Serious Games : A quoi jouent les futurs managers

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Serious Games : A quoi jouent les futurs managers
Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
Enjeux et stratégie d’intégration des jeux de simulation
dans l’enseignement supérieur
Hélène MICHEL (Grenoble Ecole de Management – [email protected])
Imed BOUGHZALA (Institut TELECOM/T&M Sud Paris- [email protected])
Contexte et objectif
En 2010, l’Institut de l’Entreprise, le Cercle de l’Entreprise et du Management et la FNEGE
ont souligné la nécessité de « repenser la formation des managers ». Ils ont notamment
préconisé de mieux intégrer les soft skills dans l’apprentissage. Ces savoir-être font référence
de façon générale aux compétences relationnelles. Elles intégreraient également « l’esprit
d’entreprise, le leadership, le sens de l’innovation, l’adaptation au changement, le sens du
risque, le sens du compromis gagnant, en somme toute la diplomatie managériale par
laquelle un manager, apprécié de ses subordonnés comme de ses supérieurs, atteint la
création de valeur harmonieuse et sans heurts » (Institut de l’Entreprise, 2010). Comme le
soulignent les auteurs, enseigner les soft skills est une gageüre pédagogique. Des initiatives
existent, misant sur l’apprentissage par essai-erreur, les mises en situation, l’accompagnement
individuel ou le coaching. Toutefois, alors que la qualité de ces dispositifs repose souvent sur
une personnalisation du suivi, il reste complexe et extrêmement coûteux d’envisager leur
déploiement sur des promotions importantes d’étudiant. Le développement des serious games
ou jeux de simulation à vocation professionnelle et pédagogique ouvrent alors de nouvelles
possibilités. En effet, ces simulations permettent aux apprenants de s’immerger dans des
environnements 3D en jouant par exemple un manager effectuant un entretien de recadrage,
un chef de projet délégant des tâches à son équipe, un commercial détectant le besoin d’un
client etc. Aujourd’hui, les pratiques dans l’enseignement supérieur sont encore balbutiantes
et très hétérogènes : Détournement de jeux existants, abonnement à des « stores », commande
de simulations sur mesure ou expérimentation d’outil-auteur afin de créer soir-même ses
serious games. Quel type d’intégration du serious game retenir pour un organisme
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d’enseignement supérieur? En fonction de quels enjeux ? Avec quelles perspectives ? Cet
article clarifiera la notion de serious games en tant que dispositif d’apprentissage. Il
identifiera leurs critères de choix de type et proposera quatre stratégies d’intégration dans
l’enseignement supérieur.
1. De l’entraînement des pilotes de chasse à l’enseignement des soft skills
auprès des étudiants : Généalogie des serious games
Alvarez (2007) définit les serious games comme des « applications informatiques, dont
l’intention initiale est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) [..], avec des
ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Une telle association s’opère par
l’implémentation d’un scénario pédagogique, qui sur le plan informatique correspondrait à
implémenter un habillage (sonore et graphique), une histoire et des règles idoines, a donc
pour but de s’écarter du simple divertissement». Ils s’inscrivent dans plusieurs courants
théoriques et principes d’apprentissage : d’une part dans la lignée des environnements
informatiques pour l’apprentissage humain, d’autre part dans les principes d’apprentissage par
mise en situation, promulguant le droit à l’erreur. La généalogie des serious games peut se
décomposer en quatre périodes (Michel et al, 2010). Tout d’abord, dès 1924, avec
l’avènement des machines à apprendre telle que la Drum Tutor de Pressey (Figure1),
l’apprenant devient responsable de son apprentissage.
Figure 1 : Drum Tutor de Pressey (1924)
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A partir de 1946 avec le projet Whirlwind du MIT, l’introduction de la simulation permet aux
pilotes d’avions militaires de s’entraîner en univers contrôlé. L’apprentissage se fait alors par
essai-erreur dans une approche systémique. Les apprenants sont complètement immergés dans
ce qu'ils font, dans un état de concentration maximal. Cet état mental, le flow - ou état de flux,
leur donner alors un sentiment d’engagement et de réussite (Csíkszentmihályi, 1990).
