Stéréotypes de genre - TERRE DES FEMMES Schweiz

Transcription

Stéréotypes de genre - TERRE DES FEMMES Schweiz
TERRE
S u i s s e DES
FEMMES
Rapport VOIX DES FEMMES 2012/2013
avec Malikah et Shamsia
« Stéréotypes de genre »
Impressum
Une publication de TERRE DES FEMMES Suisse
Textes : Milena Wegelin et Nicole Wälti
Rédaction
& mise en page : Nadine Brändli
Traduction : Elisabeth Maironi
Photos :
Frank Nordmann, Meris Schüpbach (KIDSWEST.CH),
Pauline Gilliéron et TERRE DES FEMMES Suisse
TERRE DES FEMMES Suisse est une ONG qui se dresse contre les violations des droits
humains des femmes et des filles. Elle s’engage pour que toutes les femmes et les
filles aient une vie autodéterminée – cela quelle que soit leur appartenance religieuse, politique, ethnique et nationale ou leur orientation sexuelle. Elle se met en avant
pour l’égalité de tous et combat la violence liée au genre. A ces fins, elle soutient les
personnes concernées par ce type de violonce, forme et accompagne les spécialistes,
développe des mesures de sensibilisation et de prévention et s’active sur la scène politique. L’objectif est de définir un rapport égalitaire et équitable entre les sexes, libre
de toute discrimination corporelle, psychique ou sexuelle.
TERRE
S u i s s e DES
FEMMES
Standstrasse 32
3014 Berne
+41 (0)31 311 38 79
[email protected]
www.terre-des-femmes.ch
PC 30-38394-5
Inhaltsverzeichnis
3
1. Avant-propos 4
2. VOIX DES FEMMES 2012/2013 :
Les stéréotypes de genre dans l’espace public
6
3. Malikah
9
4. Shamsia
11
5. Rôles et stéréotypes sexués
12
5.1. La construction sociale du genre
13
5.2. L’ordre dual des sexes
14
5.3. « Doing Gender » ou comment on « fait » le genre 15
5.4. Les stéréotypes et l’espace public 16
6. L’impact des stéréotypes et des rôles sexués 20
6.1. Les stéréotypes sexués, cause des violences liées au genre 22
6.2. L’élimination des stéréotypes pour une prévention des
violences liées au genre 24
7. S’affranchir des normes de genre 27
8. Conclusions et perspectives 33
Aperçu des manifestations 2012 et 2013
34
4
1. Avant-propos
Même dans les sociétés modernes comme la Suisse, les stéréotypes sexistes
dominent encore, même si les rôles traditionnels ne sont pas perceptibles à première vue. Ainsi, personne ne s’offusque
de lire dans un manuel scolaire que le
père est un pilote et la mère une femme
au foyer. Ces stéréotypes agissent insidieusement, car ils sont profondément
ancrés dans notre conception du monde
et influencent ainsi nos opinions, notre
comportement et nos actes de manière
très subtile. Souvent, ils accordent aux
jeunes filles et aux femmes moins de
droits qu’aux hommes. Ils classent les
femmes dans la sphère privée, tandis que
les hommes dominent la vie publique et
doivent assumer le rôle de soutien de famille. Les répercussions de ces stéréotypes sont multiples : elles vont dans notre
société de la discrimination quotidienne
jusqu’au sexisme, aux mariages forcés,
aux mutilations génitales ainsi qu’à la violence domestique et liée au sexe.
Benno Bättig, secrétaire général du DFAE,
manifestation de clôture de VOIX DES FEMMES 2013
En mars de cette année, le thème central
de la Commission de la condition de la
femme des Nations Unies (CSW) a été
l’élimination et la prévention de toutes
les formes de violence envers les femmes
et les filles. Les conclusions concertées
des pays membres de la CSW retiennent
que la violence liée au sexe a ses racines dans les inégalités ancrées dans les
traditions. L’élimination des stéréotypes
existants est donc une, si ce n’est la condition sine qua non, qui permettra de faire disparaître la violence sexuée.
Avec la Convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et l’article constitutionnel sur l’égalité entre hommes et femmes (article 8),
nous disposons en Suisse des bases juridiques garantissant l’égalité des sexes.
Toutefois, des dispositions légales ne
suffisent malheureusement pas à éliminer les stéréotypes subtils prévalant dans
5
notre pays. Ce sont les normes traditionnelles et sociétales typiques qui doivent
évoluer, et seul un débat public pourra
amener ce développement, sensibiliser le
monde de l’économie, de la politique et
de la société, et réduire les stéréotypes
en vigueur.
C’est avec sa plateforme VOIX DES
FEMMES, traitant cette année des stéréotypes dans l’espace public, que TERRE
DES FEMMES Suisse a lancé un tel débat. De par son engagement, l’organisation essaie d’attaquer le problème par la
racine et fournit un travail professionnel
dans le domaine des droits de la femme.
Benno Bättig
Secrétaire général du DFAE
6
2. VOIX DES FEMMES 2012/2013 :
Les stéréotypes de genre dans l’espace public
Les stéréotypes de genre nous influencent fortement. Ils sont partout présents,
dans les médias, dans notre quotidien.
De manière subtile mais tout aussi efficace, ils renforcent la représentation des
rapports de force entre les hommes et
les femmes que la société a développés
au cours de l’histoire. Si nous voulons
réaliser l’égalité des sexes, il nous faut
sérieusement remettre en question les
stéréotypes et les rôles sexués qui vont
avec.
La violence liée au genre est, elle aussi,
intimement liée à la hiérarchie des sexes.
Elle commence par une image sexiste de
la femme sur les affiches publicitaires,
le sexisme étant l’une des principales
causes de la violence liée au genre, tant
au niveau structurel que symbolique. En
nous attaquant à la hiérarchie des sexes,
aux stéréotypes dépassés et aux clichés
communs, nous établirons les bases qui
nous permettront d’éliminer ce type de
violence.
Le cycle de manifestations VOIX DES
FEMMES « Les stéréotypes dans l’espace
public », articulé sur les deux années
2012 et 2013, a choisi d’examiner ce sujet trop mal connu. TERRE DES FEMMES
Suisse veut ainsi contribuer à ce que le
sexisme ne soit plus perçu comme un
« truc de femmes » mais obtienne le statut de véritable problème de société. En
thématisant les stéréotypes par le biais
de la musique et de l’art urbain, il a été
possible de sensibiliser également la
jeunesse. En parallèle, un débat sociopolitique sur les stéréotypes et les rôles
sexués a été mené dans le cadre de manifestations publiques.
