Chap.7 LL

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Chap.7 LL
Déplacements des supporters et problèmes d’ordre public
Le cas de l’Olympique de Marseille
Lestrelin Ludovic
Les migrations de supporters pour assister à des matchs de football ont augmenté
sensiblement depuis plusieurs années. L’organisation de voyages s’inscrit dans une « culture
déplacement », pour reprendre une expression courante parmi les partisans de football
(notamment ultras) qui prend ses racines, en France, dès les années 19301. Très tôt, la
mobilisation importante de supporters lors des matchs « à l’extérieur » est un moyen
d’affirmer une supériorité pour les clubs. De sorte que, rapidement, « une concurrence
originale s’établit alors, au-delà de l’enjeu sportif proprement dit »2. Plus près de nous, les
hooligans anglais ont institué les déplacements massifs sur tout le territoire national et en
Europe, une pratique ayant en outre suscité de nombreuses peurs3. En France, les supporters
de l’AS Saint-Étienne ont popularisé ces déplacements militants pour accompagner leur
équipe lors des années 1970. L’intensification du phénomène, au cours des années 1990, est à
relier à l’essor des associations autonomes de partisans. La « professionnalisation » de leurs
structures et la hausse de leurs effectifs ont notamment permis l’organisation et le
financement de voyages réguliers.
Le développement sensible, à la même période, du « supportérisme à distance » se superpose
à l’avènement de cette facette de l’activité des supporters4. Dans nombre de pays européens,
la dispersion géographique des « foyers partisans » est, en effet, aujourd’hui manifeste : non
seulement la popularité des équipes de football dépasse désormais l’horizon local, mais des
groupes organisés de supporters voient régulièrement le jour en dehors du territoire
d’implantation des clubs. Il s’agit d’une tendance forte du supportérisme contemporain : les
1
Sur l’exemple des supporters du RC Lens, voir : D. Demazière, Y. Maerten, P. Roquet, « La fabrication des
"Sang et Or" : organisations et engagements des supporters lensois », Sociétés et Représentations, n°7, 1998,
p 227-239.
2
O. Chovaux, « L’émergence du spectacle sportif au Nord de la France : vitalité du football-association et
origines du supportérisme dans les années vingt », in O. Chovaux, C. Coutel (dir.), Éthique et spectacle sportif,
Arras, Artois Presses Université, 2003, p 61.
3
J. Williams, E. Dunning, P. Murphy, Hooligans abroad : the behaviour and control of English fans in
continental Europe, Londres, Routledge, 1989.
4
Pour de plus amples détails sur le « supportérisme à distance », se reporter à : L. Lestrelin, L’autre public des
matches de football. Sociologie du supportérisme à distance. Le cas de l’Olympique de Marseille, Thèse pour le
doctorat de Staps, université de Rouen, faculté des sciences du sport, 2006. Voir aussi : L. Lestrelin, L. Sallé et
J.-C. Basson, « The Trajetories Leading to Supporting at a Distance. The Olympique de Marseille Case Study »,
European Journal for Sport and Society, vol. 3, n°2, 2006, p 125-141.
139
grands clubs espagnols, anglais ou italiens sont encouragés et suivis par des groupes de
supporters situés à des centaines de kilomètres du stade. Il existe ainsi une version active de
« supportérisme à distance » vécue au sein de groupes dont l’activité principale consiste en
l’organisation de voyages (le plus souvent en car ou en minibus) pour se rendre dans les
tribunes des stades. Mal connu, ce mode de soutien suppose l’accomplissement de
déplacements aussi bien pour les rencontres de l’équipe « à l’extérieur » que pour ses matchs
à domicile. De sorte que la systématisation des déplacements des partisans lors de chaque
partie disputée par les clubs et l’augmentation du nombre des associations de « supporters à
distance » soutenant les différentes équipes françaises et européennes ont eu pour effet
d’augmenter considérablement les possibilités de croisement entre groupes de supporters sur
les routes et autoroutes nationales.
Par conséquent, les déplacements des supporters de football posent des problèmes d’ordre
public dont la gestion s’avère d’autant plus délicate que les risques sont plus diffus, se
caractérisant par leur éloignement à la fois spatial et temporel du match : les troubles
potentiels se localisent loin des enceintes sportives, en amont et en aval des rencontres. Aussi
le phénomène interroge-t-il les dispositifs de sécurité et particulièrement les modes de
régulation des déplacements des supporters.
Note méthodologique
Le travail de terrain s’est organisé autour de deux méthodes : des entretiens semi-directifs et des
observations. Nous avons tout d’abord investi les associations de supporters à Marseille, plus
particulièrement : le Club central des supporters, qui représente le modèle officiel de soutien au club ;
plusieurs groupes autonomes de supporters, inspirés du modèle italien de supportérisme (dénommé
« ultra ») dont les Ultras Marseille, les South Winners, les Dodgers, les Yankee Virage Nord, les
Fanatics et les Marseille Trop Puissant. Des observations ont été menées depuis les tribunes des
stades lors des matchs, à Marseille comme dans d’autres enceintes françaises dans lesquelles
l’Olympique de Marseille se produit, et depuis les cars et les minibus lors des « périples
supportéristes » afin de restituer les dimensions organisationnelles et les modes d’action propres à
chaque association, de décrire de l’intérieur les préparatifs des voyages et les logiques des
déplacements des supporters. Cette démarche a été complétée par la réalisation d’entretiens menés
auprès des responsables de ces groupes pour, d’une part, appréhender leur perception des dispositifs de
sécurité mis en place pour encadrer leur activité lors des déplacements et, d’autre part, saisir
l’organisation des voyages accomplis par les sections que ces associations contrôlent. Notre
investigation de la réalité marseillaise s’est également orientée en direction des acteurs de la sécurité
du club, notamment la responsable adjointe de la sécurité et de l’organisation des matchs, chargée plus
spécialement des déplacements des associations de supporters de l’Olympique de Marseille.
Rappelons que le travail mené par les dirigeants du club en direction des supporters a été loué par la
Ligue de football professionnel à l’occasion de la réunion annuelle des directeurs de la sécurité qui
s’est déroulée à Marseille en juin 2004. Enfin, nous avons rencontré, lors de notre séjour à Rome, le
directeur adjoint de l’Observatoire national sur les manifestations sportives du Ministère de l’Intérieur
italien afin de restituer les dispositifs mis en place dans un pays particulièrement confronté à des
déplacements massifs de supporters ultras.
140
1. Le public des clubs de football à l’heure du « supportérisme à distance »
En France, la fréquentation des stades a connu une hausse ininterrompue tout au long des
années 1990. La moyenne nationale de spectateurs passe de 10 760 en 1989-1990 à 16 571 en
1997-1998. La saison consécutive à l’organisation de la coupe du monde de football (soit en
1998-1999) voit l’affluence moyenne passer à 19 807 et s’établit à 23 154 spectateurs lors de
la saison 2000-2001 (la moyenne s’établit autour de 22 000 spectateurs depuis). Lors de la
saison 2006-2007, le championnat de France de première division a ainsi attiré près de 8,3
millions de spectateurs (ils étaient 2,5 millions en Ligue 2), soit trois millions supplémentaires
par rapport au niveau de 1998 (comme l’indique le graphique ci-dessous).
La régularité de la présence des spectateurs dans les tribunes doit être soulignée. Depuis
l’organisation de la coupe du monde (en 1998), les abonnés (soit les personnes qui louent leur
place à l’année) sont, chaque saison, plus nombreux dans les stades français. La moyenne par
club de première division passe de 6 000 lors de la saison 1997-1998 à 12 200 lors de la
saison 2000-2001. Les abonnés représentent aujourd’hui près de 55 % du total de spectateurs
présents dans les stades français (les vingt clubs de Ligue 1 totalisent 245 000 abonnés au
début de la saison 2007-2008). Certaines équipes, telles que le RC Lens, l’Olympique de
Marseille, le Paris-Saint-Germain, le FC Girondins de Bordeaux ou encore l’Olympique
141
Lyonnais jouent régulièrement dans des stades « à guichets fermés »5. Derrière ces chiffres se
cache un public fortement différencié, notamment si l’on prend en considération l’aire
géographique de recrutement des clubs, aujourd’hui particulièrement élargie.
A. Des « supporters à distance » dans les stades
En France, les abonnés font en moyenne 56 kilomètres pour se rendre au stade de leur équipe
favorite, les spectateurs occasionnels près de cent. Ainsi, la popularité de nombreux clubs
dépasse largement l’horizon local. Les spectateurs non-abonnés au Stade vélodrome font en
moyenne 287 kilomètres pour assister aux matchs de l’Olympique de Marseille à domicile,
ceux de l’AS Saint-Étienne font 190 kilomètres et ceux de Bordeaux 1206. La France est loin
d’être un cas isolé : 25 % des spectateurs de première division anglaise viennent d’un
périmètre géographique inférieur à 5 miles (8 kilomètres) et 64 % résident dans un rayon de
20 miles (32 kilomètres) autour du stade. Mais les supporters de Manchester United, Arsenal,
Tottenham Hotspurs ou Liverpool FC, autant d’équipes de renom, résident plus fréquemment
à plus de 50 miles (80 kilomètres environ). Ce phénomène s’est fortement accentué depuis
une vingtaine d’années, la télévision ayant notamment contribué à la stimulation des
identifications extraterritoriales. L’essor de formes organisées de « supportérisme à distance »
doit aussi être relevé.
B. Les formes organisées de « supportérisme à distance »
La diffusion des clubs de supporters bien au-delà de la région proche du territoire
d’implantation des clubs de football témoigne de l’extension du « supportérisme à distance »
vécue sous sa forme la plus active. Certains partisans franchissent, en effet, le pas de
l’adhésion dans un groupe dont l’activité principale consiste à réaliser des déplacements, plus
ou moins systématiques, afin de se rendre dans les stades où se produit leur équipe favorite et
se mêler ainsi aux partisans locaux, ceux qui habitent au plus près du club soutenu. Présentée
5
En France, le taux de remplissage moyen des stades est de 74 %. À titre de comparaison, le championnat
allemand connaît un taux de remplissage de ses stades de l’ordre de 83 %, dont la capacité moyenne est de
49 000 places, contre 31 000 en France. Le taux de remplissage des stades anglais est de 92 %, les enceintes
pouvant accueillir en moyenne 37 000 spectateurs. Entre 2000 et 2005, 18 stades ont été rénovés ou construits en
Allemagne (en raison de l’organisation de la dernière édition de la coupe du monde de la FIFA), 9 en Angleterre
contre 7 en France (un seul en Italie). Les stades rénovés sont donc aussi les plus remplis.
6
Ces données sont extraites d’une enquête menée lors de l’été 2006 par la Ligue de football professionnel auprès
de 5 000 spectateurs des vingt clubs de Ligue 1. Voir : Foot Pro Magazine, n°22, novembre 2006, p 8-10.
