Antoine Cozin

Transcription

Antoine Cozin
Antoine Cozin
Sous la jupe du
Tigre
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J’étais comme ça, enroulé à cette merveille de petite garce élastique, bien
résolu à laisser le monde là où il était, c’est-à-dire dans le caca, parce que j’étais
bien là, dans ce paysage insolent et sans bavure, le dernier plaisir gratos qu’on
enlèvera jamais aux hommes, juste le soleil et puis un cul qui brille en contrejour, la belle vie en quelque-sorte, ouais, le travail il pouvait m’oublier, il
pouvait partir loin, très loin ! moi j’avais un cœur à dynamiter, j’avais une fusée
à faire décoller, et j’étais là, j’étais bien, peinard comme on dit, et je me suis dit,
putain mon gars, le Paradis perd ses cheveux et tu marches sur son plus beau fil.
Quelle délicieuse imposture ! Dans les plis de sa robe, il y avait le visage du
couturier qui me faisait un clin d’œil. Droite. Gauche. Droite. Gauche. Brave
homme ! Il avait pensé à un tordu comme moi, quand il avait resserré les
coutures.
Autour de moi, y’avait Paris qui remuait mais c’était bien pâle. J’étais pas
convaincu, voilà tout. Où qu’ils allaient les gens ? Pourquoi qu’ils faisaient
semblant de bouger ? Hé suivez-moi les gars, j’ai trouvé la sortie ! Les mollets
tressautaient, soubresautaient, activant de subtils pistons dans le fessier, quelque
boîte à musique dans le creux des reins. Voilà une femme qui savait manier
l’Ustensile ! Voilà ce que je me suis dit. Par ici autour d’elle, ça sentait l’encre
brûlée, une poignée de framboises aussi. Bien prélassé dans son canapé
confortable, mon nez promettait des parfumeries de jolies phrases. Je me voyais
déjà, penché sur ma lampe de chevet, armé d’un canif impitoyable, ma folie
dans une lame d’acier, éventrant l’indélébile dans mes testicules Ŕ un roman,
sans aucun doute. Très grand roman. Foisonnant. Étincelant. Immuable ; éternel,
vraisemblablement. Ouais, un joli torchon, à tout point de vue. Elle prenait un
trottoir, je prenais ce même trottoir Ŕ nous nous aimions par télépathie. Elle
m’aimait, cette poterie enduite de pétrole, elle m’aimait, indiscutablement,
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infailliblement, de ce même et pur amour qui me consumait, il y avait le
crépuscule, il y avait le silence et son cul comme une tâche de café, et mon corps
était couvert de braises et de baisers et nous marchions ensemble, deux foutus
instruments à cordes qui s’en vont cueillir les falaises ; si nous marchions à
quelques pas d’écart, c’était par simple pudeur Ŕ je veux dire, c’est vache
d’aimer au milieu d’un cimetière. Ouais. C’est une petite brune comme ça qu’il
te faudrait, pétillante et astucieuse comme pas deux. Qui te prend le paquet, qui
te l’empoigne pour le jeter au hasard des bombes, tout là-bas dans ce pays aux
draps de soie d’où l’on ne revient jamais. Tu parles d’un assassinat moelleux !
J’étais à l’ombre des tracas sous mon palmier immense et j’étais bien, peinard, à
contempler l’horizon monter en neige. Ouais ouais ouais mon vieux, question
cuisine et glaçage, c’était une putain de crème fouettée si tu vois ce que je veux
dire. Le béton il se refaisait une beauté du coup, et puis tout le reste aussi. Ma
parole, même les feuilles mortes l’étaient plus tellement. Et qui est-ce qui se les
tape, celles-là ? Sûrement un salopard flanelle. Ouais. Je vois le genre. Bien,
bien, une conasse de plus que t’auras jamais.
Le cul a tourné à droite et moi à gauche ; mon cœur de tubard a toussé, j’ai
honoré le trottoir de la Rue des Acacias d’une splendide aquarelle.
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J’arrêtais pas de chercher du travail, vraiment, ce serait vache et pas du tout
exact de dire que je n’y mettais aucune bonne volonté. Je le jure, j’essayais. Je
donnais de la formule de politesse, mes plus beaux sourires de faux-cul. Je
mettais même ma chemise bleue. Le problème, c’était ma tête. Je crois que j’ai
pas une tête de travail. C’était là que je situais le problème. Ma gueule de fils de
pute. Quand même, ça m’emmerdait un peu de revenir à la maison les mains
dans les poches, avec rien d’autre que quelques flouses perdus au poker. Là-bas,
je savais ce qui m’y attendait. On m’y harcelait, c’est la pure vérité. Aucun répit.
À peine la porte fermée que le daron me bondissait à la gorge.
ŕ T’AS TROUVÉ ?
ŕ NAN PAPA, Y’AVAIT RIEN QUI ME CORRESPONDAIT
AUJOURD’HUI.
Il retournait grogner dans ses toiles d’araignées.
« Y’A JAMAIS RIEN QUI TE CORRESPOND, SACRÉ FILS DE PUTE ! »
Le pire, c’est que je mentais pas. Tout ça, c’était juste que des soucis
d’incompatibilités. On me brimait, on me comprimait. On voulait me laminer,
m’anéantir. On voulait faire rentrer un incendie dans les dimensions d’une
ampoule rectale. On voulait m’éteindre, je vous dis. Des fois, je me regardais
dans la glace en me disant que le monde était jaloux d’un tel Éclat. Même la
glace ne méritait pas vraiment mon reflet. Trop splendide pour le monde, voilà
ce que je me disais. Mais les femmes, alors, qu’est-ce qu’elles attendaient ?
Attendons la Femme, je me rassurais.
Bien souvent le travail consistait à sourire à celui à qui on avait pas DU
TOUT envie de sourire. Taille moyenne, dents bien rangées, coiffure d’enculé.
Tas d’ossements à rebours. Ce gars-là, ce véritable fils de pute, et bien c’est ce
gars-là à qui vous deviez obéir. Vous aviez signé un contrat qui l’attestait. Cette
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engeance a du flair, un vrai flair de vermine, pour débusquer les hommes libres
des cadavres. Vous étiez dans son camp, ou dans celui d’en face. C’est à cause
de ce genre de mecs qu’on en pousse d’autres aux pires extrémités. Et le pire
c’est qu’à la fin, les fleurs et les beaux discours décorent la mémoire d’une
charogne. Je vous le dis moi, je vous le dis, les meurtriers sont bien souvent de
braves gens. Le monde est injuste, que voulez-vous.
Y’avait d’abord eu ce sex-shop à Pigalle. Pigalle, j’aime bien. Y’a pas à dire,
j’me sens comme à mon aise parmi les putes et la crasse. Ouais. Pigalle, ça sent
le sang Ŕ Pigalle c’est délicieux. Je mangeais mon kébab, baignant dans la
mayonnaise fluorescente des lumières molles. Je m’imaginais maquereau dévoré
par les mites, éventrant ma pute à vérole, ou bien alors gangster tassé dans son
bureau, verre de gnôle ambrée à la pogne, tirant à vide avec son canon énorme.
J’veux ma part, Jo, et j’la veux tout d’suite. Du calme, du calme Tonio, tu vas
l’avoir ta putain d’part. Il m’faut juste le feu vert du book. Feu vert mon cul…
fais ta prière, Jo, p’têtre que les anges sont plus tendres avec les salopes. BANG
BANG ! Ouais ouais ouais, la débauche moi ça me fait travailler l’imagination.
Le sex-shop à Pigalle, donc. Ça sentait le sperme, on nageait dans les odeurs de
sperme. Y’en avait du fruité, de l’anisé, du salé, du cent ans d’âge, par croûtes et
par clafoutis, y’avait même du sperme aux framboises, c’est le sperme des
dauphins roses. Un truc vachement rare. Mon interlocuteur était ce type aux
yeux perdus dans le lointain d’orbites sombres. J’avais l’impression de causer à
un fauteuil, un parapluie désossé, un vélo mort ou un prolapsus poussiéreux Ŕ
n’importe quel vieux machin qu’on aurait oublié à la cave. Moi ce qui me
préoccupait, c’était le matériel des employés. J’ai demandé si on pouvait porter
des gants. Le gérant, le gars aux orbites, il avait plissé le front. Y’avait du
chauffage, qu’il m’a dit. Pas besoin de gants. J’ai voulu lui expliquer mon
eczéma, j’ai voulu lui expliquer que la peau est du coup vachement vulnérable.
Moi je voulais pas tellement goûter aux millésimes des clients. J’ai voulu lui
expliquer tout ça. Mais j’ai vu son regard, j’ai vu tout au fond. J’ai compris que
ça servait à rien.
Et puis y’a eu le salon de massage naturiste. Là, ce job me bottait vachement
parce qu’on était vachement bien entouré. Sans blague, le travail le plus chiant il
devient bonnard aussitôt qu’on travaille avec des gens qui savent encore un peu
se marrer. Pareil si les collègues en question sont pourvues de formes façon
Ferrari, avec le moteur à l’arrière et les fuselages crème. Vous voyez bien, j’en
suis sûr. On regarde tous ce genre de filles. Bon. Mais n’est pas réceptionniste
au salon naturiste qui veut. Non non non. Ils veulent des Héraclès, là-bas, des
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bourrins aux bites nucléaires. Il fallait que je puisse en niquer trois de mon choix
sans débander. C’était le test pour obtenir le job. J’ai pas tellement réussi le test.
Tout de même des fois, c’est sympa de chercher du travail. Je veux dire que si
chercher du travail se résumait à ça, le chômage morflerait sacrément. Ça serait
irrésistible. Faudrait que j’en parle au premier ministre, quand je serai président.
Y’a eu ce bar, là, le « Jet Mauve ». On voit tout de suite le truc. C’est un
endroit où l’on va pour se faire enculer, voilà. Là-bas, ils cherchaient un barman.
Y’a le rabatteur qui rabat un pigeon, et puis l’allumeuse qui allume le pigeon, et
puis le barman qui l’arrose. Le barman, c’est le finisseur en quelque-sorte, le
jardinier si vous me permettez la métaphore. C’est pas ce qui me botte le plus,
jardinier, mais c’était quand même le premier plan sur tout un tas de
conversations qui devaient être fendardes à écouter. Dans ce genre d’endroit, on
te presse le gars. On te le disloque. Le gars repart sans rien, ou parfois avec un
poignard dans les tripes, s’il fait son héros. Mais les héros sont rares et les
poignards courent les manches des ultrasensibles. Tout le monde sait très bien ce
que sont ce genre de bars, tout le monde le sait parfaitement ; mais quand même,
des gars y vont s’y échouer. Beaucoup de gens se sentent seuls, vraiment, dans
les grandes villes. Y’a des soirées qui sont longues à réfléchir ou attendre le
sommeil, très longues parfois, dans son cube de papier-peint minuscule. Dehors
c’est différent. La rue, les néons, le monde, c’est plein de jolis leurres pour
l’insomnie. C’est pour ça qu’on allume les réverbères, la nuit.
J’aimais bien le « Jet Mauve », y’avait un aquarium géant avec quelques
beaux poissons rares dedans. Notamment un tigré et tout, quelque-chose de plus
magnifique qu’une femme en sous-vêtements. J’ai demandé au patron ce que
c’était. Il a répondu DU POISSON. Un intellectuel, vraiment. Il a embrayé sur
quelques questions d’usage, rien de bien méchant, le cirque habituel dironsnous, et puis d’un coup quelque-chose d’interlope a comme roulé de sous son
grand imper, un moment il a retiré ses lunettes de soleil fumées et alors j’ai pas
du tout aimé son regard, vraiment pas, et quand il m’a demandé comme ça si je
voulais pas me mettre à l’aise des fois, que lui il aurait bien envie de se mettre à
l’aise, si je le lui permettais, qu’on avait qu’à se mettre à l’aise ensemble,
comme les deux foutus poteaux qu’on était ! que le salopard me sort dans la
foulée une petite nuisette mauve de son cru, vrai, je vous jure, de sa manche
qu’il me sort sa merde, ce véritable fils de pute, et de me demander si des fois
j’aimais pas m’habiller en femme, pour plaisanter, hein, seulement pour
plaisanter, je me suis dit encore une fois que le « Jet Mauve » et moi, ça n’allait
pas coller. Incompatibilité majeure. Seulement pour plaisanter. Mon cul.
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Du coup, j’ai un peu laissé tomber l’idée de bosser à Pigalle. J’étais pas
refroidi, non, mais je me suis dit que Pigalle n’était pas tout à fait prêt à
accueillir son Prince.
Un moment, j’ai même été démarcheur téléphonique ! Chaque jour, j’avais
une nouvelle connerie à vendre, un truc inutile auquel je devais trouver l’utilité
d’être nécessaire à des gens qui n’en avaient absolument pas besoin. L’humain
c’est une fine couche de beurre sous les tas de ferraille. C’est là qu’il faut
gratter. Attendez de l’avoir, monsieur, vous verrez ! Vous verrez à quel point
vous en aviez besoin, maintenant que vous l’avez ! Je faisais ma petite
messagerie qui répète sa comédie jusqu’en avoir mal au crâne et l’envie de
dégueuler. Vous vous rendez pas compte le sang-froid d’empereur que
demandent ce genre de métiers. Le boss dans son bureau écrase une cigarette
dans le cendrier, il a bavé de la cendre sur son col, il pue les cernes et les
pellicules maussades et l’urine sèche, quand vous croisez son regard on dirait
qu’il va pleurer. Alors on détourne la tête, on époussète ses épaulettes, on enfile
son chapeau melon et on court tête baissée à la rencontre des murs. On se débat
avec des fantômes, des voix lointaines et abstraites qui distillent leur venin
nasillard par ondes électromagnétiques. C’était comme de croquer des noyaux,
indéfiniment, jusqu’à ce que vos dents se déchaussent. C’était une situation
pernicieuse, ça vous taillait les nerfs en lame de rasoir. À la fin de la journée,
j’hésitais entre mourir et composer un ultime numéro. Vous me croirez jamais si
je vous disais qu’il y avait des gars qui faisaient ça depuis des années. Ils
ressemblaient à des plaques de tôle.
Plus tard, j’ai sympathisé avec ce mec à une table de poker. Un bon joueur,
soit dit en passant. Un peu trop sûr de lui à mon goût, mais avec la plupart des
gens, cette attitude marche au poil. Le poker donne des leçons tout à fait
intéressantes sur la vie en générale. À mon avis, le poker et la vie marchent un
peu près de la même manière. Seulement mon problème à moi, c’est que je suis
très mauvais au poker. Passons. Donc ; on est à côté, on commence à comme qui
dirait faire connaissance au détour d’une main, d’un coup bien négocié. C’est
comme ça que ça se passe au poker, si tu amasses les jetons, si tu commences à
gagner, les gars vont venir déconner avec toi, ou du moins, ceux qui sont dans la
même situation que toi Ŕ puisque je vous le dis, c’est exactement comme dans la
vie. Donc. Figurez-vous un peu le tableau. Bla bla bla, joli coup mon pote,
fallait aller le chercher celui-là, quel As ! ouais ouais ouais, ferme un peu ta
gueule tu veux ? Va roter tes oignons ailleurs, vieux, on n’est pas assez intime
pour ce genre d’affaires. Quand même, voilà qu’on discute un peu. Pas
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désagréable le type. Pas trop désagréable, dirons-nous. Du coup, je parle un peu
de mes problèmes d’incompatibilités et lui me refile l’adresse d’un gars qui
cherche un gars qui cherche du boulot. Le gars en question, il a des tonnes de
voitures, il aime bien qu’elles brillent. Un gars bourré de compatibilité, m’avaitil assuré ! Un foutu couteau suisse, ma parole. Sur le coup, ça m’a semblé
bonnard, comme condé. L’avantage des bagnoles, je me disais, c’est qu’au
moins elles te font pas chier. Enfin c’est ce que je me figurais. Pourquoi pas,
pourquoi pas, j’ai fait. J’ai pris son papelard avec le numéro du gars ; et puis j’ai
pris tous ses jetons aussi. AA contre AK, ça pardonne pas. Il a touché son roi à
la turn, mais ç’a pas suffit. Bye-bye poteau, et merci pour le tuyau. On s’est
serré la pogne et la sienne était pleine de couteaux. C’est comme ça, le poker.
On se coudoie, et puis on se massacre. Pour information, le tournoi je l’ai pas
gagné. Je suis vraiment nul, à ce jeu. Franchement. Y’a toujours ce moment où
j’en ai marre et où je veux tout, et je le veux tout de suite. Bien sûr, ce genre de
comportement n’est pas compatible avec tout ce qui demande du temps. La vie
en demande pas mal, justement.
Je suis allé voir le type. Je me rappelle même l’endroit. C’était non loin de
l’Avenue de Versailles. Ça me tue, le XVIème. On croit que y’a rien que des
bâtiments, et puis vous pénétrez dans une cour qui amène à une autre cour, et là
des trucs sublimes apparaissent. On soulève une feuille de marbre, un taillis de
portes blindées, et derrière y’a des cascades, des animaux sublimes. Ils sont pas
fous les gars, leurs douceurs ils les gardent bien planquées. Celui-là était un
chinois façon grosse légume vapeur. Vapeur, c’était sa consistance. Tout de
suite, son odeur d’ancien dictateur, ses yeux pourris, ça m’a pas branché. Je
vous l’ai déjà dit, je suis très regardant sur les hommes qui m’emploient. Y’a pas
de raisons qu’eux seuls puissent faire leur petit marché peinard. Voilà comment
je pense moi. Tout de même, je me suis dit, TONIO, FAIS PAS DE
DISCRIMINATION, MÊME UN SALOPARD DE CHINOIS PEUT ÊTRE
PAS TROP CONNARD. Belle bavure. Faut toujours se fier à son instinct, pour
les gens. Avec les gens, c’est viscéral.
Donc. La première voiture à laver, c’était une Mustang Ŕ un vieux modèle
dont il s’est empressé de me faire savoir la rareté, et tout le tralala qui va avec.
J’ai pas bronché, j’ai rien dit du tout parce que je savais très bien que ce genre
de mecs n’attendent qu’une chose, c’est qu’on lui pose des questions et qu’on ait
l’air intéressé, et peut-être même un peu jaloux aussi Ŕ pas de bol, mon pote. De
une, moi les bagnoles j’en ai rien à branler. C’est juste un gros jouet pour
occuper la vie des demeurés. Ça prend de la place, ça occupe l’espace. C’est
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tout. De deux, j’aimais pas la couleur qu’il avait prise. C’était rouge, un rouge
pétant. Vous voyez où je veux en venir ? Cette voiture, il l’avait acheté pour
qu’on le voie dedans. Pour qu’on sache quel fils de pute d’obèse son larfeuille
était. C’est en partie pour ça que j’aime pas les bagnoles. Peut-être que mon avis
changerait si j’étais de l’autre côté du grillage. Sans doute. N’empêche que je
l’étais pas, et du coup, de mon côté, le mieux qu’on pouvait faire c’était d’haïr
de toute sa tripe. Voilà comment je réfléchis, moi. J’ai rien demandé mais cet
enfoiré s’est quand même senti obligé de me dire combien l’avait-il payée. J’ai
trouvé ça vachement cher Ŕ pour un tas de métal, je veux dire. Après tout c’est
pas de l’or, quoi, c’est juste de la ferraille qui fait VROUM VROUM quand on
appuie dessus. Puisque je vous le dis, ce genre de saloperies sont justes des pets
pour faire vibrer les oreilles creuses. Aujourd’hui c’est pas évident de se
promener sans avoir envie de dégueuler à chaque coin de rue. Sans blague, les
fils de putes se reproduisent à des vitesses pas croyables.
Il m’a tendu un sceau avec une éponge. À l’ancienne. J’ai commencé à
nettoyer les jantes et tout de suite, ça m’a pas plu. Le chinois décanillait pas. Il
restait là, tout amoureux, à me regarder faire l’amour à ses jantes. Ce salopard
mâchait un chewing-gum à la menthe. Je déteste la menthe. Ça m’écœure. Les
gens, ils font toujours tout pour qu’on les déteste sans avoir besoin de les
connaître. J’ai essayé de me concentrer sur ma tâche, je veux dire sur les tâches,
mais c’était plus possible. Il me déstabilisait. Tout devient impossible à faire si
on vous le regarde faire, justement. Essayez de marcher naturellement sachant
qu’un petit malin vous scrute, et bah vous y arriverez plus, plus du tout. Vous
saurez plus comment faire pour mettre un pied devant l’autre. Et vous avez déjà
essayé d’apprendre un cours à la bibliothèque quand y’a des tonnes de nanas
autour ? Impossible ! Tout se floute, tout se vicie, c’en devient tout bonnement
intolérable. Y’a des trucs qui sont comme hors de notre nature, c’est ainsi.
Prenons cette fois-là où j’avais rencontré cette mannequin sur l’Île Saint-Louis Ŕ
je l’ai pas baisée, je préfère préciser tout de suite, que vous ne vous fassiez pas
de fausses idées Ŕ et bien je l’avais accostée comme une pâquerette et on avait
fini par causer un petit moment et pour rigoler je me rappelle ce petit défilé
qu’elle m’a fait, rien que pour moi, à une heure du matin dans le noir obscur,
elle, sacrée garce ondulant comme une flamme, un fouet, une balle de révolver,
me crucifiant avec son regard insolent, son défi immanent pour la vie des chiens,
et moi qui regardait ça en me disant que d’être rien qu’un bouton de la haute
couture, minuscule échancrure collée à sa peau, ça vaut mieux que toute autre
espèce d’existence à la con. Ouais, y’a qu’une femme qu’est assez dégueulasse
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pour faire ce genre de trucs, j’imagine. C’est dans les gènes, faut avoir des gènes
de néons, d’enseigne de cinéma pornographique. Moi j’ai rien de tout ça et à ce
moment-là, avec ce putain de chinois, j’avais pas la forme du tout. J’avais même
pas besoin de le regarder, je savais qu’il me regardait. Des fois, je croisais son
œil scintillant dans le reflet de sa bagnole, et ça me courait dans le dos.
Vachement désagréable, je vous promets. Bon, j’ai quand même fait mon
maximum pour ignorer ce tas de merde. J’apercevais sa sale gueule dans les
reflets de la Mustang, mais j’essayais de pas y faire attention Ŕ je restais
raisonnable en somme. Je frottais juste un peu plus fort ; je voulais effacer son
souvenir. Et puis lui, il a commencé à s’énerver tout seul. Un vrai taré. Un vrai
de vrai. C’était plus marrant du tout. Me demandez pas pourquoi, mais
j’encourage les dingos à retirer leurs pompes. Je les mets à l’aise, sans blague,
ils aiment bien me montrer leurs orteils. Là dans le garage, je me trouvais tout à
l’étroit d’un coup. Je me suis senti exigu. Je vous jure Ŕ et là ça n’avait rien
avoir avec mon imagination. Ce malade rentrait en transe, dans des transes pas
possibles, tout seul, sans que j’aie rien fait du tout pour démanger ses érythèmes.
Il transpirait, il débordait, il se tortillait là-dedans l’enfoiré, vrai, il s’énervait
tout seul, à marmonner tout un tas de trucs pas propre. C’était du chinois, mais
ça se voyait quand même que c’était pas vraiment de la poésie Ŕ et puis ces
petites douceurs, ça m’avait l’air directement adressé. Sans que ne bouge son
sourire fourbe d’empoisonneur chinois, vrai, ça bougeait pas d’un pore, pas d’un
poil de cul Ŕ comme une grimace ou un crocodile qui baigne là, dans sa sauce
truquée, depuis des lustres. Moi ça me faisait pas marrer, mais pas du tout. Il
était pas bien costaud OK Ŕ mais moi non plus déjà Ŕ en plus que les fous ont
une force démesurée, c’est bien connu ; et puis il était tout petit ce garage, il
était tout feutré, glacial, parfait pour une petite saloperie à l’abri des regards
chirurgicaux du grand air. J’avais la clé de chez moi dans ma poche, et je me
jurais de la lui enfoncer dans sa saloperie d’œil au soja s’il lui prenait la fantaisie
de vouloir goûter à sa joie blonde. Quand même, j’ai essayé de continuer un
petit moment, mais j’ai pas pu. Briquer son tas de merde, OK, mais me faire
assaisonner ? par un chinois, en plus ? Trop pour un seul homme. Je me suis tiré,
c’est tout. J’avais la main crispée à ma clé d’appartement, mais j’ai pas eu à
l’utiliser. Tant mieux, je sais pas trop ce que j’aurais fait. Ce genre de choses,
ces situations d’extrêmes urgences je veux dire, on peut jamais savoir comment
on va vraiment réagir. On se dit qu’il vaut mieux que ça n’arrive pas, voilà tout.
Des fois au poker je recroisais mon gars. Je lui parlais pas, je prenais juste ses
jetons. Fils de pute.
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Un petit moment, j’ai travaillé dans une pizzéria aux Champs-Elysées. Quand
je parle d’un patron dégueulasse, de la fine liqueur des fils de putes, de ce genre
de gars à mettre trop d’eau de Cologne par-dessus le tas de merde de son gros
cul lourd, trop lourd, c’est sa gueule de couille rasée de près qui me vient
immédiatement à l’esprit. Je pense à lui et me dis que le monde est comme il est
parce que les gars comme lui sont patrons de pizzéria. Bon. Quand même, c’était
bien payé et les pourliches de russes étaient ma foi, tout à fait encourageants. Au
passage, les femmes de milliardaires russes sont belles comme des flocons de
neige. Ça se passait pas trop mal, c’est vrai, jusqu’à ce que cette petite nouvelle
arrive dans l’équipe. Cette petite nouvelle qui mettait des petites jupes
moulantes. Kenza ? Je ne sais plus bien, mais ses fesses… c’était de la petite
torture innocente, ces deux rondelles de pain brûlantes. Croyez-moi ou non, je
vous le dis, vraiment ça fumait presque quand elle passait sous vos yeux ! J’étais
pas le seul à qui ç’avait tapé dans l’œil, faut pas croire ça, parce que c’était tout
le restaurant qui était un peu chamboulé à la vérité. Les pizzas du coup, elles
étaient toujours trop cuites ou pas assez. Les verres, la vaisselle, tout se cassait
la gueule. Je vous jure, le bateau coulait et moi… Eh bien moi, j’étais le
Capitaine. Pointes de sabres contre l’échine, j’ai comme qui dirait été
cordialement poussé vers la sortie quand cette dénommée Kenza eut porté
plainte pour harcèlement sexuel, voilà tout. Sombre affaire ; je le jure pourtant,
je le jure sur l’Honneur de la France, j’ai l’ai aimée d’un Amour sincère. Mais
l’Amour dans ce siècle de barbares, n’est qu’une larme de princesse errant dans
un vomi d’ivrogne.
Et puis y’a eu ce boulot à l’hôtel. Au début tout s’est bien passé puisqu’on me
demandait rien à faire, sinon que de pas mourir ou de faire brûler l’hôtel. Ça me
semblait tout à fait réalisable. Tout à fait dans mes moyens. La nuit on vous
emmerde rarement, quelques ivrognes ci-et-là, mais le patron, lui, roupille. Et ça
c’est bonnard. Quand le patron roupille, et bah on espère qu’il se réveillera
jamais. Si les hommes étaient tous morts ! qu’est-ce qu’il serait facile de les
aimer. Et puis y’a eu ce petit matin où je jouais aux dés avec les clochards d’àcôté. Tout se passait bien et j’étais positif de quatre euros, ce qui, compte tenu
de leurs dés truqués, était pas mal du tout. L’avantage des jeux de hasard, c’est
que le génie il est pas devant le débile. C’est la victoire de l’instant sur les
années. Cinquante-cinquante, mec. Ce genre de jeux, on l’imagine bien, ça attire
surtout les abrutis. Quand j’ai eu ce vague pressentiment. C’est quand la sirène
de pompier et fait PIN-PON PIN-PON en passant comme une flèche
épouvantable. C’est marrant, immédiatement, mais vraiment immédiatement, je
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me suis demandé si j’avais sorti les pains aux raisins du four. C’est fou ce que ça
cuit vite, un pain aux raisins. Quelques parties dés au calme, que le pain aux
raisins il a des envies de grandeurs. Néron avait comme qui dirait bamboché
dans mon four. Y’a eu une espèce de panique générale qui s’est propagée, une
fumée noire, si noire, et des pleurs de bébés, de femmes, des gens en pyjamas
gueulaient et d’autres étaient à poil, ils étaient si moches, si fripés, comme des
oreillers homicides ! hérissés de couteaux à beurre, ils traquaient avidement le
responsable. J’ai serré la pogne à mes deux poteaux et puis je m’en suis allé
chez moi, me cacher dans le sommeil. Avec l’hôtel non plus du coup ç’avait pas
tellement marché.
Au fait je me suis pas présenté. Moi c’est Tonio Le Tigre. Le Tigre, c’est pour
l’air de famille. Sans blague, quand j’ouvre la gueule toute la Jungle frémit.
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Maintenant, vous devez vous poser des tonnes de questions. Et quelle gueule il
a le Tonio, il est grand ou pas, il est blond, il est brun, il est noir, il est blanc, il
est vert peut-être ? et puis il aurait pas des selles molles, des fois ? Les oxyures,
il a des oxyures de temps en temps ? il les mangerait pas quand même ses
oxyures, ce sacré fils de pute ? Et ses couilles, elles sont de quelle couleur ses
couilles ? il aime les renifler, ou pas trop ? L’odeur c’est quoi, c’est du comté ?
de l’ananas ? Et puis s’il pue de la gueule quand il se réveille ? Quand il se
branle, il troue l’ozone ? Est-ce qu’il aurait un peu autre chose que juste un trou
de balle dans la cervelle ? Ce genre de choses quoi. C’est bien normal, après
tout.
Je porte un vison rouge brodé dans le velours et aussi, j’ai des lèvres
d’aspirateur à chattes. Écarte tes cuisses, belle pintade, j’aspire les blennorragies
comme du spaghetti. Les clitoris, j’en fais du beurre Ŕ des tartines de vertige.
Une fille m’a même dit, je vous le jure que c’est vrai, elle m’a même dit qu’elle
aimerait avoir mes lèvres à la place des siennes. Ça serait pas beau, ça ? Tonio
crucifié aux entrailles. Wonderful ! Imaginez un rien qu’un peu, la bouche rouge
et rondouillarde de Tonio qui dialogue le langage des extases ? qui bave des
petits bisous, des pets vaginaux ou des dauphins ? Splendide, nom d’un chien !
Je me vois d’ici, la gueule comprimée entre les cuisses de ma pintade, suant en
pensant à moi-même ! Qui sait, peut-être pourrais-je m’autoféconder ? Garçon !
Garçon ! Une sodomie sans poivre, s’il vous plait. Bon, cette histoire de lèvres,
c’est du bidon, aucune gonzesse m’a jamais dit ça. J’aimais bien l’idée. Faites
pas trop attention à ce que je dis, parce que j’aime bien inventer des histoires.
Ceux qui mentent, ils veulent seulement vivre, vous comprenez ? Les vrais
salopards au fond, les vrais de vrais, ce sont ceux qui mentent mal. Moi, les
histoires me donnent bon teint. En parlant de mon teint, voilà peut-être quelque13
chose qui vous turlupine ? Je suis rose, rose comme un baiser, rose comme un
matin. Pink pink pink ! Pink as an old condom ! C’est l’eczéma qui donne cette
couleur. L’eczéma, c’est un soleil passé à l’éplucheur. Ça vous colle une drôle
de gueule de temps en temps, c’est bien vrai. Drôle est un mauvais adjectif parce
que c’est pas drôle du tout à la vérité. Mais comptez pas sur moi pour me
plaindre ou chialer. Après tout si je suis vachement sensible, c’est parce que ma
peau l’est. Vous comprenez ? Il est des saloperies qui sont de vraies grâces, à
bien y réfléchir. Maintenant l’eczéma je l’énerve plus, mais je lui serre la pogne.
Ça alors ! ce bon vieil eczéma ! comment se porte-il donc, ce matin? Très vif,
ma foi ! Tout de même aujourd’hui, vous n’y êtes pas allé de main morte ! Vous
ressemblez à de la gelée de groseille, à dire vrai ! L’eczéma, c’est excellent pour
s’affermir dès le petit-déjeuner.
Mon vison est splendide. Je l’ai acheté à Hollywood. Je me suis battu avec
mon pote Tonio Bis, pour l’avoir. Il a perdu deux dents et toute envie de
l’acheter avec. C’est fou, ça ! Toute l’envie se situait en fait dans les deux dents
de devant. Mon fulgurant uppercut du gauche tirebouchonne toute pulsion ! Moi
la consommation si je voulais, je lui casserai la gueule en un uppercut bien
placé. Peut-être que Staline m’eût sucé la queue s’il ne suçait pas déjà la
vermine ? Non, la moustache irriterait probablement les parois de mon eczéma.
Mon vison est splendide et me donne l’air d’un maquereau. Ça me botte et si
vous voulez m’appeler Iceberg Tonio, je vous en voudrais pas. Je préfère Tonio
Le Tigre, mais Iceberg Tonio c’est bonnard aussi. As you wish, fuckers ! Quand
je passe porte Dauphine et que les travelos planqués dans leurs fourgonnettes
m’allument avec leurs nibars en plastoc, je me donne un air avisé. Ouais ouais
t’es mignonne sale pédale, t’es tout à fait mon genre dégueulasse et je t’aurais
bien enculé mais j’ai d’autres affaires vachement plus importantes sur le feu.
Alors prend une aubergine et pense à ton doudou tigré, tu veux ? Je m’allume un
cigarillo et quand je croise mon reflet dans une vitre de bagnole, j’ai envie de la
démolir. Quelle bagnole mériterait mon reflet ? Franchement.
J’ai des chaussures noires qui font COUIC COUIC quand je marche avec et
attention, attention hein, parce que je vois déjà la blague venir du grand blond à
la chaussure noire, tout le tas de conneries qui va avec et que tu te figures
irrésistibles parce que c’est ta bouche qui les rote. Pas de bol, vieux. Je suis pas
grand. Pour me voir, faut prendre un télescope. Exactement comme les étoiles.
Donc franchement, ta blague d’occaz… change de répertoire, varie, parce que si
c’est tout ce que t’as dans le bide, permet moi de te dire que t’es merdique. Mes
chaussures noires, elles flamboient. Voilà. Les petites talonnettes sont moins un
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complexe que le parachèvement d’une classe innée. La cerise sur le gâteau d’un
maffieux pour son millième assassinat commandité.
Un mot sur mes cheveux, peut-être vous intéressera-ce ? Mes cheveux sont
les rêves indomptables de lions que n’apprivoise l’éveil Ŕ au contraire, l’aurore
peigne une allumette dans ma crinière ! L’ongle grand ouvert sur l’univers
bâillant aux corneilles, tel un empereur qu’immole la fleur de lys ma race
s’embrase, brûle sauvagement sur son trône blond. Regardez mon rostre suivre
la procession des anges, je suis un tournesol qui danse le flamenco ! La nuit est
ma boule de cristal dans laquelle le matin ouvre une faille pour sucer les
parchemins à la moelle. Voyez-vous tous ces hommes qui traînent leurs songes à
l’échine, ne dirait-on des points d’interrogations qui s’effraient de commencer
une nouvelle phrase ? Ils portent leurs bijoux en bière. Pauvres petits chantiers !
Moi, je vis en équilibre sur le cil d’une explosion. Je boxe dans le vide, je suis
Don Quichotte dans le vernissage sublime des culs en exposition. Je réfléchis
pas, j’esquive, je pare, je cogne, le poing serré, le poing sur la table, nom d’une
chaîne ! Je vis comme un coup de poing, comme un coup de rein fendant les
vagins obscurs du Destin. Je n’ai peur de rien, je cogne et nous verrons bien où
le Monde porte ses morsures ; j’esquiverai encore par quelque entrechat subtil,
puis lui ferai une clé de bras de mon cru, jusqu’à ce que le cœur éclate en
fontaine. La cravate par exemple, quelque-chose d’un horizon jaune qu’on
enturbanne en étau, quelque-chose de fier où l’aorte imite la verge des chevaux.
Les hanches bien crampées autour des jugulaires, je suce l’apnée sans répit ni
pitié parce qu’on ne thésaurise pas ce qu’on dilapide en lâchetés, la mort à la
vérité, ne vous offre qu’un sommeil de révolver. Moi je veux tout rafler, je veux
tout lui voler des tripes et des sensations parce que je ne crois pas en l’éternité ;
l’éternité, c’est la canalisation à la portée des cafards. Demain est un autre jour
et l’infini une autre paire de manche ; c’est aujourd’hui que tonnent les canons,
c’est aujourd’hui que le combat commence, demain sera un autre massacre, et
l’infini une grande carcasse de cheval ; c’est dans cette chair qu’il faut vaincre et
c’est dans cette chair que je vaincrai, et je vaincrai si bien, je l’aurais si bien
vaincue que je demanderai Dieu en duel, fleuret contre fleuret nous éparpillerons
nos étincelles, comme des étoiles neuves dans le cosmos elles ouvriront d’autres
horizons, des portes et des arches à la dérobée, ce sera un combat serré,
magnifique, de deux gentlemen acharnés suant sur le plus précieux des rayons
du soleil Ŕ jusqu’à ce qu’il cède, jusqu’à ce que je lui crève le cœur, et alors
Seigneur du Nouveau Monde, j’embrocherai le globe à l’estoc de mon arme
déicide, telle une pomme bleue, telle une proie minuscule, et je croquerai dans
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sa chair en savourant le goût véritable du Ciel. J’ai conscience du lourd poids
que représente chaque nouvelle seconde, un grain de sable dites-vous ? C’est
une pluie de plomb qui cingle mes veines, l’aigre-douceur d’un étrange
saturnisme ; elles s’abattent comme des guillotines si près de mon oreille que je
les entends siffler, frémir, s’amuser de ma triste jugulaire, comme d’irrévocables
sentences elles jugent sans complaisance mon commerce de leur métal dans le
temps immense. Il n’y a pas beaucoup d’autres choix que d’être l’alchimiste de
ses chaînes ; guère d’autre horizon qu’un bouquet de chrysanthèmes. Tout est au
bout des doigts, tout est dans la rue, au supermarché, sous la couette d’un jean
bombé, derrière l’hymen d’une surprise, d’un regard à la dérobée, tout au fond,
là où brille l’ampoule rectale d’une inspiration soudaine, au-delà de la main de
cadavre qui veut vous noyer Ŕ le cœur n’est pas qu’un mécanisme sur lequel on
lit l’heure, il doit vomir, il doit exploser pour ne point s’éteindre, il n’est pas
cette femme qu’on aime qu’une fois par mois au détour d’une insomnie, on
pique sa croupe sur les braises, on le parfume de dynamite, des flacons de
l’Abîme, étendu comme un fil qui danse avec le vertige, qui danse avec le vide,
sur le fil de chaque seconde qui coule en cristal inélastique et le cœur des
hommes livides est malade, ils n’en ont fait qu’un oreiller confortable, ils sont
pâles comme des montres parce qu’ils attendent que tout recommence demain,
ils se masturbent en pensant à hier et attendent qu’on leur serve l’existence au
petit-déjeuner tartinée sur un large morceau de pain grillé à point ! Le Tigre
n’existe que parce que la Jungle est cruelle, tu piges Voltige ? Le poing sur la
table, les phalanges saignent de la glace à la vanille.
Mes ennemis numéro-un sont les primeurs de mon quartier. Ils figurent tout en
haut de ma liste noire. Entre eux et moi, c’est la guerre ouverte et déclarée.
L’argument de cette hostilité ? Une futilité, évidemment ! Plus c’est futile, plus
les hommes s’étripent gaiment ! Jusqu’au jour où l’on égorgera les vendeurs
obèses de pop-corn dans les complexes cinématographiques pour un pop-corn
mal caramélisé. Ce jour-là, les cinémas ressembleront à un globule rouge et
soyez certains que je serais du bon côté de la lame. Ainsi la guerre avec mes
épiciers. Ces ladres énergumènes aux yeux fuligineux et aux moustaches
perfides tancent ma soi-disant indélicatesse envers leur étalage avarié. Les
avocats, particulièrement. Ces pauvres fous voudraient peut-être que le premier
tombant sous ma main fût le bon ? La vie est bien plus compliquée que ces
grossièretés ne laissent entendre, n’est-ce pas ? Alors bien sûr, j’essaie de leur
expliquer ! Mais les épiciers ne semblent guère friands de philosophie. Le lucre
le lucre le lucre ! Voilà bien tout ce qui les importe. Dans le ciel le soleil brûle
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mais le monde lui, regarde dans son porte-monnaie… Évidemment je tâte ! Je
tâte je tâte je tâte ! Je prospecte avec componction la pépite parmi la partition de
vitamines. À l’amour que je porte à leurs fruits, ces cafards me répondent par les
crachats ! Voyez comme on traite le Prince, lorsqu’il cajole son royaume. Triste
discorde immémoriale, il est vrai ! Quand nos regards se croisent depuis nos
trottoirs respectifs, nous mimons chacun tout un tas d’obscénités de notre
meilleur cru et il faut nous voir, un peu ! munificents comme deux chimpanzés
rivaux briguant la même banane. Une guerre impitoyable se livre ainsi dans le
lugubre décor de la Rue des Acacias, et aux noyaux d’avocats rances soyez
certains que je réponds sans sommation par quelque discret sabotage Ŕ ma foi
fort pernicieux ! Œil pour œil, dent pour dent avec la raclure !
Aussi je fais de la boxe-thaï dans ma salle-de-bain et mes Tei-kro chassent les
toiles d’araignées. Je fais même les bruitages avec la bouche. SPHH SPPH
SPLASH ! LADIES AND GENTLEMEN, WE PROUD TO INTRODUCE
YOU TONIGHT THE BEST, TONIGHT THE FIGHTER, TONIGHT THE
BIG GUY ! TONIGHHHHHT ! TONIO TIGER ! TONIO TIGER, 69 FIGHTS,
69 WINS 69 KO’s NO DRAWS NO LOSSES ! OH LOOK AT HIM ! WHAT
A MAN ! WHAT A TIGER ! HE LOOKS LIKE A MAN WHO FEARS
NOBODY ! HE LOOKS LIKE A GOD FITS IN A TIGER BITE ! DO YOU
HEAR ALL THOES LADIES SHOUTING FOR HIS BODY ? OF COURSE
YOU DO ! Des fois mon reflet me donne du fil à retordre ; quand les coins de
mon lavabo éraflent un peu de ma Puissance, mon Ire est implacable. Si je
ressors avec un oiseau qui chante sous la serviette, c’est que j’ai vaincu. Mon
père me voit ainsi et désespère de son divin enfant. Il se dit quelque-chose
comme BON DIEU, J’AURAIS MIEUX FAIT D’OUBLIER DE BANDER.
Moi, fier comme le cheval de Napoléon à Wagram, je vais dans la cuisine
savourer un petit avocat mûr tout à fait. Je le mange en rêvant au jour où les
avocats mettront bas le nouveau monde. Voyez ? Je suis la rature splendide d’un
stylo-plume.
Mes yeux ! Mes yeux ! mes perles adorées ! J’allais omettre vous parler de
mes yeux, ils sont pourtant l’épicentre de mon attraction innée, saphirs noyés
dans une coupelle de lait. On les regarde et on ne sait plus si on vole, si on ne
rêve d’avions ou de libellules ? Voici mes filets à papillons. Les femmes me
regardent et s’hypnotisent, elles s’évaporent en cigarettes suggestives quand
elles cueillent les myrtilles à mes prunelles. Une femme m’a dit Ŕ une poétesse,
bien évidemment, à l’amour taillé dans un potiron Ŕ cette femme m’a dit que
j’inspirais à l’été ses meilleures promesses. Ma foi quand août oublie juillet, il
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est vrai que je déshabille les nuages d’un battement de cil ! Mes cils, parlonsen ! Ils sont des mâchoires, des panthères noires, des paons ! Mes cils sont
l’éjaculation suspendue d’un fleuriste en pleine absolution. Je vous le jure, des
petites culottes détrempent dessus. Pour comprendre mon regard, il faut se
figurer l’éclat de la rosée. Mon regard est un pied sous la table, un canapé de
cuisses ouvertes et de glaces à lécher ; des cigares capiteux se consument
jusqu’à l’œil de mon reflet. Les lampadaires se fendent en génuflexions quand je
file dans la nuit pour honorer sa roue d’étoiles. Les femmes que je regarde
vraiment dansent sur les pointes d’une partition pour piano, écrite par un
Chopin, une Amphétamine. Une grâce, mon vieux ! À faire mûrir les pucelles.
Vous ai-je dit qu’il me prend de temps à autre l’envie orgiaque d’être une
femme ? Mais une belle, hein ! une splendeur, même ! avec du caractère et du
piment sous la vulve. Et puis des reins à tire-d’aile. Et puis des lèvres au goût de
raisin écrasé sur du satin. De quoi donner des érections aux miroirs, des
érections dures, vandales. J’aurais, du reste, sûrement été une sacrée chienne !
Que ce doit être bon que de cuire ainsi discrètement, tel un chauffage réglant son
thermostat depuis le regard des chalands ! On doit se sentir pousser des ailes
par-dessus les trompes ! Quel sentiment chaleureux que de conquérir l’asphalte
ainsi qu’un seigneur envoûtant ses sujets. Je passerais l’essentiel de mon temps à
me pomponner, à me pincer les fesses et puis de balader mes doigts un peu
partout aussi… Maquillée comme un arbre en fleur, comme l’Avenue Carnot au
mois de mai, comme une rencontre inopinée en plein mois de juillet, je dilaterai
les pores roses de ma peau pour mieux exhaler mon essence, pour mieux vivre
ainsi qu’un parfum migraineux. Ma priorité : un cul rebondi ! Mon crédo : faire
bander pour des cacahouètes ! Une torture silencieuse, une malice acidulée !
Mais attention, on ne touche qu’avec les yeux ! Ah ça, les hommes ! non merci.
Ceux-là, je n’en voudrais pas le moins du monde ! C’est puant, ça colle, ça
glue ! Non vraiment, sans façon, messieurs ! Une hallucination que je serais, un
cauchemar liquide, une intouchable braise ! L’entrejambe enlaçant la face
cramoisie du monde, j’éjaculerais dans sa pupille mes suggestions humides, je
l’arroserais d’étincelles translucides, je le noierais ma parole ! Des fois, j’irais
sucer des pots d’échappements chromés, des glands de lampadaires, la volupté
des fontaines, et si l’envie m’en prend, ma foi ! petite ballade du côté de la Tour
Effel pour faire l’amour à son sommet. Dans tout Paris j’aurais des crédits
dantesques que je creuserais à coup de pelles et de décolletés, la bouche pleine
de lendemains fiévreux, jusqu’à mettre la Bourse et la Banque Centrale
Européenne sans dessus-dessous avec mes innombrables dettes. Talons-aiguilles
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perçant les tripes, je marcherais à travers un monde dont le désordre de mon cul
l’aurait mis à feu et à sang et où mon sillage scintillera d’une coupe de
champagne indélébile. Déshabillez-vous, battez-vous, massacrez-vous, et que le
meilleur gagne ! Tandis que je suçoterais délicieusement le chaos comme une
friandise glacée, lançant parfois à la gueule des fauves quelque lambeau,
quelque résille de ma capiteuse lingerie ; je planterai un doigt dans mon sacrum
pour fomenter les passions, saupoudrer d’un peu de mon trophée aux lèvres de
mes prétendants. Et les hommes qui deviennent toujours plus fous, qui
s’entretuent ou créent des œuvres d’art pour la pauvre gloire d’un cul rebondi !
Puis je rentrerai dans mon palais construit par la sueur de mille esclaves, pour
m’étendre voluptueusement dans les draps mon miroir. Petit salope pour moimême, je passerais ainsi ma vie entre mon maquillage et mes godemichets XXL.
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Au fait : j’écris de la prose. Et quelle prose ! Mes intestins enturbannent
jalousement un Joyau. C’est mon sexe qui manipule le pinceau. Mes mots, ce
n’est pas grand-chose ! Oh, non ! C’est le minuscule rien qui les entaille d’une
canine blanche qui mérite qu’on y crève sa peau. Dans mon cellophane se
boursouflent un million de lueurs insaisissables, de clin d’yeux oubliés et de
silhouettes disparaissant à jamais... Écrire ce qui ne peut être décrit, voilà quel
attribut de télamon me suis-je imposé ! Alors j’écris, j’écris, j’écris et je coule,
je déborde tel un frisson au-delà des limites quantiques de la chair humaine,
j’explore les grottes, les sommets, je suis un insecte nageant dans un livre
gigantesque, mes mots sont les pierres de ruines avec lesquelles je détruis les
vitrines, je laque les brushings, et j’explose, je défie orgasmes divins, je me
répands sur le vélin comme une descente d’organe, fard subtil sur la paupière
avivée, je fais le poirier depuis une pointe de cil et retombe sur mes pattes ainsi
qu’un félin lubrique, élégance en chausson molletonnés. Ploc ploc. Double salto
délicat, révérence et applaudissements discrets. Bravo ! Bravo ! À votre service,
braves amateurs d’art. Alors voilà, j’ai mis la Terre sans dessus-dessous pour
récupérer les mots piégés tout là-haut et désormais, je les égorge au fond d’une
impasse étouffante.
Savez-vous que j’ai déjà plusieurs romans à mon actif ? Tous évidemment
trop massifs pour être rangés parmi les prosaïques étagères d’une librairie.
Qu’est-ce qu’une étagère contiendrait de bien vivant ? Quelques contorsions
malhabiles. Ainsi pour l’instant, mes monstres dorment paisiblement, ils
ronronnent tout au fond du paisible lac de mes pensées. Mais attention ! n’allez
pas croire qu’ils pourrissent, non, l’écriture c’est quelque-chose qui demande du
temps, mes monstres se mélangent en silence avec les trésors sous-marins, dans
l’encre ils se font une beauté, avec patience, avec humilité, mais cannibalisme
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aussi, ils ont faim mes mots, ils sont affamés, et en attendant de les voir jaillir du
noyau gris du centre de la terre, quand tout aura alors été soigneusement mis en
pièce et régurgité en un vitrail habillant le ciel, ils dilapident les heures dans les
mines de crayon, dans des fortunes de pointes de ballerines, ils égrènent les
flueurs, l’émotion, ainsi que neigent les brouillons, ils travestissent par
l’incendie l’horrible volupté, entrelacent la soie aux cris, l’espoir à l’infamie Ŕ
dans les loges de mes lumières confidentielles, ils soignent leur reflet dans un
lingot d’or, mettent un doux mascara à la boucle de leurs voyelles, tandis qu’à
leur jarretière dans la résille brodée, flamboie l’ivoire d’une crosse de révolver,
calibre 8mm. Voilà, voilà : il faut taper fort avec les mots.
J’ai notamment un ouvrage en cours d’achèvement, de parachèvement si vous
me permettez l’art pompier, il s’intitule
L’AMOUR C’EST DU SILICONE
et parle de cette poupée gonflable, BABY qu’elle s’appelle, qui en en fait une
cuillère la journée et une poupée gonflable la nuit, dont on suit les
pérégrinations, le jour dans la papille du monde, au soleil du goût, tournoyant
dans les éboulis de crème glacée, de yaourts et de myrtilles fraîches, c’est un
fantastique alliage d’arômes ! et lorsque vient la nuit, un bol d’étoiles rentre par
son méat central, et elle prend alors forme, c’est plein de jolies formes à la
vérité, qui moulent de bien drôles d’idées, là voilà poupée pulpeuse crachant un
cœur d’étincelle, et dans la nuit, dans le vent, on la suit telle une feuille morte
dans la main des hommes, dans l’automne, la solitude du monde. Ainsi, ainsi,
ainsi… Minuit brille comme l’œil d’une insomnie, comme un hibou ventru,
c’est une nuit claire, une nuit féline, gaie, c’est une panse de lampadaire, passe
en vent tiède un mensonge douceâtre, un effluve caramel, le ciel est léger lui
aussi, il s’hérisse d’hélium, de romantisme, l’atmosphère est un étrange
candélabre au halo duquel se consume Baby : voilà qu’elle s’amourache d’une
épine… C’est un ouvrage obscur, je vous l’accorde volontiers, il émet une
fumée noire par-delà ses flamboiements, il est chaud, puis froid, puis chaud et
puis encore froid Ŕ telle une profiterole insaisissable. Mon monde est celui d’une
idée trouble, embuée, dangereuse et sucrée, une idée confuse, tapie dans une
pièce sombre que saturent des encens opiacés. Un velours duveteux, feutré, où
dansent les motifs d’une sarabande délicate ; on y presse son doigt, c’est doux,
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molletonné, la texture vous charme dans ses sarments flatteurs, si bien que vous
y posez vos fesses, même peut-être que vous vous y allongez, et remuez un peu
la croupe, pour éprouver la pamoison, pour trouver la position parfaite. Peut-être
bien que vous vous y abandonnerez comme une femme qui sait aimer. Si bien
qu’il vous est impossible de ne pas entamer la prochaine phrase Ŕ loin dans
celle-ci résonnent une froissement de crinière, une lettre murmure à une autre,
une oreille frémit comme celles des chevaux, quelques braises déposées au fond
des pensées, une haleine moite souffle sur des morceaux de charbons, réveille de
vives coccinelles, des insectes chauds, et l’épaisseur de ma voix sombre plane
comme une onde, tout au fond où l’on peut apercevoir une splendide poitrine de
femme transpercée par une raie de clarté, offrir son dernier battement au point
final de mon roman.
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Pour la description, on s’arrête là ? T’en a marre, déjà ? Te casse pas, j’allais
te parler de ma BITE… ah là, tout de suite ça vous intéresse, bande de sacrés
salauds ! Pourquoi y’a que la taille de la bite des gens qui intéresse le monde ?
Parce que le monde est une énorme érection. Moi j’aillais vous parler de ma
passion pour les avocats, mais ça, ça vous intéresse pas, l’amour, le ciel, tous ces
trucs moisis à trop en avoir causé ? Le peuple réclame du dégueulasse, de celui
qui jute dans ses bas-instincts ! Ma parole, quel cloaque que ce pelvis ! Besoin
de petites doses de sensationnel, pas vrai ? Sachez tout de même, fussiez-vous
avocadophobe, que les avocats sont bels et bien ma passion. Quand on les
dépiaute, que le noyau s’exhale comme un enfant mort. C’est magnifique,
émouvant. Les mots manquent, pour ce genre de beauté. Et voilà que vous vous
dites que je vous ai arnaqué avec cette histoire d’avocats alors que j’ai
commencé à parler de ma queue Ŕ parce que c’est bien là tout ce qui intéresse
les gens. Regardez ce qu’on dit de Dali, ou de Drieu La Rochelle. Non,
vraiment, c’est triste je vous le dis. Les gens pensent qu’à ça. C’est que le tueur
revient toujours sur le lieu de son crime. Et qu’on vienne pas me dire que je suis
un pervers ou je ne sais quoi. Je trouverais ça vachement gonflé.
Ma bite est une Œuvre d’Art. Je sais pas de qui je tiens ça, et bon Dieu, je
veux surtout pas le savoir, mais n’empêche qu’on peut pas nier que les darons se
sont appliqués sur la fin. Joli finish. Ma peau, zéro pointé, mais ma bite… tu as
un très beau sexe, un très très beau sexe, Monsieur Joli Sexe, me susurrait il n’y
a pas si longtemps que ça, une admiratrice qui jouait avec ses différentes lueurs,
sur un des rayons du soleil. Un beau sexe, je veux ! Je prends soin de ma
Radiance, que croyez-vous ? Seul dans ma salle-de-bain, je la laisse s’épanouir,
s’éparpiller ; je l’entretiens comme une femme le fait de ses cheveux, je
l’inspecte sous tous les angles comme une arme à feu, jouant avec la détente, le
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barillet. Des fois un avocat bien mûr nous accompagne… L’attention suspendue
à son jaillissement, j’inspecte ses anfractuosités ; malgré son inactivité
déplorable je vérifie qu’elle n’ait été contaminée par la syphilis de mes fièvres
étoilées. Je la badigeonne ainsi d’onguents, de caresses inopinées, je la dorlote
dans un couffin où mes fantasmes la bercent, et où ma toute maternelle
dévotion, est un amour incestueux ; bien que je sache lui donner là de piètre
moufles, quelques moignons d’infortunes, elle à qui seule le palais d’une
odalisque va comme un gant. Quand papa n’est pas là, ma foi je me ballade nu
dans l’appartement, j’exhibe en Vainqueur mes génitoires à mes tristes voisins,
et ils sont jaloux, si jaloux de l’éclat qu’a mon Diadème !
« BORDEL DE MERDE, VA IMMÉDIATEMENT TE METTRE
QUELQUE-CHOSE SUR CETTE HORREUR, SALE CINGLÉ !
ŕ Ah-ah ! Tremblez devant mon Boeing, pâles hommasses, Mozart est à la
Baguette !
ŕ OK, J’APPELLE LES FLICS !
ŕ Qu’ils viennent, ces braves agents de l’ordre public ! Qu’ils viennent
donc ! Regardez : j’ai de quoi assouvir leur soif de délits. »
Tel un empereur gréco-romain, j’ouvre un peu plus la fenêtre, offrant une
estrade à l’Éloquence du Savoir Universel. De là, mon trône altier m’offre tout
Paris sur un coussin d’hydrocarbures, tant et si bien que je me fonds dans ce
décor souverain, tant et si bien que le panorama lui-même devient l’appendice
de mon attribut intemporel. Une Vergeciel, n’est-ce charmant ? Ainsi hors de ma
braguette, ma Belle béer tel un abîme hallucinogène, un soldat qui s’en va qui
s’en va mourir dans une tranchée de boue et de sang ; c’est une mine sous la
lèvre féminine, c’est une épine, une entaille qui se décolle, une blessure verticale
magnétisée par les échevèlements d’un esprit nymphomane ! Les femmes quand
elles l’empoignent, je me sens comme une bouteille de champagne. À les voir
ainsi, on a l’impression qu’elles épousent un Mirage ! Le genre Tour de Pise,
Place Vendôme, le genre à coller le vertige aux monuments. Je les vois bien,
hein, je les vois parfaitement qui deviennent dingo en conduisant l’Engin. Mon
problème à moi, c’est que je suis très piètre conducteur ! J’adore les accidents.
Bon Dieu, tout plutôt que de s’éterniser là-dedans ! Imaginez rien qu’un peu le
jour où cette chose se prendra d’une vraie fringale, d’une fringale insensée, que
ce trou en devienne vraiment un ! Alors que croyez-vous ? Mangés ! Nous
serons mangés, de la tête aux pieds ! Dévorés ! déchiquetés en lambeaux de
tissus caverneux. De quoi aurions-nous l’air, avec notre Virilité perdue à jamais
dans un panier de moule avariées ? Comme nous aurions l’air pâte, sans notre
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membre pour nous dire que penser ! Ainsi j’ai la volupté d’une hémorragie, je
me figure ainsi qu’un paysan se dépêchant de sortir ses pommes de terre avant
l’arrivée des martiens. Blop blop ! quelle odeur ! quel pétrin ! Non, vraiment, je
vous en prie mademoiselle, débarrassons-nous au plus vite de cette tannée.
Au parc de Luxembourg, j’attends que la nuit tombe pour me faufiler tel un
chat de minuit entre les grilles. Je suis une ombre impalpable, un crachat de lune
qui coule le long des graviers. Le Tigre jaillit des fourrées tel un poignard
somnambule, cherche les plantes en manque de soleil. Il débraguette sa verge
pour faire l’amour aux arbres et quand je jouie, mille cloporte éclatent en neuves
frondaisons ; c’est un peu du printemps que je féconde dans leurs troncs.
