DÉVELOPPEMENT URBAIN AU KENYA : UNE SÉCESSION

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DÉVELOPPEMENT URBAIN AU KENYA : UNE SÉCESSION
DÉVELOPPEMENT URBAIN AU KENYA : UNE SÉCESSION
TERRITORIALE SOUS COUVERT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE ?
Anne Bousquet
De Boeck Supérieur | Afrique contemporaine
2008/2 - n° 226
pages 269 à 290
ISSN 0002-0478
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bousquet Anne, « Développement urbain au Kenya : une sécession territoriale sous couvert de développement
durable ? »,
Afrique contemporaine, 2008/2 n° 226, p. 269-290. DOI : 10.3917/afco.226.0269
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Actualité africaine
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Développement urbain au Kenya :
Développement
urbain
une sécession territoriale sous couvert
de développement durable ?
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Partant d’un constat d’échec d’une gestion centralisée des projets urbains,
de nouvelles initiatives promeuvent une implication des communautés bénéficiaires – de la conception à leur mise en œuvre – dans un but d’appropriation et de durabilité. Aujourd’hui, une nouvelle sémantique s’est développée
et chaque initiative doit s’inscrire dans une démarche de développement durable.
A priori louables, ces principes alimentent parfois de manière surprenante
les inégalités, déjà très fortes, entre les citadins riches et les citadins pauvres de
la capitale kenyane. C’est ce que nous avons découvert par l’analyse de l’initiative d’une association de résidants d’un quartier riche bien connu de Nairobi,
le « Karengata » 2.
Il est essentiel d’appréhender le lien fort entretenu entre ce quartier, son
identité et son association de résidants pour comprendre comment sont perçus les changements liés à l’expansion urbaine rapide de Nairobi. Confrontée
à l’ingérence des pouvoirs publics face à ce développement et aux mutations
sociales qu’il entraîne, la Karen Langata District Association a tenté d’imposer
ses vues à la municipalité de la capitale en termes d’urbanisation.
Sous couvert de prise à partie et de responsabilisation des autorités locales – présentée comme souhaitable par de nombreux documents émanant
des bailleurs –, on verra que la démarche relève, en fait, d’un repli communautaire et présente donc certains effets pervers inattendus.
1. Docteur en géographie, actuellement chercheur à l’Institut français de recherche en Afrique (IFRA) et consultante pour
l’Agence française de développement (AFD).
2. On y trouve notamment la ferme de Karen Blixen.
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Anne BOUSQUET 1
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Afrique contemporaine ■
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La Karen Langata District Association (KLDA) est une très ancienne association de résidants de Nairobi (700 adhérents), implantée sur la totalité du
ward (équivalent du canton) de Karen et une partie de la Constituency de Langata (territoire politico-administratif de la ville).
Suite à l’installation à partir de 1918 de grands exploitants agricoles d’origine européenne, auxquels le gouvernement britannique a offert de larges
parcelles de terre agricole en tant que personnels blancs démobilisés, le Nairobi Urban District Council (municipalité de Nairobi) tente de faire appliquer
à Karengata certaines réglementations mal acceptées. Ces résidants y cultivent de très vastes plantations de café (jusqu’à 500 acres 3) ou possèdent des
fermes laitières. Jusqu’à l’indépendance, seules les personnes d’origine
européenne sont autorisées à posséder de la terre à Karengata et la NDA
(première association de résidants) pratique en conséquence une discrimination raciale à l’égard des Noirs. C’est dans les années 1920 et 1930 que l’électricité arrive dans le quartier. Mais il faut attendre 1940 pour que le quartier
se dote de commerces de proximité 4, ainsi que d’un club : le Karen Country
Club ayant pour vocation de représenter les intérêts des résidants auprès des
instances administratives de Nairobi, dont Karen ne fait pas encore partie. À
l’origine, l’alimentation en eau du quartier dépend de forages publics interconnectés, qui sont ensuite transférés à la municipalité dans les années
1980 5. Celle-ci prolonge alors le réseau municipal jusqu’à Karengata et ferme les forages publics (encadré sur l’histoire du quartier / carte avec note sur
les limites administratives).
Après 1945, tout en conservant son aspect rural, Karengata perd peu à
peu son caractère agricole au profit d’un usage du sol de plus en plus
résidentiel : une première vague de subdivision des parcelles a lieu (de 5 à
40 hectares), revendues aux employés du gouvernement colonial et aux anciens soldats des Forces britanniques. En 1963, avec l’indépendance du Kenya, Nairobi est élevée au statut de City, et le changement de nom de la NDA
en KLDA coïncide avec l’intégration du quartier dans les limites administratives de la ville. L’indépendance se traduit par l’installation d’autres
« races » 6 – terminologie reconnue par la KLDA –, ce qui accélère les subdivisions et l’urbanisation dans le quartier. Le contrôle de l’urbanisation in3.
4.
5.
6.
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1 acre représente environ 4 050 m2.
Le Karen Provision Store et le Shade Hotel.
C’est en effet en 1987 que le ministère de l’Eau transfère la responsabilité de la fourniture de l’eau au Nairobi City Council.
C’est le mot anglais races qui est employé dans les documents émanant de la KLDA.