142
ci-dessous, la géographie actuelle de la mobilisation en faveur des clubs de Lens (RCL), de
Paris (PSG), de Saint-Étienne (ASSE) et de Marseille (OM) atteste cette dispersion générale.
Belgique
Belgique
16
35
Martinique
La Réunion
Guadeloupe
USA
Cameroun
Liban
Uruguay
15
La mobilisation en faveur du RC Lens
La mobilisation en faveur du PSG
35 et 16 groupes dans le Nord et le Pas-de-Calais
Grande-Bretagne
Mayotte
Guyane (2)
Nouvelle-Calédonie
Guadeloupe
Tahiti
La Réunion
15 groupes en région parisienne
Antilles
Guyane
La Réunion
New York
Los Angeles
Cameroun
Belgique
Luxembourg
Suisse
31
49
31
La mobilisation en faveur de l’ASSE
La mobilisation en faveur de l’OM
49 groupes en région Rhône-Alpes (hors Loire)
31 groupes dans la Loire
31 groupes en région Provence-Alpes-Côte d’Azur
143
C’est bien la grande diversité géographique du recrutement des supporters qui caractérise les
clubs. Le RC Lens, qui symbolise, au-delà de la ville, une mémoire commune façonnée par
l’appartenance au bassin minier, peut s’appuyer sur le soutien de 80 groupes de supporters
dont 69 sont affiliés au 12 Lensois, l’association officielle de partisans portée par les
dirigeants du club qui compte 7 000 adhérents. Le même modèle prévaut dans le cas du ParisSaint-Germain. 28 PSG Clubs, directement organisés par le « département supporters » du
club, sont disséminés sur tout le territoire national et au-delà (au Liban et au Cameroun
notamment). Les Lutece Falco et les Boulogne Boys, deux associations ultras, possèdent aussi
des sections. Mais ce sont les réseaux supportéristes de l’Association sportive de SaintÉtienne (ASSE) qui sont, en France, les plus amples et les plus denses. L’influence des succès
nationaux et européens au milieu des années 1970 semble certaine (la victoire de l’OM en
finale de la coupe d’Europe des clubs champions de 1993 fut tout aussi décisive). Situation
totalement inédite alors, les Associés supporters, parrainés par les dirigeants du club,
comptaient 44 sections et 5 500 adhérents dans toute la France à la fin des années 1970. 212
groupes de supporters réunissant 12 500 membres sont aujourd’hui affiliés à cette association.
Pour compléter ce rapide recensement, il faudrait ajouter que des « passions transnationales »
viennent complexifier la carte contemporaine du supportérisme7. À l’heure de
l’internationalisation du football et de l’intensification des flux migratoires, il existe de
nombreux autres groupes situés sur le territoire français qui soutiennent notamment des clubs
italiens, espagnols, portugais ou anglais. Loin de s’arrêter aux limites régionales, les réseaux
supportéristes s’affranchissent tout autant des frontières nationales.
C. Le cas de l’Olympique de Marseille
Qu’en est-il à l’Olympique de Marseille (OM), un club qui exprime une forte identité locale ?
À la différence de bon nombre d’équipes françaises au sein desquelles le modèle institutionnel
prédomine, le modèle indépendant « à l’italienne » occupe une place particulière dans le
militantisme en faveur de l’OM. Les associations de jeunes supporters ultras y tiennent, en
effet, une place prépondérante. Le Stade vélodrome abrite deux associations incarnant le
supportérisme officiel et six autres groupes empruntant à l’alternative autonome. Ces derniers
connaissent un véritable succès. Fondés à partir du milieu des années 1980 sur l’exemple
7
Voir, à ce sujet : H. Hognestad, « Transnational Passions: A Statistical Study of Norwegian Football
Supporters », Soccer and Society, vol. 7, n°4, 2006, p 439-462 ; R. Giulianotti, R. Robertson, « Glocalization,
Globalization and Migration. The Case of Scottish Football Supporters in North America », International
Sociology, vol. 21, n°2, 2006, p 171-198.
144
italien, ils représentent aujourd’hui plus de 20 000 membres et occupent les deux virages du
stade, c’est-à-dire les tribunes situées derrière chaque but. Autant dire qu’à Marseille, les
ultras incarnent, plus que dans tout autre club, la « norme supportériste ». En 1985, les
spectateurs du Stade Vélodrome résidaient, pour 60 % d’entre eux, dans la ville même, 20 %
venaient des zones industrielles environnantes et, au total, 90 % habitaient le département des
Bouches-du-Rhône8. En 1999, l’aire de recrutement du public s’était considérablement
élargie : 33 % des spectateurs résidaient à Marseille, 20 % dans les autres localités des
Bouches-du-Rhône et 46 % venaient d’autres départements9. Aujourd’hui, près de 70 groupes
sont situés en dehors de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (où siègent néanmoins 31
associations).
Un modèle organisationnel singulier : associations centrales et sections périphériques
L’organisation du « supportérisme à distance » en faveur de l’OM laisse apparaître que le
centre de gravité de ces groupes implantés en divers endroits du territoire national se situe à
Marseille, soit dans l’environnement local du club soutenu. Il faut, en effet, souligner le fait
que ce maillage géographique repose sur un système très hiérarchisé, de sorte que ces diverses
entités partisanes se trouvent prises dans et par des logiques qui leur sont extérieures. À la
manière des partis politiques disposant de nombreuses entités périphériques relayant l’action
du siège national, les groupes de supporters de l’OM disséminés en France et à l’étranger sont
en réalité des sections qui sont affiliées aux diverses associations de supporters marseillais
implantées localement, c’est-à-dire à la source même du club.
Il existe huit associations siégeant dans les tribunes du Stade vélodrome :
1. Le Club central des supporters (CCS), organe officiel du club, fédère actuellement vingthuit sections10. Dans le champ du supportérisme marseillais, le CCS fait figure d’ancêtre.
Constituée en 1981 après de multiples scissions depuis la création du Club des supporters de
l’OM (fondé en 1967), cette association dispose de 3 000 membres environ et se répartit dans
8
C. Bromberger (avec A. Hayot et J.-M. Mariottini), Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à
Marseille, Naples et Turin, Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1995, p 216.
9
C. Bromberger, « Le sport et ses publics », in P. Arnaud (dir.), Le sport en France, Paris, La Documentation
française, 2000, p 106.
10
Contrairement à d’autres organes officiels de supportérisme, comme au RC Lens par exemple, le CCS
entretient des relations moins serrées et parfois tendues avec les dirigeants du club. Néanmoins le groupe est,
comme la plupart des groupes officiels français, en prise avec les politiques publicitaires et commerciales du
club. Il assure, lors de chaque rencontre à domicile, la vente de places ouvertes à la location en tribunes Ganay et
Jean Bouin. Ainsi est-il possible de commander des billets (à un tarif allant de 25 à 55 euros) auprès du CCS en
effectuant une réservation par téléphone (les places étant ensuite envoyées par « Chronopost »).
145
plusieurs secteurs du Stade vélodrome. Le CCS est essentiellement composé d’hommes d’âge
mûr (les catégories d’âge sont bien plus élevées que dans d’autres groupes marseillais) aux
origines populaires, principalement des ouvriers, des employés, de petits artisans et
commerçants. Il faut encore noter l’ambiance très familiale qui caractérise cette association11.
En raison de son antériorité dans le champ du supportérisme marseillais, le CCS fut le premier
groupe à disposer de sections de « supporters à distance » réparties en France. Plus de 2 000
adhérents étaient rassemblés autour de la section parisienne du CCS à la fin des années 1970.
Mais c’est surtout au cours des années 1980 que la diversification géographique de
l’implantation territoriale du groupe s’est accrue. Cette dernière s’est accentuée tout au long
des années 1990, accompagnant les succès nationaux et européens de l’OM.
2. Fort de 3 550 membres en 2005, le Club des Amis de l’OM, fondé en 1987, est l’autre
groupe officiel de supporters de l’OM. Celui-ci déploie un modèle organisationnel inverse, ne
disposant que d’une seule section située dans l’Ariège. Le Club des Amis de l’OM entretient
par ailleurs des relations étroites avec un groupe de « supporters à distance » indépendant, Les
Phocéens, lui fournissant les abonnements au Stade vélodrome (environ 300) et des billets
lors des matchs de l’OM à l’extérieur. Les membres des Amis de l’OM se veulent plus discrets
que leur voisin officiel, même s’ils se rapprochent dans leur manière d’être et de faire d’une
forme de suivi modéré du club, en somme un supportérisme que l’on pourrait qualifier de
« rangé » et assagi.
3. Groupe ultra de 1 500 membres, les Fanatics Massalia ont été fondés au début de l’année
1988. Relativement discrets (évitant ainsi les rivalités trop importantes dans le champ du
supportérisme autonome français) et assez fermés, les Fanatics sont un groupe respecté en
France mais peu connu en dehors du cercle des initiés au monde ultra. L’ancrage provençal y
est très fort. L’OM apparaît comme le représentant symbolique de la Provence et de
l’Occitanie. Si les Fanatics disposent de quelques adhérents résidant en région parisienne et
dans le Nord de la France, l’association ne possède aucune section organisée de « supporters à
distance » (et n’en a jamais eu). À l’heure actuelle, aucun projet en ce sens n’est prévu et
toutes les sollicitations de « supporters à distance » souhaitant fonder un groupe affilié à
l’association se voient repoussées.
4. Les Marseille Trop Puissant (MTP) sont, eux aussi, proches de cette logique. 3 000
membres (souvent issus de l’immigration maghrébine et provenant, par ailleurs, des quartiers
11
Le CCS est adhérent depuis une quinzaine d’années à la Fédération des associations de supporters français et
donc à l’association du fair-play pour la non violence autour des matchs de football (au CCS, le supporter se
comporte en « véritable ambassadeur du football », selon l’un des principes édictés par la direction).
146
populaires de Marseille, voire des secteurs les plus difficiles de la cité) composent le groupe
qui occupe la partie haute du Virage Patrice de Peretti. Les adhérents les plus investis sont
jeunes, très majoritairement âgés entre vingt et vingt-cinq ans. Le groupe se définit comme
résolument « anti-fachos » (en référence à certains groupes français qui seraient proches de
l’extrême droite) et n’hésite pas à recourir à l’affrontement physique avec les supporters
adverses. Les MTP accordent beaucoup d’importance à la cohésion interne et à l’identité de
leur association, prônent la radicalité et la ferveur du soutien à l’OM (se concevant comme
une avant-garde partisane), n’affichent aucune ambition expansionniste, mais sont plutôt dans
une logique « artisanale » et inventive du supportérisme qui va de pair avec un certain degré
de fermeture vis-à-vis de l’extérieur. Comme au sein des Fanatics, l’expansion géographique
de l’association est relativement limitée. Les adhérents des MTP sont très majoritairement des
Marseillais ou des habitants des Bouches-du-Rhône. Mais on peut aussi recenser des
regroupements informels et réduits de « supporters à distance » affiliés à ce groupe (non
organisés sous la forme de section) en région parisienne et dans le Nord de la France. Une
section située en Moselle a récemment vu le jour.