D’arbres en arbres et de fleurs en fleurs, je butine les agrumes, disperse mes
lauriers. Ceux qui mettraient une oreille sous terre entendraient ma sève tailler
une pipe dans les racines. Je m’en retourne dormir et rêver aux fleurs que
cueilleront les femmes à leur oreille.
C’est que j’aime les femmes et j’aime la flore, je les aime chacune comme les
lèvres d’un même baiser. Quel plaisir d’effeuiller un string, le pétale d’un
coquelicot ! Il faudrait être une brute pour ne s’émouvoir des abeilles pomper le
pollen chaud. Et la rosée ! cette sémillante tristesse. Il faut avoir écouté le chant
des fleurs à l’heure de la rosée pour savoir à quoi pensent les femmes qui se
recoiffent au petit matin de l’amour frais. Et quelle sexualité dans un jaune
d’œuf ! On croirait ouvrir un hymen. Quand je me ballade à la campagne pour
aller voir les chevaux s’emmancher, je suis fier d’être un des leurs. Braves
chevaux ! Regardez donc ma queue, cette sublime mustang chromée ! J’arrache
un peu du vison de l’herbe et me trouve l’éclat d’une Salope Inabordable.
Quand j’embroche une gazelle, j’ai toujours l’ambition d’être une rôtisserie.
Ça tourne, ça grille, c’est d’une attraction folle. De la pornographie ! De la pure
et simple pornographie. Mon rôtisseur, qui a toujours son tablier tavelé de
graisse et son pic à volaille à la main, m’a l’autre jour confié qu’il était pour la
peine de mort par rôtissage à l’encontre les pédophiles. Il regardait avec un œil
d’assassin ses volailles grésiller et il larda la cuisse de quelques-unes avec son
arme blanche. Les pommes-de-terres flambaient sous le jus qu’il ouvrait avec
fureur ! Ainsi Le Tigre se découvre des passions de rôtisseur, la croupe d’une
charmante petite pintade en orbite dans les magnétismes centripètes de sa queue
braisillante, perforée, vrillée, dorée sous tous les angles, toutes les coutures ; je
me branche à ses boyaux et mes couilles s’allument comme des ampoules. Des
fois elles clignotent, des fois elles brillent. Ça dépend de l’amour qu’on leur
donne. Depuis l’abat-jour de mes testicules, on peut même voir mes
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spermatozoïdes écrire des madrigaux à la lueur de l’Ovule. Quand j’ouvre les
portails du Paradis, je me demande toujours à quoi peut ressembler l’orgasme
d’une fourmi. Si la fourmi en groupe peut marcher sur l’eau, quelle orgasme
collectif, mon vieux ! Jésus-Christ paraît bien pâle, à côté de la volupté des
fourmis. De fil en aiguille, je me demande à quoi ressembleraient mes toiles si
mon coup de rein fût un pinceau.
« PAPA, PAPA ! TU N’AURAIS PAS VU MON ÉPLUCHE-AVOCAT ?
JE NE LE TROUVE PAS.
ŕ J’L’UTILISE POUR ME PELER LE CUL ! AH, TU M’EMMERDES
AVEC TES HISTOIRES D’AVOCATS ! BON DIEU, J’AURAIS AUSSI BIEN
FAIT D’DÉNOYAUTER TA PUTAIN DE MÈRE AVANT QUE NOUS
VIENNE UNE PAREILLE TANNÉE !
ŕ C’EST BON PAPA, JE L’AI RETROUVÉ. IL ÉTAIT SOUS MA PILE
D’AVOCATS VERTS.
ŕ FOUS-MOI LA PAIX, TU M’EMPÊCHES DE RESSENTIR ! »
Un jour, je me marierai avec un avocat. Nous vivrons heureux avec nos bébés
avocats que nous mangerions quand ils seront mûrs. On ne les laissera pas
noircir, nous les mangeront à terme. Le soleil coulera sur nos peaux comme une
goyave fraîche et nous souriront aux secondes qu’on regardera s’éloigner
calmement dans le Styx immémorial. Moi, je contemplerai mon jardin
boursouflé d’avocats, je contemplerai ma femme-avocat et je me dirais qu’il n’y
a rien de plus à espérer de la Vie. Puisque j’ai déjà tout.
Ma queue serait verte et aurait bon goût.
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Maintenant les présentations faites, parlons de la Beauté. La Beauté pèse
quatre-vingt-dix kilos d’Amour franc. De splendides melons sont empalés à ses
tétons et ses lèvres vont donnent l’envie d’être le vaisseau qui les fait rougeoyer.
On y trempe ses papilles comme dans une goutte de lait. Sachez que je donnerai
mon pouce si elle l’eût ensuite avalé, rôdant tel un rire derrière sa glotte, telle
une écharde, une pelure de baiser ou une datte dévorant sa pâte d’amande. La
nuit je la couvre de pensées, elle nage dans la nacre comme une baleine dans ses
ondulations sacrées. Un soubresaut splendide parcourt le dédale de ses
bourrelets cependant qu’elle me conjure de la noyer ! Noie-moi, noie-moi triste
jusant ! Embrasse-moi donc, que ton vomi absorbe mes lèvres. Un appétit de
torchon, maculé d’amour et de suie. La crasse, en effet, lui va comme un fard
raffiné, lui dessine des yeux de biches le long de ses replis égyptiens ; jusqu’à sa
musique, jusqu’à ses syllabes, qui tintent comme une joaillerie à votre oreille ; si
bien que lorsqu’elle prononce le mot GÉNITAL, on tuerait pour le fragment du
palais où sa langue s’est pâmée. Poignardé par un chewing-gum de putain, ni
plus ni moins ! Un pénis à chaque doigt, je joue de la harpe sur son clitoris,
pilule effervescente ; il coule quelques octaves d’une vulvite rougeoyante,
quelques traces de trésors pourpres. On la regarde, fakir sur des neiges
brûlantes ! frémissent vos plantes de pieds. Ma parole ! elle nage sous votre
peau, cette garce ! laisse des queues de sirène là où son vernis s’est écaillé.
Harpon face à la nuit, on y plonge avec le sentiment délicieux d’aller brûler son
ultime papier. Le bateau coule et on se dit VOILÀ UN DÉSASTRE
FLAMBOYANT !
Chaque jour, La Beauté éclos à nouveau en face de chez moi ; quel plaisir aije de te voir apporter l’aurore avec le petit-déjeuner ! La pauvre femme, la
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maudite, la magnifique ! elle ne sait pas qu’elle m’aime Ŕ la pauvresse ne me
connaît même pas ! Quand je regarde par la fenêtre, quand je la vois derrière son
comptoir attendre avec patience le Prince qui la Désirera, je sens l’histoire
d’amour qui cuit en secret. J’ouvre le four, trempe un doigt dans le gâteau de
cyanure. Mttt mttt mttt ! tout à fait brûlant ! Un peu de cannelle, de fleur
d’oranger ? Elle me dit JE T’AIME quand elle éteint la lumière, vers une heure
du matin. Ne me dites pas que je suis un mateur, puisque c’est ma promise. Estce que le vagin viole l’utérus ? Voilà une question que je pose solennellement à
nos Philosophes de la Belle Pensée. Certains jours c’est Alice et d’autres Alicia,
parfois elle est Alliciante et d’autres Ali Baba ; mais toujours, toujours, à feu
doux ou à feu follet, à feu de fleur ou à fleur de lait, elle fond dans ma bouche
comme un bonbon au chocolat.
Alors que dire ? Souvent elle porte ses cheveux hauts comme une arène, ils
défient l’air, les panthères de la volupté, quand elle les a amoureusement
shampooinés la veille ses boucles sauvages piègent une rosée de songes frais,
des saveurs issues de l’explosion d’un monde inexploré. Elle les suspend dans
l’orbite de son bandeau blanc et son bandeau est si blanc ! qu’il lui fait détonner
l’ivoire, le grenat de ses prunelles ainsi qu’une perle filée au gasoil. Des petites
boucles d’oreilles nacrées émaillent ses giries et rappellent l’écho de son sourire
fatal, plus bas où rugissent ses joyeux coquillages. Imaginez-la, cette petite
étoile qui porte sa nudité en soie fine, imaginez-la déshabiller le noir, la nuit,
imaginez cette confidence en petite culotte, qui épingle ainsi qu’une broche à sa
poitrine, une résille de rêves ornant son précieux vertige ; tandis qu’au bord de
ses lèvres le silence est porté à incandescence, faisant de la musique cette
immanquable trop brève note. Ainsi clarinette, l’obscurité devient une lame, un
dangereux vin ; dans son brasillement fument ses festins, des souvenirs
d’assassin. Ses hanches dévalent d’une lointaine ténèbre, se prélassent dans ce
luxueux bordel parisien, non loin des lumières scandaleuses de son diapason.
Des putains coquettes y rigolent à la dérobée, s’échangent en murmures de
croustillantes anecdotes. Ah-ah-ah. Quelques cyniques coupes de champagne.
De farouches félins patinent leur griffes dans l’obscurité, lapent les flammes à
même le pétrole ; une queue rêveuse s’éparpille en langueurs et volutes.
Entendez-vous ses râles ? Une gaufrette s’émiette près de mon sommeil. Prêtez
l’oreille, elle vous la rendra confite ! À croire que la nuit est muette pour mieux
l’écouter, à croire qu’elle est vide de sa plus jolie lettre. Un trône rissole. Dans
l’œil passe une brève épine. Il faut la voir, ma petite morphine ! distribuant le
pain, les féculents. Elle donne à son épicerie le goût d’un piment indien, elle
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l’emplit de la lumière tamisée d’une séduction de velours rouge et brun
vaporisant un prétexte derrière un paravent. Il faut voir le vernis à ses ongles ou
le ruban qu’elle noue à ses lèvres pour aimer à jamais la coquetterie des
femmes-boucles d’oreilles ! Mais que connait-on de l’abandon, tant que l’on a
point goûté à sa nuque ?… c’est là toute la chute. Sous la mousseline d’une
ballerine ténébreuse, sa nuque jaillit comme un soudain frisson, une cuillère de
crème glacée, parfum pistache, avec un soupçon de fin des siècles, elle est une
éclosion fine de multiples pétales, pétales de satin, pétales de musc, pétales de
joie et de désespoir, pétale de phalène enfin, dans lequel vous envoûte une nuée
de battement d’ailes, c’est une partition écrite sur un papier brûlant, sa peau fine
cuivrée y est un océan qu’on réveille par de très délicates lunes, (océan qui n’est
en fait que le drap noir d’une diva qu’on soulève très tard le soir, loin des
nageurs, des lumières du monde, quand tout est calme comme une bombe, du
fond râlent les trésors sous-marins, des tigres multicolores, pirates armés de
lames et autres mercenaires du plaisir féminin, toute une pègre frémissante,
insaisissable, brodée dans le venin d’une fleur de lys, trône au zénith de cet
empire mat) son intime ainsi pendu à son décolleté, est serti de rubis et d’opales,
d’astres de sel aux noms lumineux Ŕ c’est ici, entre vaisseaux et nerfs, sur ce
pont si fragile, que l’extase a scellé son cachet, du baiser d’un indélébile fer
sombre. Sa nuque est une apnée entre deux mondes, à ce fragile apparat
s’entrelacent les cris noueux de bêtes sauvages Ŕ quiconque y souffle sa voix
trébuche dans un chant vertical.
C’est un beau jour pour me connaître ! Parce qu’aujourd’hui je me suis fait
une splendeur. Aujourd’hui, mon vieux ! quelle journée ! J’ai rendez-vous avec
la Beauté. Permettez-moi de vous dire que j’ai l’ivresse des grand princes, des
princes qui contemplent le royaume qu’ils vont conculquer Ŕ je me sens à vrai
dire prêt à décorer le monde de mes flamboyants projets ! La rogomme, les
crachats, qu’importe ! rien ne rebutera mes poumons d’éclater ! Vivre comme
une trace de sang et ne jamais sécher ! Laissons la miction s’exhaler, nom d’une
chaîne ! J’ai envie de parler russe en jonglant avec les braises d’une putain
enduite de crème, après la rédemption d’une douche, d’un geyser vanillé Ŕ je
vais aller la demander en mariage, ma chère sucrette dorée ; déjà, je lui ai
achetée son alliance, un sucre d’orge de circonstance. Quand le confiseur m’a
demandé si je comptais me marier avec ça et que j’ai répondu OUI sans rigoler,
il a pris peur et s’est enfui dans son cagibi. Il avait ses règles, le pauvre homme !
Un sucre d’orge, ma cher Alliance. Je pourrais ainsi te sucer les doigts même
après avoir plongés dans le Vice. Je me vois déjà faire un festin de ton opulence,
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quand elle m’enveloppera telle une couverture d’oie. Quels arcanes cachent les
profonds replis de ton anatomie ? Ton corps est une si jolie phrase qu’il me
donne l’envie de manger une poésie. Il y aurait de la pitance pour dix hommes,
j’ai une faim de cent Princes. SMOUACK SMOUACK ! je t’embrasse du haut
de mes draps. Oh ! quelle douce septicémie, que de penser à toi ! Alicia ! Ali
Scia ! Ali Divine ! Peu importe ton nom, il n’est que la nuisette d’un même
visage. Comment nous aimerons-nous ? Par le haut ou par le bas ? Par tous les
bords, évidemment ! Il n’existe pas assez d’angles sous lesquels je voudrais te
prendre dans mes bras. Oh belle Vénus au teint de magma, brûlerais-je si je
trempe mes doigts ? On dit de la volupté des femmes épaisses qu’elle recèle la
source des nuages ; moi, je me vois déjà pénétrer dans ton Antre et vouloir y
mourir comme un preux chevalier. Quoi de plus moelleux que l’oreiller de ton
ovule, chère Alicia ? Oh ! je m’imagine déjà soufflant ta peau comme on hume
l’air des Himalayas ! Ne vois-tu pas les neiges éternelles qui brûlent sur la crête
des montagnes ? La même ardeur couronne mon Membre Solennel. Pourquoi ne
pas nous aimer ? C’est plus facile que tu ne le crois. Épouse-moi donc ! épouse
donc l’humble ouvrier qui veut tresser dans tes plis une corde pour pendre son
asphyxie.
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« T’AS TROUVÉ DU TRAVAIL ?
ŕ PAS ENCORE, PAPA. Y’AVAIT RIEN POUR MOI, AUJOURD’HUI.
ŕ BORDEL DE MERDE, Y’A JAMAIS RIEN POUR TOI ; TU CROIS
QU’ON T’ATTEND POUR DIRIGER UNE PUTAIN DE BANQUE ?!!
ŕ ET BIEN… PEUT-ÊTRE OUI. TOUT ÇA N’EST QU’UNE QUESTION
DE COMPATIBILITÉ, PAPA. FAISONS PREUVE DE PATIENCE.
ŕ
PATIENCE, PATIENCE, MON CUL OUAIS !!! TU COMPTES
QUAND MÊME PAS RESTER TOUTE TA VIE ICI, NOM D’UN CHIEN ?
ŕ OH, NON, PAPA ; JE PENSE PAS.
ŕ TU PENSES PAS ? TU PENSES PAS ?!! PARCE QUE T’ES MÊME
PAS SÛR EN PLUS ???
ŕ JE ME SENS TELLEMENT BIEN ICI, PAPA, AVEC TON
HOSPITALITÉ, TA JOIE DE VIVRE ET TA SYNTHAXE, QUE JE NE VOIS
PAS OÙ POURRAIS-JE VIVRE DAVANTAGE EN SYMBIOSE AVEC LA
SÉRÉNITÉ.
ŕ AH TU M’EMMERDES, HEIN, JE SUIS PAS EN TRAIN DE
PLAISANTER, MOI ! J’AI TROP MAL AU VENTRE POUR ÇA !
ŕ COMMENT VA TON FUNDUS AUJOURD’HUI, PAPA ?
ŕ J’AI L’IMPRESSION D’AVOIR MILLE VRILLES QUI S’ENCULENT
DEDANS, VOILÀ COMMENT QU’IL VA, MON PUTAIN DE FUNDUS !!!
ŕ ET LES CACHETS DU MÉDECIN ?
ŕ ME PARLE PAS DE CE FILS DE PUTE, OU TU VAS VRAIMENT ME
FOUTRE EN ROGNE… CETTE CHAROGNE VEUT JUSTE M’ACHEVER
AVEC SES CACHETS D’ASPIRINE.
ŕ ÇA TE FERAIT PEUT-ÊTRE DU BIEN, PAPA, L’ASPIRINE.
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ŕ AH, TOI AUSSI TU VEUX ME BUTER ?! VIENS DONC ICI, QUE JE
T’EMBRASSE AVEC MON PIED !
ŕ ET TES AQUARELLES PAPA, ÇA AVANCE ?
ŕ ÇA AVANCE, ÇA AVANCE ! ÇA AVANCE QUAND T’ES PAS LÀ !
ŕ ET LE…
ŕ ÉCOUTE FILSTON, J’EN PEUX PLUS DE TE VOIR TRAÎNASSER EN
SLIP À LONGUEUR DE JOURNÉE ! ÇA M’ÉPUISE ! JE PEUX PLUS VOIR
TA GUEULE EN PEINTURE, ALORS FOUS-MOI LE CAMP, TU VEUX
BIEN ? OUBLIE UN PEU OÙ ON HABITE, RIEN QUE QUELQUES
JOURS ! POUR LAISSER REPOSER MON ESTOMAC.
ŕ JE VAIS ALLER VOIR SI Y’A PAS DE TRAVAIL POUR MOI,
AUJOURD’HUI.
ŕ ET BONNIE LA TAPISSIÈRE, T’ES ALLÉ VOIR BONNIE LA
TAPISSIÈRE ?? JE T’AI DIT QU’ELLE CHERCHAIT UN LARBIN.
ŕ OH NON PAPA, PAS BONNIE LA TAPISSIÈRE ! SES ANIMAUX
EMPAILLÉS ME FONT SI PEUR !
ŕ PEUR ! PEUR ! EN VOILÀ DES GRANDS MOTS !... OH ! TONIO !
TONIO ! RASSURE-MOI, T’ES PAS PÉDÉ DES FOIS ? PAS MON FILS,
HEIN ! IL MANQUERAIT PLUS QUE ÇA !!!
ŕ NON PAPA, C’EST PAS ÇA, MAIS JE JURE BONNIE, JE PEUX PAS.
C’EST UNE GRAVE QUESTION D’INCOMPATIBILITÉ MAJEURE.
ŕ OH ! VOILÀ QU’IL RECOMMENCE AVEC SES CONNERIES DE
COMPATIBILITÉ ! BON DIEU, TONIO, TU VEUX M’ACHEVER OU
QUOI ? ET PUIS D’ABORD VIENS VOIR UN PEU PAR ICI…
ŕ JE SUIS OCCUPÉ AVEC UN AVOCAT COMPLEXE, PAPA !
ŕ AH TU M’EMMERDES AVEC TES PUTAINS D’AVOCATS !!!! ESTCE QUE T’ES ALLÉ AU COIFFEUR DÉJÀ ???
ŕ ON A DÉJÀ PARLÉ DE ÇA TROP DE FOIS, PAPA.
ŕ MAIS COMMENT VOUDRAIS-TU TROUVER DU TRAVAIL AVEC
DES CHEVEUX PAREILS ?! C’EST PIRE QU’UN TAS D’ORDURE, BON
SANG D’MERDE !!!!
ŕ C’EST MARRANT QUE TU ME DISES ÇA, PAPA, VRAIMENT
MARRANT, PARCE QUE JUSTEMENT PAPA, JUSTEMENT, EN
PASSANT HIER SOIR DEVANT LE COIFFEUR D’EN BAS, IL M’A HELÉ
ET TU DEVINERAS JAMAIS POURQUOI ? ÉCOUTE UN PEU ÇA, PAPA :
CE GARS-LÀ M’A DONNÉ CENT BALLES RIEN QUE POUR QUE JE LUI
LAISSE MES LES SHAMPOOINER ! CENT BALLES ET UN
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SHAMPOOING GRATOS, PAPA! C’ÉTAIT UNE QUESTION DE CINQ
MINUTES, À PEINE ! CENT BALLES, PAPA ! TE RENDS-TU COMPTE ?
MÊME LES CHIRUGIENS NE SONT PAS SI GRASSEMENT PAYÉS !
ŕ VOILÀ QUE MON FILS TAPINE MAINTENANT ! T’ES VRAIMENT
BIEN LE FILS DE PUTE DE TA PUTAIN DE MÈRE !
ŕ PATIENCES PAPA, PATIENCE. ENTRE MES CHEVEUX ET MON
TALENT, JE SENS LA FORTUNE QUI SE RAPPROCHE.
ŕ SI J’AVAIS PAS MON MAGENTA À TRAVAILLER, J’T’AURAIS
BIEN MONTRÉ COMMENT QU’ELLE PATIENTE, MA PUTAIN
D’PATIENCE !
ŕ TON MANGENTA AVANCE, PAPA ? AS-TU TROUVÉ…
ŕ FOUS-MOI LA PAIX !!! »
J’ai embrassé Rita, Rita la Garce, Rita Sulfure, la Femme du calendrier, ma
mezouzah, la Femme de juillet, avec son regard d’été, sa chevelure infernale, sa
chevelure qui brûle les pensées, et son corps de pêche moelleuse. Ce sera pour
ici dans une autre vie, brave Rita. Peut-être que sous d’autres cieux plus
cléments, là où la tomate gonfle et rougeoie, là où l’incendie dort à l’ombre d’un
olivier, peut-être enfin nos vies alors s’amalgameront dans la même caresse ? Il
y aurait le métal du grand Baiser qui rougirait sur nos lèvres mouillées. Les
montagnes de l’horizon brilleraient des feux de nos projets et l’océan se
redressera comme un poumon qui défie le ciel ; les cigales riront en regardant
deux cœurs qui fondent au soleil. Nous mangerions la frangipane des blés et l’air
fertile nous promettrait ses meilleurs vœux d’avocatiers. Et lorsque ton visage
s’emmitouflera dans mes épaules, que ton parfum nous prendra dans ses langes
de vignes et que tu presseras ma paume avec ces beaux ongles couleur plaie, je
m’empalerai telle une note à la partition que promettent les lignes glorieuses de
ta main. Alors je loverai ma peur, la peur de briller et la peur de respirer, la peur
de vivre sans chaînes et la peur d’essayer, la peur sauvage de la vie civilisée, la
peur de n’avoir été Ŕ je loverai ma peur de ne vouloir renoncer à rien au creux
de tes reins où j’aurais trouvé la gaze, le sable fin. Très loin une musique
imperceptible me dira TU VOULAIS ALLER PARTOUT, TONIO, MAIS
TONIO, TOUT EST DANS TA MAIN. À la pointe de ton échancrure Le Tigre
ne serait plus qu’un chaton et le plus chanceux de tes cheveux blonds.
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Dehors Ŕ par dehors je veux dire : en dehors de mon imagination, par-delà ce
palace de papier glacé Ŕ il y a le monde, cet espèce d’épiderme sur lequel
courent quelques milliers de gale, je ne suis qu’une énième radicule de sa grande
frondaison, je n’ai à la vérité aucun fruit viable sur mon alvéole ; seulement une
fraise, une fraise monstrueuse, hydrocéphale, de l’envergure d’un crâne de
schizophrène, et partout sur cette peau rouge courent ainsi que des akènes mes
quelques centaines de visages Ŕ ils scrutent l’étonnante plante dont j’ai jailli. Il
est très étrange, ce monde ; je ne dirais pas incompréhensible, parce que cela
supposerait qu’il y ait quelque-chose à comprendre d’un rectum dilaté sur
quelques milliers d’atmosphères. Il est spécial, ce monde, personne ne peut
vraiment prédire à quelle sauce va-t-il le manger aujourd’hui. Personne ne peut
vraiment prédire quoi que ce soit, et ma foi, c’est bien mieux ainsi ! Pourtant les
Prophètes ne sont pas morts : ils se terrent au PMU du coin de l’Abîme, tiercé
gagnant du mois prochain à la pogne, fermement perdant aujourd’hui. Le
résultat cingle comme un coup de fouet, enténèbre tout espoir de richesse Ŕ
Beauregard à huit contre trois, gagnant dans la quatrième ; Collette tire des
mousses infâmes à 1€80 le demi, ainsi qu’un gros sourire de corsaire, pour ses
vaticinateurs maudits. Je ferme la porte de chez moi et hèle un sarcopte ; je m’en
vais rejoindre mes compagnons-radicules pour me mêler à cet échevèlement qui
frôle les voutes de la folie Ŕ voilà quelques décennies qu’on a affranchi la folie
pure ; on s’acharne désormais à l’édification de ses plus somptueux autels.
Chacun de ces édifices repousse un peu plus vers les cimes les limites de ce
haut-le-cœur, et tout concourt désormais à le remettre à demain ; on entasse les
cartilages pour faire fructifier ce gigantesque œsophage, on l’élève jusqu’à plus
de ciel en espérant bien être déjà enterré quand viendra l’heure du grand
dégorgement, quand il faudra bien faire les comptes, et trier les morts des
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vivants véritables tout au fond de cette indigestion. Notre monde est à bout, il ne
tient plus qu’à un boulon, une vis minuscule… on l’a plumé, scrupuleusement,
mathématiquement mis en pièce, au bord d’un sanglot d’effondrement l’a-t-on
acculé. Il ne comprend plus rien, il ne répond plus de rien ; il voudrait seulement
dormir, dormir très longtemps, ou encore mieux : retourner dans le ventre de
maman. Tout est intolérable, tout menace d’explosion... Parfois, entre les
rainures de cette gaze abrutissante, perce un coup de canif, une ouverture de
poumon, c’est une ouverture traîtresse et implacable, sur une indicible gabegie,
une défection immense, glaciale comme la réalité, comme un cri de condamné.
Un vide immense, et pas un arbre, pas une once de musique ; en voulant rigoler,
il vomit ses dernières dents. Ce monde s’effrite comme la lèpre d’un appétit que
les hommes raisonnables ont épuisée, il n’y a rien à espérer de celui-ci, il n’a
rien au cœur, sinon qu’une triste accrétion de poussière, il n’y a rien, pour
personne, il est voué à disparaître, à s’évaporer en ne laissant rien de ses
palimpsestes mort-nés Ŕ le support n’était que gangrène Ŕ ce monde est mort et
ceux qui ont permis son édification ont perdus leur temps, leur vie. Qu’ils
crèvent, eux aussi : après tout, ils l’ont choisi. Mais voici le problème : les
misérables emportent tout ce qu’ils peuvent dans leur chute. Avec chaque jour
coule le distillat de la bave d’une rage insatiable et ceux à qui il reste un marc de
bon sens peuvent sentir peser sur leurs os la désintégration radioactive des
secondes, la fureur resserrer son maillage ; le peuple, un peu penaud, mains dans
les poches et bedaine sous ceinturon, regarde à droite, à gauche, dans la double
poche de son veston ou au fond de son verre d’eau, il regarde d’un œil maussade
un peu partout, et se demande de quel côté viendra son meurtrier : il s’en est
tellement fabriqué. L’œsophage est acculé par les crampes, par le bec des
charognards Ŕ c’est là, au centre de la tripe, que s’enracine le mal. Le
décapiterait-on qu’un nouveau monstre sans tête le remplacerait : nos entrailles
sont les inlassables serpents d’un nœud hérité d’une lointaine phylogénie
cannibale. Les gens ne sont pas dupes, ils sont seulement schizophrènes ;
demandez-leur l’heure, ils vous indiqueront le décompte de cette grande bombe
à retardement. Ainsi me voilà dehors Ŕ au sommet de la folie nouvelle, excusez
du peu. Je m’allume un cigare, me jette dans l’œsophage ; comme la boule
blanche va effleurer la richesse à la roulette européenne.
« Faites vos jeux ! » hurle tout là-haut le Croupier aux yeux injectés d’alcool.
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Une enseigne exquise, aux multiples connotations orientales. Ça sonne dans
mon oreille comme des leurres exotiques, carillons épars reflétant les zestes d’un
soleil morcelé ; derrière une pierre qu’il a calcinée, un scorpion mord dans une
datte. Affleurent en songe les carcasses desséchées de vieux bédouins, molaires
flamboyant d’une mort intense, comme bruisse une mâchoire cassée, fracturée
par de nets coups de soif. Quelque-chose d’un cobra, ou d’une signature à
l’encre noire, ou d’un bâton de sourcier, de quelque illusion ciliée, s’entrelace à
leur lente pulvérulence, dans l’ivoire et l’infini. Haschich sous une flamme vive,
le vent lèche les chairs arides ; d’un pinceau doré, il peint la disparition des
époques, il y a l’ultime danse des squelettes, une arabesque, un rire glacé, il y a
l’oubli. On souffle les lettres du gros grimoire des vivants… tout est sec sec sec,
et l’horizon est si plissé, si incertain tout au fond là-bas, qu’il ressemble à un
front tanné, une fresque lisse enturbannant un regard douloureux, il flotte
comme la dernière goutte bleue d’une gourde en peau de sécheresse. Il court
après sa fuite : pas d’oasis pour les soifs d’impossible. Volètent ci-et-là des
vieilles larmes de fantômes en tissus légers, des voiles bleus, blancs, beige, de
ces couleurs que la chaleur sans atteindre transperce d’un poignard léger,
danseurs solitaires, mutilés, mélancoliques, déshabillant l’anonymat de quelques
rubis plus brûlants que le magma Ŕ et les entrailles du sable sont dévorées par le
soleil. Un génie glabre dort dans sa lampe de feu, il rêve à une chatte humide, un
gallon de glaire cervicale, une momie lascive Ŕ n’importe quoi de miraculeux.
Lorsque la solitude le griffe ainsi qu’une trique déchirante, il jette un coup d’œil
dehors, un coup d’œil perçant, affûté, à la recherche d’une tarentule à violer. La
chaleur lui tape sur la lampe, il ne sait plus trop ce qu’il fait ; il ne répond plus
de rien ; il n’en a plus rien à foutre de rien. Cependant que le soleil sent le
kérosène, et le temps, un accident d’avion dans une flaque immobile. Le Sahara
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à cette heure du désir ressemble à un couscous à l’agneau bouilli, triple dose de
harissa incendiant sa chair ; au milieu de son nulle-part, l’aridité étire son
mirage, suspend en linge un havre discret. C’est sur cette assiette propre que
trône l’Épicerie Ŕ une épicerie épicée, forte en gueule, taillée dans une rondelle
de piment raffinée.
Sidi Brahim ! Sidi Brahim ! Mon Dieu ! quel charmant nom, un brin biblique
n’est-ce pas ? Sachez cher Brahim que la Bible est ma brosse-à-dent. Je ne dors
jamais sans avoir frotté mon ivoire contre quelque parabole judéenne ! La
sainteté donne une pincée subtile d’orfèvrerie à ma dentition. D’ailleurs
regardez, brave Brahim ! Saint-Jean brille sous ma canine. Par-delà les dunes,
les déserts de la religion, éclate comme une légende le sourire de mon émail
dentaire.
Bien le bonjour, brave Sidi ! Un bandit de coton vient briser les chaînes de
votre paternité ! Acclamez votre sauveur, votre Monarque Tigré, brave Sidi,
baisez-lui la main comme on salut un Pape ou un Roi qui a renversé son trône
pour cueillir sa bien-aimée. Vous êtes libre, désormais, je viens aimer la chair de
votre chair plus que je n’aime celle qui compose mes haires. Je m’exhale !
Regardez ma poitrine, Brave Sidi, la voyez-vous chanter sous les bombes ?
C’est votre fille, la chair de votre chair, la prunelle de votre prunelle, qui
éparpille sa neige d’obus comme une fine dentelle. Le Tigre a faim d’être un
homme et de transmettre la couture de votre sang dans quelque neuve
génération blonde et poupine qui dira PAPI en contemplant votre tombe tressée
d’un laurier de larmes.
« Bonjour.
ŕ Bonsoir.
ŕ Le jour, la nuit tout s’emmêle dans un désordre divin dans le rosier de vos
cils. Qui pourrait dire d’où vient la lumière ? C’est à croire que le Soleil imite
les mortels.
ŕ Ça va monsieur ? Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
ŕ N’allons pas trop vite en besogne, belle chamelle. Gardons le feu pour
nos ailes ; nos pieds, eux...
ŕ Monsieur, je peux me tromper mais… je crois que vous saignez du nez.
ŕ Mon cœur pleure ses menstruations ; il a avorté de son plus beau
battement.
ŕ Vous saigner beaucoup du nez monsieur. Votre chemise bleue, elle est
toute tâchée… Dites donc, mais je vous reconnais ! C’est vous le fana des
avocats, pas vrai ?
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ŕ Plaident-ils pour ma cause ?
ŕ Vous voulez un mouchoir, monsieur ?
ŕ Merci. Je suis un grand émotif. C’est mon eczéma. Ça me rend très
sensible. C’est pour ça que je saigne. Je saigne de beauté, pour dire vrai.
ŕ Qu’est-ce que c’est que ça ?
ŕ C’est une alliance.
ŕ On dirait les cannes-à-sucres ! Vous savez, ces machins qu’on suce pour
connaître le sucre.
ŕ Ma queue est un énorme sucre d’orge veiné de mauve et de violet. Au
centre gronde un anonyme monstre marin. Il veut brancher sa prise à la lumière
d’un vagin.
ŕ Est-ce qu’elle fond quand on la suce ?
ŕ C’est très indiscret comme question.
ŕ J’aime bien les cannes-à-sucre. C’est pas bon pour mon diabète, mais
j’aime bien ça. Ça donne envie de vivre dans une papille.
ŕ J’ai toujours dit qu’une papille couverte de saccharose est la plus heureuse
des grands-mères.
ŕ Vous devriez prendre un nouveau mouchoir, monsieur.
ŕ Puis-je plutôt vous demander votre main ?
ŕ Laquelle ?
ŕ Celle où le rouge de votre vernis s’écaille comme un coucher de soleil.
ŕ C’est très joli !
ŕ Ça vous va mieux qu’à une abeille.
ŕ Vous dites des folies, voyons !
ŕ Je rêve de crever votre panse pour y boire le miel.
ŕ Mais alors ? Je mourrai !
ŕ Vous serez un sphinx de miel. Vos élytres couleront comme le jus des
ruches éternelles.
ŕ Vous parlez bizarrement, quand même. On dirait que vous avez de la
peinture dans la bouche.
ŕ Puis-je sucer votre doigt ? Je brûle fondre caramel. »
La bouche qui lape un doigté de volcan. Quand son ongle presse mon palais,
l’entaille de son crépuscule ouvre des cicatrices tordues, des ornières où tonnent
le canon des champs de batailles, les sabots de Napoléon en conquête impériale.
Son doigt pris au piège me fait l’effet d’un asticot hameçonné à la grande
Gueule du Tigre Blanc ! L’alliance fond comme une aspirine et se recristallise
dans l’aurore de mon émerveillement. C’est une sucrerie sans fond, ma parole !
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Ma Divine, il neige de l’amidon sous ton sourire. Le doigt ne me suffit plus,
c’est comme d’apercevoir les contours d’un orgasme ! Il me faut le tout, le tout !
La gueule béante, Le Tigre devient la proie de son festin.
« Arrêtons-nous, pauvre fou ! me conjure-t-elle depuis mon duodénum qui
lui malaxe le melon. Il me faut l’Autorisation paternelle.
ŕ Allons donc, brave Agnelle ! Je m’en vais de ce pas dépouiller ses
viscères de leur plus joli kyste. »
En ressortant de ma gueule, j’emprisonne les dartres de son odeur ; son
parfum éclate comme un vase brisé. Tout là-haut les antilopes aux pourpres
lèvres lapent les grands lacs mon aorte ; des tigres avancent à pas feutrés en
mirant leurs croupes. Il fait chaud sous la couille à midi et la volupté n’a pas pris
une ride depuis cent mille ans d’éjaculation dans une nécropole.
Dans l’arrière-boutique, c’est beaucoup moins bandant. Y’a qu’un siège qui
tournoie solitaire en face d’écrans de surveillances. Un fantôme joue avec les
ressorts du fauteuil et le fauteuil ressemble à une obsession. Ce bon Sidi, coincé
entre deux pans de mon imagination, mime les araignées en mangeant un
mouton sans tête. Il me donne la Part du Lion. Il a du cirage autour des yeux,
mon beau-père, il a l’air fatigué de son épicerie, de la gestion des stocks, de ses
testicules kabyles, des salopes et des têtes de cons qui pavoisent à Paris ; fatigué
d’être debout, fatigué d’être en vie. Pourtant il n’y a rien d’autre qu’ici, si l’on
excepte le céleste royaume de sa fille.
« Merci Brave Sidi, fis-je. Ce mouton est excellent, et je vous en remercie.
Que suis-je heureux de voir ainsi notre réconciliation scellée !
ŕ NE PALPEZ PAS LES AVOCATS ! gueule-t-il en rongeant sa laine dans
le coin. LES AVOCATS S’ACHÈTENT TELS QUELS ! VOYOU !
Il a plus toute sa tête, Sidi. Sa femme est morte d’un cancer du sein et la
comptabilité tout seul, en plus de vivre la nuit… Sidi, cet Héros sans médaille !
Sidi ! Sidi ! Sidi ! Vois dans mon encre le blé de ta récompense !
ŕ Brave Sidi, l’heure est grave ; j’aime votre fille.
ŕ QUI A DIT QUE MES TOMATES DU PÉROU N’ÉTAIENT PAS
FRAÎCHES ? ATTENTION ! JE TISSE MA COLÈRE, DÉSORMAIS ! »
Les crochets de sa bouche tissent une procession d’ulcères entre deux pans de
la pièce. C’est rouge et vif comme les gants d’un boxeur qui a ouvert de l’arcade
pour le petit-déjeuner. La structure coule dans un cri rouge en suspension. Peutêtre vaut-il mieux laisser mon beau-père seul avec sa folie ?
Je m’en retourne à Alicia, dans la pièce principale, qui sublime boîtes de
conserve et halouf immondes.
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« Alors c’est oui ?
ŕ Ton père est dur en affaire ; je dois lui trouver une femelle bifide avant
minuit.
ŕ C’est dur à trouver ?
ŕ Je ne sais pas, Alicia, néanmoins une chose est sûre : autant que tu puisses
être adorable, si je la trouve sois certaine que je ne reviendrai pas. »
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Parmi les reflets de la folie, je suis un prince fantôme dans son palais de
glaces. Je suis le fantôme qui hante la Ligne 2. J’erre de stations en stations, de
bulle de savon en bulle de savon, comme une bouteille à la mer, comme un
pirate fauché qui s’enivre des faux trésors de la carte qu’il a dessinée. J’ai mis
ma chemise bleue ; de la brillantine sur mes cheveux pour charmer les yeux
verts de l’inconnu. Pour qui aurions-nous deux minutes de libre, si nous n’en
avons pour les yeux verts de l’inconnu ? Dans le métro, dehors, partout y’a des
connasses à qui je demande de m’aimer. Je leur dis AIMEZ-MOI PARCE QUE
L’AMOUR EST UN CLODO QUI CHERCHE DU PINARD POUR NE PLUS
AVOIR FROID. Je leur montre mes paumes de mains qui ne sont pas plus sales
que d’autres, regardez mes mains, y’a quelques entailles évidemment, mais aussi
je les lave régulièrement, elles sont pas trop maladroites je vous promets, et elles
ont une forme maladroite, OK, c’est qu’elles sont tordues de masturbations, de
dessins, c’est parce qu’elles sont des crayons cassés vous comprenez ? elles sont
toutes tordues parce qu’elles se méfient elles sont recroquevillées comme au loin
elles voient les lueurs qui brillent au-delà de leur terrier, elles tremblent comme
des enfants en sortie scolaire à la vérité, alors on se donne la main pour essayer ?
Et j’ai envie de vomir mais je me force à sourire pour montrer aussi que j’ai
toutes mes dents. Vingt ans et toutes mes dents, mademoiselle. On pourrait faire
du piano en s’embrassant ? J’étreignais que des fuites, des toiles d’araignées.
C’était comme d’essayer de se sucer la queue. Ou de vouloir aller saluer le gars
qui roupille dans sa pyramide. Elles, mes mignonnes, elles se dissolvaient en
plumes d’oies garnir d’autres oreillers Ŕ dans la nuit noire, j’humais fort comme
l’opium ces brusques adieux. Dans la nuit noire elles clignotent comme les
enseignes de Pigalle ou de Gaieté ; roses, violettes et rouges, jaunes aussi,
taffetas ou paréos de phosphènes, toutes les couleurs d’ampoules, toutes les
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couleurs qui brillent fort dans l’œil et puis qui d’un coup s’éteignent, où le rose,
le violet et le rouge, et les autres couleurs, vous restent teintes tel un Christ sur la
rétine. Fauché en pleine ascension, je me confonds en une parodie de
contenance, cependant que mes lèvres remballent à la hâte leurs tranches de foie
glacées. Je regarde mes mains, mon pantalon Ŕ je suis trempé de mon nerf
honteux. Dans le ciel, on dirait que la lune me sourit, qu’elle me dit de ne pas
m’en faire. On dirait un gros bouddha qu’en a plus rien à foutre de rien, qui
sourit de l’aube comme de la nuit prochaine. J’ajoute un nouveau cran à ma
ceinture, j’ai l’air d’un condamné qu’on a pendu par le bas-ventre ; je sautille
jusqu’au prochain nénuphar, de nénuphars en nénuphars, d’échecs en échecs,
autour de moi les lampadaires fondent dans les flaques de pluies, dans les
cristaux de l’hiver, et moi, à bien y réfléchir, je splendide comme un mur de
fusillés. Ça me fait pas peur l’échec, parce que les champions, les vrais de vrais,
leur sac est lourd de souvenirs et de rotules en miettes, les vrais champions sont
juste des sacs qui ont mis le boxeur KO. Les dents serrées derrière un charnier
en se disant que c’est toujours mieux que d’être clamsé. Un jour, quand je
mangerai mes corn-flakes dans la coupe de mon trophée, je sourirai rêveusement
en remerciant tous les NON d’avoir nourri ma famine. Je jetterai un coup d’œil
sur ma splendide garce soufflant sur l’ongle rougeoyant de son inanité, son cul à
rebours en pleine ostentation, ses seins mûrs suspendus à son cœur de blé, et je
me dirai alors que l’époque où j’avais rien n’était pas si pauvre que ça. L’époque
où t’as pleins de trucs qui pétillent dans la tête, où t’attends chaque jour que
l’aventure te fauche comme une balle de Magnum. L’époque où t’as envie de
forcer toutes les serrures, même si y’a rien derrière. Tout est possible quoi,
puisque t’es juste qu’un brouillon.
La ligne 2, cette partie-là du nord de Paris, j’aime bien. C’est un peu soupe
aux vermicelles, OK, mais c’est encore le seul endroit où c’est pas tout à fait
pasteurisé. La gueule des gens là-bas n’est pas tout à fait aplatie ; y’a encore
quelque signe de vie, des bras qui remuent, des yeux qui brillent, un clin d’œil,
un rire qui oubli le caca, des lèvres qui font pas semblant, du burin, des
hiéroglyphes, des clopes dans des doigts épais, écaillés de peintures, des glaviots
au fond des verres de vins, des pets bien gras entre deux tapes dans le dos. À
chercher un peu, vous trouverez des mecs sortis d’on-sait-pas-où, aux épaules
carrées, aux gueules de gladiateurs, d’anciens voyous, des gars qu’ont baroudé à
droite à gauche, un peu partout sans rien trouver Ŕ mais qui ont cherché, c’est
là toute la différence. Des gars qui ressemblent à personne sinon qu’eux-mêmes.
Pour le reste Paris c’est un cimetière parfumé de formol. Quelque-chose du
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grand bec ouvert sur dix kilomètres d’une mouette agonisante, morte sur la
grève avant d’avoir vu l’océan. C’est nul, impossible de trouver de quoi se
marrer un peu. Des animaux sauvages qui hibernent dans leurs tunnels
lumineux. Y’a rien je vous dis. Ils chient dans leur froc dès qu’ils sortent des
pédiluves dans lesquels ils infusent. Et qu’on vienne pas me les briser en me
dégueulant les conneries qu’on étale sur les brochures touristiques. Celui qui me
dit que c’est la plus belle ville du monde, je lui pète les dents. Je l’emmène à
Gare du Nord, sur le parvis, et ensuite je lui pète les dents devant tout le monde,
histoire de lui refaire la face à l’esthétique locale. Pareil pour celui qui me parle
de musée à ciel ouvert. Une bande de salopards, si vous voulez mon avis.
Exactement ceux qui diraient Ce film est totalement dans le style Woody Allen.
Haleine mon cul, va te brosser les dents sale fils de pute. Ou le bel enfoiré qui
dirait C’est du modern-art, bébé. Tout ça, ce sont juste des morts qui parlent
d’autres morts en les trouvant vivants. C’est pas à moi qu’on la fera. Les
esthètes, si ça tenait qu’à moi, je leur ferais tomber la culotte pour jouer des
claquettes sur leur petit cul blanc. Parce que c’est exactement là qu’elle se
trouve, leur foutue Âme qu’ils masturbent tant.
À Pigalle ou ailleurs, dans toutes les vitrines des grands magasins, j’aime
ouvertement ces femmes figées dans un éternel sourire de trottoir, leurs refus se
marie à merveille à mes désirs insaisissables Ŕ jusqu’à Vénus, tout là-haut,
embaumée dans sa coquette lumière de morte, qui tapine aussi vieille que la
lumière, au carrefour des rêves et des contemplations. Oh splendides femmes de
cires, que votre incandescence m’est une cruelle bougie ! Et il me passe des
chefs-d’œuvre d’érection cependant que je leur prête une vie qu’elles n’ont pas ;
je m’invente des histoires rocambolesques où l’amour et l’infamie sont un même
baiser qui nous lie, où nos cris, autant de pierres d’entrailles jetées dans
l’univers, peupleraient son silence d’un nouveau Système Solaire. Ne serionsnous charmant, prince et reine tyrans d’un royaume dont le barde serait un
Vagin éternellement Soleil ? Je fais les yeux doux à des cailloux, à des
publicités pour sous-vêtements ou petit-pois en promotion, je touche, tape du
poing ! imagine des arches dans le béton. Pigalle, Gare du Nord ou Saint-Denis,
dans les rues ensanglantées de crachats lumineux, le rose et l’infamie, vermine
parmi la vermine, parcourant l’os de son cadavre délicieux ; dans les rues
boursouflées, suppurantes et engoncées, l’œil en tuméfaction sous une arcade de
lumières sales, pleure par le caniveau ordures et fluides vaginaux, une seringue,
une part de pizza froide ; les rues malades, rougeoyantes et voluptueusement
infectées, pomponnées comme ce travelo en robe de mariée et chignon rouge
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plaie, masquant son ptosis derrière un bouquet de fleurs fanées. Un chewinggum à la menthe par-dessus les fellations bâclées, une croûte de mascara
sombre, deux bottes en polychlorure de vinyle et un cul mal torché, deux lèvres
roses lubrifiées, un tatouage sur la clavicule et de l’argent maudit comme un
crime dépasse d’un corset, deux hommes en haillons se disputent une charogne
empoisonnée. Dans une impasse noire, le reflet d’une pièce d’argent trahit
brièvement le secret honteux de son obscurité, à côté la poubelle transpire, ploc
ploc ploc fait la sanie dans sa flaque grise, comme les secondes qu’égrène le
chauffeur dans son intérieur cuir, garée à l’angle. Un pouce gros comme un
cafard tombe d’une fenêtre et s’en va rouler dans le caniveau, avec la seringue,
la part de pizza froide. Des perruques d’africaines sillonnent la nuit en corbeaux,
hématomes. Sous l’ongle long violet, ou vert, ou rouge, se tapie un élixir
d’amour éphémère. Le responsable d’un sex-shop écrase le mégot de son
employé, puis sort fumer une cigarette sur le trottoir. Tassé dans sa canette de
bière, un homme décore son ivresse d’une gerbe sanguinolente. Un vieux serbe
crachote de la cendre, une poudre de bronches. L’épicier qui ne dort jamais colle
sa main contre la lune, contemple à sa lueur le souvenir des trois phalanges qui
lui manquent. Deux hommes meurent en s’embrassant, dans un entrelacs de
couteaux sanglant. Un chien git devant un grec au rideau de fer tiré, l’abdomen
ouvert, les pattes hurlant aux quatre pôles, la nuit fane une carambole ; le cœur
d’une polonaise explose comme un sachet de cocaïne. Cependant que sous les
combles du numéro 36 clignote une ampoule rose, un ovule mort. Quant à moi,
je laisse pour ainsi dire, sans laisse ma queue se promener. Tel un pot de
chambre renversé, celle-ci s’exhale, gambade, éprise de liberté, éprise de la
grappe blanche des mollets, et fouille, tel un spéculum à mâchoires d’urètres,
sous toutes les jupes, sous l’immaculé ; sa turgescence n’oublie aucune cuisse
qu’elle puisse honorer. Elle s’enroule, elle erre sous toutes les jupes à la
recherche d’ovules avec lesquelles faire du bilboquet. Elle englande des panses,
des prés ! Elle tisse des fils entre les vagins par lesquels mes femmes
communiquent leurs pensées ; ma queue, mère de tous les fils, au centre de
toutes les attentions, écoute battre les féminines tentations. Bien des choses
remuent en hiver, sous la laque des eaux glacées. C’est plus qu’un stéthoscope
cette queue, c’est un pavillon aux mille sensibilités ! Elle écoute battre le grand
Brasier des femmes Réfléchir aux éternels jusants de son incandescence Ŕ la mer
est une vicieuse qui se lèche la raie grâce à la souplesse intrinsèque de la lune et
des rouleaux d’eau salée. Quand une lesbienne fait entrave à mon obstétrique
tricot, un coup de patte du Tigre la désolidarise de celui-ci ! Fi ! la gouine, on ne
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peut concurrencer l’Or-Bite de Mars. Le grand Manitou tire les fils et trempe sa
queue dans la baignoire qui fuie, dans l’aquarium où filent les lueurs électriques
d’hanches et de cheveux, des pendules aux hypnoses de charnier, des lamproies
à la peau sombre, luisant sous les collants de vitrines et de néons, et les
salamandres courent sous les vêtements, laissent la mue de parfums lourds, le
parfum de la prédation, et moi, l’hameçon gisant dans les bas-côtés, avec
l’ordure de mes élans, mes abcès sombres suintant des lampadaires, moi qui
bafouille des cadavres et rigole seul avec mon reflet, aileron de requin voulant
attraper songes et dauphins, j’hameçonne le bitume pour ouvrir un océan. Il est
tard, c’est la nuit depuis quelques milliers d’années sur terre, les étoiles distillent
un leurre immémorial Ŕ je m’ouvre les lèvres en voulant décapsuler une extase.
Alors voilà c’est la nuit, une grande et large ardoise opaque, aucun reflet, aucune
moirure, juste les ténèbres, et puis un morceau de craie gros comme la lune, et
ma main, une main hésitante, fébrile, une main effrayée par ses gestes trop
amples, qui ne sait par quelle avenue s’approcher du grand vide. Tout là-haut
dans le tableau un ongle griffe l’œil de Vénus. Quel dessein sur un si obscur
poème ?
« Oh ! Cocotte ! Cocotte ! Viens… ouais toi, viens voir un peu… Qu’est-ce
que… qu’est-ce que t’as, là ?
ŕ Pardon ?
ŕ Là… ouais, là.
ŕ Bien… je sais pas moi. Mes taches de rousseur ?
ŕ Une vanille t’aurait pas toussé au visage, des fois ?
ŕ N’importe quoi, celui-là !…
ŕ Attends… attends, pars pas. J’avais plein de choses à te dire. Mais là d’un
coup, en te regardant bien en face. Je sais plus trop.
ŕ Laisse-moi tranquille, j’ai des courses à faire.
ŕ Je t’accompagne. Comment tu t’appelles ?
ŕ Rita.
ŕ Vraiment ?
ŕ Oui. Pourquoi ?
ŕ Je déteste ce prénom… Mais je vais faire une exception.
ŕ Oh, surtout te force pas, hein !
ŕ T’es pas mal quand même, Rita. Je te laisse une seconde chance.
ŕ Une seconde chance ?
ŕ Moi c’est Tonio ; Tonio Le Tigre. Mais tu peux m’appeler Le Tigre, c’est
plus éloquent. J’aime l’éloquence, Rita.
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ŕ Tu peux me laisser tranquille ? j’ai des courses à faire.
ŕ Je t’accompagne, je t’ai dit. Ça me gêne pas. Tu sais pourquoi ?
ŕ Dis-moi.
ŕ Parce que tu me dis FOUS-MOI LA PAIX mais ton sourire lui il dit
quelque-chose comme FAIS-MOI LA GUERRE.
ŕ Oui bien sûr, fais-moi la guerre, t’as tout compris aux femmes, toi.
ŕ Parfaitement.
ŕ Mais t’as quel âge, toi ? Tu vois bien que je suis trop vieille pour toi.
ŕ Ttttt. J’ai l’âge de savoir apprécier les bonnes choses. La subtilité, la
promesse arrachée à l’oreiller. Ce genre de choses.
ŕ Mais tu es trop jeune ! Je vais pas sortir avec un enfant, quand même ! Je
vais aller en prison.
ŕ N’ai pas honte de ton âge, Rita. Je t’aime telle que tu es.
ŕ Non mais n’importe-quoi !
ŕ Rita, Rita… du calme… Ne précipitons-pas les choses, Rita… Oh, tu sais
quoi ? J’adore ton prénom.
ŕ Tu changes vite d’avis, toi.
ŕ Ouais. Là, comme ça, à te réciter dans ma bouche, j’ai l’impression de
boire à chaque fois une nouvelle gorgée de champagne. Une champagne pas
dégueulasse du tout.
ŕ Mais oui, du champagne ! bien sûr !
ŕ Rita, tu regardes tous les hommes de cette manière ?
ŕ Mais de quelle manière tu parles ? T’es fou toi, ma parole !
ŕ De cette manière-là. Non évidemment que tu les regardes pas tous comme
ça. Tu réserves ça pour l’Unique.
ŕ Et comment je te regarde ?
ŕ Hmmm… D’un air… D’un air qui dirait TU ME DONNES DES
CHALEURS PAS CROYABLES, T’ARRÊTES SURTOUT PAS, JE T’EN
PRIE.
ŕ Dis-moi, Tony…
ŕ Tonio.
ŕ Tonio… Ça marche avec des filles ce numéro-là ?
ŕ Ouais. Mais c’est trop facile, d’habitude. Avec toi c’est plus drôle. T’as du
caractère, Rita. J’aime les femmes de caractères.
ŕ Très bien. C’est ici qu’on se sépare. Il faut que j’aille faire des courses.
ŕ C’est un magasin de sous-vêtements, Rita.
ŕ Il faut que j’achète un soutien-gorge, pour ce soir.
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ŕ Un comment ?
ŕ Un sans bretelles. Faut que ça soit assorti avec ma robe.
ŕ Rita, t’as plus besoin de sous-vêtements maintenant. Même nue, ça m’ira
très bien.
ŕ Je sors ce soir. Faut que je sois belle.
ŕ Mes mots, Rita, ce sont les seuls sous-vêtements que tu porteras.
ŕ Parle un peu moi fort, s’il te plait. Les autres filles nous regardent.
ŕ On s’en fout Rita. Les autres, ils ont qu’à boire la Seine ou nager dedans,
ils sont déjà tous pourris de l’intérieur comme des rats d’égouts. Tu sors ce soir
Rita ? T’as rendez-vous avec un homme ?
ŕ Ttttt. C’est pas mal ça, non ?
ŕ Ouais. Pas mal. Moi je préfère les sous-vêtements noirs. Mais ça doit être
quand même joli sur toi, le beige.
ŕ Oui. Tout me va, à moi.
ŕ Attends de voir mes poils blonds, Rita. Tu verras ce que c’est, de se sentir
contre un HOMME.
ŕ T’es trop jeune pour moi, Tonio ! Et ça ? C’est pas mal non plus, ça.
ŕ Faudrait que t’essayes. Pour être sûr. Je peux venir avec toi dans les
cabines d’essayages, j’ai besoin de calme et de concentration pour te conseiller
d’une manière optimale.
ŕ Mais t’es complètement dingue, toi !
ŕ Rita ! Rita ! Ah, quel prénom !
ŕ Hmmm…
ŕ Rita, Rita ! Ah, je m’enivre, Rita ! Je m’enivre de toi !
ŕ Hmmm… ça non plus c’est pas mal. Non ?
ŕ Rita ! Rita !
ŕ Parle pas si fort dans la boutique, s’il te plait. Ils vont me prendre pour jesais-pas-quoi… Ah, ça c’est ce qu’il me fallait.
ŕ Fait voir… Ouais. Pas mal. T’as rendez-vous avec un homme, ce soir Rita ?
ŕ C’est pas un homme. C’est juste des amis. On va juste boire un verre au
George V, c’est tout.
ŕ Ah ouais, et quand tu te savonnes, tu prends du caviar pour ça ?
ŕ Quoi ?
ŕ Écoute-moi, Rita. Je vais te dire quelque-chose. Les hommes que tu vas
voir ce soir, ils auront mis une belle veste, une belle chemise, ils se seront laissés
une toute petite barbe sur les joues, ils auront le sourire éclatant et les cheveux
bien en arrière, bien ondulés, leurs mâchoires elles seront bien carrées et ils
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respireront l’aisance, la bonne santé, ils fumeront des cigarettes en se donnant
l’air de héros de film d’action, ils diront des phrases toujours justes, bien senties,
et ils auront du parfum fort qui brillera sur leur cou, un parfum viril qui sent
l’homme, la sécurité, et pourtant Rita, et pourtant y’en aura pas un pour te
regarder vraiment, y’en aura pas un pour te parler comme je le fais maintenant.
ŕ Je crois que tu n’es pas très modeste toi, hmmm ?
ŕ Rita, j’ai pas les dents blanches mais je sais faire honneur aux belles choses.
ŕ Ça marche pas comme ça chez nous, Tonio.
ŕ Tu viens d’où ? Attends, attends, laisse-moi deviner… Toi, t’es Libanaise,
pas vrai ?
ŕ Non. Je suis Indienne.
ŕ Ah c’est marrant… Je pensais qu’elles étaient plus foncées, les Indiennes.
ŕ C’est parce que ceux qui viennent ici, ils viennent du sud. Moi je suis du
Nord.
ŕ Ah d’accord. D’accord. Et t’as déjà couché avec un blond aux yeux bleus ?
ŕ Je te dirais pas.
ŕ Enfin je veux dire… Avec de tels yeux BLEUS. Regarde bien, Rita, parce
que je sais que non.
ŕ Tu sais Tonio, tu perds ton temps, là, à essayer je sais pas quoi avec moi.
ŕ Tant mieux. Quitte à perdre mon temps, je préfère le tremper dans une belle
sauce tandoori.
ŕ N’importe-quoi, celui-là !
ŕ Ouais parfaitement ; Rita, ça fait très longtemps que j’ai pas mangé indien.
ŕ Tonio, sans blaguer, ça marche ces techniques avec les femmes ?
ŕ Rita, je vais te dire quelque-chose de vrai : t’es la première indienne que je
connais. Je trouve ça fantastique de découvrir cette péninsule par le sommet.
ŕ Tu vas rien découvrir du…
ŕ Bonjour, mademoiselle, je peux vous renseigner peut-être ?
ŕ Vous avez celui-là en…
ŕ Je préférerai celui-là, le noir, CHÉRIE. Il ira mieux avec le lot de petites
culottes que je t’ai offertes, pour mon anniversaire.