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KARENGATA : VERS UNE SÉCESSION TERRITORIALE
Développement urbain au Kenya… ■
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combe alors au NCC, à travers le schéma directeur de 1948 (Nairobi Master
Plan for a Colonial Capital), mais celui-ci est devenu largement obsolète et il
n’existe pas de plan structurant pour accompagner le changement d’affectation des sols. Ce n’est qu’en 1973 qu’un nouveau schéma directeur est publié, appelé le Nairobi Metropolitan Growth Strategy. Il recommande que le
quartier demeure une zone résidentielle de population à hauts revenus et à
faible densité, quoique accrue, mention que l’association ne prend pas en
compte 7. À la fin des années 1970, le quartier change de physionomie avec
l’arrivée de Kenyans noirs à hauts revenus et d’institutions religieuses éducatives. En 1988, une révision du zonage dans le cadre du Structure Plan
(Rezoning Ordinance) autorise la subdivision des parcelles jusqu’à un minimum de 0,4 hectare dans la zone au sud de Langata et de la route de Dagoretti, et de 0,2 hectare au nord des mêmes routes. L’idée est de rendre la
terre plus accessible aux classes moyennes kenyanes, d’augmenter la densité
de population et les recettes tirées des impôts et du service d’eau.
L’association se rend surtout célèbre en 1994-1995, lorsqu’elle intente un
procès à la mairie de Nairobi. Lassée de payer des taxes sans pour autant
bénéficier des services urbains que la mairie est censée fournir (ramassage
des ordures ménagères, alimentation en eau potable, etc.), l’association l’attaque en justice sur le prétexte que celle-ci ne tient pas ses comptes à jour.
Le procès est long mais la KLDA a gain de cause : tant que la mairie n’est
pas capable de présenter des comptes actualisés, qu’elle n’utilise pas l’argent
des contribuables au bénéfice de la communauté et que les protagonistes ne
trouvent pas d’accord sur son utilisation, les membres de l’association ne
payent plus leurs impôts locaux 8. Jusqu’à présent, l’argent continue de s’accumuler sur ce compte 9, en dépit des tentatives de la mairie pour le récupérer,
notamment en période électorale 10.
Il faut dire que les relations se sont envenimées, notamment lors de l’arrivée d’un nouveau maire en 2002, Dick Waweru, qui a déclaré vouloir augmenter les densités dans cette zone, sur un fond de discours xénophobe contre la
communauté d’origine européenne.
7. City Council of Nairobi, 1973 : 88.
8. Les autres contribuables non-membres continuent de payer directement les impôts municipaux.
9. Il faut noter que le non-versement des taxes à la mairie n’a pas entraîné de détérioration des services urbains, pour la
bonne raison qu’ils étaient déjà pratiquement inexistants avant le procès.
10. Après d’âpres discussions, le maire de Nairobi annonce que l’argent servira à la construction d’une station de pompage
pour l’eau potable, desservant non seulement Karengata mais aussi d’autres quartiers situés à proximité (avant la privatisation de la régie municipale), reprenant ainsi une proposition initiale de la KLDA. Cependant, la mairie refuse les conditions
posées par l’association, imposant le paiement direct des contractants sans passer par le budget municipal. En 2007, la
mairie essaye de ramener l’affaire devant les tribunaux, sur le motif que les comptes ont été mis à jour, mais sa démarche
n’aboutit pas. L’association propose alors un retour à la normale en échange de l’approbation de son plan local d’urbanisme
– dont nous verrons le contenu un peu plus loin dans cet article –, sans résultat.
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Source : Carte réalisée par Anne Bousquet. MATRIX Consultants, 1991.
Certains membres, notamment les old white kenyans ne voient finalement pas l’intérêt d’un accord avec la mairie car le statu quo leur convient
(continuer de verser leurs impôts directement à l’association). C’est pourquoi ils vont même jusqu’à menacer de quitter l’association si celle-ci trouve
in fine un accord avec la municipalité. Cette démarche présente un danger
pour l’intégrité du territoire municipal : gérer ses propres impôts est un
premier pas vers la sécession territoriale 12, ce qui serait très dommageable
à la gestion urbaine dans son ensemble. L’absence de mécanisme de péréquation entre zones aisées et zones défavorisées, si les premières se désolidarisent des secondes, est un obstacle supplémentaire à la réduction des
disparités riches/pauvres. En outre, l’histoire de la KLDA a fait école et une
autre association, « We can do it », menée par Jackie Risley, a aussi intenté un
procès à la mairie, qu’elle a également gagné, et d’autres quartiers riches,
tels que Runda ou Muthaiga, pourraient suivre l’exemple de Karengata et,
en poussant la logique jusqu’au bout, faire sécession territoriale et établir
11. La Karen Langata District Association ne fournit pas vraiment de justification aux limites de la zone qu’elle couvre, surface de 56 kilomètres carrés, s’étalant de Motoine River au nord, à Mbagathi River au sud, et d’est en ouest de Magadi
Road à Forest Edge Road et à la limite municipale de Nairobi.
12. Dont le souvenir n’est pas très lointain, car le quartier n’a été intégré au territoire urbain que tardivement en 1963.
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Carte 1 – Localisation de Karengata dans Nairobi 11
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Développement urbain au Kenya… ■
leurs propres autorités urbaines. Sous couvert de prise à partie et de responsabilisation des autorités locales, présentée comme souhaitable par de nombreux documents émanant des bailleurs, la démarche communautaire peut
donc présenter certains effets pervers inattendus.
LA CRISE URBAINE DE KARENGATA : UN DENSIFICATION EXCESSIVE
Les documents publiés par l’association ont recours à un vocabulaire alarmiste sur la situation présente et à venir de l’urbanisation de Karengata : il
est question de « crise », de « chaos », d’« urbanisation anarchique »… Il
semblerait néanmoins que ces expressions soient plus adaptées à la description de Kibera 13, distant seulement de quelques kilomètres, au-delà de la
Ngong Road Forest. Depuis une dizaine d’années, l’association note une accélération de l’urbanisation et de la croissance démographique de la zone.