5. Les Dodger’s, fondés en 1992, promeuvent un supportérisme festif mais aussi familial,
regroupant des partisans à la moyenne d’âge plus avancée (bon nombre d’adhérents ont plus
de trente ans), loin des formes de soutien radicales et débridées adoptées par les groupes
juvéniles tels que les MTP. Le groupe compte aujourd’hui 2 500 membres et dispose de treize
antennes partisanes, toutes constituées en associations déclarées en préfecture. Six d’entre
elles sont implantées dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Sept autres sections ont
trouvé une place dans un rayon plus large (dans l’Hérault, le Tarn, le Gers, en Ardèche, en
Moselle, en région parisienne et aux Antilles).
6. Les Ultras Marseille, fondés en 1984 (ce qui en fait le premier groupe ultra fondé à
Marseille) et forts aujourd’hui de près de 5 000 adhérents poussent plus loin encore cette
« logique expansionniste ». Les Ultras Marseille disposent de vingt-trois sections, créées à
partir de 1989 et réparties dans toute la France. Fortement inspirés du modèle italien de
supportérisme, les Ultras Marseille prônent la discipline et l’organisation. Considérant que le
nombre représente la force de leur groupe et la vigueur de leur soutien, ils tirent parti de
l’engagement à distance des nombreuses sections. Celles-ci jouent un rôle de mise en valeur
du groupe marseillais qui prouve ainsi sa capacité à mobiliser, en nombre, des supporters dans
n’importe quel stade français. Les sections extérieures à l’aire marseillaise contribuent, d’une
part, à la renommée du groupe auprès des supporters adverses, d’autre part, à son poids et son
influence auprès des dirigeants du club lorsqu’il s’agit notamment de négocier le tarif des
147
abonnements dans les Virages (le groupe est un interlocuteur important du club). L’intérêt est
aussi économique : un grand nombre d’adhérents, quelle que soit leur appartenance
territoriale, représente une manne financière importante qui, en l’absence d’aides financières
apportées par la direction du club, permet d’assurer le fonctionnement des activités du groupe
chaque année.
7. Si le modèle expansionniste est particulièrement affirmé au sein des Ultras Marseille, il en
va de même au sein des Yankee Virage Nord, un autre groupe autonome (fondé en juin 1987)
composé de 5 000 membres. Cette association est également représentée sur l’ensemble du
territoire national, les sections étant appréhendées comme des facteurs de rayonnement
importants. Là où les Ultras Marseille incarnent une version moderne de supportérisme (le
groupe fédère de jeunes hommes au comportement volontiers débridé), les Yankee évoquent
plutôt leur pendant traditionnel, rassemblant une frange plus âgée et plus sage de partisans.
Cette expansion géographique s’est accrue à la fin des années 1990. Les Yankee Virage Nord
fédèrent aujourd’hui trente et une sections (dont dix-huit implantées hors de la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur). Comme les sections affiliées aux Dodger’s ou au CCS, mais à
la différence de certaines rattachées aux Ultras Marseille, les « filiales » extraterritoriales des
Yankee Virage Nord sont toutes constituées en association de type loi 1901, le groupe
entendant ainsi promouvoir un supportérisme responsable.
8. Regroupant, enfin, 5 500 adhérents (ce qui en fait numériquement la plus puissante
association de supporters marseillais à l’heure actuelle), les South Winners ont couplé la
promotion d’une forte identité locale avec le projet de fédérer de nombreux membres pour
asseoir une notoriété dans le paysage supportériste français et, plus particulièrement, dans le
mouvement ultra. De fait, les South Winners sont aujourd’hui un groupe-phare du
supportérisme indépendant, connu et respecté en France. L’affrontement physique avec les
supporters adverses y est une probabilité largement admise. Se définissant comme le « Kaotic
Group », le groupe a fondé une partie de sa réputation sur des combats partisans victorieux.
L’antifascisme y est fortement affirmé. Les Winners entretiennent une grande rivalité avec les
Boulogne Boys du PSG, réputés pour leur proximité vis-à-vis des thèses de la droite
nationaliste. Plus généralement, les membres les plus radicaux entendent défier les hools
français et européens. Le groupe dispose d’une seule section située dans l’Aisne (même s’il
existe d’autres regroupements informels d’adhérents en divers endroits du territoire national).
148
Les sections des associations de supporters de l’OM en 2007
Antilles-Guyane
Belgique
Antilles
La Réunion
USA (New York)
Cameroun
Luxembourg
Sections Dodger’s (13)
Sections Ultras Marseille
(23)
Sections Yankee Virage
Nord (31)
Sections Club Central des
Supporters (28)
Section South Winners (1)
Section Club des Amis de
l’OM
Section Marseille Trop
Puissant (1)
Suisse
Groupes indépendants
Le
nombre
actuel
des
différentes sections figure entre
parenthèses.
À de très rares exceptions près (il existe quelques groupes de « supporters à distance » non
affiliés aux associations marseillaises), les sections ne sont donc pas des réalités autonomes
qui pourraient exister isolément. À l’inverse, à l’image des fédérations locales des partis
politiques, chaque section n’est qu’une partie d’un ensemble, dont l’existence séparée n’est
par conséquent pas concevable. Ces sections se situent dans une relation de dépendance avec
l’association centrale marseillaise à laquelle elles sont rattachées (même s’il faut aussi noter
149
qu’elles disposent d’une certaine autonomie de fonctionnement et, surtout, de recrutement).
En contrepartie, elles bénéficient, telles des « filiales » ou des « antennes », du « label
partisan » propre au groupe marseillais dont elles dépendent. Elles peuvent également se
mêler aux membres de ces groupes dans les tribunes allouées à ces derniers au Stade
vélodrome (comme dans les autres stades français et européens) et ainsi évoluer dans
l’univers du supportérisme local.
Il faut donc retenir que le « supportérisme à distance », dans le modèle promu par l’OM,
s’organise à partir d’une affiliation à une association de supporters locaux. C’est cette
dernière qui va contrôler et gérer l’implantation et la multiplication de ses sections. De ce fait,
la création de groupes de « supporters à distance » ne se fait jamais sans l’aval de la « maisonmère ». L’implantation des sections obéit ainsi aux principes énoncés par les groupes
marseillais. Aussi le « supportérisme à distance », sous sa forme organisée, dessine-t-il des
contours identiques à ceux produits par le soutien ancré localement (comme la carte le met au
jour) : on y retrouve les deux modèles de supportérisme implantés à Marseille, c’est-à-dire
des associations officielles et des groupes autonomes ultras (rappelons que les unes sont
contrôlées directement par le club de football, tandis que les autres constituent une alternative
à ce modèle et revendiquent leur indépendance totale).
Activités des sections
Composées principalement d’individus ayant laissé leur identité locale « au vestiaire », les
sections sont, pour la plupart, constituées en association de loi 1901. Elles réunissent parfois
jusqu’à plusieurs centaines de membres, d’autres ne fédèrent que quelques dizaines de
passionnés (un groupe, localisé en région parisienne et à Orléans, dispose de plus de 1 000
adhérents). La division des tâches y est plus ou moins poussée même si, souvent, la bonne
marche de l’association repose sur l’activisme de quelques membres. Ces derniers produisent
occasionnellement du matériel estampillé au nom du groupe (des drapeaux, des banderoles,
des tee-shirts, quelquefois des écharpes), gèrent fréquemment des sites Internet, produisent de
petits journaux (des fanzines) narrant l’actualité de l’équipe et du groupe. Si nombre d’entre
eux proposent une intense vie associative (à travers les loteries, les soirées dansantes, les
tournois de pétanque ou de football), ce sont les déplacements, réalisés en voitures
individuelles, en minibus ou en car, à Marseille et dans les autres stades français ou européens
qui rythment les saisons sportives et constituent les principales occasions de réunion des
adhérents.
150
Le supportérisme autonome marseillais a, en effet, profondément marqué de son empreinte le
« supportérisme à distance » en faveur de l’OM. Les groupes ultras ont notamment contribué
au changement de fonction des sections. À l’origine, la création de ces antennes
extraterritoriales (notamment au sein du CCS) reposait plus sur la volonté de se regrouper
pour assister aux rencontres télévisées ou bien soutenir l’OM lors des matchs joués dans un
rayon géographique proche du lieu d’implantation de la section. D’ailleurs, la majorité de ces
groupes était implantée dans des cafés, faisant ainsi office de lieu de rassemblement partisan.
Depuis le début des années 1990, l’emprise du supportérisme ultra sur les sections se fait
sentir. Outre le fait que bon nombre d’entre elles sont à présent rattachées aux associations
indépendantes, certaines valeurs ont été transmises, notamment ce que les supporters
empreints des références ultra nomment « la culture déplacement », c’est-à-dire le fait
d’organiser systématiquement des voyages pour soutenir le club lors de tous ses matchs, quels
que soient la distance kilométrique et l’enjeu de la rencontre. La création des sections
implique, dès lors, le projet de se déplacer régulièrement pour assister aux matchs de l’OM
« en vrai » (et non plus devant le poste de télévision), à Marseille comme dans tous les autres
stades français voire européens (et plus seulement dans les stades les plus proches du lieu
d’établissement de la section). Il s’agit aussi de participer à l’animation de la tribune et à la
vie associative du groupe auquel les « supporters à distance » se trouvent rattachés. Avant
même de se regrouper, l’objet est donc de se déplacer. Signe de cette évolution, les sections
fondées par les groupes ultras marseillais ne disposent pas, dans la plupart des cas, de local
pour se réunir, contrairement aux sections créées par le CCS au cours des années 1970 et
1980. Les « supporters à distance » se rassemblent en premier lieu sur la route, pendant le
temps du trajet. Caractéristique du « projet ultra », cette nouvelle donne n’a pas manqué
d’affecter, depuis les années 1990, les modes d’organisation des sections affiliées aux groupes
officiels tels que le CCS.
Par conséquent, la grande majorité des groupes de « supporters à distance » accorde une
importance particulière à la présence régulière aux matchs à domicile. Mais de très
nombreuses sections sont aussi présentes dans tous les stades, en France comme en
Europe. Lors des matchs « à l’extérieur », elles prennent place dans le « parcage visiteurs », la
tribune spécifiquement allouée aux partisans en déplacement (séparée par des grillages du
reste des gradins), et se mêlent ainsi aux associations de supporters ayant fait le déplacement
depuis la région marseillaise.
