Télécharger ce preprint en PDF

Transcription

Télécharger ce preprint en PDF
49
Schedae ,
2009
Prépublication n° 26
Fascicule n° 3
Former de jeunes professionnels
aux métiers de la réalité virtuelle
appliquée au patrimoine : l’exemple de
la licence professionnelle « Développement
et protection du Patrimoine culturel de l’IUT
de Saint-Lô »
Marie-Pierre Besnard
IUT Cherbourg Manche, site de Saint-Lô
[email protected]
Résumé : Ouverte en 2005 à l’IUT de Saint-Lô, la LPD2PC forme de jeunes professionnels à la
mise en valeur du patrimoine par les nouvelles technologies. Elle est une formation pionnière
dans son domaine et résolument pluridisciplinaire. Très fortement ancrée dans une réalité de
terrain, à la fois économique et scientifique, elle est reconnue par les chercheurs et les professionnels pour les compétences des étudiants qu’elle forme, mais aussi comme un partenaire
indispensable pour contribuer à faire émerger le secteur en région.
En septembre 2005, l’IUT Cherbourg Manche a ouvert sur son site de Saint-Lô une licence
professionnelle « Développement et protection du Patrimoine culturel – option réalité virtuelle et formation multimédia » (LP D2PC), en partenariat avec l’UFR d’Histoire et la Maison de la recherche en sciences humaines (MRSH) de l’université de Caen Basse-Normandie.
La présente communication propose de dresser un état des lieux de trois années d’exercice. La réflexion s’articule autour des questions pédagogique, politique et scientifique.
Seule formation publique de ce type en France, la LP D2PC de Saint-Lô s’inscrit dans
une problématique large de la mise en valeur du patrimoine culturel par les nouvelles technologies. Elle forme, chaque année, une cohorte de 28 étudiants aux métiers de la réalité
virtuelle et du multimédia dédiés au patrimoine.
Les candidats qui postulent en formation initiale (FI) comme en formation continue
(FC) proviennent d’horizons très divers. Titulaires d’un DUT Info, d’un BTS Arts graphiques,
d’une L2 d'Histoire, ils viennent pour les uns acquérir ou approfondir une culture historique
ou artistique, pour les autres développer des compétences informatiques (infographie,
Marie-Pierre Besnard
« Former de jeunes professionnels aux métiers de la réalité virtuelle appliquée au patrimoine : l’exemple de la licence professionnelle “Développement et protection
du Patrimoine culturel de l’IUT de Saint-Lô” »
Schedae, 2009, prépublication n° 26, (fascicule n° 3, p. 49-54).
50
programmation). Pour tous, c’est l’apprentissage d’une méthode de travail transversale
autour des pôles informatique et culturel qui leur permet de prétendre aux postes d’assistants puis de chefs de projets multimédia.
La création en 2005 de la LP D2PC s’est inscrite dans un contexte à la fois territorial et
universitaire, contexte qui l’a façonnée et qui la façonne toujours. Le choix d’ouvrir cette
formation dans la ville de Saint-Lô presque en totalité détruite par les bombardements alliés
en 1944 l’ancrait dans un espace fortement marqué par l’histoire et qui cherche aujourd’hui
à se réconcilier avec son passé et à sortir grandie de son image de « Capitale des Ruines ».
Sur le plan universitaire, la position de Saint-Lô est quelque peu particulière. Composante de l’université de Caen Basse-Normandie, deuxième site de l’IUT Cherbourg Manche,
le centre de formation est en réalité doublement délocalisé. Située dans un département
rural où les nouvelles technologies ne sont pas à grande échelle un moteur d’innovation
économique, la LP D2PC pourrait apparaître comme une anomalie.
En réalité, ce projet, porté par les acteurs politiques locaux et une équipe pédagogique ambitieuse, est la preuve tangible que la ténacité, le maillage territorial et la veille économique peuvent avoir raison du déterminisme. Plus encore, on peut penser que la formation
constitue un ferment et qu’elle participe à sa mesure au développement du territoire.
À l’heure du tout numérique et du tout patrimoine, l’université a le devoir de former
des étudiants qui sauront mettre en valeur le patrimoine culturel de manière raisonnée.
Cette dimension est essentielle en des temps où la vulgarisation de l’outil informatique
donne facilement l’illusion du savoir (faire) et où les difficultés budgétaires du secteur culturel public laissent à craindre des dérives.