Année
Population
Nombre de
Superficie
Densité en
totale de la zone ménages concernée en km2 hab/km2
1969
10 499
-
60
174
1979
13 112
2081
74
177
1989
19 592
5 980
73
268
1999
25 882
8 432
71.8
360
Source : Population Census Reports, 1969, 1979, 1989, 1999, Central Bureau of Statistics.
Tableau 2 – Croissance urbaine de Nairobi
Année Population
Densité en hab/km2 Croissance démographique
en % sur la période
Nairobi = 689,45 km2
1969
509 286
739
9,8 % (1962-1969)
1979
827 775
1201
5,1 %
1989
1 324 570
1921
4,8 %
1994
1 690 000
2451
5%
Source : Obudho and Aduwo, 1992.
13. Kibera est un très grand bidonville de Nairobi, aux conditions de vie sordides.
14. Les découpages administratifs ont varié au cours de la période.
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Tableau 1 – Croissance démographique et densité de 1969 à 1999 14
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L’association reconnaît que la zone a connu une faible croissance démographique par rapport au reste de la ville mais insiste sur le doublement de
la densité sur la période 1969-1999 15. Cet argument ne semble pourtant
pas suffisant pour invoquer un risque de surpeuplement du quartier, car celui-ci partait de densités véritablement très faibles en 1969. Lorsqu’on rapproche la densité actuelle de Karengata de celle de l’ensemble de la ville
dans les années 1990, on comprend que le quartier jouit toujours d’une situation extrêmement privilégiée en la matière.
Cependant, le quartier subit une forte pression foncière car il est l’un des
rares à jouir de disponibilités foncières importantes. La demande est si forte
que les prix se sont envolés, c’est pourquoi la tendance est à la subdivision pour
que les parcelles soient abordables. Le minimum requis est d’une demi-acre 16.
En dépit de l’existence de réglementations prévoyant des sanctions, le
NCC n’a pas la capacité d’inspecter les constructions. Les sanctions sont
inappropriées et difficiles à mettre en œuvre, si bien que de nombreux constructeurs « développeurs » mettent le NCC devant le fait accompli ou ignorent simplement les planificateurs en sachant qu’ils n’ont pas de pouvoir de
sanction. De nouveaux venus, décris comme de « young executive type Kenyans »,
s’installent en couple avec leurs enfants. Ce sont très certainement des ménages à revenus élevés car les prix fonciers restent sélectifs.
L’association montre une certaine défiance à l’égard de ces personnes 17,
qui seraient responsables ou bénéficiaires des subdivisions foncières qu’elle
souhaite combattre. Elle tente néanmoins de les intégrer mais les résultats
sont mitigés. De son aveu même, en dépit de quelques nouvelles adhésions, la
KLDA conserve son image de représentante des « vieux Blancs dominants ».
Par ailleurs, la plupart du temps, ces nouveaux venus achètent des parcelles
les unes à côté des autres et forment leurs propres associations de voisinage,
formelles ou informelles, s’occupant de leurs problèmes particuliers. Leur
principale mission est la fermeture des rues avec des barrières de sécurité ainsi que leur surveillance, ce qui n’était pas très répandu à Karengata jusqu’à
présent. La première motivation de leurs associations de voisinage concerne
15. Ministry of Lands and Physical Planning Department; Karengata Residents; City Council Of Nairobi/City Planning Department (2005), Karengata Local Physical Development Plan 2005-2015, approved development plan n° 292, p. 20.
16. Équivaut à 0,2 hectare.
17. Lors de mon entretien, la personne interrogée signalait que le Karen Country Club subissait lui aussi une certaine
« dilution » de son identité originelle, car ses membres pouvaient provenir de différents quartiers. La suggestion implicite
formulée par mon interlocutrice était de filtrer les nouvelles adhésions par l’indicateur postal, permettant ainsi de revenir
à un club de voisinage.
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ainsi la sécurité et elles ne se montrent pas intéressées par les préoccupations
plus globales de l’ensemble du quartier.
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Du fait de l’obsolescence du schéma directeur de 1973, les urbanistes du
NCC ne prennent en compte ni la disponibilité en eau ni l’impact environnemental lors de l’attribution des droits de subdivision des parcelles ou de
changement d’usage du sol, ne respectant que les réglementations sur la
taille minimale des parcelles et le plan des routes de la zone. Or, depuis la
fermeture des forages publics et le raccordement du quartier au réseau de
la ville, l’alimentation en eau est très insuffisante : le service d’eau répond
actuellement à moins de 20 %, voire moins de 10 % des besoins estimés.
Ainsi, les développeurs sont forcés de ponctionner les ressources naturelles
en eau (de surface et souterraines) déjà très sollicitées et c’est pourquoi les
unités résidentielles disposent en grande partie de leur propre forage, dont
la concentration à Karengata est la plus forte du pays (plus de 400 forages,
soit une densité de sept forages au km2). Les forages, qui sont pour la plupart clandestins, atteignent des profondeurs importantes et menacent les
aquifères de Nairobi. On note également que la forte consommation d’eau
du golf de Karen fait l’objet d’un litige avec l’association. Le problème de
l’eau est tel que la KLDA souhaite créer une association d’usagers, dans le
cadre de la nouvelle loi sur l’eau. Les forages sont en outre devenus des
fonds de commerce profitables et la fourniture de « l’eau saine des forages »
de Karen et Langata complète et parfois supplée la desserte insuffisante
dans d’autres quartiers. De plus, il n’existe qu’un seul collecteur d’égouts,
largement insuffisant et les solutions d’assainissement individuelles ne sont
pas toujours adéquates, ce qui entraîne une augmentation de la pollution
des rivières et du sol. L’association dénonce fortement l’accélération d’une
urbanisation non encadrée par une réglementation de l’usage des forages,
sans amélioration de la desserte en eau et des services d’assainissement, ce
qui peut avoir un impact dévastateur sur les ressources en eau de surface et
souterraine. D’autres ressources naturelles sont mises à mal par
l’urbanisation : les forêts, la végétation indigène et les zones humides naturelles sont tout aussi affectées. C’est pourquoi de nombreuses zones sont victimes d’inondations lors de la saison des pluies.