La définition de rôles attribués en
fonction du sexe existe dans toutes les
sociétés. Mais les immigrées se voient
tout particulièrement imposer des rôles
et des stéréotypes à plusieurs niveaux.
Elles sont ainsi confrontées à la fois aux
concepts stéréotypés de leur communauté de migrants et à ceux de la société
7
d’accueil. Cette situation spécifique a été
thématisée essentiellement lors d’un atelier avec des immigrées à Genève.
VOIX DES FEMMES 2012 / 2013 a
pu accueillir deux jeunes personnalités
fortes et sûres d’elles-mêmes qui, dans
leurs activités artistiques, traitent au
quotidien des stéréotypes et des rôles
sexués. Tant la rappeuse libanaise Malikah que la sprayeuse afghane Shamsia
s’opposent aux stéréotypes patriarcaux
traditionnels en choisissant de manière
impressionnante leur propre parcours à
travers l’art et en thématisant dans leurs
œuvres les problèmes de l’inégalité entre
les sexes.
TERRE DES FEMMES Suisse s’est particulièrement réjouie que ces deux jeunes
artistes pleines de promesses aient accepté notre invitation et, dans le cadre de
VOIX DES FEMMES en hiver 2012 et en
été 2013, aient profité de l’occasion pour
nous faire part de leurs expériences lors
de présentations de leur art, d’ateliers et
de débats publics.
Quelques motifs de la série de cartes postales publiée à l’occasion
de la campagne 2012 pour des rôles autodéterminés « Rollen rollen »
3. Malikah
Malikah, « la reine » en arabe et de son
vrai nom Lynn Fattouh, est l’une des
principales voix du hip-hop arabe. Née à
Marseille d’un couple algéro-libanais, elle
a grandi à Beyrouth pendant la guerre
civile. La rappeuse se mobilise pour la
liberté d’opinion et l’autodétermination
des femmes, provoquant ainsi ouvertement l’establishment de Beyrouth
jusqu’au Caire. Cette Arabe musulmane
qui travaille pour une agence de publicité à Dubaï joue sur scène sciemment
avec une image féminine provocatrice,
montrant ouvertement que c’est elle qui
décide librement de la manière dont elle
se présente à son public. Avec ses apparitions fougueuses, la Beyrouthine de 26
ans renverse bien des stéréotypes traditionnels de sa société. Le hip-hop ouvre
ainsi pour elle l’étau des conventions et
pose en musique bien des questions politiquement délicates : Peut-on juger les
gens d’après leur religion ? N’est-ce pas
plutôt le gouvernement qui devrait avoir
peur des citoyens, et pas le contraire ?
9
Une véritable révolution ne doit-elle pas
aussi défendre les droits des femmes et
des minorités ?
Depuis 2006, Malikah rappe à l’occasion avec la Lausannoise Karine Guignard, La Gale de son nom de scène, qui
s’engage sans réserve contre le racisme,
les inégalités sociales en Suisse et les injustices de la poli« I want to empotique mondiale au wer Arab women in
Proche-Orient. Le
particular to stand
concert d’une Maup and show the
world what we are
likah impitoyable
capable of. »
et d’une La Gale
rebelle, qui se Lynn « Malikah » Fattouh
sont toutes deux
imposées dans un domaine dominé par
les hommes, a attiré l’attention sur le sujet des stéréotypes dans l’espace public.
En associant le sujet à la musique, nous
avons pu attirer et sensibiliser un public
plus jeune.
Malikah et la lausannoise La Gale lors de leur concert à Berne
10
4. Shamsia
11
La graffeuse afghane Ommolbanin Has- que femme, se déplacer dans les rues
sani, alias Shamsia, dépasse dans son de la ville et s’approprier l’espace public.
art urbain toutes les limites acceptables Malgré la situation très précaire, elle ne
de l’espace public de Kaboul. Sa famille, se laisse pas détourner de sa vocation,
originaire de Kandahar, avait émigré en persuadée qu’elle est de pouvoir faire
Iran pour fuir la guerre, et c’est là qu’elle bouger les choses. Dans ses graffitis,
est née en 1987. Elle dessine depuis sa Shamsia thématise la situation présente
mais ne veut pas inplus tendre enfance.
« I want to highlight the imporutilement provoquer
En tant que femme,
tant issue of the role of women
ses concitoyens et
in society by painting women in
et d’autant plus en
Burqas in different places and
ainsi peut-être les
tant qu’Afghane, elle
situations. By playing with their
choquer. Elle préfère
s’est très tôt troureal-life shape and size, portrayune approche plus
vée confrontée à
ing them in modern forms, in
subtile. Elle reprend
d’importantes résishappiness and movement, maybe
la symbolique sexutances malgré son
even stronger and bigger than
elle dominante dans
talent : en Iran, elle
they are in reality, I try to make
n’a pas pu étudier people look at them differently. » sa société et lui donne des formes noules beaux-arts car les
Ommolbanin « Shamsia » Hassani
velles à travers son
Afghanes n’y étaient
pas autorisées. Depuis 2003, Shamsia vit art, signalisant ainsi la volonté de chanavec sa famille à Kaboul. Mais en Afgha- gement. Même si ses représentations de
nistan aussi, rien n’est facile pour la jeune femmes sont habillées de burqas, elles
artiste qui est devenue entre-temps pro- donnent une impression de dynamisme
fesseure d’art contemporain à l’école des et de force, renversant ainsi les stéréotybeaux-arts de la capitale : en effet, pour pes classiques, aussi bien chez elle que
ses œuvres urbaines, elle doit, en tant chez nous.
« Dream of Graffiti », le graffiti imaginaire de Shamsia sur une ruine à Kaboul
12
5. Rôles et stéréotypes sexués
Nous vivons dans une société qui est
primairement divisée entre les deux
catégories que sont « les femmes » et
« les hommes », division qui est perçue
comme naturelle. Dans de nombreux
domaines, notre quotidien continue de
s’orienter en fonction de ces catégories
qui influencent aussi, souvent inconsciemment, toutes nos interactions.
Cet ordre sexué repose sur les idées
très concrètes que nous avons des caractéristiques féminines et masculines ainsi
que du comportement de chacun de ces
groupes dans le cadre de stéréotypes.
