Le Déjeuner sur l`herbe est un tableau d`Édouard Manet
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Le Déjeuner sur l`herbe est un tableau d`Édouard Manet
Introduction : Le Déjeuner sur l'herbe est un tableau d’Édouard Manet (né à Paris le 23 janvier 1832, mort le 30 avril 1883), peintre français majeur de la fin du XIX°s. Quoique souvent inspiré pas les maîtres classiques → Manet peint relativement « sombre », suivant en cela les préceptes académiques auxquels il revient parfois comme pour prouver son savoir-faire_il révolutionne son art, par la spontanéité précoce de sa manière de rendre un spectacle directement observé et dans l'oubli du « sujet académique » au profit d'une affirmation de l'œuvre pour elle-même, et devient, en dépit de ses protestations, le chef de file des impressionnistes. Ses audaces picturales ouvrent la voie à la peinture moderne. Le Déjeuner sur l'herbe fait scandale lors de son apparition en 1863. PB : En quoi le Déjeuner sur l'herbe est-elle une œuvre charnière, qui marque le passage d'une époque à une autre ? I) L'influence académique reste présente dans cette œuvre : II) Cependant, cette œuvre fait scandale à son époque car elle s'éloigne des conventions : III) Le paradoxe entre l'influence académique et l'éloignement des conventions marque les débuts de la peinture moderne : Analyse descriptive : Il présente des personnages de grandeur naturelle dans un décor champêtre : un banal pique-nique à la campagne → activité favorite des citadins durant leur week-end. Une femme, sortie du bain, se sèche, nue sur l’herbe en compagnie de deux hommes habillés. Au loin, une rivière dans laquelle se baigne une femme pudiquement voilée dans le respect des traditions. Il y a là quelques feuillages, quelques troncs d'arbres, et à l'arrière, le paysage est vite fait, pas travaillé dans le détail. Le regard de la femme semble sortir du tableau, il surgit dans la vrai vie. Interpellé avec arrogance, le spectateur se retrouve lui-même au milieu du tableau, comme saisi sur le vif. Le nu ne prétend pas être beau, différent du classicisme : idéalisme pictural. Au bas du regard de la femme, une nature morte autour d'un panier renversé ; l’on reconnaît du pain et des fruits (des cerises, des figues) sur un lit de verdure. I) L'influence académique reste présente dans cette œuvre : a) Inspirations : ▪ Raimondi, Le Jugement de Pâris : – Même pose des 3 personnages de droite. – Ils sont inscrits dans un parallélépipède, chez Manet ce sera plutôt un triangle. – Même attitude langoureuse et pensive chez la femme de Manet et chez celle assise à gauche chez Raimondi (elles appuient toutes deux leur menton sur la main ouverte, celle-ci reposant sur le genou de la jambe droite pliée.) – A droite, l’homme couché et vu de trois quarts s’appuie de la même façon sur son bras gauche, tend son bras droit vers l’avant cependant que les jambes sont pareillement écartées. Les branches de roseau que le personnage de Raimondi tient dans chaque main sont simplement devenues une canne chez Manet, qui présente toutefois la même ligne oblique. – Entre les deux, un homme est assis lui aussi, bien que la tête et le torse ne soient pas vus sous le même angle. Derrière les trois personnages, on distingue de l’eau à chaque fois. – Enfin, dans les deux cas, la scène se déroule à l’extérieur. ▪ Titien, Le Concert champêtre, alors attribuée à Giorgionne : – Scène d’extérieur également – Dans un paysage bucolique deux hommes et deux femmes, exactement comme chez Manet. – Les deux hommes sont habillés alors que les deux femmes sont nues – ou suggestivement déshabillées. – La présence de l’eau par la femme qui s’appuie sur la margelle pour en puiser, geste évoquant la femme qui, chez Manet, à l’arrière-plan, se penche et trempe sa main dans l’eau. Cette œuvre est exposée au Louvre et n’a pas fait scandale, les deux femmes nues pouvant être prises pour des allégories qui, de plus, renvoient à l’univers de l’antiquité grecque. b) Technique élaborée : ▪ Matériaux : – Un fini dans l’exécution ; peinture dite léchée. En effet, Manet n’a pas utilisé de matière épaisse, mais des glacis = préparation peu chargée en pigments, afin d’avoir un film [fine pellicule] translucide, si on se positionne sur les côtés du tableau, on ne distingue aucun relief de peinture. ▪ Perspective et profondeur : La nature morte, en bas à gauche, forme le premier plan de la perspective. Le second est donné par les trois personnages assis et le dernier par la baigneuse. La notion de profondeur et de perspective est également suggérée par une ligne oblique qui part des vêtements, frôle la tête de la femme et de son compagnon pour aboutir au dos courbé de la baigneuse. Intéressons-nous d’ailleurs aux lignes