151
2. Les logiques des déplacements
En France, 400 incidents liés aux matchs de football ont été recensés lors de la saison 20062007. Les trois-quarts d’entre eux ont été occasionnés dans le cadre de la Ligue 1. La moitié
environ concerne des faits de violence (une part de plus en plus importante des incidents
relève de l’usage de fumigènes). 52 concernent l’OM (69 furent le fait des supporters du
PSG)12. Aucune statistique n’indique toutefois si les violences s’exercent plutôt lors des
rencontres à l’extérieur ou lors des matchs à domicile. Or, il semble que, quittant leur espace
de référence, les supporters se sentent volontiers exonérés des contraintes qu’ils respectent
habituellement dans le leur. Quels que soient les groupes, leur projet et leur « philosophie »,
les déplacements, véritables « aventures » collectives, représentent, en effet, des moments
propices au « passage à l’acte déviant ».
A. Affaiblissement de l’autocontrôle et expériences déviantes
Les déplacements constituent des opportunités pour expérimenter toute sorte d’émotions et de
plaisirs. Comme d’autres activités de loisir « dé-routinisantes et dé-contrôlantes » (ces
expressions désignant l’affaiblissement des contraintes émotionnelles et la place laissée libre
aux désirs personnels), suivre son équipe favorite en déplacement fournit « des occasions
d’éprouver des expériences émotionnelles qui sont exclues des moments très routiniers de la
vie »13. Ainsi que l’explique Nicolas Hourcade, les voyages partisans « sont une bonne
occasion pour se mesurer aux supporters adverses, pour renforcer les liens à l’intérieur du
groupe (ils sont souvent effectués en bus ou en minibus) et pour partir à l’aventure puisqu’ils
servent de prétexte à des périples à travers le pays. Ces déplacements constituent des
moments en dehors du temps normal : ils permettent de vivre des expériences extra-ordinaires
et parfois déviantes »14.
L’engagement dans le « supportérisme à distance » sous sa forme active revient à éprouver les
« plaisirs de l’aventure ». L’excitation fondamentalement plaisante des déplacements réside
en premier lieu dans leur dimension transgressive. Les voyages permettent d’approcher les
frontières de ce qui est socialement permis et parfois de transgresser les règles, ce qui fait
12
Ces chiffres sont issus du Rapport d’information sur la mise en application de la loi relative à la prévention
de la violence lors des manifestations sportives, réalisé en 2007 au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale.
Voir également le Rapport d’information sur les associations de supporters produit en 2007 pour la commission
des Affaires culturelles du Sénat.
13
N. Elias, E. Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1994, p 133 et 134.
14
N. Hourcade, « Les ultras français », Panoramiques, n°61, 2002, p 112.
152
partie du piment de l’expérience. Lors des déplacements, de nombreux individus se
permettent ainsi « certains actes que la plupart d’entre eux ne s’autorisent pas dans la vie
courante »15. Le jeu avec les interdits peut prendre différents aspects. Il peut s’agir de
« frauder » aux péages des autoroutes afin d’économiser un peu d’argent. Les aires
d’autoroute se prêtent également aux actes déviants. Les jours de match, les stations-service
voient défiler un flux interrompu de cars, de minibus et de voitures de supporters. L’arrivée
en nombre dans les stations-service autorise à « se servir ». Il est en effet courant d’y croiser
d’autres sections. Dans certaines d’entre elles (notamment celles qui sont affiliées au Club
central des supporters), ces actes sont interdits dans le règlement intérieur. Un adhérent peut
ainsi se voir exclu en cas de violation de la règle. Mais dans de nombreuses autres, la
transgression de l’interdit est un acte plutôt banal. Les vols de nombreux produits sont ainsi
courants (même s’ils ne sont pas systématiques) : bonbons, biscuits, sandwiches, boissons,
mais aussi jouets, revues, ou parfois même de l’alcool… Le « pillage » s’exécute d’abord sur
un mode festif. Les individus qui s’y adonnent prennent du plaisir. Les « supporters à
distance » plaisantent volontiers à l’approche des aires d’autoroute : « On volera rien,
promis ! On emprunte juste. On rendra au retour ! ». Pour se dédouaner, certains peuvent
lancer : « Il n’y a que quand je suis avec vous que je vole comme cela ». En effet, le
« pillage » s’exécute sur le mode collectif. Les individus s’autorisent la transgression car le
groupe procure un « sentiment de protection ». Le « jeu avec le feu » est d’autant plus excitant
qu’il est accompli en compagnie des autres. Il arrive ainsi que le vol soit effectué de manière
visible : tout le monde se sert alors sous le regard incrédule des employés de la station et de
quelques clients.
Quand elle est accomplie individuellement et pour son propre compte, la pratique est
généralement mal perçue. Il s’agit plutôt de voler devant les autres et de redistribuer les
produits ainsi acquis. Tout butin doit être partagé. Le jeu consiste à faire les plus belles
« prises », comme à la pêche. Aussi les membres des sections sont-ils pris quelquefois dans
une logique de surenchère, le gagnant unanimement complimenté étant celui qui aura
repoussé le plus loin les limites de la transgression. Exemple parmi d’autres, lors d’un trajet
vers Lille, quelques adhérents d’une section s’amusèrent à emmener un salon de jardin d’une
cafétéria jusqu’au pied du car (il fut restitué sur les ordres du responsable du groupe). Une
grosse prise sera immortalisée devant le car ou le minibus (surtout s’il s’agit d’alcool). Lors
des déplacements en minibus (qui regroupent neuf personnes), tous les membres de la section
15
N. Hourcade, « La France des "Ultras" », Sociétés et Représentations, n°7, 1998, p 250.
153
sont parfois sollicités pour récupérer des produits qui seront ensuite collectés pour alimenter
la loterie ou la galette des rois organisées durant la saison. Le vol a donc aussi une fonction
intégrative. « Ne me dis pas que tu as payé ! », s’exclament certains supporters expérimentés
à l’adresse d’un novice. Notons encore que les stations-service d’autoroute les plus proches
du lieu du match, prévoyantes, sont de temps à autre fermées pour éviter toute déconvenue16.
Mais le déplacement est particulièrement excitant car il laisse un espace important à l’imprévu
et aux péripéties. Ce sentiment que « tout peut arriver » est bien décrit par un adhérent actif
d’une section soutenant l’OM : « C’est toute une expérience. Parfois, on sait où on va. Quand
on va à Lens, la section organise le déplacement en car. Tu sais où tu vas. Mais ce n’est pas
toujours le cas. Il y a des moments où tu pars au hasard. C’est l’aventure ». L’un des
fondateurs d’une section parisienne adopte le même point de vue : « On part dans l’inconnu
quand on sort de Paname, c’est clair. Mais on part avec notre boussole, avec nos appareils,
nos ustensiles. On sait qui on est, on sait où on va. La route de l’OM, on la trace entre potes.
S’il faut serrer les fesses, on serre les fesses ». L’incertitude qui plane autour d’une
destination peu habituelle participe à l’ennoblissement de la pratique du suivi du club. Un
supporter ajoute : « J’aime bien voyager. J’ai fait quelques sacrés matchs. Je suis allé à
Brême. Quand tu vas à l’étranger, tu ne sais pas sur quoi tu tombes. Quand tu vas en France,
à Rennes par exemple, tu sais où tu vas. Tu ne risques rien. À l’étranger, c’est différent. Aller
à Brême, c’est l’inconnu. Je suis allé à Manchester, à Rotterdam, à Zagreb, à Vigo… J’ai fait
pas mal de matchs en Europe. J’aime aller en Europe parce qu’on ne sait pas où l’on va. On
ne sait pas ce qui peut arriver, qui sont les supporters qui t’attendent là-bas. Aller à
Rotterdam, tu ne sais pas comment tu vas y être encadré. Quand tu connais la réputation des
supporters de Rotterdam, tu as tout de suite compris… Quand tu vas à Zagreb, dans un pays
qui sort de la guerre… D’ailleurs, il y a eu des problèmes. J’aime bien faire ces matchs ». En
ce sens, les matchs à domicile sont moins amusants. Il manque le piment de la confrontation
et de la mise en danger.
Les arrivées en « territoire ennemi » sont toujours des moments de grande excitation.
L’impatience grandit au fur et à mesure que le car ou le minibus s’approche du stade. Les
16
La pratique fait partie de la culture du supportérisme autonome. Ainsi, certains groupes n’hésitent pas à
publier un « guide des stations-service », après les avoir testées gratuitement, comme l’a fait une association
ultra soutenant l’Olympique Lyonnais. Des avis sur les lieux et les entreprises qui exploitent les aires
d’autoroute sont livrés. Les stations Total sont recommandées car elles sont jugées agréables en raison de leur
éclairage et de leur espace, du nombre important de produits frais garnissant les rayons et des nombreux angles
morts qui permettent d’éviter les caméras de vidéosurveillance. Les stations BP sont jugées rares mais
intéressantes. Quant aux stations Shell, leur petite taille est soulignée. Le choix y est donc plus restreint. « Les
autres : on ne s’en souvient plus, eux ne nous ont pas oubliées », écrit le rédacteur du guide.
154
individus sortent leur écharpe, touchée avec grand soin, telle une relique. Les drapeaux et
maillots du club sont brandis aux fenêtres, face aux « indigènes » qui se placent sur les
trottoirs, aux terrasses des bars, aux fenêtres des maisons et qui regardent défiler les
véhicules. Des chants sont entonnés pour signifier la présence. Les supporters peuvent jouer à
intimider, effrayer ou choquer les habitants et les commerçants. Ils multiplient les signes de
connivence avec ceux qui affichent les mêmes couleurs : pouces levés, applaudissements,
saluts, etc. Retrouver la foule des partisans marseillais suscite une intense exaltation. Notons
que lors des matchs à l’extérieur, les « supporters à distance » (comme ceux faisant le
déplacement depuis Marseille ou sa proche région) ne visitent pas la ville d’accueil du match
(sauf lors des rencontres européennes). Ils vont tout au plus dans les bars environnant le stade.
Mais le plus souvent, les seuls pas effectués en territoires ennemis se limitent au trajet entre le
parking de réception du car et la tribune réservée aux supporters de l’OM.
B. Les « mauvaises rencontres » : les aires d’autoroute comme lieux potentiels
d’affrontements
Les « supporters à distance » ne sont pas les seuls partisans à voyager régulièrement. Dans la
culture ultra notamment, il convient de se rendre dans les stades adverses, particulièrement
lorsque les partisans du club sont connus et puissants. Il reste que là où ils peuvent
représenter, pour les supporters « classiques », une facette de l’activité partisane et une
possibilité de prolonger l’engagement, les déplacements font partie intégrante de l’action
collective des « supporters à distance ».
Cet état de fait a pour conséquence d’augmenter considérablement les possibilités de
rencontre sur les routes. L’exemple des supporters de l’OM est ici significatif pour deux
raisons : 1. Nous l’avons souligné, le club s’avère populaire bien au-delà de la Provence.