De telles représentations transparaissent
partout où le rôle et donc la place de
la « femme » et de l’« homme » dans
la société sont définis et expliqués. Les
stéréotypes sexués sont ainsi un instrument essentiel de l’établissement et du
maintien de l’ordre social et de ses hiérarchies. On peut les interpréter comme
la pratique politique de la catégorisation
et de l’évaluation des êtres humains et
de leur condition.
La plupart des efforts pour plus d’égalité ainsi que les revendications qui y
sont liées restent toutefois souvent à un
niveau structurel. On discute essentiellement des stratégies permettant d’atteindre une égalité légale et politique.
Or, si ces activités politiques sont sans
aucun doute importantes pour l’avènement d’une société équitable où tous les
êtres humains sont égaux, il est également nécessaire de lancer un discours
sociétal sur les stéréotypes sexués. Il
s’agit même ici de la condition sine qua
non qui permettra d’établir une justice
véritable et durable dans notre société.
Afin de mieux comprendre et, partant,
de surmonter les inégalités actuelles
créées par la catégorisation sociale liée
au sexe d’une personne, il faut analyser
les valeurs et normes prédominantes de
la société. Nous devons constamment
remettre en question et éliminer les stéréotypes ancrés dans notre subconscient
ainsi que les rôles qui y sont associés et
qui prédominent dans notre vie quotidienne.
13
5.1. La construction sociale du
genre
Dans le passé, on a maintes fois essayé
de fonder sur la biologie les différences
entre les êtres humains. Au lieu de considérer les disparités comme le résultat
d’iniquités sociales et donc de les reconnaître comme des valeurs pouvant
être changées, elles étaient décrétées
naturelles, et donc immuables. La même
chose s’est produite – et se produit encore – avec les différences entre les sexes.
L’argumentation biologique est régulièrement utilisée pour attribuer des rôles
spécifiques à certaines personnes sur la
base de leur sexe.
Depuis les années 1970 s’est imposée
l’idée que la division sexuée de la société
est un facteur purement culturel. C’est
d’abord aux Etats-Unis que l’on a commencé à faire la différenciation entre
« sex » (sexe) et « gender » (genre),
distinction reprise ensuite dans la plupart
des autres langues. En français, le mot
« sexe » se réfère ainsi davantage aux
caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des
femmes, alors que le terme « genre » sert
à évoquer les rôles qui sont déterminés
socialement. On tient compte ici avant
tout des comportements, des activités
et des attributs qu’une société considère
comme appropriés pour les « femmes »
et les « hommes », catégories qui
peuvent d’ailleurs fortement varier selon
les régions et au fil du temps. Ces appellations ne sont toutefois pas toujours
utilisées de manière systématique. On
trouve parfois l’anglais « gender » à la
place de « genre », ou c’est aussi l’exHétéronormativité
:
Le
terme
d’hétéronormativité englobe le concept d’hétérosexualité comme norme
sociale et le modèle sexuel binaire.
Le rôle sexué doit correspondre à
l’orientation sexuelle et se base sur
celle-ci. L’hétéronormativité place la
relation duale des sexes (homme –
femme) au centre de l’organisation
sociale.
14
pression « sexe social » qui est choisie,
en opposition à l’argumentation qui veut
qu’il existe une « nature féminine » et
une « nature masculine » et qui est aujourd’hui encore souvent présente dans
la société, la politique et les médias. Or,
les inégalités entre les sexes que définit notre ordre social se doivent d’être
considérées non pas comme résultant
de distinctions physiques, mais dans le
contexte de valeurs socioculturelles qui
ont évolué au cours de l’histoire et sont
donc transformables.
5.2. L’ordre dual des sexes
L’existence de rôles sexués imposés par
la culture est aujourd’hui reconnue par
les experts, même si, au niveau de la société tout entière, on continue souvent
de penser que ces rôles reposent sur des
différences biologiques.
La division fondamentale de la société
entre femmes et hommes est encore
Bänz Friedli et Henry Hohmann lors de la table ronde
« La société postsexiste » à Berne
moins remise en cause, étant considérée comme naturelle. L’ordre binaire du
couple femme/homme mutuellement
dépendant l’un de l’autre est ainsi organisé en fonction des normes culturelles
en vigueur, et les stéréotypes renforcent
cette division.
Si nous prenons donc comme point de
départ d’une stratégie de transformation sociale la remise en question des
stéréotypes, il ne faut dans ce contexte
surtout pas oublier que ces stéréotypes
reproduisent et cimentent la hiérarchie
sociale en fonction des deux sexes.
Notre objectif est donc également d’analyser et d’examiner d’un œil critique les
approches hétéronormatives dans le
contexte des rôles et des stéréotypes.
Il s’agit ici non seulement de renégocier
et d’élargir la définition des rôles des
« femmes » et des « hommes », mais de
s’orienter sur une société formée d’individus autodéterminés dans laquelle la
distinction du sexe n’aurait pas plus de
15
signification que, par exemple, la couleur
des cheveux.
Nous devons convenir que l’institutionnalisation de l’égalité a amené de nombreuses améliorations. En même temps,
il faut néanmoins reconnaître que ces
avancées n’ont pas nécessairement fait
disparaître les rôles sociaux. L’égalité
toujours plus grande entre les femmes
et les hommes
« Je ne sais pas ce qui n’a en effet
doit me rendre le plus rien changé au
heureux : que ma fille
mode
essenjoue au foot – ou que
tiel
de
naturamon fils ne s’y intéresse absolument pas... » lisation de la
division sociale
Bänz Friedli,
des sexes. Les
homme au foyer et écrivain
femmes
et
les hommes continuent d’être perçus
comme opposés et complémentaires,
dépendants les uns des autres. Ce paradigme se reflète – en général inconsciemment – dans nos comportements
les plus routiniers et ainsi dans tous les
échanges humains. Le fait que nous ne
questionnions pas les schémas en place
traduit la réelle puissance de cette classification et de cette structure.
5.3. « Doing Gender » ou comment
on « fait » le genre
Le concept sociologique de « Doing Gender » fournit une base utile pour aborder
le paradigme des stéréotypes récurrents.
