La Fourmi et la Cigale - Atelier Théâtre Jean Vilar

Transcription

La Fourmi et la Cigale - Atelier Théâtre Jean Vilar
DOSSIER PEDAGOGIQUE
La Fourmi et la Cigale
Variations sur un air connu
François Mougenot
Distribution
Avec François et Jacques Mougenot
Mise en scène et couplets : Jacques Mougenot
Lumières : Eric Milleville
Un spectacle présenté par Scène et Public – Pierre Beffeyte.
Une coproduction Théâtre de l!Hébertot – Canal 33 – Pascal Legros Productions.
Dates : du 4 au 7 mars 2008
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : 1h20 sans entracte
Réservations : 0800/ 25.325
Contact écoles :
Adrienne Gérard
010/47.07.11 – 0473/936.976
[email protected]
I.
Résumé
François Mougenot, avec impertinence et drôlerie,
mais aussi un talent de pasticheur certain, a décliné le
thème de "La Cigale et la fourmi" à la manière de
nombreux auteurs de théâtre, de poésie ou de
cinéma. Il détourne des scènes fameuses de Molière,
Shakespeare, Feydeau, Rostand, revisite allègrement
quelques morceaux de bravoure de la poésie, sans
oublier quelques clins d!œil obligés aux séries TV. Les
références foisonnent et titilleront constamment la
mémoire du spectateur en réveillant parfois de
lointains souvenirs d!écolier...
Dans cette comédie joyeuse, enlevée, aux multiples
facettes, François Mougenot interprète le rôle de la
fourmi, tandis que son frère, Jacques, incarne la
cigale. Deux frères complices qui, devenant frères
ennemis le temps d!une dispute pour un méchant
grain de blé, rivalisent de talent et d!humour !
Le spectacle fait la part belle au jeu de l!acteur et se veut un hommage jubilatoire,
ironique et tendre à la langue française. Un exercice de style théâtral, un numéro de
transformiste verbal, une sorte de zapping amusé du patrimoine culturel, que se livrent
deux comédiens rompus à tous les registres du répertoire classique et moderne.
II.
Le metteur en scène : Jacques Mougenot
Jacques Mougenot
Metteur en scène et acteur français
Rôle de la Cigale
Après avoir triomphé au Petit Hébertot et en tournée en région parisienne
en 2006 dans L!affaire Dussaert, dont il est également l!auteur, il met en scène et joue la
première pièce de son frère François : La Fourmi et la Cigale, (dont il a par ailleurs écrit les
couplets chantés).
Outre L!affaire Dussaert (théâtre de Nesle 2001, Cologne 2004, Petit Hébertot 2006), trois
autres de ses pièces ont été précédemment montées à Paris ou à l!étranger :
- Corot, Mise en scène J-L. Cochet : 200 représentations : Théâtre 14, Théâtre Rive Gauche,
Théâtre Daunou 96-98. Tournée en France, Suisse et Luxembourg en "98.
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- La Carpe du duc de Brienne : Saint-Germain-en-Laye en "91, Petit Montparnasse "92, Liège
"95, Théo Théâtre et Avignon en 2002.
- Ainsi soit « je » : one man show, théâtre du Lucernaire en "86.
Jacques Mougenot a également publié chez Somogy deux monographies de peintre (Marie
Laurence Gaudrat, Maurice Mazo), et, chez E-dite, son premier roman La machine à
démonter le temps en 2002.
En marge de son métier de comédien qu!il exerce depuis 89, il a enseigné l!art dramatique
pendant 18 ans au cours de Jean-Laurent Cochet.
Note du Metteur en scène
Il y a dans ces « variations sur un air connu » la jonglerie verbale d!un Cyrano, (ça
n!est pas par hasard si le pastiche de la tirade des nez conclut le spectacle)
comme si la cigale et la fourmi, insatisfaites de la version que La Fontaine a
donnée de leur querelle, rejouaient « en variant le ton » (le style, en l!occurrence),
cette scène éternelle qui les oppose depuis Esope.
Mais le spectacle est beaucoup plus qu!un enchaînement de pastiches littéraires,
ce qui serait déjà plaisant en soi, c!est véritablement une pièce de théâtre
« itérative » dont la répétition séduira le spectateur grâce à la variation incessante
des styles, des caractères et des époques ; c!est elle qui renouvelle à chaque fois
le charme et la surprise d!une situation trop connue et la fait évoluer jusqu!au
dénouement car loin d!obéir à un système elle suit une logique dramatique et
construit une intrigue.