2. Ce sont très majoritairement les associations ultras, plus ou moins radicales, basées à
Marseille qui structurent la mobilisation extraterritoriale. En raison de contentieux passés
parfois violents, les partisans de l’OM se trouvent ainsi pris, qu’ils le veuillent ou non, dans
un réseau de concurrence au sein duquel les relations d’inimitié avec les supporters du ParisSaint-Germain, de l’AS Saint-Étienne, de l’OGC Nice et du FC Girondins de Bordeaux sont
particulièrement fortes, cultivées et entretenues au fil des ans17. Si l’on tient compte des
17
Voir à ce sujet : W. Nuytens, « La violence des supporters autonomes de football : à la recherche de
causalités », in J.-C. Bassson (dir.), Sport et ordre public, Paris, La Documentation française-IHESI, 2001,
p 127-144.
155
déplacements des partisans locaux et de quelques groupes de « supporters à distance » (parmi
bien d’autres) de chacun de ces clubs à l’occasion d’une journée du championnat de France,
voici la projection des trajets des uns et des autres qu’il est possible de réaliser :
Les trajets des supporters lors d’une journée du championnat de France
(Stade Rennais-PSG ; ASSE-AS Monaco ; OGC Nice-Olympique Lyonnais ; OM-FC Girondins de Bordeaux)
Rennes-PSG
Supporters de l’OM
Section de Rouen
Section de Vendée
Section de Saint-Quentin
Section d’Ile-de-France
Section de Montbéliard
Section Centre
Supporters du PSG
Locaux
PSG Club Var-PACA
Section de Nice des Boulogne
Boys
ASSE-Monaco
Supporters de l’ASSE
Locaux
Associés supporters Rouen
Section de Haute-Savoie des
Magic Fans
Nice-Lyon
Supporters de l’OGC Nice
Locaux
Brigade Sud Nice section de
Paris
OM-Bordeaux
Supporters de Bordeaux
Locaux
Section de Paris
Section de Haute-Savoie
156
Le premier constat est celui du nombre très important de possibilités de croisement sur les
routes et les autoroutes nationales (elles sont en réalité bien plus nombreuses encore si l’on
intègre à l’analyse les partisans des autres équipes et les autres groupes de « supporters à
distance »). Norbert Elias et Eric Dunning ont noté que « les affrontements peuvent aussi se
produire lorsque des groupes de supporters rivaux se rencontrent alors qu’ils se rendent à un
match, par exemple dans le train, dans le métro ou à une station-service sur la route »18. Pour
les « supporters à distance » de l’OM, les occasions de rencontre sont surtout concentrées sur
la fin du parcours dans l’exemple pris ci-dessus. Les sections de Rouen, d’Ile-de-France, de
Saint-Quentin et de Montbéliard peuvent, en effet, croiser sur l’autoroute A7 le PSG Club
Var-PACA ou la section de Nice affiliée aux Boulogne Boys. Quant à la section Centre des
Yankee Virage Nord, elle effectue la quasi-totalité de son déplacement en sens inverse de ces
deux derniers groupes. Or, il arrive fréquemment que les sections s’arrêtent sur des aires de
repos dotées d’un pont permettant d’enjamber la route.
En outre, cette partie du trajet correspond généralement au matin du match pour les sections
de l’OM, une période qui peut ainsi coïncider avec le début du parcours des supporters du
PSG originaires du Sud de la France qui s’en vont soutenir le club à Rennes (ils partent dans
la matinée pour arriver en début de soirée en Bretagne). Les responsables des associations de
supporters de l’OM sont conscients des risques inhérents à l’entreprise des « supporters à
distance », comme le mettent en évidence les propos du secrétaire et porte-parole des Ultras
Marseille : « Effectivement, il peut y avoir des problèmes de sécurité dans le sens où certaines
sections peuvent avoir des soucis sur le trajet. Les soucis sont plus lors des trajets en tant que
tels plus qu’aux abords des stades… […] On peut toujours rencontrer des supporters de
Saint-Étienne, de Paris, de Bordeaux ou d’ailleurs ».
Second constat particulièrement significatif dans l’exemple retenu, les trajets des sections de
« supporters à distance » de l’OM sont très souvent les mêmes, sur une partie ou parfois
même sur la totalité du parcours, que ceux d’autres groupes se rendant soit à la même
rencontre soit dans d’autres stades français. Les sections de Rouen, Saint-Quentin et d’Ile-deFrance partagent ainsi virtuellement le même itinéraire sur la quasi-totalité de leur parcours
avec les supporters bordelais localisés en région parisienne qui se rendent eux aussi à
Marseille et la section de Paris de la Brigade Sud Nice qui va assister au match opposant
l’OGC Nice à l’Olympique Lyonnais. Sur la fin du parcours, les groupes marseillais
empruntent également la même route que la section de Haute-Savoie soutenant l’équipe
18
N. Elias, E. Dunning, op. cit, p 339.
157
bordelaise. Il en va de même pour la section de Montbéliard affiliée aux Ultras Marseille et
pour la section Centre des Yankee Virage Nord qui rejoignent le même itinéraire à partir de
Lyon. Cette dernière partage de plus le début de son trajet avec celui de la section normande
des Associés supporters soutenant l’AS Saint-Étienne. Quant à la section de Vendée des
Ultras Marseille, elle emprunte un chemin identique, à partir de la région bordelaise, à celui
des partisans locaux du FC Girondins de Bordeaux qui se rendent au Stade vélodrome… La
prise de risque semble ainsi constitutive de l’entreprise des « supporters à distance » engagés
au sein de groupes. « En réalité, tout déplacement peut être pimenté. Il faut être
systématiquement sur ses gardes quand tu te déplaces. Si tu vas jouer à Nice et que tu sais
que le PSG va jouer à Monaco, il faut se méfier. Il y a plein de points de rencontres
possibles », explique ainsi un « supporter à distance » particulièrement actif.
S’ils offrent donc de multiples possibilités de « mauvaises rencontres », les cheminements des
uns et des autres n’occasionnent pas nécessairement des débordements. Il faut toutefois noter
que les risques de dérapage à l’occasion des arrêts sur les aires d’autoroute existent. Le
problème se pose particulièrement lors des rencontres entre l’OM et le PSG disputées au
Stade vélodrome (comme l’expose la carte ci-dessous). Dans ce cas, si l’on relève les
itinéraires des partisans locaux du PSG, ceux de quelques sections du club de la capitale (nous
avons écarté certaines pour des raisons de lisibilité), ainsi que ceux des nombreuses sections
de « supporters à distance » de l’OM (elles ne figurent pas toutes sur la carte), le constat de la
similitude des déplacements des uns et des autres peut être fait. La secrétaire des Dodger’s est
bien consciente de cet état de fait. Elle explique : « Cela peut poser parfois certains soucis. Le
Paris-Saint-Germain descend prochainement à Marseille. Il est certain que cela peut être
problématique pour la section Ardèche, quand elle remonte, ou pour la section Paris, à la fois
à l’aller et au retour. Le trajet est le même. Quand ces sections remontent, généralement elles
ne s’arrêtent pas sur la route. Il arrive aussi parfois qu’il y ait des contacts téléphoniques
avec des supporters du PSG, il n’y a pas que des abrutis... Ils demandent d’éviter de s’arrêter
à tel endroit. Aux Dodger’s, on n’est pas des violents. Ce qui se passe dans le stade, ce ne
sont que des paroles. C’est pour l’ambiance. Il y a aussi des gens très bien qui supportent le
PSG, mais bon on ne sait jamais… ».
158
Les déplacements des supporters lors d’un match OM –PSG
Belgique
Luxembourg
Suisse
Supporters de l’OM
Supporters du PSG
OM-PSG
Aussi les déplacements constituent-ils des moments propices à d’éventuelles rencontres
violentes. Si des incidents éclatent sur les aires d’autoroutes, il faut néanmoins souligner que
les violences demeurent rares en France. Même si un contentieux passé peut générer des
vengeances futures, les affrontements ne sont pas recherchés, dans la très grande majorité des
cas. En réalité, si des incidents éclatent, ils ne sont que la conséquence « mécanique » de la
multiplication des déplacements des partisans de football pour suivre leur équipe et de
159
l’augmentation sensible du nombre de « supporters à distance » organisés en sections qui
sillonnent les routes de France lors de chaque journée du championnat de France, autant
d’évolutions constatées depuis le début des années 1990. Les affrontements ne sont donc en
rien le signe d’une radicalisation du supportérisme français ou d’un déplacement volontaire et
réfléchi des violences opéré par des supporters qui tenteraient de déjouer les mesures de
sécurité prises ces dernières années pour encadrer leur activité.
3. Les modes d’encadrement des déplacements partisans
Éloignées, dans l’espace et dans le temps, des rencontres et des stades, les manifestations
potentielles de violences pratiquées par les supporters en déplacement relèvent a priori du
ressort exclusif des acteurs garantissant la sécurité publique. Pourtant, la gestion du problème
ne passe pas par des solutions en termes de maintien de l’ordre. Le rôle des acteurs du sport,
clubs et associations de supporters, apparaît primordial.
A. Le cadre européen et communautaire
Rappelons, tout d’abord, que « la gestion policière du hooliganisme en Europe est
actuellement déterminée par des décisions prises à trois niveaux différents, national,
communautaire et européen respectivement, par des acteurs relevant de la sphère politique, du
monde de la gestion de la sécurité et du milieu sportif. En même temps, cette distinction
devrait être relativisée par le fait que, malgré leur autonomie institutionnelle, ces trois niveaux
de prise de décisions partagent de plus en plus la même perception du phénomène et, par
conséquent, des réponses à y donner en raison du renforcement de la coopération policière
internationale et du multipositionnement de certains acteurs dans les principaux centres de
prise de décisions »19.
Née en partie du drame survenu au stade bruxellois du Heysel, en 1985, lors de la finale de la
coupe d’Europe des clubs champions opposant le Liverpool FC à la Juventus de Turin20, une
politique volontariste de régulation et de contrôle des partisans et de leurs déplacements a été
adoptée par de nombreuses équipes européennes. Si l’Union européenne de football
association (UEFA) a élaboré un « règlement de sécurité » dès 1976 (et régulièrement amendé
19
A. Tsoukala, « Les nouvelles politiques de contrôle du hooliganisme en Europe : de la fusion sécuritaire au
multipositionnement de la menace », Cultures & Conflits, n°51, 2003, p. 83.
20
Rappelons que les supporters du club anglais envahissent la tribune des partisans italiens provoquant un
mouvement de panique qui se solde par l’étouffement et le piétinement de 39 spectateurs, principalement
italiens.
160
et enrichi depuis), le texte de la Convention européenne du 23 juillet 1985 sur la violence et
les débordements de spectateurs, adopté par le Conseil de l’Europe (suite à la tragédie du
Heysel) marque l’instauration de la définition d’un cadre communautaire, de méthodes de
travail et le début de l’uniformisation progressive de la gestion policière du hooliganisme21.