Il décrit en effet comment le genre est
« fait » par le biais d’actes, de comportements et d’activités réalisés en situation
d’interaction, et qui confirment les normes sociales. Dès leur plus jeune âge, les
enfants sont confrontés à des attitudes
typiquement masculines ou féminines et
apprennent ainsi à reconnaître les soidisantes différences entre les sexes. Ils
sont par ailleurs également socialisés en
fonction d’intérêts et de capacités censément liés à leur sexe. Les normes, valeurs et comportements sont ainsi intériorisés très tôt. Ce processus, qui réitère
16
continuellement au quotidien les inégalités duales hiérarchisées, aboutit à ce que
les différences entre les genres ne soient
plus ressenties comme imposées par la
société mais comme des valeurs personnelles. Lorsque ces valeurs sont alors
transmises à la prochaine génération,
la société reproduit ses normes et donc
elle-même. Cette logique paraît au premier abord immuable. Et pourtant, comme nous l’avons évoqué, les normes et
les valeurs évoluent au cours de l’histoire.
C’est donc ici qu’il faut intervenir : nous
devons proposer une image de l’individu
autodéterminé qui pourra remplacer les
puissants stéréotypes en vigueur.
5.4. Les stéréotypes et l’espace
public
La répartition traditionnelle des rôles
féminins et masculins est, aujourd’hui
encore, fortement ancrée dans la société suisse. L’exemple le plus typique est
l’organisation sociale de la reproduction :
l’image d’une famille cellulaire composée de deux parents biologiques et de
leurs enfants. La « femme » remplit le
stéréotype de la « mère de famille »
auquel est attribué la responsabilité du
domaine considéré symboliquement
comme l’espace privé, les principales activités couvrant les tâches domestiques,
l’éducation des enfants et les soins.
L’« homme », quant à lui, remplit en
tant que père le rôle du nourricier qu’il
finance par un travail rémunéré, agissant
pour sa part surtout à l’extérieur, dans
l’espace public.
Cette représentation idéalisée est loin
de correspondre à la réalité : de nombreuses femmes ainsi que des mères
17
18
monoparentales travaillent pour se soutenir. Mais les pères aussi se trouvent en
conflit avec les attentes de la société. Selon une étude du centre de compétences
Pro Familia Suisse, 90% des pères souhaiteraient travailler moins, s’accommodant volontiers d’une réduction correspondante de leur salaire. Ces résultats
divergent largement de la réalité puisque
dans 81% des familles avec au moins
un enfant, le
« Je suis moi ! Chaque père
travaille
individu doit avoir le
à plein temps
droit de déterminer
alors que la
sa propre identité
sexuelle et de se libé- mère s’occupe
du ménage et
rer des rôles sexués
dépassés. »
de l’éducation,
travaillant tout
Henry Hohmann,
historien de l’art et président au plus à midu Réseau transgenre Suisse
temps.
Le choix de la profession est aussi fortement influencé par les stéréotypes, en
Suisse plus encore que dans d’autres
pays européens avec très peu de jeunes
qui choisissent un parcours de formation
atypique pour leur sexe. Les stéréotypes
ont par ailleurs une influence seconde au
niveau structurel : les professions essentiellement occupées par des femmes
sont souvent moins bien payées, offrent
moins de possibilités de développement
et ont généralement un prestige social
moindre. Par contre, pour les hommes
occupant des métiers typiquement masculins, il est nettement plus difficile, si
ce n’est impossible, de travailler à mitemps. Cette situation les oblige donc à
occuper bon gré mal gré le rôle du nourricier, même s’ils préféreraient travailler
moins pour avoir plus de temps pour
leurs enfants. Ces différentes perspectives de salaire et de vie renforcent les
inégalités entre les sexes et favorisent
finalement leur reproduction.
Une autre scène propice aux rôles figés
et qui jouit d’une influence sociale impor-
Projection de film dans le cadre du vernissage des œuvres de Shamsias,
Ziegel oh Lac, Zurich
19
tante est le paysage suisse de la politique transsexuelle ou le premier homme ouet des médias, qui continue d’être large- vertement homosexuel et père de famille
ment structuré par des stéréotypes. Ce siégeant au parlement ?
n’est que trop souvent
Ces « modèles » de
« L’égalité ne bénéficie
que les politiciennes se
l’espace
public, que les
pas qu’aux femmes. Elle
voient juger en foncmédias
nous
présentent
est aussi positive pour les
tion de leur apparence
d’une manière décidéhommes. Sans elle, nous
physique et, à la télésommes tous des perdants
ment stéréotypée, nous
vision, les femmes sont
car la qualité de vie en
influencent quotidienneessentiellement des ani- pâtit. C’est à ce niveau qu’il
ment depuis les écrans
faut changer la société. »
matrices jeunes, attracet les grands titres des
tives et charmantes. Les
Liliane Maury-Pasquier,
journaux.
ancienne conseillère nationale
hommes, par contre,
Pendant
VOIX
DES
FEMMES
sont souvent les experts qui commentent la situation depuis les régions 2012/2013, Malikah et Shamsia, deux
de crise. Les femmes sont souvent mon- exemples de modèles alternatifs, nous
trées comme des victimes ou évoquées ont permis de thématiser et de discuter
dans des contextes culturels, alors que de manières très diverses l’influence des
les hommes domineront les analyses rôles sexués et des stérérotypes ainsi
politiques. Par ailleurs, la normalité hé- que la manière de les traiter.
térosexuelle continue de prévaloir tout
au moins dans la politique. On pourrait
par exemple se demander quand nous
verrons la première conseillère fédérale
Malikah, Bänz Friedli, Henry Hohmann, Natalie Trummer et Jennifer Khakshouri
lors de la table ronde « La société postsexiste » à Berne
20
6. L’impact des stéréotypes et des rôles sexués
Les stéréotypes et les rôles sexués freinent tous les efforts entrepris pour réaliser l’égalité des sexes. Il faut par ailleurs
considérer les structures hiérarchiques
de la répartition des genres et le déséquilibre des rapports de force qui en découle
comme l’une des principales causes de
la violence liée
« D’autres auraient
au genre. Cet efabandonné depuis
longtemps. Shamsia fet de réciprocité
entre les stéréocontinue à sa manière. C’est très fort, types et les rôça m’impressionne.
les sexués d’une
Je voudrais faire ça
part, et les inémoi aussi. »
galités sociales
Participante à un atelier
et la violence liée
au sexe présente dans toutes les sociétés
d’autre part, a été confirmé par des études internationales récentes.
