédie humaine. “Jamais
content, toujours méchant !” s’insurge le chanteur. Ma situation est
volontairement aberrante. Qu’attends-je donc ? Le trou noir.
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Quel est le fil conducteur qui conduira Ariane à la sortie du labyrinthe
infernal ? Car elle veut voir sa chair, lasse des reflets de son angoisse,
de sa haine. Pourquoi refuse-t-elle de montrer ses membres ? À cause
de sa maigreur, entend-elle scander. À cause de mes trop replètes rondeurs, murmure-t-elle, déjà remplie de honte par son aveu.
Anorexie. Haine. Refus de vivre.
Je cherche à comprendre la racine de cette aberration. Quelle source
s’est tarie ? Et quand ? Quelle est l’eau qui a manqué de m’abreuver ? Le mystère est encore si épais. Je ne sais plus à quel saint me
confier. Façon de parler car Dieu ne m’a jamais répondu. Dieu ? Pour
croire en une telle entité, encore faudrait-il croire en la réalité de ce
monde. Or cette table est-elle réellement telle que je la vois ? Le subjectif me rend folle. Si mes hanches paraissent osseuses aux autres,
alors pourquoi les vois-je rondes ? Quel est ce tour de magie ?
Comment l’exorciser ? Relis tes écrits d’adolescente. Je l’ai fait et y ai
vu la main du criminel ; mais cela ne me rend pas l’antidote. Fuir les
miroirs est le seul dédale avec lequel je puisse m’entendre. Ce n’est
que partie remise ; le diable m’attend au coin de la rue.
***
Aujourd’hui. Je pense au corps féminin et mes yeux se noient dans une
enfilade d’embouchures : dérivés des rivières, sources de la mer, naissances et sanguinolentes descentes. Un corps et non de la chair à
modeler. Un corps. Un être vivant. Un organisme pour rire, un tronc
pour fleurir, un banc pour s’asseoir, un foulard de soie pour caresser.
Du petit bout de pâte à modeler, je tente de m’éloigner. Sans parvenir à l’accepter, je m’efforce à ne point le mépriser. Le souffle du danger m’a de trop près effleurée. N’aimant guère cette odeur de viande
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grillée, je me suis levée… Ou plutôt ai-je laissé le masque tomber, le
temps d’un instant de magie, l’espace d’une trêve, pour une minute de
lucidité. En est né le puits, dans lequel depuis je plonge, afin d’y
puiser mon anguille de vérité ; la rebelle étant toujours aussi délicate
à pêcher…
Une minute de toute beauté.
Debout, seule reine de cette chambre, je me suis penchée sur le
miroir de l’hôtel, rebelle aux cris cervicaux. Loin du prisme déformateur, loin de mes yeux intérieurs, j’ai pu me rassasier à outrance de
mon reflet. Enfin. Plaisir et délectation : mes pupilles tentaient d’enregistrer le nouveau signal, l’onde vacillant entre soupçons d’admiration
et flots d’incompréhension. De peur de sombrer dans ces derniers, j’ai
alors tiré la chasse, et de la cuvette montèrent les râles. Un autre coup,
sec et sonore, et le diable avait filé. Je pouvais ainsi m’en retourner
vers mon image, qui, dans un dansant sourire, me fit sa révérence
depuis le limpide ovale.
C’est ainsi que débuta cette histoire d’amour qui, comme toute
romance, distille ses souffrances. Amour tout de même. Oh ! Vous
croyez ?
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Hélène
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no body no
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Claudine Lebègue
octobre 2008
Ce matin je suis allée voir de toute urgence un doc gynéco…
Mon corps souffre de tout, mais la blessure la plus grande est dans
mon âme.
J’ai qu’une chose en tête, l’abandon. Il m’a abandonnée.
J’ai mal docteur… c’est normal ? Ça fait mal de faire l’amour ?... c’est
normal ? Ça fait mal d’aimer ?... j’ai beaucoup de questions et je
saigne beaucoup.
Le doc m’a écoutée, m’a auscultée… “Non c’est pas normal”, qu’il a
dit… “Oui ça peut faire mal tout ça, mais pas comme ça”… Ça, c’est
la déchirure et le sang vif qui va avec.
Ensuite il a dit : “je veux le nom du salaud qui vous a fait ça”… j’ai
pas donné son nom. Pour moi y’avait pas de salaud… je l’aimais...
J’ai rien dit, je suis rentrée chez moi, j’ai rien dit à personne jamais.
Personne de ma famille n’en a jamais rien su. Je voulais le protéger tu
comprends. Parce que je l’aimais, je l’aimais, je l’aimais.
Ça a été ça le pire.
Quand ça t’arrive un truc pareil, si tu l’aimes l’autre, tu te sens moche
moche moche et nulle nulle nulle... Et même je vais te dire, t’as
presque envie de le plaindre et de t’excuser d’avoir souffert… Et tu te
dis “il s’y connaît vraiment en femme et je l’ai vraiment déçu… il a
raison”… Oui ! Tu te dis “il a raison”. Il a bien fait de me quitter, bien
fait pour moi, je vaux pas un clou, et même tu vois je voudrais lui
demander pardon. Oui tu rêves de lui demander pardon, et tu penses
même pas à lui pardonner.
Loïc a fait une tentative de suicide deux ans plus tard. Je l’ai su par la
bande. Il s’est raté. Ça ne m’a pas vraiment étonnée.
No body is perfect.
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Sabine Li
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trilogie
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Sylvie
.2
Son regard de femme
Sur mon corps de femme
Ses mains de femme
Sur mon corps de femme
C'était juste possible
C'était juste admissible
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Mon corps comme j'ai pu te trahir
Mon corps tu as su t'ouvrir
Alors ma tête n'était-ce pas pire
Que de l'empêcher de fleurir ?
C'était juste possible
C'était juste admissible
Mon corps qui a tremblé
Mon corps qui a vibré
Mon corps qui a caressé
Mon corps qui a aimé
C'était juste possible
C'était juste admissible
J'ai eu envie
Et j'ai dit oui
Je l'ai admis
Et par ma vie
C'était possible
C'était admissible
Ma tête, mon corps,
Maintenant vous êtes d'accord.
Il n'y avait pas de torts
Vous pouvez le dire alors :
C'était vraiment possible
C'était carrément admissible
***
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J'avais tellement envie de lui offrir mon corps, et c'était tellement facile
de lui offrir. J'avais tellement envie de découvrir son corps, et ça a été
tellement délicieux. À travers son regard de femme, si plein de
tendresse, de douceur, ça semblait tellement naturel... Bien plus que
tout ce que j'avais imaginé, c'était bon.
Quelle douceur que sa main dans la mienne, que ses bras autour de
moi, quelle volupté de poser mes lèvres sur les siennes, et quel délice
que nos corps entrelacés... Et au bout de ce chemin, du plaisir. Le
plaisir reçu, immense et fort, qui m'a prise tout entière, mais aussi le
plaisir d'en donner, surprenant, au sens de la bonne surprise. Ce
plaisir partagé a été comme une découverte pour moi.
Douceur, odeur, tiédeur, moiteur.
C'était donc ça, "juste ça", pourrait-on dire tellement c'était facile, ou
alors "autant que ça ", tellement il y avait de force et de bien-être dans
cette première fois.
Il a bien fallu me l'avouer, c'est possible, c'est joli, c'est facile d'aimer
une femme, de la désirer, de lui faire l'amour.
Et c'est en moi, c'est moi.
Un mot me vient à l'esprit en repensant à tout ça : sensualité.
C'est un petit bout de soleil dans mon cœur, pour toujours...
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Delphine Bochart
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bonjour Monsieur le
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Lucile
septembre 2006
Critique
- Bonjour
- Bonjour.
- Pouvez-vous nous dire qui vous êtes ?
- Oui bien sûr, je suis le Critique de Lucile, son
Critique Intérieur quoi…
- Tiens, tiens. Je croyais que vous aimiez
rester caché. Merci d’être sorti au grand jour.
Qu’est-ce qui vous amène ?
- Eh, j’ai appris qu’on s’intéressait à moi, et
j’ai des choses à dire, beaucoup de choses à
dire, y’a pas grand chose qui va, alors j’ai
beaucoup de choses à dire, et personne ne
me laisse les dire !!!
- Très bien, ici vous avez la parole.
- Ah merci !
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- Bon, rentrons cash dans le vif du sujet alors.
- Parfait, parce que je bous là !
- C’est parti : alors, comment trouvez-vous Lucile, physiquement ? Vous
la trouvez jolie ?
- Jolie ? Mais comment peut-on trouver une camionneuse jolie ? Non,
mais franchement, c’est un monstre, ça ne va pas du tout.
- Un monstre ? Mais qu’est-ce qui ne va pas chez elle ?
- Non, mais vous avez vu ses poils ? Mon dieu quel cauchemar. Elle
en a partout ! Déjà sa barbe, je ne suis pas très d’accord… Mais ses
jambes, ses cuisses, je trouve ça dégueulasse…
Oui, ça me dégoûte…
- Ah bon, elle vous dégoûte ? Et vous lui dites ?
- Oh ben ça je ne me gêne pas.
Bien sûr je ne peux pas toujours. Si elle est avec sa bande d’espèces
de féministes, ouh là là, je la ferme, de toute façon, on me met
dessus de sacrées épaisseurs d’oreillers, alors là, non, je n’ai aucun
effet. Bon, et puis aussi si elle couche avec quelqu’un/e pire qu’elle,
bon, on ne m’entend pas trop.
Mais, attention, à d’autres moments, là je l’ouvre, et là elle m’entend !
Même si des fois elle s’en défend…
- Ah… Et donc parfois vous avez toute votre place… Vous pouvez
nous citer des exemples ?
- Oui, volontiers.
L’autre jour, elle s’est retrouvée dans un groupe de jeunes filles, vraiment mignonnes. De vraies femmes elles ! Ah oui, ça je lui ai dit. Elles
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étaient parfaites : minces, féminines, habillées toutes mignonnes, la
peau lisse…
Je lui ai soufflé à l’oreille : “t’as vu ma vieille comme t’es moche. T’as
l’air de quoi. T’as pas honte ? Une vraie hommasse. Tes poils c’est
hideux. Et puis tu fais tas !”
J’ai toute ma place aussi si elle couche avec une fille toute fine toute
mimi, qui l’impressionne un peu. Je lui dis “cette fille va être dégoûtée
de te toucher, t’as de la chance si elle ne te vomit pas dessus”. Ou
bien “t’as intérêt à te planquer parce que si elle te voit en entier et en
détail, comment tu veux qu’elle puisse t’aimer !”.
Y’a pas qu’avec les filles que je lui mets la pression, avec les mecs,
j’aime bien lui rappeler qu’elle ne pourra jamais plaire à aucun, trop
mec, trop poilue, trop moche, trop grosse. Les mecs n’aiment pas ce
genre de filles.
- Ah bon, y’a pas que les poils que vous n’aimez pas alors… Vous la
trouvez grosse ?
- Grosse ? Bien sûr. Vous n’avez pas vu ses bourrelets ?
Son ventre est trop gros. Je ne lui laisse pas le sortir, ni le montrer.
Ses cuisses sont grosses. Ses mollets sont gros. Ses doigts sont gros.
Ses orteils sont gros. Ses fesses sont grosses et molles.
Sans oublier qu’elle est baraquée, j’aime moyen…
- Et ses bras ?
- Non, là je n’ai rien à dire, ça va.
- Ses seins ?
- Ça va. Leur forme en tout cas. Les poils sur les mamelons, c’est un
peu dégueu…
- Ses pieds ?
- Tiens, ça me rappelle qu’au collège, une copine lui a dit qu’on
dirait des spatules. C’est vrai, je n’avais jamais pensé à lui dire comme
ça. Maintenant, elle le sait, je le lui rappelle de temps en temps.
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Delphine Bochart
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- Ses orteils ?
- Trop gros je vous ai déjà dit… Plus les touffes de poils dessus…
Là je travaille à lui faire enlever…
- Sa peau ?