ŕ Celui-là est aussi un très joli modèle, monsieur.
ŕ Oui mais moi c’est celui-ci que je veux. Vous avez ma taille ? 85B.
ŕ Bien sûr mademoiselle, je vais vous chercher ça.
ŕ Chérie, pourquoi tu mets plus jamais ces petites culottes ? J’aimais bien
souffler mes bougies.
ŕ T’es fou, ma parole.
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ŕ
ŕ
ŕ
ŕ
ŕ
J’essaye de Vivre, Rita, c’est là ma seule folie.
T’es barge, c’est tout.
Rita, c’est qui les hommes que tu vas voir ce soir ? Y’a ton amoureux ?
J’ai pas d’amoureux. J’ai pas le temps pour ça.
Rita, faut se dépêcher d’aimer avant que tout s’en aille pour de bon. »
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Je m’en vais me perdre dans les dédales de ma curiosité, désaxé et sans orbite
parmi d’autres planètes, lâchées là dans ce luxe grand comme une arène, parmi
grandes enseignes et autres bruits, atome ou centime parmi une poignée
d’atomes ou de centimes jetés dans un soleil froid comme le diamant. L’envie
strangulant mes hanches, je marche au hasard de la musique des poignards sortis
de leurs fourreaux ; dans mon cœur s’agglutine un tas d’ordures phosphorescent.
Partout les cris sauvages de cette agonie se disputent mes restes, me déchirent
comme un paquet de biscuits. Chaque jour revient avec l’aurore les jupes
courtes et les hanches démoulées de quelque tarte à la pomme, chaque jour est
une gueule de souffrance qui mord le bleu du ciel ; avec le matin revient la
tentation de sombrer dans ce festin, quitte à être son propre abîme. Des nuages
de poupées gonflables me noient dans leur velours, les couleurs dansent,
gonflent, festoient devant mon œil, agitent langoureusement leurs paréos de
tahitiennes. Partout jaillissent des mottes de gazon sur lesquelles s’étendre, rire,
rouler, batifoler et chasser quelque savoureux lépidoptère. Être adulte dans une
grande ville est une folie dont on ne revient pas absolument indemne :
l’engrenage a beau être serti de rubis et de topaze, il s’agit d’une roue, une roue
d’écartèlement, derrière laquelle s’éparpillent les diverses morceaux de soimême. Jeté à la gueule des animaux ! Bourreaux ou suppliciés, choisissez votre
camp, pauvres affamés ! Il ne rôde jamais très loin une de ces garces vous
donnant l’envie de devenir fou à lier, de déchirer la camisole pour de bon, pour
une meilleure folie, une folie plus rebondie, plus onctueuse, l’envie soudaine de
courir, courir comme un insensé, comme un fugitif, comme une proie dorée, et
puis d’ouvrir les bras, complètement fou, complètement échevelé, absolument
grandiose, bulle de champagne en pleine métamorphose, le grand saut dans le
vide, le grand plongeon dans les fosses sans fond, éclat de magma retournant au
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caramel, avec le souhait impérial de vous empaler contre le sommet d’une
cathédrale, mettons Notre-Dame pour les ambitieux. Tu parles d’un canyon !
Prenons Saint-Germain-des-Prés ; ce quartier me fait penser à un saxophone
étouffé dans une poitrine chaude, trois décibels langoureux, deux plaqués d’or Ŕ
et le téton vorace dévore le sifflet. Vous voyez le genre ? Le genre jupe plissée,
le genre chatte étroite et bondée comme la Rue de Buci, dix-huit mille euros le
mètre-carré. Ou plutôt : une tennis blanche, depuis laquelle jaillit la plante
fraîche d’un mollet. Oui, c’est cela, Saint-Germain-des-Prés, un macaron
d’esbroufe, monté en éthers formidables, coquettement boutonné au revers d’un
blazer coupé sport ; c’est le parfait plan de marbre pour découper y son âme
entre deux rondelles de concombre bio, pour y exprimer par tranches fines l’Art
des Grands Escrocs. Quelques garçons de café sympathique, tout de même, avec
qui échanger ses éminentes réflexions. PUTAIN ELLES SONT BONNES ICI,
PAS VRAI ? ILS SE METTENT BIEN, CES FILS DE PUTES DE
RICHARDS ! Quelques barmen aussi Ŕ j’ai été barman aussi pendant un temps,
le temps d’être licencié de manière tout à fait légale Ŕ hé, tu veux que j’te
montre comment gagner du temps pour ranger ton bar ? C’est très simple, mon
vieux : tu le fais pas ; quoique leurs lèvres supérieures prennent vite le pli snob
de l’endroit, que les quelques pourboires généreux déteignent sur leurs braves
mines. Vrai ! Dix piges à bosser là-bas, que les calvities rutilent comme le
cuivre obséquieux de leurs pompes à bière. À Saint-Germain je m’amuse
néanmoins, les femmes sont chères, inabordables, mais indéniablement
piquantes et malicieuses, si bien qu’à fricoter cette peau fine de me fait l’effet
d’être un caillot de sang baignant dans un rare caviar d’Iran. Je teste mes
savoureuses plaisanteries, je les écoute choir de ma bouche ainsi que des
assiettes de porcelaine. Parfois j’ai un espoir fou de réussir, si proche
d’embrocher enfin le rut d’une chienne, jusqu’à ce que l’envie tire soudainement
sa braguette, comme une gorge que l’on tranche d’un coup net Ŕ au moment où
je flotte dans ces sommets illusoires vous dis-je, à ce moment précis éclate
quelque infortune de mon destin d’irrémédiable perdant. Je rentre ainsi le panier
en osier vide, vide comme l’âme d’un héros du lendemain Ŕ choux blanc !
disons-nous dans le métier. Mais c’est toujours plus divertissant qu’Avenue
Victor Hugo, par exemple. Charmant coin, ça, l’Avenue Victor Hugo ! Pauvre
Victor ! S’il savait les nouveaux misérables ! L’Avenue Victor Hugo, ça n’a rien
avoir avec une rue classique, c’est plutôt un lieu de plaisance, quelque-chose
d’un défilé de haute couture, où l’on s’expose avant le dîner, un poli lèchevitrine dirons-nous. On ne touche qu’avec les yeux ! Là-bas les femmes ont l’air
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d’iceberg, et ma foi, je n’ai jamais palpé l’envers du décor ! Inabordables gorges
de soies ! Bijoux sur chaque pore, il n’y reste guère de place pour mon stock de
pénis en libre-service. Mon vieux, quelle gueule elles tirent ! Mais regardez-les
bâillez ! Presque aussi feignantes que moi. Des putains de portes blindées,
voilà ! Cosette est devenue un poil bégueule, avec le succès de son dernier
roman. Elles ne mirent même pas votre braguette pleine, ces pauvres cintres sont
trop passionnés par leurs vêtements ! Débordées par leur nombril, tout
bonnement ! Il vous faudrait vous cacher dans les plis d’un tissu rare, pour
espérer obtenir d’elles, ne serait-ce qu’un regard ! Bof. Pas assez cher. Non, non,
ce n’est pas la peine de gigoter ainsi, vous dis-je, vous n’existez pas à mes yeux,
impossible que vous le deveniez… Vous n’êtes guère plus qu’un bruyant
feuillage dans le décor de mon existence. Là-bas, il faut prendre les petits fours
avec une pincette, une pincette laquée, s’il vous plait. C’est le coiffeur qui rafle
la mise. Enculé ! La chose la plus amusante qu’il reste à faire, c’est de s’en aller
gaiment peler les bulbes d’oignons blancs, et puis de danser sur les orteils de
cristal, certain d’essuyer l’indifférence d’une catin à six luxueux zéros dans la
poitrine. Ou bien s’assoir à une terrasse de café à admirer les crânes de poules se
ronger les ergots en scrutant meurtrièrement celles qu’on regarde plus qu’elles.
C’est la guerre à hautes moulures sous plafond, pour le dernier étage avec
terrasse, juste en face des cafés ! Va voir ailleurs, Tonio, c’est pas raisonnable
de rester dans cet endroit. Fous-leur la paix, ils veulent pas de toi. Oh ! reste
quand même encore un peu, les gifles te donnent si bon teint, espèce de
salopard ! Voici mon maquillage artisanal. Tonio ! Tonio ! Dites-nous, quel est
votre secret de beauté ? Quel teint rose vous avez ! Quelle mine fraîche ! Ça,
mes chers amateurs d’élégance, c’est le résultat d’années entières de
peaufinage : mille claques de garces sur chaque joue ! On dirait les bébés-bonne
mine sur le cul desquels on a bien tapoté. C’est exactement cela, mes braves.
Chaque matin pendant un an, un siècle, un millénaire peut-être. Essayez, vous
verrez, c’est excellent pour la fierté. Fierté ? Quel étrange mot que celui-ci !
Pour ma part, c’est un orphelin que j’ai abandonné sur le bord de ma route, il y a
quelques siècles de cela ! Juste une cacahouète grillée, mais pas une larme pour
le désaltérer. Des fois, nostalgie au bord de l’œil, irrémédiable amoureux du
passé, je retourne lui rendre visite. Il est là, il n’a pas bougé d’un poil, il n’a pas
crû, il n’a point cru, agonisant dans le caniveau, rabougri, avorté, involu, rivotril,
il ressemble curieusement à un pruneau desséché. Impossible de m’y attarder !
voilà que file une conasse dont j’aimerais volontiers dégrafer l’arrogance…
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Vraiment, vraiment, bonnes gens : c’est fantastique de beauté que de crier son
désir au beau milieu de l’Antarctique.
Dans mon quartier je créer des scandales munificents, des tapages où le fracas
est celui de talonnettes noires faisant des claquettes dans une mare de sang, je
suis la star parmi les vendeurs de châtaignes et les limonadiers, tous me
reconnaissent, m’adulent, et quand je retourne là-bas c’est en héros, en porteur
de l’ultime flambeau, il s’exhale une haie d’honneur, une corrida accueillant son
toréador croulant sous les paillettes et l’hématome. Banderoles et confettis et
gâteaux à la crème pour le vétéran de la Grande Guerre. Regardez qui voilà !
Regardez ! Mais c’est ce bon Tonio Le Tigre ! Hé, Tonio ! quelle est la
température des salopes, aujourd’hui ? Très fraîche, ma foi, comme le jus des
montagnes ! Ah-ah ! sacré Tonio ! Tonio ! Tonio ! Tu veux nous faire un
plaisir ? Salie-en quelques-unes pour nous ! J’y manquerai pas les amigos ! Ahah ! si seulement j’avais vingt ans à nouveau… Tonio, Tonio, qu’est-ce que t’en
penses, toi ? Tu crois que tout est fini pour nous ? Messieurs, je me laisse
l’illusion de croire que rien n’est fini tant que tout n’est pas terminé pour de bon.
Oh, j’sais pas… t’as p’têtre raison, au fond… Dis, Tonio, écoute-moi et rendstoi ce service, si tu veux bien : ne vieillit jamais. Et bien merci du conseil les
amis, mais maintenant il faut que j’y aille ! Le tout Paris des putains attend sa
Fange ; les connasses ont briqué la lunette de leur W.C., un coup de balayette ciet-là, et la crasse reluit comme un rouge-à-lèvres, et je l’entends rugir ainsi
qu’une bête sauvage Ŕ n’entendez-vous sa rumeur effrayante égrener ses
plaintes ? J’ai un rêve de vingt-sept centimètre de long avec lequel divertir les
voisins. Sortons prendre notre part de tarte ! Comme je le dis toujours, mes
braves, à chaque jour sa côte d’agnelle ! Ma parole, je le viole le trottoir. J’y
traîne à longueur d’année, à longueur d’appétit, je suis le rat traînant alentour le
gruyère des bibliothèques, des universités, tout humide, tout pernicieux, prêt à
grignoter la croûte estudiantine de quelque condylome sucré. Je baguenaude sur
de la mie de pain, ma mire aiguisée passe au scalpel toute tranche de féminité,
rance ou dispersant de la fumée… Elles sont là, petits cyclones parfumés
torturant innocemment les vertèbres, les idées ! ne demandant qu’à s’y jeter tête
la première. Au fond de l’égout ou en haut de quelque monticule, j’ai toujours
l’œil aguerri ainsi qu’un décolleté, furetant discrètement les culs enfumés, les
ruts cuisant dans un silencieux braisillement. Je sifflote, merle innocent ! tandis
que sous mon aile palpite une bombe diabolique. BONJOUR-BONSOIR, dis-je
de ma voix qui fait frémir la vulve, voix suave parfumant un incendie, voix
grave doublée de velours sombre. UNE PETITE PARTIE DE PLAISIR AVEC
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UN TIGRE DE SIBÉRIE ? Je suis sûr que vous n’êtes jamais sortie avec un
blond avec de tels yeux bleus. Mes pierres précieuses feront une merveille de
pendentif à votre poitrine. Ouais, c’est Hitler qui m’aurait trouvé canon… M.
Tigre, c’est nous qui décidons qui est canon et qui ne l’est pas. Charmante
indécence ! J’hèle à tour de bras, à la chaîne ! De la viande, encore de la viande !
de la barbaque par camion entier que je décharge à longueur de soleil, de la
barbaque mirobolante, à l’odeur de pêche, de framboise, dont les deux élégantes
chattes au coin de l’œil, cueillent les vœux pendus aux crochets. Quel joli
mascara porte le mensonge ! Dès que j’en tiens une entre mes griffes je cause je
cause je cause, je ne la lâche plus, je la harcèle, je la persécute de coups de reins,
je l’accule ma parole ! mon abrupte répartie leur fais l’amour par télépathie, à la
pointe de l’oreille j’étends mes semences, mon linge sale, et mes mots
découvrent petit-à-petit leur verge, leur sécateur moelleux, et avec je défriche les
poils, je débroussaille pour les tréfonds, là où l’on scalpe le clitoris d’une
pichenette humide. J’embraye son mon registre préféré, le seul qui m’intéressera
jamais, celui qui sent la merde et le con scintillant. C’est que mon intérêt se
concentre dans un minuscule point rouge, brûlant, pile au centre de la cible.
Quand je joue aux fléchettes, je joue pour le mille ! Mes mots d’alors sont des
balles de fusil à lunette, décochés d’un trait impassible, presque infaillible, ils
passent en frisson sur l’oreille, leurs songes filent à travers le nerf pudendal,
fusent, piègent globules rouges et frémissements dans leur filet, arrachent herbe
et vices d’un même soufflet, et s’ils avaient connu Stalingrad mes mots, ils
eussent probablement vaincu, drapeau flottant dans la neige ainsi qu’un reflet de
spectre, boches et ruscofs décimés d’un même sortilège, pile au centre du
troisième œil. Les mains dans les poches, je modèle ma pâte à prépuce, lui
donne les formes de quelque empereur romain, d’une petite vierge derrière son
ombrelle tendue comme un hymen. Je déchire ma braguette comme le feuillet
d’une poésie dont on est jaloux, je suis une tristesse embuée d’ivresse, je dis
tristesse en souriant, je suis un sourire incrusté à l’abîme ; je cours, traqué par la
chute, traqué par mes cadavres tintant comme des casseroles dans mon sillage.
Je m’envole pour mieux fuir ; j’ai envie de vomir, un vomi gros comme un
désir, un enfant qui meurt en naissant ; j’ai les faux-airs d’un ange au martyr
déployé en ailes. La nuit est mon fourreau dans lequel je rutile ainsi qu’un
assassinat dispendieux. Les culs passent, me tranchent en fines lamelles ; je rêve
d’être boucher Ŕ ou plutôt : la Bouchée Ŕ à la charcuterie de mes fantasmes. Et
hop ! emballé c’est pesé ! Trois tranches d’oiselles coupées caramel, qu’est-ce
qu’il vous faudrait d’autre avec ça ? Qu’est-ce qu’on a en gratin, aujourd’hui ?
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On a une magnifique pièce de greluche fourrée à l’aquarelle, petit oignons
confits, miel et thym, une larme de champagne et de diamant, je vous en mets
une part ? Parfois je m’arrête au beau milieu de l’Apocalypse pour contempler le
flot intarissable de salopes qui court les rues, et je bénis les statistiques, je les
aime comme ma propre chair ! petites chauve-souris espiègles s’approchant de
mon oreille pour me chuchoter doucettement leur ritournelle, tel un secret
brûlant se mordant la lèvre : sur le nombre de tas, combien de volcans ? Le seul
moyen de la savoir, ma foi, est d’y mettre son doigt ! Dans le noir absolu, il
suffit de craquer une allumette. Me voilà courant après toutes les femmes, tous
les pelotons d’exécutions, splendide et dramatique dans ma toge d’innombrables
échecs. C’était comme de se jeter dans les brisants, et puis de recommencer,
avec plus de plaisir, d’entrain, comme divinement enivré par le sel, l’écume au
goût de vin pétillant. Combien de superbes baffes, de retentissants soufflets,
n’ai-je ainsi essuyé, jour après jour ! La vie sans gants ni parures, la vie à même
l’os et la chair, nom d’un chien ! Et mon tibia danse contre les barres de fer Ŕ on
ne peut de toute manière pas finir la journée avec moins que le rien dont on
l’avait commencée ! Voici mon raisonnement, voici mon crédo ! Hume ! hume
les fesses, les mets ! Sirote jusqu’à l’ultime goutte ! Mais ça n’a pas de fond, ma
parole ! C’est qu’il me passait de telles ivresse lors de ces errances ailées, des
ivresses sans taie ni rayures, ivresses immaculées, ivresses délicates, en éther
tendre et gants de daim, que montait avec leurs vapeurs l’envie soudaine
d’escalader un sommet, de monter jusqu’au point ultime de ma vie, l’envie de
crier mon amour pour celle-ci, de le planter là, dans cette victoire brève, ou
plutôt de le défaire de ma poitrine, ainsi qu’un bouquet de pensées lancé aux
hommes, lancé dans la ville, et mon sang, et la fureur de son cours momentané,
eussent probablement jailli en gerbes de lampadaires, en éclats d’étoiles, en
flocons et flasques de bourbon, éclairant la nuit du ruban mauve de la félicité
d’un amour sans destination… c’était donc si simple que ça, que de vivre ?
Extraordinaire ! La paire de couilles qu’on écrase sur la table du monde ! Je
veux dire, putain de merde, c’est si fou d’être ici ! Au milieu du chaos de la
couleur, il est de ces instants savoureux qui vous font dire : la vie est
décidemment un bien joli siècle pour exister. Le ciel dans les chaussures ! et le
poumon ouvert ainsi qu’une encyclopédie illustrée. Que peut-il faire de mieux,
l’homme débordant de l’espoir qu’il a tué, de sa journée, que de la perdre en ces
petites turgescences échaudées ? Elles sont de toute manière bien moins féroce
que l’on pourrait penser ! Charmantes même, pour certaines qui n’ont pas froid
aux yeux. Oh ! bien sûr, toutes ne peuvent m’aimer ! Mais dans le quelque
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million de salopes à Paris, le chiffre reste tout de même aimablement, sacrément
encourageant ! Bon Dieu ! toutes ces femmes, tous ces épatants mets ! Tapons
dans les centaines, les milliers !... L’optimisme tout au fond du trou. Derrière
une porte soyez sûrs qu’il pétillera toujours une coupe de champagne, si
modique soit-elle, ou bien un mignon petit-four rebondi, parfum crème de
basilic et citron… si on cherche bien, si on serre suffisamment les dents, la vie a
toujours un drôle de tour dans sa manche pour nourrir le bec d’une agonie, pas
grand-chose, pas grand-chose, non, un demi mégot dirons-nous, une petite
partition en chiffon, juste au bord du trottoir, là, gisant patiemment, un tout petit
morceau de musique attendant qu’on souffle dedans, juste assez pour nourrir les
cochons… Et quand je désespère un tantinet, qu’il me coûte d’épousseter une
nouvelle fois mes genouillères, ma fierté, je glisse du côté des sorties scolaires,
où mûrissent lentement les grappes de têtes blondes, et je m’humecte la papille,
ébloui de savoir inétanchable le robinet du Pêché Originel. Je lèche un abricot
rabougri en pensant qu’il s’agit-là d’un orgasme apatride et interstellaire, la
salope universelle aux quelques trois cents quarante-quatre passeports dans le
soutien-gorge ; cependant qu’une bouffée de chaleur me prend lorsque
s’épanouissent devant moi toutes ces primes verdeurs, Vivement quelque
printemps supplémentaires ! que le ver ait dévoré la pomme. Rembobinant mon
éjaculation, je repars vers mes femelles d’un pas guilleret, de l’allant dans le
souffle, heureux du prochain cru qui fermente doucettement, presser d’y tremper
l’orteil, en ayant l’illusion folle de pouvoir vivre quelques milliers d’années
jusqu’à toutes les avoir mises en bouteille.
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Le supermarché ! Quel sublime, délicieux Eden. Le Pectoral Achalandé
contre lequel la ménagerie des femelles vient se consoler avec l’air d’une veuve
qui pleure de chaleur tout en vous pressant le paquet. Admirez-les se jeter à
corps perdu dans les crèmes glacées, elles noient leur médiocre baise de la
veille ! Le Coq rentre dans ses terres choisir sa poularde à rôtir sous la langue
d’un brasier. Il hume et ses biceps s’hérissent en gargouilles et clochers. Quelle
cathédrale, quelle basilique romaine que cet Homme ! Quel Constantinople ! Il a
l’air d’un dôme qui pénètre l’atmosphère. Torse bombé, l’œil sévère comme un
César, il contemple son aquarelle de ramages diaprés ; en l’honneur du Vit les
croupes se sont empanachées de champagne et de ces lordoses qui croustillent
sous la canine. La putain cachée derrière une tasse de porcelaine. Pas à moi ! Pas
à Lui ! Quel choix ! Quelles bouchées sur ce plateau en argent laqué ! Une petite
blonde ? Et une africaine alors, voilà qui serait tout-à-fait bienvenu, tendres
tropiques ! Ce n’est pas possible, m’écrivez-vous : cela n’est pas Français !
Pourtant, quel fantastique rayon d’oiselles ! Quel festin, mon vieux ! Tout est à
portée de main ! et ces pauvres serfs sans imagination qui attendent que le
samedi soir les y autorise pour baver ouvertement ! Bon Dieu ! n’attendez pas la
calvitie pour faire vivre l’Hormone ! Rangez vos portefeuilles et déterrez votre
Héritage, nom d’une Chienne ! Ils bandent à la dérobée. Qu’ils aillent au diable !
Ici le Paradis ressemble au désordre d’un sac-à-main couleur crème. Mes petits
pots de crème ! Badigeonnez mon corps, oignez-moi de vos petits soins ! je
veux pleurer jusqu’à sécheresse en contemplant l’Oignon qui rissole à feu
tamisé. Elles sont là mes mignonnes, mes divines, à chercher l’Amour entre
pomelos et pâté de porc ! Regardez comme elles picorent les prix, comme elles
papillonnent, à l’affût de la Promotion, de la voisine péremption, panier en osier
à l’aile ! Humez, humez braves libidos ! ne sentez-vous l’air de la montagne, des
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pâtures immaculées ? N’entendez-vous cuire les innombrables côtelettes sur le
grill d’un nouvel achat ? Elles tortillent la croupe pour amadouer la bonne
affaire. Bonnes Mères ! Elles brûlent, ces savoureuses ! elles papillotent comme
ces carpes qui glapissent à la surface des eaux marines. Tendez le Membre,
braves libidos, cueillez ces pêches sur leur doux oreiller, elles sont si mûres, si
pleines ! Le printemps ne demande qu’à ce que l’été lui calcine sa dentelle.
Grand diable ! Il fait si chaud, dans les basses régions humaines.
Au rayon sanguinolent je sabote saucisses et jambons. Les cannibales ! les
barbares ! ils vous réduisent en pâles visages géométriques, ils vous plastifient,
vous mettent sous vide ! Mais quand s’arrêtera donc le massacre de la Confiture
pour les cochons ? Je perce les paquets, je libère les chapelets ! Allez, vivez,
respirez ! Il est temps que retrouviez la liberté qu’on vous spolie au nez et à la
barbe des Dieux ! Fuyez braves saucissons, retournez gambader dans vos plaines
sauvages ! Après tout, il n’y a pas que les hommes qui ont le droit de se rouler
dans la boue.
Au rayon fruits et légumes, pléthore d’opulente verdure ; je disperse mes
semences entre deux courgettes mûres. Braves courges ! ne vous morfondez pas,
bientôt vous serez libérez du joug infâme des supermarchés ! Le Libérateur est
là, Prophète de l’agrume et Vaticinateur de la vitamine. Portez en votre cœur
quelques germes de ma Sève, et portez-les avec amour ! Un jour des bébés tigres
rugiront de votre panse et alors vous serez libres de vos chaînes d’immobilité.
Vous pourrez gambader ! galoper ! butiner tous les avocats que vous désirez !
Cuisses écartées, jupe ras la tranche et rugissement au poing levé, vous serez
enfin libérée de votre verte condition ! En avant le Progrès ! En avant la
cuisson !
Concombre disproportionné à la main, je suggère moult atrocités dans quelque
pantomime criant de réalité.
« Mademoiselle vous êtes belle comme un pomelo.
ŕ Ah oui ?
ŕ Comme CE pomelo. Voyez ? Votre poitrine ferait un magnifique verre de
vitamines.
ŕ Vous êtes quoi au juste ?... Une espèce de poète de McDonald ?
ŕ Ça vous plairait hein… Moi et ma grosse bouche moelleuse comme un
hamburger brûlant ! N’est-ce pas, hmm hmm ?
ŕ Je… je crois pas, non.
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ŕ Imaginez-moi un instant, rien qu’un instant, beau comme un grain de
sésame, goûteux comme un steak à l’ananas, souriant à votre bouche grande
ouverte qui brûle de faire de moi votre unique bouchée… Alors ?
ŕ Alors je suis pas intéressée.
ŕ Intéressée ! Intéressée ! Je vous parle pas d’intérêt, je vous parle de
gourmandise.
ŕ Non merci… Je vais garder le pomelo.
ŕ Imaginez Jésus ! Jésus. Je suis comme Jésus, je suis la Générosité même,
je suis le Goût et la Satiété, je disperse mon corps ainsi que le pain, à quelle
oiselle veuille bien le picorer.
ŕ Prophète du Monoprix. C’est charmant, vraiment.
ŕ Allez, croquez ! Croquez je vous dis ! N’ayez pas peur avec la chair ! Elle
est faite pour être dévorée ! Déchiquetez-moi ! Ensanglantez mes os ! Faites de
mon corps les confettis de votre dîner.
ŕ Mais lâchez-moi monsieur ! Vous me faites PEUR. LÂCHEZ-MOI
PUTAIN !
ŕ Calmez-vous mademoiselle, calmez-vous ; vous avez l’air encore plus
belle quand vous vous énervez. J’ai… je… je suis pas sûr que je supporterai tant
de beauté.
ŕ Pffff.
ŕ Ne soyez pas embarrassée, mademoiselle, il ne vous faut plus avoir honte
de vos sentiments.
ŕ Mais c’est quoi ton problème à toi, putain ?
ŕ Je veux juste récupérer le lambeau de peau que vous m’avez pris en
passant.
ŕ Qu’est-ce que c’est que ces histoires ?
ŕ C’est parce que vous avis mis une culotte bleue sous votre pantalon blanc.
C’est assorti à la couleur de mes yeux.
ŕ Oh foutez-moi la paix, hein.
ŕ D’accord. J’accepte. À une condition : offrez-moi d’abord une dynastie.
Cinq mâles, cinq femelles. Le Tigre se fait du souci pour sa perpétuité.
ŕ Plutôt MOURIR !
ŕ La mort ce n’est rien, mademoiselle. C’est d’aimer, le vrai crime. »
Je débraguette un peu plus mon hémorragie, deux doigts plantés tout au fond
de la tripe pour mieux l’étancher. Je flâne parmi les rayons, discret comme un
filet de transpiration sous la plume, petite rainure de carrelage à la vision
élastique, ébahie mais infaillible, j’hante les alentours comme le spectre d’un
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paquet de chips, reflétant mille lueurs gélatines, les carillons de sucreries, de
caries en gestation, je suis une barre chocolatée m’enroulant à toute papille, je
suis l’ombre d’un caddie coupable, éventreur d’appétit, le panier plein
d’éjaculations en boîte de conserve, je suis la petite roulette qui danse en rythme
avec le tango des idées folles, des fois l’haleine bleue d’un réfrigérateur,
d’autres la leptospirose d’une cannette de bière pour clodo, 50cl, 11° d’éthanol,
99 centimes toute l’année, je suis l’ongle d’un code-barres ou bien l’œil d’un
camembert, on peut entendre ma voix chantée par les médiocrités qui passent à
la radio, je susurre des obscénités entre deux publicités infâmes, je suis l’espace
et le temps, l’instant, je suis une émotion qui a pris chair, ou métal, le carton
d’une promotion peut receler à son verso ma semence, le rabais incongru d’un
de mes spermatozoïdes-œufs d’esturgeon ; ma salive trempe dans le lait entier et
c’est mon cœur qui bat, dans les paquets de corn-flakes sucrés, mon plaisir se
disperse en oignons et cornichons aigres et parfois, on trouve même mon visage
dans le cristal d’un congélateur, non loin des briques de poisson pané, parfois
solvaté dans une bouteille d’eau minérale, parfois pulvérisé dans la lessive,
parfois mis en boîte, oui parfaitement ! Caressez-moi ! enfilez-moi, étirez-moi !
Palpez ! Palpez, vous dis-je ! je suis l’affriolant tissu que vous portez à vos
lèvres, je m’accroche, tel un rêve aux bras grand-ouverts, à vos cuisses béantes.
Je suis la Trinité, je suis le string, le papier-toilette et le tampon absorbant vos
mets. Allez-y ! allez-y, vous dis-je ! Oignez-moi ! je brûle d’être le shampooing
affectueusement manipulé par vos soins, d’être l’imprégnation sensuelle, tel
l’ami émollient de vos secrets, le mouvement lent de vos doigts onctueux,
pénétrés, aux ongles si concentrés, débordant en bave de camomille, cependant
que je m’infiltre au plus profond du cuir chevelu, cependant que j’entame, ainsi
qu’un coutelas dans une confidence, votre moelleuse intimité. Et quelle douceur
d’être l’effluve de pêche ou d’ananas que portent en rubans vos tignasses !
d’être la gaze, le serf-volant de votre évanescence. Si j’étais un gant de toilette,
pourrais-je tremper à l’infini dans votre bain ? Imaginez-moi, ragondin timide,
gros comme une éponge, un désir plein, ne serais-je touchant dans ma fourrure
de paillasson, gorgé de vos piétinements ? Je me vois allongé en tas de neige sur
le bas-côté de la baignoire, étendu, prélassé dans vos restes, splendide comme
une carcasse de dauphin dévoré par l’Océan. Votre ordure serait ma soie. Tandis
que le savon nimbé de mousseline me regarderait avec envie, jalousant celui qui
souffle les fruits de son labeur insaisissable ; tandis que des bulles de celui-ci
rejoueraient votre fugitive passion ; tandis que votre kératine, de ténébreuse
origine qu’elle fût, fera ressembler l’acrylique à une tigresse s’abandonnant à ses
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propres griffes. Vos produits de beauté mis sans dessus-dessous pour la gloire
d’une coquette turgescence, tel l’échevèlement d’une gousse de vanille, le
désordre d’une rosée tiède, conteront à leur manière le poème de l’éclosion des
femmes. Écrivez mon nom sur la buée du miroir ! je veux être le reflet de votre
humeur fragile, claire volée de papillons, de boucles et d’arabesques futiles. Ce
seront mes larmes que pleureront vos pieds humides sur le carrelage, d’anciens
sanglots autrefois pris dans l’épiderme. La serviette aussi, d’ailleurs, pleurera un
peu la perte de sa belle peau. Ou peut-être serais-je un canari de plastique,
hérissé de trémulations silencieuses ? Ça alors ! la tête dans vos nuages, mes
piles fondraient, s’électrifieront, et voilà qu’il me pousse de vraies ailes sous les
vibrations ! Fantastique ! Nuit et jour canari devenu Condor je survolerai vos
viscères, rapace à l’affût d’une lueur brève, chaude comme une proie intolérable.
N’oubliez pas de m’étaler après l’amour telle une crème hydratante à
l’entrejambe, j’arde sécher, m’évaporer à votre Soleil ! Cependant qu’au rayon
fromage je grignote les flocons que perd une mignonne boule de neige. Quel
goût a-t-elle, c’est fabuleux ! Il reste aux contours dentelés des traces luisantes
de son rouge-à-lèvre capiteux. Nous nous aimons par vérité nucléaire, par
irréfutable translation mathématique. C’est la relation de Chasles, mes braves
analphabètes. A baise B et C dévore B ! A et C s’embrassent fougueusement en
regardant l’Océan vaporiser dans son embrun quelques bleus projets. Le gros
dindon qui moisit dans son empyrée de roqueforts s’affole en se précipitant sur
moi ! Elle accourt, la brave, elle dodeline, elle bave ses roses bourrelets !
Monsieur, monsieur ! Mais qu’est-ce que vous faites ?! Elle se prend les mains à
la tête, comme dans les tragédies grecques. Drame insoluble pour fromagère
écervelée. Fromagère écervelée recherche barbe de bouc pour faire des bébés
orteils aux ongles incarnés. Fromagère écervelée ronde et replète comme une
meule de Bleu. Elle roule et son visage grassouillet gargouille et s’effraie.
Quelle houri ! quel panaris ! quelle aisselle ! et une halitose avec ça ! À faire fuir
les termites. L’égérie du camembert se sent d’humeur badine ! Laissez donc moi
en paix, meule hirsute !
« Monsieur, monsieur ! hurle ma gorgone. Ce sont les croûtes de comté. »
Va de retro, Satanas ! Cet avorton ne mérite pas même mon mépris. Adieu,
horrible fromagère, macaque en déveine, postillon démoniaque ! adieu, à jamais,
mourrez dans l’oubli de vos cantals, votre grâce est bonne pour le savon,
l’abattoir, grand Dieu, que faire d’un tel avorton ? Cependant que tout un monde
rebondis et parfumé attend avec impatience qu’on en fasse un délicieux torchon.
Mon nez flaire le vice dans les truffes, morilles ou Candida albicans, et le vice
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messieurs-dame, peut porter une jupe dispendieuse, des talons aiguilles ou bien
une grise polaire de caissière. Les prolétaires aussi, peuvent toucher l’Ouvrage...
Que voulez-vous ! J’aime le mauvais goût et les maquillages halogènes, les
lumières artificielles, et j’aime l’odeur de la raie, j’aime la monnaie sale Ŕ vous
savez bien ces rigolotes petites pièces rouges dont on ne sait jamais trop quoi en
faire. Une femme du peuple, bordel ! C’est ainsi l’amour en solde, ce n’est
jamais très reluisant.
« Mademoiselle, j’ai choisi cette caisse rien que parce que vous étiez son
diadème.
ŕ Pardon ?
ŕ Vous couronnez la cime des plus beaux vœux.
ŕ Quoi ?
ŕ Mademoiselle, l’heure est grave. L’heure est belle, c’est un minuit
obscène. Faut que je vous raconte ce qui vient de se passer… J’étais comme ça,
un peu dérouté de ce si vaste royaume, flânant de rayon en rayon sans trouver
quelconque satisfaction à mes prospections, et j’allais désormais tranquillement
rentrer chez moi, bricoler ma fusée, quand soudain, ta ta din ! je vous le donne
en mille Ŕ mais oui ma chère, vous, tout simplement vous ! Alors que me suis-je
dit ? Voilà quelques siècles qu’on envoie les fusées dans le mauvais ciel.
ŕ Hé ! y’en a qu’attendent derrière.
ŕ Et bien vous patienterez quelques minutes pour ronger votre pâté, porcépic libidineux ! Je discute avec la Beauté.
ŕ Lidibineux toi-même !
ŕ Madame vous troublez mon inspiration. Bonté divine, que quelqu’un fasse
taire cette bonne-femme à jamais ! Qu’on l’assassine, qu’on la cuise à l’étouffée,
par pitié ! Les aérations manquent quand elle ouvre la bouche. Bien. À nous
deux, mademoiselle. Tout d’abord ! mes félicitations. Le mois de Décembre est
un plus qu’un honneur, à dire vrai, c’est une véritable consécration. Réchauffer
Décembre est une tâche bien compliquée.
ŕ J’entends pas ce que vous dites monsieur.
ŕ C’est parce que mes mots se bousculent pour vous regarder.
Mademoiselle, écoutez ça : je vous ai élue la plus belle caissière de mois de
Décembre. Une Grâce, point n’est-ce ?
ŕ C’est 8€36. Vous voulez un sac plastique ?
ŕ Non mademoiselle ! Non. Ce n’est pas 8€36, mademoiselle. C’est la vie,
ici, dont il s’agit. La vie ! Ne tombons dans le piège des barbares, mademoiselle,
ne chiffrons pas les étoiles ou les années ou les femmes. Laissons leur tous les
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zéros qu’ils veulent, mademoiselle, ils n’auront pas l’infini. Laissons-leur l’or !
nous voulons le collier.
ŕ Hé ! Va s’dépêcher l’beau-parleur ? Ouais, merde à la fin ! On est pressé,
nous autres ! Et moi alors ?! J’suis garé en double-file. DÊPECHE-TOI,
PUTAIN ! Ouais ouais, on en a marre d’te voir causer à la fin !
ŕ Ah je vois ! Les cafards copulent en meute infâme ! Vous ne me faites pas
peur, vampires ! Je ne reculerai pas, j’avancerai la tête haute, qu’importe vos
griffes, qu’importes vos malédictions ! Vous ne m’empêcherez pas de vivre,
m’entendez-vous ? Regardez vos mains, vampires ! Regardez vos cabas, ouvrez
vos sacs ! Touchez ! Sentez ! Ça n’est que du plastique. Ça ne vit pas ! ça ne
pleure pas et le soir, braves vampires, ça ne vibre pas en se convaincant que
demain peut-être sera meilleur. Ce n’est rien que du plastique. Vous ne
comprenez donc pas ? Ne voyez-vous le Précipice étendre ses molles ténèbres ?
Vous serez pour vos maîtres ce même jouet dès lors que vous lui accorderez
toute importance. Il nous faut nous en défaire, il nous faut le déchirer de nos
poitrines ! il le faut avant qu’il ne contamine notre sternum, braves ouailles.
Soyons le cœur avant qu’il n’explose pour de bon. Le plastique n’a pas d’odeur,
il n’a pas de visage ni de prunelle ! imagineriez-vous ce pauvre petit plastique en
train de jouer de la flûte péruvienne, de vous coller sa main au fond des
intestins ? Ensemble, nous devons viser l’os et la peau. Ce doit être notre seule
préoccupation. L’os et la peau. Oublions le vent, oublions la spéculation !
Délaissez vos jouets, délaissez vos harnais ! Aimez l’os et la peau, mes braves
ouailles, aimez-là parce qu’elle est la seule vérité. La seule vérité, brave ouailles,
aimons-là, puisque nous devons la quitter. Comprenez-vous la Tragédie qu’on
tente de vous dissimuler ? Elle est triste mais elle mérite d’être contemplée.
Alors, ne vous droguez pas de vos fumées, sublimes ouailles, parce que vous
êtes beaux, oui, vous êtes sublimes, dissipez les masques de l’oubli, déchirez ce
voile infâme ! La vérité n’est pas accrochée à un cintre, elle n’a pas d’antivol ! il
nous faut la suer, il nous faut la saigner, elle ne s’acquiert pas en solde le temps
seul pourra jamais vous la murmurer. Et quand vous serez triste et quand la nuit
n’aura de fin, quand vous serez faibles et que le plastique vous sera doux,
n’oubliez pas que les pièces douloureuses qui remuent tant votre sang sont celles
qui vous animent de vos plus amples mouvements. Ce ne sont que des bibelots,
tragiques ouailles, ce ne sont que des polymères d’indigente avidité ! Ayez
faim ! oui ! Mais ayez faim d’os et de peau. Avec moi, tous ensemble partons en
croisade récupérer nos châteaux ! Nous allons Vivre, nom d’une chaîne !
ŕ Carte bleue ou espèces, monsieur ? »
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« QUI VA LÀ ????
ŕ OU-OUH, C’EST MOI !
ŕ MAIS C’EST PAS POSSIBLE, PUTAIN ! QU’EST-CE QUE TU FOUS
DÉJÀ DE RETOUR ?!.... AVEC CE TON DE PETIT MERDEUX, ÇA M’A
TOUT L’AIR D’ÊTRE UNE NOUVELLE CRASSE… C’EST L’AUTRE
DINGO QU’EST AVEC TOI ?
ŕ NON PAPA, ELLE EST PAS LÀ.
ŕ PARCE QUE SI ELLE T’EMMERDE, TU TE LAISSES PAS FAIRE
FILSTON, LES POUBELLES ON LES JETTE À L’HEURE QU’ON VEUT !
MERDE, QUOI ! ON EST PROPRIÉTAIRES ET FRANÇAIS ET FIERS
COMME DES COQS EN 98 ! C’EST PAS UNE PORTOS DE MES DEUX
QUI VA FAIRE SA LOI CHEZ NOUS !
ŕ C’EST PAS ELLE. C’EST JUSTE MOI.
ŕ ET BAH QUOI C’EST JUSTE TOI ??? EXPLIQUE-TOI NOM DE
DIEU !
ŕ JE REVIENS PAS LES MAINS VIDES, PAPA.
ŕ ET BAH QUOI, T’AS TROUVÉ DU TRAVAIL ??? UN CONNARD A
FINALEMENT BIEN VOULU DE TOI ??? J’ESPÈRE QUE TU LUI AS PAS
DÉJÀ CASSÉ LES COUILLES AVEC TES HISTOIRES DE GRASSE
MATINÉE !
ŕ C’EST PAS ÇA, PAPA. J’AI PAS TROUVÉ DU TRAVAIL.
ŕ ÇA M’AURAIT ÉTONNÉ, TIENS ! INCAPABLE !!!
ŕ JE T’AI ACHETÉ TON LAIT DE SOJA BIO, PAPA.
ŕ AH BON ?
ŕ OUI PAPA, J’EN AI PRIS DEUX BRIQUES DE BIEN FRAIS. TA
MARQUE PRÉFÉRÉE.
ŕ ATTENDS, ATTENDS UN PEU ! DÉJÀ, OU EST-CE QUE TU L’AS
ACHETÉ ?
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ŕ AU SUPERMARCHÉ.
ŕ TU L’AS PAS ACHETÉ À L’ÉPICERIE D’EN BAS, PAS VRAI ?? JE
VEUX PLUS DONNER UN CENTIME À CET ESCROC. C’EST UN
VÉRITABLE TERRORISTE, MA PAROLE !
ŕ NON PAPA, JE L’AI ACHETÉ AU SUPERMARCHÉ.
ŕ BIEN. ET QUELLE COULEUR ELLES ONT, LES BRIQUES ??
VERTES OU CE BLEU DÉGUEULASSE ???
ŕ J’AI PRIS LES VERTES PAPA, CELLES QUI TE FONT DU BIEN AU
VENTRE.
ŕ SOJA DU PARAGUAY ! BIEN JOUÉ FILSTON, JE SUIS FIER DE TOI.
LE SOJA DU PARAGUAY EST EXCELLENT POUR MON ULCÈRE.
ŕ JE SAIS, PAPA.
ŕ ET BAH FOUS-MOI ÇA AU FRIGO AVANT QUE ÇA NE TOURNE !
ŕ D’ACCORD !
ŕ MAIS PAS A CÔTÉ DE TA PUTAIN DE PILE DE NOYAUX
D’AVOCATS. DANS MA PARTIE DU FRIGO. TU M’AS DÉJÀ FAIT LE
COUP LA DERNIÈRE FOIS ET Ç’A CONSIDERABLEMENT ALTÉRÉ LA
QUALITÉ ORGANOLEPTIQUE DE MON SOJA PARAGUAYEN.
ŕ JE SAIS, PAPA.
ŕ TU SAIS, TU SAIS ! TU DIS ÇA À CHAQUE FOIS, MAIS TU
M’ÉCOUTES JAMAIS !!! AH ! TU ME METS DANS DES RAGES FOLLES,
DES FOIS !! SI SEULEMENT T’ETAIS CAPABLE D’ÉCOUTER LES
GENS, DE TEMPS EN TEMPS.
ŕ J’ESSAIE PAPA, J’ESSAIE BEAUCOUP MAIS J’Y ARRIVE PAS. ILS
ME FONT TROP MAL À LA TÊTE.
ŕ BON BON ! TU LES METS AU FRIGO, OUI OU MERDE ?!
ŕ C’EST BON, PAPA.
ŕ ET N’Y METS PAS LE BORDEL, HEIN ! SI CHAQUE CHOSE A
L’AIR À SA PLACE, C’EST QU’ELLE Y EST ! SPECIALEMENT MON
CURCUMA.
ŕ J’AI FAIT ATTENTION À TON CURCUMA, NE T’INQUIÈTE PAS.
ŕ LA TEMPÉRATURE DU FRIGO ??
ŕ CINQ DEGRÈS, PAPA ! LA TEMPERATURE PARFAITE POUR LA
BONNE CONSERVATION DU CURCUMA.
ŕ BON BON CALME-TOI UN PEU, TU VAS ME RÉVEILLER
L’ESTOMAC.
ŕ ET TON MAGENTA, PAPA, COMMENT IL SE PORTE ?
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ŕ ÇA AVANCE, FILSTON, ÇA AVANCE DOUCEMENT… TU SAIS
FILSTON… ÇA PREND DU TEMPS CE GENRE DE CHOSES. FAUT PAS
CROIRE QU’UN GARS COMME DALI PAR EXEMPLE, OU COMME
VELASQUEZ, CE BON VIEUX VELASQUEZ ! FAUT PAS CROIRE QUE
DES GARS COMME ÇA SONT DEVENUS CE QU’ILS SONT EN PEU DE
TEMPS. C’EST UNE QUESTION D’ANNÉES, FILSTON, DE PLUSIEURS
VIES MÊME, SOUVENT.
ŕ JE SAIS ÇA, PAPA, MAIS JE NE ME FAIS AUCUN SOUCIS. JE
CROIS FORT EN TOI, PAPA.
ŕ OUAIS ? BAH MOI PAS DU TOUT, LA PLUPART DU TEMPS.
ŕ IL FAUT QUE TU CROIES EN TOI, PAPA. SINON QUI VA LE FAIRE
POUR TOI ?
ŕ … ANTOINE ?
ŕ QU’EST-CE QU’IL Y A PAPA ? TU VEUX QUE JE T’APPORTE UN
VERRE DE LAIT DE TON SOJA DU PARAGUAY ?
ŕ NON, NON… C’EST PAS L’HEURE DE MES PROSTAGLANDINES,
ENCORE.
ŕ D’ACCORD, PAPA.
ŕ … ANTOINE ?
ŕ OUI PAPA ?
ŕ BAH… EUH… C’EST SYMPA D’AVOIR PENSÉ À MOI.
ŕ JE PENSE TOUT LE TEMPS À TOI, PAPA.
ŕ QU’EST-CE QUE TU RACONTES, BORDEL DE MERDE ?!! T’AS
RIEN DE MIEUX À FOUTRE QUE DE PENSER À MOI ???
ŕ C’EST QUE JE VOIS LE MONDE ET QUE JE TROUVE QU’IL SERA
JAMAIS PLUS BEAU QUE DANS TON MAGENTA.
ŕ IL EST MÊME PAS FINI, MON MAGENTA !!!
ŕ ÇA VA PAS TARDER, PAPA. JE L’AI LU DANS UN NOYAU
D’AVOCAT.
ŕ ARRÊTE TES CONNERIES, FILSTON, TU VEUX ?
ŕ T’ES UN SEIGNEUR, PAPA. JE SUIS FIER D’AVOIR TON SANG QUI
COULE DANS MON BRAS.
ŕ BON, DOUCEMENT FILSTON ! DOUCEMENT ! ON VA QUAND
MÊME PAS SE METTRE À SE TAILLER DES PIPES COMME DES
PUTAINS DE BRÉSILIENNES, SI ? »
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Boulevard de Rochechouart, il y a cette annonce qui dit qu’on recherche
jusqu’à l’interstellaire un astronaute pour vendre des godemichets. Dans la
vitrine ils tirent leurs langues immenses ; je sors le Roi de sa Braguette pour
mieux étendre ma prééminence. Quel Panache n’ai-je entre les jambes !
L’Hoplite et sa Lance. Tonio la Statue Grecque Antique. Les godemichets
jusqu’à l’extincteur s’inclinent humblement devant Hermès délivré de son
Thermomètre. Le Pape tend sa main et on la lui baise comme à un Saint. SaintAntoine dans le désert des tentations perpétuelles. Il est revenu ! il revient, la
tête haute et les épaules bombées ! Le Tigre a Vu ; il étend sa toge diaprée de
flammes. Je vous bénis, brave godemichets ! Bénis soient les boutoirs, les
béliers ! Quand je lève ma tête et regarde autour de moi, oui, quand je regarde
autour de moi, une fierté immense m’emplit la poitrine. Nous pouvons être fiers
de ce que nous sommes. Nous sommes les Serviteurs du Plaisir de nos Bonnes
Dames, les derniers Apaches d’une race qui débande. Oui, je regarde autour de
moi et je sais que la Relève est assurée, je sais que mon combat est le vôtre et
quand vous entrez dans un vagin, je sais que vous ne frappez pas à la porte, je
sais que vous ne vous essuyez pas les pieds. Braves Michets, soyez les toréadors
fiers de votre pédigrée ! Éventrez-moi donc toutes ces petites extases qui se
perdent en ébullitions ! Hachez-moi tout ça ! Faites-en de la lasagne, du
clafoutis, de la compote, qu’importe ! Faites-moi jouir toutes les femmes ! Que
vos souples rêves de silicone épousent annulaire et fantasmes. Je vous regarde,
Braves Michet, et je rêve de ce jour, et ce jour viendra, Brave Michets, ne
perdez jamais la foi Ŕ je rêve de ce jour où le matin apportera dans sa paume
bleutée la faucille, le Michet, que le prolétariat, main dans la main avec l’Extase,
renversera la dictature molle du Grand Capital qui spolie nos femmes, nos
vagins qui nous reviennent de droit. Plus de propriété, Braves Michets ! Le
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Plaisir pour toutes les bourses, nom d’une chienne ! Le Monde sera libre de ses
chaînes, de ses clôtures de billets ; les femmes danseront nues sur la cime des
fontaines et on fera l’Amour dans des moules à pâtissiers. Alors quand je
mourrai mes frères, lorsque mon souvenir nourrira la vermine, Vénus m’offrira
sa cuisse et de tout là-haut, je vous dirais combien la Terre est belle.
« Salut.
ŕ Hello hello ! Il est inscrit que vous cherchez un Homme digne de cet
Endroit.
ŕ Quoi ?... Fais attention à c’tas d’ordures, p’tit, tu veux ?
ŕ L’Annonce. J’ai vu l’Annonce Ŕ ne m’appelez pas Jésus, contentons-nous
Tonio, voulez- vous ? Tonio Le Tigre.
ŕ Joseph.
ŕ Prénom biblique, point n’est-ce ? Seriez-vous d’origine judéo-chrétienne,
des fois ?
ŕ J’suis d’Barbès, moi.
ŕ De Barbès ! Quel Saint Homme ! Quelle Sainte Barbe ! Quel humour,
nom d’un chien ! Voilà ce que j’appelle un Homme Libre. Vous et moi, Joseph,
nous sommes de la même liqueur.
ŕ Ouais ?
ŕ Vos yeux brûlent de chairs astrales, Brave Joseph… Vous êtes un Homme
Libre, point n’est-ce ?
ŕ Bin… dans une heure j’ai terminé, moi.
ŕ Dans une heure il a terminé ! Quel homme exquis, bon Dieu ! N’ayez
crainte, Brave Joseph, je goûte à votre subtilité comme on le fait d’un met
exquis. Vous êtes un Homme Libre et par-dessus le Marché, un Homme de
Cœur.
ŕ T’as un CV ?
ŕ Un CV ! Ah-ah ! Vous êtes décidemment un être tout à fait fantasque !
Seriez-vous un des descendants insoupçonnés du Roi Soleil ? Une parenté
quelconque, une reviviscence providentielle ? Ou bien une simple noblesse
naturelle ?
ŕ Fais attention à mon tas d’ordures, ch’te dit ! J’viens d’passer une plombe
à décrasser cette putain d’porcherie !
ŕ N’ayez honte, Jo !... Vous permettez que je vous appelle Jo ?
ŕ Nan.
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ŕ Non, il ne vous faut avoir honte de rien : dans le triste désert des hommes
il n’y a que les scorpions qui mangent à leur faim. Je ne suis pas n’importe qui,
Jo, je vous comprends, je vous sens…
ŕ Enlève ta main d’mon épaule, p’tit gars.
ŕ Cette bonne vieille pudibonderie anglo-saxonne ! N’ayez honte, Jo, parce
que je vous ai Vu, je vous ai Écouté, j’ai vu vos Guenilles, j’ai vu vos Godasses
et je vous ai vu balayé, je vous ai vu faire la nique aux putains, aux dévoyés, je
vous ai vu sur les pointes de votre grâce crottée, votre garde-boue est un tutu qui
resplendit comme une rare merveille. Alors n’ayez honte de vous-même,
Jo, n’ayez crainte je sais vos tourments, je sais vos peines, je sais vos plaies
puisqu’elles sont les Miennes.
ŕ Combien d’fois j’vais devoir t’dire de….
ŕ Ne perdez pas espoir, Frère Joseph. L’espoir est un sang bleu, et en ma
poitrine brûle le matin d’un sentiment neuf, j’ai la certitude de cet horizon voisin
où la terre enfin ouvrira ses bras pour la Beauté, où elle lui fera belle place
parmi le ciel de ses pensées, et ce jour-là, les hommes jetteront une flamboyante
poignée de vœux à la face de votre reflet. Avec ou sans Jésus, avec ou sans
l’approbation Divine, viendra ce jour où des temples de culottes fraîches
détremperont sous notre candélabre… Le monde saura enfin qu’un hère n’est
jamais qu’un prince qui joue de la flûte de pan en tournant le dos aux courtisans.
ŕ Mais qu’est-ce que tu me racontes, petit ? T’as dix-huit piges, déjà ?
ŕ Dix-huit piges ! Quel vocabulaire, quel Français ! Bravo Joseph ! Hugo
peut être fier de ses Enfants… Brave Joseph, j’ai mille ans. Je suis l’Homme que
persécutent les philistins du temps éternel. Ne vous sentez pas seul, Joseph.
Parce que vous n’êtes pas seul. Vous ne l’êtes pas. Vous ne l’êtes plus.
Étreignons-nous, Brave Joseph, que s’embrase notre sang de reconnaître un
Frère, que dis-je ! un même Satin. Touchez ma poitrine, Joseph ; voyez nos
communes meurtrissures !
ŕ OH ! fais gaffe un peu où tu mets les pieds cht’ai d’jà dit !
ŕ Ce tas d’ordure ou un autre, qu’importe Frère Joseph ? Nous foulons le
temps immense comme une déchetterie à la recherche d’ongles et d’arrêtes de
poisson à sucer. Vos pieds comme les miens sont des fleurs de fumier.
ŕ Mais qu’est-ce tu racontes à la fin, putain de merde ???
ŕ Joseph je vous ai…
ŕ Oh putain, ça y’est ! J’te r’mémore, toi ! Je te r’mémore. T’es ce gars-là à
cause de qui y’a c’bar qu’a brûlé, pas vrai ?? Le caméléon, c’est ça ???
ŕ Vous connaissez Monsieur Khelifa, je suppose ?
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ŕ J’le connais l’Khelifa, comme tout le monde ici. Khelifa il aime pas qu’on
tourmente ses filles pendant qu’elles travaillent et il aime encore moins que ça
cause du mauvais. Tu vois l’genre ? Un bar qui crame et ses filles qui glandent,
Khelifa c’est pas le genre à trouver ça très marrant… Fais gaffe, vieux. Il a
placardé ta gueule dans tout Pigalle.
ŕ Ma beauté peuple donc les Esprits Saints ? Elle vous a frappé n’est-ce
pas ? Une femme a dit de mes lèvres que…
ŕ Barre-toi d’ici, j’te dis. Khelifa veut ta peau.
ŕ Ah ah ah ! Mais qu’est-ce qu’il devient au fait, ce bon vieux Khelifa ?
Toujours l’éternel farceur d’homosexuels ?
ŕ Tiens, attends, bouge pas… Là, c’est bien toi, pas vrai ? Tonio Le Tigre,
mort ou vif, soixante-neuf centimes.
ŕ Mon vieux ! quelle photo ! Je m’étonne, je m’éparpille, je m’épate de mon
propre éclat ! Selon moi, l’été n’est que la masturbation du soleil. D’ailleurs,
vous savez ce qu’une femme a dit de mes lèvres ? Elle a dit que…
ŕ Écoute, p’tit. Pigalle c’est pas Paris. Paris c’est d’la poudre aux yeux ;
Pigalle, c’est d’la poudre au blaze. Tu comprends ? Un gars comme toi ici, avec
sa petite gueule bien en place, il va perdre du cartilage, tu comprends ? T’as l’air
sympa et ta gueule m’est pas trop désagréable. C’est pour ça que je te préviens.
Seulement pour ça. Khelifa, c’est pas un rigolo. Son foie d’morue, il le fait à
base de p’tits malins. Tu veux pas finir en foie d’morue, toi ?
ŕ Cette femme. Blonde aux avantages brûlants. Rita Sulfure, pour les
intimes. Elle a dit que mes lèvres ressemblaient à un coussin de velours sur
lequel serait posée une pile d’orgasmes à retardements. Voyez… quand je les
exhale, avouez que c’est troublant ? On peut entendre les TIC-TAC de
l’orgasme en gestation.
ŕ Putain mais range tes foutues lèvres de salopes de mon magasin !... Bon
ça suffit maintenant j’ai assez entendu tes conneries, qu’est-ce que tu veux ??
Allez, qu’est-ce que tu veux à la fin mon gars ??? Crache le morceau j’ai pas de
temps à perdre avec les rigolos. Qu’est-ce tu veux ?
ŕ Je veux que tu tètes mon sein et qu’ensemble nous allions récupérer le
royaume que les porcs nous ont spoliés. Brisons nos balais pour aller empaler
nos maîtres avec, faisons-en les étendards rougeoyants de notre colère sans
apaisement ! Tapons dans le tas d’ordures !
ŕ MON TAS D’ORDURES PUTAIN !
ŕ Féroce, point n’est-ce ?... Oui tu es beau, ta colère est belle, ta colère est
saine, n’aie honte d’elle ! Tu es beau ! Tu es férocement beau ! Patine !
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Entrechate ! Virevolte ! Brise les gonds ! Ils ne t’atteindront jamais, tes pieds
magnifiques snobent la pesanteur !
ŕ ALLEZ C’EST BON, CIRCULEZ ! CIRCULEZ, CH’TE DIS ! J’VEUX
PLUS TE VOIR !
ŕ Pourquoi s’entredéchirer, Brave Joseph ? Nous sommes amis, nous
sommes Frères, nom d’une chaîne !
ŕ ALLEZ ÇA SUFFIT ! ÇA SUFFIT ! Y’A PLUS DE FRÈRE NI D’AMIS
NI DE RIEN DU TOUT ! FOUS-MOI LA PAIX, TU VEUX ?
ŕ Du calme, du calme mon bon Joseph. C’est l’injustice qui vous fait parler.
