Stéréotypes de genre - TERRE DES FEMMES Schweiz
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Stéréotypes de genre - TERRE DES FEMMES Schweiz
TERRE S u i s s e DES FEMMES Rapport VOIX DES FEMMES 2012/2013 avec Malikah et Shamsia « Stéréotypes de genre » Impressum Une publication de TERRE DES FEMMES Suisse Textes : Milena Wegelin et Nicole Wälti Rédaction & mise en page : Nadine Brändli Traduction : Elisabeth Maironi Photos : Frank Nordmann, Meris Schüpbach (KIDSWEST.CH), Pauline Gilliéron et TERRE DES FEMMES Suisse TERRE DES FEMMES Suisse est une ONG qui se dresse contre les violations des droits humains des femmes et des filles. Elle s’engage pour que toutes les femmes et les filles aient une vie autodéterminée – cela quelle que soit leur appartenance religieuse, politique, ethnique et nationale ou leur orientation sexuelle. Elle se met en avant pour l’égalité de tous et combat la violence liée au genre. A ces fins, elle soutient les personnes concernées par ce type de violonce, forme et accompagne les spécialistes, développe des mesures de sensibilisation et de prévention et s’active sur la scène politique. L’objectif est de définir un rapport égalitaire et équitable entre les sexes, libre de toute discrimination corporelle, psychique ou sexuelle. TERRE S u i s s e DES FEMMES Standstrasse 32 3014 Berne +41 (0)31 311 38 79 [email protected] www.terre-des-femmes.ch PC 30-38394-5 Inhaltsverzeichnis 3 1. Avant-propos 4 2. VOIX DES FEMMES 2012/2013 : Les stéréotypes de genre dans l’espace public 6 3. Malikah 9 4. Shamsia 11 5. Rôles et stéréotypes sexués 12 5.1. La construction sociale du genre 13 5.2. L’ordre dual des sexes 14 5.3. « Doing Gender » ou comment on « fait » le genre 15 5.4. Les stéréotypes et l’espace public 16 6. L’impact des stéréotypes et des rôles sexués 20 6.1. Les stéréotypes sexués, cause des violences liées au genre 22 6.2. L’élimination des stéréotypes pour une prévention des violences liées au genre 24 7. S’affranchir des normes de genre 27 8. Conclusions et perspectives 33 Aperçu des manifestations 2012 et 2013 34 4 1. Avant-propos Même dans les sociétés modernes comme la Suisse, les stéréotypes sexistes dominent encore, même si les rôles traditionnels ne sont pas perceptibles à première vue. Ainsi, personne ne s’offusque de lire dans un manuel scolaire que le père est un pilote et la mère une femme au foyer. Ces stéréotypes agissent insidieusement, car ils sont profondément ancrés dans notre conception du monde et influencent ainsi nos opinions, notre comportement et nos actes de manière très subtile. Souvent, ils accordent aux jeunes filles et aux femmes moins de droits qu’aux hommes. Ils classent les femmes dans la sphère privée, tandis que les hommes dominent la vie publique et doivent assumer le rôle de soutien de famille. Les répercussions de ces stéréotypes sont multiples : elles vont dans notre société de la discrimination quotidienne jusqu’au sexisme, aux mariages forcés, aux mutilations génitales ainsi qu’à la violence domestique et liée au sexe. Benno Bättig, secrétaire général du DFAE, manifestation de clôture de VOIX DES FEMMES 2013 En mars de cette année, le thème central de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW) a été l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence envers les femmes et les filles. Les conclusions concertées des pays membres de la CSW retiennent que la violence liée au sexe a ses racines dans les inégalités ancrées dans les traditions. L’élimination des stéréotypes existants est donc une, si ce n’est la condition sine qua non, qui permettra de faire disparaître la violence sexuée. Avec la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et l’article constitutionnel sur l’égalité entre hommes et femmes (article 8), nous disposons en Suisse des bases juridiques garantissant l’égalité des sexes. Toutefois, des dispositions légales ne suffisent malheureusement pas à éliminer les stéréotypes subtils prévalant dans 5 notre pays. Ce sont les normes traditionnelles et sociétales typiques qui doivent évoluer, et seul un débat public pourra amener ce développement, sensibiliser le monde de l’économie, de la politique et de la société, et réduire les stéréotypes en vigueur. C’est avec sa plateforme VOIX DES FEMMES, traitant cette année des stéréotypes dans l’espace public, que TERRE DES FEMMES Suisse a lancé un tel débat. De par son engagement, l’organisation essaie d’attaquer le problème par la racine et fournit un travail professionnel dans le domaine des droits de la femme. Benno Bättig Secrétaire général du DFAE 6 2. VOIX DES FEMMES 2012/2013 : Les stéréotypes de genre dans l’espace public Les stéréotypes de genre nous influencent fortement. Ils sont partout présents, dans les médias, dans notre quotidien. De manière subtile mais tout aussi efficace, ils renforcent la représentation des rapports de force entre les hommes et les femmes que la société a développés au cours de l’histoire. Si nous voulons réaliser l’égalité des sexes, il nous faut sérieusement remettre en question les stéréotypes et les rôles sexués qui vont avec. La violence liée au genre est, elle aussi, intimement liée à la hiérarchie des sexes. Elle commence par une image sexiste de la femme sur les affiches publicitaires, le sexisme étant l’une des principales causes de la violence liée au genre, tant au niveau structurel que symbolique. En nous attaquant à la hiérarchie des sexes, aux stéréotypes dépassés et aux clichés communs, nous établirons les bases qui nous permettront d’éliminer ce type de violence. Le cycle de manifestations VOIX DES FEMMES « Les stéréotypes dans l’espace public », articulé sur les deux années 2012 et 2013, a choisi d’examiner ce sujet trop mal connu. TERRE DES FEMMES Suisse veut ainsi contribuer à ce que le sexisme ne soit plus perçu comme un « truc de femmes » mais obtienne le statut de véritable problème de société. En thématisant les stéréotypes par le biais de la musique et de l’art urbain, il a été possible de sensibiliser également la jeunesse. En parallèle, un débat sociopolitique sur les stéréotypes et les rôles sexués a été mené dans le cadre de manifestations publiques. La définition de rôles attribués en fonction du sexe existe dans toutes les sociétés. Mais