- Ça dépend vraiment des endroits. Elle peut être douce et ça va.
Mais à d’autres endroits, les boutons, non là, c’est vraiment ignoble.
- Et son visage alors ?
- Pas trop mal. Quand ça va bien. Si elle est un peu fatiguée, ses
rides, ses poches sous les yeux, ça la rend vraiment moche.
- Les rides ? Quelles rides ?
- Ben autour de sa bouche ! et puis sur le front…
Et puis y’a sa moustache… dégueu.
Et ses boutons ou espèces de croûtes là. Dégueu aussi.
- Mais y’a rien qui va alors pour vous ?
- Si quand même… Sa bouche ça va. Ses dents, son nez, la forme de
son visage, ses cheveux… Tout ça je n’ai rien à dire.
Non, ce qui ne va vraiment pas, ce sont ses poils, son gras, et ses
boutons, le reste ça va.
- D’accord. Je vois…
Et bon, alors si on va plus loin, comment vous l’aimeriez Lucile ?
Comment faudrait-il qu’elle soit pour vous plaire ?
- Hummm… Laissez-moi imaginer… Bon, bien sûr plus mince, donc
moins de ventre, moins de fesses, moins de cuisses. Bien sûr pas de
poils. Juste un peu là où il faut : un peu au pubis, un tout petit peu sous
les aisselles (pas ses grosses touffes dégueulasses !), c’est tout.
Et puis bien sûr il faudrait qu’elle soit plus féminine.
- Ah intéressant. Vos critiques concernent donc aussi son attitude
alors ?
- Oui c’est ça.
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- Vous disiez “plus féminine” ? Qu’entendez-vous par là ?
- Eh bien je ne sais pas moi, mais ça concerne sa façon de se tenir :
les jambes écartées ça ne va pas, sa démarche ça ne va pas.
J’aimerais quelque chose de plus léger, de plus souple, plus discret,
plus gracieux.
- Tiens, on n’a pas parlé de son habillement. Qu’est-ce que vous
aimeriez qu’elle porte ?
- Bon, vous l’aurez compris, moi j’aime qu’on fasse attention à ce
qu’on porte. Et j’aime les choses près du corps, qui mettent les jolies
formes en valeur, j’aime bien les habits mignons et jeunes. Les habits
genre gros sac, non c’est bon, Lucile a assez donné.
- Bon, je crois qu’on a fait le tour de ce qui ne vous plaît pas chez
Lucile.
- Oui. Concernant ce qui touche plus au corps, disons qu’on a fait le
tour.
- Alors j’aimerais vous poser une question : quand êtes-vous apparu
dans la personnalité de Lucile ?
-…
Laissez-moi réfléchir…
Humm, je dirais aux alentours de ses 15 ans, 17 ans peut-être…
- Que s’est-il passé à cette époque ?
- Disons que c’est grosso modo le moment de sa puberté. C’est à
partir de ce moment-là qu’elle a commencé à changer, à grossir, à
avoir des boutons, trop de poils.
- Et donc vous êtes apparu. Pour lui apporter quoi selon vous ?
- Mais enfin ! pour qu’elle soit dans les normes et qu’elle se sente
bien ! Si elle m’écoutait, elle se sentirait bien dans sa peau !
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Selon vous, vous êtes là pour l’aider alors ?
… Oui
Vous avez peur de quoi au juste ?
Mais enfin ! Que Lucile soit rejetée, qu’elle ne soit pas aimée !
Hein !?…
Bon, où en étais-je de mon interview… Ah oui.
Quelques questions et on a bientôt fini :
D’où venez-vous ? D’où tenez-vous votre savoir ? De qui ? Comment
savez-vous tout ça ?
- Bon, je pense que j’ai dû puiser mes connaissances un peu partout
autour.
- C’est tout ?
- Non. La mère de Lucile m’a bien aidé. En fait, elle pense exactement
la même chose que moi ! Et elle ne s’empêche pas de le dire. Des
autres, et de Lucile aussi quand elle était plus jeune.
- Vous êtes assez identifié à sa mère en fait ?
- Huummm. Oui je crois.
- Dernière question : quelle place pensez-vous avoir dans la personnalité de Lucile ?
Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a des personnalités chez Lucile qui
combattent ardemment tout ce que vous dites ?
- Ahhrggg ! Vous parlez de cette putain de voix de féministe de
merde !
- Entre autres…
- Oui, eh bien en tout cas, celle que je déteste le plus, c’est celle-là.
Ce qu’elle raconte c’est n’importe quoi ! Si Lucile l’écoute, ça va être
la risée et la honte ! Elle ne sera bonne qu’à traîner exclusivement
avec des lesbiennes féministes radicales !
Non, cette voix, c’est n’importe quoi je vous dis. Elle a passé 10 ans
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à essayer de combattre à l’extérieur, dans la société, dans la "culture",
tout ce que je disais ! Ah Ah. Mais ce n’est pas en tuant ça à l’extérieur que je vais mourir. Elle ne veut tellement pas entendre parler de
ce que je dis, qu’elle ne savait même pas que j’existais. Et pendant
ce temps-là, je faisais mon petit boulot en douce. En tout cas, après
tout ce travail de la “féministe” là, eh bien Lucile ne se sent toujours
pas vraiment très à l’aise dans son corps.
- Bon, je vous remercie. Je crois qu’on a fait le tour pour le moment.
Eh bien au revoir. Je vous remets sous vos oreillers ?
- Noooooon ! Ne faites pas ça !!! Sinon, je continue à pourrir Lucile
toute sa vie sans qu’elle ne s’en rende compte !
La journaliste se lève, vient serrer la main à Monsieur le Critique, et lui
glisse comme ça : “Vous savez, moi aussi j’en ai chié avec mon
Critique Intérieur ; il m’enfonçait alors qu’il croyait m’aider. Y a-t-il un
moyen de négocier avec vous, afin que ça ne soit pas trop dur pour
Lucile ?
- Mais bien sûr qu’il y a moyen…
Merci à Véronique Brard, dont le boulot est de bosser sur les différentes
personnalités qui nous composent (et notamment celles dites “reniées”), d’avoir été la
véritable intervieweuse de mon véritable Critique Intérieur…
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Vanessa
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l'anorexie
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Valeirie et ses anges
et l'a-symétrie kaos-tic
ou une histoire de sorcières et de sorcellerie
essai surhéstétik
Valeirie
Ce soir je pète les plombs ! Ma
mère au téléphone… voix monocorde, aussi fatiguée que la
mienne, c'est elle cette fois qui me
renvoie le miroir de mon désespoir, et moi, je parle, je réponds
à ses questions sans vraiment
croire, ni ressentir un bout de vraisemblance, ou une miette de sens
dans ce verbe, ces réponses inachevées, rompues par le vide,
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l'absence, alors… alors silence, et puis, et puis comme d’habitude
elle me parle de Sabine, ma sœur qui est au Guatemala et dont elle
attend toujours un mail, ce foutu mail… ! Elle me dit qu’elle doit être
dans les communautés indiennes, voilà… rien d’autre à dire, je suis
loin, si loin et j'en ai franchement rien à foutre de son inquiétude !
Désolée maman si je ne peux pas rassurer tes peurs ou nourrir ton propre vide ou quels que soient tes besoins, ou ceux de ton mari, ce n’est
pas mon rôle et peut-être bien pas celui de ma sœur non plus…
Longue histoire gorgée, égorgée par de suppureux mélanges, douce
folie du manque abandonnique, ce soir tu me tues, certainement ne
peux-tu pas m’aider, et j’crois j’en ai pas envie, là où je suis ce soir tu
ne peux pas être, et je t’admire trop pour t’en vouloir, grande Dame
du vent et du temps. Alors arrive mon père, celui qui un jour fut érigé
sur le trône du Dieu Amour, et à qui aussi j'dois dire j’ai coupé la tête,
j’ai failli en perdre mon bras gauche si ce n’est la vie, mais j’étais
libre, pleine de violence, mais libre et j’ai enfin pu m’éclater au pieu,
prendre mon pied sans que les démons patriarches viennent me hurler dessus, me pousser à me tuer, à me brûler, moi pauvre petite, si
coupable d’abandonner mon père… monstrueuse traîtresse ! Quand
j'avais 17 ans mon père est devenu fou, emprisonné ! C'est vrai la
famille ça emprisonne, surtout quand les enfants grandissent… ce qui
était le cas. Alors il a brandi le drapeau de l’absolue liberté, celle qui
vous permet de voler sans plus vous soucier de savoir si vous allez
vous retenir de dire merde à toute la famille le soir en rentrant à table.
Cette liberté, absolue et psychotique, ou supercherie, qui ne laisse
pas le temps de voir la solitude vous tomber dessus et rompre votre
âme, ou celle de votre enfant. Je suis partie dans l’anorexie, enfant
éternelle, ange pur asexué, loin des besoins dégradants, obscure
faiblesse de tous ces chers consommateurs, déjà consommés depuis
longtemps. Le nez pointé vers la cime des arbres, ou plus loin encore,
Platon et Socrate sur la ligne de mes pas. Ces deux-là sont entrés dans
ma vie et dans ma chair par la bouche de ma prof de philo, magnifique, sensuelle, érotique… surtout lorsqu’elle vous raconte que
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Socrate se suffisait d’un sac de patates comme habit et qu’il déambulait pieds nus à la rencontre d’âmes perdues qu’il faisait accoucher… très très chic ! Alors j’ai ôté le masque du soleil enfantin, j’ai
mis les murs et fenêtre de ma chambre à nu, comme moi, j’ai jeté loin
l’apparat de la jolie jeune femme, j’ai porté le miroir du vide, du rien,
du néant, de la mort, plantée comme un râteau face à tous ces amis,
cette famille, perdus, aveugles et certainement aussi pour certains
assassins. De quoi je vous assure faire débander toute forme
phallique… mon sacrifice humain était en route !
Un an plus tard je suis arrivée à l’hôpital psy, morte ou vivante, c’est
impossible à dire. J'ai accepté d’y venir sous promesse qu’il s’y trouvait une bibliothèque, j’étais bien loin de comprendre où j’allais atterrir
et on s’est bien gardé de me l’expliquer. Aster, c’est le nom de la
division où je me suis trouvée déportée. J'dois dire que l’idée d’aller
me poser sur une étoile me plaisait assez… dans l’absolu.
La chose la plus terrifiante à ce moment-là pour moi, c’était cette foutue balance, cette bête immonde, ignoble, bien trop vivante à mes
yeux et dont découlaient toutes sortes d’hypothèses voire de décisions.
Quel animal vorace ! La chose mesurait ma vie, ou plutôt ma souffrance. Chaque matin on me chopait à peine sortie du lit direction la
salle de soins, là je devais ôter la plupart de mes habits, et grimper
sur le ventre de l’ignoble matrone. Si elle me bouffait plus de 40 kilos
j’étais libre, mais attention, les grands généraux étaient clairs, ils me
passeraient la sonde autour du cou si nécessaire. Pour m’aider, ils
avaient convoqué une experte de la gestion en boustifaille, la diététicienne, ça c’était quelque chose… catastrophique ! Elle est venue me
trouver dans un petit salon que certainement on avait dû oublier d’arroser d’un peu d’oxygène. Assise face à moi qui étais toute en os,
cette petite dame, rose pâle, m’a regardée avec des yeux de bovin
qui en disent long, moitié mal à l’aise, moitié horrifiée, puis elle s’est
mise à mugir quelque chose du genre : alors là vous êtes allée loin,
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vraiment très loin, en 10 ans j’ai jamais vu ça… y a même plus de
muscle…!