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L’insuffisance des services urbains et la menace
sur les ressources naturelles
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Source : Karen-Langata District Association, Karen Local Physical Development Pan, 2005.
Demande insatisfaite de logements bon marché
L’étude de terrain a permis de découvrir la présence de nombreuses poches de pauvreté à l’intérieur du quartier, où s’entassent des familles entières,
locataires, partageant une seule pièce… Huit mille personnes « pauvres » ont
été recensées. Cependant, une population nombreuse et en forte croissance
vit également sur les franges du quartier et fournit une bonne partie des employés domestiques des villas aisées du quartier (femmes de ménages, jardiniers, etc.). La localisation de logements « bon marché » a toujours été
confinée aux servant quarters des parcelles résidentielles, tandis que la demande croissante de ce type de logement a entraîné la croissance des quartiers
informels comme Mapoteni et Kuinda dans les zones de Kataka et de Bulbul,
juste à l’extérieur de la limite sud. Cela encourage également la construction
illégale de très petites locations d’une seule pièce sur les parcelles résidentielles, autour de l’habitation principale. La présence d’établissements d’enseignement supérieur (souvent à caractère religieux), tels que l’université
18. L’association a procédé elle-même au dénombrement des forages du quartier. En principe, tout creusement d’un forage doit être enregistré auprès des autorités mais ce règlement est très largement négligé par les résidants ou les constructeurs.
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Carte 2 – Carte des forages et du réseau d’eau de Karen-Langata 18
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catholique (dans la zone de Bogani) entraîne des problèmes de logements
pour leurs employés et pour les étudiants que l’on retrouve dans les locations
précaires des alentours. Celles-ci posent de graves problèmes en termes d’assainissement et de contamination des nappes, car le sol de black cotton y est
très perméable. Selon l’association, une solution serait de construire des logements corrects de type « logements étudiants », mais l’absence de réserves
publiques foncières pose problème. En effet, une très grande partie des terrains publics a été illégalement privatisée dans le passé. En outre, les institutions religieuses, qui disposent en général de leur propre forage et d’un
système d’assainissement individuel, sont exemptées d’impôts fonciers et
sont donc peu intéressées par l’action de l’association.
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Corrélativement à la croissance des poches de pauvreté, on note dans les
trois dernières années une multiplication des échoppes précaires, sans hygiène, localisées sur les réserves foncières routières et aux carrefours, portant atteinte à la fluidité du trafic et à la sécurité dans la zone. Des fermes horticoles,
des élevages de porcs et d’autres activités agricoles commerciales s’installent
de manière illégale (car le schéma directeur n’autorise pas d’activité de type
agro-industriel). Ces activités sont en partie responsables de la pollution des
eaux par leurs rejets de produits chimiques et organiques provenant des animaux. D’autres activités commerciales comme la réparation des voitures ou
des entrepôts occupent des emplacements sans planification spécifique.
Ainsi, selon l’association, « si l’urbanisation se poursuit de cette manière
et à ce rythme, cela aura un effet dévastateur sur un environnement qui
s’était révélé si attractif par le passé, et cela entraînera inévitablement un déclin de la valeur foncière et immobilière de la zone ».
APPROCHE PARTICIPATIVE DE LA PLANIFICATION URBAINE
ET MENTALITÉ « NIMBY » 19
À l’issue de ces constats jugés alarmants, et au vu de la mission (« the future, our responsibility ») et de la vision que s’est donnée l’association, celle-ci décide de se lancer dans la réalisation d’un plan local d’urbanisme en 2004.
19. NIMBY : “Not In My Backyard” ; en français : « pas dans ma cour ».
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Développement du commerce informel
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Encadré 1 – Vision de l’association sur le devenir souhaitable de Karengata
La priorité des résidants est la préservation de l’environnement unique de Karengata,
leur raison première de s’y installer. Ils souhaitent que le quartier reste à forte dominante résidentielle, tout en acceptant l’installation d’institutions et d’activités commerciales si elles ne représentent pas un fardeau trop lourd pour l’environnement et si les
infrastructures sont mises à niveau.
La vision est la suivante :
- un endroit sûr et harmonieux où vivre et élever des enfants
- un environnement de vie durable dans lequel les ressources naturelles sont protégées
et les écosystèmes préservés
- logement et services urbains adéquats, pour tous, comprenant l’eau, l’assainissement,
la santé, l’éducation et le transport.
Source : Konrad Adenauer Stiftung, 2004.
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Le contenu du plan et les préoccupations formulées par l’association
montrent une forte volonté de préserver des intérêts particuliers : un environnement agréable à vivre, caractérisé par une faible densité, un maintien
des valeurs foncières et immobilières élevées, ce qui passe par un certain
protectionnisme en termes de flux d’installations dans le quartier. Même si
elle ne s’en cache pas vraiment, l’association tente néanmoins de justifier
son approche sous couvert de développement durable (d’où l’insistance sur
la détérioration de l’environnement local), de défense d’intérêts collectifs et
d’approche participative communautaire. Elle met notamment en avant son
rôle d’exemple pour les autres « communautés » et la réplicabilité de son action (comme pour ses actions en justice). C’est comme cela qu’elle explique
l’obtention de financements pour la réalisation de l’étude de la part de la
fondation Konrad Adenauer Stiftung :
« La KAS s’intéresse aux questions environnementales et à l’aide aux communautés pour qu’elles prennent l’initiative de les résoudre. La KAS a vu la KLDA
comme une opportunité d’étendre son aide aux questions urbaines, de capitaliser
l’expérience pour pouvoir la répliquer à d’autres communautés à Nairobi. »
La KLDA affirme que l’une de ses « principales préoccupations est
d’améliorer la gouvernance à Nairobi et de montrer que son approche pouvait être répliquée dans d’autres quartiers ». Cette approche consiste à
« impliquer fortement les résidants du quartier dans la préparation et la
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Intérêts particuliers versus bien commun
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mise en œuvre de la stratégie d’urbanisation du quartier, en lien avec le
NCC et les autres autorités publiques. L’idée est de montrer comment la
participation communautaire et la collaboration avec les autorités peuvent
mener à une gestion durable de l’urbanisation (environnement local vivant
préservé au bénéfice de tous) ».