Les stéréotypes peuvent servir d’aide à
l’orientation et à l’identification des individus. Mais ils peuvent aussi limiter leur
liberté et les discriminer. Si nous voulons
ancrer à long terme l’égalité de tous dans
notre société, il nous faut absolument
remettre en question les normes socioculturelles prévalentes, autrement dit les
stéréotypes.
L’influence des stéréotypes est très
claire dans l’exemple concernant le
choix du métier dont nous avons parlé
plus haut. Bien que les femmes et les
hommes aient de nos jours en principe
les mêmes opportunités en matière de
formation et de profession, les stéréotypes continuent de limiter les choix des
adolescents. Alors que les jeunes garçons
s’intéressent à des métiers tels qu’électricien ou mécanicien, les jeunes filles vont
suivre une formation d’aidesoignante ou
de coiffeuse. Et si une profession bascule dans le camp féminin parce que de
plus en plus de filles la choisissent, elle
se voit alors socialement dévaluée. Les
métiers féminins et masculins sont donc
perçus de manière distincte et leur valeur
également différenciée. En général, les
métiers féminins classiques sont moins
bien payés et offrent moins de possibilités d’avancement. Dans ce sens, les
21
inégalités salariales se situent au niveau
des stéréotypes et ne peuvent donc pas
uniquement être considérées sur un plan
structurel.
portables, parfois même des produits alimentaires tels que des boissons alcoolisées, sont présentés différemment selon
le genre de leurs consommateurs cibles.
De telles stratégies ne font que renforcer
les stéréotypes et la division de la société
en deux catégories en fonction du sexe.
La publicité omniprésente contribue
aujourd’hui à ce que les stéréotypes les
plus courants et la division des sexes qui
Le monde des médias et
en découle soient consicelui de la politique sont
dérés comme naturels et
« Ça crée des presdépendants l’un de l’autre,
même désirables. Le «
sions, aussi pour
l’avenir. On décide
leur dynamique se renmeilleur des mondes » qui
est ainsi vendu véhicule pour toi de ce qui est forçant mutuellement. Ils
acceptable et ce qui
contribuent à ce que, par
majoritairement
l’image
ne l’est pas. »
exemple, la scène politique,
de la « mère de famille et
Participante
à
un
atelier
et donc l’espace public par
femme au foyer heureuse »
et de l’« homme arrivé poursuivant sa excellence, soit fortement influencée par
carrière ». Comme la publicité travaille les stéréotypes. Dans le paysage médiaavec des discours clairs et des images tique actuel, on constate la tendance
percutantes de manière à ce que les croissante à présenter la politique sous
messages soient vite compris, les sté- l’angle du divertissement et du specréotypes sont ici particulièrement bien tacle. Des études scientifiques ont mondéfinis et cimentent quotidiennement tré que l’aspect physique des personnes
les normes en vigueur. De plus en plus, politiques est désormais plus important
des produits de grande consommation que le contenu de leurs arguments, tantels que des parfums ou des téléphones dis que les émotions et les opinions pri-
22
vées viennent remplacer les faits et les
débats objectifs qui sont alors relégués
au second plan. Cette problématique se
voit renforcée par la sous-représentation
constante des femmes dans les médias
et la tendance à mettre l’accent sur les
stéréotypes au lieu de contribuer à leur
élimination.
L’égalité des sexes est un droit humain.
Ceci a été défini au niveau mondial en
1995 lors de l’adoption de la déclaration
de Beijing dans le cadre de la quatrième
conférence internationale des femmes.
Avec la Convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), ce document représente depuis la
base d’une stratégie internationale visant
à atteindre l’égalité de tous les sexes et
à combattre les stéréotypes discriminatoires.
Affluence au vernissage, Ziegel oh Lac, Zurich
6.1. Les stéréotypes sexués, cause
des violences liées au genre
Les stéréotypes et les rôles sexués au
sein des modèles de comportement sociaux ont également leur part dans la
violence liée au genre. Ainsi, ce type de
violence est souvent légitimé par des
conceptions patriarcales qui amènent
certains hommes à en déduire que les
femmes doivent leur être soumises,
imposant cette subordination par des
violences physiques et psychiques spécifiquement sexuelles qui sont souvent
ignorées ou refoulées par la société, sans
être reconnues comme un problème de
fond.
Ainsi, la manière dont la société traite
les harcèlements sexuels, le mobbing ou
autres formes d’agressions à connotation
sexuelle montre à quel point les stéréotypes fonctionnent comme mécanismes
de légitimation ou de normalisation. Le
mythe encore souvent présent dans les
médias de la « disponibilité sexuelle de
23
la femme » est une manifestation du
concept de domination masculine et soutient les revendications de pouvoir qui y
sont liées. Le fait que bien plus d’hommes
que de femmes finissent comme auteurs
de crimes est entre autres explicable par
la socialisation des garçons qui intériorisent ces revendications de pouvoir. Les
hommes qui exercent les violences sont
donc en fait également des victimes des
structures patriarcales.
Non seulement la violence liée au
genre reflète les inégalités au sein de la
société, mais elle contribue aussi à les
maintenir. Le fait que les victimes soient
réduites au silence ou qu’on ne leur prête
pas une attention suffisante ne fait que
cimenter la hiérarchie des sexes. Ce
mécanisme est particulièrement évident
dans les violences domestiques où plusieurs facteurs contribuent à ce que les
victimes ne portent pas plainte. On citera
comme exemples la menace de stigmatisation ou encore la dépendance émo-
tionnelle et économique. Mais la volonté
de correspondre aux propres représentations et idéaux peut également être l’une
des raisons pour lesquelles une femme
n’arrivera pas à se détacher de sa situation familiale, si difficile soit-elle.
6.2. L’élimination des stéréotypes
Article 5 : Les Etats parties prennent
toutes les mesures appropriées pour :
a) modifier les schémas et modèles
de comportement socioculturel de
l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des
pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de
l’infériorité ou de la supériorité de l’un
ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé
des hommes et des femmes.
Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF)
24
pour une prévention des violences
liées au genre
mission de la condition de la femme de
l’ONU qui s’est tenue à New York en mars
pour traiter des causes des violences envers les femmes et des moyens de lutte
possibles (voir encadré).