Plus que jamais j’avais l’impression d’être un volatile rare qu’on allait
engraisser. Pourquoi ? J’imaginais que cela devait être pour que j’aie
un peu meilleure allure le jour de Noël… enfin j’dois avouer que
j’avais peu de réponses à ce genre de questionnement à l’époque. Ce
qui ne m’empêchait pas de participer aux repas et d’y porter toute
mon attention. Chaque petit bout de jambon, miette de gruyère, température de cuisson, couleur, épaisseur, étaient soigneusement inspectés, je tentais d’y mettre un peu du cœur ou du moins de feindre
je ne savais trop quoi mais véritablement je dois dire chaque rencontre avec la gamelle était une expérience traumatisante, d’ailleurs
j’avais trouvé un subterfuge dont j’étais assez fière, je m’étais équipée d’un livre, mon préféré, celui sur Egon Schiele, c’était lui mon
allié, le complice face à l'ennemi, le seul ami qui me distrayait et
m’intéressait si terriblement, que pizza, gratin, risotto, pâtes, etc. se
voyaient ignorés, forcés d’attendre, parfois des heures, pour que je
leur accorde une seconde de mon précieux temps. En vérité il arrivait
que je ne lise pas plus que je mange, j’étais capable de feindre des
heures, mais lorsque je me mettais à penser à la grasse bouche de la
Chose vautrée dans la salle de soins, j’en avalais direct’ trois fourchettes sans plus rien penser, la peur au ventre, les chiffres dans la
tête, les grammes, les kilos, l'horreur de la sonde qui me pendait au
nez et que parfois je voyais ramper jusqu’à moi comme un vieux ver
salace et je m’enfuyais l’estomac plein trouver de l'aide dans la forêt.
Je passais la plupart de mon temps dans le parc. Pour cela j’enfilais
un vieux caleçon mauve à pois verts délavé, une chemisette, pieds
nus je m’en allais récupérer un bout de liberté. Ma pensée, loin des
murs et des regards, s’envolait et pouvait enfin poursuivre fermement
le questionnement et l’élaboration toujours plus pointue des règles, des
comportements, des modes et attitudes pour toucher le but, atteindre
et dépasser l’humanité. J’étais un gouvernement, une citadelle, un
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Valeirie
empire autonome, autogéré, indépendant, avec une pensée autonome, puissant, très puissant,
suspendu, éthérique, hors d’atteinte
de l’impérialisme occidental et de
toutes ses fioritures puantes que
s’arrachaient ses esclaves et dont ils
s’enduisaient et se gavaient, et pour
cela je vous assure certains ou certaines auraient tué.
Mon walkman sur les oreilles j’écoutais Brigitte Bardot, ma sœur m’avait
filé cette vieille cassette sortie de je
ne sais où, et quand Brigitte chantait
"nue sous le soleil" ou "coquillages et
crustacés", j’me sentais plus que jamais
envahie de liberté. Je revoyais le clip
"Harley Davidson" et quand ce sex-symbol,
plantée sur une bécane, s’est un peu emportée
et du coup ne s’est plus trouvée synchro avec le
ventilo qui faisait du vent dans ses cheveux, alors
elle a dû continuer à chanter, l’air de rien jetant sa
tête en arrière, tentant de se défaire de la mèche
rebelle collée sur son visage... Je vous assure ça c’est
du grand art, rien à dire, tout est là, et ce génie évidemment s’appelle Serge Gainsbourg… Qui
d’autre...! Relation à soi-même, à l’autre, au monde
sur le mode musical, sexuel, ludique, humoristique,
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grinçant, suicidaire, ultra-esthétique, personnel de "je t’aime moi non
plus"… Mise en scène pure, exacte, sensible… Ce tableau a défilé
durant une année dans la chambre de ma solitude tenace, il a guidé
ma verve, aiguisé ma bouche et déployé ma plume. Gainsbourg avait
ce genre d’intelligence qui use une touche, un détail, un mot avec une
hyper conscience de chacun. J’me disais que ce genre de mec avait
dû lui aussi plus que bien d’autres subir le pouvoir destructeur de
l’infime et qu’il avait réussi à le transformer pour lui, armé, intouchable si ce n’est par la beauté.
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Valeirie
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Marine Bernard
crustaceste
Mon corps est une moule
Une coquille dure et couverte d'algues,
Stratifiée par les vagues successives,
Solidifiée par les crabes à pinces intrusives.
Elle renferme un petit bout de viande,
Tout mou, tout moche, tout rien,
Qui sent la pourriture maritime.
Et ce petit bout rétrécit, rétrécit.
Ma moule est comme mon corps,
L'extérieur est couvert d'herbe noire.
L'intérieur est fort, grâce aux mains tendues d'autrefois
Et ça s'est agrandi depuis quelques inspections.
Et ça sent la moisissure marine.
Il y a une excroissance de chair,
Un petit bout qui te crie, qui te crie :
"Remets-moi à l'eau, je me dessèche".
Le encore je sirène, qui elle aide le qui
Viol et veux plus crève avait moi bout pourrit.
Me toujours, être une comme une princesse de
Sois Tue mais une moule si raison. Aime viande vraie.
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Maité Soler
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l’amour
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Lucile
septembre 2006
en héritage
Je suis sur ses genoux.
J’ai 9 ans.
Je ne sais pas comment je suis arrivée là. Mais
je suis contente.
Ma sœur est couchée déjà. Peut-être ai-je fait
un cauchemar et je me suis levée pour être
rassurée ?
En tout cas je vis un moment privilégié : un
moment de lien avec mon papa.
C’est rare. Ça fait du bien un moment de lien.
Un moment de chaleur.
En Antarctique.
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Chez moi, ça ne doit pas être très loin de l’Antarctique : ma mère est
plus ou moins partie de la maison ; elle est amoureuse d’un homme,
sa tête est ailleurs de toute façon. Elle revient parfois des soirs. Mais
elle n’est plus vraiment là. Ou peut-être est-elle déjà complètement
partie.
C’est donc mon père qui prend en charge notre quotidien.
Tiens ! J’avais un père ! Jusqu’ici un fantôme. Ma mère jusqu’à présent
au foyer s’occupait de tout, mon père rentrait du boulot le soir, il ne
disait pas grand-chose, n’avait pas vraiment de place ; je le connais
à peine.
Et voilà cet homme qui doit s’occuper de tout : de la maison, de la
chienne et de la chatte qu’il ne voulait pas, de nos petits bobos, de
nous nourrir…
A-t-il seulement déjà fait une seule fois la cuisine dans sa vie ? Lui qui
a quitté sa mère à 30 ans pour se marier avec la mienne ?
Il apprend à faire cuire des pâtes. Résultat : salade de pâtes à tous
les repas. Ma sœur et moi on en a ras-le-bol !
Sa vie s’effondre. Il sombre.
Il se met à boire.
Il n’a pas l’alcool violent, ni joyeux. Il a l’alcool mort. L’alcool qui rend
absent. Qui le fait gagater un peu et puis s’endormir, plutôt gentil.
Il est malheureux. Il n’était pas marrant déjà avant, là il devient chiant
et pénible.
Abandonnée par ma mère ; abandonnée par mon père.
Alors ce soir, je suis sur ses genoux. Et c’est bon.
Il est un peu saoul mais tant pis. Je suis contente quand même.
Il me parle vaguement d’une femme qu’il aime bien, à qui on doit
rendre visite le lendemain, il l’aime, elle non.
Je ne sais pas pourquoi il me parle de ça. C’est un peu bizarre.
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Mais j’ai tellement besoin de lien. Alors le lien qui est celui d’une confidente de son père saoul, c’est mieux que rien. Même si je trouve ça
bizarre.
Bizarre.
Comme quand il sort de son pantalon son sexe en érection.
(Papa qu’est-ce que tu fais ?)
Comme quand il me demande de le caresser.
(Mais Papa qu’est-ce que tu fais ?)
Quelque chose est en train de splitter dans mon cerveau de petite
fille.
Quelque chose de terrible s’inscrit à ce moment-là dans mon petit
corps.
Quelque chose est en train de se tordre.
Je le caresse.
Timidement.
Je sais que je fais quelque chose qui n’est pas normal.
Pas normal du tout.
Mon corps réagit sûrement, est sûrement excité.
Mon père est en train d’inscrire en moi un lien entre lien affectif pourri,
désir-sexualité, mépris.
Corps-objet.
Sexualité / danger.
L’homme est dangereux.
C’est dangereux d’être une femme.
…
Il éjacule.
Je sais qu’il a éjaculé, je sais ce que c’est.
Tentative naïve de le protéger, de minimiser son acte, déjà de le
cacher, de lui faire croire que je ne me suis rendu compte de rien. “Tu
fais pipi ?” “Oui” il me dit.
“Ouf”. Je sais bien qu’il ment.
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Voilà. Il ne s’est rien passé.
Il ne s’est rien passé.
Il ne s’est rien passé.
Mon père m’aime. D’ailleurs c’est moi qu’il préfère.
Il ne s’est rien passé.
J’entends vaguement dans l’escalier du bruit, comme si ma sœur se
demandait ce qui se passait en bas et venait voir. J’ai eu cette pensée
paniquée : “elle ne doit rien savoir. C’est entre mon père et moi. Peutêtre elle va être jalouse de ce lien. Et/ou peut-être elle va le dire à ma
mère ! Elle ne doit pas savoir.”
Elle l’a su. 14 années plus tard.
14 années où je n’ai rien dit.
Pourquoi n’ai-je rien dit tout de suite ?
Culpabilité ?
Pour protéger mon père ? (C’est dangereux pour lui si ça se sait)
Pour me protéger ? (Qui va-t-il me rester si mon père disparaît complètement ? Avec qui va-t-il me rester du lien ?)
Parce que j’ai terriblement peur d’être perçue comme anormale ?
Parce que j’ai au fond de moi des injonctions familiales : aller bien ?
D’ailleurs tout va bien chez moi : j’ai un beau petit corps, je suis gaie
et sportive, douée, intelligente, première de classe, musicienne…
À ce moment, mon regard s’éteint. Je m’en souviens bien. Des
réflexions de ma mère : “oh, mais sois plus expressive ! t’as le regard
inexpressif !!!”. C’est un reproche…
Personne ne va savoir.
Même moi je vais l’oublier.
On y arrive.
Il suffit de se couper de soi-même (un peu plus encore, car je pense
que j’avais déjà commencé à me couper pour ne plus ressentir).
Il suffit de se couper de son corps.
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De séparer tête et corps.
De partir dans le mental.
Ça je sais bien faire.
Et le mental est super fort. Il peut tout faire.
15 ans après, il va même essayer de me faire croire, c’est une idée
qui circule dans des groupes “politiques” que j’ai fréquentés, que la
société a vraiment un problème avec la sexualité enfant /adulte, et
que si elle ne faisait pas tabou ce sujet, il n’y aurait aucun problème
à ce qu’un enfant, qui a une sexualité bien sûr, la partage avec un
adulte. Ce n’est que conventions, religions, inhibitions tout ça, qui
nous fait voir un problème là où ça pourrait se passer tout seul, dans
l’intérêt de l’enfant.
J’y ai cru. Et parfois j’y crois encore.
On arrive à ne pas en faire tout un fromage.
Ben oui, c’est quoi le problème ? Pas grand-chose. J’ai touché le zizi
de mon papa, bon, et alors ? C’est du naturisme un peu plus poussé.
C’est pas dramatique. Non Lucile, c’est pas ça qui a changé ta vie
voyons ! Il ne t’a même pas touchée ! Qu’est-ce que tu aurais dit s’il
t’avait fait des attouchements, voire pénétrée !!! Tu vois, c’est rien. En
plus il t’aimait, tu as de la chance toi…
Oublier. Enfouir. Enfouir. Tellement loin.
Qu’on n’y a plus accès. Plus accès à l’émotion. Plus de conscience.
C’est une thérapeute, genre ostéopathe, qui a fait ressurgir ça.
Ben oui, par le corps. Mon corps tout blindé.
Elle m’a touchée. Et a senti que quelque chose remontait.
Elle me questionne :
- “as-tu déjà subi une agression sexuelle ?
- non, non, je ne vois pas…”
Je ne mentais pas !!! Je n’y pensais même pas !!!
Elle insiste, elle insiste.