L’origine du projet
La création de la LP D2PC trouve ses origines dans la réalisation d’une restitution virtuelle de la ville de Saint-Lô dans son état d’avant-guerre, Saint-Lô Retrouvé (fig. 1 et 2). Conçu
dans la droite ligne du « devoir de mémoire », le projet proposait d’emblée la mixité de
l’écriture mémorielle.
Dans une ville où les dépôts d’archives ont brûlé, les témoignages des anciens permirent de retrouver le Saint-Lô d’avant le drame, tandis que les jeunes générations pouvaient
mettre en image, en valeur et en somme recréer une trace de ce qui fut et n’est plus, grâce
aux techniques de la 3D. La diffusion de la vidéo connut un vif succès et constitue la preuve
que la réalité virtuelle peut être un médium transgénérationnel qui propose une nouvelle
approche des publics mais aussi un formidable outil de vulgarisation de la démarche historique. Ce projet a aussi montré la voie de la maquette pédagogique présentée au ministère
avec deux axes majeurs quant à l’apprentissage : la constitution d’un dossier scientifique,
la réalisation du support tridimensionnel et son intégration.
Les contenus
La LP D2PC est une formation de niveau L3 qui court sur une année, scindée en deux
semestres : un premier met en place une méthodologie de travail que les étudiants mettent
en application et approfondissent au second semestre lors des projets tuteurés (5 semaines) et
des stages (14 semaines). Les étudiants provenant d’horizons très divers, les premières
semaines de cours sont consacrées à une harmonisation. Viennent ensuite l’apprentissage
d’une méthodologie d’approche et de mise en œuvre des sources et celui des techniques
informatiques (voir le tableau ci-après).
Le parti pris pédagogique est double : il est d’abord celui indispensable de la transdisciplinarité (sciences humaines et sociales et sciences dites dures), les étudiants étant destinés
Schedae, 2009, prépublication n° 26, (fascicule n° 3, p. 49-54).
http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0262009.pdf
51
Fig. 1 : L’église Notre-dame de Saint-Lô après les bombardements de 1944
(Conseil régional de Basse-Normandie / National Archives USA)
Fig. 2 : Capture de la vidéo Saint-Lô Retrouvé
(Musée des beaux-arts de Saint-Lô)
à devenir chef de projet doivent maîtriser la filière ; il est aussi celui d’une réalité virtuelle
appliquée à des projets bien réels. Tout un réseau de partenaires aide à la mise en œuvre
de projets pédagogiques tandis que les travaux des étudiants permettent souvent à des
réalisations de voir le jour dans des structures qui n’ont ni les moyens matériels ni les compétences pour donner corps à leurs ambitions en la matière.
Face à l’infinitude des sujets possibles, les solutions privilégiées sont toujours celle d’une
approche méthodologique qui permet la transversalité des compétences.
Prenons quelques exemples :
– La modélisation de l’abbaye de Villers-Canivet (14) entreprise en 2008 (fig. 3) : un dossier
scientifique est construit sur la base des relevés topographiques, des sources iconographiques, grâce au recoupement des données avec celles d’autres abbayes lorsque la
documentation est lacunaire ; le projet intègre ensuite la notion de pédagogie différenciée puisque chaque étudiant s’approprie la modélisation d’un ou de plusieurs
bâtiments en fonction de ses compétences et de ses ambitions ; le plan au sol se remplit ainsi progressivement ; en 2009, la continuation du projet doit aboutir à l’intégration
sous Virtools et à une scénographie de la visite virtuelle via un dvdrom.
– La scénarisation des modélisations de l’équipe du « Plan de Rome » (fig. 4) : il s’agit de
créer des modules vidéo d’une minute capables d’intégrer le site Internet refondu.
– La modélisation de vitraux en lecture croisée (SHS et informatique) permet d’aborder
la question de la restitution de la lumière virtuelle (fig. 5).