Ne laissez pas la colère et l’amertume entamer votre pureté de cœur. Nous
n’allons quand même pas nous quereller pour une futile histoire de rivalité ? Pas
ça, pas nous ! Je sais que brûle en vous le cœur d’un preux chevalier… Mais
toute bonne chose à une fin, point n’est-ce ? J’ai du lait sur le feu, si vous voyez
ce que je veux dire. Quand je parle de lait, je parle de femmes, voyez-vous.
Figurez-vous cette panthère wonderful étendue sur un taffetas rouge crépuscule,
sa hanche brûlant tel un impatient gâteau d’anniversaire. Elle pèse quatre-vingtdix kilos de Vice Flamboyant. Brave Joseph, voici ma carte de visite. J’ai de
grands projets pour nous, pour cet endroit. Main dans la main, de grandes choses
vont naître de notre Collaboration. Je suis votre Homme, Joseph, et si je ne le
suis pas, appelez-moi quand même de temps à autre. Nous ferons en brin de
causette en supputant la Fin Des Temps. »
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En sortant de là, il faisait froid et gris. L’eau molle buvant le monde, le béton
ductile, le choléra sur Paris. Tout à fait le genre de temps qui vous balance des
cailloux dans le dos en gueulant RENTREZ DANS VOS ENFERS, BANDE DE
DAMNÉS ! Bon quand même après tout, il pleut et c’est moche OK quand il
pleut, mais les filles elles, elles restent jolies quand même, pas vrai ? La pluie
d’une certaine manière, rend encore plus jolies les choses qui l’étaient déjà.
Prenez le soleil. Un peu de pluie qu’il lui vient des idées de couleurs, au soleil,
des idées de comédie italienne. Ou le pavé. Le pavé la nuit, mouillé des
lampadaires c’est splendide, j’adore ça. Ça donne de l’atmosphère aux idées.
Tout est si palpable dans l’ombre, l’humidité. On a l’impression que le monde
ne tient qu’à un fil, qu’il suspend tout près sa petite catastrophe Ŕ quand un
caillou tombé du ciel eût le fracas d’une bombe. Des petites mains agiles
s’agitent dans les ténèbres, des mains gantées, ailées, légères, invisibles, tissent
de curieuses étoffes, dénouent des fragrances, des rubans voluptueux ; des
cloportes édifient leur ruine sous roche ; des rêves mettent leur plus belle robe Ŕ
revolvers dans un fourreau de chair, camouflant leur mort dans l’apparat du
sommeil ; il y a les phares des voitures, ils brillent comme des libellules aux
gènes trafiqués, la peau du monde est comme retournée, elle est sombre et fine,
à fleur d’éruption. On en voudrait presque marcher pieds-nus, de peur d’abîmer
tout ça. Faut voir marcher une femme la nuit à la lueur trempée des réverbères,
écouter ses pas qui emplissent la rue. Ou la cigarette d’un gangster, dans le clairobscur, qui s’échappe par-delà son feutre, et reproduit la métaphore de ses
rêveries… La nuit, ouais, c’est plus sombre qu’aucune salle de cinéma ; la nuit,
tous les hommes portent des chapeaux, toutes les femmes sont désirables, elles
sont autant d’étoiles en talons-aiguilles. Ça vient de là-haut je crois, du ciel, et
puis du fracas qu’il fait ici-bas, en faisant tomber son porte-monnaie.
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Je m’enveloppe dans une langue d’oie obèse, j’obstrue mes sacs lacrymaux
avec une boite de confettis, mes sourcils deviennent des peintures de guerre
péruviennes. J’invoque la pluie de venir nous noyer, qu’on biberonne jusqu’en
éclater ! Je réponds à la folie du monde en débraguettant ma cervelle. Le monde
est un spermatozoïde collé au néant, et les étoiles, des putains inabordables.
Peut-être que loin d’ici, à quelques milliers d’univers, deux hydrogènes violent
un caillou d’oxygène sous un soleil noir et obscène, pas un cri dans le vide, pas
d’échappatoire, et une goutte d’eau jaillit, promet une vie nouvelle. Une verge
énorme et violacée au milieu d’un trou noir sans fond remue de douleur, une
chaude-pisse éclate de son urètre pour créer une race nouvelle ; j’ouvre les
vannes de ma cosmogonie séminifère, j’inspire fort et sens de nouveaux poils
pubiens me pousser dans la cervelle... Je regarde le ciel comme je l’ai regardé
des millions de fois. Je regarde les étoiles, la nuit, comme une
promesse indéchiffrable ; j’ai l’impression d’entendre cette femme qui respire
fort dans l’obscurité, qui m’attendrait tout au bout de celle-ci. Je peux presque la
voir, peinte sur le clair de lune… cependant qu’elle joue avec les mille facettes
de ses lueurs, qu’elle palpite pour mieux mentir… J’inspire, l’air est une
cigarette fraîche, un baiser sans bouche ; le vent tournoie, charrie des rires
errants, des souvenirs décharnés, de vieux papier-journaux où s’inscrit en
diverses calligraphies le mot PETITE CULOTTE. Ici ou ailleurs il n’y a pas un
bruit, pas âme qui vive. Je suis seul et triste et minéral dans une boîte à
chaussure vide… des veuves chantent leurs pertes, des veuves noires, d’autres
argentines, derrière un tulle de sombres larmes, de longs chapeaux où la lumière
est un ombrage… il fait si froid dans ce désert et ne me console pas même
l’essor de ces fontaines de marbre, tous ces cadavres d’anges rieurs… c’est
l’angoisse des cathédrale, des vitraux où ne filtre guère plus qu’un
ensanglantement solitaire… pourtant… Pourtant je m’éclaircis la gorge,
expectore un nuage de glaire ; je sais qu’il est des fenêtres entrouvertes, un peu
partout sur cette planète… Je m’en vais une nouvelle fois me perdre dans le
souffle du monde, les pans de ma veste cherchant des lèvres de ténébreux
hasards… Je cligne des yeux cependant que l’obscurité se désagrège, le jour est
une triste craie sans support, et les étoiles, taries, desséchées, neigent leurs
cicatrices de lumières. Mes semelles crissent sur le sol ainsi qu’un cadavre
gênant, une boule de bagnard prisonnière de l’intérieur Ŕ mes tarses font un bruit
de verre pilé. Quand je bute sur une soudaine brèche, une faille dans les
époques. Sous mon talon saigne un angelot à demi-écrasé, comme décollé trop
brusquement d’un vif secret. Ses organes dansent à même l’air comme un orgue
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que la musique éviscère ; une eau de roche poudroie, assemble un cortège
alentour cette sanglante noce Ŕ les restes d’une vierge en vapeurs. Je
m’approche, haletant, le souffle en collier d’atomes, l’œil nageant dans une
charogne. Je déplie le petit vélin blanc plié avec soin, parfumé, bouclé,
narcotique. Deux bras, telle l’invitation fraternelle, tel l’amour offrant sa
poitrine, s’ouvrent sur un message à l’infinie couleur.
Massage naturiste : Chez Rita Sulfure.
Un billet doux soufflé par les colombes ! Vous me gâtez, blanches nattes de
plumes ! Mais qu’est-ce ? que vois-je ??? Le Destin transpire de l’aisselle. Rita ?
ma Rita ?! Ici, à Paris ? Quelle nouvelle ! Peut-être est-ce ainsi que chantent les
murs ? Paris tout entier devient un gros gâteau à la crème ! Les immeubles les
plus délabrés se parent de sucre glacé et de petits macarons aux balcons de fer
forgé. À croquer ! À croquer. La vie s’empourpre de vin épais, quand l’espoir
revêt son plus beau cristal. Attends-moi, Rita ! attend-moi, j’ai rendez-vous avec
l’ivresse. Brune ou blonde, quelle importance depuis l’œil d’une abeille ? Rita
Rita Rita ! Quels reptiles se meuvent sous tes draps ? Il y a des écailles de soleil
qui perlent aux replis de ta nuit.
Massage naturiste : Chez Rita Sulfure. Quel billet ! D’un goût ! Sûrement
dessiné des doigts d’une grâce fine, d’une belle coulée porcelaine se consumant
à l’intérieur de sa chair frêle, une sensibilité d’artiste, d’aquarelle… Mon doux
messager se recroqueville brusquement, ravalant les yeux doux de ses
hiéroglyphes. Paf ! éclate un phalène. Il s’exhale, il volète, il fonce et sirote les
boissons des lampadaires et moi, pauvre hère assoiffé, poursuivant la folle
course de ma fleur au cœur d’hélium, je rêve d’être le ténia qui partagerait pain
et bile avec Rita. Ventouses collées à sa chair, qu’il serait bon de vivre parmi ses
viscères ! Voyez Rita, je me perds en alliances pour vous demander de m’aimer.
Nous poursuivons cette course folle et les gens m’insultent comme je les pousse,
ils conspuent celui qui brûle d’aimer, les cafards ! Allez au diable ! Je m’en vais
rejoindre les éthers. Devant une bâtisse gris perle le message se dissout derrière
une goutte de mercure ; un souffle et la porte s’ouvre tel un pissenlit en
automne. Il y a cette moquette rouge qui gonfle dans la chaleur des fautes qu’on
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effeuille, l’ébullition d’impossibles vœux que tire-bouchonne le Ciel, cependant
que saigne un encens voluptueux, qu’une meute de hyènes se dépèce de ses
vieilles frusques pour des foulards de scouts, d’enfants de chœur. Au milieu de
la copulation des métamorphoses, de la mue des gorges en éclaboussures, une
fée drapée de cierges et de rouge-à-lèvre. Elle regarde ses feuillets et quand elle
ouvre la bouche pour chanter, sa voix habille l’air de ces nuits claires qu’on
passe à contempler leurs songes filer et disparaître à jamais. Une connasse en
chasse une autre et on se demande quel glorieux fils de pute a gardé ÇA bien au
fond de ses couilles pendant tant d’années. Soyons reconnaissants aux pères des
salopes déliquescentes puisque nous sommes destinés à l’être nous aussi, quand
la Mygale nous mangera les viscères. Quand elle a levé les yeux, que ses yeux
se sont posés sur moi, que ses cils m’ont empalé à leur rêve, j’ai rigolé pour
moi-même en bénissant la vie, cette sacrée coquine de vie qui cache
décidemment toujours quelque nuisette affriolante, dans sa penderie obscure.
C’est toujours pareil, hein, c’est toujours pareil. On se dit C’EST BIEN LA
DERNIÈRE FOIS QUE JE FAIS LE CONNARD et puis voilà que l’inconnu
vous balance son plus flamme regard… C’est comme ça qu’on tient le coup, on
grignote les miettes en imaginant les miches de la boulangère. Moi je dis qu’on
est fort les humains, à parvenir à flamboyer en étant des perdants-nés. Les vrais
gagnants dans l’histoire, ce sont qu’ont compris qu’il y avait rien de mieux à
faire que de perdre indéfiniment. C’est rien qu’une sodomie pour soi-même, de
se décourager.
Je pourrais vous la décrire Rita, enfiler les mots en colliers pour vous décorer
la verge, mais franchement, les mots… après tout on fait pas l’amour avec un
scalpel, pas vrai ? Et puis de toute manière vous la verriez pas. Pour ça, faudrait
vous figurer les rêves d’un aveugle le soir du Quatorze Juillet.
Elle était là et autour ils étaient flous comme des lunettes de myopes. On
voyait qu’il y avait quelque-chose, des formes, des trucs coulés dans la
bouillabaisse, gris, grisâtres et mollardeux, des trucs qui étaient là, mais qui
l’étaient pas vraiment. C’est ce que sont la plupart des gens. Le but de la vie,
c’est de se donner soif jusqu’avoir des hallucinations de chercheur d’or. La
pépite c’est du plaqué, c’est pas du plaqué, c’est du dix carats, du neuf-centième
de carat, qu’est-ce qu’on en a à foutre ??? C’est l’insolation qui réverbère
l’éclat. La scène, le diadème ou les vivats, aucune importance voyez-vous : c’est
dans l’œil du spectateur que le drame se dispute les parures. Je sais même pas
combien de temps je suis resté là, à regarder le temps se pomponner. Elle
donnait bon teint à tout bordel, elle donnait même bon teint au Pape. Je le
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trouvais beau gosse, d’un coup, celui-là Ŕ tout à fait attirant. Peut-être même, je
me disais, peut-être même que je devenais croyant, d’une certaine manière. Sans
blague, je sentais les ondes sacrées s’enrouler à mes nerfs. Le jour où toutes les
jolies femmes se regrouperont dans la même Église, et bah les guerres de
religions on en entendrait plus parler. Ça mettrait tout le monde d’accord Ŕ je
veux dire qu’on pourrait plus vraiment se battre pour débattre de laquelle est la
meilleure. Puisque Dieu se serait clairement exprimé.
Vous voyez ? C’est exactement l’effet qu’elle faisait. On pensait à quelquechose et immédiatement après, à encore un autre truc. Cette petite chatte
sournoise jouait avec vos nerfs comme une pelote de laine.
Tout de même ça s’est terminé mais même quand elle chantait pas elle était
belle. C’était juste une autre beauté Ŕ elle sortait de la douche, fraîche et fumante
et retapée. C’était un peu odieux, d’irradier ainsi, on se doutait bien des
canalisations criminelles. Et j’ai voulu aller lui causer mais y’a eu ce fils de pute
qui a été plus rapide que moi. Rapide comme un aspic ! Je me suis pas leurré,
ouais, j’ai tout de suite flairé la vermine. Ce genre de gars qui donne du sourire
coulant comme du beurre rance, tout pourri sous le miel. Tactile, ouais, même
plutôt collant. Et que je te baise la joue, et que je te presse le bras ! Il se gênait
pas celui-là, avec ma future femme. J’avais bien entendu de l’épouser in
continuum. Fallait juste que j’attende que l’autre finisse son petit numéro. Oh, je
m’inquiétais pas ! Elle, ça se voyait qu’elle prenait pas. Il causait, il causait, et
elle, elle répondait pas. Enfin elle répondait, bien sûr, parce qu’elle était polie
ma Rita, mais elle lui répondait comme un puits qui se fait draguer par un
caillou. Mais il m’énervait quand même, avec ses poses de mâle plein de force,
de sérénité, sa voix posée, ses gestes sûrs, son petit air de fils de pute
d’excellente humeur qui fait croire qu’une CHATTE est bien la dernière chose à
laquelle il eût pensée. À le regarder comme ça, l’envie me prenait de me battre.
Pour l’instant, je faisais que contre ma salle-de-bain mais je savais qu’un
moment où l’autre, j’allais passer à l’action. J’pourrais cogner dur, si j’en avais
le cran. J’pourrais tout à fait. Quand même, j’ai louqué son bon mètre quatrevingt et ça m’a semblé plus dur qu’avec les robinets. Pas qu’il me faisait peur Ŕ
mais j’étais pas encore tout à fait au point sur la précision de mes Tei-kro. Je
voulais quand même pas le tuer, ce fils de pute… Mais que pouvait-il raconter
de si long, notre rocambole ? Il s’arrêtait plus, ma parole. Il avait comme l’air
ivre de sa propre connerie ! Au fond on imagine aisément… Les hommes, ils
disent toujours des trucs qui n’intéressent qu’eux. C’est justement pour ça qu’ils
parlent. On croit qu’ils écoutent un peu aussi, mais ils font juste que de
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reprendre leur souffle. Le jour où les miroirs diront OUI et NON et C’EST TOI
LE PLUS BEAU, et bah les gens arrêteront de s’embêter avec les autres. Moi
quand ça arrivera, je percerai une petite fente là où il faut.
Quand même, il s’est finalement tiré. Il a eu du mal, notre érotomane, mais
elle lui a pas donné le choix. Son visage il lui faisait comprendre ouvertement
que sa petite queue, bah elle en voulait pas. Il était là l’autre grand con, il s’était
désapé et laissez-moi vous dire qu’il s’était cramé ! avec son grand sourire de
con, tout élastique, tout ductile dans son envie de baiser, à faire son chewinggum énamouré d’un talon-aiguille rouge sang. Ce genre de gars font toujours
TROP sentir qu’ils veulent croquer, ils comprennent rien à la subtilité, un coup
trop flasque, un coup trop sérieux, jamais là où il faut, c’est-à-dire dans le cœur
tendre, là où les sourires se dégrafent comme des soutiens-gorge, et l’envie, une
pleine poignée de vers. Ma Rita ce qu’il lui faut, c’est un Homme qui lui mâche
les circonvolutions, qui les lui imprègne de lézards et de sel, qui lui chie dans
ses poubelles un bain de bouche à l’armagnac, un Homme qui lui défonce les
rognons jusqu’en faire une grande roue papillotante, un festival, une langue
sèche, un accordéon qui dégueule ses notes dans un prisme d’entrailles, une
petite salope doucereuse, chiffonnée, un torchon romantique, une ignoble
amoureuse. Attendons que Mars et Vénus s’alignassent enfin ! Rita ! Brave
Rita ! Allons baiser au bord des précipices, dans les cercueils moelleux du sang
où le noyer ne pourrit jamais, là où le temps est une ride de testicule.
Ses yeux à nouveau se posent sur moi, j’ai l’impression de tomber dans tapis
rouge. Elle me reconnait ! Elle m’aime, elle aussi ! La pauvresse, nous voilà
deux insensés escaladant le portail des Divines Tortures. Les tonnerres se
déchirent de leur fil et coulent loin des signatures de la nuit, et elle me regarde et
dans son regard il y a une femme qui met un zeste de citron sur sa langue.
« Vous voilà enfin ! Je pensay que vous n’arriveriez jamay ! ». Elle a un
accent anglo-saxon, elle est Nigériane à la croupe et putain le soir tard, pour une
pièce de regards. Ses lèvres ruissèlent, fondent, elles débordent on croit qu’elle
va dégueuler des baisers d’où renaîtraient les fontaines du parfum originel. Elle
a des nappes roses dans les joues, des turbans glacés tissés par des araignées
mélodieuses, ses cheveux coulent comme du maquillage, comme la lune au petit
matin et la sueur l’emmaillote ainsi qu’un filet à papillons, aux odeurs de verges
trempées dans la graisse, aux huiles recuites et épaisses. Elle a l’air d’une suture
ouverte, de la plaie d’un vagin, elle a l’air gorgée d’un vice qui détrempe en
anneaux sombres, en particules filandreuses rongeant les fibres du satin. Ses
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cuisses purulent tout contre son duvet humide et il me brûle de l’emporter sous
mon ongle.
« Veney, le show de Father Bryan va commencey ! »
La pièce dans laquelle elle me tire est sombre, c’est un parterre qui regarde le
plafond vide. Les gens dans leur silence, dans leurs perruques sages ressemblent
à des choux qui pourrissent dans le noir. Ils se donnent la main comme des
fidèles qui s’apprêtent à monter ensemble. Certains tripotent des rosaires et
masturbent la Vierge. On s’agite, on se pelote en s’hérissant de vapeurs saintes,
il y a à nouveau l’encens, l’haleine d’un vieux tapin Ŕ quelques millénaires de
cuisse frivole. Elle me désigne la place qui m’attend, gueule ouverte et langue
pendante, prête à me flatter l’hémorroïde. À côté de moi un macaque cherche
des lentes sur le crâne de sa prière, il lèche les œufs en pensant aux poussins
morts qui se nourrissent de plasma mort. On baigne dans une casserole de
velours et l’ébullition gonfle en écumes impatientes, étouffantes il fait chaud,
c’est aride comme un désert qui attend le dimanche pour qu’on lui crache
dessus, pour qu’il se savonne enfin. On s’est tâché toute la semaine de crasse, de
peintures aux solvants volatils qui s’écaillent à la moindre faille, on s’est
badigeonné de la terre humide, de l’argile déliquescent et maintenant on vient
tremper sa raie dans un jacuzzi de vaseline, on vient recommencer le mensonge
exquis de la contrition. La scène est vide, elle est pleine des larmes des
projecteurs. Des guitares, une batterie, des chœurs et c’est l’orgasme, on chante
et les fidèles se lèvent tirés par les fils de la Grâce, ma parole, ils se dandinent,
ils beuglent la Lumière, les grosses noires comme Katia secouent leurs bras,
leurs omelettes frétillantes, elles gueulent ALLÉLUIA, elles gueulent AMEN, et
l’Homme en smoking absous les damnés en éjaculant son champagne d’eau
bénite et les démons ouvrent la gueule pour boire l’Absolution qui leur
ruissèlent des joues comme des pleurs tombés du Calvaire. Il danse entre deux
sermons, il dit la bonne parole comme un trapéziste qui vagabonde dans les
éthers et je le regarde en sachant qu’il est plus difficile d’être un homme qu’un
saint, je le regarde en sachant qu’il n’est jamais qu’une pute qui fait la nonne
parce que son cul est trop gros pour le simple bidet. Show à l’américaine. Ma
parole ! C’est Yahvé à Hollywood ! Ces salopards d’américains ils font toujours
tout cramer avec leurs projecteurs. Mocassins flamboyants, il explique aux
veaux ce qui est bon pour leur régime. Il leur montre le Mal, le Bien, et leur
explique que lui non plus, le Saint Homme ! n’est pas insensible au Diable. Mais
quand il regarde dans son cœur, nous dit-il en montrant l’endroit présumé où
pourrit sa viande mobile, il sait discerner l’Ornière de la Route où Il pose ses
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Pavés. Regarde, brave bétail ! Le Paradis verdoie d’une herbe dont la croissance
n’a de cesse. Croissance ! Croissance ! Il n’a que ça à la bouche, l’amerloque !
Alors courbe-toi et attends de mourir pour vivre à jamais. Bois la tasse et dit
AMEN. Belle croissance, ma foi ! Il est là, l’enflure, à danser dans ses pitreries,
dans le coton fringant de son costume tout neuf. Il va à la cérémonie des Oscars
récupérer son trophée du meilleur acteur. Un coup de Bible de temps en temps,
coup de crécelle, coup de révolver, coup de Vérité bavé comme un coup de cil
d’une femme qui écarte les cuisses en disant JE T’AIME. AMEN ! gueulent les
dindes en postillonnant leurs morceaux d’yeux blancs qui roulent sur le Ciel. Un
hurluberlu chauve ayant déjeuné d’un bol d’ecstasy accueille le Christ dans ses
membres approximatifs ; le supplice recommence, comme une punition d’avoir
faite telle l’espèce humaine, il se débat de cette chair, ces articulations Ŕ comme
pour se dépecer de la douleur à laquelle elle est clouée. On chante ! On danse !
Allons donc faire la noce avec ce bon vieux José ! La Croix renversée sur la
terre, ils festoient de la rouille des clous tétaniques qu’ils tâchent avec leurs
doigts graisseux de chapelets. Rita, putain affamée de douche, reçoit gueule
grand-ouverte les pluies cristallines réfractées du Prisme Éternel. À mes côtés,
l’homme me passe le plateau où baigne l’ivresse noire. Cul-sec la rousse ! Non
non ! qu’il m’hurle, le salopard. « Il faut attendre l’AMEN du Père Bryan ! ». Le
pain de mie sorti des usines de Malakoff, la bave sirupeuse des raisins. AMEN !
gueule Carry Grant tout là-haut, en souriant comme une étoile montante. Le
bétail en déroute communie avec les Transes. AMEN ! on peut à nouveau
détester toute la semaine. Les américains, je vous jure, ils n’ont aucune pudeur.
Ils s’exhalent comme des mauvaises haleines, comme des bijoux chromés, ils
peuvent pas s’en empêcher. Plumes au cul et sagesse dans les mouchoirs, ils
miment les totems de ceux qu’ils ont massacrés. AMEN AMEN ! qu’ils
gueulent tous en partouzant dans le Sublime. Allez tous vous faire foutre, je ne
mange pas de vos céréales sèches ! Le grand tourbillon du monde s’évapore, le
tout-à-l’égout siphonne les petites âmes qui retournent ramper à leurs tunnels. Ils
porteront leur sourire Dimanche prochain en cravate, en halo autour de la
poitrine. Ils sont brillants, ils sont neufs ! Ils sont beaux tout en blancs Ŕ prêts à
faire saigner la boue.
« Ça vous ay plu ? » me demande-t-elle. Elle flamboie elle aussi. Petite garce
époussetée de fond en comble. Elle brille la porcelaine comme une tinette bien
léchée par le Sceau de Yavel.
« C’était pas mal. J’ai bien aimé le moment quand Bryan s’est tiré en RollRoyce. C’était le meilleur moment, je crois.
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ŕ Father Bryan est un crack pour le sermon ! Veney ! Je vay vous présentey
à mes amis ! »
Le café est gratos et y’a du monde qui suçote l’opportunité. Tout le monde se
lape les croupes comme des assiettes et on se félicite d’un tel Éclat. C’est le
Pardon qui donne bonne mine. Ils ont même pas trop l’air féroces ces salopards,
drapés dans leur nouvelle peau. Ils se tapotent le cul, font claquer les élastiques.
Ils sont tout fripés, tout chlorés, ils sentent bon la piscine, les poux d’eau. Le
café dégueulasse est torréfié à partir des serpillères servant à éponger
l’hypocrisie des fidèles. Ils sont ignobles, j’ai honte pour eux, je n’envie même
pas leur mensonge qu’ils agitent en mouchoirs blancs, ce serait trop simple, tout
serait trop simple si un dimanche agenouillé suffisait à nettoyer une vie passée à
ramper. Depuis le temps qu’ils vont prier, pourquoi qu’ils essaient pas par euxmêmes ? Quand Dieu regarde par sa fenêtre la longue queue des fils de putes qui
viennent taper à son carreau, on comprend mieux pourquoi qu’il se calfeutre
depuis si longtemps.
Salut-salut. Serrages de pogne, nice to meet you fucker. What’s your name ?
Tonio ? Gosh ! What a name ! You know what ? I love french names ! They’re
so lovely ! You look great, man ! Really great. You know what ? I love you’re
style, Tonio. You’re so fench, you’re so fresh ! Well, I need to go. Honey’s
waiting for me… You know what it is, right ? Family family family ! Oh Tonio
please, do me a favor, NEVER MARRY AN ALABAMA GIRL ! Ah-ah ! Okay,
now I am really late. I’m gonna have SERIOUS TROUBLES right now ! Ah-ah !
Well, it was a pleasure, guys. Welcome Home, Tonio. See you, Father Bryan !
« Hey ! Rita ! Rita ! Waire are you goingue ?
ŕ I’m going home, Tonio. I gotta work.
ŕ Well… You donte wante tou tayke somethingue to ite ? Or somethingue
else, I donte no. Like ouatéveurre you wante.
ŕ I really need to go, Tonio…
ŕ I came for you, Rita.
ŕ You came for the Church, right ?
ŕ Euh… I came for bosse.
ŕ I’m pretty sure you came for Salvation, Tonio. Now you’re alive. Now
we’re family. We’re His children, Tonio. He’s always good, for His Own.
Well… I’m really late, right now. See you next Sunday ! »
Elle se tire en balançant son splendide vers un magnétisme qui m’échappe.
Elle ne se retourne même pas. Uniformément garce Ŕ garce du fond de l’œil
jusqu’au bord de la vulve. Pour le reste ?... Ma foi, je n’en sais rien ! Disons
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qu’une fois dans le coffre-fort, il n’y a plus qu’à batifoler dans la cagnotte.
Bordel, une connasse de plus qui me file entre les doigts ! C’est comme ça les
amerloques, c’est du mou, y’a pas plus faux-cul qu’eux. Ils vous sourient
comme à un plat qu’on a bien saucé. De toute manière les gens, ils vous
prennent toujours pour une cuisse de poulet. Ces salopards de prosélytes, je vous
jure, ils vous suceraient la queue pourvu qu’ils vous la circoncissent après.
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À peine quittai-je cette maudite crypte de salopes que l’horreur éclata son
bouton sur mon visage. J’étais posé peinard sur ma cuvette, dans la pénombre
j’inspectais sous mon caleçon pour voir si tout était à sa place, si le Monstre était
toujours aussi monstrueux, Dragon blanc collectionnant les flammes, les Sœurs
Lumières fidèles au tabernacle, priant leur Dieu CON, aucune excroissance
bizarre sur celles-ci, mon petit grain de beauté pénien toujours sans aucun signe
d’une quelconque cancérisation, épididyme bien en place, aucune torsion
testiculaire à l’horizon, urètre babillarde, prostate flamboyante, eczéma
ronronnant, tubes séminifères bourrés d’encre de Chine… Appareil reproducteur
en grande forme ! Bijoux d’athlète. Bravo, bravo ! Allons éjaculer ma verve à la
face de l’univers. Bon, quand j’allume la lumière, qui vois-je, glauque comme
un crapaud mort, tapie dans un des recoins obscur des chiottes ? Bonnie La
Tapissière. Bon Dieu ! Quel putain de sursaut me vrilla du cœur ! Capuche sur le
crâne et œil de verre scintillant comme un abîme par-dessus la poussière, cette
maniaque semblait m’attendre depuis des millénaires.
« Putain Bonnie, sale cinglée ! Qu’est-ce que tu fous là ? j’ai fait, tout
tremblotant. Bonnie, pour plupart du temps, était une mauvaise surprise. Elle
jaillissait tout le temps de nulle part, comme un streptocoque, et avait le don de
vous foutre dans des états d’extrêmes tensions.
ŕ Tonio ! qu’elle me fait en remettant son affreuse perruque. Je l’ai trouvé,
Tonio ! Je l’ai trouvé.
ŕ Attends, attends, que je fais comme ça. Déjà, qu’est-ce que tu fous ici…
Dis-moi, espèce de cinglée, tu m’as quand même pas suivi jusqu’ici ? Rassuremoi Bonnie, s’il te plait.
ŕ Je l’ai trouvé, qu’elle répond comme si j’avais pas parlé.
ŕ Qu’est-ce que…
Elle me sort un papier froissé, elle me le colle sous le nez. Dessus y’avait ma
gueule de con, avec des cheveux blancs ou des rides ou des dents en moins pour
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les générations des plus hautes frondaisons… Y’avait même Papi Sardine, dont
je tiens verve et grandeur, c’était du bon boulot, c’avait dû lui prendre un sacré
paquet de temps.
ŕ Les affaires sont calmes, n’est-ce pas ?
ŕ C’est ton arbre généalogique, Tonio. »
Depuis que la tapisserie connaissait la crise, Bonnie la Tapissière n’était plus
tout à fait Bonnie la Tapissière. Elle s’était un peu désintéressée de l’univers de
la tapisserie. Son monde c'était pas un autre, non, mais c’était pas tout à fait le
nôtre non plus. Le sien était composé d’ombres, de sous-entendus morbides. Le
mois passé, j’étais allé lui rendre visite et elle m’avait entraîné dans un de ces
délires d’invocations d’esprits. Les esprits lui causaient, à Bonnie, ils lui
causaient dur. Un Gaulois hantait ses animaux empaillés et communiquait avec
elle par l’entremise de son Scrabble. Sur la table comme ça, elle avait demandé
à son jules quel temps il faisait dans l’au-delà et le verre d’eau avait éclaté par
terre et les petites lettres sordides avait commencé à remuer dans la flotte.
DRAGORE, c’était écrit. Dragore, c’était le nom du bougre. Un truc à vous faire
tomber le scalp ! Même elle avait eu la frousse, même elle. Elle s’était pas
attendue à trouver son Gaulois si loquace. Elle en avait conclu que j’étais peutêtre un Reptilien, les Reptiliens qui rendent nerveux les Esprits de l’au-delà. Je
m’étais trissé de chez elle sans vouloir entendre ses explications, encore tout
tremblant, traumatisé comme au sortir d’une mauvaise plaisanterie, et je m’étais
juré de ne plus jamais remettre un pied chez Bonnie la Tapissière.
« La tapisserie péricliterait-elle donc tant que ça ?
ŕ C’est ton arbre généalogique, qu’elle a répétée.
ŕ Putain, je vois bien que c’est mon arbre généalogique. Je veux dire, ton
magasin tombe en ruine, ta perruque aussi, et toi, t’as rien trouvé de mieux à
faire que des gribouillis ?
ŕ Tonio, je suis remontée loin dans ton sang… qu’elle m’a déclaré en faisant
scintiller son œil de Folie.
ŕ Fous la paix à mes fantômes, Bonnie !
ŕ J’ai essayé de remonter loin, elle a repris imperturbable, comme aiment le
faire les fous en pleine manie, mais au-delà de la huitième génération, ça coince,
Tonio. Ça sent le cramé. C’est comme si quelque-chose m’en avait empêché.
Je l’ai dévisagée un moment, gravement, fatalement, avec componction ; c’est
exactement la voisine qu’il vous faut pas croiser, si vous vous sentez déjà un peu
fragile.
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ŕ C’est comme si les Reptiliens avaient brûlé toute trace de ta parenté, elle a
finalement lâché.
ŕ Je t’ai dit que je voulais plus entendre parler de ces histoires de Reptiliens.
Je suis pas un Reptilien, Bonnie, mon seul point commun avec les reptiles, c’est
mes putains d’écailles à la peau. C’est tout. C’est rien que de l’eczéma. C’est
pas surnaturel. C’est la nature, c’est même trop la nature. C’est tout.
ŕ J’en ai parlé à Dragore, Tonio… elle m’a fait en m’attrapant le bras. Le mot
DANGERS s’est formé dans une flaque de lait. DANGERS avec un S, Tonio,
dans une flaque de lait.
ŕ Fous-moi la paix, putain ! j’ai fait en me débattant de son ergot diabolique.
Tu diras à ton as du Scrabble que je le complimente. Moi je veux plus entendre
parler de tout ça.
ŕ Les Reptiliens sont à mes trousses désormais, elle m’a susurré comme ça,
son œil de verre plus épouvantable que jamais.
Je l’ai regardée un moment et sa mine m’a vraiment inquiété. Ça devait pas
être drôle tous les jours d’être emprisonné dans la tête de Bonnie.
ŕ Bonnie c’est marrant mais y’a que quand je suis avec toi que je me sens
devenir complètement dingue. Et j’aime pas ça du tout.
ŕ Viens à la maison, Tonio. J’ai rendez-vous avec Monseigneur Dracula. Il
va exorciser mes renards.
Elle s’est approché encore plus près de moi, l’air démente, absolument
démente, férocement démente, démente jusqu’à l’orteil, traquée par sa queue
rouge ou des balais volants.
ŕ Je… je… qu’elle a fait en jetant un coup d’œil de verre derrière elle… Je
vais me débarrasser de Dragore. Pour de bon, elle a dit tout doucement. Je te le
promets. C’est trop lourd à supporter, psychologiquement.
ŕ Bien, bien, Bonnie, c’est une très bonne chose. Tu te sentiras sûrement
beaucoup mieux après. Il faut aller faire caca, de temps en temps.
ŕ Tu m’accompagnes ?
ŕ Je préférerai pas, Bonnie. J’ai un cours de tango dans dix minutes et je suis
déjà en retard.
ŕ Tout à fait une remarque de Reptilien, elle a sursauté en me désignant d’un
doigt de sorcière féroce. Reptilien ! Reptilien ! Allez-vous-en ! Laissez mes
renards en paix ! elle a fait en s’enfuyant comme de la mort-aux-rats.
ŕ PASSE LE BONJOUR À DRAGORE ! j’ai gueulé cependant que sa
perruque se débattait au loin avec des chauve-souris connues d’elle seule. »
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Je suis sorti d’ici et putain, toute cette histoire m’a foutu un cafard pas
racontable. À chaque fois que je rencontrais Bonnie, c’était le même cirque, j’en
sortais tout tracassé. On pouvait pas s’empêcher de se demander si son monde
existât vraiment, ou même pire, si jamais il était pas contagieux quand même.
Sans blague, vous en veniez à douter de tout. Moi, je voulais pas devenir fou.
Enfin, sûrement pas de cette manière. Y’a des milliers de manières d’être fou,
quand on y pense. Moi, je voulais l’être à ma manière Ŕ et ma manière à moi, ça
parlait sûrement pas d’esprits et de renards empaillés. La mienne, elle parlait de
femmes et d’oxygène.
Dehors d’ailleurs, c’est déjà allé bien mieux. Il faisait frais, y’avait seulement
l’air, l’air, l’air, ni démons, ni reptiliens, ni Dieu je ne sais quelle autre connerie
tout droit sortie de la caboche de cette cinglée. Ferme donc ta gueule,
épouvantail ! Ouais. Voilà comment je les exorcise moi, les tarés. Ce que j’ai
fait, c’est que j’ai pris vers Saint-Germain. J’avais rien dans la tête au début,
aucun but précis, je voulais juste marcher. Voir les choses du monde, dironsnous. Y’avait pas un chat dans les rues. Sans blague, on dirait qu’ils sont tous
morts les gens le dimanche. Je veux dire, encore plus morts que le reste du
temps. La vie fait sa sélection et elle est cruelle, impitoyable, et les feignasses
dans leurs canapés, ils se rendent même pas compte du drame ces pauvres
pommes.
Là-dessus je passe devant un sex-shop, l’enseigne surgit brusquement dans la
lumière, comme une panthère ou une pulsion qui prend chair, une lumière
charnue, d’un rose un peu foncé, un rose d’entraille, ouais, un rose de volupté.
On était Rue de la Gaité. La Gaité des organes, pour ceux qu’auraient pas pigé.
Un coup ça brillait, un coup ça s’éteignait. Cette enseigne, c’était exactement
comme l’amour d’une femme.
Bon bon, et si on allait faire un tour ? Après tout y’avait un rideau à l’entrée.
Les rideaux, sans blague, ça me vainc à tous les coups. Je peux m’empêcher de
me dire qu’il y a peut-être quelque-chose à ne pas rater qui se cache juste
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derrière et que pour le voir ce truc qu’il ne faut surtout pas rater, et bah y’a juste
à s’arracher les couilles pour les jeter dedans. Ça serait terrible de passer à côté
de ça juste par flemme ou manque de nerf. Je veux dire, quoi, au fond, chaque
seconde qui passe, et bah elle passe pour de bon. Si tu l’as loupée, si tu lui as pas
fait l’amour, bah c’est tant pis pour toi. Personne fera le sale boulot à votre
place. En rater une de temps en temps c’est pas bien grave, c’est même bien
normal au fond, mais faut pas que ça se répète trop souvent Ŕ c’est là que ça
devient dangereux. Parce que ça peut durer longtemps ; ça peut durer tout une
vie comme ça, à la regarder passer sous son pif. Tout le monde le sait et
pourtant, y’en a des tonnes à qui ça arrive. Des tonnes. Des mains tendues, des
portes à la dérobée, qu’ils voient pas, parce qu’ils ont la frousse, parce qu’ils
croulent sous les préjugés Ŕ ils loupent tout ces salopards, ils se loupent euxmêmes. Ici, sur cette planète, y’a trop de fenêtre avec des ampoules à leur orée,
y’a trop de rideaux, de portes par lesquelles filtre un raie de clarté, partout,
partout, et moi, à voir tout ça, ça me colle le tournis, il me passe des délires de
mégalomanie, d’omnipotence Ŕ être si grand, être si vaste que j’enfournerais
tout ça en intégralité, en une seule bouchée d’ogre amoureux. Tant d’histoires à
raconter ! C’est fou de se dire qu’on est là si longtemps, si longtemps et pourtant
qu’on verra jamais qu’une infime tranche de tout ce qui se passe autour. On est
comme des épouvantails, dans cette vie immense.
Qui sait ? Si on cherche bien, je veux dire si on abandonne jamais, il doit bien
y avoir cette chose qui mériterait qu’on se soit dégueulassé.
À l’intérieur de la boutique, c’est une éjaculation molle. Des trucs en plastocs,
d’autres en métal, des trucs immenses dont on sait même pas où ça peut rentrer,
et puis des films, des noirs des blancs des jaunes, du crémeux, du crasseux, du
violent, du glacé, du poisson, de la raie, du requin, les intestins de la
poissonnière, sa merde en gelée-montée, l’odeur de la masturbation qui colle à la
paume. Bof bof bof, j’ai fait. J’étais pas convaincu. Les gens manquent
d’imagination quoi, je me suis dit, même pour ça. Ils sont plus capables de rien
par eux-mêmes, ces trous du cul. Aucun nerf, aucune fierté. Masturbez-vous à
l’envers, nom d’un chien ! Un jour vous verrez, vous verrez hein, on vendra des
pilules pour s’économiser de toutes les tâches fatigantes, boire de la flotte,
monter les escaliers, changer de chaussettes, se laver les dents, pousser son caca,
acheter du papier-cul, tourner le volant de sa bagnole, tartiner le beurre et puis la
confiture, faire des bébés… les pilules seront dosées à 10, 25 ou 100 mg et les
médecins auront avancé des arguments scientifiques à la télé ; comme ça les
gens, ils auront plein de temps libre pour glander. Ils digéreront leur existence
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peinards depuis leur canapé tout en matant leurs émissions préférées. Jusqu’à ce
qu’on trouve une pilule qui vous les ferait regarder sans avoir besoin d’ouvrir les
yeux ; alors on y sera vraiment arrivé, un bon gros ronflement grassouillet sur
quelques décennies et la Terre aura enfin la paix Ŕ pendant ce temps-là, ceux à
qui il restera un fond de jugeote piqueront tout leur flouse, mais sans manger de
pilule pour cela. C’est ce qui se passera, vous verrez.
« Vous cherchez quelque-chose de particulier, mon gars ?
Je regarde mon type. Ça devait être le gérant. Tête de mort. Des morts de
partout, nom d’une mort ! Quelle damnation par moment, cette planète !
ŕ Et bien… non, pas vraiment. Je jetais juste un coup d’œil. Je me suis dit
qu’il y avait peut-être un truc qui m’attendait ici.
Le gars me toise longuement en mâchonnant son cure-dent. Favoris aux
bajoues, l’air fatigué mais belliqueux en dessous. Il m’avait l’air d’un de ces
gars à l’amour s’accrochant tout naturellement aux mâchoires et aux arcades
sourcilières.
ŕ Bin allez-y, alors.
On se regarde un petit moment, et lui qui me scanne pour essayer de voir ce
que j’ai dans le ventre Ŕ je déteste ça, qu’un connard me jauge de la sorte. Faut
toujours faire comme ils ont dit avec eux, sinon vous êtes moins qu’un pauvre
crachat.
ŕ Faites du sport ?
ŕ Un peu, ouais. De temps en temps.
ŕ De temps en temps ! se lamente mon copain. Z’en faites ou z’en faites pas ?
ŕ Disons que non, alors.
ŕ Z’êtes pas mal foutu, dans vot’ genre.
ŕ Ah oui ? j’ai fait innocemment, avec l’air de quelqu’un qui a pas du tout
envie de comprendre quelque allusion que ce soit. Et bien non, j’fais pas de
sport. J’ai une maladie, en fait.
ŕ Ah ? qu’il me fronce du sourcil.
ŕ Oh ! rien de grave, vous inquiétez pas. C’est une maladie en rapport avec la
transpiration, c’est tout. C’est pour ça que je ne fais pas de sport. Je produis une
transpiration acide, il m’a dit mon dermato. Du coup ça me donne des pustules,
des infections. C’est bien vrai que le pus est un peu contagieux, c’est pour ça
qu’il faut que je fasse gaffe avec mes mouvements.
Lui a reculé d’un pas dans son bunker, pour se mettre à l’abri de mes
mouvements, et m’a scruté avec hésitation, sans savoir si quelqu’un d’aussi
dégueulasse pouvait vraiment exister.
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ŕ Et… et ça bouge, tes machins ?
ŕ Ça bouge ?
ŕ Ouais. J’veux dire… Ça te sauterait pas dessus quand même, cette
saloperie ?
ŕ Non y’a pas de risque que ça vous saute dessus. Faut juste que je surveille
l’amplitude de mes mouvements, c’est tout.
ŕ Ah… ouais. OK. Mais fais gaffe quand même à mes godemichets, tu
veux ? J’ai pas envie qu’on en vienne à des choses désagréables, toi et moi.
ŕ J’suis d’bonne humeur, aujourd’hui, il a même ajouté mon poteau, en me
dédiant un œil d’aimable étripeur.
ŕ Je fais juste que de regarder, vous inquiétez pas.
ŕ Bon bon, et ma came alors ? Elle te plait, ma came ?
ŕ Oh… c’est pas mal. Mais je m’attendais à des choses plus… spectaculaires.
Ça l’a comme piqué, mon poteau ! Il s’agite, ouais, il s’agite drôlement. J’avais
comme touché à un truc vachement sensible. Peut-être que c’était un sensible
après tout, ce fils de pute.
Il saute sur le seuil, il fourre sa tête dans le rideau qui rebondit dans le magasin,
et lui qui pousse finalement le loquet. « FERMÉ » qu’il accroche même à
l’entrée du bouclard.
ŕ Bougez pas, qu’il me dit en regardant un peu partout, comme si le KGB
avait posé des micros dans sa tête. J’ai d’autres trucs bien plus intéressants làdedans, il me fait en pointant un gros index inquiétant sur la carpette étendue
sous ses pieds, comme à plat ventre.
Là-dessus il empoigne sa carpette, me la soulève d’un coup franc. SPALSH !
qu’elle fait la carpette en s’étalant sur les godemichets. Dessous, y’avait un
trappe. Ça gisait là comme un cadavre gênant. Il me regarde en jouant du
sourcil, l’air du mec qui me fait un brin de charme mine de rien, en m’exposant
ses secrets. Moi j’étais un peu emmerdé, et j’hoche la tête, pour pas le froisser.
OK OK, Majax, t’énerves pas, je veux PAS DU TOUT savoir ce que tu nous
caches dans ta manche. Cette histoire de verrou, j’aimais pas ça du tout.
ŕ Venez jeter un coup d’œil, qu’il me fait en descendant dans son terrier.
Je me suis avancé, pas trop rassuré, de loin quand même j’ai jeté un coup d’œil.
Ç’avait l’air profond comme l’Enfer sa petite garçonnière, je voyais même plus
trop mon Majax.
ŕ VENEZ PUTAIN ! J’VAIS PAS VOUS ENCULER, QUOI ! qu’il me fait
en gueulant depuis le Noir profond.
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Moi j’aimais pas du tout ces manières. Et lui qui me cause d’enculades.
J’aimais encore moins ça du coup.
ŕ VENEZ DONC, MON GARS ! C’EST LÀ QUE J’CONSERVE MES
PLUS BEAUX JOUJOUS.
Un moment j’ai pas répondu. J’ai juste tendu l’oreille. Là-dessous, ça grésillait,
ça couinait, ça remuait, on aurait dit que y’avait comme des marécages.
Quelque-chose d’un peu comme ça, quelque-chose de pas du tout montrable au
grand jour. Je voyais des petits trucs scintiller, et ça pouvait aussi bien être le
butin d’un casse que des yeux de caïmans. D’un coup, ça me disait plus rien du
tout les surprises. C’est exactement ça le problème des surprises. C’est comme si
les dernières miettes de palpitations, vous deviez les cherchez tout au fond des
poubelles. Les gens ils sont toujours TROP normaux ou PAS ASSEZ.
ŕ ALORS, QU’EST-CE TU FOUS À LA FIN ?
ŕ Écoutez, c’est très sympa à vous de vous donner tant de mal, franchement
j’apprécie, mais ce rendez-vous ! J’ai complètement oublié ce rendez-vous avec
mon patron. C’est urgent, je vous jure. Question de vie ou de mort. Mon patron
va me tuer. Vous connaissez les patrons, pas vrai ?
ŕ UN DIMANCHE ? VOUS VOUS FOUTREZ PAS UN PEU D’MA
GUEULE, DES FOIS ? ALLEZ QUOI, VENEZ JETER UN COUP D’ŒIL, ÇA
VAUT SON PESANT D’PLOMB !
ŕ Vous savez quoi ? j’ai gueulé au puits qui réverbérait les échos de ma voix
loin, très loin dans l’obscurité. Une autre fois avec grand plaisir, vraiment, c’est
une très bonne idée. Mais là aujourd’hui, ça tombe vraiment mal, je vous jure.
C’est vachement dommage et je reviendrai, parce que vous avez vraiment l’air
d’un gars passionnant. Mais aujourd’hui…
ŕ LES CHINETOQUES, VOUS AIMEZ ÇA OU PAS LES
CHINETOQUES ?
J’ai pas répondu tout de suite. Y’avait plein de petits bruits en bas, je vous dis.
J’espérais juste que ça ne vînt pas de quelque-chose de vivant.
ŕ Écoutez, moi les Chinois j’ai rien contre eux mais je préfère qu’ils restent
en Chine, si ça les dérange pas.
ŕ AH MERDE HEIN ! qu’il gueule en trébuchant dans son bordel.
ŕ Et si on remettait ça à plus tard, hein ? Rien ne presse après tout, on vient
seulement de se rencontrer !
ŕ DEUX SECONDES PUTAIN ! DEUX PUTAINS DE SECONDES ! T’ES
PAS À DEUX SECONDES PRÈS, SI ? JE TE DEMANDE JUSTE D’PAS
BRONCHER, QUOI.
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Il avait l’air nerveux, mon copain. Je me suis demandé si des fois il cacherait
pas des armes à feu là-dessous, ou quelque-chose du genre. J’ai commencé à
imaginer mon gars manipulant de la mitrailleuse, sourire gros calibre et colliers
de douilles exotiques décorant sa poitrine, et ça collait parfaitement avec sa
gueule. Dans la jungle, en train de mâchonner son cure-dent et de dézinguer du
Jap à la petite pièce.
ŕ Et si nous remettions…
ŕ Tiens ! tiens ! voilà… qu’il me fait mon vétéran, en repointant dans
l’encadrement. ALORS, c’était si long que ça, putain ?
Un truc énorme pointe de l’ouverture. Belle bête. Heureusement, c’était pas
vivant. Mais là encore, vachement bien imité.
ŕ Ça vous plait ? il me demande en remontant, avec l’air du gars qui a pas
du tout envie d’entendre autre chose que ce qu’il veut entendre.
ŕ C’est… c’est pas mal, j’ai fait en mentant.
ŕ Ça se trouve pas en France… qu’il m’apprend comme ça, en tapotant sa
relique. Si vous saviez tout le mal que j’ai eu pour me la procurer. Ça vous
rendrait fou de rage.
ŕ Ah oui ?
ŕ Ouais. La France, y’a trop de lois. Trop d’règlements. Quand j’pense à
tout ça, à cette saloperie d’pays, ça m’donne des envies d’pas bien. Ça me donne
envie d’descendre tout un tas d’innocents.
Il m’a regardé et son regard de meurtrier, j’ai pas pu le soutenir. J’ai regardé
mes pompes, et j’étais encore dedans.
ŕ J’suis allé jusqu’en Tchécoslovaquie pour me procurer ce p’tit bijou.
ŕ Beau bijou.
ŕ Ça valait l’déplacement, pas vrai ?
On a contemplé un petit moment son machin comme on regarde des valises, ou
la nuit qui arrive avec indécision.
ŕ Quand on baise une tchécoslovaque, il a dit, et bah on le fait rarement
qu’une fois. VU ?
Et puis il s’est marré tout seul juste avant de produire un joli glaviot de son
meilleur cru, en plein sur la moquette grise. Une vraie huitrière, le type.
ŕ Regardez un peu ! qu’il me fait même en écartant les pièces, pour mieux
me montrer son trésor.
ŕ Un p’tit tour de manège ? C’est propre, hein. J’l’astique tous les soirs à la
javel. Et pas d’la javel diluée, c’est pas mon genre.
ŕ Bien, bien.
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ŕ C’est du bon matos, croyez-moi. Les Tchécoslovaques, c’est des gars
réglos.
ŕ Ah oui ?
ŕ Ouais. Par le passé, j’ai fait beaucoup d’affaires avec l’Est. Quand c’était
encore rouge. Rouge sang.
ŕ Vous êtes vous-même originaire de là-bas ?
ŕ Moi ? Moi j’viens d’Strasbourg, moi. Bon coin, l’Alsace. Choucroute et
Blitzkrieg. Mais y’a eu du grabuge, là-bas… J’ai comme été obligé de bouger
pas mal du coup, pour chasser les mouches, quoi.
ŕ Ah d’accord. Bien, bien, j’ai dit rapidement en espérant qu’il allait se taire
avant que je ne devienne complice de quelque-chose d’épouvantable par manque
de bol. Et les tchécoslovaques, c’est un peuple aimable les tchécoslovaques ?
ŕ Écoutez mon gars, j’ai l’air d’un pigeon ou quoi ?
Je l’ai regardé et un petit moment et je l’ai imaginé se faire escroquer par des
ex-soviétiques reconvertis dans tout ce qui peut s’acheter. Personnellement, je
m’y serais pas tenté. Mais là-bas, les vies sont plus rudes. On fabrique les gens
dans des usines d’autos. C’est bien vrai qu’il avait un peu une tête de pigeon, en
plus, ce fils de pute.
ŕ Vous m’avez l’air de vous y connaître dans votre domaine, j’ai déclaré
solennellement. Un cador, même.
ŕ Si j’m’y connais ! qu’il se fait en s’esclaffant ! il s’en tape même le
trumeau ! À croire que je lui avais raconté la meilleure de l’année, à ce fils de
pute.
ŕ Tous ce qui est vendu ici, mon pote, je l’ai testé, il m’apprend tout à fait
sérieux.
ŕ Et plutôt deux fois qu’une.
J’ai hoché un peu du menton, sans savoir quoi en penser. Autour de moi, en
jetant un coup d’œil, y’avait vraiment tout un tas d’objets étranges.
ŕ Ça aussi, il a dit.
J’ai détourné la tête en me demandant combien de temps ça allait duré son petit
numéro de connard. Sa passion pour les gadgets, et bien c’était pas la mienne,
voilà tout.
ŕ Bon ! qu’il fait d’un coup en se frottant les mains. Vous y allez ou quoi ?
C’est trente sacs.
ŕ Y aller ? Vous voulez dire que vous me deman…
Et puis son œil s’est tordu d’un coup comme un affreux chiffon noir et il m’a
jeté ce truc-là à la gueule. Il avait pas l’air content d’un coup, mon copain.
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ŕ Écoute mon pote, tu m’as quand même pas fait ramener tout ça POUR
RIEN, pas vrai ?
ŕ C’est trop gros, j’ai dit rapidement. Je suis pas monté comme il faut.
ŕ Tu te DÉGONFLES ?
J’en étais sûr. À tous les coups c’est pareil. Avec ce genre de gars, faut
surenchérir dans la testostérone et tout casser pour qu’ils vous aiment. Je vous
jure, c’est fatigant, vraiment, de se faire aimer des autres hommes.
ŕ Écoutez… c’était très sympa de votre part de me proposer tout ça. C’est
accueil en or, franchement. Y’a peu d’endroits à Paris où l’on vous accueille si
bien. Ça c’est sûr. Certain. Moi à dire vrai, c’est pas trop trop mon truc, ce genre
de bibelots. Chacun son truc, hein. Chacun son truc. Moi par contre, c’est pas
vraiment ma tasse de thé.
ŕ Comment ça c’est pas vot’ tasse de thé ? On parle pas d’dinette ici ! Z’en
êtes ou z’en êtes pas, PUTAIN D’MERDE !
ŕ Et bien disons que…
ŕ Oh là ! Oh là ! qu’il m’a dit comme ça, en s’excitant comme un toréador
avec son gros poing d’Apocalypse. Qu’est-ce que t’es en train d’me faire, mon
gars ? Tu m’lâches, hein ? Tu m’lâches ? Qu’est-ce qu’c’est qu’ces histoires ?
On s’est regardé un bon moment. C’était vraiment désagréable. Lui me
regardait comme si j’avais cassé un de ses godemichet, ou quelque-chose
comme. Moi, j’en voulais juste pas de son machin. C’était quand même pas un
crime.
ŕ J’ai comme l’impression que tu me prends pour un connard, toi… J’me
trompe ?
Je me suis raclé la gorge Ŕ j’ai pas eu le cran de parler.
ŕ J’force à rien, moi, qu’il a ajouté en me regardant comme un piranha.
J’force à rien.
ŕ Oh ! c’est pas moi qui dirait ça, ça non ! Vous avez été splendide, je vous
dis. Un lingot. Seulement, c’est l’heure, tapoté-je sur ma montre en passant
devant lui pour me tirer d’ici.
J’ai mis ma main sur la poignée de porte, et à ce moment-là, à ce moment
précis, son horrible voix m’a électrocuté une dernière fois.
ŕ Hé ! il a fait comme ça, comme une balle dans le dos. Le mois prochain,
j’retourne faire une p’tite virée à Prague. Pourquoi qu’on irait pas ensemble ?
J’connais du beau monde, là-bas.
Son œil vibrait comme un meurtre. Il était affreux, ce type.
ŕ Faudrait que j’demande à mon père, d’abord.
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ŕ Au fait c’est quoi ton blaze ? Moi c’est Jacques La Cascade.
ŕ Tonio. Tonio Le Tigre.
ŕ Drôle de blaze, ça… Tu fais du catch ou quoi ?
ŕ Du catch ?
ŕ Ouais.
ŕ Non, pas de catch…
ŕ J’dis ça moi, j’dis rien. C’est juste que t’es plutôt pas mal foutu malgré
tes… Hé ! mais c’est quoi ÇA ? il me fait comme ça, en tapotant le coin de sa
gueule.
ŕ Ça ? j’ai fait me touchant mon angiome à la lèvre, et lui qui branle du
chef, c’est… C’est une anthropozoonose tropicale. J’ai attrapé ça en léchant le
cul d’une chèvre guyanaise, y’a quelques temps.
ŕ Mais qu’est-ce que c’est qu’ces histoires ? qu’il m’a regardé comme ça,
en me trouvant bien révoltant. Tu peux pas r’nifler un peu la viande, avant
d’foutre ta caboche ?
J’ai voulu continuer à parler mais en le regardant un peu dans les yeux, j’ai
compris que ça servait à rien. C’est que j’aime pas trop les prolongations avec
les connards.
ŕ T’inquiète pas, j’t’aime bien quand même, qu’il m’a rassuré en me
dégainant son sourire cent-pour-cent moutarde, et là, j’imagine que cette
grimace épouvantable était sa manière à lui de se montrer sympathique aux yeux
du monde.
ŕ J’compatis, mon gars. T’fais pas d’bile pour ça. T’fais pas d’bile, va. On a
tous des trucs bizarres sur le corps. L’corps c’t’un truc bizarre, on peut rien y
faire. Moi par exemple j’ai une troisième…
ŕ Merci, j’ai fait très rapidement. Franchement. Des gars comme vous, on
en manque dans ce pays… maintenant, faut vraiment que j’y aille. Je reviendrai
un de ces jours, de toute manière, j’ai menti ostensiblement en poussant le
rideau de velours. »
Le loquet a sauté comme une dent et moi j’ai disparu comme un soupir.
Dehors, c’était magnifique. Dehors, j’étais vivant. Je me suis promis de plus
jamais retourner à Gaité. Rien qu’à l’idée de recroiser mon Jacko un de ses
jours, ça m’a bouleversé. Le genre de gars qu’on a pas du tout envie de
recroiser. Ou de partir en vacances à Prague avec.
