La science dans les quotidiens. La face cachée des journaux
Transcription
La science dans les quotidiens. La face cachée des journaux
La science dans les quotidiens La face cachée des journaux par Nathalie Kinnard Le clonage de la brebis Dolly, les organismes génétiquement modifiés (OGM), les nutraceutiques, le décryptage du génome humain… Les percées scientifiques révolutionnent la société et la font évoluer. Pourtant, la science n’occupe qu’une place discrète dans les quotidiens francophones du Québec. Seule la santé reçoit un traitement de faveur. L’exception qui confirme la règle ? Le Livre des Proverbes nous l’enseigne : « La science vaut mieux que l’or pur. » D’ailleurs, de nos jours, « [elle] mobilise d’importants fonds publics et, à ce titre, doit être couverte comme tout autre domaine d’intérêt collectif », écrit Pierre Sormany dans son livre Le métier de journaliste – guide des outils et des pratiques du journalisme au Québec1. Alors, pourquoi la science ne faitelle pas les manchettes au même titre que la politique, l’économie ou le sport ? « La science fait peur aux médias », explique Judith Lachapelle, journaliste au Devoir. « Ils la voient comme inaccessible à cause de son vocabulaire et de ses concepts souvent complexes ». Selon André Pratte de La Presse, c’est l’accès aux nouvelles scientifiques qui pose problème. « Les quotidiens ne reçoivent pas plusieurs communiqués par jour annonçant des découvertes scientifiques. Souvent, le journaliste doit chercher lui-même la nouvelle parmi les revues spécialisées, ce qui demande du temps ». Et puis, il ne faut pas se le cacher, « le journalisme scientifique n’est pas le 1. Les extraits tirés de cet ouvrage proviennent de l’édition de 1990, publiée aux Éditions du Boréal (Sherbrooke), p. 309-311. royaume du “scoop” ! », comme le souligne Pierre Sormany dans son ouvrage. Dans le monde de la science, l’événement urgent est rare. Conséquemment, une nouvelle scientifique peut être diffusée une semaine après la découverte et rester tout de même d’actualité. La science au quotidien « La science occupe une place largement insuffisante dans les quotidiens québécois », pense Caroline Julien, présidente de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec (ACS). En 1994, l’appel lancé par le Conseil de la science et de la technologie du Québec (CST) pour augmenter la présence de la science dans les médias est demeurée sans écho. La présence escomptée a plutôt diminué au cours des dernières années, se glissant ponctuellement parmi les actualités, notamment grâce aux nouvelles proposées par les agences de presse. « [La science] se faufile rarement jusqu’à la une! », précise Mme Julien. Dans les faits, l’importance accordée aux informations scientifiques par les journaux varie d’une page hebdomadaire, ou d’un cahier, à rien du tout ! (Voir l’encadré Les quotidiens dépouillés de leur science !) Par exemple, Le Nouvelliste a cessé officiellement de publier sa page Info-Santé le 12 mars 2001 pour se consacrer à l’actualité régionale et internationale. « Nous parlons tout de même occasionnellement de science, comme dans le cas d’une découverte d’intérêt général », explique André Poitras, rédacteur en chef de ce journal. Le lecteur sans véritable formation scientifique compte pourtant sur les médias Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001 grand public pour connaître cette culture qui, autrement, lui resterait étrangère. Or, selon une étude de l’ACS parue en 1992, les grands médias répondent mal à ce besoin des lecteurs. « Le public a d’autant plus besoin d’un accès facile à cette culture qu’une grande partie des Québécois en est exclue dès l’adolescence », affirme Caroline Julien. De fait, déjà à l’école secondaire, les jeunes peuvent choisir entre la filière « science » et la filière « humaine » ; ceux qui retiennent la première acquièrent une bonne culture scientifique, alors que ceux qui optent pour la seconde n’y sont guère exposés. « Cette division est lourde de conséquences, estime la présidente de l’ACS, surtout quand on songe que la majorité des décideurs de notre société sont issus de la filière “humaine” ». Ainsi, faute de culture scientifique, les dirigeants valorisent peu la science… qui, de ce fait, n’attire ni les jeunes, ni les journalistes, ni les médias. Le cercle vicieux continue alors son cycle ! Un secteur « en santé » Si la science en général brille par sa quasiabsence dans les médias québécois, il existe pourtant une exception de taille : la santé. « La santé est le thème scientifique privilégié », affirme Pascal Lapointe, rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse qui alimente les médias en informations scientifiques. La santé peut effectivement se vanter de faire couler beaucoup d’encre. À titre d’exemple, parmi les articles à caractère scientifique recensés dans plusieurs quotidiens québécois durant la semaine du 14 au 20 février 2001, 50 % portaient sur la santé. Pourquoi un tel succès ? Pierre Sormany ose une hypothèse dans Le métier de journaliste : « Lorsqu’elle porte sur le domaine médical, [l’] information rejoint les gens