Figure 2 : Projet Whirlwind (MIT- 1946)
A partir de 1982, la démocratisation des jeux vidéo a permis de diffuser auprès du grand
public le recours aux simulateurs, par exemple avec « Flight Simulator ».
Figure 3: Flight Simulator
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Depuis les années 2000, ces jeux se professionnalisent. Leur approche ludique est mobilisée
afin d’améliorer la motivation et la capacité perçue de l’individu à traiter une information
complexe (Petty, R. E., & Cacioppo, 1986). Dans les années 2000, les entreprises, et
majoritairement les grands comptes, les mobilisent dans le cadre de formation continue, non
seulement pour des compétences techniques (gestion etc.) mais aussi, et surtout, pour des soft
skills afin des valoriser des dimensions interrelationnelles et comportementales. De nombreux
jeux ont ainsi été développé sur les thèmes de : savoir-vivre en entreprise, négocier avec un
client, faire passer un entretien annuel etc.
Figure 4 : Serious Game pour la formation continue
Cependant, il faudra attendre les années 2010 pour que le monde académique, pourtant
aguerri depuis plusieurs décennies aux simulations de gestion (avec des Business Games tels
que Markstrat, Simgest etc.), commence à se saisir de ces outils.
2. Business Vs. Serious Games : le jeu des 6 différences
De nombreuses questions émergent autour des différences entre business et serious games.
Deux lectures coexistent permettant de comprendre comme s’articulent ces derniers. La
première approche est intégrative. Elle considère les business games comme une catégorie des
jeux pour l’apprentissage (ou learning games), eux-mêmes étant une catégorie des serious
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games (parmi les jeux pour la communication externe, interne, de détection de potentiel etc.).
Les business games seraient ainsi une forme de serious games destinés à la formation, initiale
ou continue, sur les fondamentaux des sciences de gestion (gestion d’entreprise, marketing,
stratégie etc.). Ils reposeraient sur des dimensions communes : mobilisation d’une interface
technique, utilisation des ressorts du jeu selon Caillois (1967) : la compétition, le simulacre, le
hasard, l’impression de vertige.
Figure 6 : L’approche intégrative des Business et Serious Games
Business Games
Learning Games
Serious Games
La deuxième approche met en exergue les différences entre business et serious Games selon
trois dimensions : pédagogie, technologie et animation. Ainsi, le Business Game vise
généralement à faire acquérir à l’apprenant une compétence ou savoir-faire comme la gestion
budgétaire, l’analyse financière etc. Pour ce faire, il lui proposera de prendre les manettes
d’une entreprise virtuelle. L’interface technologique se présentera généralement sous forme
de tableaux de bord. L’immersion sera favorisée par un environnement multi-joueurs, avec la
présence simultanée dans cet environnement de plusieurs entreprises virtuelles jouées par des
équipes concurrentes. Ceci fait monter le niveau de hasard et de challenge perçu et renforce
la dimension ludique. La technique d’animation du dispositif passe souvent par la constitution
d’équipes d’apprenants qui vont travailler ensemble et en présentiel sur une période assez
longue (15h en moyenne) pour avancer dans la simulation.
Le serious game, tel qu’il est communément cité aujourd’hui, semble se concentrer sur
l’apprentissage (ou plutôt l’entraînement) à des comportements ou savoir-être (négocier,
détecter un besoin client, savoir-vivre en entreprise etc.). L’unité jouée par l’apprenant n’est
pas un individu mais un individu (manager, collaborateur, commercial etc.). L’interface
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technique utilise la 3D immersive et permet à l’apprenant de plonger un avatar
personnalisable dans un environnement virtuel au graphisme rappelant les jeux vidéo. Il joue
non par contre d’autres apprenants, mais contre une intelligence artificielle. D’un point de vue
animation, le serious game est souvent conçu pour être utilisé auto-formation par un
apprenant seul plutôt qu’une équipe et de façon courte (1h en moyenne). Aujourd’hui,
business et serious games constituent deux dispositifs très complémentaires.