Signée par 34 Etats (mais ratifiée par 29), la Convention européenne, rappelant que les lieux
du supportérisme ne sont pas confinés aux stades ou à leurs proches abords, prévoit des
mesures d’accompagnement des supporters en déplacement reprises ensuite par les
gouvernements nationaux et l’UEFA22. En 1996, le Comité permanent de la Convention
européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives
préconise de réunir des renseignements sur les modes de transport des supporters. Des
formulaires standard sont prévus afin de faciliter les échanges d’informations entre les forces
de police au niveau européen. De nouvelles mesures d’accompagnement des supporters dans
leurs déplacements sont définies par la résolution du 21 juin 1999 adoptée par le Conseil de
l’Union européenne, « concernant un manuel pour la mise en place, à l’échelle internationale,
d’une coopération policière et de mesures visant à prévenir et à maîtriser les troubles liés aux
matches internationaux »23. En 2003, la Convention européenne sur la violence et les
débordements de spectateurs lors de manifestations sportives rappelait que « les mesures de
sécurité ne doivent pas être réduites à la surveillance des spectateurs dans l’enceinte du stade,
mais inclure le contrôle des mouvements de spectateurs avant et après le match »24.
Extrait du rapport pour le Conseil de l’Europe du député européen des Pays-Bas, Gerrit Valk,
sur le hooliganisme dans le football25
La présence de supporters visiteurs et la séparation des supporters :
[…] Comme on l’a indiqué, la rivalité entre les supporters locaux et les supporters visiteurs est
fondamentale pour l’existence du hooliganisme. Il y a un lien évident entre le nombre de supporters
visiteurs assistant à un match de football et les risques de violence. Ceux-ci sont moindres quand les
supporters venus de l’extérieur sont moins nombreux. Parmi les mesures ayant une influence directe
ou indirecte sur le nombre de supporters visiteurs assistant à un match, citons les matches joués sans
public, la non-admission ou l’admission à certaines conditions des supporters visiteurs, la
retransmission en direct du match à la télévision ou la vente anticipée de billets (qui rend l’achat de
21
Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et
notamment de matches de football, Série des Traités européens, n° 120, Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1987.
22
Voir : C. Miège, « La lutte contre la violence dans le sport au sein de l’Union européenne », Regards sur
l’actualité, n°285, 2002, p 79-92.
23
JO n° C 196 du 13 juillet 1999. La résolution a été amendée par une nouvelle résolution du Conseil du 6
décembre 2001, publiée au JO n° C22 du 24 janvier 2002.
24
« La prévention de la violence dans le sport », Rapport final, Conférence de Lisbonne, 2003, p 47.
25
Se reporter à l’adresse suivante pour prendre connaissance de ce rapport produit en 1999 :
http://omjadang.homestead.com/files/le_hooliganisme_dans_le_football.htm/
161
billets plus difficile pour les supporters). Les matches en soirée ou les matches organisés pendant la
semaine attirent généralement moins de supporters de l’extérieur.
Il ne s’ensuit pas automatiquement que l’exclusion des supporters visiteurs est la méthode la plus
efficace pour réduire le hooliganisme. L’application d’une telle mesure est en contradiction avec une
tradition appréciée et pose de nombreux problèmes potentiels d’ordre pratique. En outre, les
supporters s’opposeraient probablement à cette mesure, ce qui pourrait aussi entraîner des violences. Il
est également probable que le hooliganisme se manifesterait en d’autres lieux et à d’autres moments.
Si des supporters visiteurs sont présents, la police tente généralement de maintenir les deux groupes de
supporters séparés. Dans la pratique, cette politique n’est cependant pas mise en œuvre de manière
cohérente. La séparation des supporters extérieurs et des supporters locaux a un effet secondaire
défavorable : le phénomène du «camp» et tout ce qui y est associé. La séparation contribue donc aussi
à la persistance du problème du hooliganisme.
La séparation ou l’absence de séparation entre les supporters dépend également de la détermination
avec laquelle les supporters locaux cherchent la confrontation avec les supporters visiteurs. De
nombreuses mesures peuvent faire avorter les tentatives de recherche de confrontations des supporters
sans éveiller leur hostilité, par exemple :
- le choix d’une gare d’arrivée et de départ éloignée du lieu où le match doit se jouer ;
- le cas échéant, la modification des itinéraires de transport de manière à ce qu’il soit impossible ou, du
moins, difficile pour les supporters locaux de les connaître ou d’y accéder ;
- le choix d’itinéraires différents pour les supporters locaux et les supporters visiteurs ;
- veiller à ce que les supporters visiteurs passent rapidement les portes d’entrée, avec un minimum de
temps morts ;
- s’il est impossible d’assurer la même rapidité de circulation après la fin du match, les supporters
visiteurs doivent attendre que les supporters locaux aient quitté les lieux ;
- laisser des places inoccupées entre les supporters de l’équipe qui reçoit et les supporters venus de
l’extérieur.
En plus de séparer les supporters locaux des supporters visiteurs, il est important de séparer les
supporters potentiellement violents des autres supporters. L’initiative d’incidents violents étant
finalement prise par un petit nombre d’individus, il est essentiel d’apprendre à les connaître
individuellement. Les possibilités d’influencer ou d’exclure des matches les supporters indésirables
s’en trouvent accrues. Au cours des toutes dernières années, on a eu de plus en plus recours aux
interdictions de stade. Combinées avec l’obligation de se présenter en un lieu donné (un poste de
police, par exemple), les interdictions peuvent contribuer à prévenir les incidents. A cet égard, il est
regrettable que les supporters violents à qui il est interdit d’assister aux matches de leur équipe dans
leur propre pays, puissent encore assister aux matches de leur équipe (ou de l'équipe nationale) dans
d’autres pays.
Une fois les supporters connus, il devient possible d’exercer une influence sur eux à d’autres occasions
que les jours de match. Les associations et les accompagnateurs de supporters jouent un rôle important
à cet égard. Dans plusieurs pays, « des programmes de supporters » ont été lancés dans le passé (par
exemple, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne). Les accompagnateurs de supporters tissent des
liens avec ces derniers, communiquent avec eux et tentent d’exercer une influence positive sur eux, en
organisant des manifestations, en prodiguant des conseils et une aide, et en renforçant la
responsabilité, etc. En outre, les accompagnateurs de supporters font le lien entre les supporters et les
clubs, les médias, les établissements scolaires, les autorités locales, etc. Les accompagnateurs et les
associations de supporters sont l’un des rares leviers dont l’action ne se limite pas aux manifestations
de hooliganisme les jours des matches.
162
B. Les clubs français et leurs supporters officiels : le jeu de l’offre et de la
demande
Selon le modèle promu par l’AS Saint-Étienne, le Paris-Saint-Germain ou le RC Lens, sont
d’abord reconnus et légitimés les groupes de supporters qui s’insèrent dans le « réseau
pourvoyeur de services » offert par les dirigeants26. Dans ces exemples, des associations
encadrées par les clubs ont ainsi pour rôle de rassembler les supporters sur tout le territoire
français et au-delà des frontières. Elles gèrent les sections et répondent aux aspirations des
supporters extraterritoriaux qui les composent. Tous les groupes ont été fondés après un
examen de passage qui consiste le plus souvent dans une présentation du projet au
responsable du club chargé des supporters, parfois dans le renvoi d’un questionnaire précis.
En échange du paiement d’une cotisation et de l’acceptation solennelle d’une charte de bonne
conduite, « l’adoubement » permet d’accéder à de nombreux services et avantages matériels :
billets pour les matchs à domicile et priorité pour les rencontres à l’extérieur, réductions sur le
prix des abonnements au stade ou encore remise dans les boutiques, accès privilégié aux
entraînements, etc. Des gratifications symboliques peuvent y être associées : visite d’un
dirigeant, parrainage par un joueur…
Outre qu’il promeut le dévouement et la loyauté vis-à-vis du club, un tel modèle permet aussi
d’user du déséquilibre entre l’offre de services et la demande croissante de spectacle
footballistique précédemment décrite. L’offre de billets est notamment un moyen de pression
efficace sur l’activité des supporters. Le club peut volontairement restreindre le nombre de
places allouées à une section qui ne respecterait pas les règles imposées pour mieux servir une
autre. En cas de comportement déviant, la radiation d’un groupe peut être envisagée tant il est
aisé, pour les clubs, de trouver d’autres postulants pour assister aux matchs. Si bien que les
avantages que ces réseaux officiels proposent à leurs membres « apparaissent comme la
contrepartie d’un engagement raisonnable, raisonné et, au bout du compte, justement apprécié
et récompensé par qui de droit »27. L’allocation de ces services est toujours suspendue à la
bonne conduite du groupe et de ses adhérents, dans le stade comme lors des trajets.
26
J.-C. Basson, W. Nuytens, « Modes d’encadrement et de contrôle des supporters de football, entre modèle
officiel et alternative autonome : le cas du Racing club de Lens », Revue européenne de management du sport,
n°5, 2001, p 6.
27
Ibidem, p 7.
163
C. Associations autonomes de supporters et contrôle interne des adhérents
En ordonnant la mobilisation supportériste, les clubs semblent à même de prévenir les
désordres publics. Le revers est néanmoins de précipiter la mise à l’écart des groupes de
partisans autonomes, placés dès lors dans la ligne de mire. Souvent perçus comme autant de
facteurs de trouble à l’ordre supportériste en raison de leur refus du statut de clients que
proposent les dirigeants des clubs et de leur participation plus démonstrative (voire agressive)
au spectacle, ils sont aussi ceux qui posent potentiellement le plus de problèmes d’ordre
public lors des déplacements. Si elle n’est pas première dans le projet porté par ces groupes, la
violence fait partie du répertoire de l’action collective. Or, dans le cas de l’Olympique de
Marseille, nous l’avons mentionné, bon nombre de ces associations ultras, composées de
supporters souhaitant s’extraire d’un mode de régulation qu’ils perçoivent comme étouffants,
disposent, elles aussi, d’un réseau de sections de « supporters à distance ».
Il n’en demeure pas moins que les groupes autonomes sont aussi à même de promouvoir un
mode d’encadrement et de régulation interne de leurs membres, alternatif au modèle officiel,
visant à empêcher le passage à l’acte déviant. Les responsables des sections sont ainsi
sensibilisés par les cadres des associations dont elles dépendent à la question de la sécurité
lors des trajets. Les consignes sont ensuite relayées auprès des adhérents des antennes
extraterritoriales. « À une aire de repos, cela peut s’emballer très vite, rappelle un membre
très actif d’une section de l’OM. Il suffit que vous tombiez sur des voitures de supporters
adverses et cela peut très vite dégénérer. Il faut donc que les choses soient structurées, que
des gens soient là pour rappeler les règles de comportement. Il ne faut pas mettre le groupe
en danger ». Déplacements en groupes, discrétion dans la tenue vestimentaire (écharpes,
maillots, casquettes), rappel des règles de comportement par les membres les plus actifs et
expérimentés, voire édiction d’un règlement intérieur bannissant toute attitude provocatrice et
violente… De nombreux responsables des sections marseillaises étudient attentivement les
itinéraires des partisans adverses avant chaque journée de championnat de manière à prendre
en considération les trajets des « supporters ennemis » et à anticiper toute mauvaise rencontre.