les immigrées se voient tout particulièrement imposer des rôles et des stéréotypes à plusieurs niveaux. Elles sont ainsi confrontées à la fois aux concepts stéréotypés de leur communauté de migrants et à ceux de la société 7 d’accueil. Cette situation spécifique a été thématisée essentiellement lors d’un atelier avec des immigrées à Genève. VOIX DES FEMMES 2012 / 2013 a pu accueillir deux jeunes personnalités fortes et sûres d’elles-mêmes qui, dans leurs activités artistiques, traitent au quotidien des stéréotypes et des rôles sexués. Tant la rappeuse libanaise Malikah que la sprayeuse afghane Shamsia s’opposent aux stéréotypes patriarcaux traditionnels en choisissant de manière impressionnante leur propre parcours à travers l’art et en thématisant dans leurs œuvres les problèmes de l’inégalité entre les sexes. TERRE DES FEMMES Suisse s’est particulièrement réjouie que ces deux jeunes artistes pleines de promesses aient accepté notre invitation et, dans le cadre de VOIX DES FEMMES en hiver 2012 et en été 2013, aient profité de l’occasion pour nous faire part de leurs expériences lors de présentations de leur art, d’ateliers et de débats publics. Quelques motifs de la série de cartes postales publiée à l’occasion de la campagne 2012 pour des rôles autodéterminés « Rollen rollen » 3. Malikah Malikah, « la reine » en arabe et de son vrai nom Lynn Fattouh, est l’une des principales voix du hip-hop arabe. Née à Marseille d’un couple algéro-libanais, elle a grandi à Beyrouth pendant la guerre civile. La rappeuse se mobilise pour la liberté d’opinion et l’autodétermination des femmes, provoquant ainsi ouvertement l’establishment de Beyrouth jusqu’au Caire. Cette Arabe musulmane qui travaille pour une agence de publicité à Dubaï joue sur scène sciemment avec une image féminine provocatrice, montrant ouvertement que c’est elle qui décide librement de la manière dont elle se présente à son public. Avec ses apparitions fougueuses, la Beyrouthine de 26 ans renverse bien des stéréotypes traditionnels de sa société. Le hip-hop ouvre ainsi pour elle l’étau des conventions et pose en musique bien des questions politiquement délicates : Peut-on juger les gens d’après leur religion ? N’est-ce pas plutôt le gouvernement qui devrait avoir peur des citoyens, et pas le contraire ? 9 Une véritable révolution ne doit-elle pas aussi défendre les droits des femmes et des minorités ? Depuis 2006, Malikah rappe à l’occasion avec la Lausannoise Karine Guignard, La Gale de son nom de scène, qui s’engage sans réserve contre le racisme, les inégalités sociales en Suisse et les injustices de la poli« I want to empotique mondiale au wer Arab women in Proche-Orient. Le particular to stand concert d’une Maup and show the world what we are likah impitoyable capable of. » et d’une La Gale rebelle, qui se Lynn « Malikah » Fattouh sont toutes deux imposées dans un domaine dominé par les hommes, a attiré l’attention sur le sujet des stéréotypes dans l’espace public. En associant le sujet à la musique, nous avons pu attirer et sensibiliser un public plus jeune. Malikah et la lausannoise La Gale lors de leur concert à Berne 10 4. Shamsia 11 La graffeuse afghane Ommolbanin Has- que femme, se déplacer dans les rues sani, alias Shamsia, dépasse dans son de la ville et s’approprier l’espace public. art urbain toutes les limites acceptables Malgré la situation très précaire, elle ne de l’espace public de Kaboul. Sa famille, se laisse pas détourner de sa vocation, originaire de Kandahar, avait émigré en persuadée qu’elle est de pouvoir faire Iran pour fuir la guerre, et c’est là qu’elle bouger les choses. Dans ses graffitis, est née en 1987. Elle dessine depuis sa Shamsia thématise la situation présente mais ne veut pas inplus tendre enfance. « I want to highlight the imporutilement provoquer En tant que femme, tant issue of the role of women ses concitoyens et in society by painting women in et d’autant plus en Burqas in different places and ainsi peut-être les tant qu’Afghane, elle situations. By playing with their choquer. Elle préfère s’est très tôt troureal-life shape and size, portrayune approche plus vée confrontée à ing them in modern forms, in subtile. Elle reprend d’importantes résishappiness and movement, maybe la symbolique sexutances malgré son even stronger and bigger than elle dominante dans talent : en Iran, elle they are in reality, I try to make n’a pas pu étudier people look at them differently. » sa société et lui donne des formes noules beaux-arts car les Ommolbanin « Shamsia » Hassani velles à travers son Afghanes n’y étaient pas autorisées. Depuis 2003, Shamsia vit art, signalisant ainsi la volonté de chanavec sa famille à Kaboul. Mais en Afgha- gement. Même si ses représentations de nistan aussi, rien n’est facile pour la jeune femmes sont habillées de burqas, elles artiste qui est devenue entre-temps pro- donnent une impression de dynamisme fesseure d’art contemporain à l’école des et de force, renversant ainsi les stéréotybeaux-arts de la capitale : en effet, pour pes classiques, aussi bien chez elle que ses œuvres urbaines, elle doit, en tant chez nous. « Dream of Graffiti », le graffiti imaginaire de Shamsia sur une ruine à Kaboul 12 5. Rôles et stéréotypes sexués Nous vivons dans une société qui est primairement divisée entre les deux catégories que sont « les femmes » et « les hommes », division qui est perçue comme naturelle. Dans de nombreux domaines, notre quotidien continue de s’orienter en fonction de ces catégories qui influencent aussi, souvent inconsciemment, toutes nos interactions. Cet ordre sexué repose sur les idées très concrètes que nous avons des caractéristiques féminines et masculines ainsi que du comportement de chacun de ces groupes dans le cadre de stéréotypes. De telles représentations transparaissent partout où le rôle et donc la place de la « femme » et de l’« homme » dans la société sont définis et expliqués. Les stéréotypes sexués sont ainsi un instrument essentiel de l’établissement et du maintien de l’ordre social et de ses hiérarchies. On peut les interpréter comme la pratique politique de la catégorisation et de l’évaluation des êtres humains et de leur condition. La plupart des efforts pour plus d’égalité ainsi que les revendications qui y sont liées restent toutefois souvent à un niveau structurel. On discute essentiellement des stratégies permettant d’atteindre une égalité légale et politique. Or, si ces activités politiques sont sans aucun doute importantes pour l’avènement d’une société équitable où tous les êtres humains sont égaux, il est également nécessaire de lancer un discours sociétal sur les stéréotypes sexués. Il s’agit même ici de la condition sine qua non qui permettra d’établir une justice véritable et durable dans notre société. Afin de mieux comprendre et, partant, de surmonter les inégalités actuelles créées par la catégorisation sociale liée au sexe d’une personne, il faut analyser les valeurs et normes prédominantes de la société. Nous devons constamment remettre en question et éliminer les stéréotypes ancrés dans notre subconscient ainsi que les rôles qui y sont associés et qui prédominent dans notre vie quotidienne. 