Sur le semestre d’apprentissage, les étudiants ne peuvent prétendre à une connaissance
exhaustive des matériels, des langages de programmation, des logiciels de création 2D et
3D, d’intégration, etc. Le choix d’une adaptabilité et d’une forte polyvalence des jeunes
Schedae, 2009, prépublication n° 26, (fascicule n° 3, p. 49-54).
http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0262009.pdf
52
UE
Compétences attendues
2
3
4
Modalités
Durée totale
de l’enseignement
(en heures)
(cours, TD, TP)
Disposer des prérequis
techniques pour les
futures compétences
Mathématiques pour l’image
Infographie
Outils multimédia-HTML
Outils multimédia-Flash
Architecture des bâtiments
Communication multimédia
Introduction au patrimoine
Harmonisation informatique
15
24
10
15
6
10,5
11
18
TP
TD TP
TD TP
TP
CM
CM TD TP
CM TD TP
TD TP
Analyse d’un produit,
situer un projet et le
conduire
Art et esthétique multimédia
Histoire de l’art
Histoire de l’urbanisme
Méthodologie de projet
Anglais
25,5
12
12,5
20
15
CM TD
CM
CM
TD
TD
Développement des
compétences de production
Écriture et scénarisation multimédia
Production multimédia
Production audiovisuelle
Système d’information et bases de données multimédia
Services et réseaux haut débit
24
19,5
19,5
16,5
CM TD TP
TD TP
CM TP
CM TD TP
11,5
CM TD TP
Mettre en valeur
les produits
Ergonomie et interface utilisateur
Outils multimédia à destination de la
FOAD
Psychologie de l’apprentissage
30
30,5
11
TD TP
CM TP
CM TP
Conception et
modélisation 3D
Gestion du patrimoine, bases de données
patrimoniales
19
Synthèse d’images 3D
30
Réalité virtuelle
43,5
0
1
Disciplines concernées
5
Investissement individuel dans la spécialité
50
6
Confrontation à la réali- Projet tuteuré
sation d’un produit final
150
14 semaines
7
Mise en valeur dans
Stage
l’entreprise des compétences acquises dans le
centre de formation
CM TD TP
TD TP
CM TD TP
Tableau 1 : Programme des enseignements de la licence professionnelle D2PC
Fig. 3 : Plan au sol de la restitution virtuelle
de l’abbaye de Villers-Canivet (département SRC)
Schedae, 2009, prépublication n° 26, (fascicule n° 3, p. 49-54).
http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0262009.pdf
53
Fig. 4 : Reconstitution virtuelle de la basilique Julia
dans la Rome antique (UCBN – Plan de Rome)
Fig. 5 : Réalisation sous 3DS Max (ERSAM)
diplômés sur le marché du travail est opéré au détriment d’une spécialisation mais en
conscience : il s’agit en effet de former de futurs chefs de projet et l’on sait que le secteur
des nouvelles technologies plus que tout autre impose une formation continue soutenue.
Ainsi, les étudiants appréhendent aussi bien les solutions logicielles avec licence que
les solutions open source (3DS Max et Blender), de même qu’ils travaillent sur les différents
systèmes d’exploitation (Windows, Mac, Linux). Par ailleurs, on sait d’expérience que les
jeunes diplômés arrivant dans l’entreprise sur un secteur émergent jouent un rôle de conseil dans la politique d’acquisition des matériels. On connaît également la non-uniformité
des matériels et licences utilisés dans le secteur.
Ce choix renforce l’idée de l’acquisition d’une logique de travail qui passe par la
méthodologie. Ceci présente un énorme avantage en ce sens que déjà dans la formation,
ils sont capables de travailler rapidement sur des projets de dimension réelle aussi bien
dans le cadre pédagogique que dans les deux temps du deuxième semestre : le projet
tuteuré et le stage. Ils mettent en œuvre leurs savoir et savoir-faire au sein de structures
partenaires de la LP : c’est ce qui donne le crédit, la crédibilité même de la formation. Tous
les partenariats servent les deux objectifs initiaux de la LP D2PC.
Il s’agit en premier lieu de mailler un territoire. Dès la création de la LP D2PC, la ville de
Saint-Lô est devenue partenaire (musée du Bocage Normand-Ferme de Boisjugan, fonds
précieux de la médiathèque, théâtre Roger Ferdinand), tout comme le conseil général de
la Manche (le Service des sites et musées qui gère dix-sept sites du département dont l’île de
Tatihou, la batterie d’Azeville, l’abbaye de Hambye), le conseil régional de Basse-Normandie
(Centre des technologies nouvelles, le Conseil économique et social de région) ; des partenaires privés également, comme le musée Airborne de Sainte-Mère-Église pour son projet d’extension qui associe la formation à sa réflexion sur la question de l’utilisation des
technologies nouvelles dans les nouvelles scénographies et s’intègre à des projets de
recherche et développement sur la numérisation des collections. La liste ne saurait être
exhaustive mais elle vise à éclairer le lecteur sur la nature des projets en cours.