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D’un coup en arrivant à Edgard Quinet il m’est comme passé une petite
inspiration pas dégueulasse du tout. J’ai eu envie d’aller faire un petit tour à mon
ancien hôtel. Celui-là même qu’avait brûlé par mégarde. C’était juste à côté. Un
petit crochet par le boulevard et j’y étais. Le Dimanche c’était Marina qui
travaillait, et puis Katia aussi, la fille d’Église dont je vous ai déjà parlé. Ces
deux-là, je les aimais bien. Deux bonnes femmes d’excellente compagnie,
remarquez. J’avais toujours trouvé cela épatant et même un peu irréel d’être
posé là dans un fauteuil, lové comme un chaton, au petit matin qui vient alors
qu’on ne l’attendait plus jamais, enveloppé d’une bonne boisson chaude et de
leurs papotages délicieux, elles parlaient fort et rigolaient, elles avaient les yeux
si brillants, si rieurs, c’était une tout bonnement miraculeuse couverture que ces
deux bougies matinales, infatigable et douce mélodie qui recommençait chaque
semaine, chaque semaine, quel doux rêve, quel doux réveil… bon Dieu, quelle
boule de poils n’étais-je, près de ces crépitements romantiques ! Tous les trois
dans nos fauteuils, pour des raisons différentes, mais tous les trois là, à croquer
nos sourires dans les croissants chauds… Je me rappelle parfaitement de ces
matins qu’en finissaient plus à causer et rire bruyamment, moi j’étais assis dans
mon fauteuil et je regardais ça comme un friandise, une barbe-à-papa qu’on
picore nuage après nuage, je me sentais être là, je me voyais assis, comme quand
on traverse un miracle, qu’on se voit ce faisant, et je me suis vu faire ça, être là,
à ce moment précis où ni le temps ni l’espace n’avaient plus aucune espèce
d’importance, et je savais que l’image elle me resterait, qu’elle partirait pas,
qu’elle serait comme ces photos qu’on collectionne, qu’on peut pas nous
prendre, qu’on peut pas nous enlever, qu’il suffit de ressortir au moment où ça
va plus, et de savoir que ç’a existé, que ç’a existé pour de bon je veux dire,
savoir qu’au fond y’en aura sûrement encore d’autres des comme ça, voilà bien
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tout ce qui compte je crois… Ouaip, chouette idée que d’aller leur rendre visite.
Et puis je me sentais pas terrible. Cette histoire avec Rita, j’avais pas du tout
aimé ça. C’est le genre de moments qu’il faut surtout pas passer seul parce que
quand on est seul, on se met à trop cogiter sur des choses dont il n’y a vraiment
aucun intérêt à. Dans ces moments-là faut voir du visage familier et parler de
tout, et de rien surtout. Faut juste causer et se convaincre que tout va bien. On
écoute ces vieilles connaissances causer, on voit qu’elles ont pas tellement
changé et ça rassure drôlement du coup. Et puis Marina en plus, la
réceptionniste, elle était vachement jolie. Entre elle et moi, y’avait le feeling.
Sans blague. Les mots ils fusaient, on faisait même pas exprès. Ça venait tout
seul, c’était spontané, on s’échangeait des coups de poings en dansant. Ce genre
de choses, c’est vachement précieux. On cause on cause on cause, on dit rien et
pourtant et on peut pas décoller de la conversation. On est trop bien. Ces
moments-là dans la vie, c’est des tranches de morceaux tendres. Le truc, c’est
que ça m’arrive toujours qu’avec les étrangères. J'ai comme qui dirait un bien
meilleur feeling avec celles qui me comprennent qu’à moitié. Du coup, elles me
comprennent bien mieux. C’est ces fils de pute de mots à la con qui gâchent
tout, ça c’est bien vrai. Mais elle était mariée hein, Marina, alors n’allez pas
vous imaginez des choses. Même un gros dégueulasse comme moi oserait pas
faire un truc pareil. Et imaginons que j’aurais voulu, et bah ça se serait pas fait.
Marina, c’était pas une fille comme ça.
En marchant vers Montparnasse, là où était l’hôtel, je me suis remis à penser à
l’époque où j’y étais employé. C’était pas trop mal comme planque, quand on y
réfléchit bien. Parce que déjà j’étais plus ou moins payer à roupiller ou donner
une clé de chambre, de temps en temps, et puis pour le reste, j’étais peinard sur
mon fauteuil à décortiquer les toiles de Dali en sirotant mon thé au citron. J’ai
un gros livre là-dessus, sur ses œuvres, c’est même pas un livre d’ailleurs, c’est
un grimoire. Je vous jure, Dali c’est un sorcier. On croit que c’est de la branlette,
qu’il se fout bien de notre gueule et puis d’un coup on pige le truc. C’est subtil
hein, c’est fantastique y’a comme un meurtre derrière chaque trace de sang. On
finit toujours par dire : CE SACRÉ FILS DE PUTE M’A ENCORE EU ! Des
fois sans mentir, quand y’a personne autour de moi, j’embrasse les pages où sont
imprimées ses meilleures toiles. Ma préférée, c’est celle qui s’appelle
Cannibalisme de l’automne. Mais le Rêve d’une pomme-grenade est pas mal
non plus, à mon avis. Dali, ouais, c’est bien un mec à qui je roulerai une grosse
pelle, s’il était encore vivant. Rien que pour le remercier. Des gars comme ça, si
ça tenait qu’à moi, et bah on nommerait des fleurs avec, ces fleurs qu’on trouve
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que derrière la gaze, sous le cristal des neiges qui ne fondent jamais. Vous êtes
épuisé après avoir franchi des sommets pas imaginables, vous arrivez enfin en
haut, je veux dire, vous y êtes pour de bon et vous avez sué pour ça, vous avez
sué dur, et là, ça sent Dali, y’a Dali qu’est là, dans son tutu de pétales. Et puis
après quand il retournerait épandre sa folie dans son atelier, j’irais boire un coup
avec Bukowski et Fante, on fumerait des gros cigares cubains en devisant de nos
meilleures lectures. C’est Fante qui nous mystifierait, évidemment. Buk du coup
il roterait, un peu jaloux, et puis caresserait sa panse d’orque où dore la bière de
ses meilleurs récits. Le ventilateur au-dessus imiterait le vol des mouches et l’air
brûlerait la gueule comme une claque au whisky et nous on regarderait dehors le
désert du Mexique avec ses gros mescals qui rongent la poussière, les tempêtes
de sable, la colère des Mayas, les cadavres émasculés des maris des mygales.
Les peaux de serpent recouvriraient la terre brûlante comme une trousse à
maquillage de putain en veine, mirages qui s’écaillent, hallucinations toutes
desséchées dans l’aube qui n’apporte d’eau. À l’intérieur un chicano
psychédélique jouerait de la salsa à la mandoline, il aurait un chapeau-cactus
plus brillant que mille biftons et sa voix rappellerait que quelque-chose frémit
encore, loin des civilisations de métal. Peut-être même qu’il y aurait des femmes
aussi, mais elles seraient pas autorisées à parler. On les mettrait dans des bocaux
à cornichons, à faire l’amour au lactate et aux champignons. Et puis on agiterait
fort de temps en temps, quand elles se mettraient à trop nous casser les oreilles.
Quand même, elles feraient les chœurs pour le chicano et ça serait pas
dégueulasse du tout. Peut-être même que je ferais une petite salsa avec Buk et
qu’en faisant ça, on se marrerait, on se marrerait jusqu’en faire une descente
d’organes Ŕ on féconde les échardes et les termites nous pompent la queue en
nous prenant pour des baobabs ; il pleuvrait des bananes pourchassées par des
lions habillés en femmes qui vont se perdre dans la nuit ; les abeilles foutraient
un coup de bourbon dans le miel et la Reine serait cette putain qui se fait
emmancher par toute la ruche et même par les anophèles. Et puis Fante me
planterait son canon de Magnum sur la tempe et m’exploserait la cervelle avec.
Ils sont tous morts ces salopards aujourd’hui, heureusement qu’ils ont posé de
la dynamite sous leur viande, sinon putain, qu’est-ce qu’on deviendrait ? Sans
ces fils de pute de débroussailleurs, on ferait rien que d’errer dans la peur, les
épines, les bouquets d’entailles où le monde perd sa peau en n’osant aller voir
au-delà.
À l’hôtel je me cultivais pas que de livres, ça non, je causais au monde, aussi.
Après tout on n’a pas une langue que pour baver dans un ragot. Les gens on les
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aime pas tous, c’est entendu, c’est bien normal au fond, mais si on décide qu’on
est finalement pas trop mal avec eux, et bah on sera bien avec. Même le dernier
des fils de pute on peut rigoler avec comme personne d’autre. C’est comme ça.
Si seulement on était capable de l’ouvrir un peu moins et qu’à la place, on se
regardait vraiment, juste un petit moment à se regarder pour de bon, alors tout
s’arrangerait entre les gens. Là, face à ton gars, tu scrutes les fonds marins.
D’un coup on arrêterait de tirer la corde, on serait comme fatigués de tout ça.
Moi je trouve qu’on est tous des superstars en quelque-sorte. C’est juste que les
autographes sont subtils et qu’on sait pas toujours bien comment écrire son blaze
correctement Ŕ et puis notre stylo plume il bave, c’est pour ça. Et puis bon,
comme partout y’avait beaucoup de lavasses c’est inévitable hein, l’humanité
c’est majoritairement un empilement de serpillères qui détrempe sur le rebord
d’une cuvette sale, mais y’a aussi quelques indéniables spécimens qui méritent
qu’on y croie encore un peu. Y’avait ce gars, là, du restau indien, qui était planté
devant même par dix degré en dessous du zéro pour attirer les passants. Déjà, un
pakistanais qui quitte le monde qu’il connait pour venir tapiner sur la banquise
et sourire de froid, c’est courageux en soit. Je veux dire, personne n’a vraiment
envie de ça. Et puis ce peuple-là, il adore la vache je crois bien. Des gens
formidables, vraisemblablement ! Mon pakos à moi, je sais plus son nom à la
vérité, mais de toute manière je suis même pas sûr qu’il me l’ait déjà dit puisque
je l’appelais juste MISTER. ÇA VA MISTER ? qu’on se disait. Il m’apportait
toujours un petit café tout chaud, sans que j’aie rien demandé du tout, et il me
demandait rien du tout pour ça, il me l’apportait juste parce qu’il aimait bien ma
gueule. Et moi, je faisais pareil. On avait une réserve de bonbons à l’hôtel et je
savais que lui, il aimait bien ceux à l’orange. J’avais remarqué ça. Dans le bol de
la réception, c’est toujours ceux-là qu’il choisissait. Ce que je faisais, c’est que
je les gardais de côté et puis quand j’avais deux minutes, je mettais mon bonnet
et mon écharpe, et je sortais lui déposer la petite pile de bonbons à l’orange sur
le coin de sa table. En fait, on se parlait jamais vraiment. Je déposais les
bonbons quand il était pas là, et lui m’amenait le café quand j’étais pas à la
réception. C’est comme ça, on voulait pas s’encombrer des mots, des
remerciements, on en voulait pas de toutes ces conneries qui puent la carie
invariablement. On se chouchoutait de loin, et puis on se saluait au passage, un
petit clin d’œil, un geste de la main. On avait juste besoin de se regarder dans les
yeux pour s’aviser qu’on porte tous les mêmes bas, sous nos races de putains.
Et puis y’avait Adrian aussi. Celui-là, c’était un numéro de loterie. Un
splendide numéro Perdant. Celui-là, il mériterait qu’on écrive un livre sur lui.
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Dix tomes, on s’en lasserait pas. Y’aurait plus que ce livre dans les
bibliothèques des gens, tous les autres ils auraient brûlés. On en aurait plus
besoin. Puisque celui-là condenserait chaque caillou depuis l’âge de pierre. Son
sac-à-dos à Adrian il contient tous les dolmens de l’humanité. Mais ce livre dont
je vous parle, ça se fera sans doute jamais, parce que c’est jamais rien que les
connards qui aiment épancher leur néant. Les vrais de vrais, ils ne portent plus la
barbe et sont trop sages pour vouloir parler. Ça leur prendrait de toute manière
des siècles entiers de causer des pyramides qu’ils ont vu s’édifier. Adrian il
faisait la manche juste à côté de l’hôtel. Quand je sortais sur le seuil pour me
boire mon thé au citron et puis mater les gonzesses aussi, je le regardais faire
son petit numéro. Il était propre sur lui et n’avait rien du clodo à la vérité. Il était
même assez chicos, d’une certaine manière. Gentleman-clochard, dirons-nous.
Je le voyais faire son petit numéro, à demander la pièce de cette même voix
monocorde d’un homme qui est obligé de faire le magnétophone pour bouffer sa
tartine de merde. Ç’avait par l’air drôle comme vie et pourtant il avait son petit
cigarillo qu’il se grillait tranquillos, et puis ses joues rasées de près qu’il aimait
bien caresser. En fait il avait l’air tout à fait peinard, dans ses haillons. Un gars
magnifique, hors du temps. S’il avait eu une gueule à plaire aux gens, il aurait
été président. Mais il avait pas la gueule pour ça. Déjà il louchait, et puis il était
pas très costaud non plus et ses mâchoires n’étaient pas assez volontaires comme
tous ces fils de pute qui plaisent tant. Son visage il était trop crème à la vérité.
Les gens veulent pas de ça, ça les fait gerber, ça leur donne des idées de tout pire
d’eux-mêmes. Parce que sur son visage à Adrian c’était inscrit qu’il en voulait à
personne, à personne du tout, même aux salopards qui l’avaient toujours aidé à
crever, et que la dernière chose qu’il eût souhaité, c’était qu’il arrivât du mal à
qui qui ce soit. C’est pour ça qu’il avait l’air si peinard, l’Adrian. Un soir, je
suis là à m’emmerder sur une brique de Thomas Wolfe qui est parfois très
chiant, on peut pas nier ça ; et puis qui vois-je qui débarque à la réception ?
Adrian ! En personne. Sans blague, moi qu’avait toujours eu envie d’aller lui
causer sans savoir comment m’y prendre, et le voilà qui débarque, là, devant
moi ! Fantastique la vie, n’est-ce pas ? Un gars l’emmerdait, et il savait pas quoi
faire pour s’en débarrasser sans être violent. Bon, c’était pas une grosse histoire
et l’autre là, l’emmerdeur, je lui ai collé un bon petit pied au cul histoire de lui
faire savoir qu’on tourmente pas les gentlemen-clochards. Du coup Adrian, je
l’ai invité à prendre un petit verre ou un bonbon je sais plus vraiment, et lui est
resté la soirée sur le canapé à me causer. Faut savoir que quand on est dans son
cas, quand on vit seul et qu’on fait que de demander la pièce, et bah ça suffit pas
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pour contenter les besoins d’un homme. On bouffe on chie et on crève pas la
dalle OK, mais ça suffit pas. Un humain, ç’a besoin de causer. C’est bien
normal. Si tu causes pas aux gens et que personne ne t’attend le soir, même pas
une chienne, même pas un bon repas chaud, comment tu peux savoir que
t’existes encore rien qu’un peu ? Exister dans ce monde pour quelqu’un, c’est
bien tout ce que l’on souhaitera jamais au fond. Lui, Adrian, fallait pas croire,
derrière son air un peu insouciant, c’était le genre d’homme à s’empoisonner de
pensées. Un gars trop intelligent pour ne pas réfléchir, mais au fond trop bête
d’autant le faire. Vous me suivez ? Les idées faut être vachement
précautionneux avec, parce que c’est comme le hors-piste. Un coup à boire sa
pisse en crevant de froid. En fait l’Adrian, son sourire c’était peinture. Ses
circonvolutions, c’étaient des cobras. Ce mec-là, je vous jure vous avez jamais
vu ça. La manivelle, elle tournait toute seule, elle était folle, même pas besoin de
votre pogne, elle courait, elle voulait tout détruire des choses sa boite-àmusique. Vous le lanciez sur un sujet, il s’arrêtait plus, il s’égarait en mille
digressions, ce véritable fils de pute, il vous séquestrait, c’était un rapt dans ses
coupe-gorges obsessionnels qu’il opérait ! Quand je dis qu’il parlait des heures,
et bah c’était de vraies heures, avec de vraies minutes et de vraies secondes.
Fallait déployer des sommets de patience ! Sans compter que c’était rien que des
sujets sérieux. Il pouvait pas se figurer une conversation entre deux Hommes qui
ne touchât l’Apocalypse ou le front des dieux. Si vous vouliez le mettre en
colère un coup, c’était pas compliqué, vous lui demandiez ÇA BOOM ADRIAN
ou T’AS PASSÉ UNE BONNE JOURNÉE ADRIAN et la machine était
lancée ! On pouvait même somnoler pendant qu’il causait, lui ça le dérangeait
pas, mais pas du tout ! Dans ses cimes, à peine vous apercevait-il, le saint
homme ! Faut pas croire que c’était toujours drôle à entendre, ses prophéties
écrites à la cendre et au verre brisé, et moi quand j’en avais trop soupé de lui,
mais vraiment pour de bon, je lui disais de se barrer et croyez-moi que pour ce
genre d’affaire, je prends pas la petite cuillère. Lui ça le vexait et il s’enfuyait
prestement, il se roulait en boule et disparaissait dans la nuit, comme un animal
qu’on a chassé. Moi ça me tordait les tripes, je me trouvais quand même un peu
vache à bien y repenser. Ce que je faisais le coup d’après, c’est que je
m’amenais avec les viennoiseries du matin, et puis on les mangeait ensemble sur
le trottoir ; lui mordait dans un croissant en reprenant sa phrase de la veille. Tout
était comme avant ! Au fond, ça serait bien du gâchis de rester en mauvais terme
avec ceux qu’on aime, ça c’est bien vrai. En tout cas, avec lui et moi, c’est
comme ça que ça se passait. Sacré Adrian.
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Y’avait ce mec qui livrait les viennoiseries à quatre heures du matin, qui me
réveillait toujours et moi qui lui causait à moitié fou, encore tout hypnagogique.
Je crois que je lui faisais un peu peur, à essayer de paraître normal. Et puis celuilà qui livrait le linge, à qui j’avais jamais rien à dire. Et puis ce client régulier
qui se levait tôt et venait toujours vous saluer avant d’aller bosser. Il vous serrait
la pogne en souriant comme un bébé bien parfumé et son parfum fort emplissait
la réception. Quelle odeur amène il avait ! Tous les connards aussi, qui font
chier pour du wi-fi qui fonctionne plus et eux qui savent plus comment
fonctionne la vie sans tous leurs gadgets à la con, ceux qui gueulent pour le
plaisir et ceux qui osent rien dire, qui font que de sourire. Les connards aux
mille langues, les connards du monde entier. Ceux-là, on les repère dès qu’ils
foutent un pied à la réception. Œil comminatoire et naseaux dilatés, on peut
immédiatement sentir leur besoin irrépressible de faire chier. Les femmes
magnifiques aussi, dont on attend toujours tout du sourire de la veille, et puis
qu’on se lasse d’attendre, quand le matin se lève et qu’il fait tout bleu sommeil
dans la rue. Tous les vieux aussi, les vieux qui veulent causer mais choisissent
toujours le moment où on n’a pas la tête à ça. Les gens du monde qui viennent
voir si c’est si beau que ça, Paris. Et puis ce gars-là, Eddy, qui était à moitié
estropié après un accident de moto, huit mois dans le coma et tout, revenu des
nuages comme une fleur, mais que y’avait plus rien d’eau qui l’attendait la fleur,
juste de l’ammoniac, du fumier, et puis les bottes du jardinier, sa femme elle
s’était tirée et ses enfants avec, ses muscles aussi, ses nerfs moteurs aussi, alors
lui qui vagabondait un peu partout sur terre en rampant comme un escargot, ne
sachant plus trop à quoi ça sert d’être encore vivant. Ce soir qu’il avait appelé
une pute, mais dont il était pas satisfait, vrai, c’était pas son standing qu’il
trouvait, elle connaissait pas les bonnes manières, elle était pas un assez bon
mensonge, OUAIS CASSE-TOI MA VIEILLE, C’EST PAS UNE PUTE QUE
J’AI DEMANDÉE, C’EST UNE ESCORT-GIRL ! Et puis le vieil arabe qui se
faisait soigner ses poumons en France, jamais rien qu’en chaussons et pyjama,
qui m’appelait toujours MONSIEUR TONIO et qui toussait des paquets de
charbon toutes les deux minutes. Sa femme, qui faisait rien que de cloper toute
la journée avec sa voix de Marlboro. Les clients réguliers, qui veulent surtout
pas voir quoi que ce soit qui aurait changé depuis la dernière fois. Et puis la
dame du cancer, qui se levait jamais rien qu’avec la même pensée et qui se
couchait sûrement avec aussi. La mort lui collait à la peau, c’était terrible y’avait
rien à faire, des opérations, des chimios, encore d’autres médocs de partout dans
la chair mais ça se disséminait cette saloperie, dans la poitrine, dans la tête, sous
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le cœur Ŕ mais le centre lui, était trop agile, trop magnifique, ma parole c’était
un boxeur, une esquive à la Sugar Ray sublime. La dame du cancer, elle voulait
vivre elle, c’est tout. C’est déjà tout. Le matin, elle se levait tôt, son mari
dormait encore, son mari qui en avait marre un peu lui aussi, et elle qui allait à la
recherche de ces fruits rares qui combattent le cancer. Graviola, ça s’appelait.
Elle faisait le tour des marchés de Paris pour trouver ses graviolas, et puis quand
elle revenait à la réception, elle vous ouvrait son sac à provisions pour vous
montrer le trésor, ça c’est des graviolas mon fils, la graviola ça combat le
cancer, ah oui ? et bien vous avez bien raison de pas vous laisser abattre
madame, faut lui casser la gueule à ce putain de cancer, faut lui broyer les os et
vous êtes bien courageuse, ça c’est bien vrai, merci mon fils, merci, regardez
aussi, je vous ai pas oublié, oh c’est trois fois rien hein, j’ai juste trouvé ça sur le
chemin, je me suis dit que vous devez avoir faim parce que la nuit ça creuse pas
vrai ? Vous qu’aimez les avocats, le vendeur il m’a dit que c’étaient les
meilleurs de Paris. Cette Algérienne elle était exactement comme le nougat
d’Algérie. Du beurre, de la noix et du miel.
J’étais tout à ces souvenirs pendant que j’allais vers l’hôtel et je me demandais
un peu où qu’ils étaient tous passé, s’ils étaient encore là ou ailleurs, s’ils
pensaient à moi aussi des fois ou si la Pénombre m’avait engouffré ? Je marchais
en me demandant OÙ QU’ILS PASSENT TOUS, LES GENS ? POURQUOI
QU’ILS RESTENT PAS FIGÉS LÀ OÙ ON LES A LAISSÉS, PUTAIN DE
MERDE ? FAUT TOUJOURS QU’ILS S’EN AILLENT VOIR AILLEURS,
CES SACRÉS FILS DE PUTES.
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À l’hôtel j’ai sonné, et Marina m’a ouvert. Elle avait l’air surprise de me voir.
Elle se méfiait toujours un peu de moi. À croire que je préparais un sale coup, ou
je sais pas trop quoi. Quand même, quand elle a vu que je venais juste pour la
voir, et bah elle a souri et m’a balancé un petit direct, illico.
« Qu’est-ce qué c’est qué cette couaffoure ? Tou as trouvé dou travail au
cirque ? »
Je vous jure, elle en manquait jamais une celle-là. Tout de suite j’esquive, j’en
rends une petite, une pas trop forte, juste au niveau des flottantes, pour montrer
que je sais toujours me défendre.
« Joli décolleté, Miss Pourboires, tes clients apprécient ? »
Comme ça en se disant nos conneries, un truc est passé dans nos yeux
brillants, comme un minuscule ravissement je crois, une infime poignée de cils,
parce qu’on a vu qu’aucun de nous deux n’avait changé et que c’était bien
mieux comme ça. On s’est souris, tout simplement. On pouvait s’empêcher de
ça. Y’a des gens, je vous jure, rien qu’à les avoir dans son champ de vision ça
redonne le sourire pour de bon.
Le Dimanche à l’hôtel, la journée c’est aussi mort que la nuit. Il se passe
quedal. Oh ! y’aura bien un emmerdeur qui sait pas comment mettre son
chauffage à la con, ou bien un petit malin qui veut piquer des sachets de thé pour
nourrir les lavabos, mais il se passe plus ou moins rien. Au moment où
j’arrivais, elle déjeunait toute seule ses nouilles chinoises à la cuisine. Marina,
elle mangeait jamais rien que des nouilles en plastoc sous carton, et pourtant elle
était magnifique comme un fruit rouge. Fallait pas lui parler d’autre chose,
d’avocats ou d’aubergines ou même de pâtes à la sauce tomate, y’avait que cette
merde-là qu’elle voulait bien avaler. Les petits ragoûts que je me faisais, elle ça
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la faisait doucement rire. Elle allait au frigo et tapotait fièrement sur ses boites
en carton Ŕ c’était ça son Dieu à Marina, des nouilles chinoises. Là, elle était
seule devant la télé et du coup, elle était bien contente de me voir débarquer.
Quand il s’agissait de lui tenir compagnie pendant SES heures de travail, elle
vous trouvait jamais trop inintéressant la Marina. Elle m’a fait un petit café,
double expresso bien tassé Ŕ à l’hôtel c’était comme ça, on savait tous ce que les
autres ils buvaient selon l’heure qu’il était Ŕ elle me l’a fait et on s’est posé dans
le coin salon, histoire de causer un brin. Je lui ai raconté mes histoires d’Église
avec Rita, évidemment ça l’a bien faite marrer. Bon Dieu, elle s’en donnait à
cœur joie ! Elle se boyautait bec grand ouvert et moi, je l’écoutais me charrier.
Du reste, j’étais bien content d’être là. Je grignotais les madeleines du patron,
qui sont pourtant dégueulasses, en faisant bien exprès de foutre des miettes de
partout. Je racontais mes histoires en peaufinant bien mes effets et les
exagérations et la Marina, elle s’arrêtait plus de postillonner ses nouilles en me
tourmentant gentiment. Notez que c’était jamais rien qui enfonce là où ça ferait
vraiment mal. Juste à côté, là où au contraire c’est fendart et tout. Les gens
comme ça, faut les conserver.
Un moment comme ça, je me suis essoufflé. Je me suis rendu compte que ça
faisait une demi-heure que je parlais que de moi, de cette histoire qui n’avait pas
marché, et ça m’a donné la nausée. Je veux dire, j’avais l’impression de pas
valoir mieux que toutes ces foutues salopes qui passent leurs temps aux terrasses
de café. Nan, vraiment, ressembler à ça, c’est la pire des choses qui puisse
arriver. Alors je l’ai fait causer et vous savez quoi ? Y’a rien de plus simple que
de faire causer une femme. C’est comme de pousser un flocon en haut d’une
montagne.
Elle a commencé à me parler de l’hôtel, du patron qui n’avait pas l’air d’avoir
changé, ce fils de pute de patron qui n’en avait rien à foutre d’avoir un client
cancéreux ou paralysé, qui chiait juste dans son froc si la chambre n’était pas
encore réglée, qui vous parlait jamais que pour vous donner un ordre, et quand il
le faisait ce salopard disait même pas votre prénom, il gueulait juste ALLÔ !
ALLÔ l’air de dire qu’on était trop dans la lune, pas assez crasseux dans son
putain d’hôtel avec lui, le patron qui vous faisait une petite visite surprise de
temps en temps, ou qui vous appelait à trois heures du matin juste pour vous
demander innocemment une vétille, pour savoir en fait ce que vous trafiquiez,
MAIS TU CROIS QUOI SALE FILS DE PUTE ? IL EST TROIS HEURES DU
MATIN ET JE DORMAIS, ET TU ME PAYAIS À RIEN BRANLER, OUAIS
PARFAITEMENT, elle m’a parlé de lui, et puis de l’hôtel en général, des
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innombrables histoires que créent les femmes en atmosphère close. À part moi
et le patron, dans cet hôtel, y’avait que des femmes. Pour créer des histoires, y’a
pas plus fortes qu’elles. Allez dans une volière écouter un peu comment c’est
bruyant, vous comprendrez. C’est qu’elles peuvent pas s’en empêcher. Elles
aiment trop savoir tout ce qui ne les regarde pas, disséquer en public toutes les
petites cuisses privées. Je vous jure, elles aiment trop parler des absentes. Moi,
si y’a un truc que j’ai appris en travaillant avec les femmes, c’est qu’il ne faut
jamais se fier à ce que dit l’une à propos de l’autre. Si vous avez pas l’esprit
construit pour, c’est vachement casse-gueule. Sans blague, vous vous y perdrez
en dédales pas possibles. Parce que de tout ce qu’elle dira, ça sera qu’au mieux
jamais que très approximatif. Mais le plus fou, ça serait pas de croire qu’elles
mentent, parce qu’elles mentent même pas, de leur point de vue, c’est toujours la
stricte vérité. Elles mentent pas sciemment, parce qu’au moment où elles le
disent, elles le pensent vraiment. C’est ça qui rend dingue, putain. Un truc du
genre cyclique, la vérité des femmes Ŕ comme une espèce d’hormone, j’imagine.
Le mieux à faire si vous voulez mon avis, c’est de se tenir à l’écart de tout ça.
Tout de même, je me suis installé confortablement dans mon fauteuil avec un
vague sourire aux lèvres, m’imaginant toutes les insignifiantes saynètes qu’elle
me détaillait délicieusement. Je savourais mon café en me disant que y’a des
choses, vraiment, qui changeront jamais.
Je l’ai matée en me rappelant toutes les fois qu’elle m’avait engueulé parce
que je foutais rien, ou quand je lui manquais de respect. C’est vrai que j’avais
tendance à abuser, des fois. Mes allusions, ça devient obscène à force. Je sais
bien. Je le sais parfaitement. Je peux pas m’empêcher, c’est mon cerveau qu’est
fabriqué de la sorte. Je fais de drôle de liens, j’y peux rien, et faut que je les
sorte parce qu’ils sont trop marrants. Mais ça l’est pas forcément pour tout le
monde, surtout pour une femme mariée. C’est pas qu’elles sont coincées ni rien,
mais c’est qu’elles sont mariées. On peut pas tout dire, c’est bien normal. Y’a
quand même un certain respect qu’on leur doit, je comprends ça parfaitement.
Une fois, je lui avais dit que j’enviais sa fille Valentina parce qu’elle allaitait.
J’avais même essayé de foutre mon blaze là-dedans. Sans blague, je suis
vraiment taré parfois. Et pourtant, j’avais rien de bien sérieux derrière la tête, je
voulais juste mimer le machin. Juste mimer. Bien sûr, ça lui avait pas plu du
tout. Elle m’avait fait la tête pendant une semaine et puis un beau matin, elle a
mis les choses au point, d’un coup comme ça, comme un bouton qu’on perce.
Paf ! Elle a eu bien raison, du reste. J’ai tendance à être vraiment dégueulasse si
on me calme pas, surtout avec les filles avec lesquelles je suis bien. Et du coup à
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force de déconner, on est plus bien du tout ensemble. Le sexe, sans blague, ça
gâche toujours tout. Mais c’est bien, aussi.
Quand elle en a eu marre de critiquer les autres la Marina, elle a embrayé sur sa
vie à elle. Elle me la racontait et bizarrement, sa vie qui n’était pourtant pas
différente des autres filles, ça me faisait quand même plaisir de l’écouter. C’était
différent. C’était la manière dont elle voyait les choses, comment qu’elle les
racontait.
Après ça, y’a eu ces deux vieux qui se sont ramenés, des connards pas
imaginables qui savaient pas comment s’occuper seuls le Dimanche après-midi ;
ces tas de merde avaient bouché leurs W.C.. Maintenant ils s’affolaient, ils
avaient peur de plus avoir d’autel où s’exprimât leur beauté. Marina m’a laissé
un peu, pour aller s’occuper de ces deux larves. J’ai pris une clope dans son
paquet de Pall Mall et j’ai commencé à la fumer là, en plein dans l’hôtel. C’était
pas autorisé, mais j’en avais rien à foutre. T’es un dur, Tonio, un dur de dur,
voilà ce que j’me disais. Si bien que j’ai un peu fais le tour des lieux. L’hôtel,
même maintenant refait à neuf et tout, il était toujours aussi moche. Toujours la
même lumière d’hôpital, toujours l’envie de se tirer une balle en se regardant
dans les glaces du fond. Ç’avait pas beaucoup changé, depuis l’incendie. C’est
toujours aussi pas beau, à la vérité. Toujours des meubles pourris, sur le point de
se casser la gueule bien complètement. Le patron il aimait pas les trucs jolis.
Préférait ce qui était cher. Ça le rassurait. Dans les étages, ils avaient modifié la
couleur du mur. Il avait engagé quelqu’un pour ça, une espèce de tapette censé
être expert dans le domaine. Le mur, c’était un gris plus clair maintenant. Du
cache-misère. Du cache-poussière. Bon, bon. Je suis allé rendre visite aux
toilettes, celles où j’aimais bien me branler la nuit. C’était la nouvelle cuisine,
maintenant. Ça m’a un peu pincé le cœur. Ces centaines de femmes que j’y avais
honorées !
Marina est revenue, et elle est pas revenue seule. Y’avait Katia avec elle. Cent
dix kilos d’amour sombre ! traînant tongs et bonne humeur rouge-à-lèvres.
Katia elle est aussi excellente qu’Adrian, dans son genre. Peut-être même encore
mieux. Peut-être même que je suis amoureux d’elle, d’une certaine manière.
Katia c’est la femme de ménage du week-end et elle jure que si elle travaille ici,
c’est parce que le patron l’a suppliée pour. Ma parole il vous aurait fallu voir ça,
ce bouge c’était une putain d’œuvre philanthrope à tous les écouter. La Katia
elle, elle en avait gros sur la patate, ouais, elle avait des choses à dire sur le
patron, des tonnes de choses, elle le décortiquait à la soude, le pauvre bougre ;
elle prenait son regard féroce en vérifiant d’abord les parages, et puis le
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maudissait de toutes les injures qu’elle connaissait en français. Et c’était trop
drôle parce qu’avec son accent des îles, les insultes elles tournaient crème. Parce
qu’au fond, c’était une chic fille, la Katia.
« Mais qu’est-ce qu’il fait là, célui-là ? elle s’est exclamée, la Katia, avec un
sourire gros comme un panier de cerises.
ŕ Brave Katia ! Quel plaisir ai-je de te voir, toi et ta légendaire bonne
humeur ! J’étais à l’église ce matin, Katia. J’ai prié pour toi. J’ai prié pour ton
Salut.
Katia elle priait tout le temps et elle m’assurait qu’elle m’oubliait jamais dans
ses prières. Elle priait pour tout le monde à la vérité, sauf le patron Ŕ et puis son
traître de mari, aussi.
ŕ Ah oui ? C’est pou’ ça que tou es tout joli aujou’d’hui alo’!
ŕ J’ai vu Jésus, Katia. Jésus a troqué ses clous pour une Bentley.
ŕ Mais qu’est-ce qué tou ‘acontes ? Attention Tonio, hein, attention dé
comment qué tou pa’les dé Jésou hein ! On ‘igole pas avec ça, mon g’and.
ŕ Katia, il faut que tu fondes une religion. Tu es ma déesse, je serais ton
unique Saint accroché à ta Dive Poitrine.
ŕ Mais tou as pas du tout changé, toi ! Ma’ina dis-moi, tu lui a ‘aconté à
Tonio ce qu’il nous fait comme sale coup, ce CONNA’ !
ŕ Ah non pas encore, j’avais oublié.
ŕ Ce CONNA’ ! Vouaiment ! Saquoué CONNA’ !
Elle a sorti un truc de sa poche. Une poupée vaudou. Le chiffon, c’était le
patron. Et il était criblé d’aiguilles. Avec Marina on s’est regardé pleins de nos
yeux brillants. On l’adorait pour les même raisons, Katia.
ŕ Tou vois ça ? Attends ‘ien qu’un peu qué ça fasse éffet, tou vas voir
comment qui va fini’ en manioc, le pat’on !
ŕ C’est les primes dé Noël, m’a dit Marina. Il a pas donné lourd.
ŕ Lou’ ? LOU’ ?! qu’elle a fait comme ça, en secouant sa marionnette. Il a
‘ien donné du tout ! Des CACAOUÈTES ! Je me paie même pas une coiffu’
avec ça ! Pttt ! Salopa’ celui-là ! Dix ans qué je t’availle pou’ lui, DIX ANS !
Jamais un reme’ciement, une gentillesse, ‘ien ! ‘IEN !
Elle m’a regardé avec ses gros yeux, et puis elle m’a souri d’un coup. Son
sourire fendu ma parole c’était quelque-chose à voir, quel jackpot, quelle
écharpe ! Imaginez-vous un peu au beau milieu d’un champ de tournesols, avec
un soleil de plomb et une envie de vivre sur les rognons, indéfiniment.
ŕ Alo’ ? Tu ‘evenu tchavaillé à l’hôtel ? Tu n’as pas enco’ fait fo’tune avec
tes écritu’ hein ? »
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Ouais, on était bien ici.
Katia m’a servi un nouveau café et on est resté un moment à rien faire d’autre
que de se marrer. Payées à se marrer, voilà ce qui leur plaisait. Elles avaient bien
raison, du reste.
Après ça Katia est retournée à son linge sale. On est resté là avec Marina un
petit moment, sans savoir plus trop de quoi parler. C’est qu’elle foutait un sacré
vide de viande, Katia, quand elle se tirait.
« Tou travailles quelqué-part en cé moment ?
ŕ Tu sais Marina, le travail, moi… j’ai fait en tournicotant la fausse orchidée
du salon.
ŕ Et bah quoi ?
ŕ Bah c’est pas ça. Le travail j’aime pas beaucoup ça. J’préfère rester dehors
à causer aux femmes que j’connais pas.
ŕ Et la fac, alors ?
ŕ Me parle pas de cet endroit, Marina. Je te jure, rien que d’y penser, j’ai
mal aux souvenirs.
ŕ Rétourne-y, Tonio. T’es pas fait pour lé boulots dours. C’était dé bonnes
études qué tou faisais.
ŕ On faisait rien qu’apprendre à oublier. Grossière perte de temps, que cet
abattoir. La fac, Marina, c’est là-bas que l’on fabrique les fils de putes.
ŕ Commence pas, Tonio…
ŕ Excuse-moi du langage, Marina, mais c’est exactement ça. Les gens ne
naissent pas salauds comme ça. C’est à tous ces endroits qu’ils s’affûtent en
vrais dégueulasses.
ŕ Faut toujours qué t’exagère, toi.
ŕ J’exagère, moi ?! J’me trouve au contraire plutôt crème avec ces
salopards. Sans blague, t’y es déjà allé à la fac ? Tu sais ce que ça veut dire, au
moins ? La fac, ça veut dire s’enfermer à écouter des mensonges alors qu’au
MÊME MOMENT… bah au même moment, dehors le soleil brille.
Franchement. Moi, assis à écouter leurs conneries, j’ai l’impression de
m’éteindre. J’suis un incendie, moi ! J’ai trop faim, tu comprends ? Je veux dire,
merde Marina, combien de temps ça va continuer cette satanée comédie ?
Combien de temps qu’on va passer comme ça, à se mentir et se travestir si
dégueulassement, à se trahir et se dire qu’on a un train à prendre, qu’on a des
tonnes de choses importantes à faire, parce que toi comme moi on le sait très
bien Marina, on sait très bien que ces choses-là, elles sont pas importantes au
fond. Y’a bien mieux que toutes ces conneries. Et je dis pas que j’ai raison, hein,
107
que tout le monde devrait faire comme moi. Chacun sa merde, après tout. Je dis
juste que c’est MA vérité, tu comprends ?
ŕ Non, rien dou tout. Parcé qué y’a rien à comprendre dou tout.
ŕ Dis pas ça, Marina. Dis pas ça. Je suis sérieux, là. C’est sérieux la vie,
Marina. J’vais te dire quelque-chose Marina, j’ai p’têtre un sacré paquet de
défauts, mais j’ai sûrement pas celui d’être un déserteur. Et je veux sûrement
plus passer ma journée à la remettre à demain, parce que demain ça sera encore
le même cinéma, ce putain d’inlassable même cinéma, faudra bien encore
manger chier dormir et courir après des reflets, demain au fond rien n’aura
vraiment changé, et ça sera rien qu’un mensonge éhonté si aujourd’hui n’a pas
vraiment existé. J’suis pas un déserteur, Marina, j’suis pas un déserteur… tout
commence là, maintenant, entre toi et moi, à causer de tout et de rire de rien, je
veux dire, quoi, tout est là, rien d’autre n’a d’importance qu’ici, là, parce que
rien d’autre n’existe autre part que maintenant.
ŕ Tonio…
ŕ Marina… j’accorde une grande importance à la vie. J’ai pas envie de
l’inscrire sur un putain de C.V. à la c… Excuse-moi, Marina. Ce que je veux
dire, c’est que je veux pas laisser les charognards décortiquer vingt, trente ou
quarante ans de mon existence sur un simple papelard à la con. C’est affreux
quand on y pense. Affreux !… parce que les diplômes, qu’est-ce que c’est les
diplômes au fond ? Ça va t’apprendre à aimer une femme, ou à regarder la vie
dans les yeux ? Ça va t’apprendre l’anatomie humaine, tu crois ? L’anatomie
humaine, Marina, c’est pas une science, c’est une épreuve quotidienne. J’veux
danser, moi. J’veux m’éparpiller, c’est tout. Et si on fait pas gaffe, on finit
comme un cure-dent… Parce que là-bas, je te le jure Marina, là-bas ils te
cousent une petite camisole et chaque jour, chaque jour où dehors le soleil brille,
chaque putain de jour ils te rajoutent une aiguille, une couture aux paupières.
Moi j’préfère vivre à poil. Les couilles à l’air, la vie est vachement légère.
ŕ Yé vé pas t’entendre parler comm...
ŕ Marina. Sérieusement, tu me vois vivre comme le patron, à rouler dans une
grosse bagnole la peur aux tripes que quelque-chose arrive ? La peur, c’est ça
qui fait tout foirer les gens. Ce que je veux te dire, Marina, c’est que la vie
t’offre tellement de possibilités… tellement de possibilités, dès lors que tu
quittes cette dégueulasse autoroute qu’on te déroule en tapis rouge, tout est
possible et je veux dire, quoi, après tout on a qu’un essai alors pourquoi flipper ?
C’est pas de rater qui devrait faire peur aux gens, mais c’est d’avoir même pas
essayé. Y’a urgence, putain ! Je peux mourir tout à l’heure en descendant les
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escaliers, je peux mourir sans avoir vu un nouveau jour s’en aller. Chaque
seconde ici te laisse pas le choix, t’es obligé de t’y jeter dedans, toute ta viande,
sans compromis, en entier, pas de harnais, pas de quartier, aucun quartier à
l’équarrissage, tu dois tout jeter là-dedans, chaque seconde, chaque putain de
seconde est un putain de saut de l’ange sans filet ni rien. La vie, elle n’laisse pas
le choix. Quand on fera le tri dans ce grand tas d’os, y’aura d’un côté les
hommes et de l’autre les cabots. Pas de troisième tas. Et permet moi de te dire
qu’un est énorme et l’autre minuscule, et au fond, c’est bien ça qu’est triste, si tu
veux mon avis.
ŕ Et je dis pas que c’est simple ni que j’ai la clé. Je dis pas que je sais
comment faire, Marina, parce que je sais pas. La solution je l’ai pas. Là. Mais ce
que je veux te dire, c’est que je vais quand même essayer et qu’on verra bien.
On verra bien, voilà. Me demande pas la recette, je suis pas magicien et le
gouffre autour il est immense et y’a qu’un poil de cul de tendu entre. Je dis juste
qu’autre chose peut être possible. Ça doit l’être. Sinon, tout ça, la vie, les gens,
le monde, la terre, bah moi je dis que ça serait trop triste. Voilà. Regarde autour
de nous, quoi ! Rien n’a de sens, aucun, tout ça c’est qu’une putain de
succession de hasards à la con qui font qu’on en est là, toi et moi aujourd’hui, et
depuis notre naissance c’est ainsi, c’est dingue quand on y pense et moi plus je
pense au hasard, plus je veux y plonger pour de bon. Tout ça au fond, c’est
qu’un putain de casino complètement fou. C’est du casino la vie. Alors je vois
pas ce qui devrait m’effrayer là-dedans. Après tout on est les humains quoi, je
veux dire, au départ personne n’aurait mis la moindre pièce sur notre ganache et
on a battu les dinosaures à domicile, Marina, on a baisé la pierre et on a créé la
bombe nucléaire.
ŕ Et quand est-ce qué ça s’arrêtéra, tes z’histoires, Tonio ? Hein ?
ŕ Dans peu de temps, Marina. Laisse-moi juste le temps de les avoir toutes
faites. Juste pour être tranquille avec moi-même ; juste pour me rendre compte
que je rate rien, rien du tout. Alors je me consacrerai pleinement à mon destin
d’écrivain.
ŕ Pfff, elle a fait.
ŕ Quoi PFFF ; PFFF rien du tout OUAIS. Attends seulement que j’arrive à
étriper rien qu’un peu de tout ce que j’ai dans le crâne, attends seulement que
j’aiguise encore un peu mes crocs ; tu verras Marina, tu seras contente de
m’avoir Côtoyé.
ŕ Ha-ha ! elle a fait en se forçant un peu à rire méchamment. Dépuis lé temps
qué tou nous parles dé ça…
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ŕ Ouais bah attend encore un peu, j’ai fait en la défiant du regard. Tu me
mangeras dans la main, Marina, tu viendras toquer à ma porte, les cheveux
trempés, les yeux mouillés, éclaboussé de mascara, éperdue, essoufflée, t’auras
l’air d’une trousse à maquillage renversée, la poitrine battante sous CE
chemisier, parce que tu sais que je l’aime bien, ouais, ouais, parfaitement
Marina, fais pas l’innocente avec moi, et tu viendras toquer à MA porte juste
pour me revoir. Et ouais, ma p’tite. Parfaitement. Fais gaffe Marina, j’suis pas
sûr que j’t’accueillerai les bras ouverts. Surtout si j’suis déjà bien accompagné.
ŕ Ah oui, hein sûrement ! Jé t’épousérai, cé jour-là. Cé promis.
ŕ Ouais, ouais, c’est ça ouais ! j’ai dit en vidant tout le défi qui me restait
dans le ventre. Mais c’est pas sûr que j’dise oui.
ŕ On en répaléra à cé moment-là… qu’elle m’a répondu avec un air dont on
savait pas tellement si c’était sérieux ou juste du mou... En attendant que tou
deviennes riche Tonio, il faut bien qué tou gagnes ta vie. Tou peux pas passer ta
vie à draguer les femmes. Il faut travailler aussi.
ŕ Pourquoi il faut travailler, Marina ? Pourquoi, putain ?
ŕ Pas dé gros mots, Tonio.
ŕ Excuse-moi… Je veux dire, Marina… Je connais la chanson. J’la connais.
Ouais ouais ouais, faut travailler, gagner sa croûte de pain, faire pousser ses
betteraves et s’étriper pour un mur mitoyen, ouais, je connais la chanson. Elle
me plait pas, voilà. Je veux dire, je veux bien de ça, mais pas QUE ça.
ŕ Ah oui et l’argent alors ? Tou vas pas passer ta vie à taper ton daron.
ŕ Je tape pas mon daron. C’est de l’ARGENT DE POCHE. C’est bien
normal.
ŕ Et tou crois qué les femmes, elles vont fonder une famille avec ton argent
dé poche ?
ŕ Bin… c’est pas ça. Je pourrais travailler au besoin, mais je nécessite une
motivation. Je veux dire, imaginons que demain je me mette à la colle avec une
bonniche, que je lui fasse des moutards Ŕ quoique je ne sois pas forcément
pressé de tout ça, hein Ŕ et bah je me mettrai au turbin et putain ! je te jure que
quand je turbine vraiment, ça déménage. Mais pour l’instant, merde quoi, je
veux dire j’ai bien le droit de vivre un peu en connard avant d’abdiquer pour de
bon, non ?
ŕ T’es qu’un gosse Tonio. C’est pour ça qué tou trouves pas dé femmes. Lé
femmes, elles veulent dé z’hommes qui les protègent.
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ŕ Oh tu m’emmerdes, hein ! ce que vous voulez, c’est des chiens de garde.
Les Hommes, les vrais comme moi, ça vous intéresse pas. C’est bien pour ça
que je suis seul, mais ça me fait pas peur. C’est la marque des Grands. »
Et puis elle s’est mise à rire, de son rire qui était pas du tout un vrai rire mais
juste un spasme dégueulasse fait tout exprès pour vous blesser. Dans mon
fauteuil là d’un coup, je me suis senti terriblement seul. Je l’ai vue vieillir, elle,
avec des rides qui lui pendouillent de la gueule comme ses vieilles nouilles en
carton, des spirales crématoires lui sortant de ses narines de veau, l’acide qui
ronge les ossements, parce que c’est comme ça qu’elle allait finir au fond,
comme tout le monde finit, surpris par sa propre fin, d’une balle de trahison dans
la nuque, j’ai vu Katia griller au barbecue, j’ai vu l’hôtel brûler une seconde
fois, le monde tout entier fondre en ossements et asticots, et ça m’a foutu le
cafard, un cafard pas racontable. Partout où vous allez, la mort vous colle au
sacrum. Les gens ils sont tous déjà presque morts et ils veulent qu’on fasse tout
pareil. Dès que ça leur échappe, ils rigolent méchamment. Ça m’a donné la
nausée rien que de penser au nombre de fois où ça m’était déjà arrivé, et le
nombre de fois où ça m’arriverait encore, quelqu’un qui se moque quand je veux
juste essayer de me déployer. Les salopards, ils veulent tous vous décourager de
vivre ! C’est affreux quand on y pense, tous ces vivants qui s’échinent à vous
crever. À chaque tournant du monde d’une manière ou d’une autre, on essaiera
de vous poignarder. Je vous jure. À les écouter, poser des clôtures à leur jardin
c’est la plus belle chose qui puisse vous arriver.
Moi j’étouffais ici. Je me serais pas vu rester une seconde de plus. Ça
manquait pas, la cendre me tombait de la peau dès que je m’enfermais un peu de
trop. J’étais tellement mal que j’ai cru que j’allais chuter ou m’évanouir,
quelque-chose comme ça. J’avais la main sur le mur, j’en chancelais presque.
Sérieux. Ces sujets-là, ça me secouait de trop. Je vous l’ai déjà dit, je suis un
grand émotif et ici, avec les gens, faut toujours serrer les dents. Marina, elle a vu
que j’étais énervé, et elle ma gueulé REVIENS UN DÉ CES JOURS comme je
partais. J’ai même pas répondu. J’avais trop envie de vomir.
111
C’est bien vrai que j’ai un peu du mal à les comprendre, les hommes. Ils
m’échappent. Je leur serre la pogne, ça fuit comme du savon. Je vous jure sans
vouloir être trop dur, j’ai l’impression de secouer des épouvantails. Je trouve
qu’ils ont pas grand-chose dans le ventre et qu’on pourrait le leur larder au surin,
il ne sortirait probablement que du foin, des haricots blancs. Pas d’imagination,
pas de fantaisie. L’idée d’aller faire un saut dans le vide ou d’aller bander dans
le noir, ça les épouvante. Leur parler de hasard ou de nouveauté, c’est comme de
leur jeter des pétards aux trousses. Sans blagues, ils ont peur d’un rien, ils
mettent des capotes sur le moindre de leurs mouvements. Ils ne jurent que par la
sécurité, les assurances. Les peurs, les dangers apparaissent immenses puisque
ce sont eux qui les créer. Ils s’annihilent rien qu’à l’idée d’agir. Ils vivent dans
la réflexion, ils se noient dans les idées, dans les rêves surannés, ils édifient des
univers à la mesure de leur lâcheté parce que celui dans lequel ils ont jailli est
trop volumineux pour l’échine plate des cancrelats, le monde est trop étriqué
pour un petit bonhomme qui a passé sa vie à la comprimer, qui a passé son
temps à le remettre à jamais. Ce sont des chiens, morts de soif à l’orée des
fontaines. Alors ils se tuent au travail pour oublier qu’ils ne vivent pas. Le
travail ou autre chose, entendons-nous bien. Ils font que ça, depuis toujours. Ils
font que de fuir, de s’enterrer. Leur quotidien ressemble au coup de pelle de leur
propre enterrement. Ils s’emmerdent, se mentent à longueur de journée. La
religion, le turf, la gnôle, les bagnoles, le poker, l’art, les femmes, tout ça c’est
du pareil au même. Tout est vain c’est entendu, il s’agit d’adoucir la vie je veux
bien le croire, mais là où il s’agit de l’adoucir, ils l’embaument dans du papiercul, petite momie qu’ils dépoussièrent en période de rare exaltation, exaltation
de poignard, de balle dans la tempe. Leurs vies s’étendent en une succession
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d’ellipses, de trous noirs entrecoupés d’une douloureuse lune de mort-vivant. Ils
font que ça, ils ballotent dans les extrêmes, ils ne savent sentir, ressentir, plus
qu’en se shootant. L’émotion facile, l’émotion au rabais. Ils sniffent une dose
d’héroïsme. Alors ils brisent tout, ils se blessent en brûlures vives pour écorcher
quelques sensations sous le désœuvrement. Et puis ça se termine parce que tout
a une fin et ils n’acceptent pas les règles du jeu, ces feignasses voudraient avoir
le cul collé à un trône et l’ongle en cuiller d’argent, et puis quand même ils
reviennent à la raison, et c’est toujours et irrémédiablement qu’une coupe en
verre dans des pognes d’enfant. Le temps fond bougie et le lierre grimpe, ronge
leur tissus souterrains, il étouffe, il engonce, la peau se chiffonne, la gangrène
d’une grimace lente, une paupière tombée dans un fond de verre qui ne pétille
plus. Leurs mots sont des pierres taillées par un vent sec, ils ne sont plus
capables de rien d’autre que d’articuler les prétextes de vieux cadavres à leur
défection. Ils deviennent hargneux, ils fantasment sur le voisin. Quand il est des
terres calcinées par le sang où l’on y lutte pour ne pas crever, eux regardent leurs
doigts de pieds, leurs nombrils ressemblant à des zéros mous, et cherchent une
bonne raison de continuer. Ils s’ennuient c’est écœurant, ils s’occupent le temps
comme des enfants gâtés. Ils dilapident la richesse de leur moment d’exister, ils
font honte à la race humaine tant ils n’ont plus un brin de virilité. Ils n’ont rien
d’autre à foutre que de s’examiner pore par pore, de gale en gale à se gratter les
sillons. Ils disent TANT PIS, C’EST LA VIE, alors que ça n’y ressemble que
très médiocrement à la vérité. Ils n’arrivent pas à aimer, ils n’arrivent à rien du
tout ils sont obèses de la volonté. Et je dis pas qu’ils sont tous comme ça, je dis
pas qu’il ne reste pas quelque apaches parmi les civilisés, des gars capables de
rire de leurs faiblesses et de poser des explosifs sur leurs envies, de courir et
d’aimer tout ce qu’ils n’auront jamais, je dis juste que la plupart sont des moins
que rien Ŕ non pire : des moins qu’eux-mêmes. Au moindre obstacle, ils
s’effondrent comme des chevaux anémiés. Ils ne comprennent pas que pour
apprendre il faut essayer, ils ne comprennent pas toute la valeur de perdre, de
suer, ils ne comprennent pas que là où est la douleur se trouve leur vérité. Le
jour où ils seront capables de vivre sans allumer l’interrupteur, ce jour-là il
restera juste le noir profond, le noir sans limites et des sourires fluorescents. Ce
jour-là ils construiront leur propre monument et applaudiront celui de leur
voisin. Pour l’instant, ils regardent juste le temps couler dans leur calvitie, des
gouttes de cheveux blancs. Certains peut-être doivent se demander quand ont-ils
vraiment existé ? Et pourquoi qu’ils ne sont pas devenus ce pourquoi ils étaient
faits ? Alors quoi, vivre cinquante ans ça vous émascule un homme ??? Où
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qu’ils sont passés, ceux qui sautaient de trapèzes en trapèzes en faisant la nique
au filet ??? À qui la faute, j’en sais rien, mais la vie les a castrés et ils sont là,
écœurants, prostrés, ils collectionnent leurs tracas et dissèquent la fatalité, ils
traînassent, traînent leurs carcasses en attendant qu’elle se fane tout à fait, en
attendant le dernier souffle, la dernière larme où se brisera l’ampoule, et
lorsqu’elle perlera, lorsque le cœur maltraité dira BON DÉBARRAS, on
entendra un rot énorme, une crevure d’abcès, le rire jaune d’une farce vieille de
quelques milliers d’années. En attendant ils sont là et se cherchent une raison de
continuer Ŕ il ne leur reste qu’à se sucer la queue en se morfondant de l’avoir si
petite.
Moi ma naissance, ma vraie naissance je veux dire, celle dont je peux être
réellement fier, puisque j’en suis le progéniteur et la progéniture, travaillé rien
qu’au forceps et à la sensation Ŕ un soir d’hiver, soir glacé du cœur à la pointe
du cheveu, pris dans un glaçon gros comme Paris, avec nulle part à chérir, nulle
part où brûler un peu, j’étais transi, noyé dans une épouvantable envie d’aimer.
Il faisait sombre, si sombre, tout était triste triste triste, j’avais l’impression
d’être seul parmi d’autres solitudes et aucun outil pour construire des ponts, tout
était triste triste triste comme au cœur d’un hiver sur quatre saisons ; alors voilà,
au lieu de rentrer chez moi, j’ai bifurqué dans une petite rue. C’est ça, la vraie
sédition. Le reste, c’est bon pour les films américains. Ainsi l’Opticienne. La
première des premières ; un gravats pour première brique. Putain quelle affure !
J’étais encore tout puceau des jolies choses, vous comprenez. Elle était belle et
elle était opticienne et j’avais mitonné une petite blague exprès pour elle.
Y’avait la paire de lunette lumineuse en enseigne, ça m’avait donné de
l’inspiration faut croire. Il pleuvait dur ce soir-là, et pourtant je sentais plus rien
de la pluie, ni du froid. J’étais tout à une autre préoccupation, bien plus
préoccupante ! C’était une blague compliquée et je suis resté devant la boutique
une heure, plus vraisemblablement, l’éternité d’un battement peut-être, à répéter
le truc, pour pas me tromper. J’essayais des audaces aussi, différentes
intonations. J’étais pas trop sûr d’aucunes. Au seuil de sa boutique, j’étais
comme un chien fou et trempé. D’un coup, j’y suis allé. Je me suis jeté dedans,
fiévreusement, follement, rageusement, comme un homme qui se dit qu’il n’en
reviendra jamais. Y’avait personne dans son petit cube blanc. Juste elle et moi.
Et des putains de galeries de lunettes de soleil à en plus finir. J’étais dans un
igloo immense, infini, ça résonnait lugubrement, et moi, j’allais devoir faire
fondre tout ça, rien qu’avec mes tripes, rien qu’avec mes mots. C’était une
folie ! Du coup tout s’est brouillé dans ma tête, c’est devenu flou, flou, flou,
114
flou, et j’ai plus trop su ce que je devais dire. Je savais même plus trop de la
signification du pourquoi j’étais là. Je me perdais dans mille reflets de miroirs.
Quand même, j’ai réussi à articuler ma phrase. Mais pas dans le bon sens ;
j’avais inversé les deux parties du truc, et du coup, ça voulait plus dire grandchose. Je m’étais comme qui dirait emmêlé les pinceaux ! Un vrai connard. Elle,
elle a pas été vache. Je veux dire, elle aurait très bien pu m’écraser comme une
coquille d’œuf, comme une merde de chien. Mais non. Elle avait pas fait ça.
Ouaip Ŕ sûrement une chouette fille. Avec un sourire extra, par-dessus ça. Fallait
voir cette classe, cette gentillesse ! Une balle de plomb au fond de la gorge, je
m’étais enfui me noyer dans la pluie. Ç’avait été un désastre. Ç’a été le plus
beau moment de ma vie. À ce moment-là, à ce moment précis, je me suis dit,
ouais, au fond peut-être que ça vaut le coup d’essayer. Une minuscule bougie,
vacillait loin, très loin dans l’horizon, comme un drôle d’anniversaire…
L’Opticienne si ça vous intéresse, je la revois de temps en temps. Elle travaille
plus à la boutique, parce que la boutique elle a fermé. Maintenant, l’Opticienne,
elle a un tablier blanc par-dessus ses nichons, elle vend du pain à la boulangerie.