Pour mettre en scène ce spectacle, j!ai mis à profit mon expérience d!enseignant
du théâtre : ma connaissance et ma pratique des styles propres à chaque auteur
m!ont servi pour faire ce travail d!interprétation, car il s!agit plus de jeu théâtral
que de récitation poétique.
Mon souci était donc de respecter cette théâtralité, même lorsque les
personnages se font les récitants de leur histoire. C!était facile lorsque le texte
pastiche une scène de Molière, de Shakespeare, ou de Feydeau, plus délicat
lorsqu!il détourne les poèmes les plus fameux de notre patrimoine, j!ai alors
envisagé ces passages comme des monologues venant émailler ou commenter
l!action.
Le texte riche et brillant, le rythme des enchaînements et la variété des scènes
interdisaient des changements de décors ou de costumes, ils n!imposaient que la
présence de deux comédiens dans des rideaux noirs n!obéissant qu!à un seul mot
d!ordre « Eh bien, jouez maintenant ! »
Jacques Mougenot
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III.
L!auteur : François Mougenot
François Mougenot
Dramaturge et comédien français
Rôle de la Fourmi dans la pièce.
Il a récemment interprété le rôle de Monsieur Smith dans La Cantatrice Chauve de Ionesco,
dans la nouvelle mise en scène d!Arnaud Denis, jouée depuis septembre 2004 au Théâtre
des Déchargeurs, des Blancs Manteaux et Clavel, ainsi qu!en tournée dans toute la France.
Il a naturellement beaucoup joué avec son frère, notamment au bac à sable dès l!enfance,
mais leur collaboration professionnelle sur scène remonte à 1996, où il joua dans la pièce de
ce dernier, Corot, mise en scène par Jean-Laurent Cochet. Plus récemment on l!a vu dans
une autre pièce de son frère : La Carpe du Duc de Brienne jouée au Théo Théâtre et au
Festival d!Avignon en 2002.
La Fourmi et la Cigale est sa première pièce. Ce spectacle met en scène les textes les plus
théâtraux d!un ouvrage plus vaste, du même titre (éditions Edite, 2006), recueil de 40
pastiches de nos plus grands auteurs comme si chacun d!eux avait traité le même sujet : la
querelle universelle et insoluble qui oppose depuis toujours les cigales et les fourmis…
Note de l!auteur
Mon premier ouvrage La Fourmi et la Cigale (Editions Edite 2006) regroupe une
quarantaine de pastiches racontant la fable immémoriale à la manière de grands
auteurs du répertoire théâtral, poétique ou romanesque.
C!est à l!instigation de Pierre Bonnier, notre producteur, et en mettant à
contribution l!expérience d!auteur-acteur de mon frère Jacques, que j!en ai extrait
les morceaux les plus théâtraux pour construire une véritable pièce de théâtre, où
la fable et ses personnages se renouvellent au gré des auteurs, des époques et
des styles. Le spectacle explore ainsi avec humour ou irrévérence, notre
patrimoine culturel, celui du théâtre, de la poésie, du cinéma, voire de la
télévision. Mais il est surtout à mon sens un hommage aux auteurs qui m!ont
insufflé, notamment pendant mes classes de comédien chez Jean-Laurent
Cochet où leur fréquentation fut quotidienne, l!amour et le respect de la langue
française.
François Mougenot
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IV.
Le pastiche
La pratique du pastiche (de l'italien pasticcio, pâté), genre imitatif relevant de l'activité
artistique « au second degré » (G. Genette), remonte aussi loin que la création d'œuvres
originales, bien que le mot lui-même n'apparaisse dans le vocabulaire de la peinture qu'au
XVIIe siècle.
Le pastiche consiste à contrefaire la manière, le style d!un écrivain pour en accentuer les
défauts ou les qualités en les déplaçant dans un autre code.
Considéré comme genre « mineur », car il est attaché à son original comme la Lune l'est à la
Terre, le pastiche n'a pas d'existence autonome, si ce n'est par disparition du modèle (Platon
pastichant Lysias dans le Phèdre).
Marcel Proust s'illustre dans ce registre par son long pastiche du Journal des Goncourt dans
Le Temps retrouvé et par son recueil Pastiches et mélanges.
La composition d'un pastiche stimule l'activité créative et suppose d'avoir parfaitement
intégré les techniques particulières d'un style pour être capable de les imiter dans une
production personnelle. Il concilie donc les exigences de l'apprentissage des techniques
d'écriture, l'approche des types de textes et des genres littéraires. Il permet en outre de
laisser librement s'exprimer l'imagination voire la fantaisie.