En second lieu, pour bien marquer la vocation universitaire des formations dispensées
en IUT, il est crucial qu’elles participent au développement de programmes de recherche
au sein même de l’université de rattachement. Ainsi, la LP D2PC a rejoint le CIREVE (Centre
interdisciplinaire de réalité virtuelle) dès la création du service commun en 2006 (devenu
PPF, Plan Pluri Formation). Originellement, c’est sous couvert des équipes de recherche de
leurs responsables qu’elle apparaissait en son sein. Depuis l’automne 2007, elle existe en
tant que formation. Dans le cadre du CIREVE, elle travaille en collaboration avec les équipes
du GEOPHEN (Vallée de la Dives), du CRAHAM (église Notre-Dame-du-Vœu de Cherbourg),
le « Plan de Rome », partenaire historique de la LP D2PC (avec les contributions aussi sur le
plan pédagogique de Philippe Fleury, responsable de l’équipe, Sophie Madeleine, ingénieur
de recherche, Nicolas Lefèvre, infographiste 3D), le CERReV pour la création d’environnements virtuels dédiés à la perception interculturelle (doctorantes en psychologie cognitive
Schedae, 2009, prépublication n° 26, (fascicule n° 3, p. 49-54).
http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0262009.pdf
54
sous la direction d’Agnès Salinas), le GREYC, en collaboration avec le CERReV et le « Plan
de Rome » pour un projet de création d’avatar-guide virtuel. Ce dernier projet est exemplaire de la politique transdisciplinaire menée à la fois par le CIREVE et la LP D2PC. On
peut ajouter que la LP D2PC, outre la mise à disposition des compétences de ses étudiants, participe également à la mutualisation des moyens matériels (parc informatique,
locaux, licences, scanner 3D, centre de ressources documentaires – spécialisation du fonds
documentaire de la bibliothèque universitaire).
À la lecture de ce qui précède, on pourrait imaginer un fonctionnement en vase clos,
autarcique et donc voué à l’épuisement. Il n’en est rien car la cohérence des projets et le
travail en réseau génèrent une synergie qui rend l’action visible de l’extérieur. Efficace et
bien entourée, la LP D2PC consolide et élargit ses partenariats. Son réseau en intègre d’autres.
Si, à la fin de la première année, s’est posée la question de la réorientation de la LP
D2PC vers des applications plus industrielles (design automobile, par exemple), il semble
que la persévérance à défendre la dimension patrimoniale était judicieuse et qu’elle porte
aujourd’hui ses fruits. En témoignent : l’évolution de l’insertion professionnelle des étudiants
(nature et durée des contrats, missions assignées aux jeunes diplômés : assistant chef de
projet au musée Airborne, infographiste 3D au Plan de Rome, responsable communication
à la SCIC des Sept Vents du Cotentin, etc.), l’ouverture de partenariats aux niveaux national
et international, la formation continue de professionnels des métiers de la culture, de la
presse écrite, mais aussi des infographistes qui souhaitent une (re)mise à niveau, et surtout,
la reconduction en 2008 pour quatre ans de la LPD2PC en l’état.
Cette dernière nouvelle autorise à être ambitieux, et les projets sont nombreux. Le
premier souci est celui d’intégrer toujours plus et toujours mieux les diplômés dans le monde
professionnel et dans les métiers pour lesquels ils sont formés. Les réponses apportées aux
entreprises qui font appel à nos stagiaires laissent à penser que l’impulsion est donnée. À
ce titre, le département Services et réseaux de communication qui porte la licence veut
aller plus avant dans le domaine de la recherche et développement et il ouvre un centre
d’expérimentation et de formation pour la réalité virtuelle avec le souhait d’accueillir des
projets de recherche, de permettre une mutualisation des moyens matériels ouverte à des
partenaires industriels et de voir ses locaux s’équiper en 2010 d’une salle de cinéma en stéréoscopie.
Schedae, 2009, prépublication n° 26, (fascicule n° 3, p. 49-54).
http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0262009.pdf

Documents pareils