de fuite de part et d’autre des personnages. Si l’on relie avec une règle les arbres du premier plan et ceux du fond, on constate que les lignes forment un triangle dont le point de convergence se situe au milieu de la toile, juste au-dessus de la femme dans l’eau. L’alignement des arbres crée aussi l’illusion de la perspective : ainsi les arbres sont de taille différente, en rapport avec leur éloignement. Par ailleurs, la jambe de la femme au premier plan trace une parallèle avec la ligne que suggèrent la canne du premier homme et le bras de l’homme assis derrière elle. Ainsi, main tendue et regard de l’homme à la canne, tout est fait pour attirer notre regard sur le milieu du tableau. A ces lignes obliques et celles verticales des troncs d’arbres s’oppose la courbe des corps féminins penchés, pour contrebalancer les premières et atténuer l’impression de raideur. Chaque figure se détache du tableau pour une meilleure lisibilité. Cet aspect trop géométrique est d’ailleurs largement et habilement amoindri par le savant négligé du fouillis que font les vêtements déposés sur le sol, le panier renversé et les aliments étalés. Tout cela est très classique. Il faut donc appréhender autrement Le Déjeuner sur l’herbe si l’on veut comprendre la violence du déchaînement qui s’est abattue sur la toile de Manet. II) Cependant cette œuvre fait scandale à son époque car elle s'éloigne des conventions : a) Un nu qui semble insulter l'idéalisme classique : En 1863, Edouard Manet se voit refuser par le jury du Salon, la plus grande exposition d'art contemporaine de l'époque Le Déjeuner sur l’herbe d'abord intitulé Le Bain, puis La Partie carrée. Exposée alors au Salon des Refusés de 1863 créé pour les milliers de tableaux rejetés par le grand jury, l'œuvre provoque un violent scandale : l’impératrice en est scandalisée, l’empereur déclare que la toile porte outrage à la pudeur et le public éclate en fous rires devant cette œuvre. La juxtaposition d'une femme nue avec des hommes entièrement vêtus a suscité la controverse. La nudité en elle-même ne peut guère choquer un public qui a l’habitude des Vénus et d’autres allégories permettant de dévoiler des corps féminins. Cette juxtaposition de corps nus (ou à demi nus) et d’autres habillés selon la mode de l’époque (« en béret et paletot » note un critique) renvoie à une scène réaliste et choque dans la mesure où elle ne présente plus rien de ces turqueries, allégories et « grecqueries » qui servaient de prétexte jusqu’alors. L’on est proche d’une scène érotique que le peintre suggère allusivement de la sorte ; il avait d’ailleurs titré son tableau Partie carrée, car l’on est indiscutablement en galante compagnie. Ce qui est plus nouveau, c’est l’opposition des couleurs où le noir des vêtements masculins met en valeur la blancheur des chairs féminines qui ne sont pas idéalisées comme dans les références grecques. Les plis du ventre (à propos duquel on parle de modelé), la générosité de la poitrine plus qu’entraperçue, la force de la cuisse et, enfin, le regard du modèle qui fixe directement et crânement le spectateur sont une invitation au voyeurisme et sont perçus comme une provocation esthétique. Sa nudité même, assise sur un voile (qui n’est pas sans évoquer celui, transparent de la femme assise chez Le Titien) fait supposer à certains qu’elle vient de se baigner et qu’elle s’est assise toute nue sans complexe dans la compagnie masculine. Ces hommes d’ailleurs semblent trouver normal pareil comportement puisqu’ils sont en pleine discussion (ce que prouve la main tendue) et que leurs regards se croisent, ne prêtant aucun attention à cette femme qui s’exhibe de la sorte. b) Une manière de peindre s'éloignant de certaines conventions : Manet traite le paysage avec beaucoup de désinvolture. Ce qui choque alors c’est le contraste brutal entre les personnages et le fond. On a l’impression de personnages découpés et plaqués sur un fond traité en aplats comme on le fait dans les tapisseries. A partir de la femme dans l’eau, le paysage n’est plus minutieusement peint, il reste seulement des taches qui font fouillis et qui s’opposent à la pureté des lignes et des motifs classiques. Ces taches de lumière dans le sous-bois sont en effet posées par touches larges et n’ont pas ce caractère de finition auxquels les paysages classiques ont habitué le public. On dirait que Manet a négligé ce fond pour ne s’intéresser qu’aux oppositions de couleurs et de masses. Les critiques de l'époque diront même de cette œuvre « Comment peut-on peindre aussi mal ? » De la femme dans l’eau, on a dit qu’il s’agissait d’un clin d’œil ironique de Manet aux sujets académiques en vogue. Elle semble effectivement faire partie d’un autre monde, elle qui plastiquement