Alors, voici un bon exercice de rédaction à proposer à vos élèves et dont ils trouveront de
nombreuses illustrations dans le spectacle !
Exemple :
Jacques Mougenot, La Fourmi et la Cigale, variations sur un air connu.
CIGALO DE BERGERAC d!après « La tirade des nez » [Rostand]
La Fourmi :
Quand le bis fut venu, la fourmi se trouva
Fort dépourvue d!esprit et de réplique : pas
Un seul petit morceau de vers ou bien de prose
Elle ne put que dire, à défaut d!autre chose :
« Eh bien, dansez maintenant ! »
Cigalo :
C!est tout ?
La Fourmi :
Eh bien oui
Cigalo :
Dansez maintenant ! Non ! C!est un peu court, Fourmi !
Laissez-moi vous prêter quelques grains de folie,
Qu!il germe un peu d!esprit dans cette pénurie,
Et variant le ton, ou mieux : le panachant,
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Je vais vous montrer l!art d!avoir du répondant
Tenez…Injurieux : Je n!ai plus de tomates
Pour saluer l!aria que vous barytonnâtes !
Critique : Tout l!été, c!est un grand maestro
Mais l!hiver, il m!agace et il grimace trop !
Dithyrambique : Si chacun crie au génie
Il finira bientôt dans la cryogénie !
Philatélique : Hélas, votre timbre est joli,
Mais il ne paiera point le port de mon colis !
Pratique : Et cette clé de fa, lorsque tu dînes,
Permet-elle d!ouvrir les boîtes à sardines ?
Moral : Qui, tout l!été, vocalise à grands traits
Ne trouve dans l!hiver qu!une note de frais !
Ornemental : Jamais de tes superbes trilles
Tu n!es venu chez moi pour triller les lentilles !
Flatteur : Pour que tout cuit l!on vous doive un rôti,
Il faut que vous soyez le grand Pavarotti !
Orchestral : Que faut-il vous donner : la baguette ?
La flûte ? La timbale ? Ou le casse-noisette ?
Proverbial : Rien ne sert de chanter : Concerto
Qu!on joue tard ne vaut pas déjeuner qu!on sert tôt !
Mélomane : Qu!elle est cette belle musique ?
Assurément, c!est la symphonie famélique !
Nuancé : Chantez donc un peu plus legato
Et mangez les ensuite andante con moto !
Laconique : Voilà fini l!opéra bouffe !
Consolateur : Le trémolo qui vous étouffe
Quoique peu nourrissant est toujours émouvant.
Philosophe : Vous n!irez pas au restaurant,
Mais aurez des glaçons dans vos chansons à boire !
Enfin parodiant Rodrigue dans sa gloire :
Je déjeune, il est vrai ! Mais à s!époumoner,
Le chanteur n!atteint pas l!ombre d!un déjeuner !
Mes paniers à ta voix ne se font point remettre,
Et pour les consommer veulent des goûts de maître !
Voilà, pour vous servir, les mots qu!on trouve en vrac,
Quand on s!appelle Cigalo de Bergerac !
Et je doute que vous ni vos compatriotes
Ne les eussiez trouvés car votre unique note
Le mi dans votre nom s!accompagne d!un four
Comme un couac à la fin d!un piètre calembour !
Eussiez-vous eu d!ailleurs l!invention sublime
Qu!il faut pour composer toutes ces folles rimes
Que vous n!en eussiez pas articulé beaucoup
Car c!est moi qui les chante, avec assez de goût,
Vu qu!il vous faudrait être une fourmi ailée
Pour jamais vous permettre une telle envolée !
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Quelques références littéraires dans le spectacle
V.
•
Fable… d!après « Le Chêne et le roseau »
Issu d'une famille relativement bourgeoise, Jean de La Fontaine (poète
français, 1621-1695) passe toute son enfance et son adolescence en
Champagne. Après avoir suivi, sans vraiment s'y intéresser, des études de
théologie et de droit, il hérite de la charge de maître des Eaux et Forêts de
son père. Il s'installe ensuite à Paris, où il fait la connaissance de Nicolas
Fouquet - alors surintendant des Finances de Louis XIV - qui le prend sous sa protection et
lui accorde une pension. La Fontaine prendra d'ailleurs la défense de son protecteur
quelques années plus tard dans une Elégie aux nymphes de Vaux, adressée au roi. La
Fontaine publie ensuite des Contes et nouvelles, d'inspiration libertine, qui lui valent ses
premiers grands succès, mais qu'il reniera pourtant à la fin de sa vie. Il fréquente les salons
parisiens, est élu à l'Académie française. Alors que la querelle des Anciens et des Modernes
débute, il se range du côté des Anciens. Entre temps, il publiera ses recueils de Fables,
grâce auxquels il passera à la postérité. S!inspirant principalement d'Esope, mais aussi
d'Epicure et des Stoïciens, Jean de La Fontaine donnera ses lettres de noblesse à la fable,
genre populaire et rustique par excellence car 'plaire' et 'instruire', telle est sa devise.