Dans le plan local d’urbanisme, un paragraphe entier tente de démontrer
que la démarche de la KLDA participe d’un développement harmonieux de
la ville dans le cadre d’une stratégie métropolitaine et peut bénéficier à l’ensemble des citadins grâce à son attractivité économique.
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« Karengata, l’une des zones résidentielles les plus prestigieuses de Nairobi, est à présent menacée… Dans le même temps, les autorités en charge de la planification mettent en place une “Nairobi Metropolitan Development Strategy”, cadre global pour
améliorer la qualité de l’urbanisation et lutter contre la détérioration des conditions
de vie en ville dans son ensemble.
Grâce à ses caractéristiques, Karengata est un endroit idéal pour mettre en œuvre un
projet pilote de planification. Le fait qu’il existe encore de vastes parcelles non construites doit servir à démontrer que l’on peut avoir une meilleure approche en termes
de protection de l’environnement, face aux questions de subdivision et d’urbanisation.
La présence de nombreux résidants pro-actifs, capables, organisés et impliqués constitue un atout indéniable. Le tout constitue un exemple que d’autres quartiers pourraient suivre. Enfin, la zone représente un atout majeur pour la ville, ayant un rôle
potentiel vital pour attirer des investissements, dynamiser l’économie de la ville, et par
extension l’économie nationale. La disponibilité de zones résidentielles attractives
pour les investisseurs est en effet essentielle pour l’économie de la ville. »
Source : Ministry of Lands and Physical Planning Department; Karengata Residents; City Council Of Nairobi/City Planning
Department; Karengata Local Physical Development Plan 2005-2015, approved development plan n° 292, 04/05/05,
85 p.
Enfin, l’association reconnaît néanmoins avoir un certain nombre d’avantages par rapport à d’autres quartiers moins favorisés : « Les associations de
résidants des quartiers riches ont plus de ressources et de pouvoir de négociation et par conséquent se doivent d’aller au-delà de leur mandat, c’est-àdire aider les communautés pauvres de leur voisinage, afin d’œuvrer au développement global de leur quartier 20. » Alors que cet aspect n’apparaît que
marginalement dans le plan local d’urbanisme, il ne fait en revanche aucun
doute que l’association dispose de nombreuses ressources.
20. Konrad Adenauer Stiftung (2004), Community Leadership in Managing and Urbanising Environment, The experience
of Karen and Langata District Association, Nairobi, Occasional Papers, East Africa.
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Encadré 2 – Arguments rhétoriques d’une planification favorable à Karengata
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Afrique contemporaine ■
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Ce sont les bailleurs et les ONG qui ont à l’origine développé l’outil de la
participation communautaire, pour la mise en œuvre de projets de développement bénéficiant aux populations défavorisées. Cette notion a également
récemment émergé dans les processus de planification urbaine au Kenya
(notamment dans la conception des LASDAP 21). On peut également noter
que l’expression même de « communauté », outre qu’elle mériterait une explicitation, est en général davantage réservée aux populations pauvres. Cependant, on peut douter que les communautés pauvres puissent réellement
s’emparer de cet outil pour faire entendre leurs besoins : il n’existe aucune
autre initiative du type de celle de la KLDA dans un quartier pauvre (prise
à partie des autorités publiques, conception autonome d’un schéma d’aménagement, etc.). Les initiatives le plus souvent extérieures (ONG, agences
de développement, etc.), qui ont eu pour but d’améliorer les conditions de
vie des habitants, se soldent généralement par un échec qui s’enracine notamment dans un conflit récurrent entre propriétaires et locataires (autour
des loyers et de la question foncière) : on peut citer l’exemple de Kibera 22
où la guerre des loyers a fait des dizaines de morts au début des années
2000, ou encore Mathare A4. Dans ces deux cas, il existait une certaine accointance entre les « propriétaires » et des hommes politiques ou des fonctionnaires de l’administration locale, les premiers souhaitant plutôt
contrecarrer les projets de développement et maintenir le statu quo. In fine,
leur principal recours est celui de la violence, sous diverses formes 23.
A contrario, une association de résidants issue d’un quartier riche dispose
de nombreuses ressources pour optimiser cette approche à son propre
profit : la KLDA a pu, dès l’origine et à maintes reprises, contrer les initiatives de la municipalité. Elle est capable de mobiliser au sein de ses propres
membres un réseau de personnes-ressources pouvant accéder aux échelons
supérieurs du pouvoir. On peut d’ailleurs noter que, bien qu’elle s’en défende, la première démarche de la KLDA a court-circuité les autorités municipales, en ayant recours aux dispositions de la partie IV du Physical Planning
21. Local Authority Service Development Action Plan : un plan de développement des services et infrastructures censé être
participatif.
22. Goux M.-A. (2003), « Guerre des loyers dans les bidonvilles de Nairobi », Politique Africaine, Violences ordinaires, n° 91,
p. 68-82, Paris, Karthala.