13 5.1. La construction sociale du genre Dans le passé, on a maintes fois essayé de fonder sur la biologie les différences entre les êtres humains. Au lieu de considérer les disparités comme le résultat d’iniquités sociales et donc de les reconnaître comme des valeurs pouvant être changées, elles étaient décrétées naturelles, et donc immuables. La même chose s’est produite – et se produit encore – avec les différences entre les sexes. L’argumentation biologique est régulièrement utilisée pour attribuer des rôles spécifiques à certaines personnes sur la base de leur sexe. Depuis les années 1970 s’est imposée l’idée que la division sexuée de la société est un facteur purement culturel. C’est d’abord aux Etats-Unis que l’on a commencé à faire la différenciation entre « sex » (sexe) et « gender » (genre), distinction reprise ensuite dans la plupart des autres langues. En français, le mot « sexe » se réfère ainsi davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes, alors que le terme « genre » sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement. On tient compte ici avant tout des comportements, des activités et des attributs qu’une société considère comme appropriés pour les « femmes » et les « hommes », catégories qui peuvent d’ailleurs fortement varier selon les régions et au fil du temps. Ces appellations ne sont toutefois pas toujours utilisées de manière systématique. On trouve parfois l’anglais « gender » à la place de « genre », ou c’est aussi l’exHétéronormativité : Le terme d’hétéronormativité englobe le concept d’hétérosexualité comme norme sociale et le modèle sexuel binaire. Le rôle sexué doit correspondre à l’orientation sexuelle et se base sur celle-ci. L’hétéronormativité place la relation duale des sexes (homme – femme) au centre de l’organisation sociale. 14 pression « sexe social » qui est choisie, en opposition à l’argumentation qui veut qu’il existe une « nature féminine » et une « nature masculine » et qui est aujourd’hui encore souvent présente dans la société, la politique et les médias. Or, les inégalités entre les sexes que définit notre ordre social se doivent d’être considérées non pas comme résultant de distinctions physiques, mais dans le contexte de valeurs socioculturelles qui ont évolué au cours de l’histoire et sont donc transformables. 5.2. L’ordre dual des sexes L’existence de rôles sexués imposés par la culture est aujourd’hui reconnue par les experts, même si, au niveau de la société tout entière, on continue souvent de penser que ces rôles reposent sur des différences biologiques. La division fondamentale de la société entre femmes et hommes est encore Bänz Friedli et Henry Hohmann lors de la table ronde « La société postsexiste » à Berne moins remise en cause, étant considérée comme naturelle. L’ordre binaire du couple femme/homme mutuellement dépendant l’un de l’autre est ainsi organisé en fonction des normes culturelles en vigueur, et les stéréotypes renforcent cette division. Si nous prenons donc comme point de départ d’une stratégie de transformation sociale la remise en question des stéréotypes, il ne faut dans ce contexte surtout pas oublier que ces stéréotypes reproduisent et cimentent la hiérarchie sociale en fonction des deux sexes. Notre objectif est donc également d’analyser et d’examiner d’un œil critique les approches hétéronormatives dans le contexte des rôles et des stéréotypes. Il s’agit ici non seulement de renégocier et d’élargir la définition des rôles des « femmes » et des « hommes », mais de s’orienter sur une société formée d’individus autodéterminés dans laquelle la distinction du sexe n’aurait pas plus de 15 signification que, par exemple, la couleur des cheveux. Nous devons convenir que l’institutionnalisation de l’égalité a amené de nombreuses améliorations. En même temps, il faut néanmoins reconnaître que ces avancées n’ont pas nécessairement fait disparaître les rôles sociaux. L’égalité toujours plus grande entre les femmes et les hommes « Je ne sais pas ce qui n’a en effet doit me rendre le plus rien changé au heureux : que ma fille mode essenjoue au foot – ou que tiel de naturamon fils ne s’y intéresse absolument pas... » lisation de la division sociale Bänz Friedli, des sexes. Les homme au foyer et écrivain femmes et les hommes continuent d’être perçus comme opposés et complémentaires, dépendants les uns des autres. Ce paradigme se reflète – en général inconsciemment – dans nos comportements les plus routiniers et ainsi dans tous les échanges humains. Le fait que nous ne questionnions pas les schémas en place traduit la réelle puissance de cette classification et de cette structure. 5.3. « Doing Gender » ou comment on « fait » le genre Le concept sociologique de « Doing Gender » fournit une base utile pour aborder le paradigme des stéréotypes récurrents. Il décrit en effet comment le genre est « fait » par le biais d’actes, de comportements et d’activités réalisés en situation d’interaction, et qui confirment les normes sociales. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont confrontés à des attitudes typiquement masculines ou féminines et apprennent ainsi à reconnaître les soidisantes différences entre les sexes. Ils sont par ailleurs également socialisés en fonction d’intérêts et de capacités censément liés à leur sexe. Les normes, valeurs et comportements sont ainsi intériorisés très tôt. Ce processus, qui réitère 16 continuellement au quotidien les inégalités duales hiérarchisées, aboutit à ce que les différences entre les genres ne soient plus ressenties comme imposées par la société mais comme des valeurs personnelles. Lorsque ces valeurs sont alors transmises à la prochaine génération, la société reproduit ses normes et donc elle-même. Cette logique paraît au premier abord immuable. Et pourtant, comme nous l’avons évoqué, les normes et les valeurs évoluent au cours de l’histoire. C’est donc ici qu’il faut intervenir : nous devons proposer une image de l’individu autodéterminé qui pourra remplacer les puissants stéréotypes en vigueur. 5.4. Les stéréotypes et l’espace public La répartition traditionnelle des rôles féminins et masculins est, aujourd’hui encore, fortement ancrée dans la société suisse. L’exemple le plus typique est l’organisation sociale de la reproduction : l’image d’une famille cellulaire composée de deux parents biologiques et de leurs enfants. La « femme » remplit le stéréotype de la « mère de famille » auquel est attribué la responsabilité du domaine considéré symboliquement comme l’espace privé, les principales activités couvrant les tâches domestiques, l’éducation des enfants et les soins. L’« homme », quant à lui, remplit en tant que père le rôle du nourricier qu’il finance par un travail rémunéré, agissant pour sa part surtout à l’extérieur, dans l’espace public. Cette représentation idéalisée est loin de correspondre à la réalité : de nombreuses femmes ainsi que des mères 17 18 monoparentales travaillent pour se soutenir. Mais les pères aussi se trouvent en conflit avec les attentes de la société. Selon une étude du centre de compétences Pro Familia Suisse, 90% des pères souhaiteraient travailler moins, s’accommodant volontiers d’une réduction correspondante de leur salaire. Ces résultats divergent largement de la réalité puisque dans 81% des familles avec au moins un enfant, le « Je suis moi ! Chaque père travaille individu doit avoir le à plein temps droit de déterminer alors que la sa propre identité sexuelle et de se libé- mère s’occupe du ménage et rer des rôles sexués dépassés. » de l’éducation, travaillant tout Henry Hohmann, historien de l’art et président au plus à midu Réseau transgenre Suisse temps. Le choix de la profession est aussi fortement influencé par les stéréotypes, en Suisse plus encore que dans d’autres pays européens avec très peu de jeunes qui choisissent un parcours de formation atypique pour leur sexe. Les stéréotypes ont par ailleurs une influence seconde au niveau structurel : les professions essentiellement occupées par des femmes sont souvent moins bien payées, offrent moins de possibilités de développement et ont généralement un prestige social moindre. Par contre, pour les hommes occupant des métiers typiquement masculins, il est nettement plus difficile, si ce n’est impossible, de travailler à mitemps. Cette situation les oblige donc à occuper bon gré mal gré le rôle du nourricier, même s’ils préféreraient travailler moins pour avoir plus de temps pour leurs enfants. Ces différentes perspectives de salaire et de vie renforcent les inégalités entre les sexes et favorisent finalement leur reproduction. Une autre scène propice aux rôles figés et qui jouit d’une influence sociale impor- Projection de film dans le cadre du vernissage des œuvres de Shamsias, Ziegel oh Lac, Zurich 19 tante est le paysage suisse de la politique transsexuelle ou le premier homme ouet des médias, qui continue d’être large- vertement homosexuel et père de famille ment structuré par des stéréotypes. Ce siégeant au parlement ? n’est que trop souvent Ces « modèles » de « L’égalité ne bénéficie que les politiciennes se l’espace public, que les pas qu’aux femmes. Elle voient juger en foncmédias nous présentent est aussi positive pour les tion de leur apparence d’une manière décidéhommes. Sans elle, nous physique et, à la télésommes tous des perdants ment stéréotypée, nous vision, les femmes sont car la qualité de vie en influencent quotidienneessentiellement des ani- pâtit. C’est à ce niveau qu’il ment depuis les écrans faut changer la société. » matrices jeunes, attracet les grands titres des tives et charmantes. Les Liliane Maury-Pasquier, journaux. ancienne conseillère nationale hommes, par contre, Pendant VOIX DES FEMMES sont souvent les experts qui commentent la situation depuis les régions 2012/2013, Malikah et Shamsia, deux de crise. Les femmes sont souvent mon- exemples de modèles alternatifs, nous trées comme des victimes ou évoquées ont permis de thématiser et de discuter dans des contextes culturels, alors que de manières très diverses l’influence des les hommes domineront les analyses rôles sexués et des stérérotypes ainsi politiques. Par ailleurs, la normalité hé- que la manière de les traiter. térosexuelle continue de prévaloir tout au moins dans la politique. On pourrait par exemple se demander quand nous verrons la première conseillère fédérale Malikah, Bänz Friedli, Henry Hohmann, Natalie Trummer et Jennifer Khakshouri lors de la table ronde « La société postsexiste » à Berne 20 6. L’impact des stéréotypes et des rôles sexués Les stéréotypes et les rôles sexués freinent tous les efforts entrepris pour réaliser l’égalité des sexes. Il faut par ailleurs considérer les structures hiérarchiques de la répartition des genres et le déséquilibre des rapports de force qui en découle comme l’une des principales causes de la violence liée « D’autres auraient au genre. Cet efabandonné depuis longtemps. Shamsia fet de réciprocité entre les stéréocontinue à sa manière. C’est très fort, types et les rôça m’impressionne. les sexués d’une Je voudrais faire ça part, et les inémoi aussi. » galités sociales Participante à un atelier et la violence liée au sexe présente dans toutes les sociétés d’autre part, a été confirmé par des études internationales récentes. Les stéréotypes peuvent servir d’aide à l’orientation et à l’identification des individus. Mais ils peuvent aussi limiter leur liberté et les discriminer. Si nous voulons ancrer à long terme l’égalité de tous dans notre société, il nous faut absolument remettre en question les normes socioculturelles