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Alors je lâche : “bon, si. Maintenant que tu me dis ça, quelque chose
pourrait ressembler vaguement à ça, mais rien à voir, rien de problématique, je t’assure : mon père, j’avais 9 ans”.
Sa réaction fait soudain ressortir mon émotion. Mon enfant blessé que
j’avais enfermé dans une cave, pour survivre, bondit ; et pleure pleure
pleure.
5 ans après, je peux, de temps en temps, recontacter la honte, la
souffrance, la colère, le dégoût de cette scène.
Tout ça bien enfoui.
L’autre jour, j’entends une amie dire : “c’est en relisant un texte que
j’avais écrit sur mon rapport au corps que je me suis rendu compte à
quel point j’avais mis toute la responsabilité sur ma mère. Je me suis
alors dit que mon père était responsable aussi.”
Ça m’a fait : “glups...” électrochoc. Ça m’a mise sur le cul : comment
ai-je pu parler tant de mon rapport au corps, sans jamais
penser que cette scène avec mon père est d’une immense importance ?!?! Laquelle, je ne sais pas encore bien, c’est trop frais comme
prise de conscience.
Et si je commençais déjà par sortir de l’ombre cette petite fille
abusée ?
Voilà, c’est fait.
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Delphine Bochart
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Lucile
comme
ça
(Salut mon amour. Bien sûr ton corps est
un champ de bataille adoré. M.)
Hélène, je t’ai rencontrée il y a presque
4 ans. Tu m’as dit que j’étais belle.
On ne porte pas un badge “oublier la
beauté” pendant des années pour rien.
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Au début je ne t’ai pas crue. Et je ne voulais pas entendre ça. Ça
m’était même insupportable. Tu l’as répété et répété je ne sais combien
de fois. Jusqu’à ce que je pleure. Et que je me rende compte que tu
étais la première personne de ma vie à me dire ça. Et que j’aurais
bien aimé le recevoir de la bouche de mes parents. Alors j’ai commencé à y croire.
Merci pour ce cadeau.
Ben oui, je croyais que j’étais belle. Et je t’ai rencontrée, toi qui portes
le même prénom que moi. Toi qui au fond de toi portes cette adolescente mal dans sa peau. J’ai vu une photo de toi à 17 ans, j’ai cru
me voir moi : grosseur, boutons, et ce regard… tout le mal-être que je
connais… Alors à ton contact, ton énergie, tes réflexions, mon adolescente mal dans sa peau qui vit encore au fond de moi s’est réveillée. Elle a dégagé les oreillers que j’avais mis dessus, grâce à mes
“combats politiques” entre autres… et BONG ! je me la suis mangée
en pleine face. Bonjour, ah tu étais là !
Quand je mange trop de biscuits au chocolat, mon estomac est tout
gros et appuie sur mon sac à larmes qui est dans mon ventre juste à
côté.
En fait, cette barbe, c’est un peu un non-choix : quand je l’enlève, j’ai
des boutons à la place des poils. Je crois que j’assume mieux les poils
que les boutons…
En fait, cette barbe, c’est un peu un non-choix : quand je l’enlève,
après je suis toujours un peu mal à l’aise, quand un poil repousse tout
ça, je le traque avec ma pince. J’assume plus une barbichette entière
qu’un poil qui trahit le fait que j’enlève ma barbichette.
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Depuis que je laisse ma barbe, c’est plus facile pour moi d’être
“féminine”. Peut-être que ça me fait moins peur, je suis sûre de ne
jamais ressembler à une barbie, alors je peux me permettre un peu de
“féminin”… (poupée barbue)
En fait, cette barbe, c’est un peu un non-choix : quand je l’enlève, on
voit encore plus ma moustache, disons mon duvet noir. C’est bête
hein, mais j’aime pas…
Percer un bouton, ou un gros point noir, c’est quand même super jouissif. Jouir. Oui. Ça doit pas être très loin de la sexualité. Une sensation
d’éjaculation. C’est space non ?
Boutons. À chaque localisation, une douleur particulière. Entre les sourcils, sur la tempe, sur le côté du menton, sous la mâchoire, juste sous
la narine, sous le coin de la bouche, à côté de l’oreille, sur le bord
de la lèvre, à l’extrémité du sourcil… c’est tout imprimé dans mon
cerveau /dans mon corps. Je n’ai qu’à y penser, et je sais quelle douleur ça fait…
Décalage. Gros décalage. Comment je me vois. Comment tu me vois.
Comment je crois me voir. Comment elle tout au fond de moi se voit.
Peau d’Âne.
Je viens de lire Peau d’Âne, version Christine Angot.
Je suis comme elle, comme Peau d’Âne, moi aussi j’ai dû me vêtir de
cette monstrueuse apparence, à l’intérieur ou /et à l’extérieur. Pour
échapper. Au crime de mon père. Et des autres hommes.
Maintenant je suis bien embêtée, parce que j’arrive plus à l’enlever…
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Mon corps me fait des surprises.
Avec toi il s’ouvre. Tu peux entrer en moi, c’est trop bon. Avant il ne
voulait pas, et il ne trouvait pas ça bon. Tout contracté. Et voilà, maintenant, et avec toi, il adore ça, il s’ouvre, il réagit, il m’envoie des
ondes jusque dans la poitrine. Trop la classe…
Des fois, j’éprouve tellement de tendresse pour mon petit corps, que
je lui fais des bisous, sur les bras, plein de petits bisous avec un
sourire plein de tendresse.
“Posséder un corps, c’est la vie, parce que c’est ce que la mort vous
enlève”, Alice Ferney, citée dans Happy Body* de Caroline Gauthier.
J’aime bien cette phrase. Et j’y ai repensé aujourd’hui quand je faisais
du vélo dans la campagne et que je me remplissais de l’air frais et
bon, j’étais émue. Même chose tout à l’heure dans mon bain. Où
l’eau faisait le tour de ma peau. Voluptueuse sensation. Yes, c’est
quand même la classe d’avoir un corps, j’ai pensé.
Lucile et Myriam
* Happy Body. Aimer son corps sans condition. Editions Québécor, 2003.
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trilogie
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Sylvie
.3
Après la rupture, j'ai eu mes
règles, et c'était quasiment
hémorragique, avec des
caillots de sang. Et bien sûr
je n'étais pas bien dans ma
tête et dans mon corps.
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Tout ce sang qui coule,
Mon corps qui saigne,
C'est mon corps qui pleure,
C'est mon corps qui est en deuil,
C'est mon corps qui t'appelle,
Qui te veut,
Qui réclame tes mains sur moi
Tes baisers,
Tes caresses.
Mon corps qui saigne
C'est mon corps qui pleure
Qui t'appelle.
Ton absence, c'est une blessure,
J'ai froid, j'ai si froid
Où sont tes mains
Où sont tes yeux
Ton sexe contre le mien
Tout est là encore, en moi,
Si présent
Et pourtant si loin en réalité.
J'ai froid, j'ai si froid.
Où sont tes bras autour de moi ?
Où sont tes yeux sur moi,
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Nos corps à corps
Ces moments de tendresse ?
Ils sont là, en moi,
Partout, tout le temps,
Rien qu'un souvenir
Trop présent,
Trop douloureux.
Ma tête et mon cœur sont tout remplis de toi,
Et mes mains aussi,
Et mes seins
Et mon ventre
Et mon sexe
Qui saigne
Qui pleure.
Quelque chose de toi en moi,
Pour toujours.
Qui fait mal là...
Jusqu'à ce qu'un jour
Ça devienne,
Un petit Bonheur
Qui me réchauffera le cœur.
Alors j'attends...
J'attends ce moment.
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Hélène
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Fabienne Meunier
ventre
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Orisha
Mon ventre s'expose, impudique. Il se déploie, crie son état, et parle
à ma place. Il est l'écho d'un rêve sans mémoire, que tous veulent
toucher, posséder, voler. Il devient affaire publique, et mon corps est
à chacun. Suivi médical, prise de sang, taux d'hormones, de sucre ;
échographies violeuses, expositions publiques, examens jusqu'aux entrailles. Tu tailles mon ventre, tu tricotes, tu noues et dénoues, et mon
corps épouse ton corps. Tu me connais par les viscères, le sang et les
humeurs, témoin et acteur de mon drame intérieur, toute la musique
intérieure que je n'entends pas. Tu goûtes mon sang, tu y devines le
monde. Nous sommes la même vie, la même peau, la même chair.
Et puis tu me quitteras sauvagement, déchirant tout sur ton passage,
tu ne laisseras que des ravages derrière toi, et mon corps cicatriciel
portera toujours ta trace.
Je sens le sexe et le sang, l'origine du monde et sa mort ; je sens l'animal et l'instinct de survie ; loin des corps aseptisés, j'ai l'odeur de
femelle : nous sommes toute l'histoire humaine. Je suis la même mais
nous sommes un symbole, et je ne suis qu'une femme enceinte.
Jacqueline Michaud
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ans...... .
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. ....corps
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après la
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Isabelle Nicod-Fournier
bataille ?
À mes sœurs abandonnées à une bataille trop
rude ; à Isa, qui m’a montré la voie de la lutte,
qui aurait tant aimé se faire des rides et de vieux
os qui manqueront tant à nos regards… À mes
cansœurs, Annie, Françoise, Bernadette, Marie,
Béatrice… Par elles, je respire de tous mes pores
pour les multiples et plus infimes survies de
chaque existence. Voici un petit voyage parmi les
miennes.
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Delphine Brouchier
Vieillir, comment vieillir ? Déjà c’est une chance de pouvoir se poser
la question. Vieillir est bien la seule façon de ne pas mourir jeune.
Quand me la suis-je posée la première fois ? Grâce à ces deux jeunes
imbéciles [1] qui se sont approchés de l’île que j’avais accostée avec
mon bateau pneumatique ? J’avais juste 27 ans et aimais me mettre
la couenne entièrement au soleil, au vent et dans l’eau comme toujours
aujourd’hui. Une fois proches ils se sont ravisés en s’exclamant : “ah
c’est une vieille !”. Je n’avais pas vu le temps passer depuis la réflexion
précédente : “trop jeune !” (Et qui d’ailleurs m’avait laissée perplexe :
“trop jeune pour quoi ?”. Je me suis longtemps demandé ce que me
voulaient ces hommes jusqu’à ce que l’un d’eux soit très explicite. À
cette occasion mon corps s’est transformé en machine à distribuer des
coups de poings). La trêve fut donc de courte durée. Encore ce
regard qui jauge, soupèse selon des critères d’esthétique impossibles,
invraisemblables, éphémères. Pourtant que de chemin parcouru
depuis cet âge où je recouvrais mes complexes de plusieurs couches
de vêtements. Chemin vers la petite fille qui déjà adorait courir toute
nue. Mais là c’était par delà toute la bienséance que j’étais censée
acquérir. La rencontre me fut évidente avec le naturisme et celles et
ceux qui se mettent ainsi à nu pour se ressentir vraiment. C’est une
philosophie qui favorise le bien-être dans sa peau telle qu’elle est,
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avec la bienveillance accueillante du regard, sans référence à une
esthétique standard, au profit d’un abandon provisoire de son image
sociale et donc une recherche d’ouverture dans les relations. Chez
ceux qui se réclament de cette philosophie, je n’ai jamais entendu de
réflexions sur l’apparence physique. Mais on ne retire pas ses
complexes comme ses vêtements et, piquée au vif, j’ai commencé à
réexaminer mon enveloppe corporelle. Je vivais avec une femme mais
j’étais bien loin de m’être libérée des regards, et de la séduction
superficielle. Je camouflais ma sexualité marginale en entretenant
d’autant plus une féminité conforme, plaisante à mon regard mais qui
ne m’aiderait pas à vieillir. Cette nouvelle bataille contre l’entropie de
ma matière parmi la matière ne devait plus s’arrêter. Contre ?