Le Chêne un jour dit au Roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encore si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage ;
[…]
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
La Fontaine
La cigale un jour dit à la Fourmi :
« Vous avez bien sujet d!accuser la nature ;
Le bel été pour vous est d!un pesant ennui ;
Le moindre grain qui d!aventure
Se fait voir au fond d!un semi,
Vous oblige à courber l!échine ;
Cependant que mon chant au Caruso pareil,
Non content d!empêcher le ronron du sommeil,
Raille l!effort qui vous incline ;
Tout vous fait du boulot, tout me tombe du ciel,
Encore si vous passiez loin de la mélopée
Dont je couvre votre corvée,
Vous n!auriez de moi nulle idée :
Je vous épargnerais mon grain de sel.
[…]
La fourmi se nourrit, la cigale se gèle.
Jacques Mougenot
7
•
Sonnet… d!après « Les sonnets pour Hélène »
Pierre de Ronsard (poète français, 1524-1585), est né au sein d'une famille
noble. Il se tourne vers une carrière ecclésiastique pour s'assurer un revenu
constant. Cela lui permet de se consacrer à la poésie. En 1544, il fonde avec
d'autres amis poètes le groupe de la Pléiade afin de définir de nouvelles
règles poétiques. Celles-ci sont énoncées dans le manifeste Défense et
illustration de la langue française rédigé par Joachim Du Bellay. Se
conformant à ces nouveaux principes, Ronsard, grand humaniste, compose des œuvres
inspirées des formes antiques telles que les odes et les élégies publiées dans les recueils
dédiés aux femmes (Les Amours de Cassandre, les Sonnets pour Hélène). En même temps,
il participe activement à la vie de cour sous Charles IX, à l'activité des premiers salons et à
l'académie de poésie et de musique avec Baïf. Il partage sa vie entre Paris et la Touraine où
il décède en 1585.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la
chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous
émerveillant:
Ronsard me célébrait du temps que j'étais
belle.
Quand vous serez bien frêle, un soir, et sans
chandelle,
Assaillie par la faim, dans un vent bien
caillant,
Direz en cherchant des vers et vous
démerdaillant:
La fourmi travaillait du temps des sauterelles.
Lors, vous n'aurez servante oyant telle
nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Lors vous n!aurez insecte oyant vos
ritournelles,
Déjà dans les liqueurs à demi-digérant,
Qui à votre chanson ne s!aille soupirant
Maudissant votre nom comme votre crécelle.
Je serai sous la terre et fantôme sans os:
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos:
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Vous irez sur la terre, et la peau sur les os
Dans l!ombre et tout miteux vous envierez
mon pot ;
Je serai au foyer veillant sur ma soupière
Regrettant mon amour et vostre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain:
Cueillez dés aujourd!hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard
Comparant mon couvert à votre lance-pierre
Trimez, si m!en croyez, n!attendez aux frimas:
Cueillez dès aujourd!hui de quoi garnir vos
plats
Jacques Mougenot
8
•
Poème… d!après « Green »
Fils d'un officier napoléonien, Paul Verlaine (poète français, 1844-1896)
étudie à Paris au Lycée Bonaparte. Il travaille par la suite à l'Hôtel de ville de
la capitale. Supportant mal cet emploi, il fréquente les cafés et leurs poètes
et commence son idylle avec l'alcool. Cette compagnie l'incite à rédiger ses
premiers vers, empreints de mélancolie, où se mêlent préciosité et
personnages de la Commedia dell'Arte (Fêtes galantes, 1869). En 1870, il fait la
connaissance de Mathilde Mauté, qu'il épouse. Il écrit pour elle le recueil La bonne chanson.