Nous devons reconnaître que les normes
sociales qui se manifestent dans les stéréotypes et les rôles sexués correspondants représentent une cause essentielle Une autre cause des violences sexuées
des violences que subissent les femmes. est à trouver dans les exigences stéréotyTout travail de prévention dans ce do- pées que la société impose aux hommes
et aux femmes. Les
maine doit donc ex« Mon intérêt de participer à
femmes sont cenplicitement inclure la
cette campagne concernait la
sées être empaproblématique des
possibilité de pouvoir aborder
thiques,
passives
stéréotypes. Ce n’est
avec les jeunes adolescent-e-s
et
émotives,
et leur
que par le biais d’un
(mais surtout avec les jeunes
physique
doit
correexamen approfondi
garçons) des questions liées au
spondre à certains
de cet aspect et de la
genre. Ce projet m’intéressait
hiérarchie des sexes car le workshop graffiti était une idéaux. Les hommes,
excellente démarche. »
quant à eux, doivent
qui y est liée que les
être durs, dominants
activités de prévenChristophe Koersgen,
animateur socioculturel , Fribourg
et forts, un comportion iront au-delà
tement violent étant
d’un simple traitement de symptômes. Ceci a été reconnu même parfois glorifié et érotisé. Ils doà l’échelle internationale, par exemple à ivent constamment prouver leur statut
l’occasion de la session 2013 de la Com- et leur honneur, utilisant la violence pour
Shamsia et Lisa Looser lors de leur performance au
« Message Salon Perla-Mode » à Zurich
25
confirmer une position toujours menacée. L’hétéronormativité joue ici un
rôle important, les femmes étant, dans
cette logique patriarcale, réduites de
manière plus ou moins subtile au statut de possession et leur physique conti
nuellement jugé et commenté. La femme
comme « objet de désir » est la preuve
de la propre masculinité. Ces mécanismes renforcent la dominance masculine
et perpétuent les structures patriarcales
et hétéronormatives.
Comme les femmes et les filles représentent le groupe le plus important des
victimes de violence liée au genre, on a
jusqu’à présent considéré ce problème
essentiellement comme un sujet « de
femmes ». Or, les stéréotypes sexués
concernent l’ensemble de la population,
et la problématique doit être examinée
§ 10. La Commission affirme que la violence à l’égard des femmes et des
filles puise ses origines dans l’inégalité structurelle existant de longue
date dans les relations de pouvoir entre elles et les hommes, et qu’elle
continue de se manifester dans tous les pays du monde, en véritable
violation de leurs droits et libertés fondamentaux. La violence sexiste
est une grave forme de discrimination qui empêche partiellement ou
totalement les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux. La violence à l’égard des femmes et des filles se caractérise par un
abus de pouvoir ou une situation de domination dans les sphères publique et privée, et elle est intrinsèquement liée aux stéréotypes sexistes qui la sous-tendent et la perpétuent, ainsi qu’à d’autres facteurs
aggravant la vulnérabilité des femmes et des filles qui y sont exposées.
Conclusions concertées sur l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles
26
au niveau de la société tout entière. Pour violence et l’empathie peuvent ainsi dece faire, il faut toutefois avant tout défi- venir des attributs masculins. L’ensemble
des stratégies de changenir la notion de mascu«L’engagement de
ment doivent par principe
linité et placer celle-ci
Shamsia m’a beaucoup
avoir pour objectif d’élimiau centre du discours,
touché. Pour moi, ce
ner la dichotomie féminintout en renforçant les
qu’elle fait, c’est une acmasculin, qui ne doit plus
nouvelles
manifestativité politique. Je pense
servir de division pour la
tions et représentations
que pour réduire les inédu concept, qui sont galités, il faut avoir beau- société. En effet, les traits
d’ailleurs souvent très coup de courage et ne pas de caractères sont tout à
avoir peur de s’engager
fait individuels et n’ont rien
individuelles et librepersonnellement. »
à voir avec la féminité ou la
ment déterminées. Des
masculinité en soi.
caractéristiques telles
Martine Brunschwig-Graf,
ancienne conseillère nationale
que la compassion,
et présidente de la commission
l’attachement, la nonfédérale contre racisme
Conférence « Les femmes changent le monde... mais quelle est leur place dans la
sphère publique ? » à Genève, lors de l’apéritif
7. S’affranchir des normes de genre
Afin de réaliser l’égalité durable de tous
les genres et de combattre efficacement
la violence liée au sexe, il est important
qu’en Suisse aussi les stéréotypes et les
rôles sexués soient placés au centre des
efforts politiques en la matière.
En 1997, la Suisse a ratifié la Convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes (CEDEF) puis, en
2008, le protocole facultatif à ladite
convention. Bien que notre pays se soit
ainsi engagé à entreprendre des mesures
afin de mettre fin à la discrimination des
femmes, il y existe toutefois d’importantes lacunes en matière de lutte contre
la violence sexuée et d’activités de prévention. Le comité de la CEDEF a invité la
Suisse à « s’employer davantage à éliminer les images et attitudes stéréotypées
concernant les rôles des femmes et des
hommes dans la famille et dans la société ». Ces efforts devraient entre autres
27
comprendre des mesures juridiques, politiques et de sensibilisation.
Lors de sa session de l’année 2013, la
Commission de la condition de la femme
des Nations Unies a traité en priorité de
l’élimination et de la prévention de toutes
les formes de violences à l’égard des
femmes et des filles. Dans les nombreux
groupes de travail de la conférence, il a
souvent été remarqué que les activités
de prévention menées jusqu’à présent
n’ont pas eu les résultats escomptés,
essentiellement parce que l’influence des
stéréotypes et des rôles sexués traditionnels n’a pas été suffisamment prise en
compte. Dans les conclusions concertées, plusieurs paragraphes, en particulier le paragraphe 10 et les sections ll,
mm et pp du paragraphe 34, soulignent
l’importance de l’élimination des stéréotypes dans le cadre de la lutte contre les
violences liées au genre.
Natalie Trummer, Yvonne Feri, Marcel Bührig, Meris Schüpbach et Nino Gadient
lors de la table ronde « Eliminer les stéréotypes de genre », à Berne
28
VOIX DES FEMMES 2012/13 a pu lancer un large débat au sujet des rôles et
stéréotypes sexués. Le sexisme ne doit
plus être considéré comme un « truc de
femmes » mais vraiment comme un problème touchant l’ensemble de la société.
Lors des différents débats, on a examiné en quelle mesure les stéréotypes
servent à reproduire les inégalités qui se
sont développées au cours de l’histoire.