Combien de temps ai-je lutté si bêtement comme on nous le suggère
fortement ? Combat inégal, défaite assurée. Quand une collègue de
travail m’a, par surprise, arraché mon premier cheveu blanc pour “me
rendre service”, je fus triste, je voulais le garder, continuer à l’admirer
dans le miroir. Je l’avais repéré cet original glissé dans l’harmonie
brune jusque là constante de ma chevelure. Son incongruité me
charmait. J’avais entrepris d’apprivoiser cette apparition sauvage. Ah
que d’extase autrefois quand je prenais des centimètres, ou à la naissance de mes seins… mais des cheveux blancs, des rides ! Pouah !
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Quand est-on censée passer de la croissance au déclin ? (Il y a des
théories sérieuses sur l’âge de la baisse du nombre de neurones, et
pourtant qu’est-ce qu’on peut développer son esprit avec ceux qui
restent !) Puis je continuais à me faire des cheveux blancs et fus vite
consolée de la perte du premier. N’empêche, quand ils sont arrivés
en bande je les ai affublés régulièrement de teinture, sans perdre le
rythme car évidemment ils repoussaient la teinture par leurs racines
intraitables. “On vous fait les racines ?” vint augmenter les frais de
tous les soins que mes horribles cheveux raides, éparses et pleins
d’épis rebelles exigeaient. Je venais à peine de guérir d’une coiffeuraphobie [2] qui datait du jour où ma mère m’avait fait tondre comme
mes frères “bien dégagé derrière les oreilles” et que j’étais terrorisée
d’aller à l’école ainsi. Je pourrais raconter ma vie tirée par les cheveux,
point sensible d’une certaine “féminité”. Mais attendez la suite. Rien
ne se perd. Les cheveux si, parfois tous. Et un jour ce serait moi qui
manierais la tondeuse sur ma tête, comme une grande.
En attendant ma peau se ride, se relâche, je suis en pleine forme et
mes amies gouines ne me trouvent jamais trop vieille et accompagnent
une “butchisation” [3] qui me révèle à moi-même, me libère du temps
et du confort. Je découvre en écrivant combien j’aurais très spontanément aimé mon corps, combien la socialisation et son entretien
permanent m’en ont détournée, comment c’est toujours dans les
marges que je me suis retrouvée. Et je découvre combien cette
réconciliation me renvoie des images du “garçon manqué” si libre,
que je redeviens par des successions de choix vers ce naturel qui
revient au galop, pour peu qu’on lui lâche la bride.
Le vieillissement problématisé des femmes dans notre société hétéronormée [4] se focalise avant tout sur l’aspect de l’enveloppe
corporelle, et pourtant ! Quand je me suis trouvée “bien dans ma
peau” enfin !, le vieillissement, la maladie m’ont fait me heurter à ces
changements qu’on nous aide si peu à apprivoiser, encore moins à
envisager comme un développement nouveau. J’avais cheminé vers
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une alliance réciproque avec mon corps et celui-ci me prenait en
traître, du moins c’est comme cela que je l’ai vécu. Peut-être bien qu’au
contraire il est un allié qui nous alerte, dont on ne sait pas écouter les
messages. D’ailleurs en écrivant je ressens comme une schizophrénie
qui me ferait séparer un “moi parlant” d’un “objet corps” pourtant
intimement unis, ne faisant qu’un. Leurs rencontres tâtonnent, faites de
heurts et de retrouvailles. Or il faudrait vieillir avec presque pas de
rides, pas de cheveux blancs, pas de relâchement, pas de cellulite.
Être malade et supporter des traitements sauvages sans que ça se
voie, sereinement, garder tous ses cheveux, ses seins (pas ses
muscles ni ses bras !). On nous parle anti-rides, teintures, perruques,
reconstructions (douloureuses !). Et on nous parle raison, renoncements
pour les capacités atteintes : “vous ne pourrez plus… n’y pensez
plus… maquillez-vous…”. Beaucoup de messages affluent pour nous
presser à “rester belle”, avec son lot d’efforts et de contraintes :
“souffrir pour être belle”, selon LE modèle. Ils sont orientés vers un
paraître plutôt figé. Et peu nous parviennent en faveur de notre être en
développement, peu pour se mouvoir vers et pour un bien-être
reconstruit, pour sauver et acquérir tout ce qui maintient le corps en
mouvement et l’esprit avec. Mettre tant d’énergie pour “sauver” son
image, masquer sa rage (c’est pas beau une femme qui élève la
voix !), qu’on en manque pour s’animer. Efforce-toi de rester présentable et de contenir cette vie qui bouillonne malgré tout, qui déborde
de partout, impudiquement. Or, vieillir, c’est encore croître, aller de
l’avant en prenant mieux la mesure du temps, se faire de nouvelles
grimaces devant la glace et être belles d’en rire pour ne plus tant
souffrir.
Car toutes ces marques nouvelles sont celles de nos victoires.
Alors après la bataille ? Une autre bataille souvent, mais le (faux) pli
est pris, on ne le repassera plus. On gagne plus vite. On s’est construit
un socle et on se dresse sur terre plus légèrement, gaiement. Les
“camps ennemis” corps/esprit posent les armes et sympathisent. Pour
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moi c’est le but de cette histoire. Donc pour mon image j’ai petit à petit
trouvé un genre de bataille non plus contre mais avec. J’avais toujours
aimé les vieilles personnes, mais retrouver leurs stigmates sur mon
visage dans le miroir, une autre affaire ! Je vous présente ma grandmère, mon modèle choisi pour ce voyage. J’ai quand même collectionné les crèmes antirides, les raffermisseurs de peau, les ravaleurs de
cellulite avant de trouver un regard plus caressant, tout en inaugurant
les grimaces et la gymnastique du visage, pour composer avec les
données intangibles.
Puis ces questions d’apparence devinrent un détail quand l’aspect
fonctionnel fut touché, aspect très généralement remisé au placard où
il s’atrophie d’autant plus. Je vais faire un détour à propos de mes
petits bras musclés qui furent pour moi l’objet de pertes bien plus dures
à vivre que celle de la fermeté d’une peau lisse, et pour lesquels la
médecine s’est contentée de me parler en termes de renoncement (au
lavage de carreaux évidemment ! alors pour l’escalade, le bricolage
quelle importance ?!). Au premier accident je relevais le défi crânement : ce n’était pas une petite luxation qui allait m’empêcher de
grimper et bricoler. Je m’entraînais à grimper en économisant mon
bras droit et découvris les ressources qu’un handicap peut nous amener à déployer, ivresse de cette découverte si précieuse : composer
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avec les données qu’on ne peut changer et se découvrir si agile. On
ne saurait trop conseiller aux femmes vieillissantes d’abandonner les
gestes répétitifs et limités du quotidien pour se mettre à l’escalade ou
à la natation, occasions de déploiements corporels et mentaux. Bon,
mais il a fallu quand même que je fasse avec l’usure de mes tendons
définitivement distendus, qui laissèrent passer la tête de mon humérus
progressivement à la plus infime occasion. Le premier verdict médical
fut “vous ne ferez plus d’escalade”. Je me suis adressée au chirurgien
le plus réputé sur la question, ses dépassements d’honoraires sont
largement proportionnels à cette réputation mondiale. Opération douloureuse, rééducation lente et longue, occasion d’appréhender (au
sens philosophique de “saisir par l’esprit”) le ralentissement, l’immobilisme (entreprise largement facilitée par la certitude de son temporaire : petit signe au champ de bataille de celles et ceux pris dans du
définitif), occasion de rattraper le retard de lectures passionnantes en
écoutant de la musique… de s’exercer à écrire de la main gauche
(cette mal à droite…), de laisser les autres venir à vous, découper vos
aliments, de vous laisser conduire, concrétisations de nos incontournables interdépendances, occasion de ne plus travailler et d’y
prendre goût, clin d’œil de la vieillesse pour vous montrer le chemin :
se consacrer à l’essentiel, l’“être” et l’entraide au mépris du rentable
et de la compétition. L’handicap me fit reconsidérer mon rapport avec
mon corps et donc modifier mon état d’esprit à son égard. J’ai atteint
là un point de non-retour que mon corps s’efforcerait de me rappeler
en tapant plus fort dès que je le négligerais (ce qui est une attitude très
ancrée chez le garçon manqué, puis encouragée par la pression
sociale centrée sur l’apparence bien souvent au mépris du bien-être).
En effet, j’allais rentrer dans le rang des “actifs”, en traînant les pieds,
quand un grain de sable enraya la mécanique, petit nodule malin en
mon sein gauche. Ce diagnostic vous abat de manière fulgurante
avec tout ce qu’il véhicule de sombre, une mort qui prend les mesures
pour son installation future. Mon corps, ce traître, avait, sans que je
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n’en perçoive les alertes, organisé une mutinerie en mon sein. Je me
découvrais à nouveau la tête séparée de son socle, elle qui se croyait
si importante et sûre, n’était que ballottée sur un organisme mouvant,
incontrôlable. Ce cancer qui n’arrive qu’aux autres me solidarisait
désormais charnellement à ces “autres”, avec terreur au début. Mais
je découvrais des femmes qui avaient survécu dont je n’avais perçu
que le dynamisme et la joie de vivre. Ce fut essentiel et j’espère continuer la chaîne et contribuer à rendre visibles tous les aspects de cette
maladie, de ses traitements et de ses issues. Et là pas de hiérarchie
dans nos combats. Certaines m’ont montré le courage devant les
rechutes et cette issue vers laquelle le corps nous entraîne, où nous le
rejoignons enfin pour le perdre. Nous sommes notre corps, il est notre
seul bien avec ce temps qui le sculpte. Il est fait de traces qui sont
RE belles à son anéantissement et ainsi tellement appréciables. Je vous
suis mes sœurs, de toute façon, et vos traces me resteront précieuses
même si souvent je les contourne car j’ai peur, comme vous avez dû
avoir peur. J’aurais voulu pouvoir lire dans vos rides mais vous n’avez
“pas pris une ride” !, et me voilà face au vide ! [5] Me voilà emportée
par ce torrent qui me creuse. Je croyais maîtriser ma vie par toutes
sortes de thérapies et développements personnels, une dimension
m’échappait, m’échappe, m’échappera, dichotomie de notre condition d’être pensant. Il nous faut réintroduire plus de corps dans tous ces
lieux de développement de nos vies, mettre du corps à l’ouvre âge (ou
l’ouvre rage ?). Il y a aussi une énorme question de chance que la médecine confie encore à l’aléatoire par un dépistage selon des critères
de risques basés seulement sur un aspect économique immédiat. Cette
injustice est prolongée par celle de traitements de plus en plus à “deux
vitesses”. Il nous faut politiser la question de la considération de nos
corps de femmes, en extirper la culpabilisation rampante et généralisée, rompre avec l’engourdissement cosmétique, sortir nos expériences
du solitaire vers le solidaire. Cette conscience me mène de l’un à
l’autre en cherchant toujours plus de fluidité. Mais bien souvent on
reste livrée au corps médical, l’espoir et le désespoir ballottés entre ses
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exploits et ses limites qui semblent hors de notre pouvoir. Je ressortis de
ma première consultation avec une date pour l’“exérèse” [6], agrémentée de ma participation à une recherche qui consistait, à terme,
à trouver le moyen de ne pas curer des ganglions non atteints, mais
dont je ne bénéficierais pas et dont l’aspect douloureux fut nié, ainsi
qu’avec une ordonnance pour une perruque. Mais une de mes
premières inquiétudes porta sur la perte probable d’une partie des
capacités de mon bras gauche cette fois-ci. Les conséquences du
curetage des ganglions ne m’ont pas été évoquées par le corps
médical, mais par l’expérience de celles qui m’avaient précédée. J’ai
juste eu l’impression de n’avoir aucun choix eu égard au pronostic
vital. Ce fut au tour de mon bras gauche d’être immobilisé puis
bloqué dans ses velléités par un tendon tendu tel une corde entre le
coude et l’aisselle. Pendant ce temps-là mon épaule droite, trop resollicitée, s’empressa de sauter l’obstacle qu’on lui avait opposé. Mais
chance : je n’avais perdu que cinq ganglions et ils n’étaient pas
atteints, difficile dans ce cas de ne pas se dire qu’on aurait pu les
garder, mais “estimez-vous heureuse d’être vivante”. La recherche
tâtonne, un an plus tard on m’aurait laissé mes ganglions, mais
l’année encore après on me les aurait enlevés. Cette recherche en
direct me rassurait plutôt, je n’aimerais surtout pas qu’on me raconte
les blagues de pseudo-savoirs définitifs. Simplement je devais me
débrouiller un peu seule avec tout ça. Freinée dans mon aspiration à
“embrasser” la vie, je méditais sur cette ordonnance de perruque qui
m’avait été livrée sans commentaire et que je laissais traîner dans mes
papiers et dans ma tête encore chevelue pour quelques mois. Bien
qu’elle m’apparut comme une suggestion très forte, sa présence anticipatoire m’offrit un temps de mûrissement salutaire nettement favorisé
par la distance que j’ai pu mettre avec le monde hétéro-normé grâce
à mes arrêts de travail et du même coup par la surfréquentation du
milieu lesbien, encore une chance — c’était la première fois que cela
m’apparaissait si clairement, quelle revanche ! J’ai pu y abandonner
les dernières attaches aux stéréotypes d’une “féminité” qui auraient
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encore tellement alourdi ma marche, entravé mes mouvements, mes
guérisons. Mon propos n’est absolument pas de prétendre qu’il est
mieux de ne pas porter de perruque, un goût bien enfoui pour le
travestissement m’a même titillée. Je dénonce la tyrannie des injonctions faites aux femmes pour une esthétique tournée vers l’extérieur
d’elles, uniforme. De plus les coûts et remboursements limitent inégalement les choix en matière de perruques, il ne faut pas avoir les
poches vides si l’on en veut une qui n’attire pas le même genre de
regard que sur un crâne chauve. Cette tyrannie est ancrée dans un
monde hétéro-centré dont la fameuse “féminité” est un pilier et dont
nous sommes tous et toutes tributaires et susceptibles de souffrir tout
en l’entretenant. J’ai échappé à une expérience plus cruelle qui
consiste à perdre son sein. J’imagine la douleur de la mutilation et de
la perte, et puis celle provoquée par les regards qui jaugent la teneur
en “féminité” et peut-être d’abord le sien propre qui a intégré tant de
normes. Pour cela la “reconstruction mammaire” est très vite avancée,
dès le premier entretien médical qui suit le diagnostic, comme une
réparation évidente et indispensable, comme pour étouffer l’affaire.