flotte dans la toile, mais il faut remarquer que la pureté (l’eau et la blancheur) qui est censée être liée à ce thème est mal traitée (maltraitée ?) par notre peintre qui a délibérément sali la chair et le blanc de la tunique. Dès lors, on comprend mieux que la référence à la Renaissance (Raimondi, Le Titien) se soit retournée contre notre peintre qu’on a accusé de salir les Anciens et de pousser à la caricature des œuvres que l’on était censé vénérer. Manet apparaissait ainsi, à tout point de vue, comme un iconoclaste. Manet représente des personnages réels qui soulignent la portée réaliste de l'œuvre. c) Intention du peintre : Le déjeuner sur l'herbe est issu d'années de recherches formelles que Manet entreprend dès les années 50. Une esquisse du tableau montre qu'il imaginait au départ une scène de baignade classique au goût vénitien. En introduisant un sujet contemporain dans ce contexte aux fortes prégnances antiques, Manet souhaite créer un décalage insoutenable en cette époque impériale. Il ouvre la voie à l'impressionnisme en se rebellant, avec les moyens même de la représentation picturale classique qu'il avait si minutieusement apprise et étudiée, contre les conventions académiques devenues si rigides qu'elles interdisaient de peindre les sujets contemporains. Au lieu de peindre une scène de baignade idéalisée, maintenant une distance avec le spectateur, il le confronte avec de simples citadins en goguette dans une partie de campagne sensuelle trop proches de lui. Manet a voulu dévoiler un aspect des mœurs contemporaines. Quitte à parler de son époque, autant aller à l'essentiel : le rapport entre les hommes et les femmes, la vie bourgeoise et son rapport avec la sensualité. Aucune connotation morale n'investit le tableau, Manet manifeste juste l'envie de montrer des êtres qui prennent du plaisir. Manifeste de la nouvelle peinture qui rompt avec la tradition, bouscule le bon goût des bourgeois qui visitent les expositions de l'époque. Il chahute les grands maîtres (Titien, Raimondi). III) De nombreux artistes se sont inspirés de cette œuvre : Claude Monet : En 1865, Claude Monet commença à peindre son propre Déjeuner sur l'herbe en réponse à celui de Manet. Toutefois, cet immense tableau (4,6 par plus de 6 m) est demeuré incomplet. Il représente une scène plus socialement acceptable de récréation bourgeoise (on remarque Camille Monet et Frédéric Bazille), mais puisqu'il s'agit d'une démonstration du nouveau style impressionniste, l'accent est plus sur les effets de lumière que sur le sujet comme tel. Le jeu subtil d'ombre et de lumière démontre les avantages de la peinture pleinairiste et contraste avec la lumière d'atelier peu naturelle de Manet. Après que la peinture monumentale eut été endommagée par l'humidité, Monet l'a découpée en trois. Les sections de gauche et du centre sont maintenant au musée d'Orsay, mais la troisième est perdue. → rendre hommage à Manet → produire son propre effet, moins choquant Pablo Picasso : En 1961, près d'un siècle après le Déjeuner de Manet, un Pablo Picasso vieillissant choisit de s'attaquer à ce grand monument de l'art moderne. En moins de deux ans, Pablo Picasso a réalisé 26 toiles (le Musée d'Orsay en présente 14 versions), six gravures sur linoléum et 140 dessins d'après le tableau de Manet. → éprouve le besoin de se confronter aux maîtres de la peinture, pilier de la peinture moderne. → la peinture est vivante, même si elle est inscrite pour l'éternité dans un parcours de musée. Alain Jacquet : L'artiste de pop art français Alain Jacquet a fait, en 1964, une interprétation du Déjeuner sur l'herbe par une approche photographique et en utilisant un tirage sérigraphique. → revisite le tableau de façon moderne '(éléments) et vivante. Conclusion : Le Déjeuner sur l'herbe est une œuvre charnière car elle s'inclue dans la querelle des Modernes, qui souhaitent s'émanciper des académismes, et des Anciens qui souhaitent conserver l'idéalisme classique. Elle présente comme d'autres œuvres de Manet Olympia (1863) des sujets d'écriture classique mais réactualisés avec génie dans le monde contemporain, transpositions réalistes, introduction d'éléments contemporains dans une œuvre classique...Grâce à ce tableau, Manet devient le chef de file de toute un génération ayant droit de tout oser ! La beauté doit surprendre, bouleverser les habitudes paresseuses du regard. Pour les futurs impressionnistes, il va devenir un exemple d'une nouvelle manière de peindre, un nouveau guide autour duquel ils vont se rassembler. Ainsi Émile Zola, à partir de 1865, prend fait et cause pour Manet en écrivant que sa peinture est une révolution concernant non seulement les thèmes même de la peinture mais aussi les moyens picturaux.