Quand j’achète la tradition elle me sourit, je sais pas si elle se rappelle de moi ou
quoi.
De peau en peau on se déshabille et on se demande où ça s’arrête, on se
demande ce qu’il peut bien y avoir de beau au centre, si c’est immense ou
minuscule comme un pépin de pomme, s’il y a vraiment quelque-chose de bon
pour le monde là-dedans, et puis d’abord qu’est-ce qu’on peut bien avoir le
temps de devenir en une seule vie ? Ça paraît si court, une vie ! Les jours sont si
longs et pourtant impossible de s’en saisir, ne serait-ce que d’une seconde !
Alors quoi ? L’éternité, c’est une tâche de damné, ma parole ! Les époques
poudroient de ma peau comme des mues successives, elles ne laissent
pratiquement rien de leur trace, quelques images éparses entrechoquant leurs
épées au milieu des ténèbres, flamboiements fugaces, quelques gouttes de sang
minuscules Ŕ j’ai l’impression d’être un interminable palimpseste qui a pris
l’aube pour tout support. Chaque jour ma peau s’en va, s’en va mourir dans le
temps et chaque jour je l’encastre aux vitraux pour me prémunir de cette lente
desquamation. Ainsi chaque matin baignant dans mes lambeaux de la veille, je
les faufile dans le vélin ; je me dépiaute, je m’immortalise en épluchures
d’oignons ; je me dis que le repas devra être bon. Je me dépiaute des haires de la
veille et je luis comme une ardoise lavée par la pluie. J’ai l’air mort, inanimé. Je
me construis sous cape, sans aucune apparence visible à l’œil nu : c’est un
édifice centripète, pas plus gros qu’un grain de sable, où l’univers en gestation
115
gonfle à l’envers, en dedans de l’atome Ŕ eût-on pris un microscope pour
l’étudier ce grain de sable, qu’on observerait un soleil en pleine expansion. Je ne
prends pas plus de place qu’un cheval qui charrierait dans son sillage une grappe
d’hélium et des flammes. Je croîs à la manière d’une fission nucléaire, je croîs
tant que viendra le jour où je me serai dissous dans l’atmosphère, devenu ma
propre Cosmogonie solitaire, Œil Divin encastré tel un grenat au temps, le pouls
collé à son amplitude subtile ; ce jour où chaque mouvement est une fin, se
drape d’un taffetas d’astres fins, où chaque inspiration est un sommet, une
contemplation Ŕ ce jour où ça ne sera plus moi mais la vie, qui écrira sa poésie.
En attendant cela il me faut apprendre à désapprendre, coudre sur la cicatrice
rouverte d’aujourd’hui, je ne sais rien du tout à la vérité, je ne porte aucune
certitude à ma boutonnière, je ne sais qu’une chose, c’est que le vêtement qu’ils
m’ont mis sur les épaules est un mensonge, un cache-misère, il tient chaud mais
tissé de la main d’un leurre immonde, je ne sais pas grand-chose de la nudité
absolue mais ce vêtement-là est un linceul dont il me faut me débarrasser si je
veux mourir en Homo erectus Ŕ là-bas, je sais qu’ils vous apprennent à ne rien
savoir, je sais à quelle triste mort ils vous donnent. Je ne veux pas de leurs
bibliothèques qui prennent la poussière, j’ai posé de la dynamite sur les ponts,
sur les ruines du savoir qu’on a voulu m’instiller, je ne veux pas de leur poison
je préfère le mien, celui dont j’ai éprouvé le goût, l’amertume, l’instabilité, celui
qui a tissé ma chair pour l’avoir corrodée, je suis un empiriste, une éponge qui
déploie ses grâces dans l’embrun, j’écume les fonds marins, les sables précieux ;
ils ont tentés de me perdre à la vérité, de me hacher, de faire de ma vie une
menue chair à carton, leurs dictionnaires sont obscènes, leur savoir mensonger,
leurs papyrus n’ont pas les mots pour exprimer ce que nos nerfs peinent à
déchiffrer, tout ça est obscène ils le savent parfaitement, ils égorgent leurs
enfants, ils les saignent à blanc, la rancœur débordent de leurs lèvres, je ne veux
pas de leur carcasses à grignoter, je suis un sorcier j’expérimente dans mes
petites fioles les échevèlements de la matière, les collisions sublimes, les
rayonnements, les vapeurs opiacées, l’œil de mon erlenmeyer observe la chimie
des métaux rares se décanter, j’écoute, j’épie, j’éventre, et peut-être que ça
prendra du temps, peut-être que tout une vie ne sera suffisante pour tout
réapprendre et ce sera tant mieux parce que je mourrais sans leurres, en idiot qui
le sait et qui aime sa jachère.
Soixante kilos de couilles ! Pas un poil de genoux, pas un ongle de jérémiades,
pas de graisse, pas de double-menton, pas de pain pour la charogne, aucune
farine pour les larmes parce qu’il n’existe pas de murs trop épais pour les
116
phalanges, il n’existe d’obstacle que ne surpasse cette unique vérité : le labeur et
l’humilité ; aucun gémissement d’enfant, aucun apitoiement d’accepté, rien
qu’un torse-bombé comme un coquard immense, parce que la race des humains
est une morsure, une tenaille autour d’une plaie, la race des humains est un
désespoir rose elle danse sur son propre tombeau, elle danse sur une lame de
couteau, elle n’en a jamais assez, elle n’en a jamais trop, elle n’a peur de
personne et défie jusqu’à l’atome, un poignard dans la canine elle défie le sens,
la folie, elle tourmente l’univers et les lointaines incandescences, la race des
humains blesse la Femme en visant les Dieux, elle est une foudre descendue des
cieux et quand elle se regarde dans la glace elle maquille son reflet de
pommades, de pigments guerriers, elle se maquille comme une putain qui
trompe la vérité, et elle s’habille, un chewing-gum, une nuisette sur une verge
veinée, un soutien-gorge par-dessus les nœuds, elle enfile ses escarpins taillés en
vertige et descend brûler un nouveau jour dans la vie… alors ni plaie ouverte ni
nuque tassée, l’horizon toujours l’horizon, la seconde suivante toujours, le
prochain coin de rue comme seul projet, le prochain os, l’ultime visage avec
lequel se masquer, pas de compromis avec demain, pas de compromis avec le
sommeil, ni peur ni doutes juste des culs, des cartons dans lesquels taper, des
fourmilières vives de dards lustrés, viser le un pour mille, le putain de un pour
mille en se rappelant qu’on est quand même quelques milliards par ici ; pas
d’autel pour les pas, pas de piédestal pour la cendre, juste une perdition dans les
venelles sombres et froides et venteuses de la nuit jusqu’au prochain tournant, à
éventrer les murs, les dos, les papiers-cadeaux, les cils en bouches affamées, la
bite en baguette de sourcier, ricochet interminable, paquebot, brise-glace
impavide, vivre comme une brindille, comme un air de Brindisi ; la faim la faim
la faim, la faim comme unique pitance, un ongle dans la chair, le cou noueux et
le menton agrafé aux étoiles et le sourire, le sourire qui roule sur le monde
comme une pelote à rebours en attendant d’éclater. Pourquoi s’en faire ?
Puisqu’il faut vieillir et s’user, puisqu’il faut partir, s’effondrer, puisqu’il faut
finalement y rester autant le faire en Colisée.
Et voilà qu’un midi chez moi, comme ça dans ma cuisine, je mijotais le Repas
du Tigre quand je lis soudainement mon avenir dedans. Pour information, le
Repas du Tigre c’est : carottes, pommes de terre, courgettes, aubergine,
champignons de Paris, oignons bien grillés, huile d’olive extra et sauce soja Ŕ
auquel je saupoudre l’ivoire façon Debussy par-dessus, pour la bonne émulsion
des saveurs. Si on voulait bien la réaliser ma tambouille, il fallait y passer du
temps et beaucoup d’énergie. Les légumes, ils demandent plus que l’épluchage
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et une simple cuisson. C’est qu’il y a foule d’ingrédients cachés, derrière un bon
repas. C’est subtil, l’amour des aliments, c’est fin comme une tranche d’ail,
piqueté comme l’oignon. Ces choses-là, on s’en rend uniquement compte après
quelques-uns de foirés, justement. Ça c’est bien vrai. Dans mon ragoût, il y a de
la sagesse pour mille hommes, ouais. D’un coup en humant mon frichti
carbonisé, me voilà qui balance mon épluche-avocat en gueulant ET MERDE
QU’EST-CE QUE C’EST QUE CETTE PUTAIN DE VIE À LA CON ? J’ai
regardé les épluchures des légumes, mes mains rêches, la cuisine, la lumière
livide de la cuisine, mes chaussures crasseuses dans l’entrée, mes chaussettes
aussi, mes caleçons jaunis, et puis le monde dehors, derrière la fenêtre, un épi de
blé et puis les carcasses de la rue. Tout ça m’a cassé les couilles, d’un coup. La
vie qui m’attendait bien au chaud, après la fac, je l’ai bien vue, là, en face de
moi, et je me suis figuré que je voulais pas de tout ça. Pas du tout. Je savais pas
ce que je voulais, mais ça, c’était pire que tout. Suffisait de voir à quoi
ressemblent les gens dans le métro. Leur numéro, il prenait pas avec moi.
Y’avait un piège dans ce qu’il m’était proposé, c’était trop beau pour être vrai.
C’était trop évident, trop simple comme condé. Je me suis toujours méfié de ce
qui était trop simple. Si c’est à la portée de n’importe quel abruti, je ne vois pas
ce que ça pourrait être de bien élevé ! Moi je visais les étoiles, les vraies. Alors
qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai rompu le fil, voilà tout. Le cheval libéré du harnais !
Le cheval guidé par sa trique flamboyante, hennissant de galoper à l’infini !
J’allais vivre en funambule et j’allais pas me casser la gueule et même si je le
faisais c’est moi qui casserais le béton, voilà ce que je me disais, parce que
j’avais trop de nerf, d’envie dans mon moteur, j’avais trop de volonté j’étais
maigre mais je l’étais comme un fil d’acier, et je me sentais trop vif pour
attendre de brûler, j’avais trop la rage pour crier, figurez-vous ça : j’avais la vie
devant moi qui remuait ses petites fesses sous mon nez ! Et j’allais jamais
chialer ni m’en remettre aux divinités, j’allais jamais cracher par terre ou
devenir amer en regardant le succès, parce que j’allais jamais desserrer le sourire
ni la faim, je m’en suis fait la promesse parce que c’est ainsi que je voulais
signer mon testament. Je travaillerais dur, dur, dur pour que ma manière de vivre
puisse exister. La viande elle vient forcément, si on dessert jamais les crocs. Le
meilleur morceau, le morceau tendre, il est à la moelle de l’os sur lequel on se
casse l’émail. C’est là la belle saveur. Tout le sel contenu dans une goutte de
sueur. Soi-même c’est grand, c’est immense comme la montagne et faut pas
regarder en bas, faut continuer à pilonner sec dans le bloc de pierre glacé en
118
pleurant de joie d’imaginer le sommet. En haut il fera froid, mais ça sera près du
soleil on pourra y faire bronzer notre âme.
Et puis d’abord, qu’est-ce qui y’avait à perdre dans ce que je m’étais
réservé, serpent sur un sofa de barbituriques, à m’échiner à rouler sur les gens
dans ma BMW, à causer Économie Mondiale, Politique Intérieur, rentabilité, me
fatigant sur des échasses, des mots flamboyants, une vie passée à ce que les
autres me l’envient, envient les cartes postales que j’enverrais pleines de poison,
d’anthrax derrière la bonne humeur, une grande maison, une jolie femme, le ski
en hivers la plage en été et puis quelques maîtresses à la langue bien pendue et
puis un verre de gnôle en cachette et la grimace qui se détend un peu. Alors j’ai
souri en me grattant les couilles, et puis j’ai donné un coup de volant brusque
pour aller faire l’amour au fossé. C’est comme ça que ça commence, les échecs
munificents ! Échec et mat ! Droit dans l’échec toute ! De toute manière, qui y
échappe réellement ? Tout ça, c’est qu’un énorme accident d’avion sur quelques
décennies. Et bien chantons avec le pilote ! Pelotons l’hôtesse, l’ivresse en
bleu ! Reprenons une dernière cuisse de poulet ! Bambochons le champagne
avec les passagers en se fendant la gueule de voir l’océan s’approcher !
Roulons-lui une bonne pelle, à cette putain d’explosion ! On va aller taper dans
les ruches des poubelles, voir si y’a pas quelque miel qui ait été oublié. Voilà ce
que je me suis dit. J’ai repris mes légumes, je les aie épluchés et mon vieux ! je
n’y avais jamais mis une telle ardeur. Ça m’enivrait, l’idée d’aller voir ailleurs.
Je tremblais, je bafouillais dans mon ragoût. J’oscillais entre des peurs et des
félicités vertigineuses. Ça me donnait le tournis. Mes mouvements, mes pas, la
musique, mon cœur qui battait, ç’avait pris une saveur nouvelle. Ça m’enivrait,
j’avais jamais ressenti ça. Ça serait un peu comme de se regarder dans la glace et
dire à son reflet d’aller se faire enculer. Ou bien de faire l’école buissonnière,
mais pour de vrai. C’était formidable, je me suis senti comme un vélo sans
roulettes, un lapin vorace ! J’allais baisouiller avec les prés, m’accoupler avec le
Destin ! Le saut en parachute sans parachute, le choix sans les anchois !
TERMINÉ ! TERMINÉ POUR MOI ! CONTINUEZ LA COMÉDIE SANS
MOI, ALLEZ DONC TOUS VOUS FAIRE ENCULER, BANDE DE
PEDALES DÉCULOTTÉES ! Bon Dieu Tonio, t’as pas vingt piges et t’es déjà
splendide comme un siècle entier.
Je suis allé à ma fenêtre, je l’ai ouverte et l’air est rentré et je l’ai respiré un
grand coup. Bon dieu ! Quel goût ! Quelle fraîcheur ! Y’avait des dauphins, des
coquelicots dans mes narines. Les fenêtres ouvertes comme ça, et puis le vent, le
soleil, la saveur du dehors brûlant mes papilles, j’ai eu l’impression que
119
quelque-chose m’ouvrait ses bras, que cette poitrine-là allait me faire mal mais
qu’elle serait moelleuse aussi, parfois… Tout était flou, tout était possible c’était
somptueux, je baignais dans une grosse larme de Polonais. J’avais peur mais
c’était la bonne peur, la peur au goût de mucosités, la peur d’un rendez-vous
qu’il ne faut surtout pas manquer. Je m’hérissais de flammes, et je savais pas si
je devais me trouver fou ou magnifique ou magnifique fou. C’est vrai que
j’avais un peu peur de devenir fou. C’est ça qui me faisait le plus peur, en
réalité. Devenir dingue. Tant de fureur en soi, j’espérais que ça ne me pousserait
pas à de trop salopardes extrémités. Et puis la seconde d’après je me disais T’AS
PEUR DE QUOI MON SALAUD ? VAS-Y MON VIEUX, RIGOLE UN BON
COUP ! RIGOLE À EN DEVENIR FOU ! TOUT ÇA C’EST RIEN QU’UNE
BLAGUE DONT ON REVIENT JAMAIS !
« MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS ENCORE LÀ, TOI ? T’AS DONC
JAMAIS COURS, NOM D’UN CHIEN ???
ŕ C’EST FINI LES COURS PAPA.
ŕ DÉJÀ EN VACANCES BON DIEU D’MERDE ?! ÇA EN FOUT PAS
UNE MA PAROLE, DANS CETTE PUTAIN DE FAC !
ŕ C’EST FINI LA FAC, PAPA. J’AURAIS PLUS JAMAIS DE
VACANCES PUISQUE J’Y SERAIS TOUT LE TEMPS EN N’Y ÉTANT
PLUS JAMAIS.
ŕ BON DIEU D’MERDE, ILS M’AVIVENT L’ULCÈRE, CES
SALOPARDS DE FEIGNASSES DE FONCTIONNAIRES !!!
ŕ C’EST SERIEUX PAPA.TOUT CE MERDIER, C’EST TERMINÉ POUR
MOI. J’ARRÊTE.
ŕ QU’EST-CE QUE C’EST QUE CES HISTOIRES ENCORE ?
ŕ C’EST FINI PAPA.
ŕ C’EST ENCORE UNE DE TES HISTOIRES DE PUTAIN AVEC
LAQUELLE TU VEUX TE TIRER ?! ME DIS PAS QUE T’EN A ENCORE
RENCONTRÉE UNE NOUVELLE ! ME DIS PAS ÇA, ATTENTION HEIN !
BON DIEU D’MERDE ! T’ES PLUS DOUÉ QU’UNE PUTAIN DE
SYPHILIS, POUR T’ATTIRER LES CHANCRES DE L’HUMANITÉ !!!
ŕ C’EST PAS LES FEMMES PAPA. C’EST UNE FEMME. C’EST
L’UNIQUE QUI M’INTÉSSERA JAMAIS. JE VAIS ALLER LUI FAIRE
L’AMOUR TOUTE LA JOURNÉE.
ŕ C’EST LA MÊME HISTOIRE À CHAQUE FOIS, MERDE !
120
ŕ JE QUITTE LA FAC, PAPA. C’EST DÉCIDÉ DEPUIS CINQ BONNES
MINUTES DÉSORMAIS. TU SAIS CE QU’ON DIT ? CINQ MINUTES, ÇA
VAUT MIEUX QUE DES ANNÉES.
ŕ VIENS DONC ME RÉPÉTER ÇA PAR ICI, QUE J’TE REDRESSE LES
IDÉES AVEC UN BON COUP DE PIED AU CUL !
ŕ J’ASPIRE À DE HAUTES AMBITIONS PAPA, ET TANT PIS SI LES
AUTRES ÇA NE LEUR PLAIT PAS. JE PEUX QUAND MÊME PAS VIVRE
TOUTE MA VIE DANS L’ÉCHO DES FILS DE PUTES.
ŕ QU’EST-CE QUE TU VAS FAIRE DE TA PUTAIN DE VIE, NOM DE
DIEU ? TU VEUX PAS FINIR COMME MOI, QUAND MÊME, RASSUREMOI ?! UN ULCÈRE ET UN BON À RIEN DANS LE BARILLET, VOILÀ
TOUT CE QUI ME RESTE, BON DIEU D’MERDE !
ŕ JE VAIS VIVRE EN GENTLEMAN-GANGSTER, PAPA. JE VAIS
ALLER CHERCHER L’OR DANS LE CACA. ET NE T’INQUIÈTE PAS
POUR MOI, PAPA, JE SERAIS DIEU OU JE NE SERAIS PAS. »
121
J’ai continué à marcher un bon moment en tapant dans les graviers, et pour
dire vrai, j’avais pas le cœur à grand-chose. J’allais vers le Seine et peut-être
même que j’avais dans l’idée de me jeter dedans. Tout me semblait si triste, d’un
coup. Ça retombait comme ça, j’étais vide, j’avais plus rien, je me suis senti
lessivé, ratiboisé, comme passé à l’essoreuse, quand il ne vous reste plus rien sur
la carcasse, à peine la peau, les os, et puis des doutes à n’en plus voir le bout…
Et puis dans l’encadrement du magasin, c’était un magasin qui vendait des livres
et des objets d’arts, un truc rupin qui palpait l’orgueil des tirelires enflées,
y’avait une gonzesse terrible qui fumait tout contre. Elle me faisait penser aux
cheminées qui fabriquent les nuages. Mais en bien plus volumineuse que les
cheminées. Vous savez, avec ces rondeurs aux hanches qui donnent envie d’être
un crayon à papier. Elle sentait la glaise, la poterie fraîchement léchée. Mon
vieux, dans mes petites étagères quelle merveille de décoration aurait-elle faite !
Pour déconner j’ai demandé comme ça si elle faisait pas partie des objets d’arts
à vendre des fois, et elle, elle a rigolé en entendant ça. Enfin une esthète ! je me
suis dit. Du coup, j’avais plus trop envie de me tuer. Je vous l’ai déjà dit mille
fois, c’est toujours la même escroquerie les femmes.
« Regardez, j’ai fait en sortant une pièce d’un euro pour la mettre contre mon
œil. L’affaire est dans le sac.
ŕ Je vaux plus que ça, elle m’a dit.
ŕ Je suis collectionneur de nuages. C’est ma première traite sur le Paradis »
On a rigolé un peu et puis je lui ai demandé ce qu’elle faisait. C’était la
vendeuse. Le dimanche, elle était toute seule. Je trouvais que ma ballade avait
bon goût, d’un coup. Une grillade, mon vieux ! J’en oubliais même toute cette
histoire d’Église et puis aussi Marina et même mon piranha slovaque par la
même occasion.
122
« Joli manteau.
ŕ Je sais. C’est Spielberg qui me l’a tricoté. J’écris ses scénarii en me
torchant le cul, et lui me tricote des costumes à partir de son prépuce. C’est un
échange de bons procédés.
ŕ Vous voulez rentrer jeter un coup d’œil ?
ŕ Je sais pas… j’ai menti en regardant dehors dans le vague, sans savoir trop
ce que je disais. J’ai des trucs à faire.
ŕ Comme vous voulez, elle m’a dit avec son regard de garce qui demande
qu’on la déculotte pour y mettre la fessée. »
J’ai regardé à l’intérieur, elle juchée sur son cul dix carats, ses joues brûlantes,
sa tignasse fumante, son magasin avec des reproductions, des sculptures, des
bouquins sur Picabia, et je me suis dit que tout ce qui m’intéressera jamais que
était contenu en ce lieu. En même temps, j’étais pas complètement rassuré. Ça
c’est bien vrai. Je me sentais pas tout à fait à la hauteur. Vous savez, comme au
poker quand on s’engage dans une main dont on savait pas trop finalement si on
voulait aller si loin. On se fait MERDE, IL VA QUAND MÊME PAS ME
SUIVRE JUSQU’AU BOUT, CE FILS DE PUTE ??? Quand même, le cœur
aux lèvres je suis rentré et c’était chaud comme dans un vagin qui vous a
chauffé la place. Mon clitoris était là, devant moi, espèce de suggestion écrite à
la buée, écrasant sa cigarette fine dans un cendrier en porcelaine.
Du coup, je me suis dit qu’il fallait entretenir le truc. Ç’avait pas trop mal
commencé mais pour en avoir une, de femme, pour aller jusqu’au bout je veux
dire, c’est tout un sport ça c’est bien vrai. Faut gravir de ces putains de
piédestaux d’échardes et de planchers grinçants. Comme si elle vous plantait des
bâtons de dynamite entre les jambes, et puis qu’elle regarderait comment vous
dansez avec. C’est pas commode du tout. Une femme c’est une volupté
moelleuse mais bien emmurée, enceintes hautes de tous les côtés, c’est une
partie d’escrime, d’orfèvrerie même, pour gagner les brèches. Un peu à la
manière de la Seine, furieusement traître, ouais, tout composé de courants et de
contre-courants pas croyables, et puis encore d’autres remous bien putrides, bien
salopes comme tout. Un vrai traquenard ma parole, sous les airs matous. Ma
grillade, je l’ai toisée rapidement, et j’ai un peu causé de son look. Enfin j’ai pas
commencé à parler fringues, non vraiment pas, j’en ai rien à branler du tissu, je
parlais plutôt à quoi elle me faisait penser, elle et son petit regard salace. Notez
bien que j’utilisais un tout un autre vocabulaire quand je m’adressais à elle. Je
suis pas complètement connard, quand même. Et puis je me saignais, vraiment.
Quand je veux, je peux être tout à fait charmant je pense. Parce que je vous le
123
dis, moi, charmer une femme avec juste son imagination c’est plus dur que
d’écrire un bouquin. Ça y ressemble vachement, ça c’est sûr, mais cette fois
l’exercice de funambulisme il est sans filet. Quand une page se déchire en vrai,
elle se déchire pour de bon. Et puis en face de deux yeux qui rougeoient braise,
la lettre est vachement délicate à manipuler. Mais tout de même, les effets se
ressemblent. Si on s’arrêtait une seconde en plein activité, au beau milieu d’une
belle inspiration, on entendrait alors le cœur qui s’exhale comme un cachet
d’aspirine. Dans ces moments-là, on comprend tout l’intérêt de vivre plutôt que
de réfléchir. La vie elle se trouve juste sous la peau, pas très loin des gouttes de
pluie et des picotements doux.
On a causé et il s’avérait que c’était une comédienne. C’est fou ce qu’elles ont
du chien, les comédiennes ! Elles ont l’air d’une muselière, quelque-chose d’un
décolleté qui craque de partout. C’est dans les yeux, ça rissole, c’est à fleur
d’ébullition. Je vous jure. Les comédiennes c’est exactement comme la crème
chantilly par-dessus les framboises. Un jour je me suis dit, j’écrirai des pièces de
théâtre juste pour qu’une femme comme celle-là me récite, juste pour que ma
salive ait l’écrin qu’elle mérite Ŕ vous imaginez un peu à quel point ce serait
beau ? Me balader sous leur peau, incognito, en toute impunité. En toute
légitimité, même. Même plus que je me sentirai un voleur à l’arrachée dans le
ventre d’une femme parce que là, ça serait justifié, ça serait mérité, j’aurais pas
menti sur rien du tout et elle, elle aimerait vraiment tout ce que je suis dans ce
que j’ai produit. Les mains dans les poches, je sifflote gaiement, me promenant
en seigneur parmi ses terres de hanches, de reins, d’épaule dénudée !
Wonderful ! Pas de chichis, elle aime toute la danse à la volée, elle en raffole ! et
de la tête à la queue. Être partout à la fois, dans le cœur et les tripes et jusqu’au
fond du rectum. Même dans leur vernis à ongles ! Comme un gros bonbon je
serai sa crise de foie rutilante. Vous êtes pas là, mais vous êtes là quand même…
Voyez ce que j’veux dire ? Quand elle mange sa salade de fruits, et bah vous
êtes là, découpé en tranches de laitue poétique, lové en une vinaigrette acidulée,
mon extase entre deux tomates cerises, immortalisée dans une phrase qu’on
n’oubliera jamais ; mon Verbe lui trottera sur la cuisse et la clavicule, partout
sur sa peau il passera en frémissements, en bijou fragile, sur le lobe, perçant une
seconde perle dans une virgule parfaitement placée. Et dans la douche, pendant
qu’elle se savonne sa petite peau caramelle, vous êtes encore là, à glisser peinard
sur le bronze, à rutiler, mine de rien. Et puis quand elle est avec son homme et
qu’elle regarde le coucher de soleil, c’est ce que VOUS avez dit sur les couchers
de soleil à quoi elle pense à ce moment-là ; l’autre est déjà un peu cocu, parce
124
qu’elle est subjuguée sa femelle, parce que son vagin est mon pot de crayons, lui
qui ne sait qu’y mettre son machin. Et c’est tellement beau ce que vous écrivez,
tellement beau et bouleversant, ça vient tellement d’au fond, là où l’on trimballe
la vie et la merde aussi, là où tout se fond dans l’acier qui transperce et qui
tranche en menues émotions, et bah que même la nuit vous hantez ses rêves, ses
rêves mélangés à vos entrailles. La grande Classe ! Tonio l’Onirique. Tonio le
Rêve des Femelles Volumineuses. J’écrirai des trucs profonds, térébrants, qui
pénétreront mes délicieuses marionnettes par tous les trous et ça sera comme une
partouze à deux sur les cordes d’un violon en noyer, mes milles talents
fécondant ses mille pores en faisant la musique des poésies récitée par l’eau des
cascades sauvages ; je serais en elles et quand elles déclameraient, ce serait mon
encre et mes heures à saigner qu’elles baveraient depuis leurs grosse lèvres
fébriles, filet de salive remplit comme un sac de courses, avec les oranges, les
jarretières fines, un tube de vaseline et des comprimés vermifuges… Je serais la
toute puissante Cosmogonie qui les ferait bouger au rythme de mes didascalies,
de mes caprices flamboyants, pleurer aussi, danser, s’exhaler, enflammer le
parterre des feuilles mortes qui ont la bouche ouverte en regardant une femme
leur montrer ce que c’est que de Vivre en explosant ; je tirerai les fils depuis
leurs boyaux, petite crotte d’or incrustée tel un diadème à l’apex de leur passion,
tout au fond de la carcasse, là où l’âme s’amalgame aux couches d’instincts en
putréfactions Ŕ dans la légende des frontispices éternels, mon Nom tavèlera
pierres et poitrines ainsi qu’un feston sous l’arche duquel s’agenouillera le
Soleil.
Au début on a rigolé et ça se passait plutôt bien, franchement, et puis comme
on a commencé à s’échanger des opinions, qu’elle a vu que j’avais pas les
siennes, elle s’est comme raidie ma copine, vrai, ç’avait l’air de lui avoir froissé
toute sympathie à mon égard, et bon Dieu, ç’avait pas du tout l’air d’être de la
comédie cette fois ! Elle s’est mise à parler haut-perché ma petite pie, à savoir
tout sur tout, elle qui ne faisait que de répéter le Bon Goût ! Quand j’ai déclaré
que le Théâtre c’était bien de la merde au fond, que c’était snob et creux comme
un trou de balle de pédé, que c’était rien qu’un désœuvrement occupant d’autres
désœuvrés, elle, elle a tranquillement rigolé d’une telle cuistrerie ! Une
vulgarité ! Tu parles d’une porcelaine, putain. Je me suis mordu la lèvre fort, en
me demandant pourquoi toutes les petites connes avaient de si jolis culs. C’était
terrible ! J’étais comme pris au piège dans leur lascif inintérêt. Si vous voulez
mon avis, on devrait jamais vraiment parler de choses sérieuses avec une
femme. C’est rien qu’une chausse-trape. Si on commence à trop causer avec les
125
femmes, et bah on fera jamais rien que de causer. Ça c’est bien vrai. Je sentais
bien que je commençais à perdre l’équilibre et plus on débattait, plus la situation
empirait. À mesure je m’exposais cul-nu, à mesure je me prenais des fessées ! Je
versais des jets d’eau glacée sur nos petites chandelles romantiques, c’était
épouvantable comme un dîner qu’on fait tomber par terre, qu’on VOIT tomber
par terre. Si vous voulez tout savoir, j’ai pas des idées qui se disent. Enfin elles
se disent, mais les gens aiment pas les entendre. Ils veulent bien que je
m’exprime mais une fois que je l’ai fait, ils regrettent de m’avoir écouté. Tiens !
je lui ai même dit ce que je pensais des acteurs, à savoir que je les trouvait bien
dégueulasses, complètement dégueulasses même, que des gens qui sont capable
de pleurer sur commande, juste pour que des VRAIS gens pleurent
VRAIMENT, que des gens qui peuvent rire, promettre comme on bat du cœur
ou des cils n’ont sans doute rien de bien joli en eux, que ça pouvait être juste
qu’une poignée de salopard à qui avait donné les clés et qui faisaient rien que de
dévaliser les hommes avec. Ouais. Voilà ce que je lui ai dit, et sans pincettes,
croyez-moi ! C’est qu’elle commençait à me gonfler, elle aussi. La pompe, ça va
à personne et encore moins aux jolies femmes. Elles ont pas besoin de ça. Voilà.
Elle, c’était une actrice, une passionnée, sans blague, Molière la visitait à chaque
menstruations, elle se disait complètement hors-norme et c’est marrant,
vraiment, parce que tous les connards avec qui je parlais ont très souvent une
très haute opinion d’eux-mêmes, ils se pensent génies tout à fait incompris,
quelque-chose de trop soleil pour être saisis, et pourtant tous ces gars-là, ils
parlaient tous pareil, comme s’ils sortaient tout juste de l’école, comme s’ils ne
faisaient rien d’autres que de répéter leurs livres, leurs profs bidons, comme si
tous sortaient d’une académie qui formerait tous les mêmes connards de la
planète ainsi qu’un tout-à-l’égout d’haleines pas audibles. Je vous jure, y’a des
gens ils répugnent pas du tout à brandir tout haut leur sac à merde, ils le hument
même très fort sous le coude et le tapotent devant vous l’air de vous dire, làdedans mon pote, là-dedans c’est un vrai trésor d’émotions t’imagines même pas
comment ça sent bon. Les impudiques, ils ont honte de rien. Si on les lançait un
peu, ils vous parleraient même d’Âmour, d’autres trucs encore pire dont je
préfère même pas causer ici. Sans déconner. Moi je lui ai dit tout ça, et quand je
l’ai fait, j’ai bien regretté ma grande gueule de con. Ça c’est bien vrai. Au fond,
je m’en foutais bien complètement de si on était d’accord ou non. Les mots de
toute manière, ils mettent jamais les gens d’accord. Ça fait des siècles qu’on se
massacre pour une voyelle en trop. Parler, surtout de choses qui sont pas futiles,
c’est un coup à se mettre en danger bêtement. Franchement. Avec les baisers
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c’est différent. La tendresse ça met tous les violons au même accord. Seulement
faut choisir, et une fois de plus je me suis dit MAIS PUTAIN TONIO
POURQUOI QUE TU DIS CE QUE TU PENSES ? FAIS L’AMOUR PUTAIN,
C’EST MIEUX QUE LA SINCÉRITÉ.
Mais c’était déjà trop tard, vous vous en doutez. Un moment comme ça, j’ai
essayé un peu de me rattraper quand même et elle ça l’a complètement dégoûté.
Elle m’a regardé comme un asticot dans sa pomme ! Les salopards qui
s’excusent, c’est à ceux-là qu’on pardonne jamais. Elle m’a tourné le dos et
quand elle a fait ça, ça m’a donné la nausée. J’avais envie de me détruire,
sérieusement. Des fois d’être trop soi-même, c’est fatigant. Être trop soi-même
les autres ils veulent pas. Ça leur ressemble pas assez.
J’ai dit que je devais y aller, elle a pas insisté. On s’est serré la main sur le
bout des dents. C’est affreux quand on y pense, de quitter quelqu’un ainsi.
Dehors je me suis dit, avant d’écrire ton livre, Tonio, avant de l’écrire exercetoi d’abord au mensonge.
127
Bon. Bon. Assis-toi cinq minutes, et surtout, ne pense plus à rien. Faut surtout
ne PAS PENSER. Si tu penses, dans un monde creux comme celui-ci, tu vas te
perdre dans les échos de ta propre connerie. Ne pas penser, très bien. Regarde
plutôt cette coccinelle. Elle est belle, pas vrai ? Elle a l’air légère, elle a l’air
peinarde dans son hélium. Tu crois qu’elles pensent la coccinelle ? La
coccinelle, mon vieux, sa seule préoccupation c’est de se faire pomper par les
sauterelles, et puis de faire un brin de voltige, à l’occasion. C’est exactement ça
qu’il faut que tu vises. Tu voles à droite et à gauche, et puis t’escalades la nuque
des femmes, juste derrière l’oreille, pas loin du lobe, là où c’est tout doux et où
ça sent la cannelle. Grain de beauté perdu au milieu d’une aquarelle. Au sommet
de son pouls, t’entendras son cœur battre et ça sera merveilleux comme en haut
d’un Canyon. Ouais. Le vertige et la terre battue poudroyant dans un crépuscule
au goût d’orange sanguine ; une goutte de sueur de temps en temps, pour pas
que tu te déshydrates, tout de même. Ses cheveux joueraient avec le soleil et ça
ressemblerait à un flacon de parfum tombé du ciel, et toi tu resteras un petit
moment à battre de l’aile, à picorer les infimes flueurs, à te faire bronzer le
regard charmeur de tes ailes, et puis finalement elle te lassera, et tu t’en iras
collectionner d’autres odeurs… Mais qu’est-ce que tu racontes, avec tes
histoires de coccinelles ? Tu serais pas pédé Tonio, des fois ? Tonio ! Pédé ?
Tonio Le Tigre, le Roi parmi ses courtisanes, l’Animal parmi ses gazelles ?
Tonio Le Tigre, Dieu et amoureux de toutes les femmes, trop amoureux de
toutes pour en garder une seule, trop généreux au fond, ouais, entomologue,
Magnanime avec ça, Munificent de sève et d’illusions, Tonio Le Tigre est un
tombeur, une canine, attention mesdemoiselles quand il descend dans la rue elles
sont toutes en chaleur, ouais, elles le veulent toutes, TOUTES, tellement de
charisme qu’elles osent à peine le regarder mais lui le sait, lui le SENT, ça bout
128
intérieurement, il calcine Tonio, il émerveille silencieusement, et lui qui
s’enflamme à la moindre silhouette, il s’enflamme à la moindre étincelle, Tonio
le minable chou-fleur, amoureux de n’importe quoi, d’un mascara, d’une damepipi ou d’un bâton de sucette, il ne vaut pas même le battement de cil avec
lequel la dernière des garce le chasserait, Tonio est une culotte mouillée, je me
présente, Tonio chou-fleur, Tonio papier-toilette, Tonio mille zéros, chèque sans
provision, aime toutes les femmes, ouais, bien sûr qu’il les aime toutes, mais
seulement parce qu’il ne sait pas ce que c’est d’aimer ; il les aime toutes parce
qu’aucune ne prend même pas la peine de le détester. Voilà : mille femmes dans
son cœur mais aucune dans ses bras. Quel pneu crevé. Tonio Le Tigre est le
menteur le plus sinistre de tous les temps.
C’est allé de mal en pis si bien qu’il m’a pris un de ces putains de mal de crâne
à faire vomir le cerveau. Une migraine pas croyable. Mes yeux, mon estomac,
ma vie, tout me faisait mal. Même la lumière. Photophobie ! appelle-t-on ça,
dans la cosmogonie médicale. Peut-être une méningite foudroyante, me suis-je
fait ! Tout de même, la nuque était pas trop raide, aucune tâche nécrosante à
signaler, mais je me sentais si faible, vraiment, un truc si épouvantable dans le
corps que je me suis demandé, comme ça, là, d’un coup, si j’allais quand même
pas claquer ??? Le Tigre mort avant d’avoir pu être quelqu’un ! Cané ! Occis
par le Destin. Une rayure au beau milieu de son Art. Mort ! mort ! mort ! pas
une goutte de cri, pas une larme de sang, mort silencieusement, d’une balle de
coton dans le cœur. Vraiment, j’ai fermé les yeux et j’avais l’impression d’être
entre deux mondes, et moi suspendu à l’hypothalamus, ne sachant plus vraiment
lequel choisir… et dire que t’as même pas laissé un bouquin, ni un enfant
d’ailleurs, ni un orgasme sur le feu, rien, la mort, la vraie, le néant, la solitude
absolue, rien comme lot de consolation, un pet, un pet foireux ! voilà ce que t’es,
ah ! tu voulais du présent et bah t’en es servi, sale fils de pute, tu veux du
présent alors t’auras ni passé ni futur, voilà, alors casse-toi Tonio, t’es de toute
manière bon à rien, un minable, une mauviette, tu ramènes ni femme ni argent,
alors à quoi tu sers au fond ? barre-toi ! ici dans la Jungle on n’aime que les
plantes carnivores, alors merci d’être passé monsieur, merci de n’avoir rien
laissé, on vous oubliera plus facilement, adieu, adieu petit homme indolore, et
bon débarras… j’ai mis ma capuche et j’ai fermé les yeux, je me suis
recroquevillé un petit moment et ç’a allé encore plus mal, là, avec ma poitrine
qui battait fort, mon sang aux tempes, mon mal de chien, je me suis comme senti
enfermé dans mon corps. J’étais persuadé que j’allais pas passer les dix
prochaines secondes. Terrible. J’ai rouvert les yeux et j’ai regardé autour de
129
moi, y’avait quelques personnes, pas des gens, mais des personnes à la vérité,
tous des nases, des morts-vivants, des excréments, dramatiquement livides,
morts-vivants, et je me suis dit que quitte à crever, quitte à m’en aller pour de
bon, je voulais pas du tout le faire parmi un tel manque de goût. Le Tigre Meurt,
mais il choisit avec qui il le fera, nom d’une chaîne ! Je me suis levé en vitesse
et j’ai pris mes tripes par la pogne, comme dans les films de guerre, j’étais
prostré, laminé, je gémissais, vacillant d’un côté du square à l’autre, cinquième
régiment, allô allô, cinquième régiment ici le général Cozinsky, allô allô, les
carottes sont cuites, je répète, les carottes sont cuites, transmettez à G.
Clémenceau, merci, STOP… Ouah, j’ai vraiment passé un sale moment, à me
demander si j’allais pas y passer pour de bon, moi, à peine vingt piges et devant
déjà payer l’Impôt Infernal. J’étais à l’article de la mort et le monde lui, était un
pâle œil indifférent à mon agonie ! Les chiens ! Les charognes ! Vous ne
m’aurez pas si facilement ! Je vends mon Eczéma à prix d’Or ! M’entendezvous, cafards ?! Y’avait un autre banc un peu plus loin et les gens autour
m’avaient pas trop l’air tartes, peut-être même suffisamment dignes pour me
regarder rendre l’Âme. Je me suis étalé dessus comme une baleine bavant ses
fanons, gueule grande ouverte, salive pendouillant aux commissures, à inspecter
à l’envers mes compagnons de la Dernière Heure. Ce serait mentir que de dire
qu’ils m’emballaient tout à fait…
J’ai commencé à rêver de choses et d’autres, la pâte horrible des rêves
insensés, tout qui se mélange, qui partouze sur le même oreiller recouvert de
caramel, y’avait des connasses que j’avais désirées, toutes les centaines de
connasses pas possibles que j’avais ratées, Lumière en tête de cortège, toutes là,
suspendues comme du linge sale, comme une menstruation, en enfilade, en
sarabande fine, frisées, écumantes, acidulées, petites vaguelettes impalpables,
embrun tournoyant dans l’évanescence et moi j’étais à regarder ça dans mon
cercueil ouvert mais impossible de les atteindre, il y avait le fossé rose et mou
du rêve qui nous séparait, impossible d’aller jusqu’au bout, comme toujours
avec les rêves à la con, juste capables de vous mettre l’eau à la bouche,
d’allumer les mèches et puis de se tirer loin dans l’ouate, paire de jambes
fantomatiques fuyant derrière une robe fendue, un mollet de gaze… Putain !
qu’est-ce qu’elles étaient nombreuses ! J’ai l’impression que ça fait un
millénaire entier que je bande dans le vide ! Quelle histoire de con, je vous jure.
Elles changeaient de couleurs et de formes, elles chatoyaient mes succubes, on
aurait dit des drapeaux de poissons morts, elles perdaient des cristaux de sel et
moi qui avais encore plus soif d’elles à mesure que je léchais leur pulvérulence.
130
La mer s’est ouverte, palourde pansue récupérant son étalage de fausses perles,
elle a éructé le chant des baleines et puis plus rien, la noyade dans les fosses
sans lumière, deux griffes de tigre perdues dans le fond d’un coffre-fort, une
ballerine au visage en croissant de lune danse seule dans une faille d’oxygène, le
rêve casse une bouteille et en tire-bouchonne une autre pour boire jusqu’à la
fièvre, une tempête de sable dans la bouche, Adrian est là, il a une couronne de
vertèbres sur le front, il est crucifié au sommet de la bêtise de l’existence, il
sourit humblement en attendant que vienne le prendre la multitude d’anges de
ses projets, ELLE EST OÙ LA FEMME QUI M’ATTEND ? il se demande, un
peu mélancolique, Katia aussi est là, qui rigole comme un dément, Katia qui
devient une plante verte, un splendide rhododendron, Robespierre court nu dans
la neige, tête coupée et bite immense dans le barillet, il a une cape de lézard
rouge qui lui coule depuis la nuque, à l’apex de sa trique un tout petit gant blanc,
comme si une main de fée la parait, une nouvelle tâche de vin sur l’As de Pique
et je suis dans une caravane et mon père conduit, il y a une chanson des RollingStones à la radio chantée par une fleur japonaise, papa a des éclairs magenta qui
trouent ses sacs lacrymaux, un sachet de thé infuse dans son oreille, il fait une
marche arrière et écrase le vélo du fils de la concierge, ce fils de pute qui sent
tout le temps la merguez, il s’excuse même pas papa, il embraye directement en
seconde, le moteur gronde, l’explosion d’une bulle de chewing-gum, un baiser
tropical et la langue qui claque contre le palais, la langue rose et moelleuse et
embourbée d’amnios de cette douce fille que je n’ai jamais embrassée… me
voilà maintenant tout fringant, je suis le dernier demi-dieu sur le dos d’un pain
doré par la main d’un lointain Olympe céruléen, torse bombé, le menton,
télamon d’un impérial monument, pointé vers son but, les montagnes dont il
éclata, trophées de pierres et de neige coupantes, sandales au cuir calciné
serpentant sa cuisse, son mollet, sublime dans son armure d’airain, de muscles et
de virilité, et l’air, l’air ficelé dans une feuille d’olivier, et le soleil tout là-haut,
grenade ensanglantant l’Éros, le faisant scintiller ainsi qu’un ion de calcium,
écume d’une légende ensevelie, et les spectateurs, enculés, penseurs,
philosophes, mathématiciens, esclaves ou chiens, tous assoiffés de sang, tous en
chaleur, en indicible liesse, acclamant ce grondement descendu de son mythe
pour les enivrer. Tonio ! Tonio ! Du calme, du calme, braves agneaux ! Ne
savez-vous donc pas que les héros font de très mauvaises vérités ? Regardez mes
boyaux, braves agneaux, et repaissez-vous donc de la pourriture… Au sud, sudest précisément, surgit de mon inconscience les limbes d’une partie de
pétanque ; je me suis dit qu’il était bon pour ma culture personnelle de frayer un
131
brin avec la faune des petites boules d’acier. Déjà, quelle différence en la
pétanque et la provençale ? C’est le genre de questions dont il me faut
absolument la réponse avant la fin du monde. M’imagineriez-vous sollicitant
l’interlope à l’œil de verre et à la chevrotine plein les dents avec lequel je
partagerais un abri antiatomique d’une telle question ? Je me vois plutôt
tremblotant assez trouillardement, caressant la mine de mon stylo bille rouge
clair, prêt à lui crever son dernier œil s’il prenait l’envie à Procope Le Cyclope
de faire mumuse avec son ingénue fleur blonde. Ose ! ose rien qu’un peu sale
fils de pute ! Ton ultime prunelle, j’en fais un breakfast. Hello ! Hello, amigos !
Alors, les amis, racontez-moi tout des moindres subtilités de votre passe-temps,
je veux tout savoir vous dis-je, tout ! Mais l’atmosphère n’était pas à la franche
rigolade. Ce qui s’y passait, c’était sérieux, sacré, la naissance de l’Enfant à
côté… même lors des congrès soviétiques, avec cette bonne vieille Brejnev et
toute sa clique couperosée, ça devait être plus détente, l’ambiance. Là-bas
y’avait la vodka blonde, et puis les couilles d’esturgeon aussi. Y’avait le drapeau
rouge pour donner bonne mine aux sous-vêtements des putains. Ouais. La
grande époque des fils de putes. Ici ils étaient deux, ils se disputaient la victoire
et ç’avait l’air acharné, la sueur perlait à la tempe des spectateurs Ŕ moustachus
splendides à la prostate en confiture Ŕ les mains crampées au dos et l’échine
attentive scrutant cette épine douloureuse dans la plante du pied. Le premier des
bouleux portait un survêtement où trônaient fièrement à l’arrière les initiales de
son club, le bas assortis avec le haut, rouge et noir, la couleur des princes, et
l’autre, il me plaisait bien celui-là ! costard trois pièce, oui monsieur ! veste
cintrée et semelles flamboyantes, le bout du museau tout propre. Voilà un
homme qui sait se faire beau pour sa passion maîtresse ! Ses boules à lui,
resplendissaient ! on les eût dites volées à la fièvre du samedi soir. Quel duel,
mon vieux ! Aux pointes subtiles de l’un, répondait du tac au tac les percussions
à tire-d’aile. Bam ! Bam ! Bravo ! Bravo ! Coup pour coup, en parfaits
gentlemen ! À chaque volée, les moustaches grisonnantes bourdonnaient
quelque savoureux sel émerveillé. Je savais plus lequel des deux j’aimais le plus,
parce que dès l’un se mettait en place, pose caca et œil de chat, le monde tenu
dans une paume de main, le monde superbement balancé ! je me disais alors
C’EST LUI QUE J’PRÉFÈRE, C’EST LUI ! CE GARS-LÀ EST UN GÉNIE
EN SURVÊTEMENT ! et puis juste après c’était le tour de l’autre, impeccable,
silencieux, serein, immaculé, et il suffisait qu’il plaçât son jeu pour que je me
dise NON C’EST CELUI-LÀ, ÇA FAIT PAS UN PLI, C’EST LUI ! C’EST
DIEU SORTI DE SA PENDERIE ! Vlan ! Vlan ! Quel combat ! épique,
132
dantesque, nous vacillions tous sur les crêtes d’un même vertige chromé. Je
bavais, j’en perdais mon grec ! À chaque éclat de grâce, je ne pouvais
m’empêcher de me fendre d’un rire d’admiration ! Oh-oh ! Ah-ah ! C’était une
escalade du sublime, une ascension insolente ! Merveilleux ! merveilleux ! Vous
êtes fantastiques, vous êtes munificents. Poètes du gravier, de la terre battue.
L’Église de la Pétanque est fière de ses paroissiens. Chacun avait du caractère,
de la personnalité et avec sa façon bien à lui de moudre la perle ; le parfumé se
lapait la paume avant d’y poser sa boule et puis sifflotait un petit Brindisi sur la
pointe laquée de ses souliers, tandis que l’autre lui, quel homme je vous le dis !
se crachait dans la pogne, comme le font les bourrins dans les films
pornographiques, avant un moment clé. Mon voisin, celui au teint finement
pimenté, m’a confié que la salive est excellente pour lubrifier les boules. C’est
pas moi qui te contredirai, vieille vicelarde couperosée ! Quelques heures et une
tension de fil métallique, Flanelle vint à bout de Survêtement, mais quelle
affaire, quel combat ce fut ! Survêtement s’est incliné comme seuls les Titans
choient. Pas une larme, pas un grognement, seulement un bouliste splendide
serrant la main de celui qui l’a vaincu à la régulière. Bravo ! Bravo mes braves !
L’un comme l’autre méritez ma bénédiction ! Et le plus beau fut sans aucun
doute quand Flanelle nous salua humblement, embrassant la foule d’une même
révérence à vous fendre l’âme, avant d’enfourcher trombes toutes sa Porsche
garée en double-file. Rentre donc tapoter les reins de ta maîtresse, humble
Seigneur, tu as bien mérité qu’on soulageât ton sceptre !
133
Cette partie de pétanque, mon vieux ! m’avait renfloué comme un poupin.
L’avais-je seulement vue ? Avais-je seulement rêvé ou existaient vraiment de
tels princes, dans ce grand charnier ? Autour de moi, aucune trace d’un
quelconque duché. Quelle importance ? Le monde retrouvait ses couleurs et
moi, je faisais partie du camp des vivants. Je flambe, je flambe trop, au fond,
même la mort n’ose y mettre son orteil ! Mon esprit retrouvait sa clarté, sa flueur
impalpable, épaisse de cuir sur lequel suinte une goutte de glaire cervicale,
comme celle qu’exhale une vitrine du Quartier Rouge, quand il fait tout rose
sous la chair. J’ai repensé à la fille de Saint-Germain, l’actrice de Théâtre, là, et
ma foi, la place de cette petite garce moins à La Comédie Française qu’à
Amsterdam, dans les eaux stagnantes d’un canal, parmi les restes d’un
hamburger au crocodile, ou encore dans un cendrier de marijuana pâle, non loin
d’un distributeur de chattes en silicones, 12€50, prix imbattable (lubrifiant non
compris).Voilà ta véritable scène, putain d’écharde ! À la vérité, j’arrivais pas à
savoir comment faire. J’étais dubitatif. La tête des femmes, c’est bien vrai que je
comprends pas exactement de quoi elle est faite. Ce sont des choses qui prennent
des années Ŕ plus même, pour la plupart des gars. Sans doute mourrais-je sans
ne l’avoir jamais qu’à peine entraperçu, mais au fond, la tête des femmes ! ça
m’intéressait moins que l’intérieur du manteau. Le vison le vison le vison, voilà
ce que nous visons, nous autres hommes d’action ! J’aimerais bien vous y voir,
femelles, avec un tel attribut entre les jambes ! Quelle bite ! Quel paquebot !
Quel Enfer que cette Trinité ! Nom d’un Chien, quel rugissement sous la
braguette ! Si bien que j’ai atterri sur une petite place toute calme, pas loin des
Invalides. C’est mieux ce genre d’endroit, pour réfléchir sérieusement. Subitos
cette fille de Saint-Germain, là, elle m’avait fait penser à une autre, ça m’était
arrivé y’a pas si longtemps que ça, aux Invalides, justement. C’est pas nouveau
134
que je comprenne rien aux femmes, déjà au moment dont je vous parle il m’en
était arrivé de belles. C’était une de mes fois où j’avais pas la forme. C’est-àdire qu’il me passe de telles extases que j’égratigne bien de l’émail en retombant
de là… Y’a pas plus versatile que moi. C’est parce que je suis un grand émotif,
c’est pour ça. Mon cœur, c’est un danseur-étoile qui a tout le temps le trac. Bon.
J’étais sur un banc, assis dans l’ombre, le regard noir, noir comme un assassinat.
C’était les femmes qui me mettaient dans un tel état. J’avais l’impression de
devenir fou. En fait, je l’étais déjà, je regardais autour de moi et me demandais
si c’était normal ou quoi Ŕ comment qu’ils faisaient les gens, pendant trente,
quarante ou quatre-vingt balais, ficelés, camisolé dans leur respectabilité, dans
leurs joues bien rasées, comment qu’ils faisaient pour vivre ainsi, si longtemps,
autant de putains d’années passées sans dérailler, comment avaient-ils fait pour
pas devenir complètement barges, pour répéter jour après jour cette même
saloperie increvable, avec ce même sourire angélique, cette même hypocrisie de
fantôme, à se laver le cul avec autant d’ardeur, et s’ils avaient vraiment tués
pour ça tout ce qui eût dû faire d’eux des sauvages ? C’est vrai quoi, moi j’avais
l’âge censément resplendissant et déjà ça craquelait de partout, je voyais les
coutures rompre, se défaire fil après fil, et juste en dessous, une lune hurlante,
quelque-chose d’une aile de plexiglas, d’un chien de révolver fumant. C’était
fin, presque impalpable, mais c’était là, pas plus épais qu’un poil de cul ou le
courage, c’était affûté comme un sabre sulfureux, et je dansais là-dessus, j’avais
mon tutu et mon désespoir et mes chaussons fourrés de laine, et ma faim comme
une partition jetée aux flammes ; un abîme pousse de la plaie, libère un enfer de
cerbères et de chaînes brisées, au bord de son vide on choie ou l’on s’élève, pas
d’autre choix, pas d’autre choix, tandis qu’au fond de celui-ci flotte un éclat
carnassier, les dents blanches de ma folie baignant dans un verre d’hypochlorite
de sodium. Voilà à peu près où en étais-je, cependant que je lisais pour la
dixième fois mon Bukowski favori. Mais même lui, ce sacré fils de pute, ce rot
d’émeraudes, cette bière de bulles éternelles, même lui n’arrivait à me consoler.
J’ai refermé mon bouquin, j’allais à peine mieux, je tapais dans les cailloux, en
essayant de penser au soleil, aux feuilles sautées, ce genre de trucs, quoi. Mais
j’y arrivais pas. Je pensais aux femmes, j’arrivais pas à me les défaire du crâne.
Les femmes, sans blague, elles font tourner la tête du monde entier. La Terre,
c’est rien qu’un gros œil qu’a roulé dans le caniveau du canal Saint-Martin, un
samedi après-midi de brûlant juillet. Elles, pendant ce temps-là, elles suspendent
une grappe de cerises à leur croupe, et rajoutent de la folie par-dessus une autre.
Moi, ça commençait à m’agacer pas mal. Elles faisaient rien que de sa pavaner
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et puis de faire leur fine bouche ! Je me disais qu’elles pouvaient toutes aller se
faire foutre ailleurs. Puisqu’elles voulaient pas du mien. Après tout Tonio y’a
pas que ça. Y’a Bukowski aussi, c’est bien Bukowski, et puis y’a la nature aussi,
y’a les fientes d’oiseaux. Et je vous jure, à peine m’étais-je fait la promesse
solennelle que c’en était fini pour de bon, j’avais même prévu de me tirer d’ici,
d’aller au Tibet ou en Inde et de vivre en ermite loin dans une cabane nageant
dans l’altitude, avec les nuages au petit-déjeuner, en intimité avec les astres et
les chèvres, loin dans mes projets de nouvelles vie dans les éthers glacés Ŕ à
peine m’étais-je fait cette promesse que mon regard s’emmêle aux guibolles de
cette fille promenant son clébard. Va te faire foutre ! que je lui balance depuis
ma pupille féroce. Va donc ronger un autre homme, petite connasse, tu
connaîtras ni ma flamme, ni ma verve légendaire... Quand même, elle m’avait
louqué d’une drôle de manière. Cette fille m’avait regardé. Merde, enfin une
esthète ? C’est pas trop tôt ! je me suis dit en me retournant pour m’appesantir
sur ses mollets. Et vous savez quoi ? Cette fille fait la même chose, au même
moment ! Je veux dire, une fille qui vous tape dans l’œil, ça existe c’est fort
commun, ça déborde même très souvent du cœur, y’en a tellement que pour ma
part je manque à peu près tous les jours de me faire écraser par un milliard de
bagnoles, mais une fille qui se retourne à votre modeste passage, voilà bien
quelque-chose de pas commun du tout ! Bon, on pouvait pas la trouver
physiquement irréprochable, ça c’est bien vrai, y’avait des trucs de traviole,
d’autres qui dépassaient et qu’on aurait peut-être préféré ne pas voir, n’empêche
qu’elle m’avait regardé, et au fond on les trouve jamais trop mal, celles qui
s’intéressent à nous. Ça c’est bien vrai, Tonio. Bravo Tonio, encore une sentence
volée aux foudres ! Ni une ni deux, me voilà qui piétine mes petits lamas
spirituels pour fondre, telle une fourchette aux commissures se pourléchant avec
avidité, vers mon oiselle rissolant par-dessous deux superbes œufs au plat, dans
cette poêle pleine d’huile violant un ange délicieux. Allons crever l’albumine ! Il
se trouvait que cette fille-là, cette fille dont je vous cause, c’était une américaine,
et c’était pas pour me déplaire du tout, si vous voulez tout savoir. Brave
Amérique ! Bravo ! Bravo ! L’amitié Franco-Américaine, et allons donc !
Depuis le temps qu’ils nous baisent, on va leur en rendre une petite pièce de
monnaie ! If I spic Inegliche ? Off course lady, off course ! I spic Inegliche éveri
day ! Breakfeust, lunch, dinner ! You see ? I am bilingue ! Mais quelle paire de
seins ! Le monde englouti dans son privilège. Voilà que quoi sustenter la misère
d’un homme pour un paquet d’époques ! Et c’est marrant je m’en rappelle
encore mais au moment où on a commencé à parler, je me suis dit que j’avais
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tiré un bon numéro, et je vous jure, en période noire, tirer un bon numéro c’est la
seule chose qu’on demande jamais. Ça ressemblait à moi me réveillant en plein
dans un rêve de confiserie, seul dans la nuit, avec le gérant qui dort sur ses deux
oreilles de cocu à dix mille kilomètres de là. Bien bien. On cause, on cause, et
puis le chien qu’elle promenait, c’était pas le sien, c’était celui d’une dame pour
qui elle travaillait un brin. Bon bon, on dépose le chien dans son cercueil,
bonjour-bonjour, enchanté, vous voulez boire un thé jeune homme ? non merci,
j’ai une américaine au micro-onde, au revoir madame, ravi d’avoir fait votre
connaissance, adieu, à jamais... Petit-à-petit, je l’ai tricotée Rue des Acacias.