Lors d’une ablation partielle, on a proposé à une de mes amies d’assortir dans la lancée l’autre sein en le réduisant (ce que l’on a refusé
à une autre qui le demandait voyez plus loin). N’est-ce pas un risque
d’aller un peu vite, au moment où il faut affronter la maladie et ses bouleversements, d’être tout de suite orientée vers un projet pour paraître
être restée intacte. Car il se peut bien qu’il ne s’agisse que d’un
paraître qui se rapprochera vaguement de ce que l’on aurait tant voulu
garder. Mais à ce sujet nous manquons de témoignages. Néanmoins,
après le long et douloureux trajet des traitements, il faudra en reprendre pour un an de souffrance en sacrifiant un muscle du dos mais le
résultat est paraît-il “très beau”, car “invisible” (“ça n’se voit pas du
tout ! pas du tout !” comme dirait Anne Sylvestre). Mais où est digérée l’épreuve ? En la réduisant au silence, ne risque-t-on pas de lui
faire rejoindre ce cycle d’accumulations qui nous rongent ? Entretenant ainsi nos cancers… ? Pourtant cela peut se penser avec d’autres
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alternatives, prenant en compte d’autres critères que l’esthétique, et
même d’autres critères d’esthétique (et ils peuvent être nombreux). J’ai
vu des femmes porter magnifiquement cette asymétrie avec une fierté
d’amazone et ces vues restent trop rares. Lorsque cela nous arrive, on
en a tellement besoin. Il faut lire sur le sujet le Journal du cancer
d’Audre Lorde [7]. Et j’espère que ces témoignages s’étendront. Là
encore il ne s’agit pas de retourner la tyrannie vers celles qui choisissent une reconstruction qui fait semble-t-il de grands progrès et intéresserait aussi un aspect fonctionnel lié à l’asymétrie pondérale et je
n’en sais pas assez pour en dire plus. Une de mes amies m’a dit “je
n’ai pas eu le courage de refuser la reconstruction”, décision que l’on
doit prendre, je le rappelle, en même temps que celle de l’ablation.
Les avantages du refus de la reconstruction ne doivent pas peser beaucoup dans la balance avec les avantages qu’on espère garder. Il est
trop tôt pour sonder son vrai souhait de moindre mal parmi ces souffrances brutalement annoncées ou même tues. Je ne sais pas comment
je réagirais si cela me touchait de trop près. Il m’est impossible de le
savoir de si loin, mais j’apprécierais certainement de prendre le temps
d’écouter tout ce qui pourrait guider un véritable choix personnel dans
un engagement si définitif. J’aime et me suis attachée à la forme ronde
de mes seins (que j’avais commencé par aplanir sous des bandages
lors de leur naissance, cela aurait pu faire l’objet du premier champ
de bataille) mais aussi à leur contact si sensible, aux sensations de
tétons susceptibles de s’ériger puis de se détendre voluptueusement.
Et je connais aussi la tension douloureuse des cicatrices, la transformation des sensations en une impression mate, coupée des réseaux
internes. La forme sous le chemisier n’est bien que la partie émergente
et infime de l’iceberg. Les amputations sont définitives et juste trocables
par des prothèses. Il est peut-être possible que l’on parvienne à
reproduire aussi les sensations si la recherche s’y attelle (je pense aux
progrès faits par les opérations de changement de sexe, à la reconstitution du clitoris pour les femmes excisées). En attendant et sans
attendre peut-être, on peut aussi apprendre à pédaler avec une seule
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jambe. On peut développer des zones érogènes oubliées et explorer
par les caresses les nouvelles sensations apportées par ces cicatrices
si particulières à notre histoire. Pourquoi toutes ces voies devraientelles s’exclure ? Ce qui importe est l’ouverture de possibles où puissent
s’épanouir les choix les plus intimes et il faudrait influer la recherche
en ce sens. On pourrait alors parler de nos choix et de leurs cheminements, dans leur variété, plus à notre aise. Cette même amie nous
rapporte régulièrement (car à mon avis on est un peu rendues sourdes
par nos peurs) qu’avant d’opter pour la reconstruction elle a demandé
au chirurgien de lui enlever plutôt l’autre sein car, dit-elle, pour elle, la
symétrie est une notion esthétique importante. Et pourquoi pas ? Il va
sans dire que cette chirurgie esthétique-là n’a pas bonne presse et
n’est pas pour l’instant envisageable ni même par nous qui n’avons su
que résonner et raisonner. Evidemment l’argument avancé est le risque
nocif de l’opération. Combien de femmes ont pris de tels risques en
silence pour augmenter ou diminuer leur volume mammaire ? Oui mais
me dira-t-on il y a quand même des critères objectifs. Pour le coup je
pencherais plutôt pour donner poids aux subjectifs. Alors il vaudrait
mieux, QUAND MÊME, une femme avec un sein que pas de sein du
tout… au pire. Qu’est-ce que c’est que ces calculs ? Qu’ont-ils à voir
avec nous ? Un événement remonte à l’instant de mes oubliettes. Je
sortais de ma chambre de fraîche opérée et croisais dans les couloirs
deux femmes qui discutaient, allègrement m’avait-il semblé dans mon
émoi, du soulagement et de la satisfaction qu’elles éprouvaient à
l’ablation de leur deuxième sein tout en palpant leurs poitrines plates.
Je suis rentrée illico dans ma chambre parfaitement terrorisée par la
possibilité d’un tel avenir et me suis “amnestiésée” par une sécrétion
de psychotropes naturels. Merci à mon amie Bernadette de me
réveiller. Et voilà… : pourquoi pas ? Du coup Bernadette a trouvé dans
sa trousse de secours sa petite dose d’humour habituelle pour apprécier cette asymétrie nouvelle, moitié féminin moitié masculin. Pourquoi
pas ? Pour ma part tous les médecins sont en extase (vraiment !)
devant mon sein presque intact mais les aspects fonctionnels restent au
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deuxième plan, voire inabordables. J’ai l’impression de faire un
coming-out [8] permanent de femme sportive, balafrée, décoquettisée,
de femme sauvage qui ne veut pas se civiliser. Nous sommes plusieurs
amatrices de sport à s’être entendues brutalement condamnées à y
renoncer. On peut se demander si la recherche sur cet aspect est aussi
développée que celle sur l’esthétique et que s’il s’agissait d’hommes
touchés dans leurs capacités physiques. On peut faire entendre nos
voix sur ce sujet.
Avant de poursuivre mon histoire avec mes bras il fallut me préparer
à la chimiothérapie et pour cela une ordonnance pour une perruque
sans “comment taire ?”. La perte des cheveux est spectaculaire certes,
mais n’en reste pas moins un détail esthétique et éphémère par
rapport aux ravages invisibles et durables. Il n’y a pas de quoi
s’arracher les cheveux, la chimie s’en charge. Il s’en est fallu d’un
cheveu que j’aille me faire ratiboiser chez le coiffeur, quel gaspillage
pour ensuite tous les perdre ! Alors je me suis examinée devant le
miroir ciseaux à la main, coupant une mèche timidement, puis une
autre, apprivoisant le changement jusqu’à ce que mon image soit de
mèche avec moi, ou l’inverse. Alors le processus s’est accéléré, je ne
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pus m’arrêter avant que ne soit dégagé un visage à l’expression
amusée ! J’étais fière ! Mais je savais en croisant à l’hôpital des crânes
lisses sous quelques cheveux longs épars que l’étape suivante ne
serait pas si facile. Avant la date prévue de la chute finale je me
passais la tondeuse sans le sabot salvateur des quelques millimètres
qui colorent encore le crâne, et ma compagne dût fignoler le travail
en surmontant une certaine appréhension liée à l’Histoire où la tonte
des femmes fut un symbole infamant. Mais là c’était une façon de
m’emparer des événements, de créer l’espace pour choisir comment
vivre l’inévitable. Nous donnons un sens aux actes dans un contexte,
au creux de notre propre histoire elle-même creusée dans les
moyennes et grandes histoires. Ainsi le même acte peut avoir un sens
si différent. Notre époque a repris pour la continuer la voie ouverte par
les “garçonnes” interrompue par la guerre et ses retours en arrière. Je
suis néanmoins leur héritière reconnaissante et aspire à retourner
l’infamie, revanche de ces femmes qui n’ont pas pu y échapper. Ma
tante de 86 ans me racontait récemment qu’une de ses amies s’était
tondue à la Libération afin de sortir avec une autre, tondue de force
elle, essayant de l’entraîner gaiement vers une posture de fierté. Elle
n’y est paraît-il pas arrivée. Voilà ce qu’on pourrait faire la prochaine
fois que l’une ou l’un d’entre nous devra subir un tel traitement : toutes
se raser, “ne rasez plus les murs, rasez-vous la tête !”.
Je reprends donc le problème à la racine de mes cheveux qui durent
lâcher prise : eh bien figurez-vous que je fus étonnée par la longueur
des cheveux répandus sur l’oreiller et courais m’examiner. Je fus soulagée lorsqu’il n’en resta plus. J’ai encore eu de la chance qu’on me
dise que j’avais “un beau crâne”, mais qu’est-ce qu’un beau crâne ?