En 1871, il rencontre Arthur Rimbaud qui exerce sur sa personne une fascination telle qu'il lui
sacrifie son couple et s'enfuit en Angleterre. Une dispute survenant entre eux le contraint à
tirer à coup de pistolet sur le jeune poète. Condamné pour homosexualité, Verlaine passe
deux ans en prison où il rédige l'essentiel des recueils Romance sans paroles (1874) et
Sagesse (1881), à la musicalité frappante. De retour à Paris, il sombre à nouveau dans
l'alcoolisme. La mort de sa mère en 1886 le plonge dans la misère, malgré l'admiration des
symbolistes.
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des
branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour
vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains
blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit
doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Voici des cris, des chœurs, des croches et
des blanches
Et puis mon appétit lamentable et glouton.
Ne me recevez pas les deux poings sur les
hanches
Et qu!à votre tablée, l!humble repos soit bon.
J!arrive tout couvert encore de gelée
Que la bise du nord cristallise à mon front.
Souffrez que ma famine à vos frais régalée
Rêve de chers morceaux qui la rassasieront.
Sur votre déjeuner laissez rouler ma glotte
Toute goulue déjà de vos pleins saladiers.
Laissez-la s!extasier de la bonne compote
Et que j!y goûte un peu puisque vous cuisinez.
Jacques Mougenot
Paul Verlaine
9
•
Poème… d!après « L!Albatros »
Charles Baudelaire (poète français 1821-1867) n'a jamais accepté le
remariage de sa mère alors qu'il n'avait que sept ans. Est-ce là la cause de
son esprit rebelle ? Toujours est-il qu'il se fait exclure du lycée Louis-leGrand, fermement décidé à mener une vie de dandy. Décision contrariée par
son beau-père, qui le fait embarquer de force sur un paquebot en direction
des Indes, puis qui place sous tutelle judiciaire la fortune héritée de son père et menacée
d'être rapidement dilapidée. Contraint de travailler, Baudelaire se consacre à la critique d'art
et à la traduction des œuvres d'Edgar Poe. En 1857 paraissent Les Fleurs du mal, recueil de
vers exaltant la beauté en germe dans toute perversité, dans toute souffrance. L'ouvrage est
condamné pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Il faut dire que le
poète fait fi des valeurs bourgeoises triomphantes en ce siècle.
Baudelaire s'éteint prématurément, le corps rongé par la syphilis, l'alcool et autres
substances hallucinogènes. Son œuvre fonde la modernité poétique, en particulier le
symbolisme.
Souvent, pour s'amuser, les hommes
d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des
mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes
blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et
veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Souvent, pour s!amuser, les fourmis
d!hivernage
Prennent une cigale, insecte démuni
Qui, tout l!été, suivait, loin du remue-ménage,
Les nuages glissant dans l!azur infini.
A peine le voit-on trottiner sur la neige
Que ce roi de l!arpège, atonal et quinteux,
Laisse piteusement, son fastueux solfège
Comme un triste ronron s!éteindre à petit feu.
Ce baryton zélé, qu!il est grêle et morose !
Lui, souverain jadis, comme il a l!air chagrin !
L!une attise sa faim avec un brûle-grain,
L!autre imite en geignant l!insecte virtuose !
Le poète est semblable à l!estivant princier
Qui hante la pinède et se rit des congères ;
Exilé dans le froid parmi les fourmilières,
Ses embarras d!argent l!obligent à danser.
Jacques Mougenot
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal
10
•
L!école des cigales… D!après « L!avare »
Molière (acteur, dramaturge et metteur en scène français, 1622-1673), fils
du tapissier du roi, licencié en droit, Jean-Baptiste Poquelin renonce à
reprendre l'affaire paternelle, et fonde l'Illustre-Théâtre. Sous le nom de
Molière, et en compagnie de sa maîtresse, Madeleine Béjart, il vit treize
années de pérégrinations en province, avant que la troupe ne décide de
regagner Paris en 1658. C'est alors qu'il épouse Armande Béjart, qui lui donne un fils, Louis.
Talentueux dramaturge, Molière écrit toutes sortes de pièces, de la farce à la comédie-ballet
en collaboration avec Lully. Mais il excelle dans la mise en scène de comédies grinçantes et
féroces, dans lesquelles il épingle les travers de la société. Molière utilise en effet le rire
comme une arme avec laquelle il foudroie nombre de ses contemporains. Malgré son génie
et la protection du roi, Tartuffe et Dom Juan sont interdites de représentation. S'il résiste aux
cabales, sa santé défaillante a finalement raison de lui ; il meurt quasiment sur scène. Sept
ans plus tard, la troupe de Molière, qui avait fusionné avec celles de l'Hôtel de Bourgogne et
du Marais, donne naissance à la Comédie Française.