Tableau 1: Comparaison entre business et serious games
Dimensions
Critères
Business Game
Serious Game
Dimension travaillée
Compétences
Comportements
Unité jouée
Entreprise
Individu
Ergonomie
Tableaux de bords,
3D immersive, avatar
grâce au dispositif
Pédagogie
fichier
Technologie
Nombre de joueurs en
Multi-joueurs
Mono-joueur
Souvent en équipe se
Souvent individuel,
retrouvant en présentiel
en auto-formation
15h
1h
ligne
Conditions de jeu
Animation
Durée moyenne du jeu
3. Identifier les enjeux du dispositif d’apprentissage
Choisir un dispositif d’apprentissage pour des apprenants nécessite d’identifier au préalable
les principaux enjeux auxquels l’organisation souhaite répondre par ce procédé. En effet, les
enjeux d’un dispositif d’apprentissage dépassent largement la seule mission de la formation.
Cela questionne également l’organisation et sa stratégie. Et cela se traduit par des objectifs,
indicateurs de performance et critères de choix du dispositif très différents.
Dans cette perspective,
Kirkpatrick (1994) met en évidence quatre dimensions dans
l’évaluation d’un dispositif d’apprentissage :
-
Les réactions : est-ce que ce dispositif vise à améliorer la satisfaction des apprenants ?
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-
L’apprentissage : est-ce que cela cherche à accroitre leur niveau de connaissance
théorique ?
-
Le comportement : est-ce que cela a pour objectif de faire évoluer leur comportement
et leur pratique ?
-
Les résultats organisationnels : est-ce que l’organisation qui met en place le dispositif
cherche des bénéfices tels que la cohésion d’équipe, la valorisation d’un
positionnement etc. ?
Nous intégrons également la dimension proposée par Philips (2003) :
-
Retour sur investissement : Est-ce que l’institution vise un gain économique grâce à ce
dispositif ?
Figure 5 : Modèle d’évaluation de la performance d’un dispositif d’apprentissage
Philips (2002)
Retour sur
investissement
Résultats
Comportement
Knowing- Doing Gap
Pfeffer J. and Sutton R. (2000)
Apprentissage
Réactions
Kirkpatrick (1994)
Les serious games, en offrant un apprentissage par essai-erreur grâce à la simulation se
présentent comme des dispositifs intéressants pour la formation aux soft skills. Ils permettent
ainsi de travailler sur une dimension complémentaire du modèle : le Knowing-Doing gap
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(Pfeffer et Sutton, 2000). En effet, en permettant d’expérimenter les comportements dans une
réalité –virtuelle, même virtuelle, les serious games offrent un système d’aller-retour entre les
connaissances théoriques développées (le Knowing) et la mise en pratique (le Doing). Ce
procédé pouvant favoriser le transfert entre connaissance théorique et application et ainsi
réduire le gap.
4. Les modes d’intégration des Serious Games dans la formation
L‘utilisation encore très récente des serious games dans l’enseignement supérieur offre peu
d’éléments d’évaluation homogènes. Pour mieux saisir les stratégies mises en œuvre, nous
avons mené 2 études de cas au sein de 3 Business School Françaises utilisant des serious
games avons conduit des entretiens auprès de 20 parties-prenantes : directeurs
d’établissement, directeurs de programme, professeurs responsables de modules, responsable
e-learning, directeurs d’entreprise de serious games afin de saisir les enjeux, perspectives
d’utilisation et critères de choix dans l’intégration des serious games. Les résultats permettent
d’identifier les objectifs privilégiés et de définir quatre modes d’intégration différents des
serious games dans l’enseignement supérieur.
Lorsqu’un formateur, un responsable de programme ou un directeur d’organisation
d’enseignement supérieur souhaite intégrer un serious game dans son dispositif de formation,
quatre possibilités s’offrent à lui. Pour définir l’option la mieux adaptée à sa situation, il peut
prendre en compte les cinq dimensions de Kirkpatrick (1994) et Philips (2002), dénommées
ainsi :
•
Satisfaction : la satisfaction des apprenants a été principalement envisagée par les acteurs
sous l’angle de l’immersion et du plaisir à utiliser le dispositif: Le dispositif favorise-t-il
l’immersion de l’apprenant, son état de flux par son graphisme, ses ressorts ludiques
etc. ? Ceci se détecte, par exemple, par de meilleures notes d’évaluations des
enseignements.