Bien rond, bien lisse comme de “belles fesses” ? Cela veut dire qu’il
y aurait de “vilains crânes” qu’il faut cacher ? Est-ce que cela nous
viendrait à l’idée de cacher de soit-disant vilains nez ? (Ah oui de les
faire refaire !). Mais imaginez qu’on ait toutes le même… En tous cas
je n’aurais sans doute jamais provoqué cette occasion de voir la forme
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et la peau de ma boite crânienne, de la voir briller, de sentir son
contact avec l’air, le soleil, l’eau, et les mains de toutes les amies qui
se plurent à me caresser la tête. Je “crânais” comme dit mon amie
Françoise avec humour sur sa propre expérience. Je ne perçus que
rarement des réactions gênées. Mon père, lors d’un repas de famille
au restaurant, s’est affolé quand je retirais mon bonnet comme chaque
fois qu’il faisait chaud : “Remets-le vite !”. Plus tard il me dit “j’ai une
photo de toi où tu n’es pas belle !”. Je lui suggérais de la jeter
pensant à ce genre de prise de vue qui ont capté la seconde d’une
spectaculaire grimace, mais prise d’un doute, je demandais à la voir.
J’avais un sourire éclatant. Je lui dis la trouver très belle et il est allé me
l’imprimer en grand. Ce qui me permet de vous la présenter. Maintenant quand je me rase la tête mon père dit que cela me va bien. Ma
mère, elle, s’est souvenue avec gêne de la petite fille en pleurs devant
le miroir suite aux effets d’une tondeuse intempestive. Ce fut l’occasion
d’en parler pour la première fois 40 ans après. Voyez comme le pire,
quand on n’en meurt pas, peut alimenter des guérisons [9] et comme
cela vaut le coup de vieillir. Le regard change avec l’expérience
nouvelle. Les goûts et les dégoûts sont comme le flux et le reflux au gré
des vagues, quand le climat extérieur provoque des tempêtes au fond
de nous. Cela devrait nous inciter à accueillir, se laisser déposer sur
la plage, plutôt que juger ou jauger et se laisser noyer sous les préjugés. Et ce n’est pas tout, c’est toute la pilosité du corps sans exception qui disparaît, épilation parfaite garantie à un poil près (mais bon
là c’est trop !?… faudrait savoir… !). Encore une fois le regard et le
contact font des découvertes. Ce changement à la surface du corps
est visible et temporaire et on ne se sent pas prise en traître. On est
pile poil dans le vif de l’histoire. Plus nue que nue, pas à poil mais à
fleur de peau.
Depuis que j’ai eu le plaisir de voir réapparaître ma pilosité j’ai
accompli ma réconciliation avec sa présence obstinée, nouveau sujet
de coming-out de “pas féminine”. En tout cas la “nature” nous a
pourvues de poils, ce qui prouve bien que ce féminin est construit cul192
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turellement. Certains hommes n’en ont presque pas et beaucoup de
femmes seraient barbues sans cet acharnement épilatoire. Les plantes
“pulsatiles” sont des malignes qui retiennent l'humidité dans leurs poils
pour mieux survivre, alors pensez à être au poil pour le réchauffement
de la planète ! Je répands volontiers l’expérience d’avoir un jour perdu
tous mes poils et le plaisir des retrouvailles.
Ce que l’on ne nous dit pas, par contre, ce sont les coups portés au
foie et que des secours parallèles peuvent soutenir (homéopathie, phytothérapie…), ni l’atteinte physique généralisée par une grande
fatigue que l’on peut soutenir aussi et respecter.
Jusque là, la lutte m’apparaissait surmontable. Mais quand mon avantbras se mit à gonfler, devenir lourd et douloureux, je fus en larmes et
trouvais peu de secours. Le drainage lymphatique ayant peu d’effets,
j’essayais cet horrible manchon peu remboursé qui comprimait mon
bras, que je devais garder le plus possible et que je retirais sans arrêt
jusqu’à le laisser au fond du placard. Je devais me méfier du soleil,
de la plus infime micro-griffure et éviter les efforts, tout l’inverse de mon
plaisir de vivre jusque là ! Finalement après une grosse déprime
j’envoyais tout paître et repris toutes mes activités avec cette nouvelle
donne. En plus de crâner je jouais les gros bras ! Mon moral a
regrimpé, et moi aussi dans les voies d’escalade. Je me suis habituée
à cette gêne qui me freine parfois mais n’a jamais augmenté comme
on me l’avait prédit. J’ai un peu moins de force pour appuyer sur les
cordes de ma guitare, mais en ai assez pour la découverte du
djembé. Quant au bricolage je dois plus souvent demander de l’aide
et la découvre amicale, conviviale comme dirait Illich [11]. Je jardine à
mains nues, elles qui détestent mettre une barrière aux contacts même
les plus salissants d’une nature enrobante. Je me suis réconciliée avec
ces parties de mon corps transformées. Plus que jamais je dose mes
activités sportives en fonction du plaisir et des signaux de mon corps.
Il y en a une partie que je ne pourrai plus pratiquer au même niveau
mais le plaisir vient plus vite, plus souvent. Tout ce que je garde,
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récupère ou découvre est source de réjouissement.
Le corps médical ne s’attarde pas non plus sur la perte de la libido qui
pour moi fut totale et brutale. Au cours de la chimiothérapie, les
muqueuses s’assèchent et deviennent très fragiles (plus de poils pour
retenir l’humidité !) ceci associé au handicap de mes deux bras, bien
manquants dans l’amour lesbien, a bouleversé une relation toute jeune
qui résiste avec créativité, souvent avec les bonnes idées glanées
auprès de femmes sans tabou sur le sujet et tout un tas de recettes
lubrifiantes naturelles sans hormones (je crois percevoir votre curiosité,
nous avons essayé la banane écrasée par exemple pleine de
vitamines !). Pour pallier la déficience des bras certaines conseillent le
gode.
Mais ce parcours somme toute assez solitaire m’incita à me rendre à
un groupe de parole du “GROPS” [12] nommé également “écoute
cancer féminin”. J’y fus accueillie avec un enthousiasme projeté
apparemment sur le port de mon crâne dégarni. Les femmes présentes
avaient le plus souvent reçu toutes sortes de réflexions lorsqu’elles
ôtaient une perruque étouffante et laissèrent libre court à leurs ressentiments. Elles devaient ménager mari, famille, enfants et copains des
enfants, milieu scolaire et professionnel EN PRENANT SUR ELLES. Le
plus souvent, on estime que L’ON NE DOIT PAS CHOQUER, que c’est
une provocation, jamais que c’est la personne choquée qui pourrait
faire l’effort de porter la responsabilité de son ressenti et de le traiter.
De plus une rencontre déstabilisante mais authentique est une occasion
pour se développer en écoutant ses peurs. L’une des femmes participantes a rapporté une parole de sa belle-mère : “mon fils a besoin
d’une femme avec deux seins” (vive le monde “normal” !) “Et moi d’un
homme avec un cerveau” ou “un cœur” pourrait-on proposer de
rétorquer ! car ils existent si si ! J’en ai rencontré dont l’amour fut bien
au-delà de la considération de ces fameux atours de séduction féminine et c’est pas parce que c’est mon frère. C’est parce que le monde
n’est pas divisé en méchants zétéros et bons zommos [13], en
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bonn’femmes et méchants zommes, nos tripes suffoquent dans les
raisonnements binaires où nous entraînent nos tentatives d’explications
au moyen d’un langage inévitablement réducteur, simplificateur mais
incontournable. Il nous faut nommer d’abord pour comprendre et envisager des changements. Il se trouve que la socialisation nous divise
selon des critères longuement consolidés. L’occasion ou la nécessité de
se libérer de certaines normes sclérosantes véhiculées dans ce monde
grandement hétéro-normé se présentent moins aux zétéros forcément.
Pourtant ce n’est pas réparti ainsi aussi systématiquement. Et ne
sommes-nous pas nous-mêmes tentéEs d’ériger nos libérations en nouvelles normes ? J’espère que vous arrivez à me suivre dans l’extension
inévitable du champ de bataille de mon corps au monde qui
l’entoure.
Donc mes zéthéroïnes faisaient preuve d’un optimisme à toute épreuve
après avoir tout surmonté. Mais quand ma voisine s’est effondrée en
disant qu’elle avait des métastases partout, elles ont surenchéri dans
un acharnement à positiver qui me mit très mal à l’aise. La relation est
vraiment déchirante entre les “sauvées” et celles dont l’évidence
persiste à être autre, et je ne sais comment remplir ce vide dans lequel
elles doivent se débattre. Comment faire avec ce corps qui les tue à
petit feu alors qu’on est le modèle vivant de victoires qui leur échappent, et qui peut prétendre à un quelconque mérite ?
Cette association a été créée par le grand chirurgien qui m’a opérée
et à mon avis elle présente les mêmes lacunes que l’ensemble du corps
médical à part le précieux échange d’expériences. Ma proposition
alors, d’organiser une conférence sur l’activité sportive après la
maladie, en collaboration avec les lesbiennes des Voies d’Elles [14] a
été bien reçue et je n’ai pas trouvé l’énergie de m’y mettre. Et c’est
bien à nous de le faire, il s’agit bien de notre champ de bataille, avis
aux a-matrices. Et je pense que bien des femmes seraient ravies de
nouvelles perspectives dans leur bien-être physique. Puisqu’il est difficile de ne pas vivre sur des îles, construisons des ponts.
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En fait la nouvelle étape difficile me tomba dessus quand tout fut fini,
quand tout était censé rentrer dans l’ordre alors que tout était bouleversé. On sauve l’apparence et on retourne dans le monde ? Et puis
je faisais le bilan des séquelles de ma forme physique. En plus des traitements très destructeurs, je passais à une ménopause prématurée tout
en embrayant sur un traitement quotidien pour bloquer les oestrogènes.
Or, quand vous lisez les brochures sur la ménopause dans ces salles
d’attente que je surfréquentais, c’est presque insoutenable, on se croit
foutue. Je n’ai même pas eu à me poser la question des hormones de
substitution qui m’étaient formellement déconseillées et j’ai ainsi gagné
du temps dans la recherche d’alternatives pour vivre cette période.
C’est une climatère [15] parmi tant d’autres dans notre vie, mais très
dénigrée dans ses opportunités productives, contrairement par exemple à la puberté, son entité opposée et valorisée. De plus c’est transitoire. Il s’agit d’un temps d’adaptation. Cette dernière est facilitée, on
le sait, par tout ce qui permet de bien la vivre, et notamment je pense
par une distance critique d’avec la perte d’une fonction féminine de
fécondité survalorisée et bizarrement enchevêtrée à une capacité
séductrice et à l’estime de soi. Ce peut être vécu comme un moment
extrêmement libérateur qu’il est intéressant de dénicher sous les
couches sédimentaires qui nous fossilisent. Les premières bouffées de
chaleur furent spectaculaires, je trempais les draps, envoyais ma compagne et mon chat à l’autre bout du lit pour les rattraper l’instant
d’après quand je grelottais. Mais cela s’est atténué rapidement et je
n’ai plus que des “bouffettes” pour lesquelles une compagne de
vapeurs sans voile m’a offert un joli éventail qui acheva de conjurer
l’aspect épouvantail. En fait, nous avons saisi l’occasion pour nous en
amuser et nous suivons les conseils de Rina NISSIM [16], naturopathe,
qui suggère de fêter nos ménopauses. Et d’ailleurs, où cela nous mène
toutes ces misères, hein ? Eh bien cela nous mène aux pauses ! Enfin !
Profitons-en ! : “Vous goûterez bien ce petit nectar de la vie à l’écoute
d’elle-même ?” Avec ce nouveau rapport à l’essentiel où m’a conduite
cette expérience, je suis plutôt moins irritable. Ma tendance à la
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déprime se transforme parfois en hargne surtout par la conscience
d’un monde peu réjouissant. Et puis, on est souvent seule avec ce qui
brasse à l’intérieur, cette évidence qu’on a pris un sacré coup de vieux,
sans cette progression qui permet au psychisme d’essayer de suivre,
psychisme surchargé par de bien vaines tracasseries parfois (je vous
épargne la liste pour cette fois). Vieillissement en accéléré, on oublie
tout le temps qu’on aurait pu mourir, on veut vivre en plein, on se heurte
à de nouvelles douleurs physiques, la bataille ne finit pas. Le monde
ne nous propose aucune image de nous, tout est bien caché. Une fois
de plus c’est dans la marge qu’on se sent bien. Dès que je peux je
reprends la bataille, en dents de scie. L’énergie n’est pas toujours là
et j’ai envie de faire l’éloge de la lenteur, du sybaritisme [17]. C’est
comme le plaisir de rouler en dodoche, en solex, dont on sent bien la
mécanique, après avoir été tentée par ces bolides brillants, trop bien
huilés, indifférents aux paysages et aux parfums des saisons et dans
lesquels on ne ressent plus que le mal au cœur et la climatisation qui
nous dévitalise. J’aime trop respirer la fenêtre grande ouverte et sentir
le sol sous mes pas.