23. Médard C. (2006) : « Nairobi : acteurs et enjeux d’une planification détournée », in H. Charton-Bigot et R.T. Deyssi.
(éds), Nairobi contemporain, les paradoxes d’une ville fragmentée, Paris / Nairobi, IFRA / Karthala, coll. « Hommes et
sociétés », p. 51-99.
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Captation de la participation communautaire par les élites
Développement urbain au Kenya… ■
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Act de 1996, Cap. 286 24. S’il est approuvé, le plan remplacera le Structure
Plan de 1988 du City Council et deviendra le seul cadre légal de référence
pour toutes les décisions de planification et d’urbanisation. Ce sont des contacts personnels du président de l’association au Ministry of Land and Housing
qui ont permis à ce dernier de convaincre le Physical Planning Department de
la nécessité de concevoir un plan d’urbanisme pour le quartier. Le ministère
a d’ailleurs approuvé le plan en mai 2006. De même, une relation privilégiée entre un membre de l’association et une fonctionnaire haut placée du
City Council a permis de relancer la négociation avec celui-ci (elle n’a néanmoins toujours pas abouti). Il faut dire que le quartier accueille bon nombre
de hautes personnalités du monde politique et de la finance, notamment
Raila Odinga, figure majeure de l’opposition ODM, candidat aux élections
présidentielles de 2007 et Premier ministre du Kenya en 2008 (il n’est cependant pas membre de l’association). Enfin, l’association dispose à travers
ses membres de compétences très pointues en matière d’urbanisme (parfois
supérieures à celle du City Council), ainsi qu’une vaste et solide connaissance
de l’environnement juridique kenyan. Le président de l’association n’est autre
que le directeur d’un célèbre bureau d’études urbaines très bien implanté à
Nairobi, ayant réalisé de nombreuses études pour le compte du gouvernement kenyan mais aussi des bailleurs. Des fonctionnaires des Nations unies
sont également membres de l’association et se sont impliqués dans la préparation du plan, ce qui pourrait expliquer le recours à une sémantique empruntée
aux partenaires du développement. Enfin, le directeur d’une entreprise de
forages, également membre, a réalisé gracieusement le bilan rapide des ressources hydrologiques de la zone.
Grâce à la mise en commun de ses nombreuses ressources, la KLDA a
donc conçu un plan local d’urbanisme de la zone qu’elle couvre, concernant
plusieurs divisions administratives de la ville. Cette initiative est la première
du genre, mais d’autres quartiers aisés ont d’ores et déjà approché l’association pour s’inspirer de ses méthodes.
Les gates-communities intégrées dans le plan d’urbanisme
Le plan local d’urbanisme n’est en soi pas du tout novateur : il comporte
les éléments normatifs que l’on s’attend à trouver dans tout document d’urbanisme. Son objectif principal étant de limiter la densification, une grande
24. Cependant, il est vrai que les dispositifs juridiques kenyans ne sont pas clairs en termes de responsabilités concernant
la planification urbaine.
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Afrique contemporaine ■
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partie de ses dispositions est subordonnée à celui-ci. Un des principes les
plus importants est donc l’adéquation de la densité et de l’urbanisation avec
la disponibilité des services urbains, dans le respect de l’environnement 25.
En termes d’usage des sols, la zone devant conserver une fonction résidentielle et éducative (présence d’établissements), tout en offrant des opportunités à des petites entreprises à domicile et à des services de petite
envergure, le plan soumet densité, localisation et types de développement
au besoin de préserver les ressources naturelles de la zone et les écosystèmes
locaux en matière environnementale et à la disponibilité en infrastructures
de services, surtout l’eau et l’assainissement dans sa dimension infrastructurelle.
En termes de zonage, ces principes se traduisent par une non-urbanisation des zones écologiques fragiles (rivières, zones humides, forêts et bois)
qui doivent conserver un usage récréatif.
Les parcelles adjacentes à ces zones, qui coûtent très cher à desservir, resteront des zones de faible densité et pourront éventuellement accueillir des
institutions ; quant aux parcelles adjacentes aux routes – dont la desserte est
plus économique –, elles pourront soutenir de plus fortes densités. Enfin, le
développement commercial est autorisé dans les seules localisations dont la
desserte est peu coûteuse et où la sécurité peut être assurée.
Le plan distingue deux types de stratégie en fonction de la densité souhaitée
(faible et « plus » forte densités), qu’il décline ensuite dans cinq zones délimitées ainsi : zone 1A Miotoni et 1B Windy Ridge-Kerapaton, zone 2 Mbagathi,
zone 3 Bogani, zone 4 Karen Plains-Forest Edge et zone 5 Karen Triangle.
Dans les zones pour lesquelles le plan souhaite maintenir une faible densité, celui-ci n’autorise qu’une seule habitation par parcelle : seules les habitations individuelles de deux étages maximum, accompagnées de leurs
« quartiers des domestiques » seront autorisées, avec un coefficient d’occupation du sol de seulement 25 %. Cependant, le plan reconnaît l’existence
d’une demande croissante de modification du droit d’usage en faveur d’habitations de type collectif. La plupart du temps, il s’agit de condominiums :
petits collectifs ou groupes de maisons construits autour de services communs (clubs de gym, piscine, etc.), entourés de hauts murs et/ou de clôtures
électrifiées. Ce phénomène est relativement nouveau à Nairobi, mais de
plus en plus plébiscité au détriment du modèle du pavillon individuel, pour
des raisons de sécurité essentiellement. Cependant, considérant que ce type
25. Le paragraphe suivant a pour source : Ministry of Lands and Physical Planning Department; Karengata Residents; City
Council Of Nairobi/City Planning Department (2005), Karengata Local Physical Development Plan 2005-2015, approved
development plan n° 292.