•
Apprentissage : les répondants ont souligné la nécessité de l’adéquation pédagogique :
Le sujet traité dans le serious game correspond-il exactement aux objectifs pédagogiques
du formateur, au niveau des étudiants etc. ?
•
Comportement : quelle transférabilité entre ce qui est appris dans le jeu et la réalité du
monde professionnel ? Les répondants sont ici intéressés par des critères tels que les
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retours faits par les entreprises sur les comportements des stagiaires dans les évaluations
réalisées par les tuteurs.
•
Organisation : l’utilisation du serious game est-elle une démarche uniquement
individuelle d’un formateur ou répond-elle à une volonté forte de l’organisation ? quel
support organisationnel est fourni ?
•
Financier : les répondants envisagent cela selon deux temps : à court terme : comment
l’acquisition du serious game va-t-elle impacter le budget ? A moyen et long terme : estce que l’organisation peut conserver des droits d’auteurs et distribuer ses propres jeux ?
Et, ce faisant, faire évoluer son modèle économique ?
Suite aux entretiens, nous avons caractérisé quatre stratégies pour intégrer un serious game
dans un organisme d’enseignement supérieur : Commander un jeu sur mesure, utiliser des
jeux gratuits, acheter des jeux sur étagère ou créer soi-même son jeu grâce à un outil-auteur
(voir tableau 2).
a. Commander un serious game sur mesure
Plusieurs entreprises se sont spécialisées dans la réalisation de serious games sur les softskills.
Elles créent des simulations sur mesure, notamment pour des grands comptes. Aujourd’hui, à
notre connaissance, aucune institution d’enseignement supérieur n’a fait développer un tel
type de serious game, pour des raisons financières. Ceci pourrait évoluer dans les prochaines
années avec des coopérations autour de la contribution au scénario et la répartition des droits
d’auteurs.
•
Satisfaction : Avec le développement d’un serious games sur mesure, par des
professionnels, l’apprenant bénéficie d’un environnement virtuel soigné, de personnages
animés grâce à un moteur d’émotion performant, d’un gameplay ou scénarisation
ludique stimulante. Le niveau de satisfaction lié à l’immersion est généralement fort.
•
Apprentissage : Le jeu étant conçu sur mesure, il doit être en forte adéquation avec les
objectifs pédagogiques de la formation et avec le niveau des étudiants.
•
Comportement : Le jeu étant conçu en respectant l’objectif pédagogique et avec une
immersion forte, la transférabilité attendue est forte.
•
Organisation : Pour définir les objectifs pédagogiques, contribuer à la scénarisation, les
équipes doivent se coordonner. C’est une implication d’un groupe projet dans
l’organisation. Cela représente également d’échanger sur le cœur de métier, les messages
à faire passer etc. Ce type de serious game implique ainsi un fort soutien organisationnel.
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•
Financier : Le soutien se manifeste également d’un point de vue budgétaire, le coût étant
très élevé. Le prix d’un serious game est principalement calculé selon le temps de jeu
envisagé (ou la richesse du scénario) et les technologies utilisés. Les prix d’entrée sont
compris autour de 60 à 80 K euros. Une perspective est la négociation des droits
d’auteurs. L’organisation académique pouvant accepter de céder une partie de ses droits
sur le jeu en contrepartie d’une négociation financière. Des jeux sur mesure peuvent
ainsi coûter « uniquement » 40 K euros. Mais l’entreprise de développement pourra, en
contrepartie, utiliser une version générique de ce jeu pour le distribuer dans son « store »
(voir ci-après).
b. Utiliser un jeu gratuit
La deuxième possibilité pour une institution académique est d’utiliser un serious game gratuit,
pour un objectif pédagogique nouveau ou différent. Il s’agira ainsi d’utiliser un jeu gratuit,
disponible en ligne ou sur smartphone et tablette ou de détourner l’usage que des étudiants
font
d’un
jeu
grand
public.