dans leurs angoisses, leur donne parfois des moyens d’action sur leur propre vie et [sur] leur santé, 4 leur redonne espoir. » « La santé intéresse sans aucun doute les lecteurs », renchérit André Pratte, « mais, surtout, il s’y fait énormément de recherches. Donc, plus d’informations disponibles ! Autre raison : le domaine de la santé est très bien organisé quant à la diffusion de ses découvertes. » En effet, les chercheurs approchent les médias lors de résultats de recherche intéressants. Ils organisent des conférences de presse et font de la publicité, alors que les autres secteurs scientifiques demeurent plutôt timides. Pas étonnant que le monde de la santé soit plus accessible aux journalistes… qui le lui rendent bien ! D’autres sujets scientifiques retiennent tout de même l’attention des médias, lesquels se basent sur l’intérêt anticipé des lecteurs et sur les nouvelles émises par les agences de presse. D’après Judith Lachapelle et Pascal Lapointe, l’environnement parvient à se tailler une place respectable dans les journaux, principalement avec des articles sur le réchauffement planétaire – un sujet « chaud » actuellement. « Le monde de l’espace fascine aussi beaucoup les lecteurs », avoue Mme Lachapelle. Sans toutefois créer ombrage à la santé (!), l’astronomie et la conquête spatiale viennent ainsi au troisième rang des thèmes scientifiques privilégiés. La science de l’avenir Hormis la santé, l’astronomie, l’espace et le réchauffement planétaire, les autres nouvelles scientifiques sont-elles condamnées au silence dans les quotidiens généralistes ? « Pas forcément, rétorque Caroline Julien, les entreprises de pointe et les regroupements industriels peuvent exercer une pression de nature économique sur les médias – par exemple, en exigeant que leur publicité soit publiée dans des pages d’informations scientifiques, techniques ou médicales. » Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001 Soucieux d’encourager une hausse du niveau de culture scientifique et technologique de la population, le gouvernement québécois propose, dans sa nouvelle politique de la science et de l’innovation, d’appuyer la diffusion de l’information scientifique dans les différents médias. « Dans un contexte où les dépenses de recherche et développement sont largement soutenues par les fonds publics, il est grandement justifié de vouloir valoriser davantage les résultats de la recherche, tant sur le plan de leur diffusion auprès du grand public que sur celui de leur exploitation », précisait récemment le ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Jean Rochon. Vous avez dit « science » ? Un chercheur reçoit un prix Nobel ou meurt subitement dans un accident ? Non, ces nouvelles ne traitent pas directement de science ! La « véritable» information scientifique concerne « la découverte de nouvelles connaissances, l’expérimentation de nouveaux traitements, la mise au point de nouvelles techniques », rapporte Pierre Sormany dans son ouvrage. Donc, attention ! Les seuls mots OGM, environnement ou génétique ne nous permettent pas de qualifier un article de scientifique… L’ACS a aussi décidé de prendre le taureau par les cornes. Elle vient d’obtenir une subvention du ministère de la Culture et des Communications du Québec pour son projet Faire fleurir la science dans les médias . L’association promet entre autres de rencontrer les dirigeants des quotidiens québécois pour les amener à consacrer plus d’espace et de ressources à la thématique scientifique. Reste maintenant à voir si les médias jugent que la science vaut bel et bien mieux que l’or ! 5 Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001 Les quotidiens dépouillés de leur science ! Dépouillement réalisé pendant la semaine du 14 au 20 février 2001 Quotidiens Articles traitant de sciences La Presse (Montréal) 25 La Tribune (Sherbrooke) 1 Le Devoir (Montréal) 10 Le Droit (Hull/Ottawa) 2 Le Journal de Québec 12 Le Nouvelliste (Trois-Rivières) 3 Le Quotidien de Chicoutimi 2 Le Soleil (Québec) 9 Cahiers spéciaux Journalistes attitrés aux sciences Sources des informations Cahier Santé et Mathieu Perreault page Sciences André Pratte (dimanche) (sciences sociales) Andrée Lebel (santé) Page Santé Non (occasionnelle) Page Sciences Judith Lachapelle (deux lundis Louis-Gilles Francœur par mois) (environnement) Isabelle Paré (santé) Page Santé Non disponible (lundi) Cahier Internet et sciences (mardi) Page Sciences Michel Marsolais (dimanche) (Journal de Montréal) Page Santé Johanne Roy (occasionnelle) (santé) Aucun Non Agence Science-Presse Revues étrangères de vulgarisation Revues scientifiques Page Santé et Non consommation (dimanche*) Page Santé Non (dimanche) Agences de presse étrangère Non disponible Agence Science-Presse Internet Quotidiens étrangers Revues scientifiques Non disponible Agence France-Presse Agence de presse canadienne Non disponible Agences de presse Chroniques de Josianne Cyr (nutritionniste) Collaborations * Retrouvée dans Progrès-Dimanche, qui prend la relève du Quotidien de Chicoutimi le dimanche. 6 Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle no 4, 2001