Certains groupes définissent un itinéraire propre lorsque le trajet présente un risque trop
important de croisement. Ou bien est-il décidé de limiter le nombre d’arrêts dans les aires de
repos. Sont particulièrement surveillés, outre les partisans du PSG, les supporters de l’OGC
Nice, du FC Girondins de Bordeaux et de l’AS Saint-Étienne même lorsque le club stéphanois
évoluait en deuxième division.
164
Le fondateur d’une section parisienne explique ainsi : « On est extrêmement vigilants. Je suis
obnubilé par la sécurité. Au point où on a notre propre itinéraire quand il y a le match OM –
PSG car les trajets sont les mêmes pour les supporters de l’OM et pour les supporters du
PSG. C’est l’autoroute du Sud…. On a un autre chemin car je ne veux pas d’embrouilles. On
a des gamins, de sept ou huit ans, des papys de 60 ans et j’ai aussi des gars un peu chauds. Je
ne veux pas que cela finisse mal. Si, au pire, je suis contraint de prendre l’autoroute, le car ne
s’arrêtera pas dans les stations-service ou sur les aires de repos. On trace et on ne s’arrête
pas. Il faut faire attention. Il y a assez de problèmes comme cela. Non seulement, c’est vrai
pour le match OM – PSG, mais cela vaut aussi pour plein d’autres rencontres. C’est assez
systématique. À chaque journée de championnat, je regarde toutes les rencontres et de cette
manière on peut deviner les différents déplacements de chaque groupe de supporters. Pour
une journée de championnat où on doit descendre sur Marseille et où Nice va jouer sur Paris
ou dans le Nord, cela veut dire qu’il va y a voir des possibilités de croisement avec les Niçois
sur des aires de repos où il y a une passerelle qui permet d’aller de l’autre côté de
l’autoroute. Dans ce cas, on ne s’arrête pas. Ce n’est pas que l’on soit des froussards, mais
on ne veut pas de ça, cela retomberait sur les dirigeants de l’OM ».
Comme ces exemples semblent l’attester, il existe une « régulation par le bas » des problèmes
d’ordre public posés par le supportérisme actif. Malgré toutes les précautions prises par les
responsables d’associations de supporters, il demeure une part d’inconnu non maîtrisée et
non-maîtrisable. La tâche de surveillance et d’anticipation des itinéraires de tous les groupes
de partisans adverses, sections comprises, est très difficilement réalisable tant la
dissémination territoriale des foyers partisans est aujourd’hui attestée. Aussi existe-t-il des
expériences d’incidents survenus sur des aires d’autoroute (intimidations, agressions verbales
et physiques, dégradations de biens…)28. Les autorités du football français sont conscientes
des problèmes d’ordre public posés par les déplacements des supporters et les rencontres sur
les trajets. Le responsable de la « mission supporters » auprès de la Ligue de football
professionnel tenait toutefois ce discours à l’occasion d’un entretien réalisé avec lui en 2004 :
« On ne peut pas sécuriser toutes les autoroutes. C’est impossible. Ce serait utopique. Cela
reste du ressort de la sécurité publique. Il faut aussi ajouter qu’il faut être vigilant à ne pas
28
Deux exemples parmi d’autres : en 2001, lors du déplacement pour la rencontre opposant l’OM à Sedan, une
section de supporters stéphanois attaque la section de Champagne des Yankee Virage Nord sur une aire
d’autoroute. L’incident occasionne des blessures légères chez deux adhérents du groupe champenois. En janvier
2004, lors d’un déplacement pour un match de coupe de France opposant l’OM au PSG à Marseille, le car de la
section parisienne des Yankee Virage Nord est attaqué par un groupe de partisans du PSG après une pause sur
l’autoroute A6. Le véhicule est saccagé.
165
tomber dans une dérive sécuritaire qui pourrait entraîner une radicalisation des
comportements. Il n’y aurait plus aucune festivité, plus aucune liberté. Ce n’est plus du
football dans ce cas ». C’est l’option retenue depuis plusieurs années en Italie, un pays
particulièrement concerné par les déplacements massifs de supporters ultras.
D. La gestion des déplacements des supporters en Italie
En Italie, la gestion des voyages supportéristes est l’affaire de la police. Placé sous l’autorité
du Ministère de l’Intérieur italien, l’Observatoire national sur les manifestations sportives, sis
à Rome, produit annuellement un rapport sur les violences liées aux matches de football. Les
déplacements de supporters italiens sont, d’une part, réalisés en train29. Lors de la saison
2005-2006, 68 000 supporters ont voyagé par train pour suivre leur club favori lors de ses
matchs à l’extérieur (ils étaient 72 000 lors de la saison 2004-2005). Sur l’ensemble de la
saison, 71 incidents, de nature diverse, ont été relevés lors des transferts. Il s’agit
principalement de dégradations matérielles (les dommages dans les trains s’élèvent à 95 000
euros – le seul déplacement des supporters de Catane vers Brescia ayant occasionné des
dégradations pour un montant de 45 000 euros –, l’ensemble des dommages matériels dans les
gares est de l’ordre de 92 000 euros), de perturbations du trafic (par l’utilisation du frein
d’urgence), d’utilisation de fumigènes ou de pétards, de vols mais aussi de bagarres30. D’autre
part, les voyages s’effectuent par la route (cars, minibus, voitures individuelles). Les
dommages matériels provoqués par les supporters sur les aires d’autoroute s’élèvent à 24 000
euros (le montant était bien plus élevé lors de la saison 2004-2005 : 87 220 euros). Les
transferts des supporters par voie routière génèrent une importante mobilisation policière (de
l’ordre de 2 659 patrouilles pour la seule saison 2005-2006) et peu d’incidents sérieux ont
donc été relevés (la majeure partie des troubles demeure localisée aux abords des stades).
Les déplacements par la route
Le faible nombre d’incidents comptabilisés sur les autoroutes tient aux importantes mesures
de maintien de l’ordre qui ont été mises en places, depuis plusieurs années, pour encadrer et
29
Lors de la saison 2005-2006, le bateau est aussi un moyen de transport utilisé, le championnat de première
division comptant dans ses rangs deux équipes siciliennes : Palerme et Catane (auxquelles il faut parfois ajouter
le club sarde de Cagliari).
30
F. Tagliente, R. Massucci, Il modello italiano per la prevenzione ed il contrasto della violenza negli stadi,
Rapport annuel de l’Observatoire national sur les manifestations sportives, Ministère de l’Intérieur, département
de la sécurité publique, 2006, p 151-164.
166
contrôler les déplacements des supporters. Dans une logique « proactive », la collecte de
renseignements est un levier largement utilisé par les autorités, comme le mettent en évidence
les propos du directeur adjoint de l’Observatoire national sur les manifestations sportives du
Ministère de l’Intérieur : « Nous devons considérer le supporter depuis son domicile à Naples
jusqu'à son arrivé dans le stade à Milan, par exemple, tout en prenant évidemment en
considération le trajet, que ce soit par autoroute ou chemin de fer, en voiture, en car, en
train, en bateau, en avion. C’est comme un plan national de sécurité, prenant en compte tous
les lieux du supportérisme. Les activités de renseignement sont à ce titre très importantes et
sont l’une des activités principales de la police ». Placées sous l’autorité des préfectures de
police, des unités locales de police, spécialisées dans le phénomène du supportérisme, sont
chargées de réunir les informations sur les déplacements des supporters sur le territoire
national : mode de transport utilisé, nombre de supporters attendus, heures de départ et
d’arrivée, itinéraires, intentions violentes, etc. Cette collecte se fait, en principe, grâce au
dialogue avec les associations de partisans, mais les stratégies policières changent selon
l’appréciation et les catégories de supporters. Les relations entre policiers et ultras sont, en
effet, largement marquées du sceau de la défiance : les premiers ne considèrent pas les
seconds comme des interlocuteurs dignes de confiance et réciproquement. En outre, la
déstabilisation généralisée, depuis quelques années, des formes organisées de supportérisme
au profit de petits groupes informels et fortement mobiles n’est pas de nature à faciliter la
médiation et la « négociation »31. La surveillance des sites Internet tend ainsi à tenir une place
importante à coté des traditionnelles activités d’information.
À partir des risques identifiés au cours du travail de renseignement, l’activité de contrôle des
déplacements des supporters se voit adaptée. Lors des rencontres présentant des menaces pour
l’ordre public, le dispositif se donne pour objectif de suivre, en temps réel, les supporters tout
au long du voyage à l’aller comme au retour. Pour les déplacements en car, des agents de
police surveillent les lieux de rassemblement et de départ. Un filtrage est organisé afin de
différencier les groupes jugés violents et ceux qui ne présentent aucune menace pour l’ordre
public. Ces derniers peuvent se déplacer librement et sans escorte policière après avoir
communiqué le nom et le numéro de téléphone du responsable du groupe (ou du chauffeur du
bus). Ce n’est pas le cas des premiers qui sont accompagnés par des policiers sur la totalité du
trajet32. Les arrêts sur les aires de service des autoroutes sont définis à l’avance par les
31
Ce processus est détaillé dans le chapitre précédent.
Ce fait tend à confirmer l’existence de stéréotypes sur les groupes sociaux responsables des désordres publics
qui fonctionnent comme des guides pour l’intervention. Dans cet exemple, la perception policière du
32
167
autorités de sécurité publique et se font sous la surveillance des policiers pour prévenir les
vols et les dégradations. Lorsqu’ils arrivent en fin de trajet, les supporters sont alors regroupés
par la police sur une aire de stationnement de manière à procéder à plusieurs contrôles : les
banderoles, bannières et drapeaux sont minutieusement vérifiés (tout propos injurieux, raciste
ou antisémite étant banni) ; une fouille est organisée ; chaque supporter doit présenter son
billet pour le match accompagné d’une pièce d’identité. Le convoi peut alors prendre la
direction du stade, sous bonne escorte. Le voyage retour des supporters se déroule dans les
mêmes conditions. Le bon déroulement des déplacements des supporters italiens sur le
territoire national se fait donc au prix d’une mobilisation des forces de l’ordre d’une ampleur
très importante tant dans l’espace que dans le temps.