Par
exemple :
le
jeu
en
accès
libre
www.macyberautoentreprise.pme.gouv.fr réalisé pour le Ministère de l’Industrie en 2010
permet de tester ses compétences d’entrepreneur. Plusieurs enseignants l’utilisent dans des
séminaires en entrepreneuriat, via le mode administrateur.
•
Satisfaction : L’apprenant bénéficiera des qualités du jeu, tant d’un point de vue
graphique, ergonomique, ludique pour proposer une immersion forte aux apprenants.
•
Apprentissage : Le formateur mobilisera ainsi un jeu en lui donnant une mission
pédagogique. L’adéquation avec l’objectif pédagogique est faible au départ. La
responsabilité pédagogique, la contextualisation repose entièrement sur l’enseignant.
•
Comportement : Même si l’immersion forte, le jeu n’est pas conçu en respectant un
objectif pédagogique spécifique pour la formation. De ce fait, la transférabilité attendue
est alors modérée.
•
Organisation : Ce type de dispositif est considéré comme le « dada » d’un passionné ou
d’une personne aimant expérimenter d’autres processus pédagogiques. Le soutien
organisationnel, financier, humain, etc. est souvent inexistant. L’organisation perçoit
cela comme une initiative individuelle mais n’effectue pas de positionnement stratégique
sur les serious games.
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•
Financier : D’un point de vue budgétaire, le coût est gratuit. Toutefois, le formateur et
l’organisation ne pourront prétendre à aucun droit d’auteur sur le dispositif.
c. Acheter des Serious Games dans un Store
Pour obtenir une meilleure adéquation pédagogique, les organismes de formation peuvent
acquérir des serious games « sur étagère » auprès d’entreprise de développement de jeux. Ces
jeux ont été quasiment tous été créés au départ sur une commande d’un client (généralement
un grand compte). Puis une version « générique » a été proposée pour un plus large public,
comemrcialisée sous la forme de licence ou d’abonnement.
•
Satisfaction : Ces jeux proposent un environnement graphique soigné. Même si la
dimension ludique est assez limitée, le niveau d’immersion offert est assez important.
•
Apprentissage : L’objectif pédagogique est clairement défini. Le jeu ayant souvent été
réalisé sur une demande d’entreprise au départ, il correspond à des besoins spécifiques et
« validés » professionnellement (par exemple : apprendre à détecter un besoin chez un
client, conduire une réunion etc.). Ce type de serious game permet une prise en main
rapide par des apprenants. Le formateur a moins d’efforts à faire pour créer le lien
pédagogique.
•
Comportement : Ces jeux ayant souvent été d’abord créés sur mesure sur des
commandes d’entreprise, puis rendus « génériques », le formateur doit jouer un rôle fort
pour contextualiser l’apprentissage et créer une distance critique avec un savoir qui peut
être perçu comme « formaté ».
•
Organisation : Choisir d’acheter un produit sur étagère implique un coût, donc des choix
organisationnels.
L’abonnement
à
un
store
entier
renforce
cet
engagement
organisationnel, en nécessitant de définir des conditions d’utilisation, pour quels cours,
dans quels programmes etc.
•
Financier : Ce type de serious game est commercialisé à la licence. Par exemple un jeu
coûte autour de 30 euros/étudiant pour une utilisation qui dure en moyenne 1h. La
commercialisation se fait également par abonnement. Par exemple le même jeu est
commercialisé pour 7.000 euros par an pour une utilisation illimitée. Le modèle de
« store » permettant un abonnement complet à l’ensemble des jeux créés par une
entreprise existe ainsi depuis 2012. Par exemple, l’abonnement à un store d’une dizaine
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de jeux coûte entre 23.000 à 37.000 euros par an. L’investissement financier est donc
important. Par ailleurs, l’organisation ne bénéficie d’aucun droit d’auteur.
d. Créer soi-même son jeu grâce à un outil-auteur
Depuis 2011, des outils-auteurs se développent. Ils doivent permettre à des publics sans
expertise technique (de développement, d’informatique, de scénarisation) de créer eux-mêmes
leur propre serious game. Des formateurs et professeurs se lancent ainsi dans la scénarisation
de leur propre jeu.