Chaque année aux beaux jours ma tignasse me pèse, m’irrite. Je n’ai
refait qu’une tentative chez le coiffeur et ce fut pour demander des explications sur la différence de prix homme-femme qui devrait pourtant
tomber en désuétude par une très nouvelle répartition de la coquetterie, au-delà des genres binarisés. On devrait le faire en bande, car
je n’en ai pas trouvé un seul qui ne pratique pas cette différence de
prix. On ne sait plus ce qui fait bon ou mauvais genre, mais on continue à couper les cheveux en quatre et à multiplier les factures. La
tondeuse est là désormais qui me fait de l’œil. Pourtant à chaque fois
j’ai un peu de mal, d’abord à dégager un visage qui s’est marqué un
peu vite. Il ne ressemble plus à celui que j’ai dans la tête – je dois l’apprivoiser – et puis parce qu’encore je manque de courage à la perspective des regards et réflexions au travail où je n’ai pu retrouver
vraiment une place. Mais ça me fout en rogne ces vestiges aussi
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pesants et encombrants que ma chevelure les jours de canicule. Alors
je me centre sur cette expérience intime, définitivement enregistrée
comme délicieuse, et j’agis, et chaque fois je retrouve cette sensation
extrême de plaisir avec cette bouffée d’air sur mon encéphale. Ce
plaisir domine et je me fais toutes sortes de grimaces qui me font rire.
Mon visage prend l’allure d’une belle gueule de vieille gouine comme
je les aime. Je suis bien sur ma voie. Je n’échappe pas aux commentaires. Mais quand un enfant me pose la question traditionnelle “t’es
un garçon ou une fille ?” je réponds “ni l’une ni l’autre, bien au
contraire…”. Ou lorsqu’on fait allusion à mon grand âge je réponds
être fière d’être arrivée jusque là et leur en souhaite autant. J’ai eu
aussi la chance de mon époque où beaucoup de femmes se sont
mises aux coupes très courtes même à un âge avancé et je les trouve
belles. Achetez-vous une tondeuse ! Elle sera vite amortie. On peut
aussi les faire circuler. Je n’exclus pas de me teindre un jour les
cheveux en rouge, orange, le vert me paraît plus improbable à l’instar du chignon mais allez anticiper ! Je suis disposée maintenant à suivre les courants de toutes les fantaisies qui surgiront de mes désirs. Je
nous trouve bien plus belles que ces vieilles et vieux bien apprêtés de
la publicité, dans une beauté standard à la portée de quelques-uns
pour illustrer un plan d’épargne pour une retraite heureuse, pour les
traitements de ces sales maladies que sont devenues la ménopause et
la vieillesse. Ils sont à l’image des critères de beauté qui nous assaillent : cheveux épais, permanentés, traits fins et réguliers, rides juste
pour accentuer un sourire éclatant dégageant une dentition parfaite,
plus rien de naturel ! Sans cela veuillez rester cachés s’il vous plaît !
Mais une vie marginale est plus risquée au fur et à mesure que s’étendent nos dépendances même si nous cultivons nos richesses et encore
de nouvelles. Il faudra penser à organiser cette “dernière étape de la
croissance” comme la nomme Elisabeth Kubler-Ross [18]. Mon corps a
de plus en plus d’exigences et j’ai moins d’énergie pour les satisfaire.
Le monde multiplie des réponses pour refuser de vieillir, le budget vers
les aides non remboursées prend de l’ampleur et je n’ai plus envie ni
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courage de gagner plus d’argent. D’ailleurs, ce n’est plus de mon âge
ces pertes de temps ! Il nous faut sortir du silence et de l’invisibilité,
s’organiser non seulement pour résister, aussi pour jubiler (merci à
celles qui ont sorti pour nous ce mot magnifique de son placard, je
pense qu’elles auront plaisir à le voir circuler ! Je l’ai trouvé au colloque
lesbien de Toulouse). Après nos colères, nous avons besoin de trouver
nos mots en positif. Maintenant j’ai passé la cinquantaine et en ai fait
une belle fête. Peu après, je fus surprise et dubitative devant le courrier de la sécurité sociale en vue du dépistage du cancer du sein. J’ai
pensé à celles que les économies de la “sécu” avaient peut-être
condamnées. Ce témoignage est aussi une alerte. Le cancer fait
désormais partie de nous et de notre environnement en circulant
injustement d’un corps à l’autre. Partageons-le, il sera moins lourd à
porter. Nous le vivons séparément dans nos profondeurs mais nous
formons une farandole de solidarité au grand air. Laissez-vous accrocher, vous verrez bien ! Et puis la médecine est aussi extraordinaire
qu’inévitablement limitée. Il y a sans doute d’autres voies à développer que ce dépistage précoce qui néanmoins nous sauve face à la
faillite de la prévention, mais chargeons-nous collectivement de cette
dernière en décancerigénant nos vies par tous les bouts.
Maintenant il me faut continuer à vieillir, ma vie c’est comme du rab
dans une carcasse à laquelle je me suis tellement attachée finalement.
Alors, on ne va pas se quitter comme ça sur des malentendus ! Le
champ de bataille est aussi celui des trouvailles et retrouvailles, des
trêves, du repos de la guerrière. Parfois c’est perdu, mais on a gagné
autre chose, parfois cela repousse plus vigoureux. Ma presbytie me
fait prendre du recul et ma deuxième cataracte est en route vers
combien de nouveaux points de vue ? J’ai entrepris de reprendre des
études. Est-ce vraiment de mon âge d’être sage ou au contraire
m’ouvre-t-il à plus d’audace, l’espièglerie libérée par une vieillesse qui
n’a plus rien à prouver ? Ai-je construit ce véhicule de rêve qui me
permettra d’avancer sans embûche ou me faudra-t-il le recréer sans
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cesse sous mes pas ? Les deux sans doute et il faudra bien se
dégonfler et se regonfler. Quand mes douleurs se ligueront pour m’attirer vers la nostalgie vaine d’un corps souple et vigoureux me prêterez-vous votre pompe ? Pourrai-je vous passer une caresse (plutôt qu’un
coup) de fil pour tailler la bavette plutôt que mes veines et pour moins
en baver ? Car le chemin est d’autant plus accidenté par les travaux
d’une société qui ne pense qu’à refaire la façade en nous cloisonnant
et méprise le confort intérieur et aéré où l’on pourrait se rencontrer.
Elle me laissera encore en rade avec mes faiblesses et mes fragilités
si fécondes. J’ai besoin de vous et de votre pollen, pour les cultiver !
Il me tarde de vous lire. Merci aux éditions Ma Colère de porter et
propager nos cris, que l’on s’entende et se rencontre enfin de plus en
plus souvent ! Merci à toutes celles qui m’ont caressé la tête et tout ce
que je me trimbale avec. Merci à ma compagne dont le regard et les
mains n’ont jamais cessé d’être caressantes [19]. Enfin je voudrais
partager avec vous ces deuils qui me font penser que si les femmes
vivent maintenant plus vieilles grâce au progrès d’une médecine
“biologico-centrée”, il en est encore qui meurent prématurément simplement d’être nées filles, dans des pays lointains et aussi à côté de
nous, car la médecine et le monde négligent, me semble-t-il ce qui
anime notre corps, lui prête sa vitalité, notre être total et particulier, et
surtout les conditions de son droit à exister, pleinement. Alors encore
et toujours je salue mes sœurs disparues au champ de bataille. Je
n’oublie pas qu’elles m’ont fait la courte échelle pour arriver jusque là,
d’où je voudrais tendre ces petites perches longuement sculptées pour
nos survies à venir.
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notes
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De genre dit “masculin”. Note en complément d’une grammaire qui
perpétue une hiérarchisation des genres tout en l’invisibilisant dans un
pluriel neutre.
Au sens strictement médical de phobie, je vous préviens j’adore les
néologismes !
“Butchisation” : néologisme pour nommer le fait d’évoluer vers un style
“butch”, fait de s’approprier, dans le nuancier des qualités habituellement
divisées en deux genres, une majorité de celles dites masculines
souvent les plus pratiques, les plus confortables.
“Hétéro-normée” : qui fait de l’hétérosexualité une norme principale.
Voyez comme un hélas remplacerait ici si pertinemment le “bienheureusement” habituel.
Exérèse : ablation chirurgicale.
Éditions Mamamélis, 2001. Audre Lorde (1934-1992) se présentait
elle-même : “Noire, lesbienne, féministe, guerrière, poète et mère”. Lire
aussi Sister Outsider parmi une vingtaine d’œuvres de poésie et de
prose.
Sortie du placard, c'est-à-dire de l’invisibilisation.
Nietzsche a dit : “tout ce dont on ne meurt pas nous rend plus fort”.
Voir le témoignage de Jennifer Miller, femme à barbe qui provoque des
réactions admiratives mais aussi de dégoût dans le monde lesbien.
Ivan Illich : Une société sans école, éd. du Seuil, 1971; Némésis
médical, éd du Seuil, 1975.
GROPS : groupe de rencontre en oncologie psycho-somatique de
Grenoble 04 76 54 49 98 - http://grops38.free.fr
Je joue avec les mots dont je suis lasse en attendant que l’on n’ait enfin,
un jour peut-être, plus besoin d’eux pour parler de nous. Quand nous
serons distinguéEs par les milliers de nuances qui reconstitueront notre
image grouillante de vie.
Ou ALG Association des Lesbiennes de Grenoble.
Étape critique de la vie.
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A écrit entre autres La ménopause réflexions et alternatives aux
hormones de remplacement, éditions Mamamélis, 2006.
Mode de vie voluptueux, indolence, mollesse, sensualité.
E. Kubler-Ross, docteur en médecine. Les derniers instants de la vie,
éd. Labor et Fides, 1989.
Faute exprès : je résiste à mon “correcteur d’orthographe” en imposant
le rétablissement de l’orthographe d’avant Vaugelas où la liaison se
faisait avec le genre du mot le plus proche.
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amour de soi - perruque - imperfections
vagin - amour du corps - grosseur
beauté
- angoisse - orgasmes -
abus sexuel
sexe
- cicatrice
complexes
-
mort - boutons
-
anorexie
- se sentir nulle - névrosée
pudeur - confiance en soi - mal dans sa peau
père -
boulimie
dépression
poils
cheveux -
-
- garçon manqué - relations sexuelles
féminité
- sport - pilule
- gouine
regard des autres
humiliations - régimes famille - corset -
amitié
- hétérosexualité - survie
-
seins
peau
handicap
- solitude -
douleurs
- lesbianisme - désir sexuel
-
psychothérapeutes
adolescence - soutien-gorge - jeux
assouvissement sexuel -
épilation
-
maladie
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plaisir - apparences - cancer - combat
migraine -
mère
- moqueries -
féminisme
désespoir - chirurgie esthétique - dégoût errance - joie
libido
de vivre - plaire - androgynie
masturbation
- habillement -
dépendance
réconciliation - regard des hommes - suicide
ménopause - miroir - bourrelets - naturisme
image de soi - frustration - obésité
honte - monstre - féminine - enfance
estime de soi
- sensualité -
laideur - jugements
nourriture - médecins - normes
hormones
- sexualité -
mépris
- butch -
vide
haine -
séduction
-
décalage
- vomir
clitoris
- enfantement -
envie de mourir
- vieillir
nudité -
ronde - folie
-
règles - plénitude
Maité Soler
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