Petite tarentule sournoise… Tiens ! quelle surprise ! J’habite juste ici, allons
faire un Scrabble avec les oreillers. J’avais haché mon coup aux petits oignons,
évidemment. J’avais de la chance parce que je savais qu’en plus mon père n’y
était pas, à ce moment-là. Des fois, quand il en pouvait plus de son atelier et de
son lait de soja, il sortait se saouler. Je le savais très bien. Il me disait qu’il allait
au musée, mais je savais que c’était du pipo. Je l’ai vu des fois, hein, je l’ai vu
dans le bar à côté de chez moi, fin saoul à parler aux femmes du quartier… Nous
voilà en haut, et bon Dieu ! à peine la porte claquée qu’on allumait des fortunes
de feux d’artifices ! Voilà qui était de bon augure, je me suis dit. Et puis voilà
qu’elle est déculottée, moi le nez dans son Enfer, à faire mon petit diable
rougeoyant, à faire semblant que je m’y connais, que j’y comprends quelquechose, quand elle empoigne sa culotte, son pantalon et paf ! elle remonte d’un
coup tout ça. I need to go, qu’elle me fait. Qu’est-ce que tu me chantes, putain
de merle ? I need to go, qu’elle répète. To go, to go, t’es pas à cinq minutes près
putain, not maintenant ! Alors tu vas me faire le plaisir de finir ce que t’as
commencé, et jusqu’au bout, hein, parce que tu m’as fait monter dans une
gamme de sacrées températures, j’ai plus toute ma tête maintenant et dessus y’a
ma grosse bite qui fait boutoir dessus, un boutoir pas racontable, alors me prend
pas pour un pigeon et retourne donc au charbon, vieille salope du
Massachusetts ! C’est vrai en plus, elle était du Massachusetts. Vous affairez
jamais avec une môme du Massachussetts, c’est rien que du temps perdu. C’est
des dégonflées, les filles de là-bas. Merde ! voilà qui est vexant. LOOK AT
THAT, LADY que je lui fais en dégainant mon soleil, YOU SEE ? COME GET
A BROWN ! La voilà qui s’enfuie presque et moi, ogive à la main, je lui cours
au cul, prêt à en faire de la boue, de la margarine, mais rien à faire, quelle
tristesse, quelle déconvenue ! je m’heurtais à un quignon de pain. Jusqu’en bas
de chez moi, je l’ai poursuivie, l’amour tout ébouriffé, à quémander mon coup
de chevrotine… Comme ça qu’elle est partie ! Paf ! Sans même se retourner. Ça
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s’était comme joué à un doigt… Un truc s’était produit dans sa tête, un truc qui
passait largement au-dessus de la mienne. Et le pire dans tout ça, ce fut le
lendemain. Qu’est-ce qui s’est passé, le lendemain ? Moi, je savais à quelle
heure elle promenait le clebs, je le savais parfaitement, elle me l’avait dit la
veille et moi je suis pas du genre à oublier ce genre de détails, qui n’est
d’ailleurs pas du tout un détail, et sur mon banc, trique d’Apollon jusqu’aux
oreilles, j’étais bien fermement décidé à reprendre notre petite conversation… Et
bah vous savez quoi ? Voilà que la fille se pointe, avec le clebs, le même clebs !
et sa même trogne de garce ultime, sa même paire de sein qui s’ouvrait, se
fermait comme une fleur qui hésite à éclore, comme une gorgée de lait, pareille,
la même garce que la veille, aussi sale sous la propreté, et moi qui l’interpelle un
coup, l’air sûr de mon coup génial, splendidement désinvolte dans mon envie de
baiser. Vous me croirez jamais. Je vous jure. Elle m’a à peine daigné un coup
d’œil. À peine. Comme si j’avais jamais existé du tout pour elle ! C’est toujours
comme ça les femmes, un jour c’est champagne et le lendemain… Quand même
les Américaines, ce sont de belles cylindrées. Un peu chimiques, OK. Mais de
belles cylindrées quand même… Ah putain d’Amérique ! qui arrivera donc à te
baiser pour de bon ?
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Quand même en repensant à tout ça, ça m’a agacé. Je veux dire, ce genre de
salopes, c’est fait pour être salopée, on sera d’accord à ce sujet. Et moi qui ai un
peu foiré mon coup, ça c’est bien vrai. Si vous aviez vu cette PAIRE qu’elle
avait, alors vous auriez sûrement nourri les mêmes regrets. Ce sont des choses
qu’on veut mettre dans notre album photo, dans la partie confidentielle, toute
tâchée de foutre et des empreintes de nos doigts graisseux. Quelle place de choix
lui aurais-je-t-elle faite ! Et puis quand j’aurais été vieux et sans dent ni frisson
dans la veine, j’aurais rouvert ça et à la page randonnée auraient jaillies deux
fières montagnes américaines ! Les Appalaches, peut-être ? Il me semble
qu’elles effleurent le Massachussetts. Quels délicieux bols de porcelaine !
J’aurais bu son souvenir comme un lait brûlant. Tout de même, faut pas trop
s’attarder sur ces trucs-là. Faut passer à la suite, se dire qu’au prochain coin de
rue, y’aura peut-être un accident, avec plein de hurlements et d’affreuses
flammes dedans, un tableau de Dali qu’aurait dégouliné des dimensions, ou bien
le filament d’un cul qui clignotera un peu espièglement, dont les lettres de néons
disent BANDE POUR DES CACAHOUÈTES, ÇA SERA TOUJOURS ÇA DE
BOUFFÉ. J’ai laissé tomber son souvenir, tout simplement, comme un morceau
de plâtre mal fixé aux murs, comme un AA qu’on a mal joué, ou une peau de
saucisson, un vieux mégot triste. Faut savoir laisser les choses venir et puis s’en
aller, voilà tout. Quelle importance il peut bien avoir le passé, quand on regarde
sur le banc à côté du sien ? Sur celui-ci justement, un prince se fouillant
onctueusement la narine, toute grâce déployée. Il va loin, loin, si loin ! Peut-être
touche-t-il au nœud du Problème ? Ma parole, il va se crever un œil ! Tel un
trésor, son doigt arbore le trophée : un récalcitrant poil de nez. Et voilà qu’il
s’attaque désormais aux sourcils, le bel homme ! Ce petit jardinage intime
semblait lui procurer un plaisir éminemment indécent ! Sourire coquin au coin
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des lèvres, il soigne son Pédigrée. Voilà un homme aux plaisirs simples ! Peutêtre un Saint ? Un Martyre en pleine ascension ? Que sais-je, devant tant
d’éblouissement ! Tandis qu’à ses côtés, une dame d’allure tout à fait modeste
fouillait dans son porte-monnaie, et voilà qu’une des pièces tombe de celui-ci.
C’était une petite pièce de pas grand-chose, mais quand même. La pièce a tinté
sur les cailloux, elle a roulé sous le banc, sur le trottoir, jusqu’au bout. La dame
a jeté un coup de mire à son voisin, mais le brave homme, monopolisé par son
Labeur, ne l’avait pas remarquée. Elle a regardé sur le trottoir, tout là-bas, là où
gisait sa pièce. Elle s’est redressée et puis a encore jeter un peu de châsse autour
d’elle. Elle avait l’air d’hésiter, en fait. Ouais, c’est ça, elle se tâtait la vieille
saucisse. Elle m’a scruté un petit moment et j’ai fait pareil. Elle avait du blanc
au coin de l’œil. Et puis elle s’est pas décidée. Elle a pas osé aller la récupérer.
C’était pas mal ce coin, au fond. Pas trop mal, dirons-nous. J’étais peinard
dans un certain sens, parce que dans l’herbe, là, comme ça, on entend même plus
beaucoup la circulation et bon Dieu ! voilà quelque-chose d’apaisant. Y’a
tellement de boucan à Paris, c’est tellement le bordel dans la tête des gens, tout
le temps, qu’on en oublie les vertus du silence. Voilà pourtant une bien agréable
méridienne sur laquelle étendre ses lombaires, déployer ses orteils en pine de
paon ! Lèche donc mon sexe, velours béant ! Tête-à-tête avec le silence, on
sonde les circonvolutions divines, les pensées en peau de banane tigrée Ŕ je
suçote, tu suçotes, il suçote, nous suçotons gaiement la trique des arbres en
fleur ! Orang-outan sublime se frayant un chemin parmi les taillis de substance
grise, je déroule ma grâce de branche en branche comme une écharpe de laine
qui pare la poitrine du noyau accumbens, non loin de la neuvième paire de nerfs
crâniens qui s’entrelace au pétale du cervelet ; la dopamine, petite salope sucrée,
flamboiement d’une traînée d’hippocampes, enfourche son godemichet en rotin
pour copuler chaudement avec les innombrables fentes synaptiques, et elle
lime ! elle lime ! à droite, à gauche ! au fond ! dans le cœur rougeoyant ! petite
salope connaissant parfaitement les subtilités du plaisir féminin, elle n’oublie
aucune de ses anfractuosités, honorant jusqu’aux plus modestes neurones errant
dans le lointain et glacial trou occipital. Écoutez donc l’ataraxie étendre son
électricité ! Bzzz ! bzzz ! Mille Colombiennes aux culs tressés dans une gousse
de vanille m’offre la cocaïne de leurs vertèbres à priser sur un fouet obscur.
Sniff ! Sniff ! Tout au fond de l’anarchie, je verse une goutte pourpre dans leur
coupelle de lait. La lie rose veinant l’immaculé. Mes poumons battent, éclatent,
mon cœur s’est fendu en cinq pour ne faire de jaloux. Bulbe olfactif dilaté, je
piège les moindres flueurs de la paix intérieur ! Me voilà Bouddha sur le toit de
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l’Himalaya ! Tonio Gandhinsky. Abdoulabouddha Cozinpoché. Tout devient si
simple, quand on respire profondément. L’herbe grasse devient si moelleuse !
moelleuse comme un dimanche matin où grillent les tartines de pain à l’ombre
d’une motte tendre. Vraiment, vraiment, quel coin admirable que celui des
Invalides ! Bravo ! bravo les estropiés ! Tant de sang versé qui remue dans mes
veines ! Tant de morts, de cris éraillés ! Je les vois tous en bordure de champs,
borgnes mal rasés pleurant tripes et cartilages, grouillant dans les raisins moulus,
où leurs os infectés par le couteau d’une plaie s’effrite en éclat de cristal jaune
sang, ils hurlent d’en finir, les pauvres tessons ! ils hurlent de crever une bonne
fois pour toute pour l’Honneur d’une Putain Tricolore qui ne manquera de toute
manière pas d’offrir ses fesses au plus offrant. À croire que Napoléon me
chatouille le dessous des côtes en me disant JE T’AIME TONIO, JE T’AIME
D’UN AMOUR PUR ET SINCÈRE JOSÉPHINE NE VAUT PAS L’ONYXIS
DE TON GROS ORTEIL, PARTONS À WAGRAM J’AI UN CHALET EN
BORDURE DE MONTAGNE OÙ NOUS POURRONS NOUS ENCULER EN
REGARDANT LA NEIGE SOUFFLER LES OISEAUX BLANCS.
141
J’ai continué à marcher un petit moment, si bien que je suis arrivé à l’Eiffel
Toweur. Y’avait encore du monde. Des touristes. Surtout des couples Ŕ des
couples de moules, si vous voulez mon avis. Moi je tapais dans la caillasse en
les regardant. D’un coup ils m’ont énervé, même les femmes, même celles dont
le cul aurait tout fait pardonné, même elles, surtout elles, ces sacrées garces !
m’ont foutu en colère. Je les ai tous trouvés bien gluants et bien trop nombreux,
voilà ce que je me disais. Fallait voir ces manières de bulots qu’ils vous avaient !
Pas un pour rattraper l’autre, ils faisaient tous que la même chose. Ils voyaient
même pas leur propre indécence. Ils vous gâcheraient le plaisir ces salopards, à
vouloir ronger toutes les miettes de Sublime ! Laissez vos devises et rentrez
dans vos tunnels, là ! De toute manière, vous tournez toujours la tête du mauvais
côté.
Tous ces larbins, ça m’a rappelé un truc. J’avais rencontré un gars qui
s’appelait Daniel, y’a pas si longtemps que ça, aux Tuileries, juif qu’il était, juif
il l’était jusqu’au bout du tarin, et ce Daniel m’avait longuement parlé des
femmes, de leur derrière leurs bonnes manières Ŕ de ce que tout ça cache de bien
peu reluisant, quoi. Eh bien figurez-vous que la plupart de ces femmes-là n’en
avaient rien à foutre du bonhomme à qui elles donnaient gracieusement de ces
airs-là, vous savez bien ces petites papillonnades dont je cause, tous ces trucs
gerbants qu’elles font si bien, eh bien ces mecs n’étaient en fait rien que des
manches, des banquettes molles, des coussins plus ou moins moelleux, et elles,
elles attendaient juste de trouver mieux Ŕ un plus dégueulasse, pour résumer.
Selon Daniel, c’étaient comme des gâteaux qui attendaient sagement qu’on leur
entame les rognons à la crème, piler tout ça bien sèchement, piler dur dur dur,
jusqu’en faire un tas d’ordures et d’aboiements. Les meilleurs coups, c’étaient
celles-là, celles qui trahissent, qu’il m’avait assuré, le Daniel. Daniel il m’avait
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prévenu, il m’avait bien prévenu comme ça avec son grand doigt sombre de juif
errant, il me l’avait agité sous le pif et il me l’avait bien dit, mon grand, si t’es
pas un splendide lascar de la braguette, t’as intérêt à savoir jouer de la guitare.
La plupart des mecs ne tenaient pas leurs nanas, voilà la grande vérité de ce
monde. La grande vérité de ce monde était en fait un grand mensonge ! Moi je
scrutais les couples en essayant de savoir lesquels tenaient vraiment leur bonne
femme. Celui-là peut-être ? et eux, alors ? Nan. J’arrivais pas à déceler la
différence. Les gens, ils jouent trop bien la comédie. Y’en avait des tonnes de
partout qui doraient en toute impunité, et moi qui savais pas les reconnaitre. Ça
me tuait. Si ce genre de trucs on arrive pas à savoir, alors moi je dis que le savoir
il sert à rien du tout. Je les voyais toutes la gueule baignant dans le rose,
j’imaginais très bien chacune d’entre-elles le visage en torchon, emmêlé aux
mèches et à la crasse, tout ça, tout ça quoi, merde au fond vous connaissez ça
aussi bien que moi, et peut-être bien qu’elles avaient envie d’autre chose et peutêtre même de moi, et pourtant j’étais seul sur ma rambarde et eux, ces gars-là,
ces cocus qui voulaient pas trop réfléchir à tout ça, c’était EUX qui les avaient
dans leur pieu. On pouvait dire ce qu’on voulait, ils avaient l’avantage sur moi.
On pouvait pas nier ça. Prenons toutes les femmes magnifiques qui existent et
celles qui sont pas encore nées, et bah ça fait un bon paquet on est bien d’accord
et c’est tant mieux, et bah de savoir qu’on en goutera jamais au mieux qu’une
infime partie, qu’une minuscule part dans la grande vitrine, c’est le genre de
grande pensée qui me rend tout à fait malade. Bien sûr il suffit que l’une d’entre
elle vous ensorcelle rien qu’un peu pour que tout ce paquet-là il ternisse bien
d’un coup et perde tout son intérêt, et pourtant qu’on devrait jamais oublier ça,
que c’est jamais rien qu’un coup de tête, une folie inabordable, parce que ça
nous épargnerait du coup pas mal d’emmerdes et de temps perdu. Mais pour
l’instant, personne n’est vraiment prêt pour ça, on raffole encore bien trop des
illusions qu’ont la chair langoustine. Ouais ouais ouais, une belle histoire de
couillons, si vous voulez mon avis. Et puis la tronche de Daniel m’est réapparue
en éclair, sa trogne de beau salopard, et je me suis demandé si c’était vrai tout ce
dont il m’avait parlé, de toutes les femmes qu’il prétendait avoir eues, et s’il
m’avait pas raconté des cracks des fois, et moi qu’était loin du compte et qui
était pourtant ni plus con ni plus moche que lui. J’ai réfléchis longtemps à son
cas à lui aussi, et j’ai pas pu me décider. Les hommes ils peuvent pas
s’empêcher de faire les intéressants, surtout pour ce genre de conversations. Et
puis y’avait un peu ma jalousie qui me rendait si sceptique, c’est bien vrai. Le
pire, c’est qu’il m’avait pas dit ça pour essayer de m’impressionner. C’est ça qui
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paraissait vrai, du coup. Beurk. Ils vous foutent la gerbe, à toujours vouloir vous
écraser. Ton problème Tonio, ton problème c’est que t’es trop émotif. Ici faut
s’en foutre de tout parce que rien n’a d’importance, toi-même comme le ciel ou
la vache folle, rien ne mérite pas même un petit mouchoir usagé, pas même
reniflement. C’est juste qu’une cacahouète, le monde. T’es trop impressionnable
Tonio, tu prends les mensonges des autres pour argent comptant. C’est pour ça
que tu perds tout le temps au poker, c’est pour ça que tu perds tout le temps à la
vie.
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La cerise sur le tas d’ordures. Quelque-chose de sublime s’est passé dans le
métro. Quelque-chose qui donne l’envie d’être quelque-chose de mieux. Il faut
que j’en parle mais je sais pas comment faire parce que parler, c’est mentir tout
haut. Le silence a tellement plus de tact, lui… Quand même j’ai bien envie
d’essayer. C’est si beau que ça me donnera l’impression de me jeter du haut
d’un piano. Il est choses impossibles à garder pour soi. C’est pas que ça
intéressera le monde, non, mais c’est juste que ça prend trop de place, à chaque
instant ça menace d’éclater. Alors disons que c’est pas pour vous mais que c’est
pour moi. Si elle nous avait regardés la Terre, elle aurait jailli de sa trajectoire,
percutée par un soleil, une superbe boule de pétanque. Mais rien de tout ça ne
s’est passé. Y’en a que pour le clinquant, dans ce monde d’yeux pâles.
J’étais posé dans le wagon, avec rien d’autre dans la tête que l’idée de me
laisser indéfiniment glisser sur les rails. Des fois c’est juste qu’on a plus la force
et de se laisser aller comme un mort, c’est triste à dire mais ça fait du bien. Me
voilà donc dans le métro à l’observer laissez-moi vous dire qu’il avait pas
spécialement fière allure. Et peut-être bien que l’allure du monde ça veut rien
dire et qu’il n’est ni beau ni moche, ni cruel ni trop gentil, que tout ça c’est rien
qu’un filtre que posent sur la pupille nos émotions quand elles débordent d’un
peu trop de sous la peau ; c’est fort probable, et ça serait tant mieux parce que ça
voudrait dire au fond qu’il suffirait de sourire pour trouver la vie pas trop
dégueulasse. D’un coup, ça arrangerait les problèmes d’un bon nombre de
connards. N’empêche qu’on peut rien y faire et que ces choses-là ça se contrôle
pas toujours. Cette rame de métro à ce moment-là, je l’ai vue grise et puis c’est
tout. Les gens ils avaient l’air plumés, ruinés, ils étaient ployés comme une
queue trop pleine de doutes, ma parole des gueules sous cellophane, des gueules
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en pot de yaourt, petites boîtes de cartons percées, poinçonnées, pâles et
individuelles. Ils levaient même plus le menton ! Sans blague, tout avait
mauvaise haleine. On avait comme été ratiboisé, et plus aucun brin d’herbe dans
la ville pour nous rappeler que la nature offrît la beauté. À des kilomètres de là
pourtant, les bourdons roulaient encore pour un temps dans les fleurs, le blé
rutile, flamboie, et un paysan chie dans un silence poignant, au beau milieu de
son champ de pommes-de-terre. Si vous voulez tout savoir, le métro il est
vraiment beau qu’après treize heures de travail, dans le petit matin glacé
poignardant une nuit de blanche solitude. Indescriptible félicité d’alors !
Quelque-chose d’un bain douillet emmaillotant les engelures ; d’un hiéroglyphe
mouvant aussi, insaisissable, inaccessible aux griffes de l’entendement, une
poésie impalpable, instantanée, tracée à la craie blanche d’un songe opiacé... Je
n’ai jamais vu resplendir ainsi la Ligne 6 qu’après ces nuits interminables à
l’hôtel. On n’a plus toute sa tête après une telle chiée laborieuse, et ma foi, le
monde extérieur carillonne alors d’un bien curieux lustre ! L’allégresse tirée à
quatre épingles ! On se sent comme un étranger dans le pays des hommes,
quelque-chose d’un matelas sur lequel marche la foule, ou d’un somnambule au
carrefour d’un accident, on se sent soi-même un accident, une collision molle,
un oubli providentiel à la vérité, vous qui marchez si discrètement, sur des
pointes si délicates, si légères, que vous ne touchez plus qu’à peine le plancher,
patinant sur la grâce d’une moquette feutrée, une merveille de silence,
d’impassibilité ! et il vous prend un tel soulagement aux tripes d’être ainsi, entre
le sommeil et la vie, pendu au cintre de cette hallucination extatique, à ce demirêve plus volumineux que le rêve lui-même, éparpillé parmi une réalité ellemême mise en pièces, déchirée, oreiller en proie à la mâchoire d’un grand mythe
herbivore, dispersée en plumes d’oies et volutes blanches, impersonnel,
immatériel comme une contemplation, comme le vide, moi-même vide comme
un vase attendant son bouquet de couleurs, œil de myope, œil de fantôme
quelque-part entre les rails du métro et l’hypnagogie, quelque-part dans le désert
sans nord qui sépare soi-même des autres, à peu près nulle part à la vérité sur le
planisphère de l’existence, point hors de tout orbite, hors de toute grille de
position, la raison écartelée telle une étoile aux cinq branches de l’aurore, si près
de toucher à une étrange confidence… Le ventre est si léger lors de ces
digestions fantasmagoriques, il flotte comme un bulle d’azote, une peau de
caillou, avalanche amortie dans l’œuf ! plus léger même qu’une idée, il flotte et
vous absorbe en sa viscère ouatée, c’est un sortilège en aluminium ma parole, il
s’empare de vous, serre déployée qui vous arrache au moindre vaisseau, au
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moindre nerf, pour vous étaler sur le grand billot, planter des clous ci-et-là, vous
étendre comme une pièce de boucher entre deux pans de la perception, vous
lissant finalement, vous dépliant comme un journal fraîchement sorti de la
bobine, fait d’indicibles chroniques, de mille coupures écrites en une langue
mystérieuse, il vous peigne ce brave estomac, un petit ruban rouge, un baiser au
bout du nez, vous voilà soyeux, une vraie chevelure blonde ! Une telle paix vous
saisit alors ! fichée comme un poignard blanc dans la chair, une paix impérieuse
chuchotée par un jeun ventriloque, dévorante, une paix sans compromission
avec les hommes tout autour de vous, tous les hommes, même avec dernier de
leur représentant, pas de compromis, pas de chichi, pas de comptes
d’apothicaires avec la vie, pas plus qu’on ne compte les dents sur un sourire,
toute la carcasse à l’essoreuse, un à-peu-près magnifique, voilà qui sera
amplement suffisant ! tout le monde, je dis bien tout le monde embarque dans
mon cuirassé recouvert de velours, où tourne comme un sourire panoramique
une boule de discothèque, et ronronne une musique langoureuse, un slow suave
dirons-nous, un slow branché l’un à l’autre, par tous les canaux abscons de la
peau, il y aura même une belle piste de danse dans mon cuirassé, oui, cirée,
resplendissante, dans le grand salon ! et au lieu des canons ma queue
omnipotente, évacuant ses petits vœux blancs dans les échos de l’océan. Une
paix guerrière, vous disais-je, une paix de bombe nucléaire, qui vous remet à
zéro toute idée que vous aviez pu vous faire de Paul de Jacques ou d’Henri, et
même de Jeanine ! il n’y a plus rien vous en vous, vous êtes vide, vous brillez
comme une dalle de carrelage, vous brillez comme des lèvres de nouveau-né,
une assiette de porcelaine, et vous voilà prêt à serrer la main à tous et même aux
poignées de portes s’il le faut ! L’épuisement agit comme une douche, un geyser
de soufre Ŕ comme un éplucheur plus exactement, et il vous épluche si bien qu’il
ne reste rien des parures habituelles, de vos petites peaux d’ananas, rien, vous
dis-je ! Pur, absolument pur ! plus propre qu’un saint ou qu’une boule de billard,
rond sans aucune aspérité, sans aucune faille, uniformément lisse, uniformément
astiqué, vous n’êtes plus qu’un ganglion grassouillet de lumière, quelque-chose
d’un filament translucide, d’un protoplasme qui piège le temps, la sensibilité
branchée à un long frisson d’amoureux. Et toutes ces choses passionnantes qui
poussent comme d’innombrables psilocybes sous vos yeux ! Ça vous transperce
de part en part cette mélopée merveilleuse, ça vous balaye tous les organes d’un
souffle irrésistible, tel au matin d’une tempête de neige, quand on ouvre la porte
sur un monde identiquement recouvert de la même note. Cul-sec ! Il n’y a plus
rien d’anodin, plus aucun hasard qui ne tienne, tout se tient à la vérité, tout se
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faufile, tout est dramatique, dramatiquement beau. Peut-être est-ce cela, la
solution ? Ne plus jamais dormir et devenir fou pour de bon, pour que la beauté
surgisse comme un fauve, qu’elle vous prenne à la gorge et vous vide de votre
sang Ŕ mourir éventré par le miracle, mourir d’une superbe expiration sur le
bord du trottoir par une belle matinée de soleil. Vous êtes la mort et la vie à la
fois, la folie dans un chewing-gum tendre, un arôme fait de tous les arômes que
les siècles ont laissé-là, à disposition, sous les gravats, leurs modestes
empreintes de pas, ni suie ni crasse mais rien que d’impalpables arômes laisséslà, légués à vous et à tout le monde et à personne à la fois, appartenant à la terre
à la vérité, comme des pierres précieuses en libre-service dans un placard vitré,
impossible à posséder, impossible à s’emparer, pas une poussière dessus,
brillantes comme hier, brillantes comme demain, impossibles à thésauriser, mais
que l’on peut contempler, simplement contempler, et puis éprouver, sentir peser
sur notre existence le mystère de leurs yeux moirés... Le monde Ŕ mon monde,
celui qu’éclaboussait mon calme rayonnement Ŕ était ici, nulle part ailleurs
qu’ici, nul besoin de s’extraire à cette chair pour d’autres avatars de l’illusion :
le monde était mon instant. C’était fantastique ! Était-ce ainsi que se
manifestaient les miracles ? Dormir les yeux plus grand-ouverts que le ciel, à
ronfler à toutes pompes dans un bocal de coton ? Ma foi, il est nul besoin de
réclamer davantage de place que la peau n’en prend ! C’est déjà tout ! Tout ! Et
quel soulagement, mon vieux ! Être simplement là, déployé ainsi qu’un filet de
pêche, ainsi qu’une voile filant sur un océan clair. J’étais invincible,
inatteignable, et aurait-on cassé un œuf sous mon coude qu’une poule de cristal
eût probablement surgi pour le souffler sous son aile. Devenais-je fou ? Il me
semblait être un peu Jésus Ŕ un peu d’un imposteur, aussi. Oui ; peut-être est-ce
cela qu’il faudrait, ne plus jamais fermer l’œil, quitte à les jeter dans le ventre,
s’il fallait qu’il produisît à l’infini cette diarrhée multicolore. Ce monde du
ventre omnipotent serait probablement différent, oui, probablement, peut-être
serait-il une angoisse béante, un précipice, ou bien le hurlement ininterrompu
d’une sirène d’incendie, ou simplement une paume de main, une côte d’agneau
grillée, un grain de riz moelleux, une peau tendre, un orteil chatouilleux, peuplé
uniquement de violeurs et d’artistes en puissance Ŕ que sais-je, bon Dieu ! j’étais
seul dans cette boîte sombre au ressort duquel s’empalait une peau nouvelle, et
c’était là, au cœur de l’écrin que je voulais m’enraciner, c’était à ce monde
sensible que je voulais appartenir, car celui-ci ne mentait pas, il était si bien
accordé, si parfaitement équilibré en sa colonne vertébrale qu’une étincelle
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l’aurait fait voler en éclats. Rapporté à l’échelle de tout un chacun, quel soupir
grandiose eût-on ainsi offert à la Terre !
Au moment où je vous parle, j’étais sûrement ni assez fatigué ni assez éveillé
pour le voir ainsi, le métro, à ce moment-là il était seulement gris, comme une
espèce de bloc de béton inerte, posé là, en plein milieu de nos existences,
comme une désillusion trop proche, une impasse insurmontable. Rien à se
mettre sous la dent, pas une femme, pas la moindre garce ! Rien ! Niet ! Un vrai
scandale, ma parole ! Moi j’aime vivre sur une corde de guitare électrique, que
voulez-vous ! J’aime sentir le vice planer, j’aime quand l’atmosphère est un long
poil de pubis rebiquant dans la veine. J’aime les pièces sombres, moites, celles
qui sentent fort les fées qui s’affairent au contact des bidons d’essence, du fluor
et de l’uranium. Une bière pour l’ivresse, une guitare pour l’habiller ! Et je me
suis vraiment mis en colère pour moi-même quand cette dame-là, ce dindon
mort, bouscula tout le monde dans la rame avec son gros cul qui eût fait honte à
la race féminine. Ma parole, voilà une femme qui savait se faire élégante et
discrète. Quelle odeur dégageait-elle ! comme ces bonbons à la menthe que
sucent les vieilles peaux qui font croire qu’elles sont pas encore toutes pourries
de l’intérieur. Mais y’a des choses tellement puantes qu’elles sont inscrites sur la
tête des gens. Le temps il est sans pitié avec tous les fils de putes qui n’en ont
jamais vraiment eu, de pitié. Ouais. Elle, elle devait être belle qu’aux cabinets.
J’aimais pas sa gueule, mais vraiment pas du tout. Pour la voir sourire, l’aurait
fallu faire le poirier ! Pauvre mégère ! Voilà soixante ans qu’elle produit sa
crotte tous les matins, elle n’a jamais pensé à s’essuyer l’autre flanc ! Et puis ça
lui suffisait visiblement pas, ses affreuses manières. On voyait bien qu’elle en
avait encore à revendre, un véritable tas de merde qu’elle avait en stock. Poils de
moustache déployés comme des cancrelats, elle attendait seulement l’occaz de
manifester sa profonde laideur. Quelle diabolique tumeur ! On l’entendait
bougonner, se plaindre d’on ne sait pas trop quoi. Un moment elle a croisé le
regard d’une arabe, elle a voulu lui sourire mais l’autre a détourné la tête. J’ai
trouvé ça pas mal gonflé et ça m’a vraiment plu si vous voulez tout savoir. Aux
W.C. les risettes ! Bon Dieu, il aurait fallu que vous voyiez la tête qu’elle fit
alors ! Indignée qu’elle était, la vieille peau, vexée comme un cactus qu’on veut
pas toucher ! Ouais, une bonne femme rebutante, si vous voulez mon avis.
À la sortie suivante, beaucoup de monde est sorti et beaucoup d’autre est
rentré, si bien que la vieille peau m’est sorti de l’esprit. C’était en face de moi.
En face de moi, c’était bien plus intéressant Ŕ s’est offert un spectacle de choix
en la personne d’une femme tout à fait agréable à regarder. Une brunette, une
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charmante brunette avec des joues, mon vieux ! De quoi vous gober un
bonhomme en entier. Et quel éclat sa bouche avait-elle ! On avait envie d’être
un timbre, ses mots en secret. Les lèvres d’une femme à dire vrai, c’est bien
quelque-chose qui me rend dingue. C’est comme si on pouvait deviner leur goût,
leur goût véritable. Voilà c’est ça : c’est comme si tous leurs assassinats
débordaient d’elles par accident, de juste un morceau de chair, le plus tendre, le
plus vif, le plus saignant… Les lèvres des femmes, c’est beau mais éminemment
cruel, à bien y réfléchir. Et j’ai passé un petit moment à rêvasser ainsi, et pour
être tout à fait franc, y’a pas plus agréable qu’une femme, pour rêvasser de la
sorte Ŕ jusqu’à qu’un animal sauvage se jette sur mes yeux, me lacère tout de
l’intérieur. Sans prévenir de rien du tout. Je le jure, le métro il est parti sans
nous. Il nous a laissé tous les deux, avec juste un dîner et puis nos existences,
nos existences pour nous éclairer. Dans les yeux comme ça, à s’inspecter les
grâces. C’était irréel, comme sensation ! Ma parole, quelle douce collision ! Je
peux pas dire si ç’a duré longtemps et je suis même pas sûr au fond que ça serait
très exact d’enfermer ça dans un tiroir-caisse à la con ; si ça tenait qu’à moi,
j’aurais plutôt dit à la vérité que le temps revenait en arrière pour chourer tout ce
qu’il avait jamais oublié. On bougeait pas, on baignait dans un drôle de ciel. Et
puis d’un coup, d’un même accord d’instrument, on s’est souri. On a pas causé,
on a pas remué d’un poil, on a juste souri. Comme ça, ça s’est fait. Clac ! Bon
Dieu, ça m’a flanqué le vertige ! Je voulais même pas bouger, j’avais peur de
tomber. C’était pharamineux, un tel silence en plein apocalypse. J’ai fermé les
paupières et j’ai fait ça en gardant un sourire agrafé, je le faisais pas exprès mais
c’était si beau que ça restait là, ça pouvait plus bouger, on m’avait comme
arraché à un drôle d’hymen. Ouais, les yeux fermés, je sentais le soleil sur ma
peau. Et j’avais encore le sourire et le plus beau, c’est que je savais qu’elle était
sûrement en train de me mater, et j’en avais rien à foutre d’être beau ou de pas
l’être assez, j’en avais rien à foutre du tout, je pensais rien qu’à sourire parce
que je pouvais pas m’en empêcher et je me suis dit, c’est bête hein mais c’est
exactement ce que je me suis dit, je me suis dit qu’au fond, la seule chose que je
pourrais jamais apporter à cette fille-là, c’était ni ma bite ni mon baratin, mais
rien que mon sourire en chapelet de boyaux, et immédiatement en me disant ça,
en laissant tomber toutes ces conneries, je me suis senti mieux, je me suis senti
comme soulagé. Un sourire et puis c’est tout. Qu’est-ce que ça voulait dire,
toutes ces conneries ? Ça voulait rien dire du tout au fond, c’était juste là, à
nous, au milieu de la foule, on avait seulement créé cet espace. On l’avait créé,
ouais, c’est ça. C’était rien pour les autres, mais pour elle et pour moi, ça devait
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dire quelque-chose. Un truc énorme, immense, derrière le tout dérisoire des
choses. Les yeux fermés dans mon sang, j’ai eu l’impression d’explorer le ventre
de maman. Je sentais l’odeur du grillé dehors, qui amadoue un peu
dégueulassement les nouveau-nés, les rires, le grand barbecue des fils de
putes… y’avait les ouates amniotiques, le coton maternel, les épinards au beurre
et la crème glacée, les gargouillis d’estomac, la paix comme un foulard de
mousseline par-dessus le placenta, y’avait l’oreille lointaine de Beethoven, qui
jouait une sonate fantomatique, un incendie rose… Quand même un moment j’ai
rouvert les yeux parce que c’est comme ça, on peut pas vivre incessamment dans
un ventre il faut retourner se battre et tout le reste vous le savez bien, et tout de
suite en rouvrant les yeux j’ai vu son regard qui a fui derrière la vitre, dans le
dehors tout noir de l’intérieur des souterrains. Et alors qu’est-ce qu’elle a fait ?
Qu’est-ce qu’elle a fait, tout naturellement ? Elle a fermé les yeux en tournant
son visage vers moi. Je le jure, j’ai cru que j’allais vomir de beauté. Elle aussi,
elle me laissait cueillir un peu de ses pensées. On s’échangeait nos sourires,
comme les cartes à l’école, comme les goûters, comme les secrets. Le métro il
avançait plus lui non plus, il voulait rien abîmer. C’était comme si on s’était
recroquevillé sous la rame, ou au-dessus plutôt, et qu’on avait étendu une nappe
pour s’y assoir et regarder la ville dérouler en écharpe, en fil d’argent. Alors elle
a rouvert les yeux et on s’est maté à nouveau, et c’était encore plus beau que la
première fois. Cette fois, c’était plus rien qu’un accident, c’était plus qu’un pied
qui tape dans un avocatier, c’était plus qu’une épine de rose, qu’une étoile
filante ou le crucifix des avions dans le crépuscule rougeoyant ; cette fois c’était
comme quand on fait l’amour pour la seconde fois. C’est comme ça que ça s’est
passé, on s’est tout dit et beaucoup plus surtout. Ça s’était passé, ouais, ç’avait
existé, et nous deux un peu également. C’était de la sédition, ma parole ! Quelle
tripe ne fallait-il, pour cette révolution minuscule ! Pourtant c’était qu’un simple
fil à rompre, à la vérité. Une espèce de ressort de minuterie à sectionner, et
derrière, mon vieux, l’immensité des grandes plaines ! Le grand galop de
l’espèce humaine ! Soi-même c’est immense, à bien y regarder. Faut juste avoir
le cran d’y aller. Y aller pour de bon, sans avoir la frousse de ne rien y trouver.
Là-dedans ma parole, y’a de la tarte pour le monde entier.
Ensuite, y’a eu toute cette saloperie de temps qui est revenu nous écraser, cette
saloperie de métro qui a secoué notre grasse matinée, tout ça s’est désagrégé
aussi rapidement que ça s’était fait parce qu’on a tous nos vies et qu’on est si
pressé d’y retourner qu’on ne rentre jamais vraiment dedans, alors un sillage
d’avion, une étoile filante et puis c’est tout finalement, la vie c’est trop court,
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c’est trop long pour vivre seulement accroché dans l’œil d’un joli moment...
Voilà pourquoi je déteste être quelque-part. Parce que quand on est quelquepart, on doit toujours le quitter. Le jour où l’on trouvera l’endroit où l’on pourra
rester pour de bon, alors tout ira mieux je crois.
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La nuit tombait presque, ou c’était le matin, j’en sais rien, peut-être l’aprèsmidi, peut-être l’après-jamais, ou bien midi chez les insomniaques, c’était qu’un
fil violet, voilà, un brushing d’orchidée, c’était la vie et j’étais à côté de chez
moi, en face de l’Arc-de-triomphe, à ne savoir trop quoi faire de ma carcasse. Ce
qui était sûr, c’est que je voulais pas rentrer chez moi. J’avais pas du tout envie
de ça. Je vous ai déjà dit, je déteste être chez moi, enfermé dans ces murs qu’on
connait trop bien. J’ai l’impression de perdre mon temps, d’être enfermé dans
une prison muette, quelque-chose d’anonyme à jamais… J’ai pas envie
d’attendre quelque taule pour me rappeler les vertus de la liberté. Blaoui, l’autre
veilleur de nuit à mon hôtel, qui faisait ce travail depuis des siècles, il me l’avait
bien dit, que les obligations, les menus tracas, toute la saloperie de béton mou
qui vous grignote votre vie, une fois qu’on trempe nos poignets là-dedans et bah
on s’en sort plus. Ç’a pris, ça vous a pris. Je me rappelle sa mine à Blaoui, sa
mine comme fatigué de continuer, ces traits tirés qui faisaient plus vraiment la
différence entre la lumière, l’obscurité, toute cette fatigue abrutissante d’être
éveillé comme une gargouille quand le monde lui roupille tranquillos, la croupe
tout chaude de sa gonzesse à côté Ŕ Blaoui il m’avait expliqué les choses qui
partent et ne reviennent jamais. Il m’a dit comme ça « Profite Tonio,
collectionne jusqu’à plus pouvoir, parce que dans la vie on est jamais peinard
bien longtemps ». Ça c’est bien vrai, brave Blaoui ! Et puis je savais que mon
pater s’y trouvait, probablement à tournicoter ses vieux ulcères dans ses violets,
ses noirs, ses jaunes qui ressemblaient beaucoup à une vieille bronchite qui
guérit pas, à geindre à propos de son estomac, de son médecin, des socialistes,
du mauvais temps et puis son fils, sa feignasse de fils qui passait son temps à
glander plutôt que de gagner sa croûte. Y’a des choses qu’on connait trop bien et
certains jours cette grimace-là, elle vous écrase tout à fait. Sa mauvaise humeur,
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je lui en voulais pas car je lui donnais bien de la peine moi, je le sais bien, lui
qui en avait déjà tant que ça débordait des chevalets en vomis sombres, en
hématomes, magenta glacés, mais tout de même je savais que je ne le
supporterai pas aujourd’hui, parce que ça ressemblerait trop à hier, ça
ressemblerait trop à la semaine dernière, ça ressemblerait trop aux mille putains
de journées qu’on a passés ainsi à répéter la même inlassable comédie de deux
individus qui se perdent à signifier leur existence. C’est dans les pommettes que
ça se passe, on essaie on essaie, on essaie quand même mais y’a rien à faire, ça
vient pas. C’est coincé dans la gorge. Rien qu’à l’idée de mentir à nouveau à
propos du travail dont c’est vrai, j’avais un peu abandonné la recherche, de
mentir encore, toujours, de se rassurer que demain peut-être tout ira mieux, que
peut-être demain a deux bras ouvert pour moi, pour nous et pour l’avenir
radieux, toutes ces saloperies où l’on on noie nos corn-flakes dès le petitdéjeuner, avec lesquelles on se trahit, avec lesquelles on se bricole une espèce de
mimique bancale, j’y croyais pas moi-même, ni à mon salut ni à une quelconque
solution d’ailleurs, et je voulais plus continuer à mentir à mon daron, parce que
ça me perforait l’estomac rien que d’y penser. Sans blague, faut une
détermination d’athlète pour continuer à se mentir chaque jour de la semaine
avec autant de pugnacité. On est juste des putains d’inlassables génuflexions.
Moi je savais très bien les ratiocinages féroces qui m’attendaient là, sur le portemanteau, entre le plancher qui grince et la porte de l’atelier qui s’entrouvre, les
chicanes domestiques tire-bouchonnées, les vétilles tortues, empoisonnées, et
j’avais pas du tout envie de ça, de devoir défendre mon morceau, grignoter,
grappiller encore, justifier mon néant par de beaux sous-vêtements. Trop de
mots, trop d’arguments juste pour tambouriner sur des casseroles. J’allais faire
comme je faisais la plupart du temps, c’est-à-dire que je rentrerai très tard en
faisant le moins de bruit possible lorsque je passerai devant l’atelier de Papa.
Je suis mieux dehors, c’est comme ça, parce que quand je suis vraiment en
forme, dehors ça me semble un invraisemblable trésor, un truc sans fond, qu’à
pas de fin, qu’à toujours une alcôve, une nouvelle porte à la dérobée. Je peux pas
me décoller, c’est trop bon à mater. Je regarde la Seine, les lueurs qu’elle
charrie, tout Paris dans cette écaille multicolore, et j’ai comme l’impression
d’être milliardaire pour pas un rond. J’inspire et je sais bien que c’est rien que de
l’air, des bouts d’azote, d’oxygène, rien de bien sérieux, et pourtant, pourtant
j’ai l’impression d’inspirer des planètes, des univers parallèles où la musique
serait un gaz, un palais bâti sur l’empire du silence. C’est vachement compliquer
à expliquer, mais une chose est sûr c’est que dehors ç’a indiscutablement une
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peau et que de temps en temps, quand j’ai l’humeur qui s’incorpore, je la sens
comme une amoureuse qui s’enroule. Comme une explosion passée au rouleau à
pâtisserie. Disons qu’il y a le temps et l’espace, et qu’il y a les deux ensembles.
Sans blague, des fois même il me vient le rêve d’habiter sur le trottoir. Pas
comme les putains hein, ni comme les clochards Ŕ je veux dire que j’habiterais
un lieu caché, confortable et chaud, avec rien du tout qu’une cuvette pour aller
faire caca, un sac de frappes et une grande baie tintée. La baie qui donne en
plein sur la rue et les gens de dehors qui me voient pas, qui croient que c’est rien
qu’un miroir et y’aurait les belles femmes qui se regarderaient dedans et les
moins belles aussi, et même peut-être quelques pédales, quelques gommeux, et
elles regarderaient dedans pour remettre correctement les flammes de leurs
cheveux et elles regarderaient profondément dedans et je serais collé à l’autre
face du reflet à me brûler silencieusement et j’imaginerai que ce regard n’est pas
pour un autre homme, qu’il n’est pas pour une autre séduction, qu’il est
seulement deux yeux écarquillés clouant mon souvenir à sa page bleutée. On se
regarderait fixement et la pluie tomberait loin de nous ; je me serais transformé
en un reflet sémillant. J’approcherais ma main du visage irréel, faille lumineuse
dans le temps, et la fumée se disperserait dans la rue en battant des ailes, laissant
un arc-en-ciel, l’odeur du bois brûlé… Cinéma grand format ! Format paupière
inflammée, pupille adamantine ! Pas de chiqué ! pas de mouchoirs pour la
morve qui s’exhale gaiment ! La joue collée à la panse poilue de la nature
humaine, qu’il sera bon d’embrasser la moindre de ses manifestations ! Un coup
de pinceau par ici, par-là, hop ! hop ! La cuisine fumante du monde. Les étoiles
filantes descendues des vallées. Je verrais tout, tout vous dis-je ! tout
l’échantillon exhaustif de l’humanité, je veux tout renifler ! Il y aurait les
affairés, les estropiés, les écorchés, les larves, les escargots, les magnifiques, les
ployés, les pustuleux, les glaireux, les grand-brûlés, les rongeurs, les renards, les
loups, les coquets, les précieux, les puants, les malhabiles, les clopin-clopants,
les malades, les fous d’amour, les fous de jalousie, les cœurs de laitue, les
solitaires, les solitudes, les inspirés, les coulants, les baveux, les liquides, les
bastonneurs, les édentés, les cocaïnomanes, les héroïnomanes, les érotomanes,
les mélomanes, les syndiqués, les paranoïaques, les idéologues, les démagogues,
les gynécologues, les religieux, les communistes, les fascistes, les marxistes, les
progressistes, les carriéristes, les barbus, les imberbes, les parasites, les
scatophiles, les terroristes, les pédés, les brisés, les silencieux, les muets, les
rougeoyants, les épineux, les ascaris, les gélatineux, les peureux, les désespérés,
les casseroles, les cow-boys, les chiens, les galeux, et les paumés, beaucoup de
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paumés, des paumés de partout qui se perdent à l’infini pour se retrouver et moi,
cul-nu sur ma cuvette en train de chier, je participerai à ma façon à la marche
instable du monde en le bénissant d’exister. Des fois je plongerai ma tête dans
l’eau jaune pêcher quelques cannettes de poisson-bière et regarderai ma panse
gonfler sous ma vessie noyée dans la pisse et l’ivresse. Sous toutes les saisons,
sous tous les temps, sous tous les états instables de la matière je regarderai les
jours s’empiler et disparaitre, les châteaux de sable fin défier le jusant, les
tempêtes, je regarderai le soleil s’ouvrir, retomber et rebondir, toutes les nuances
du ciel clignoter mille yeux papillonnants, je verrais la vie sous tous les angles, à
toutes les heures de la journée, le jour immense beau de la tête aux hanches, des
hanches aux pieds ! le matin dur, encore pris dans la glace, froid et immaculé
comme les poignées de cuivre que lustre la concierge, dans les reflets desquels
flottent les yeux pochés des damnés, damnés par le réveil, carcasses de rêves
accrochés à la joue, et le froid s’exhale par petits nuages des bouches haletantes,
hébétées, la grande gueule du métro, les bousculades pour une place parmi les
crocs et les crachats, les insultes, les dents taillées en canifs à cran d’arrêt, la
musique dans les oreilles et la grimace au plafond, et les murs qui suintent une
lumière d’hôpital tandis que dehors un homme a fini sa nuit de travail et regarde
la grande Dépouille sortir de son inanité, un coup de balais devant un café, une
tasse brûlante, l’heure du marché, les caisses qu’on empile, qu’on éparpille, la
panse des fruits, multicolore, entrelacs d’essences, un rubis perdu dans les
fraises, le scalp vif des bêtes, des poissons luisants, les cristaux de glace avachis
sur le béton, la voix burinée des marchands, leurs mains épaisses, leur rire franc
par-dessus la peau drue, les vieilles matinales qui tourmentent la marchandise,
les caddies emballés dans le tartan, et puis le soleil qui s’échine sur le monde en
le suppliant d’aimer, et puis l’engrenage qui tourne sur lui-même et midi crucifié
dans ses peines, la grande cheminée des usines au loin, les piétinements du
bitume, entrechoquements de couteaux, de fourchettes, un steak pétille dans le
gras, la viande molle, le jus gris, les hommes mordus au cœur d’eux-mêmes,
l’engrenage qui roule et brise les montres, les aiguilles, pas assez de temps,
jamais assez de temps pour vivre on nous vole les instants, on nous les déchire
des lèvres, des mains, les entrailles font des brûlures en pensant à demain qui ne
viendra peut-être jamais, le ventre mou, le temps ductile, coups de poings dans
le néant et l’engrenage qui tourne et s’heurte au coton, les rideaux de fer, la
fermeture des magasins, une dernière cigarette dans le jour qui saigne, l’agonie
des ultimes nuages, la paix pour un infime instant, et l’engrenage rouillé qui
poursuit sa molle révolution, et les corbeaux, et les ténèbres qu’hurlent
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l’asphalte, les femmes qui sortent dans un fracas de parfum, dans une odeur de
diamants, les corbeaux qui font bruisser les crânes blanchis en les effleurant du
bout de l’aile, les noyés, les réverbères qui pensent et grésillent et la lune pâlit
au loin, la lune silencieuse si seule dans sa bassine de gazoil, les loups en haut
des collines perdues qui lui supplient d’en finir une fois pour toute ! l’alcool
glougloutant dans les ornières de merde, d’amertume, l’ivresse qui casse son
verre, un baiser au beurre noire et une femme susurre à bientôt pour ne pas dire
ADIEU, un baiser, une promesse d’éther, un chewing-gum de putain, une
hyménoplastie, et les écueils où l’on s’écorche l’envie, la chair qui coule et la
nuit détrempe son linge, linge tâché de foutre et de sang, tandis que les paillettes
dégoulinent, et la sanie coule le long des murs, éclabousses les obscurités, les
ombres mouvantes jouent avec les pensées des réverbères, le festin des
crocodiles en ombres chinoises et les corbeaux battent des ailes et le ver sous la
peau enfle du pus qu’il couve, la braguette qui se déchire et l’éjaculation de la
fange, un coup rein, un feu rouge, la pluie battante sur un cadavre, un infarctus,
un prématuré, un trait d’argent, une incision dans l’aine, une seringue rouillée,
un croque-monsieur croustillant à quatre heure du matin, un café noir, le
sommeil comme une balle dans la tempe, une envie de ne plus jamais voir le
jour se lever, un billet de cent euros, argent noir, argent maudit, et une porte de
voiture qui claque, des talons aiguilles désorientés, picorant les graviers d’un
chemin tortu, un trait de voiture au loin, une sirène charme les cauchemars et
dans les recoins humides les clochards fument un mégot noir en regardant le
vide hébété, l’horizon qui les a oublié, et puis la pluie tomber, leurs cheveux en
paillassons, et puis une dernière gorgée de fort tandis que la lune pâlit et que les
trottoirs croulent sous le dégueulis des noctambules, les rats ripaillent et un
charognard trouve un cœur de femme dans les poubelles, un noyau d’abricot, la
nuit noire comme l’esprit des hommes, le silence immense qui engloutit la cité,
les marteaux subtils, l’apaisement et un baiser, un soupir, une respiration clair et
la paix entre deux massacres, la lune cherche ses clés de bagnole tandis qu’une
porte s’entrebâille dans l’obscurité, une portugaise balaie un hall d’entrée, la
porte claque, un nouveau coup de poignard, un nouvel avortement, les bottes en
caoutchouc crissent sur le matin frais, le matin qui a l’air d’un coquard, les
bottes descendent les escaliers propres du métro et marchent sur les flancs de
l’engrenage, et l’engrenage grince, se remet en branle laborieusement, les
carcasses de viandes pourrissent sur leurs crochets cartilagineux…
Feuille d’arbre errant de printemps en printemps, je vais parcourir le monde
par ses frondaisons Ŕ vivre en se laissant exister, flanqué d’un simple sourire en
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attendant la prochaine bise, le prochain rouge-à-lèvres, en ne demandant rien
d’autre qu’une lumière de fin de journée, un dégradé de roses et violets découpé
par quelques silhouettes de femmes impossibles, voilà ma manière
d’appréhender la liberté ! Comment se lasser d’un monde qui a tout à offrir à
celui qui se tient prêt ? Je veux tout voir, tout connaître des choses du monde
innombrable, je veux tout comprendre des rouages qui font s’ébranler cette
course insensée ; je veux rougeoyer sur toutes lèvres, butiner à toutes les fleurs,
tous les pollens ; je veux voir à quoi ressemble l’humanité quand elle se décrasse
la chatte par-dessus le bidet. On s’hérisse de cils pour s’attirer les faveurs des
magnétismes insoupçonnés ! On serre chaudement la main aux mille équations !
en se disant qu’il y a bien quelque savoureuse inconnue à déshabiller, derrière
cette putain d’obscurité. Peu importe l’indifférence du chenil, des civilisés, il
faut laisser hyènes entres-elles, les laisser se disputer leurs ossements surannés,
ceux qui ont goûté cette vive chair, qui l’ont éprouvée, ceux-là ne se
contenteront plus jamais des abats qu’on veut bien leur daigner. Tout prendre,
tout s’emparer ! Le monde au visage poupin ! Le monde si rose, si charnu ! Tout
souffler d’un revers de main. Aujourd’hui encore pincer la peau, entrelacer les
sourires à la même phrase, faire sa modique place de clarté à celui qui n’existait
pas cinq minutes auparavant, qui n’existera plus jamais à nouveau, dans le flot
des heures affamées, et être le témoin, le témoin du bourdonnement, de la ruche
foisonnante, témoin du temps immense, et le marquer à la pierre blanche de sa
chair minuscule, parce que la vie n’est pas morte et le miel n’est pas suri, il est
trop facile d’accuser l’époque, d’accuser les salauds, aujourd’hui n’est pas si
différent de l’hier d’il y a cent ans et aujourd’hui comme demain tout est
possible, tout est offert à celui qui n’a peur de rien, alors à quoi bon pleurer un
défunt que l’on a pas connu ? à quoi bon pleurer la pourriture, la vermine des
temps perdus ? Tout est là rien n’a disparu, rien n’est jamais venu rien n’est
jamais parti, tout est en soi Michel Ange l’a dit, il l’a dit, il s’est fait violence le
saint Homme, il a pris un marteau, un burin, pour délivrer sa Pietà du béton Ŕ du
béton raye la verdure, les fleurs, la nature envolée, et alors il ne fait plus jamais
gris dans le pays de celui dont l’œil a apprivoisé la couleur, l’immensité, et les
barrières ne paraissent plus qu’une simple haie ! Alors on galope ! on galope
dans l’immensité verdoyante, enivré de l’espace, des multiples routes sans
destination, des lointains paysages où verser musique et chaos, on contemple
l’horizon, animal sauvage, chien enragé, et qu’importe les mirages brûlants, les
coutures aux talons Ŕ hors des mors l’horizon est immense, il ressemble à une
pucelle exposant ses quelques milliards d’hymens. En interaction constante avec
158
la moindre trace d’humanité ! Quitte à saupoudrer le gaz, les étincelles ! Un jour
j’écrirais un traité rien que sur la question, je l’appellerai
L’IMPROVISATION DE L’EXISTENCE
ou un esthétisme de l’absurdité
et j’exposerai ma théorie point par point. Les gens liraient ça dans le métro,
jetteraient un coup d’œil au-delà de l’incendie de ce logos, verraient leur voisin
à la même page, au même nœud, et alors se feraient un petit clin d’œil complice,
ou un sourire effarouché derrière la quatrième de couverture, un signe, un
quelconque signe, ON EST DANS LE MÊME CAMP, MON GARS, PUISQUE
DE CAMP, Y’EN A PAS, avant de reprendre la brillante lecture le cœur
cognant jusqu’aux oreilles ! Ils sont tous là et finalement ils attendent tous la
même chose, tout le monde sur sa rive timide qui n’ose faire un pas, l’œil
traînassant un peu partout, sauvage, insaisissable, tous un peu hésitants,
attendant seulement qu’on vienne leur secouer la pogne ! Mais oui, mon gars,
mais oui ! Toi aussi t’es vivant ! Mon pote, je vais te dire quelque-chose : c’est
même bien la seule chose que tu doives être ! Allez mon gars ! allez ! Comment
qu’tu t’appelles, déjà ? Enchanté ! Enchanté ! Allez viens mon gars, on va aller
détruire les murs qu’ont posés ces fils de putes de maçons ! On va leur montrer
qu’on a pas peur d’être des hommes, des hommes qui savent encore rire et puis
s’émouvoir autre part que dans une salle de cinéma, des hommes sautillant
comme des pucelles dans un immense pré, des hommes qui n’ont pas peur d’être
des pucelles parce qu’une pucelle attend tout d’une nouvelle journée ! On se
lèvera le matin en affranchissant le soleil :
« AVE BEAU MATIN BLEUTÉ, CEUX QUI VONT MOURIR
AUJOURD’HUI TE SALUENT À JAMAIS ! »
Celui qui comprendra qu’il n’y a rien d’autre à perdre sinon sa vie, celui qui se
lèvera le matin avec l’impression renouvelée d’avoir gagné à la roulette russe,
qui regardera le verre vide du ciel en sachant qu’il faut se salir les pieds pour
boire son vin quotidien, tandis que des gens sur leur canapé meurent de faim,
tandis qu’ils regardent le temps s’en aller, celui qui s’aspergera d’essence et
voudra bien déchirer sa cage d’os brisée, ses vêtements, qui rugira à la face du
Diable en lui disant d’aller se faire enculer, qui prendra entre ses mains sa bite,
ses tripes, sa paire de seins, en n’ayant pas peur d’aller les broyer contre le
159
visage des portes fermées, celui qui descendra dans la rue avec l’appétit
insatiable de découvrir un nouveau met, celui-là saura que le monde des
hommes est cruel mais que c’est le sien après tout, et qu’il lui faut être bon, être
meilleur pour réussir enfin à l’aimer, et que c’est bien cela l’unique chose qui
compte puisque c’est le seul qu’il verra jamais.
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Un gars préparait un numéro, au début de l’avenue, juste en face de l’Arc. Il
pose sa baffle et allume sa musique. APPROCHEZ, APPROCHEZ ! N’AYEZ
PAS PEUR, JE SUIS VÉGÉTARIEN, JE NE MANGE PAS LES HOMMES !