prévalentes, autrement dit les stéréotypes. L’influence des stéréotypes est très claire dans l’exemple concernant le choix du métier dont nous avons parlé plus haut. Bien que les femmes et les hommes aient de nos jours en principe les mêmes opportunités en matière de formation et de profession, les stéréotypes continuent de limiter les choix des adolescents. Alors que les jeunes garçons s’intéressent à des métiers tels qu’électricien ou mécanicien, les jeunes filles vont suivre une formation d’aidesoignante ou de coiffeuse. Et si une profession bascule dans le camp féminin parce que de plus en plus de filles la choisissent, elle se voit alors socialement dévaluée. Les métiers féminins et masculins sont donc perçus de manière distincte et leur valeur également différenciée. En général, les métiers féminins classiques sont moins bien payés et offrent moins de possibilités d’avancement. Dans ce sens, les 21 inégalités salariales se situent au niveau des stéréotypes et ne peuvent donc pas uniquement être considérées sur un plan structurel. portables, parfois même des produits alimentaires tels que des boissons alcoolisées, sont présentés différemment selon le genre de leurs consommateurs cibles. De telles stratégies ne font que renforcer les stéréotypes et la division de la société en deux catégories en fonction du sexe. La publicité omniprésente contribue aujourd’hui à ce que les stéréotypes les plus courants et la division des sexes qui Le monde des médias et en découle soient consicelui de la politique sont dérés comme naturels et « Ça crée des presdépendants l’un de l’autre, même désirables. Le « sions, aussi pour l’avenir. On décide leur dynamique se renmeilleur des mondes » qui est ainsi vendu véhicule pour toi de ce qui est forçant mutuellement. Ils acceptable et ce qui contribuent à ce que, par majoritairement l’image ne l’est pas. » exemple, la scène politique, de la « mère de famille et Participante à un atelier et donc l’espace public par femme au foyer heureuse » et de l’« homme arrivé poursuivant sa excellence, soit fortement influencée par carrière ». Comme la publicité travaille les stéréotypes. Dans le paysage médiaavec des discours clairs et des images tique actuel, on constate la tendance percutantes de manière à ce que les croissante à présenter la politique sous messages soient vite compris, les sté- l’angle du divertissement et du specréotypes sont ici particulièrement bien tacle. Des études scientifiques ont mondéfinis et cimentent quotidiennement tré que l’aspect physique des personnes les normes en vigueur. De plus en plus, politiques est désormais plus important des produits de grande consommation que le contenu de leurs arguments, tantels que des parfums ou des téléphones dis que les émotions et les opinions pri- 22 vées viennent remplacer les faits et les débats objectifs qui sont alors relégués au second plan. Cette problématique se voit renforcée par la sous-représentation constante des femmes dans les médias et la tendance à mettre l’accent sur les stéréotypes au lieu de contribuer à leur élimination. L’égalité des sexes est un droit humain. Ceci a été défini au niveau mondial en 1995 lors de l’adoption de la déclaration de Beijing dans le cadre de la quatrième conférence internationale des femmes. Avec la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), ce document représente depuis la base d’une stratégie internationale visant à atteindre l’égalité de tous les sexes et à combattre les stéréotypes discriminatoires. Affluence au vernissage, Ziegel oh Lac, Zurich 6.1. Les stéréotypes sexués, cause des violences liées au genre Les stéréotypes et les rôles sexués au sein des modèles de comportement sociaux ont également leur part dans la violence liée au genre. Ainsi, ce type de violence est souvent légitimé par des conceptions patriarcales qui amènent certains hommes à en déduire que les femmes doivent leur être soumises, imposant cette subordination par des violences physiques et psychiques spécifiquement sexuelles qui sont souvent ignorées ou refoulées par la société, sans être reconnues comme un problème de fond. Ainsi, la manière dont la société traite les harcèlements sexuels, le mobbing ou autres formes d’agressions à connotation sexuelle montre à quel point les stéréotypes fonctionnent comme mécanismes de légitimation ou de normalisation. Le mythe encore souvent présent dans les médias de la « disponibilité sexuelle de 23 la femme » est une manifestation du concept de domination masculine et soutient les revendications de pouvoir qui y sont liées. Le fait que bien plus d’hommes que de femmes finissent comme auteurs de crimes est entre autres explicable par la socialisation des garçons qui intériorisent ces revendications de pouvoir. Les hommes qui exercent les violences sont donc en fait également des victimes des structures patriarcales. Non seulement la violence liée au genre reflète les inégalités au sein de la société, mais elle contribue aussi à les maintenir. Le fait que les victimes soient réduites au silence ou qu’on ne leur prête pas une attention suffisante ne fait que cimenter la hiérarchie des sexes. Ce mécanisme est particulièrement évident dans les violences domestiques où plusieurs facteurs contribuent à ce que les victimes ne portent pas plainte. On citera comme exemples la menace de stigmatisation ou encore la dépendance émo- tionnelle et économique. Mais la volonté de correspondre aux propres représentations et idéaux peut également être l’une des raisons pour lesquelles une femme n’arrivera pas à se détacher de sa situation familiale, si difficile soit-elle. 6.2. L’élimination des stéréotypes Article 5 : Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour : a) modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) 24 pour une prévention des violences liées au genre mission de la condition de la femme de l’ONU qui s’est tenue à New York en mars pour traiter des causes des violences envers les femmes et des moyens de lutte possibles (voir encadré). Nous devons reconnaître que les normes sociales qui se manifestent dans les stéréotypes et les rôles sexués correspondants représentent une cause essentielle Une autre cause des violences sexuées des violences que subissent les femmes. est