Toutes et tous se sont entendus pour
reconnaître qu’il restait encore beaucoup
à faire si l’on voulait attaquer le problème
par la racine, c’est-à-dire là
§ 34. La Commission [...] invite [...] à prendre les où les stéréotypes se formesures ci-après : […] Mobiliser les collectivités et
ment ou sont renforcés :
les institutions afin de faire évoluer les attitudes,
les comportements et les habitudes qui perpéLes médias et la publicité
tuent ou tolèrent les stéréotypes sexistes et tou- contribuent en grande partie
te les formes de discrimination et de violence conà consolider les stéréotypes
tre les femmes et les filles, en impliquant les mouen présentant pour ainsi dire
vements de femmes et de jeunes, les mécanismes
nationaux de promotion de la femme, les organisa- exclusivement une répartitions nationales de défense des droits de l’homme, tion traditionnelle des rôles
lorsqu’elles existent, les écoles, les établissements en fonction du sexe. Alors
d’enseignement, les médias et autres institutions que la publicité utilise très
qui travaillent directement auprès des femmes et sciemment les représentades filles, des hommes et des garçons, à différents tions traditionnelles afin de
niveaux de la société et dans des contextes divers,
produire l’impact souhaité,
les autorités religieuses et les dirigeants locaux, les
c’est souvent inconsciemanciens, les enseignants et les parents.
ment que les journalistes
Conclusions concertées sur l’élimination et la prévention de
mettent en œuvre des
toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles
images correspondant aux
29
stéréotypes communs. Il serait donc
important que les professionnel-le-s des
médias, particulièrement les rédactrices
et rédacteurs d’image, soient dès leur
formation sensibilisés à la question des
genres dans le choix des photos et films
ainsi que dans les reportages et les commentaires.
Il faut que les mesures entreprises le
soient le plus tôt possible et à des moments clés du développement des individus. Les propres expériences et observations que font les enfants et les jeunes
sont décisives pour une socialisation libre
de stéréotypes. Il est donc particulièrement important qu’ils vivent dans un
environnement où les sexes sont traités
de manière égalitaire et où ils peuvent
observer les adultes dans toutes sortes
de rôles très variés.
Dans la phase cruciale de l’enfance
et de l’adolescence, les crèches, jardins d’enfants, écoles et autres institutions d’éducation jouent un rôle décisif
lorsqu’il s’agit de présenter la diversité
des identités de genre de manière libre
de jugements et de conceptions prédéfinies. Les manuels scolaires et le matériel utilisé, mais aussi les habitudes et
les rituels quotidiens, doivent également
être revus dans cette optique. A l’avenir,
les hommes devraient par ailleurs être
beaucoup plus présents dans les jardins
d’enfants et les écoles primaires afin que
les petits aient des enseignants de différents sexes tout au long de leur scolarité
et dès leur plus jeune âge.
Un élément clé du processus de consolidation des stéréotypes est le choix du
métier. Les jeunes doivent savoir que les
préjugés et les idées reçues concernant
les genres peuvent fortement influencer
leur décision et donc leur vie tout entière. Les écoles et les centres de conseil
se doivent de suffisamment informer les
jeunes à propos de métiers et orientations déviant des rôles stéréotypés afin
qu’ils puissent prendre des décisions fondées. Il est important de leur donner la
30
31
possibilité facilement accessible de mieux
connaître des métiers atypiques pour
leur sexe, et les personnes qui accompagnent les jeunes dans le choix de leur
carrière doivent être plus spécifiquement
sensibilisées à cette problématique.
chacun est confronté dans le cadre des
stéréotypes sexués est la condition
préalable pour le développement d’une
personnalité forte et individuelle qui ne
se laissera pas ranger dans un rôle prédéfini.
Pendant VOIX
DES
FEMMES
2013, c’est un public jeune, et en
particulier les garçons et les jeunes
hommes, qui ont
été interpellés et
sensibilisés grâce
à l’art urbain.
Participante à un atelier
L’objectif
était
d’attirer leur attention sur les rôles et
stéréotypes sexués et de les encourager
à développer une conscience réfléchie
de leur propre rôle ainsi qu’une relation
ludique avec celui-ci.
Lors des ateliers tenus dans différentes
villes, on a abordé le rôle des sexes, du
genre et des stéréotypes. Notre invitée
Shamsia, une personnalité représentant la puissance des rôles alternatifs, a
indéniablement inspiré les jeunes avec
ses ateliers de graffitis. Elle a expliqué
ses expériences et son engagement en
Afghanistan et su retourner la perspective de manière très décontractée en
demandant aux participants comment
ils pensaient que les stéréotypes influençaient notre société, ici en Suisse.
« A force, ça
t’énerve qu’on te
dise que tu es un
homme simplement
à cause des choses
que tu fais. Des
choses que tu fais
simplement parce
que tu aimes les
faire. »
Une telle réflexion critique sur sa
propre identité et les attentes auxquelles
Outre les activités organisées avec
une personnalité forte représentant un
modèle à imiter, le sujet de l’art urbain
s’est avéré être un plein succès. Il a ainsi
été possible de communiquer et de disGraffiti collectif des participantes à l’atelier de Genève
32
cuter la complexité du sujet par le biais
de graffitis, une forme d’art particulièrement appréciée par les jeunes, qui a en
même temps permis d’aborder le sujet
d’une manière tout à fait nouvelle. Ainsi,
de nombreuses œuvres d’art urbain traitant différents aspects des stéréotypes
sexués ont été créées lors des ateliers.
Dans le cadre des manifestations de
VOIX DES FEMMES à Genève, on a parlé
des stéréotypes de genre dans l’espace
public, en Suisse comme dans d’autres
pays. Lors d’un atelier, des femmes issues
de l’immigration appartenant à quatre
organisations locales ont discuté des exigences normatives tant de leurs sociétés
d’origine que de la société d’accueil. Très
vite s’est établie une base de confiance
qui a permis de traiter le sujet en commun
et, suivant cette étape, de créer un graffiti de groupe. Différentes expériences des
attentes que la société exprime envers
« la femme » ainsi que le vécu des participantes en matière de discriminations
Shamsia et les participantes à l’atelier de Genève
et de violences physiques et psychologiques, mais aussi de violences structurelles en leur qualité d’immigrantes, ont
alimenté les discussions. Ces échanges
fructueux entre les participantes et
Shamsia ont particulièrement bénéficié
de l’origine de notre invitée.