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Source : Ministry of Land & Housing, Physical Planning Department.
Carte 3 – Zonage simplifié du quartier de Karengata
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Développement urbain au Kenya… ■
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Afrique contemporaine ■
- taille de la parcelle en lien avec la disponibilité des services et
les considérations environnementales
- coefficient d’occupation du sol
- dispositions relatives à l’eau et l’assainissement, y compris collecte des eaux de pluie, traitement des déchets solides et liquides
- accès
- sécurité
- taille de parcelle minimum, selon le type d’activités
- dispositions pour eau et assainissement
- évaluation du trafic induit
- contribution à la communauté locale (terrains de jeu…)
- adhésion aux lignes directrices de l’étude sur l’impact environnemental
- type de construction
- normes de construction
- considérations sur le trafic et l’accès
- stationnement
- desserte en eau
- assainissement et autres considérations environnementales (EIA)
- prélèvement de l’eau de surface et souterraine
- préservation des zones humides et des réserves de faune
- mesures de réduction de la pollution des eaux de surface et
souterraines
- veille sur les forêts et sur les arbres (coupes…)
- planter des arbres et entretien
- gestion des déchets solides
d’urbanisation, déjà présent à Karengata, dénature le style du quartier, le
plan pose des conditions strictes : seules les parcelles de 4 hectares et plus
pourront accueillir des unités d’habitations groupées (multi-dwelling unit developments), à l’exclusion d’appartements, dans la mesure où chaque habitation dispose d’une taille minimale de parcelle en fonction de la zone. Le
partage de services, et en particulier l’établissement d’entreprises d’eau privées pour gérer de manière équitable l’exploitation des forages sera encouragé. Les murs d’enceinte doivent être « paysagés » (plantations…).
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ENVIRONNEMENT
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COMMERCES
INSTITUTIONS
ZONE
RÉSIDENTIELLE
Tableau 3 – Les lignes directrices précisant les obligations à suivre
Développement urbain au Kenya… ■
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Ainsi, ce que le plan définit comme « urbanisation groupée » consiste en
réalité en l’établissement des gated-communities ou communautés fermées de
standing, qui se multiplient rapidement dans les quartiers aisés de Nairobi. On
est évidemment bien loin des immeubles collectifs de plusieurs étages, comme
l’expression d’« urbanisation groupée » aurait pu le laisser entendre…
Le plan définit également une stratégie pour la gestion de l’urbanisation
dans les zones de plus forte densité, ayant fait le constat d’une demande
croissante en logements de faible coût en location, liée à l’augmentation des
activités commerciales mais aussi à l’implantation d’établissements éducatifs. Selon l’organisation, le fait que les employés domestiques ne soient plus
logés par leurs employeurs poserait également problème. Un comité d’inspection est prévu pour ces zones en vue de leur réhabilitation, et si celle de
Kuwinda (la plus grande concentration d’habitations précaires du quartier)
est une priorité du comité, tous les autres développements de forte densité
devront obtenir un certificat de la mairie, délivré sous conditions de respect
des normes édictées sur la disponibilité des services et de construction, et
les améliorations requises feront l’objet de négociation avec le propriétaire
au cas par cas.
Un autre problème auquel le comité d’inspection devra répondre est celui
du droit des familles occupant depuis de longues années une parcelle de manière illégale et la réhabilitation généralement nécessaire de leur habitation.
Enfin, tous les logements collectifs locatifs (hostels) seront soumis à l’obtention d’un certificat de la mairie de respect des normes en termes de nombre
de chambres (pas plus de 8), de coefficient d’occupation du sol (40 % maximum) et de hauteur (un seul étage), mais aussi des normes relatives aux services et aux matériaux de construction. De plus, l’autorisation de nouvelles
implantations est soumise à approbation du voisinage.
D’une manière générale, le plan estime que les très fortes densités ne sont
pas compatibles avec la fonction résidentielle de faible densité de l’ensemble de la zone et que la demande croissante de logements bon marché ne
pourra donc pas être satisfaite à Karengata, en dépit des obligations faites
aux employeurs de loger tous les domestiques employés de manière permanente et leurs auxiliaires (ce sera une des conditions de l’approbation de
toute nouvelle construction). Toutes les institutions existantes devront également répondre à ces obligations de logement du personnel auxiliaire. Enfin,
un petit nombre de logements pour les personnels, construits sur des parcelles privées et satisfaisant aux normes édictées seront acceptables, à condition
qu’ils aient un faible impact environnemental et qu’ils soient sous la surveillance de propriétaires occupants. Ainsi, les propriétaires de parcelle de
1 acre et plus ne pourront pas proposer plus de 8 unités d’habitation pour
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leurs personnels. Une possibilité d’extension sera accordée si la superficie
des unités locatives ne dépasse pas 35 % de la superficie totale de la parcelle.
Les prescriptions concernant les zones de « forte densité » demeurent relativement paternalistes et rappellent certaines réglementations de la période
coloniale, comme l’obligation pour les propriétaires de loger leurs domestiques… En outre, on note la volonté d’améliorer certaines zones d’habitations
précaires : ce sont essentiellement celles où vivent des familles implantées depuis longtemps, certainement connues des résidants aisés à travers le recrutement d’employés domestiques. Cela n’est pas sans rappeler les positions
des banlieues aisées de Johannesburg en Afrique du Sud, qui proposent une
certaine prise en charge des ghettos pauvres de leur voisinage, qu’ils appellent « leurs pauvres ». En outre, on peut encore une fois remarquer que les
concessions faites à la densification de Karengata restent très limitées, la volonté farouche de conserver le caractère dit rural et l’entre-soi de la zone
s’exprimant de manière forte à travers les prescriptions d’urbanisme. Or la
formulation d’un plan local d’urbanisme par une association, basé sur l’entre-soi et la préservation de la valeur immobilière des biens, va au-delà de la
tendance de privatisation des rues recevant l’appui des autorités locales, telle
qu’observée en Afrique du Sud 26 : c’est pourquoi la municipalité de Nairobi
ne s’y est pas trompée en s’y opposant. La stratégie autonomiste portée par
l’association participe de la construction d’une ville en fonction d’intérêts
particuliers ; ce faisant, elle risque de remettre en cause les principes de péréquation fiscale déjà largement ébranlés à la suite du procès gagné contre
la municipalité.