à trouver dans les exigences stéréotyTout travail de prévention dans ce do- pées que la société impose aux hommes et aux femmes. Les maine doit donc ex« Mon intérêt de participer à femmes sont cenplicitement inclure la cette campagne concernait la sées être empaproblématique des possibilité de pouvoir aborder thiques, passives stéréotypes. Ce n’est avec les jeunes adolescent-e-s et émotives, et leur que par le biais d’un (mais surtout avec les jeunes physique doit correexamen approfondi garçons) des questions liées au spondre à certains de cet aspect et de la genre. Ce projet m’intéressait hiérarchie des sexes car le workshop graffiti était une idéaux. Les hommes, excellente démarche. » quant à eux, doivent qui y est liée que les être durs, dominants activités de prévenChristophe Koersgen, animateur socioculturel , Fribourg et forts, un comportion iront au-delà tement violent étant d’un simple traitement de symptômes. Ceci a été reconnu même parfois glorifié et érotisé. Ils doà l’échelle internationale, par exemple à ivent constamment prouver leur statut l’occasion de la session 2013 de la Com- et leur honneur, utilisant la violence pour Shamsia et Lisa Looser lors de leur performance au « Message Salon Perla-Mode » à Zurich 25 confirmer une position toujours menacée. L’hétéronormativité joue ici un rôle important, les femmes étant, dans cette logique patriarcale, réduites de manière plus ou moins subtile au statut de possession et leur physique conti nuellement jugé et commenté. La femme comme « objet de désir » est la preuve de la propre masculinité. Ces mécanismes renforcent la dominance masculine et perpétuent les structures patriarcales et hétéronormatives. Comme les femmes et les filles représentent le groupe le plus important des victimes de violence liée au genre, on a jusqu’à présent considéré ce problème essentiellement comme un sujet « de femmes ». Or, les stéréotypes sexués concernent l’ensemble de la population, et la problématique doit être examinée § 10. La Commission affirme que la violence à l’égard des femmes et des filles puise ses origines dans l’inégalité structurelle existant de longue date dans les relations de pouvoir entre elles et les hommes, et qu’elle continue de se manifester dans tous les pays du monde, en véritable violation de leurs droits et libertés fondamentaux. La violence sexiste est une grave forme de discrimination qui empêche partiellement ou totalement les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux. La violence à l’égard des femmes et des filles se caractérise par un abus de pouvoir ou une situation de domination dans les sphères publique et privée, et elle est intrinsèquement liée aux stéréotypes sexistes qui la sous-tendent et la perpétuent, ainsi qu’à d’autres facteurs aggravant la vulnérabilité des femmes et des filles qui y sont exposées. Conclusions concertées sur l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles 26 au niveau de la société tout entière. Pour violence et l’empathie peuvent ainsi dece faire, il faut toutefois avant tout défi- venir des attributs masculins. L’ensemble des stratégies de changenir la notion de mascu«L’engagement de ment doivent par principe linité et placer celle-ci Shamsia m’a beaucoup avoir pour objectif d’élimiau centre du discours, touché. Pour moi, ce ner la dichotomie féminintout en renforçant les qu’elle fait, c’est une acmasculin, qui ne doit plus nouvelles manifestativité politique. Je pense servir de division pour la tions et représentations que pour réduire les inédu concept, qui sont galités, il faut avoir beau- société. En effet, les traits d’ailleurs souvent très coup de courage et ne pas de caractères sont tout à avoir peur de s’engager fait individuels et n’ont rien individuelles et librepersonnellement. » à voir avec la féminité ou la ment déterminées. Des masculinité en soi. caractéristiques telles Martine Brunschwig-Graf, ancienne conseillère nationale que la compassion, et présidente de la commission l’attachement, la nonfédérale contre racisme Conférence « Les femmes changent le monde... mais quelle est leur place dans la sphère publique ? » à Genève, lors de l’apéritif 7. S’affranchir des normes de genre Afin de réaliser l’égalité durable de tous les genres et de combattre efficacement la violence liée au sexe, il est important qu’en Suisse aussi les stéréotypes et les rôles sexués soient placés au centre des efforts politiques en la matière. En 1997, la Suisse a ratifié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) puis, en 2008, le protocole facultatif à ladite convention. Bien que notre pays se soit ainsi engagé à entreprendre des mesures afin de mettre fin à la discrimination des femmes, il y existe toutefois d’importantes lacunes en matière de lutte contre la violence sexuée et d’activités de prévention. Le comité de la CEDEF a invité la Suisse à « s’employer davantage à éliminer les images et attitudes stéréotypées concernant les rôles des femmes et des hommes dans la famille et dans la société ». Ces efforts devraient entre autres 27 comprendre des mesures juridiques, politiques et de sensibilisation. Lors de sa session de l’année 2013, la Commission de la condition de la femme des Nations Unies a traité en priorité de l’élimination et de la prévention de toutes les formes de violences à l’égard des femmes et des filles. Dans les nombreux groupes de travail de la conférence, il a souvent été remarqué que les activités de prévention menées jusqu’à présent n’ont pas eu les résultats escomptés, essentiellement parce que l’influence des stéréotypes et des rôles sexués traditionnels n’a pas été suffisamment prise en compte. Dans les conclusions concertées, plusieurs paragraphes, en particulier le paragraphe 10 et les sections ll, mm et pp du paragraphe 34, soulignent l’importance de l’élimination des stéréotypes dans le cadre de la lutte contre les violences liées au genre. Natalie Trummer, Yvonne Feri, Marcel Bührig, Meris Schüpbach et Nino Gadient lors de la table ronde « Eliminer les stéréotypes de genre », à Berne 28 VOIX DES FEMMES 2012/13 a pu lancer un large débat au sujet des rôles et stéréotypes sexués. Le sexisme ne doit plus être considéré comme un « truc de femmes » mais vraiment comme un problème