Les déplacements par le train
La procédure n’est pas identique lorsque les supporters se déplacent en train33. Il n’existe plus
de trains spéciaux depuis 1999, les autorités publiques cherchant à « normaliser » l’usage de
ce mode de transport. Les supporters sont de fait considérés comme des usagers « normaux »
et peuvent se placer dans les wagons communs comme n’importe quel voyageur. En
conséquence, les unités de police ne peuvent accompagner les ultras pendant la totalité du
trajet (c’est pourquoi les incidents sont plus nombreux lors des déplacements en train).
Discontinue dans ce cas, la présence policière n’en est pas moins grande dans les gares de
départ et d’arrivée. Avant de monter dans le train, divers contrôles sont effectués : vérification
de la possession du titre de transport, du billet pour le match et d’une pièce d’identité, fouille
intensive pour rechercher tout instrument pouvant être utilisé pour des actes de violence. Des
policiers physionomistes sont également présents pour repérer les supporters violents connus.
Le cas échéant, ces derniers sont alors particulièrement surveillés. À la descente du train, la
procédure de contrôles et de fouilles se répète à l’identique. Les supporters sont ensuite
accompagnés jusque dans l’enceinte sportive et la tribune qui leur est spécialement réservée.
supportérisme se décompose, en effet, en deux camps : d’un côté, le supporter pacifique et, de l’autre, le
supporter violent dont on peut supposer qu’il ne serait pas intéressé par l’objet du spectacle mais seulement par
la violence et l’affrontement (notamment avec la police). Sur ce point, voir : O. Fillieule, D. Della Porta (dir.),
Police et manifestants. Maintien de l’ordre et gestion des conflits, Paris, Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques, 2006, p 27 et 115.
33
En Italie, des incidents graves se produisent à l’occasion de déplacements en train dès les années 1980. Ainsi,
un supporter de l’AS Roma, âgé de quatorze ans, décède en mars 1982 dans l’incendie d’une voiture du train
rentrant de Bologne, provoqué par des tifosi romains en colère après la défaite de leur équipe.
168
Le transfert de la gare au stade peut se faire à pied, le cortège suivant alors un itinéraire défini,
dégagé et fortement contrôlé par la police, ou par autobus.
L’échec de la gestion en termes de maintien de l’ordre
En Italie, le contrôle policier des supporters en déplacement se rapproche, par certains
aspects, de la « philosophie habituelle » du maintien de l’ordre en Europe occidentale telle
qu’elle est définie par le Manuel pour la sécurité des événements internationaux adopté en
2002 par le Conseil de l’union européenne pour gérer les manifestations altermondialistes34.
On y retrouve notamment l’application du principe de proportionnalité (le dispositif policier
est adapté en fonction du niveau de risque) et l’importance accordée au dialogue et à la
collecte ciblée d’informations à titre préventif. Mais il s’en écarte aussi sensiblement. Par
exemple, aucun dialogue n’est établi avec les supporters sur les itinéraires empruntés (ce qui
va à l’encontre de la liberté de circulation). Ainsi que le font remarquer Antonio Roversi et
Carlo Balestri, « cette stratégie de contrôle, qui s’avère être assez efficace pour les rencontres
classées à haut risque, est également souvent appliquée pour les matchs à faible risque,
limitant de fait considérablement les mouvements des supporters qui, au lieu d’être contraints
d’entrer dans le stade immédiatement après leur arrivée, préférerait d’abord visiter la ville ou
s’arrêter dans un restaurant »35. Alors que la pratique est courante lors des manifestations,
aucune « marge de tolérance » n’est prévue. La loi est strictement appliquée et aucune
violation n’est permise aux supporters, ce qui réduit la possibilité pour la police de mettre en
place des stratégies de désescalade. De plus, les dispositifs de contrôle des déplacements
supportéristes vont à l’opposé de l’option généralement prise lors des conflits sociaux qui
consiste à assurer la plus faible visibilité possible des forces de l’ordre. Notons enfin une
certaine généralisation de la surveillance et une sanctuarisation des lieux et des parcours. De
sorte que l’on peut s’interroger sur la manière dont les supporters vivent cette forte présence
policière et sur la contribution éventuelle de cette dernière à la radicalisation des
comportements lorsque les groupes ultras arrivent aux abords du stade puis dans les tribunes.
On comprendra enfin que le lourd encadrement policier des associations de supporters génère
des stratégies de contournement qui consistent principalement à se déplacer en voitures
34
Le manuel a été élaboré à la suite des débordements survenus lors du Conseil européen de Göteborg des 15 et
16 juin 2001. Voir le site Internet : http://www.europarl.europa.eu/comparl/libe/elsj/zoom_in/33_fr.htm
35
A. Roversi, C. Balestri, « Italian Ultras Today : Change or Decline ? », European Journal on Criminal Policy
and Research, n°8, 2000, p 194.
169
individuelles et par petits groupes d’individus, une alternative rendant alors le passage à l’acte
déviant plus aisé36.
La gestion policière du problème n’a donc pas permis de régler le problème. L’échec du
dispositif est attesté par l’actualité récente, la situation étant telle que certains déplacements
sont désormais totalement interdits. Ainsi l’Observatoire national sur les manifestations
sportives de Rome a-t-il décidé, en janvier 2008, d’interdire aux supporters du Genoa de se
déplacer à Milan et à ceux de Naples de se rendre à Cagliari. Le communiqué de l’organe du
ministère de l’Intérieur italien fut le suivant : « Après analyse des informations reçues, il
apparaît, une fois encore, l’extrême gravité du comportement des tifosi napolitains qui a
accompagné toutes les phases de leur déplacement à Milan, jusqu’à créer des conditions de
danger sérieux et d’extrême malaise pour les passagers au départ aussi bien de la gare
centrale de Milan que de celle de Florence, jusqu’aux premières heures du matin suivant.
L’Observatoire, ayant pris acte que les supporters du Napoli se sont montrés complètement
insensibles à l’ouverture qui leur avait été concédée en leur permettant le déplacement à
Milan sans aucune restriction, a jugé opportun de leur interdire de se déplacer lors des
prochaines journées, à commencer par celle à Cagliari, en attendant des signaux positifs
forts de la part de la composante saine des supporters napolitains. Dans ce sens, dans les
prochains jours, l’Observatoire et ses représentants se rendront dans la capitale de
Campanie [Naples] afin d’y rencontrer les autorités locales »37. Mais là encore, les
interdictions de déplacements en groupe créent plus de problèmes d’ordre public qu’elles n’en
résolvent.
4. Pour une politique de coopération et de promotion des formes organisées de
supportérisme
Le déploiement policier adopté par les autorités italiennes n’est pas nécessaire lors de la
majorité des rencontres ayant cours dans le championnat de France de football. Dans le cas de
l’OM, ce sont les déplacements à Paris, Nice, Saint-Étienne, Bordeaux et Lyon qui génèrent
une attention particulière en raison de forts contentieux existant entre certains groupes ultras
36
Rappelons que le tragique incident survenu en Italie le 11 novembre 2007 s’est déroulé sur une aire
d’autoroute. Un petit groupe de supporters de la Lazio de Rome se rendant à Milan en voitures individuelles a
rencontré des supporters de la Juventus de Turin faisant le voyage vers Parme. Après une échauffourée, un
policier a tiré accidentellement, blessant mortellement un supporter de la Lazio. De violents affrontements ont eu
lieu entre des groupes ultras et la police, notamment à Rome et à Bergame. Ces graves incidents sont relatés plus
largement dans le chapitre précédent.
37
Le communiqué est disponible sur le site Internet du magazine So Foot : http://www.sofoot.com/
170
soutenant ces équipes et ceux du club marseillais. Lors des matchs définis par les autorités
comme potentiellement risqués, les associations centrales à Marseille doivent communiquer
aux dirigeants du club le nombre de sections qui effectuent le voyage et le mode de transport
utilisé. De sorte que la direction de l’OM dispose d’une vue d’ensemble des déplacements de
ses partisans. L’information est ensuite transmise au club recevant et aux autorités
compétentes afin d’organiser l’escorte des « supporters à distance » (depuis la dernière sortie
d’autoroute avant l’accès au stade, par exemple), en plus de celle des supporters locaux qui
accomplissent le déplacement. Le travail de collecte de renseignements existe donc dans le
cas de l’OM. Il reste que certains « ratés » existent. Par exemple, les sections, se déplaçant en
minibus et parfois en voitures, arrivent généralement dans les villes adverses sans aucune
protection policière. Dans bien des cas, celle-ci n’est pas nécessaire. Mais dans d’autres, son
absence est criante. Le responsable des Ultras Marseille explique ainsi : « Il y a des endroits
où il y a donc des soucis, d’autres où il n’y en a jamais. C’est très variable. Il n’y a déjà pas
d’harmonisation dans les liens qui unissent les associations de supporters aux clubs et aux
autorités, même si petit à petit cela s’améliore, vous pensez bien que pour les sections qui ne
sont pas toujours dans le convoi officiel des supporters marseillais en déplacement, c’est
encore pire… Globalement, cela se passe bien. Mais il est vrai que le supporter marseillais
de Marseille est plus en sécurité, en général, que le supporter de l’extérieur… ». Si des
parkings à proximité des stades sont prévus pour les partisans en déplacement, il arrive que
les membres des sections doivent insister auprès des forces de l’ordre, surprises par l’arrivée
de supporters non originaires de Marseille, pour pouvoir garer les véhicules sur ces
emplacements.
Notons encore que si le travail de collecte d’informations est effectué par le club lors des
matchs joués « à l’extérieur », il n’en est pas de même lorsque les rencontres se déroulent à
Marseille. Or, nous l’avons vu, de nombreuses sections de « supporters à distance » se
déplacent en ces occasions et empruntent ainsi des itinéraires parfois identiques à ceux des
supporters adverses réalisant le voyage au Stade vélodrome. La grande diversité des origines
géographiques des supporters les plus actifs fait donc surgir des enjeux relatifs à
l’encadrement de leurs déplacements lors des matchs « à domicile ».
Soulignons, enfin, que cette démarche de contacts et d’échanges entre les dirigeants du club,
les supporters et leurs représentants (la plupart des associations joue le jeu, même si la
direction de la sécurité du club doit parfois insister pour réunir les renseignements nécessaires
à la préparation des rencontres jouées à l’extérieur) est rendue possible par le degré de
structuration des groupes de partisans marseillais : matures et rigoureusement organisés, ces
171
derniers se posent ainsi comme des interlocuteurs et des « partenaires » de sécurité. Un tel
travail serait difficile à mettre en œuvre auprès de groupes informels, plus restreints et par
conséquent moins saisissables. En ce sens, une politique de sécurité cohérente doit avoir pour
objectif de conforter, voire de renforcer la structuration du supportérisme et de ses formes les
plus excessives, au niveau local (les associations basées à Marseille dans notre exemple) et
national voire international (les sections de « supporters à distance »). Pour demeurer efficace,
elle suppose, de surcroît, l’engagement concerté des acteurs du sport et des pouvoirs publics.
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