CONCLUSION
La formulation d’un plan local d’urbanisme par la KLDA n’est donc pas
dénuée d’ambiguïté. L’initiative de la KLDA peut se replacer dans le débat
scientifique sur les communautés fermées, dans la perspective plus large de
la tension entre État et communautés. Si l’ensemble du quartier autodésigné
ne peut pas directement s’assimiler à une communauté fermée telle qu’on
peut en trouver en Afrique du Sud ou même dans certains quartiers de Nairobi (il n’y a pas de mur ou de grille qui délimite l’ensemble du quartier), la
26. Selon R. Le Goix, cela implique en effet « une privatisation des infrastructures et de leurs coûts d’entretien (construction
et entretien des rues, de l’éclairage public, des égouts), et représente pour des municipalités en forte croissance une manière de faire financer par le privé les infrastructures et équipements collectifs, tout en profitant d’un apport fiscal complémentaire non négligeable ».
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finalité du plan local d’urbanisme s’inscrit néanmoins dans cette perspective, selon la définition que donne R. Le Goix de la communauté fermée :
« Ce terme dérive littéralement de l’anglo-américain gated communities, et recouvre, non sans une certaine ambiguïté sémantique sur le sens de “communauté”, des formes variées d’enclosure résidentielle soumise à des règles
contractuelles de gouvernance territoriale privée27. »
Elle a pourtant été citée en exemple de good practice par un habitat, dans
la mesure où elle procède d’une approche participative et communautaire.
On ne peut nier que l’association a su à plusieurs reprises mettre le Nairobi
City Council face à ses responsabilités et prendre en main l’avenir du quartier. Cependant, après l’obtention d’un jugement favorable contre la mairie
et la suspension du versement direct des impôts à celle-ci, la mise en œuvre
du plan local d’urbanisme constituerait un pas de plus vers le repli sur soi
de ce quartier favorisé, qui coupe peu à peu ses liens avec le reste de l’agglomération. On note d’ailleurs une multiplication des communautés fermées,
tout autant dans les quartiers riches que dans les quartiers pauvres. Jusqu’à
présent, ces communautés se contentent d’obtenir (parfois mais pas toujours) une autorisation de la mairie, facilement octroyée à condition que la
barrière soit gardée et ouverte aux services municipaux en cas de nécessité.
Dans ce cas, la rue reste la propriété de la ville (et son entretien lui incombe)
et le quartier demeure à tous les niveaux sous la juridiction municipale 28.
De nombreux travaux d’universitaires analysent cette tendance qui touche aujourd’hui bon nombre de grandes villes dans le monde. Les exemples
les plus connus se trouvent en Amérique du Nord 29 mais aussi en Amérique
latine 30, où ce modèle de développement urbain s’est développé le plus précocement, ou encore en Afrique du Sud 31, où les ghettos de riches ont fleuri
dans les grandes villes après la fin de l’apartheid.
Que ce soit à Nairobi ou dans ces grandes villes, quels sont alors les
moyens de la municipalité pour faire face aux énormes défis que représentent la réhabilitation des bidonvilles ou tout simplement la gestion urbaine
du quotidien, si les contribuables les plus aisés de sa juridiction font défaut ?
27. Renaud Le Goix, http://hypergeo.eu.
28. Owuor S., Fabiyi S., Benit-Gbaffou C (2006), « Le territoire contre le réseau ? La fermeture de rues et nouvelles formes
de gouvernance urbaine à Johannesburg, Nairobi et Ibadan », Flux, n°66-67, Métropolis, p. 19-38.
29. Le Goix R. (2005), “Gated Communities: Sprawl and Social Segregation in Southern California”, Housing Studies, vol. 20,
n° 2, p. 323-343.
30. Voir notamment : Salcedo R., Torres A., (2004), “Gated Communities in Santiago: Wall or Frontier?”, International Journal of Urban and Regional Research, vol. 28, Issue 1, p. 27-44.
31. Voir notamment : Jurgens U., Gnad M. (2002), “Gated communities in South Africa – experiences from Johannesburg”,
Environment and Planning B. Planning and Design, n° 29, p. 337-353.
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Afrique contemporaine ■
La plupart des chercheurs en sciences sociales partagent les conclusions
sur le risque encouru par la fabrique urbaine d’une ville inclusive, quel que
soit le terrain étudié. Cependant, C. Ghorra-Gobin 32 avance l’argument que
les quartiers fermés pourraient participer d’une stratégie socialement durable de développement urbain si certaines conditions peuvent leur être imposées par les autorités, comme l’obligation de s’ouvrir à une certaine mixité
sociale (par le biais de logements locatifs), de proposer une forme urbaine
relativement dense (luttant ainsi contre l’étalement urbain), notamment en
recyclant d’anciens quartiers. Autant de conditions qui font largement défaut
dans le contexte kenyan.
BIBLIOGRAPHIE
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32. Cynthia Ghorra-Gobin, “Private neighbourhoods and the search for sustainability: Arguments for a debate”, sur le site
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ADENAUER STIFTUNG, K. (2004), Community Leadership in Managing and Urbanising
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