•
Satisfaction : L’outil-auteur offre un support à la scénarisation, un moteur d’émotion,
des environnements graphiques et avatars à mobiliser. L’immersion offerte est
intéressante mais ne rivalise pas avec les réalisations abouties des offres
professionnelles.
•
Apprentissage : Le jeu étant conçu par un expert du thème, l’adéquation pédagogique est
très forte.
•
Comportement : L’immersion est assez faible, mais l’adéquation pédagogique très forte.
De ce fait, la transférabilité est estimée comme forte.
•
Organisation : Ce dispositif implique un très fort engagement de l’organisation dans la
démarche serious game. En effet, au-delà du coup financier, c’est une volonté de
l’institution de capitaliser sur des expertises pour les valoriser et les transmettre de façon
différente. Créer un jeu n’est pas perçu comme une démarche solitaire d’un enseignant.
Cela mobilise et/ou intéresse l’ingénierie pédagogique, la communication, les systèmes
d’information etc. La seule création du jeu de 15 minutes un temps homme estimé à
minimum 30 jours/homme.
•
Financier : Utiliser un outil-auteur pour créer un jeu implique un investissement à court
terme. Ainsi, acheter une licence d’utilisation d’outil-auteur coûte 7.000 euros minimum
pour créer un serious game de 40 minutes, dont 15 minutes de simulation à proprement
parler. A cela peuvent se rajouter des frais complémentaires, tels que la création d’un
avatar ou environnement graphique personnalisé et un soutien de l’entreprise pour
conseiller dans les premières phases de scénarisation. Un jeu peut ainsi revenir à 13.000
euros. Toutefois, tous les droits d’auteurs restent sur l’organisation qui à développer le
jeu. Elle peut ainsi l’utiliser indéfiniment, voire le commercialiser directement ou le
mettre dans un « store » de serious games qui s’en chargera. A la façon des études de
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cas, cela devient une façon de formaliser et capitaliser sur l’expertise du corps
professoral pour ensuite la rendre visible et valoriser.
Tableau 2 : Les quatre stratégies d’intégration de Serious Games dans la formation
Objectifs Visés
Objectifs
Modes d’intégration du Serious Game
Variables
Sur mesure
Jeu gratuit/
Store
Détournement
OutilAuteur
1. Satisfaction
Immersion
Forte
Très forte
Modérée
Faible
2. Apprentissage
Adéquation
Forte
Faible
Modérée
Très forte
pédagogique
3. Comportement
Transférabilité
Forte
Faible
Modérée
Forte
4. Organisation
Implication
Forte
Faible
Modérée
Très forte
Elevé
Gratuit
Modéré
Modéré
Aucun ou
Aucun
Aucun
Propriétaire
organisationnelle
5. Financier
Budget
Droits d’auteur
négociable
Conclusion
Ce travail souligne le droit à l’erreur et l’importance de l’apprentissage par simulation dans la
formation des futurs managers, notamment pour l’enseignement des softskills. En présentant
les serious games comme un dispositif innovant pour cette démarche, l’article décrit les
enjeux de leur intégration dans les formations académiques. Ainsi, le niveau d’implication
organisationnelle traduit la volonté de l’institution de dépasser le cap d’expérimentation
individuelle par un enseignant pour s’engager dans une véritable posture pédagogique, avec
des répercussions humaines et économiques fortes. Dans cette idée, une organisation peut
intégrer l’utilisation des serious games en plusieurs temps, selon quatre stratégies différentes :
Elle peut tout d’abord faire expérimenter des serious game gratuits, en accès libre par des
enseignants. Puis elle peut engager une démarche d’investissement dans un store, en achetant
des jeux « sur étagère » destinés à la formation académique. Ensuite, elle peut commander un
jeu sur mesure, sur un de ces champs d’expertise fort. Finalement, elle peut développer de
nouvelles compétences en interne en créant de toutes pièces ses ressources pédagogiques
grâce à un outil-auteur. Cette dernière étape permet d’envisager une visibilité forte non
seulement sur des thèmes d’expertise, mais également sur des dispositifs d’apprentissage
innovants.
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Serious Games : A quoi jouent les futurs managers ?
Bibliographie
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