touchant l’ensemble de la société. Lors des différents débats, on a examiné en quelle mesure les stéréotypes servent à reproduire les inégalités qui se sont développées au cours de l’histoire. Toutes et tous se sont entendus pour reconnaître qu’il restait encore beaucoup à faire si l’on voulait attaquer le problème par la racine, c’est-à-dire là § 34. La Commission [...] invite [...] à prendre les où les stéréotypes se formesures ci-après : […] Mobiliser les collectivités et ment ou sont renforcés : les institutions afin de faire évoluer les attitudes, les comportements et les habitudes qui perpéLes médias et la publicité tuent ou tolèrent les stéréotypes sexistes et tou- contribuent en grande partie te les formes de discrimination et de violence conà consolider les stéréotypes tre les femmes et les filles, en impliquant les mouen présentant pour ainsi dire vements de femmes et de jeunes, les mécanismes nationaux de promotion de la femme, les organisa- exclusivement une répartitions nationales de défense des droits de l’homme, tion traditionnelle des rôles lorsqu’elles existent, les écoles, les établissements en fonction du sexe. Alors d’enseignement, les médias et autres institutions que la publicité utilise très qui travaillent directement auprès des femmes et sciemment les représentades filles, des hommes et des garçons, à différents tions traditionnelles afin de niveaux de la société et dans des contextes divers, produire l’impact souhaité, les autorités religieuses et les dirigeants locaux, les c’est souvent inconsciemanciens, les enseignants et les parents. ment que les journalistes Conclusions concertées sur l’élimination et la prévention de mettent en œuvre des toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles images correspondant aux 29 stéréotypes communs. Il serait donc important que les professionnel-le-s des médias, particulièrement les rédactrices et rédacteurs d’image, soient dès leur formation sensibilisés à la question des genres dans le choix des photos et films ainsi que dans les reportages et les commentaires. Il faut que les mesures entreprises le soient le plus tôt possible et à des moments clés du développement des individus. Les propres expériences et observations que font les enfants et les jeunes sont décisives pour une socialisation libre de stéréotypes. Il est donc particulièrement important qu’ils vivent dans un environnement où les sexes sont traités de manière égalitaire et où ils peuvent observer les adultes dans toutes sortes de rôles très variés. Dans la phase cruciale de l’enfance et de l’adolescence, les crèches, jardins d’enfants, écoles et autres institutions d’éducation jouent un rôle décisif lorsqu’il s’agit de présenter la diversité des identités de genre de manière libre de jugements et de conceptions prédéfinies. Les manuels scolaires et le matériel utilisé, mais aussi les habitudes et les rituels quotidiens, doivent également être revus dans cette optique. A l’avenir, les hommes devraient par ailleurs être beaucoup plus présents dans les jardins d’enfants et les écoles primaires afin que les petits aient des enseignants de différents sexes tout au long de leur scolarité et dès leur plus jeune âge. Un élément clé du processus de consolidation des stéréotypes est le choix du métier. Les jeunes doivent savoir que les préjugés et les idées reçues concernant les genres peuvent fortement influencer leur décision et donc leur vie tout entière. Les écoles et les centres de conseil se doivent de suffisamment informer les jeunes à propos de métiers et orientations déviant des rôles stéréotypés afin qu’ils puissent prendre des décisions fondées. Il est important de leur donner la 30 31 possibilité facilement accessible de mieux connaître des métiers atypiques pour leur sexe, et les personnes qui accompagnent les jeunes dans le choix de leur carrière doivent être plus spécifiquement sensibilisées à cette problématique. chacun est confronté dans le cadre des stéréotypes sexués est la condition préalable pour le développement d’une personnalité forte et individuelle qui ne se laissera pas ranger dans un rôle prédéfini. Pendant VOIX DES FEMMES 2013, c’est un public jeune, et en particulier les garçons et les jeunes hommes, qui ont été interpellés et sensibilisés grâce à l’art urbain. Participante à un atelier L’objectif était d’attirer leur attention sur les rôles et stéréotypes sexués et de les encourager à développer une conscience réfléchie de leur propre rôle ainsi qu’une relation ludique avec celui-ci. Lors des ateliers tenus dans différentes villes, on a abordé le rôle des sexes, du genre et des stéréotypes. Notre invitée Shamsia, une personnalité représentant la puissance des rôles alternatifs, a indéniablement inspiré les jeunes avec ses ateliers de graffitis. Elle a expliqué ses expériences et son engagement en Afghanistan et su retourner la perspective de manière très décontractée en demandant aux participants comment ils pensaient que les stéréotypes influençaient notre société, ici en Suisse. « A force, ça t’énerve qu’on te dise que tu es un homme simplement à cause des choses que tu fais. Des choses que tu fais simplement parce que tu aimes les faire. » Une telle réflexion critique sur sa propre identité et les attentes auxquelles Outre les activités organisées avec une personnalité forte représentant un modèle à imiter, le sujet de l’art urbain s’est avéré être un plein succès. Il a ainsi été possible de communiquer et de disGraffiti collectif des participantes à l’atelier de Genève 32 cuter la complexité du sujet par le biais de graffitis, une forme d’art particulièrement appréciée par les jeunes, qui a en même temps permis d’aborder le sujet d’une manière tout à fait nouvelle. Ainsi, de nombreuses œuvres d’art urbain traitant différents aspects des stéréotypes sexués ont été créées lors des ateliers. Dans le cadre des manifestations de VOIX DES FEMMES à Genève, on a parlé des stéréotypes de genre dans l’espace public, en Suisse comme dans d’autres pays. Lors d’un atelier, des femmes issues de l’immigration appartenant à quatre organisations locales ont discuté des exigences normatives tant de leurs sociétés d’origine que de la société d’accueil. Très vite s’est établie une base de confiance