Le texte suivant est extrait de L!Avare (Acte I, scène 3). Harpagon entre en scène et dévoile
sa nature.
Harpagon : Hors d!ici tout à l!heure, et qu!on ne réplique pas. Allons, que l!on détale de chez moi,
maître juré filou, vrai gibier de potence.
La flèche : Je n!ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction,
qu!il a le diable au corps.
Harpagon : Tu murmures entre tes dents.
La flèche : Pourquoi me chassez-vous ?
Harpagon : C!est bien à toi, pendard, à me demander des raisons : sors vite, que je ne t!assomme.
La flèche : Qu!est-ce que je vous ai fait ?
Harpagon : Tu m!as fait que je veux que tu sortes.
La flèche : Mon maître, votre fils, m!a donné ordre de l!attendre.
Harpagon : Va t!en l!attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un
piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant
moi un espion de mes affaires, un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions,
dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s!il n!y a rien à voler.
La flèche : Comment diantre voulez-vous qu!on fasse pour vous voler ? Etes-vous un homme volable,
quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ?
Harpagon : Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà
pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu!on fait ? Je tremble qu!il n!ait soupçonné quelque
chose de mon argent. Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j!ai chez moi de l!argent
caché ?
La flèche : Vous avez de l!argent caché ?
Harpagon : Non, coquin, je ne dis pas cela. J!enrage. Je demande si malicieusement tu n!irois point
faire courir le bruit que j!en ai.
La flèche : Hé ! Que nous importe que vous en ayez ou que vous n!en ayez pas, si c!est pour nous la
même chose ?
Harpagon : Tu fais le raisonneur. Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. (Il lève la main
pour lui donner un soufflet.) sors d!ici, encore une fois.
La flèche : Hé bien ! Je sors.
Harpagon : Attends. Ne m!emportes-tu rien ?
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La flèche : Que vous emporterais-je ?
Harpagon : Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.
La flèche : Les voilà.
Le texte suivant est extrait de La Fourmi et la Cigale, écrit par Jacques Mougenot.
Fourmi : Hors d!ici, tout l!hiver et qu!on ne gaspille plus ! Allons, que l!on décolle de chez moi, maître
juré flemmard, vrai pilleur de récolte !
Cigale : Je n!ai jamais rien vu de si radin que cette maudite fourmi et je pense, sauf correction, qu!elle
doit avoir un grain.
Fourmi : Tu craquètes entre tes dents ?
Cigale : Je ne craquète point.
Fourmi : Et qu!est-ce que tu fais, pendarde de cigale ?
Cigale : Je stridule. C!est la cigogne qui craquète.
Fourmi : C!est bien à toi, insecte buissonnier, à me donner des leçons ! Sors d!ici, que je ne t!étrille.
Cigale : Mes trilles ? Vous voulez les entendre ? Ecoutez…
Fourmi : Tais-toi coquin d!insecte ! Puisse l!enfer payer tes charitables trilles !
Cigale : Qu!est-ce que je vous ai fait ?
Fourmi : Tu m!as fait que je veux que tu danses !
Cigale : Je suis venu pour la fête demain.
Fourmi : La fête de demain ? Chansons !
Cigale : Mais non, et les étrennes des cigales !
Fourmi : Va-t-en les fêter dehors et recevoir ta bise hivernale ! Je ne veux point avoir sans cesse près
de chez moi un insecte bruyant, un parasite, dont les mandibules convoitent mes denrées, dévorent
tout ce qu!on entasse et grignotent de tous côtés dans les galeries, pour pouvoir chanter tout l!été nuit
et jour à tout venant !
Cigale : Hé bien, je sors.
Fourmi : Attends ! Ne m!empruntes-tu rien ?
Cigale : Que vous emprunterais-je ? Je n!ai que ma musique.
Fourmi : N!as-tu rien mis dedans ?
Cigale : Toute mon âme
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Et d!autres encore…
Les frères Mougenot nous offrent bien évidemment d!autres textes. Parmi eux, on retrouve :
Cigaliccus d!après Racine
La Légende du grain d!après Victor Hugo
Un compte d!hiver d!après Shakespeare
Poème d!après Le Pont Mirabeau d!Apollinaire
La Fourmisanthrope d!après Molière
Ou encore, dans un autre genre :
Meurtre en la bémol d!après Colombo
La météo d!après Catherine Laborde
Les grains de l!amour d!après une émission télévisée
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