Pendant cet atelier d’une journée, le
travail de création artistique a été utilisé
comme moyen pour arriver à une analyse
individuelle, démarche qui s’est avérée
très efficace. Les premières discussions
se sont développées lors des esquisses
de motifs effectuées en groupes de deux,
étape suivie par celle du graffiti commun
regroupant les motifs individuels et que
les participantes ont perçue comme un
acte de solidarité. Les expériences individuelles ont été exprimées de manière
intersubjective avant d’être transférées
à un niveau sociétal. Pour conclure, les
enseignements recueillis ont été repris
lors du débat qui a suivi.
8. Conclusions et perspectives
Une analyse des rôles sexués et des stéréotypes de genre dans l’espace public
doit être placée au centre des efforts de
politique égalitaire. VOIX DES FEMMES
2012/2013 a ouvert la voie d’un tel débat
et TERRE DES FEMMES a encouragé ces
activités en collaboration avec de nombreuses organisations locales par le biais
de vernissages, de discussions, d’ateliers
ainsi que d’un concert, qui ont eu lieu
dans toute la Suisse. Nous souhaitons à
cet endroit vivement remercier toutes les
personnes et organisations impliquées
qui se sont fructueusement engagées
dans cette campagne.
Les ateliers de graffiti ont également
été organisés au niveau local, de manière
adaptée au groupe cible et facile d’accès.
Les retours et les expériences, tous positifs, nous ont renforcées dans notre intention de continuer dans cette direction.
Nous utiliserons ces enseignements dans
notre campagne pour des rôles autodéterminés « Rollen rollen » (www.rollenrollen.ch) et continuerons à chercher le
contact avec les jeunes par le biais de
l’art, en particulier de l’art urbain. Un de
nos objectifs est de développer des collaborations avec des organes de formation
et d’activités socio-éducatives.
Notre opinion est que les stéréotypes
et le sexisme ne sont plus des sujets
exclusivement féminins et ne doivent
plus être considérés comme tels, et cette
approche s’est trouvée largement confirmée. Les stéréotypes et les rôles sexués
sont reproduits tant par les femmes que
par les hommes et peuvent limiter les
perspectives de vie de tous.
Afin d’ancrer fermement le discours
sociétal, il est nécessaire de s’appuyer
sur le support accru des hommes. La
prochaine édition de VOIX DES FEMMES,
en 2014, ouvrira la voie à ce débat en
abordant le sujet de la masculinité et
en essayant d’analyser les stéréotypes
courants qui y sont associés. Nous nous
réjouissons d’ores et déjà des discussions
certainement animées qui en résulteront.
33
34
Aperçu des manifestations 2012 et 2013
VOIX DES FEMMES 2012 avec Malikah
29 novembre 2012, 20 h 30, Mahogany Hall, Berne : Concert de Malikah et La
Gale
2 décembre 2012, 11 h, ONO Das Kulturlokal, Berne : « La société postsexiste »,
table ronde avec Malikah, Bänz Friedli, homme au foyer et journaliste, Henry
Hohmann, historien de l’art et président du Réseau transgenre Suisse, et Natalie
Trummer, directrice de TERRE DES FEMMES Suisse. Animatrice :
Jennifer Khakshouri, SRF
VOIX DES FEMMES 2013 avec Shamsia
6 juin 2013, 18 h, Rote Fabrik, Zurich : « Graffitis à Kaboul – Comment l’art
change les stéréotypes », table ronde avec Shamsia, Daniel Morgenthaler, commissaire d’exposition du Helmhaus, et Natalie Trummer, directrice de TERRE DES
FEMMES Suisse. Animatrice : Susann Wintsch, commissaire d’exposition du TREIBSAND et chargée de cours à l’école des beaux-arts de Zurich
6 juin 2013, après-midi, Rote Fabrik, Zurich : Création de graffitis par Shamsia
7 juin 2013, 10 h 15, KOFF, swisspeace, Berne : Table ronde « Gender & Art in a
Contested Public Space : Experiences from Afghanistan »
7 juin 2013, animation socioculturelle à Marly et Villars-sur-Glâne : Atelier de graffitis pour jeunes
8 juin 2013, 8 h 30, Rote Fabrik, Zurich : Atelier de graffitis pour jeunes sous la
direction de Monika Wirz, Simone Furrer et Shamsia
9 juin 2013, 14 h, Message Salon Perla-Mode, Zurich : Performance artistique de
Shamsia et Lisa Looser
35
10 juin 2013, 18 h 30, Restaurant Ziegel oh Lac, Zurich : Vernissage. Exposition
de photos d’œuvres de Shamsia. Introduction et interview : Marion Strunk, professeure en théorie des cultures et études de genre, école des beaux-arts de Zurich
12 juin 2013, projet KIDSWEST.CH, Berne : Atelier de graffitis pour jeunes sous
la direction de Monika Wirz et Shamsia
12 – 17 juin 2013, Cour de l’Hôtel de Ville, Genève : Exposition des œuvres de
Shamsia
14 juin 2013, 13 h – 17 h 30, Université ouvrière de Genève (UOG) : « Atelier
artistique » réalisé en collaboration avec les secteurs de l’enseignement et de l’animation de l’UOG, de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière OSEO-Genève, de l’association Camarada et du foyer Le Cœur des Grottes
14 juin 2013, 18 h 30, Université ouvrière de Genève (UOG) : « Les femmes
changent le monde… mais quelle est leur place dans la sphère publique ?
». Conférence avec Liliane Maury Pasquier, conseillère aux Etats et Martine Brunschwig Graf, ancienne conseillère nationale
15 juin 2013, 13 h 30, Theaterladen im Schlachthaus, Berne : Exposition et discussion dans le cadre de la série « A qui appartient la ville ? »
15 juin 2013, 15 h 15, Schlachthaus Theater, Berne : « Eliminer les stéréotypes
de genre. Exigences politiques et approches pratiques ». Table ronde avec
Yvonne Feri, conseillère nationale et présidente des Femmes socialistes suisses,
Marcel Bührig, membre du comité des Jeunes Vert-e-s de Zurich et co-initiateur
de rollenrollen.ch, Meris Schüpbach, directrice du projet KIDSWEST.CH, et Natalie
Trummer, directrice de TERRE DES FEMMES Suisse. Animateur : Nino Gadient, SRF
Droits Humains
pour la Femme