qui a permis de traiter le sujet en commun et, suivant cette étape, de créer un graffiti de groupe. Différentes expériences des attentes que la société exprime envers « la femme » ainsi que le vécu des participantes en matière de discriminations Shamsia et les participantes à l’atelier de Genève et de violences physiques et psychologiques, mais aussi de violences structurelles en leur qualité d’immigrantes, ont alimenté les discussions. Ces échanges fructueux entre les participantes et Shamsia ont particulièrement bénéficié de l’origine de notre invitée. Pendant cet atelier d’une journée, le travail de création artistique a été utilisé comme moyen pour arriver à une analyse individuelle, démarche qui s’est avérée très efficace. Les premières discussions se sont développées lors des esquisses de motifs effectuées en groupes de deux, étape suivie par celle du graffiti commun regroupant les motifs individuels et que les participantes ont perçue comme un acte de solidarité. Les expériences individuelles ont été exprimées de manière intersubjective avant d’être transférées à un niveau sociétal. Pour conclure, les enseignements recueillis ont été repris lors du débat qui a suivi. 8. Conclusions et perspectives Une analyse des rôles sexués et des stéréotypes de genre dans l’espace public doit être placée au centre des efforts de politique égalitaire. VOIX DES FEMMES 2012/2013 a ouvert la voie d’un tel débat et TERRE DES FEMMES a encouragé ces activités en collaboration avec de nombreuses organisations locales par le biais de vernissages, de discussions, d’ateliers ainsi que d’un concert, qui ont eu lieu dans toute la Suisse. Nous souhaitons à cet endroit vivement remercier toutes les personnes et organisations impliquées qui se sont fructueusement engagées dans cette campagne. Les ateliers de graffiti ont également été organisés au niveau local, de manière adaptée au groupe cible et facile d’accès. Les retours et les expériences, tous positifs, nous ont renforcées dans notre intention de continuer dans cette direction. Nous utiliserons ces enseignements dans notre campagne pour des rôles autodéterminés « Rollen rollen » (www.rollenrollen.ch) et continuerons à chercher le contact avec les jeunes par le biais de l’art, en particulier de l’art urbain. Un de nos objectifs est de développer des collaborations avec des organes de formation et d’activités socio-éducatives. Notre opinion est que les stéréotypes et le sexisme ne sont plus des sujets exclusivement féminins et ne doivent plus être considérés comme tels, et cette approche s’est trouvée largement confirmée. Les stéréotypes et les rôles sexués sont reproduits tant par les femmes que par les hommes et peuvent limiter les perspectives de vie de tous. Afin d’ancrer fermement le discours sociétal, il est nécessaire de s’appuyer sur le support accru des hommes. La prochaine édition de VOIX DES FEMMES, en 2014, ouvrira la voie à ce débat en abordant le sujet de la masculinité et en essayant d’analyser les stéréotypes courants qui y sont associés. Nous nous réjouissons d’ores et déjà des discussions certainement animées qui en résulteront. 33 34 Aperçu des manifestations 2012 et 2013 VOIX DES FEMMES 2012 avec Malikah 29 novembre 2012, 20 h 30, Mahogany Hall, Berne : Concert de Malikah et La Gale 2 décembre 2012, 11 h, ONO Das Kulturlokal, Berne : « La société postsexiste », table ronde avec Malikah, Bänz Friedli, homme au foyer et journaliste, Henry Hohmann, historien de l’art et président du Réseau transgenre Suisse, et Natalie Trummer, directrice de TERRE DES FEMMES Suisse. Animatrice : Jennifer Khakshouri, SRF VOIX DES FEMMES 2013 avec Shamsia 6 juin 2013, 18 h, Rote Fabrik, Zurich : « Graffitis à Kaboul – Comment l’art change les stéréotypes », table ronde avec Shamsia, Daniel Morgenthaler, commissaire d’exposition du Helmhaus, et Natalie Trummer, directrice de TERRE DES FEMMES Suisse. Animatrice : Susann Wintsch, commissaire d’exposition du TREIBSAND et chargée de cours à l’école des beaux-arts de Zurich 6 juin 2013, après-midi, Rote Fabrik, Zurich : Création de graffitis par Shamsia 7 juin 2013, 10 h 15, KOFF, swisspeace, Berne : Table ronde « Gender & Art in a Contested Public Space : Experiences from Afghanistan » 7 juin 2013, animation socioculturelle à Marly et Villars-sur-Glâne : Atelier de graffitis pour jeunes 8 juin 2013, 8 h 30, Rote Fabrik, Zurich : Atelier de graffitis pour jeunes sous la direction de Monika Wirz, Simone Furrer et Shamsia 9 juin 2013, 14 h, Message Salon Perla-Mode, Zurich : Performance artistique de Shamsia et Lisa Looser 35 10 juin 2013, 18 h 30, Restaurant Ziegel oh Lac, Zurich : Vernissage. Exposition de photos d’œuvres de Shamsia. Introduction et interview : Marion Strunk, professeure en théorie des cultures et études de genre, école des beaux-arts de Zurich 12 juin 2013, projet KIDSWEST.CH, Berne : Atelier de graffitis pour jeunes sous la direction de Monika Wirz et Shamsia 12 – 17 juin 2013, Cour de l’Hôtel de Ville, Genève : Exposition des œuvres de Shamsia 14 juin 2013, 13 h – 17 h 30, Université ouvrière de Genève (UOG) : « Atelier artistique » réalisé en collaboration avec les secteurs de l’enseignement et de l’animation de l’UOG, de l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière OSEO-Genève, de l’association Camarada et du foyer Le Cœur des Grottes 14 juin 2013, 18 h 30, Université ouvrière de Genève (UOG) : « Les femmes changent le monde… mais quelle est leur place dans la sphère publique ? ». Conférence avec Liliane Maury Pasquier, conseillère aux Etats et Martine Brunschwig Graf, ancienne conseillère nationale 15 juin 2013, 13 h 30, Theaterladen im Schlachthaus, Berne : Exposition et discussion dans le cadre de la série « A qui appartient la ville ? » 15 juin 2013, 15 h 15, Schlachthaus Theater, Berne : « Eliminer les stéréotypes de genre. Exigences politiques et approches pratiques ». Table ronde avec Yvonne Feri, conseillère nationale et présidente des Femmes socialistes suisses, Marcel Bührig, membre du comité des Jeunes Vert-e-s de Zurich et co-initiateur de rollenrollen.ch, Meris Schüpbach, directrice du projet KIDSWEST.CH, et Natalie Trummer, directrice de TERRE DES FEMMES Suisse. Animateur : Nino Gadient, SRF Droits Humains pour la Femme