À force d’élucubrations et de crawls dans le ciel, les projecteurs s’amoncellent
autour de sa minuscule personne. Tout maigrichon, ferme et bombé comme un
nœud ; il est pas bien gros, à peine plus qu’un poing, que la pomme d’Adam. Il a
une mâchoire de dogue, quelque-chose de tendre et d’anguleux, la mandibule
tannée, c’est goût de l’os et de la carne. Les gens s’arrêtent, ils s’arrêtent comme
ils le feraient pour une distribution de biscuits apéritifs, ou une publicité en
langue étrangère. Ça bouge, voilà tout. On fait appel à leur substance, eux qui ne
sont faits que d’automatismes ; ils ont des têtes de veaux distraits par les
mouches. Face à cent personnes qui attendent de le voir mourir ou s’envoler,
n’importe quoi qui puisse forcer la serrure d’un cercueil, il va leur montrer sa
manière d’exister. Il va leur montrer le bruit des couilles qu’on fait parler Ŕ le
bruit de la sueur, de la faim, de cette oreille sourde qui résonne quand le tibia
percute les portes blindées. Mais d’abord ! un peu d’échauffement ! Une ! deux !
Une ! deux ! Hop ! Hop ! Il faut bien maintenir un peu tiède l’haleine du
chaland. Il a des esprits lourds, plombés, qu’il va lui falloir emmener dans sa
petite chromosphère piquetée Ŕ faut qu’il mange, qu’il étincelle ; il jette au
centre son clin d’œil insolent comme une volée de bijoux. Il rafle tout le monde
dans sa cape, il les lance en l’air et bon Dieu ! on verra bien ce dont ils sont
capables une fois là-haut. Torse-poil et sourire tout plein de suie, le voilà qui
papillonne d’acrobatie en acrobatie en prouvant que la pesanteur n’est qu’une
idée abstraite dont on peut se débarrasser. Il sourit, il sourit comme une crampe,
comme un ongle cassé, son spectacle raconte l’histoire d’un homme qui danse
parce qu’il ne veut ni courir ni s’arrêter, il danse parce que c’est ce qu’il sait
161
faire de mieux, il danse comme les assassins assassinent et les seigneurs la
guerre. Entre deux pirouettes, il plaisante avec la foule, il la tisonne gaiement Ŕ
et allons donc ! on tape dans la caillasse pour qu’elle se fende d’un pauvre
sourire sec, de quelque caquètement escaladant la basse-cour. Qu’est-ce qu’elle
comprend la foule ? Elle voit rien du drame la foule depuis l’œil blanc de ses
téléphones. La foule, c’est jamais qu’un tas de figurant dans un film tournant à
vide. Ils tueraient pour être personne, tout plutôt qu’eux-mêmes. Mirettes
écarquillées, ils filment ! ils n’en perdent pas une miette !... qui sait ? Peut-être
qu’il y aura une bagarre, un mort, une explosion, quelque-chose qui intéressera
le journal télé. Ils rangeront ça dans les poches, l’emmagasineront dans une
mémoire de pièces détachées avec les autres souvenirs d’endroits où ils n’ont
pas vraiment été. Quelques-uns pas tout à fait blasés applaudissent, d’autres
bâillent, regardent l’heure tourner sur elle-même, et qu’est-ce qu’on mange ce
soir, chérie ? une entrecôte ? une pizza aux champignons ? ils croisent les bras et
attendent, ils en veulent toujours plus, toujours plus de fantastique, de bruyantes
émotions, ils veulent des héros et des grosses bagnoles, ils veulent oublier tout
ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire une brassée de fauteuil pourrissant dans les
popcorns, une triste salle de cinéma. Peu importe il veut rien entendre notre
champion, il ne s’arrête pas, il se disperse comme un poudroiement, ma parole
c’est une étincelle ! Des pirouettes ! des pirouettes ! des pirouettes ! il étire à
l’infini les matières élastiques du corps, il branche ses mouvements au courant
électrique de sa vitalité, il en a trop plein ! il en déborde ! il en éclate par émaux
salés ! il s’échine, il papillote un peu, vrai, il se donne à fond comme s’il n’y
avait plus rien après, comme si c’était la dernière fois qu’il vivait, et comme tout
bon artiste il attend la fin pour sabrer le champagne BAM !... sa poitrine explose
dans la musique de fin, la tête en l’air et son cœur essoufflé dans les paumes le
show est terminé... BRAVO ! BRAVO ! MERCI MESDAMES ET MESSIERS,
J’ESPÈRE QUE CE SPECTACLE VOUS A PLU, S’IL VOUS PLAIT NE
PARTEZ PAS C’EST DE ÇA QUE JE VIS, CECI EST MON MÉTIER, CECI
EST MA VIE, ALORS S’IL VOUS PLAIT NE VOUS ENFUYEZ PAS, UN
PETIT BILLET OU UNE POIGNÉE DE MAIN SI VOUS N’AVEZ PAS
D’ARGENT, OU RIEN QU’UN MERCI POUR ME SIGNIFIER LA
QUELCONQUE VALEUR DE MA PRESTATION, MERCI BEAUCOUP, NE
PARTEZ PAS ! VOUS N’AVEZ PAS AIMÉ MA PRESTATION ? C’EST DE
L’ART POURTANT, DE L’ART DE RUE, JE SUIS PAS ACCROCHÉ À UN
MUR DE MUSÉE, MAIS JE SUIS DE L’ART AUSSI… OK, OK, TRÈS
BIEN, VOUS SAVEZ QUOI ??? ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! ALLEZ
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TOUS VOUS FAIRE ENCULER, VOUS M’ENTENDEZ ?!!! ALLEZ
DÉPENSER VOTRE THUNE À NIKE, ARMANI, MCDO, ALLEZ-Y VOUS
EMPOISONNER VOUS ÊTES DE TOUTE MANIÈRE DÉJÀ MORTS ET
ENTÉRRÉS !!! Seul face au monde, il a envie de lui coller la tannée qu’il
mériterait. Il attend tout, rien, n’importe quelle minuscule dérisoire réaction
d’être humain. On lui tourne seulement le dos, on le fuit discrètement. Lui lève
jusqu’au ciel son chapeau, renverse les quelques pièces rouges qu’on a bien
voulu lui laisser Ŕ VOILÀ CE QUE J’EN FAIS, DE VOTRE PUTAIN DE
GÉNÉROSITÉ !
Les gens s’éloignent et le show est terminé et il est seul avec son corps, son
cœur est en colère, les gens sont partis, et lui se gratte le crâne, comme après
quelque-chose qui nous emmerde pas mal. Finalement il ramasse dans son
chapeau les quelques pièces éparses gisant comme de la gerbe sur les ChampsÉlysées. Comme ça, je l’ai regardé un petit moment compter et recompter à
l’infini son mince flouse et puis me suis dit, merde, allons lui tailler une petite
bavette ! Cet homme avait du panache ! voilà ce que je me suis dit. Un homme
qui botte le cul de son public un peu trop oursin à son goût, voilà quelqu’un
mérite d’être salué tel un empereur romain ! C’était marrant, en un sens, ce gars
minuscule et torse-poil qui insulte le monde de haut en bas, qui lui dit tout haut
ses quatre vérités. Je lui ai offert du feu Ŕ j’ai toujours du feu, si jamais une
gazelle en a besoin, voulez-vous que je vous allume, mademoiselle ? Ŕ et il s’est
avéré qu’il était pas si désagréable que ça, il était à cran c’est tout, il s’en voulait
même de s’être emporté. Il s’en mordait les doigts, parce qu’au fond c’était la
règle du jeu, il savait ça. C’est juste que des fois, c’est pas supportable tout ça Ŕ
tous ces agoniques tas de viande.
« Ici mon pote y’a de l’argent, et c’est tout. Ils ont juste du blé. Ici c’est du
bling-bling qu’il leur faut. C’est des flaques de pisse, ils comprennent rien du
tout à la subtilité. Six euros mon pote ! Six putains d’euros ! Qu’est-ce tu veux
que je fasse avec six putains d’euros, franchement ? Un sandwich ! Un sandwich
à Auchan ! Merde, qu’est-ce qu’il leur faut ? Un black qui danse sur un
braquemart d’éléphant ? Un désespéré qui se colle des bouts de verre dans le
fion ? J’vais te dire, j’ai pas la fibre violente, mais putain, à voir comment qu’ils
réagissent face à l’art, je comprends certains qui utilisent la méthode forte. Tu
sais quoi ? Au fond, les voleurs de voiture ou de sac-à-mains, ça doit seulement
être des artistes, des artistes qu’en ont eu marre.
ŕ Dis pas ça, mec ; les sales soirées, ça arrive. C’est tout. Faut jamais tirer
de conclusions des soirs de défaite.
163
ŕ Et qu’est-ce qu’ils font, eux, ces chacals ? Ils me matent faire le singe
pour la pièce, et puis ils se tirent, comme des salopes, COMME DES
SALOPES, ils vont dépenser leur bifton à McDo… qu’il me fait comme ça en
balançant sa clope et puis en se redressant un dernier coup… ALLEZ DONC
VOUS EMPOISONNEZ À MCDO, OUAIS C’EST MIEUX UN MCDO,
C’EST MIEUX QU’UN SPECTACLE ! SALOPES ! »
« C’est pas gentil de nous insulter monsieur parce qu’on l’a bien aimé vot’
spectacle et si on est parti c’est pas pour aller à McDo, c’est que la maîtresse elle
nous attend parce qu’on a le car à prendre et qu’on doit rentrer dans nos maisons
demain. Alors c’est même pas vrai qu’on va à McDo, et c’est même pas vrai
qu’on a pas aimé vot’ spectacle. Alors c’est pas gentil de nous insulter. »
C’est un des mômes qui étaient restés qui lui a sorti ça, tel quel, sans blague.
Le môme il l’a regardé dans les yeux, bien dans le fond des yeux, sans bouger,
sans ciller, lui aussi il avait l’air en colère à la vérité, ouais, il en avait gros sur la
patate le môme, il avait l’air de l’attendre en fait, parole qu’il était prêt à en
découdre s’il le fallait !
« Ça va, ça va, mon pote. T’énerves pas, c’est pas après toi que j’en ai.
ŕ Ouais bah quand même, il a dit. C’est pas une raison, qu’il a fait en
desserrant finalement les poings. »
Le petit gars s’est tiré avec son cartable et on est resté comme ça un petit
moment, lui qui assassinait ses cigarettes et moi qui regardait mes pompes, sans
savoir trop quoi dire.
« Franchement, il était bien ton spectacle. Moi j’ai bien aimé. Le moment, là,
le moment où tu retires ton cœur de ta poitrine sur la musique au piano qui se
termine, franchement c’était vachement classe quoi.
ŕ Ouais, ça t’a plu ?
ŕ Ouais, c’était chouette. Chouette et propre. Je veux dire, ça se sent que ça
fait un bout de temps que t’es du métier.
ŕ Ah ouais ?
ŕ Ouais. T’as du style et rassure-toi si les gens par ici n’y sont pas…
réceptifs.
ŕ J’en ai ma claque de ce putain d’endroit… Six euros, tu le crois, ça ?
Depuis le temps que je danse, c’est la première fois que ça m’arrive.
ŕ Ça fait combien de temps que tu fais ça ?
ŕ Neuf… dix… douze… Quatorze ans mon frère, quatorze ans, il m’a fait
comme ça avec un sourire de vieil enfant qui compte sur ses doigts. La vérité
mon frère, ça commence à faire longtemps. Ça fait trop longtemps. La vérité
164
j’en ai un peu marre, des fois, qu’il m’a fait comme ça, et ses yeux étaient
immenses, avec des plis à leurs coins, yeux luisants, fiévreux, magnifiques, plus
vivants, plus fatigués que mille humains, et je l’ai regardé dans les yeux tandis
qu’il fumait sa clope en regardant les gens défiler, et j’ai vu dans ses yeux
comment tout fini, d’un côté ou de l’autre les impasses se ressemblent, j’ai vu
ses yeux, son destin baignant dans une bassine de gasoil, celui des hommes de la
rue, chez eux partout et nulle part à jamais, ni foyer ni personne, juste soi-même
et la terre sans repos, et les années, les années bleues, années cruelles, années
d’un instant, la vie la mort et sa douleur entre les deux, brûlant toujours plus de
pas loin des toits, des constructions, voués uniquement au soleil, à la perdition,
homme grignoté, effilé, assassiné par sa propre passion, vaincu par l’avenir car
il n’y a plus rien à force de le fuir il s’en est allé, le pain de la rue se rassis avec
l’âge c’est ainsi, au fond on sait où se disperse la poudre à canon, dans quel ciel
s’écrase tout coup de révolver, je me suis vu dans son visage, les mêmes tessons
d’une peau sauvage, cette brûlure solitaire qui en veut à tout le monde, qui veut
le monde, l’univers en entier, cette morsure anonyme crucifiée à une plaque
d’acier ; j’ai vu ce qui attend tout homme qui a décidé de se vivre et de vivre
pour lui-même, et ça suffit sûrement pas, sa seule carcasse de spartiate, sa seule
détermination adamantine, rien ne suffit jamais de toute manière, l’homme c’est
un nœud d’intestins creux, et rien ne suffit jamais, il lui faut une femme aussi,
un Dieu, un fauteuil ou un trou, n’importe quoi, n’importe quoi d’autre, pourvu
qu’il étouffe sa claudication dans le monde jusqu’au dernier TAC de sa bombe.
Ce que je vous raconte, c’était sur les Champs- Élysées. Coin puant, coin
obscène, à bien y regarder y’a rien de sérieux là-bas, on y trouve juste l’agonie
d’un monde dans sa vitrine de trophées.
165
Bon, bon, je me suis tout de même assis sur un des bancs qui faisaient face à
l’Arc Ŕ j’ai choisi celui où y’avait quelqu’un qui y était déjà. Un gars un peu
ratatiné dans son manteau, avec un chapeau et des sourcils immenses, si
immenses les sourcils qu’on aurait dit que son chapeau était posé dessus, en fait.
Des sourcils de vampire, ma parole ! J’aimais bien sa gueule, à celui-là. M’avait
l’air seul, seul comme moi, comme tous les hommes. Bon Dieu ! j’avais une de
ces envie de bavasser d’un coup, j’aurais bavassé à n’en plus finir si ça ne tenait
qu’à moi ! J’avais des choses à déclarer. Ouais. Causer et battre la lune, la voir
qui roule sur l’autre hémisphère tout épuisée, et vous qui êtes toujours là,
comme un fond de bière tiède, à débattre de femmes ou du sort de l’Humanité.
« Aaaah, j’ai fait en posant mon cul. Ça fait du bien…
ŕ … Drôle de Dimanche, pas vrai ?
ŕ Mouais.
ŕ Le mien en tout cas était vachement bizarre… Ouais. Il était… bizarre.
Y’avait du monde au balcon ! Une putain d’émeute, si tu vois ce que je veux
dire. Ma parole, y’a certaines journées qui ressemblent à la poitrine d’une
femme enceinte.
ŕ Ouais ?
ŕ Ouais mon pote. Toutes ces garces qui me courent au cul…
ŕ … Je te jure. Elles me laissent pas une minute de répit. Putain ! j’ai plus
rien dans les tripes. Niet ! Nada ! Elles m’ont raclé les couilles comme un
chaudron.
ŕ Ouais ?
ŕ Ouais mon pote. J’suis écrivain, tu comprends. J’écris de la poésie, mais
ça se voit pas Ŕ c’est seulement celle-là qui vaille le coup, d’ailleurs. C’est un
peu pompeux aussi, parfois, ça je le reconnais… Mais c’est le genre de trucs qui
166
plait aux femmes… Les pauvres, elles comprennent rien à l’art. D’un côté, je les
plains un peu…
ŕ … Bon Dieu ! Quand même, quelle bande de mouches à merde ! Ah-ah !
Des mouches à merde, parfaitement. Elle est pas mal, celle-là. Je la note pour
mon discours à l’Académie...
ŕ … T’aurais pas une clope toi ? Putain une bonne cigarette pour clore tous
ces débats à la con, voilà c’qu’il me faut…
ŕ … Merci, c’est sympa…
ŕ … Exactement ce qu’il me fallait. Merci encore, mec…
ŕ … Aaaah, quel air ! Quelle fraîcheur ! On a l’impression d’être en
Bretagne ! Mais c’est vrai en plus ! C’est exactement ça. La Bretagne...
ŕ … T’es déjà allé en Bretagne, toi ?
ŕ Non.
ŕ Tu rates rien. Si y’avait pas toute cette bière, on s’y ferait rudement
chier…
ŕ … Moi j’y suis déjà allé en Bretagne. Bon Dieu, la plupart du temps, t’as
l’impression de patauger dans de la carcasse de langouste…
ŕ … De la carcasse de langouste, parfaitement !… Mais y’a des fois où c’est
chouette aussi…
ŕ … La nuit, par exemple… t’as des étoiles de partout la nuit, énormes,
immenses, jusque sur les cils, sur la peau, dans les chaussettes, partout je te dis
qu’elles sont, comme le sable, c’est pas imaginable comme c’est lumineux, t’as
l’impression d’être un marin, une espèce de vieux sage qui interroge sa
contemplation…
ŕ … Aaah, une cigarette et la nuit pour te rafraîchir, les idées, voilà quelquechose de plaisant. Pas de patron pour t’emmerder, pas de femmes pour couper
ton inspiration. Voilà qui est bon. Pas vrai ?...
ŕ … Au fond, on a pas vraiment besoin de s’emmerder avec toutes ces
conneries…
ŕ … Je veux dire, quoi, c’est intéressant, bien sûr ; mais pas trop.
ŕ Tu sais vieux, qu’il me fait comme ça d’un coup, en surgissant de son
silence. Les femmes c’est comme le reste… C’est comme le reste. Faut être
capable d’encaisser et de savoir perdre d’temps en temps. L’seul truc, c’est qu’il
n’faut pas trop y prendre goût… pas trop y prendre goût, ouais… Faire des
erreurs, pourquoi pas… mais j’imagine que c’est quand même mieux de les
éviter. Putain, je veux dire, on perd tellement de temps avec la douleur,
tellement de temps… Bon… Ravi d’avoir fait ta connaissance. J’vais rentrer
167
chez moi. Faut que j’dorme, j’crois. Bonne chance pour tes bouquins, il m’a fait
en se tirant. »
J’ai même pas répondu, tellement j’étais estomaqué… Bon Dieu ! L’affreux
salopard ! L’horrible, le méchant mildiou ! Un peu plus qu’il m’aurait collé le
cafard ! Salopard ! broyer du noir c’est rien que gâcher la lumière ! J’ai plutôt
regardé la Tour Eiffel, là-bas au fond, se masturber l’éclat. Voilà quelque-chose
de grandiose, mon vieux ! C’était un peu trop, mais faut avouer que ç’avait
quand même de la gueule. Fier d’être français, nom d’un chien ! Fier comme
Cambronne sur un champ de bataille anglo-saxon ! Le crâne dans deux
splendides couilles de gaulois, voilà ! L’épididyme fait un excellent fil dentaire
et le crâne mou des spermatozoïdes renferme la moitié de l’impossible secret. Et
ouais, cent pour cent français, mon gars, une bite énorme et des tripes en acier
trempé. Je suis le plus grand queutard d’hallucinations et de fantasmes depuis
qu’est tombé le Roi Soleil ; quand j’ouvre ma braguette, il roucoule, rayonne
dans ma bilirubine, entrelace son lys munificent à l’ammoniac de ma collerette.
Merde ! hurle Cambronne depuis mon rectum tricolore. En joue, tirez ! Tirez,
tirez, nom de Dieu ! Pour l’Empereur, pour la France, jusqu’à la mort s’il le
faut ! Ne flanchez pas, pas maintenant ! Que nos fils soient fiers de leurs aînés !
Qu’ils accrochent nos génitoires en médaille à leurs poitrines, voilà, parce que
la dernière balle sera notre cœur, vous m’entendez ?! Mourrons les tripes
criblées de France ! Bang ! Bang ! Bang ! Qu’est-ce que c’est ? Foutez-moi la
paix ! Mon Général, mon Général ! Qu’est-ce que vous me voulez,
Dumornoeud, sacré fils de pute ?! Ce sont ces salopes de Prussiennes, mon
Général. Ces salopes de Prussiennes nous la mettent à l’envers ! J’en étais sûr !
quelle bande d’affreux blutwursts !!! Mon Général, mon Général ! Nous allons
mourir ! Mourir ?! En voilà une drôle d’idée ! C’est facile, ça, que de mourir !
Nous allons y rester, voilà, fichés ici à jamais comme des triques immortelles !
La Garde Impériale mourra, oui, mais elle le fera tête face au ciel ! Passez-moi
l’pinard !... Mais qu’est-ce que… qu’est-ce que cette étrange chose ? Une
poubelle qui brûle ! Une poubelle aux roulettes folles ! Qu’est-ce que vous
voyez, Dumornoeud ??? Mais parlez, bon Dieu ! Je vois… je vois une
excroissance concave, une espèce de peau de banane, un poulpe peut-être ? Un
poulpe suçotant des cailloux enduits de lubrifiant. Bon sang, mais c’est affreux !
On dirait un prépuscule ! C’est une drôle de chose, mon Général, je vous
l’accorde volontiers. Mais c’est qu’elle vient vers nous en plus, cette
épouvante ! Tirez, tirez, abattez-moi cette ordure ! Nous n’avons plus de
munitions, mon Général ! Ah, merde hein ! Qu’est-ce qu’on fait ? Tonio !
168
Tonio ! qu’est-ce qu’on fait ? (Éclaircissement de gorge, subtil grattage de
testicules, rot magistral, poivrons jaunes dans l’oreille, ma malléole médiale
ressemble aux Invalides sous un ciel de flammes) Je m’en occupe, les gars. Je
gère, j’ai l’habitude : il vous faut savoir que j’attire la gueusaille. Ouais ouais,
les clodos c’est mes potes, c’est mes amoureux, ils viennent pratiquement à
chaque fois que j’ai pas envie de leur causer. Mais je leur pardonne ! il n’y a
qu’eux qui viennent de toute manière. Celui-là, je l’avais repéré immédiatement
avec sa démarche innocente et son petit air de malin Ŕ ce qu’il voulait lui, c’était
de la galette. À Paris, y’a une personne sur deux qui cherche de la galette et
l’autre à la dépenser. Le truc, c’est que les communications entre les deux sont
tout à fait limitées. Le seul fil qui les rattache, c’est un poil de cul. C’est comme
ça. Lui c’était un roumain et je savais exactement quel tour il allait me jouer, ce
petit malin. C’est le tour du gars qui a trouvé une bague en OR, en OR véritable
juste sous vos pieds, mais qui la garde pas pour lui non, qui vous la rend plutôt
parce qu’il est probe et tout. Sauf que la bague c’est du TOC et que si vous la
récupérez en vous imaginant que c’est de l’OR, vous l’avez dans l’OS. Parce
qu’entre temps, il vous aura bien réclamé un poil de flouse en échange du bijou.
Finalement la bague elle vaut rien du tout et vous, vous lui donnez un tout petit
mieux que rien. C’est pas de la grosse arnaque et chacun repart tout heureux
d’imaginer avoir enculé l’autre. Y’a rien de méchant à tout cela, y’a comme qui
dirait pas mort d’homme – n’empêche que ça ressemble quand même vachement
à notre manière de vivre nous autres, depuis quelques milliers d’années.
Il est venu comme ça, un peu misérable, avec sa bagouse bidon qu’il m’a
tendue. J’arrivais même pas à lui en vouloir. Il me faisait un peu pitié, à dire
vrai. Je lui ai souri et tout, l’air de dire que j’étais un vieux de la vieille, et qu’on
la faisait pas à un vieux de la vieille comme moi, moi qui le voyait recommencer
son coup tous les jours ici. Du coup il a fait exactement le truc que j’aimais pas
DU TOUT quand je fricotais avec un pouilleux. Il m’a tendu sa pogne et bien
sûr celle-ci était agrémentée d’une superbe caroncule non-identifiée. Quelle
rebutante curiosité ! Tous les galeux, les plus crasseuses têtes de râpe, ils veulent
toujours qu’on se frotte à eux. C’est pas qu’ils pensent à mal, je sais bien, mais
quand même, y’a des fois où on a pas envie de ça. Je veux dire, c’est pas
vachement agréable qu’un mec qu’a plus de dents vous postillonne à la gueule,
ou qu’il s’épluche les croûtes devant vous. Ce genre de trucs. Ça peut se
comprendre, ça n’a rien d’inhumain après tout. Je me rappelle ce gars, là, cet
espingouin qui s’appelait Jésus et qui puait un max l’égout et qui était venu me
taper un peu d’oseille, on avait un peu causé aussi, il m’avait causé de sa
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voisine, là, en Espagne, Raquel qu’elle s’appelait, une blonde, une infirmière
vachement crème, et lui Jésus, il était amoureux d’elle, fallait qu’il retourne làbas l’épouser qu’il m’avait dit, lui déclarer sa flamme, son visage il me faisait
penser à un morceau de guitare noyé dans les ordures, il était tout coagulé de
froid et de larmes et au moment de se quitter il m’avait tendu la pogne et moi, et
quand j’y repense je m’en veux encore, hein, je m’en veux à max, mais j’ai pas
pu m’empêcher de faire la mou du gars un peu dégoûté, le gars trop propre sur
lui pour ne pas être regardant avec ce qu’il fricote. C’était pas sympa, je sais ça,
mais ç’a été plus un réflexe qu’une volonté d’être vraiment blessant. J’ai pas pu
faire autrement, c’est comme ça, il puait la merde et puis c’est tout. Lui avait
rangé sa main des flammes et sur son visage y’avait cette lueur qui lui rappelait
d’un coup tout ce qu’il n’était que. Ouah, un moment on est resté comme ça,
impossible de dire qui était le plus déprimé des deux. Finalement, il était
retourné prêcher la petite pièce dans l’hiver interminable de la rue, avec son sac
avec toute sa vie dedans qui faisait le bruit en étain de la casserole qui pendait à
l’arrière. Je l’ai revu plus tard, pas à Pigalle mais près de ma fac cette fois et il
avait pas changé et il n’avait pas l’air d’être sur le chemin de sa blonde, il avait
toujours l’œil rougeoyant et l’air du gars qui va mourir de tristesse d’ici
quelques instants. Une autre fois, je l’ai vu encore, mais avec un pote cette fois,
et avec le sourire aussi, vers la Goutte D’Or. En fait le Jésus, je le croise de
manière cyclique, surtout la nuit. Je suis content de savoir qu’il est encore en
vie.
Avec ce gars-là, le romanichel, malgré sa saloperie à la pogne, je me suis pas
senti la force de lui refuser la mienne. Je savais qu’un sarcopte ou les tiques ou
plein d’autres machins peuvent s’attraper rien qu’en S’APPROCHANT du foyer
de contamination, mais je me suis dit que c’était trop salaud de lui laisser sa
pogne comme ça, suspendue à mon dégoût. J’avais déjà refusé ma main à Jésus
Ŕ une fois de plus et le Ciel me le pardonnerait sans doute jamais. Les dents
crispées je la lui ai serrée et ça m’a fait l’impression de saluer la lèpre en
personne.
170
Tout de même, si je devais dire oui ou non avec eux, je dirais plutôt oui. C’est
pas qu’ils me fassent envie ni rien, c’est juste que parmi eux y’en a qu’on l’air
de princes, vraiment ; faut les voir fumer une clope en regardant le monde
s’affairer pour comprendre ce que je dis. Sur leurs visages calmes défilent de
lents nuages qui chuchotent leur modique vérité : faut pas s’en faire, c’est tout.
Moi ça me tue. C’est ces mecs-là, les pouilleux que plus personne ne salue, les
ratés, les crapauds, les grosses barbes sales, c’est ces mecs-là qu’ont raison
contre le monde entier, et je me dis : cette fois Tonio, tu sais ce que t’as à faire,
et comment que tu dois le faire, alors un peu de panache, désormais ! Et puis
j’oublie. Je me ramollie. Des trucs bidons mettent le désordre dans tout ça, alors
toutes mes bonnes résolutions elles s’évaporent bulle de savon. Ainsi je marche
et telle une illumination l’envie soudaine me passe de tailler une petite bavette
avec ce gars, là, avec son petit chiot qu’il dorlote, ou celui-ci, qui joue de
l’harmonica comme un fou qui voudrait effrayer les cauchemars Ŕ je fouille dans
ma poche pour chercher une pièce, histoire de m’attirer les bonnes Grâces, mais
comme j’ai souvent rien en poche je m’approche en leur faisant un simple
sourire, et y’a puis des fois où ils me sourient aussi, et alors on commence à
causer de tout et de rien, de la pluie, du beau temps, de la blanquette de veau en
promotion de chez Casino, et puis d’autres fois mon sourire ils en veulent pas, et
ils me disent d’aller faire un sourire chez les Qataris pour voir. Mais dès que j’ai
le moyen de les gâter, alors mon vieux ! Prenons la fois où je travaillais à cet
hôtel, là, celui qui avait malencontreusement brûlé, et bah le matin c’est moi qui
faisait les petits déjeuners et qu’est-ce que je faisais moi ? Je me postais juste
devant, sur le trottoir, tréteaux improvisés, avec dessus des montagnes entières
de viennoiseries chaudes que j’avais faites cuire, et je disais à l’hôtel qu’il avait
qu’à jeûner s’il était pas content, qu’est-ce que j’en avais à foutre des connards
de l’hôtel ? cependant que j’ameutais tout le quartier, j’hurlais c’était délicieux,
j’avais la fièvre du camelot, la voix bourrue et réconfortante, la grande claque
171
dans le dos ! je me prenais pour une espèce de catastrophe providentielle, un
ange ultraviolent réincarné dans une plaquette de beurre assez vaste pour toute
l’humanité. Ils venaient tous grouiller autour de la croûte mes mignons
morbaques, comme des têtards ma parole, tous les têtards de Paris étaient au
rendez-vous du samedi matin, cinq heure trente tapantes Rue du Départ, à
roucouler gaiement une clope au bec, autour du damné distribuant l’hostie, ce
démon grandiose galvanisant ses ouailles au nez et à la barbe des Puissants.
ALLEZ LES GARS ! ALLEZ ! VENEZ DONC PAR ICI, Y’A DE LA
VIENNOISERIE TOUTE CHAUDE ET VOUS SAVEZ QUOI LES GARS ?
C’EST LE GRAND CAPITAL QUI RÉGALE ! GAVEZ-VOUS, MES
PETITES OIES ! WALL STREET EN PERSONNE A BÉNI LA FARINE !
ALORS VENEZ DONC ! VENEZ DONC UN PEU PAR ICI SUCER LA
QUEUE À L’ONCLE SAM ! VENEZ VOIR COMMENT QU’IL L’A BIEN
BEURRÉE !... COMMENT ÇA ?... UN DEUXIÈME CROISSANT ?... MAIS
PRENEZ-EN TROIS, QUATRE, QUARANTE, MON VIEUX ! Y’A PAS DE
LIMITES ! PREMIER ARRIVÉ, PREMIER SERVI ! JE VEUX ENTENDRE
VOS ESTOMACS EXPLOSER DANS LE BEURRE ET LE CHOCOLAT,
VOUS M’ENTENDEZ ? JE VEUX ENTENDRE DU PET, DU ROT BIEN
REPLET ! ALLEZ ! ALLEZ LES GARS, SOYEZ PAS TIMIDES NOM
D’UNE CHAÎNE ! JE VEUX PAS VOIR UNE MIETTE DE GÂCHIS, VOUS
M’ENTENDEZ ? Ils bouffaient tant ces crevards ! qu’ils rendaient tout
incontinent sur le trottoir ! Moi je regardais mes clodos affamés, respirant
l’odeur grasse des croissants, et puis leur vomi, leurs jurons, leurs inconsolables
discordes pour un raisin sec, et j’imaginais avec délices la tête chauve du patron,
son petit crâne rose qui se serait fait poussé une tragédie de cheveux blancs pardessus la calvitie, s’il avait vu ça. Un véritable drame, ma parole ! Tant et si bien
que j’ai commencé à être connu dans le quartier, vrai, je me suis fait pas mal de
relations parmi la gueusaille. Des mecs que je connaissais même pas me
saluaient de loin, des petits clins d’yeux ci-et-là, des hochements de tête discrets,
des gorgées de rousse qu’on me proposait en douce Ŕ une fois j’ai même
entendu mon Nom prononcé comme une Prière, derrière une grosse poubelle
pour les cartons, Boulevard Raspail. Sans blague, sous les ponts de Paris on me
chuchote au coin du feu des mots légendaires. Il y a bien longtemps, en des
temps plus bleus, j’ai connu ce gars, là, du côté de Montparnasse, il était beau
comme un lion et s’appelait TONIO LE TIGRE… Et puis ç’a dû s’arrêter parce
qu’une boulangerie à côté a prévenu le patron de mon petit numéro de
philanthropie et que le patron m’a gentiment intimé de préférer la générosité
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avec mon propre porte-monnaie. Après ça, j’ai préféré travailler plus
discrètement, en sous-marin, en contrebandier si vous préférez, je distribuais le
pain au chocolat sous le manteau, en loucedé comme on dit dans le milieu. Hé !
hé !… un petit croissant gratis, ça te tenterait mon vieux ? Dis à tes petits
copains que y’a du beurre, par ici… Mais sois discret, vieux, des gars cherchent
à avoir ma peau, dans le quartier.
Dans ma rue, la Rue des Acacias, la plus belle rue qui soit puisqu’elle est celle
où fleurissent mes plus beaux vers, mes plus nobles ténias ! je me suis demandé
d’un coup si le mendiant qui traînait tout le temps devant la boulangerie était là,
parce que j’avais bien envie de le voir d’un coup, lui et son petit sourire matou,
ses petites paumes molletonnées. Doux comme un bâtonnet de miel ! Avec lui
y’avait pas d’histoires il était propre sur lui et sans doute même qu’il se lavait
plus que moi. C’est juste qu’il mendie dans la rue, mais il est propre ce mec-là,
y’a rien à dire. On s’était disputés y’a de ça un petit moment, mais aujourd’hui
je ne ressentais plus aucune rancune à son égard. Vrai de vrai. C’était comme
qui dirait l’heure des Réconciliations. À bien y réfléchir, la paix c’est ce qu’il y
a de mieux à faire. Au fond sans l’égo, toutes ces conneries-là, y’aurait plus
vraiment besoin de se faire la guerre. C’est qu’on prend les choses pas
importantes trop à cœur, c’est pour ça. Moi je me sentais d’humeur à comme qui
dirait enterrer la hache de guerre ! C’était qu’une fâcheuse histoire, après tout,
une fâcheuse incompréhension. Ce qui s’était passé, c’est qu’il m’arrivait de lui
donner quelque flouse de temps en temps, quand j’allais chercher la baguette de
pain pour le pater. Lui se collait juste à la sortie de la boulangerie et je lui
refilais un peu de ma monnaie. Alors ce bon vieux Bouddha dégarni vous
donnait de sourire en or massif, de ses meilleurs boniments en serbo-croate
moelleux. On repartait plein de bonnes intentions de son étreinte de boa douillet,
ma parole on en avait presque les larmes aux yeux, des effusions, des
embrassades et autres poignées de mains enflammées ! Merci ! Merci ! Merci !
Non, merci à vous, mon bon petit père ! Merci à vous de nous rappeler où se
trouve le chemin du Salut ! Merci ! Merci ! À demain ? demain ? Je ne sais si je
pourrais attendre demain, mon bon petit père ! Disons à très vite, en espérant
voir flamboyer à l’infini ce sourire Prodigue ! Deux foutus boy scouts, ma
parole. Quand on le croisait dans la rue, lui vous repérait des kilomètres à la
ronde vous faisait des sourires de loin, des œillades à fondre bougie
d’anniversaire ! Sans blague, il vous jouait du charme le petit filou. Et puis petità-petit, ça s’est embourbé, ça s’est noirci au centre si je puis dire, c’est comme
devenu un braquage, un toucher rectal qui vous plait plus du tout. On l’avait
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habitué à la pièce et on pouvait plus la lui refuser, ou il devenait féroce ! Fallait
le voir un peu, il vous l’extirpait comme une dent ! Le Bon Petit Père ! son front
se plissait méchamment, son sourire il se tordait, vous dégainant toute sa
panoplie de canines mercenaire Ŕ des vraies canines en douilles de plomb ! Ça
devenait crapoteux toute cette histoire, comme une espèce de racket, malsain et
tout. Moi un moment j’en ai eu ma claque. Je trouvais ça plus du tout agréable,
je veux dire de la manière dont c’était fait. En sortant de la boulangerie je lui
donnais plus rien d’autre que ma pogne à serrer. Il avait des mains si
moelleuses ! De délicieux coussinets pour l’obole. Au début ma pogne elle ne
l’a pas dérangée. Il pérorait seulement DEMAIN ! DEMAIN ! avec son petit
sourire de Bouddha patient comme la terre Ŕ tandis que sous sa pupille, rissolait
le meurtre à feu doux. Demain demain ! Ouais ouais ouais, demain si tu veux
sale pigeon, t’auras rien d’autre que ma pogne et puis c’est tout et peut-être
même que je me serais essuyé le cul avec juste avant. Si bien qu’un jour
Bouddha il en a eu sa claque d’attendre demain, il a sorti son sabre de sa canne,
petit œil artisanal à la Milosevic et il me l’a braqué tout contre la tempe.
Milosevic il voulait de l’or, pas de mon sourire. Il a regardé la main que je lui
tendais et il a fait « Demain ! demain ! toujours demain ! PFFFF » en crachant
son venin pas très loin de mes pompes, sans me quitter des yeux, l’air de me dire
que le prochain... Et le lendemain, rebelote ! Je passe devant lui avec un refus
timide dans mon sourire, mes clefs d’appartement tintant en écho comme un
deuxième refus dans ma poche, et lui qui se précipite alors dessus, me violant
presque, ma parole ! croyant qu’il s’agissait-là de quelque trésor ou je ne sais
quoi. Une véritable effraction ! Je vous jure, devant la boulangerie on s’était
presque battus. Le sang pour quelques pièces rouges ! Du coup moi ça m’a vexé
et depuis ce jour-là, c’est vrai qu’on s’était plus trop fréquenté. Quand il me
voyait au loin dans la rue, il me dégainait son regard noir d’épurateur ethnique et
moi je changeais de trottoir… Mais tout ça était pardonné, désormais ! et je me
sentais paré aux plus munificentes prodigalités. Mon cœur battant comme un
larfeuille, j’allais lui montrer comment qu’il pouvait être généreux Le Tigre,
généreux comme le cuir ! Et plutôt deux fois qu’une ! Attends donc que je te
montre comment je t’aime, brave Milosevic ! Tes crimes, tes forfaits sont
pardonnés ! Pardonné que tu es, m’entends-tu brave Pouilleux ?
Mais dans la rue, au coin de la boulangerie, il était pas là, et sa pile de sacs non
plus. Il était parti, lui aussi. C’est qu’il était tard, je m’en étais pas rendu bien
compte.
174
Ce que j’ai fait ? J’ai fait comme tous les hommes tristes, je suis allé m’en
jeter une au bar. Parce que je vous ai pas parlé des bars, mais j’adore ça. Pas tant
l’alcool, entendons-nous bien. Je raffole pas de ça, franchement. Parce qu’avec
l’alcool, c’est toujours la même histoire. Soit ça dure trop longtemps, soit pas
assez. C’est nul, à vous faire bâiller. Les jeunes ils boivent pour avoir l’air plus
vieux et les vieux ils boivent pour l’oublier. Ça ressemble pas mal à une impasse
l’alcool, et les impasses j’aime pas beaucoup ça. Courir après des fuites me
paraît épuisant. Je veux dire, y’a ceux qui boivent et ceux qui agissent. Et puis
moi quand je suis ivre je m’hérisse de lyrisme, il me passe des envies
d’embrasser le monde, même parfois des pulsions d’exhibitionnisme. Dans ces
moments-là, j’aimerai pas être à la place de la jolie femme souriante qui
rencontre ma déchéance. Franchement, c’est pas joli-joli à voir. J’ouvre la
bouche, ma parole c’est pire qu’un charnier. C’est pour ça que je bois pas, j’ai
peur de plus contrôler ma folie. Les autres eux, c’est justement pour ça qu’ils
boivent. Pour s’en découvrir un fond. Pauvres gens, si vous voulez mon avis.
Les bars, en dehors des femmes c’est mon activité favorite. Attention, hein,
quand je parle des bars, je parle du BAR BAR BAR, du bouge miteux,
étincelant, qui se décrotte la molaire à même le trottoir. Le truc gris qui sent l’ail
et le vinaigre et la sciure. Un truc de cowboy, espèce de rot splendide qui fait
trembler les murs du temps. Un bouge où les gars ont des nez pas possibles, qui
stockent des kilos de casques lourds dedans, et puis quelques directs glanés
comme des trésors. Y’a les vaisseaux, y’a le rose, le rouge, le violet, les
circonvolutions, le festival d’un arc-en-ciel congestionné, on dirait que ça va
péter d’un moment à l’autre, que les épistaxis vont décorer le monde de leurs
splendides confettis. Ils parlent et leur voix, elle est toute pleine de barbe et de
glaviots. Ça t’arrache les oreilles, ça t’agresse les naseaux c’est délicieux
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comme un vieux plat en sauce. Ils grognent et puent la baston, la hargne, ce sont
des Magnifiques qui ont chié sur leur trône. Ils ont des pognes de bunker et sont
plus susceptibles que des vieilles dames et si tu les prends de haut, tu rouleras
dans la poussière. Ils sont confus, indécis, ils arrivent pas à décaniller, parce que
dehors c’est bien plus dégueulasse qu’ici. Ils enchaînent les derniers verres
comme on arrose les graines. Ptt ptt ptt Ŕ dehors, c’est affreux pour tout un tas
de types. Personne te tape sur l’épaule, te bourre aux côtes d’un COMMENT
ÇA VA JACKIE ? Pour avoir un sourire, faut s’échiner en mensonges pas
possibles. Au bar tu pousses la porte et un verre de ta gnôle favorite coule
comme les cheveux d’une femme qui s’abandonne. C’est quelque-chose qui
t’ensorcelle un brin, on peut pas nier ça. Là-bas t’es quelqu’un et c’est bien ça
qui importe, au fond. Les heures elles traînent en longueur, volettent comme des
grosses mouches sales. Alors tu t’assoies et t’écluses peinard, et t’écoute le
Monde deviser. Tout le monde a un avis sur tout, parce que la science infuse
dans le pinard. C’est un endroit où il est bon de se cultiver, ça c’est bien vrai. Le
bar, c’est un roman qui perd ses mots comme des bulles. On y parle de nappes
tâchées, sous les restes de blanquette. Y’a des choses terribles et d’autres très
belles, elles sont prononcées d’une même voix, d’une gifle qui fout toute la
vaisselle par terre, qui donne aux souvenirs ce visage mélancolique, morcelé à
jamais. Des tonnes d’histoires s’entassent là-dedans, dans la grande oreille
humide, dans cette mémoire profonde comme un trou, une chiotte à la turque Ŕ
les dolmens tout au fond, gisent comme des animaux morts. Personne ne pense à
aller les extraire, ils sont trop lourds, trop bien cachés, ils sont trop crénelés, trop
coupants à la vérité, personne ne pense à y descendre non plus pour étudier leurs
hiéroglyphes, leur vérité emmurée dans la douleur. Pourtant si on jetait une y
torche, un soleil neuf jaillirait de ce désespoir, un soleil gros comme un ballon
de Chardonnay, suspendu telle une poire impérissable à la cime d’un ciel
nouveau, un soleil si gros qu’il ferait de l’ombre aux Dieux, si ardent qu’il
brûlerait uniformément la face des hommes, plus aucun poil sur celle-ci, pas un
cheveu, un cil, un sourcil qui ne tienne, pas un brin de haine qui ne soit consumé
jusqu’à la racine Ŕ dans ce nouveau matin, la veille vieille de quelques siècle ne
serait qu’un mauvais rêve recouvert d’un linceul frais, d’une orange pressée.
Alors j’essaye de comprendre ce qu’ils veulent dire leurs mots, j’essaye d’y
tremper mon flambeau ; je m’assois et j’écoute, je prends des notes dans mon
calepin ; je me demande POURQUOI cependant que je biberonne ma bière.
Parce que ouais, moi c’est ce que j’aime dans la vie, ce que j’aime c’est
d’écouter, c’est de me perdre à jamais, une avenue, et puis une autre, celle dont
176
on se dit que c’est la bonne, que c’est la dernière et qu’on est arrivé au bout, au
bout du monde, qu’on l’a enfin épuisé, de part en part comme une douleur
transfixiante, qu’on a enfin tout vu et qu’il n’y a plus rien à espérer désormais,
qu’il n’y a plus rien à désirer et qu’on peut mourir la conscience tranquille,
qu’on est arrivé tout au bord de l’archipel, tout au bout du grand Belvédère… et
qu’est-ce qu’il y aura, là-bas, tout au fond ? Un bar, juste avant de tomber. Un
bar avec peut-être une barmaid dedans. Un néon las, couperosé. Deux trois
alcooliques de la fin des temps, perdus dans leur verre de blanc. Une vieille
plante anisée. Des tabourets poussiéreux. Une grosse horloge en panne et une
odeur d’urine séchée. Au bord du néant, je me siroterai ma petite mousse légère
dans laquelle flotterait ma cacahouète grillée, lèvres rebondies et cul recréant le
vide ; à côté de moi un vieux singe me causerait des anges et des dinosaures.
Tandis que dehors… et bien dehors n’existe plus.
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Faut que je vous parle de ce bar. Parce que celui-là, c’était un monument.
L’UNESCO, ils connaissent rien des bons endroits. L’UNESCO, ils préfèrent
les pierres qui circonscrivent les asticots. Donc. Pour vous décrire, le bar, il faut
parler du barman. Le barman, c’était un fan de Johnny. Quand je dis un fan de
Johnny, je dis pas qu’il porte seulement un tee-shirt Johnny et que sur son biceps
gauche, brille le portait de son héros. Non. Le vrai fan de Johnny, il a la même
coiffure et puis les mêmes fringues aussi. Le vrai fan, chaque pore de son mur, il
respire du Johnny, il fredonne du Johnny. Je vous jure, ses murs étincelaient de
mille strass, ça ressemblait à un putain de costume de soirée. Et le barman quand
il causait, il prenait la même voix que Johnny. Il s’éclaircissait la gorge et mine
de rien faisait parler son cœur électrique. Et quand il vous servait votre bière, il
sifflotait Oh Mari. Voilà pourquoi j’aime bien les bars. Parce que dans ce genre
d’endroits, t’es comme dans les tripes du type, quoi. D’ailleurs derrière le bar,
c’était chez lui et on pouvait voir son gosse en cage remuer dedans. Si je vous
disais que y’avait une énorme veilleuse avec la tête de Johnny qui papillotait au
loin, vous me croirez sûrement pas. Faut sortir de chez soi, pour voir des trucs
comme ça. Dans ce genre d’endroit, moi je me sens bien. Si tu rotes, tu rotes, et
si tu dégueules, et bah tu le fais. On fait comme ça vient, voilà tout. Si tu veux
fumer une clope, t’en demandes une au barman. On nage avec les squales aux
balafres vieilles comme le verre.
Du coup, j’avais bien envie de causer avec lui. Moi qui était en manque de
conversation, je me suis dit que j’allais un peu allumer le feu, autour de moi.
Vous devinerez jamais sur quoi j’ai engagé la conversation.
« Dix balles que vous êtes pas un vrai fan. Les vrais fans de Johnny, ils
connaissent les paroles de toutes ses chansons par cœur. »
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Le gars m’a regardé avec son œil torve, torve, torve, et autour le silence s’est
éclaircit la gorge. Personne a bougé. Le barman, Johnny Bis, il m’a seulement
regardé. Un bon moment, et je sentais qu’à l’intérieur, l’adrénaline affûtait ses
ampères. C’était pas pour me déplaire Ŕ j’aime voir ce que mon monde a de
grandiose dans l’estomac. Un bon moment comme ça, il m’a fixé en feuilletant
son répertoire dans un silence d’avant-guerre. Et puis il est allé dans le fond de
son bar, brancher à ses épaules un Perfecto qui planait là, sur une patère du fond,
comme un motard fantôme. Il est revenu et quand il marchait avec ça, on
entendait le bruit du cuir véritable qui coulisse, qui couinaille, le bruit des clous,
du métal, ça faisait comme s’il trimballait des voitures, ma parole, une vraie
quincaillerie de ringard. Et puis il a éteint la lumière dans la chambre de son fils
et le sourire de Johnny a brillé dans la chambre comme la lune, comme un
songe. Il a fermé la porte et il l’a fermée à clé Ŕ la clé, il l’a jetée à la poubelle et
puis il a fait craquer ses cervicales. C’était du sérieux. Dans son grand manteau
de cuir, il m’a regardé, il avait l’air d’un apache revenu de la casse. Puis il a mis
un vinyle sur son tourne-crêpe. Il a tourné le petit bitoniau qui gérait le volume.
Il l’a tourné au max. Alors y’a eu ce riff de guitare qui a comme libéré des
Harley partout dans le monde, le faisant ressembler au chant de leur moteur, à
un petit enfer chromé qu’un pied-de-biche désosse pièce par pièce, l’œsophage,
les cordes vocales, le carburateur. Y’avait du son. Y’avait du décibel. Y’en avait
tellement que sa perruque défiait la pesanteur quand la musique se faufilait
entre ; l’avait l’air d’un scotch-terrier qui prend le grand air. Et au moment, et
quand je dis au moment, c’est à la milliseconde près, où Johnny, cœur et tripes
chargés de fonte, débita sa mitraille, mon type répéta la pareille, la surpassa
même, magnifiée par d’abscons canaux où l’âme en pleine modulation, éclate en
tonnerres d’un ampli Marshall. Magnifique ! Merveilleux ! Et la Passion déchire
son grillage d’un bond sauvage. Yeux dans les yeux, mots dans les mots, à
réciter l’Évangile des Lascars. Il bougeait pas d’un millimètre, il avait les mains
crampées aux revers de son Perfecto, archange bridant ses ailes bicylindres, 900
cm3. Il était concentré, si concentré que la sueur lui ruisselait des tempes en
pierres rares Ŕ carrosserie d’amour, rutilante, grandiose, impavide, reine-mère
des accidents de la route. Autour, sur terre, personne n’a bronché, personne n’a
touché à son verre. Y’a les Dieux qu’on regardait causer. La lumière tournoyait,
les confettis, les cerises et la crème, les cordes vocales rompues, les rayures de
gorges, les rayures de vie, les guitares qui brûlent, qui coule comme une liqueur
de fût, le grand désert, la vie sauvage, le poing serré qui défie le Ciel, un courtcircuit qui s’échevèle, les carcasses de voitures cuisant dans le pétrole, la
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ferraille tâchée de rouille, les dents des bulldozers, les grandes roues qui
écrasent des crânes et l’os qui craque, qui pétille, les tessons de métal qui
éclatent des timbales, la dynamite, l’asphalte, le chrome, le soleil, l’aigle
immense sillonnant l’atmosphère, les ossements de buffles, la terre qui saigne,
les santiags, la gomme, le cuir cramé, le macadam, les tonnerres, la ferraille,
l’air, l’air, l’air et la vitesse, la vitesse et mon type concentré comme une moto
qui bombe le torse en déroulant le goudron noir de son existence. Il se
consumait, il flambait, c’était un feu qui courait après lui-même. Ses yeux
regardaient le ciel et son Perfecto l’enveloppait comme un berceau, comme un
halo un peu plus que simplement somptueux. La sueur se perdait en sanglots
dans son bouc, dans ses rides, des rides lumineuses, faufilées d’essors et de
diamants, et puis aux favoris aussi, des favoris de lion, des favoris de Prince en
plein couronnement. Il frôlait les voûtes, cette brute délicate. On a fait tout
l’album comme ça, lui qui me quittait pas des yeux et moi qui faisait pareil, à
l’écouter pas défaillir. Il était splendide et il le savait même pas. Gladiateur
impassible dans l’arène de sa passion, il décapitait les fauves et les mercenaires
et la gloire comme des grappes de raisin noir. Ç’a duré le moment que ç’a duré,
le temps d’une hémorragie de soleil, et puis le tourne-crêpe s’est arrêté. Le
silence, il a ressemblé à quelque-chose d’un gros marteau de juge obèse, un juge
un peu crâne, mais qui connait quand même foutrement bien son métier. Ouais
ouais ouais. Les soûlographes ont tous retenus leur couperose, ils nous ont tous
maté, notre duel d’yeux suspendu à un fil de rasoir. Quand même, y’en a eu un
qui a pas pu s’empêcher de basculer de l’autre côté du zinc pour faire au héros
du soir un brin viril de shampooing Ŕ sa manière de le féliciter. La perruque a
tenu le coup ; lui bougeait pas, il continuait de me mater en attendant le verdict.
Il en avait les larmes aux yeux, sans blague, comme les flashs d’appareils photos
immortalisant leur Dieu. Il avait eu tout un tas d’émotions qui s’étaient
enchaînées en un laps de temps très limité.
J’ai sorti cent balles sur le comptoir et j’ai dit : « Je paye ma tournée, les
gars. Un concert de Johnny, un authentique, un vrai de vrai, et bah ça peut pas
être gratos. »
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Les faces rougeaudes dégainèrent leurs plus beaux sourires, elles étaient
comblées comme des testicules mûrs. Hourra ! Hourra ! Un petit Elvis Presley
dégainé de la manchette et voilà Jean-Phi qui gueule : FAIS PÉTER LA
ROTEUSE, MARCELLE. Marcelle, dit La Grosse Marcelle, ou La Truie, c’était
la bonne femme de Jean-Phi, et vous me croirez sûrement pas si je vous disais
que Jean-Phi, c’était le taulier, le fan de Johnny. C’est pourtant vrai. Véridique,
je vous dis ! Jean-Phi il avait pas du surnom, c’était Jean-Phi ou rien. Et quel
homme ! Quelle verve ! Il maniait la langue comme un coup de fouet. Le verbe
cinglait, le verbe jaillissait, piquetait comme un magma qui ne s’éteint jamais. Il
maniait ses troupes ainsi qu’on l’eût fait d’un bestiaire à enflammer. Un coup il
vous pelotait le pochard comme une maîtresse habile et la seconde d’après,
BAM, il vous le souffletait avec camaraderie ! Tu l’as pas vue venir celle-là, pas
vrai ? Entre deux rots, ça s’accrochait avec gaieté et les plaisanteries
s’entrecroisaient en bouchons de champagne ! Bam ! Bam ! Les postillons feu
d’artifice, les borborygmes émerveillés. Le cœur pétillant et la mousse en
moustache de sourires. Le pain de campagne, les rillettes de la Marcelle et les
cornichons verdoyants. Champagne, Martini, Rhum, Whisky, Sauvignon,
Chardonnay, Côte du Rhône, quel parterre, quel fleuriste ! QU’EST-CE QUE
J’TE SERS ? C’EST POUR MOI ! Petit karaoké improvisé, Mitchell Aufray
Aznavour et compagnie, et Jean-Phi qui enjambe le Panthéon français pour
enfiler les perles à son collier de Prélat. Jean-Phi par-ci, Jean-Phi par-là, JeanPhi la star de son bistro qui papillonne de pochard en pochard, comme une fleur
qui s’invente des ailes. Jean-Phi qui pétri le cul de la Marcelle et la Marcelle,
andouille joviale, qui dandine joyeusement de la croupe. Le champagne qui
cascade par-dessus le pâté de campagne et qui donne bon teint à la musique
française.
181
« Tu vois Tonio, qu’il me fait la gueule débordant de rillettes, Johnny c’est
pas n’importe qui. Johnny c’t’un enfant terrible. Johnny c’est l’frère qu’j’ai
jamais eu. Sa guitare, elle dit tout c’que nous autres on ressent. Moi j’ressens
des tonnes de choses, et quand j’l’écoute j’ai l’impression d’avoir une Fender
dans l’estomac. J’ressens des tonnes de choses… Pas vrai ? qu’il fait à la
Marcelle comme ça, en lui pétrissant le bourrelet, et la Marcelle d’acquiescer
gravement… Putain ! tu sais quoi, Tonio ? J’aimerai l’avoir ici, au bar, avec
moi, à boire un bon coup d’gnôle en parlant d’l’Amérique et du rock’n’roll.
J’vais t’dire quelque-chose, Tonio. Dans ma cave, j’ai du bourbon, du quatrevingt-quinze ans d’âge. C’est un pote qui me l’a ramené d’l’Arizona. Ça vaut
une fortune, mon pote, et même plus que ça. Avec ça, rien qu’avec le bouchon
j’peux racheter ma vie. Mais ça m’intéresse pas. L’argent, c’t’un truc de richard.
Si j’étais un richard, la bouteille je la garderai pour qu’elle prenne de la valeur.
Cinq, six générations. Mais ça, c’t’un truc de richard. Moi j’la garde pour le jour
où que Johnny viendrai ici. Ça va venir mon pote. Il viendra. Ce jour-là mon
pote, la femme, les enfants, les potes, ils existent plus, y’aura juste lui et moi et
mon bar fermé à clef, et lui et moi, d’homme à homme, d’homme à homme tu
m’entends ? santiags su’l’comptoir, à s’écluser dix mille balles de gnôle en
comparant nos sacrés putains d’tatouages de guerre. »
Vint Jeannot L’Requin, soixante-trois ans au compteur et toujours une forme
d’adolescent. Il était rouge, rouge ! rouge papier-toilette. Une mine somptueuse.
Gaie comme une baleine au temps des amours ! Sourire de bière fraîche,
d’ivresse moussue, plus épaisse qu’une tranche de steak. On l’accueilli, lui et sa
charmante, comme deux copieux lurons. Bravo ! Bravo ! La semaine dernière,
Jeannot L’Requin il s’est endormi dans sa voiture, l’ivresse distraite, frein-àmain papillonnant et moteur plein chant, la voiture embrassant du groin le mur
de la Poste de la Rue des Renaudes, fumant noir du radiateur comme un
barbecue, une fumée noire, si noire ! et Jeannot Chipo qui échappe de justesse à
sa Farce que par le hasard magnifique d’un Jean-Phi dégueulant son trop-plein
de Sauvignon non loin de la catastrophe, au moment même où celle-ci menaçait
de se tordre en un rire de macabre barbecue. Et le Sauvignon qui sauve encore
quelques vies ! Au Sauvignon ! Au rescapé ! Bravo ! Bravo ! Quelques claques
dans l’échine, coups de coudes gaillards, plaisanteries écrites au maillet, et puis
les baisers humides du tout un tas de bisons tendres. Des roses poussaient des
ulcères, et des guirlandes des couperoses. On rappelle les bons souvenirs de la
semaine dernière et la charmante Michelle fait une drôle de moue, à ses côtés.
« J’ai vu Saint-Pierre, déclare fièrement Jeannot L’Requin, et j’lui en ai foutu
182
une de la gauche, dans les côtes, qu’ça dise bonjour à son foie
d’poivrot ! BAM ! » Jeannot L’Gaucher. Un kir cul-sec pour sa Gauche ! Bravo,
bravo champion ! Mais le champion partit aussi vite qu’il fut arrivé, dans un
même fracas pompier. Après quelques bouteilles, Jeannot L’Requin il sent plus
son âge ni ses cent dix kilos de mousse, il s’imagine ailé, sur le ring de ses belles
années, la grâce en gants et chaussettes écarlates, et alors Jeannot L’Requin il est
monté sur son tabouret pour faire tourner son marcel, et les tétons flamboyants,
poignants sous cette chaleur, et la panse amoureuse, belle comme un baiser, et
son foie, sémaphore dans la nuit des hommes, et tout le reste, tout ce beau
Jeannot L’Requin vola en éclat avec le tabouret, une chute du haut des étoiles,
un fracas biblique et une fracture ouverte du tibia pour notre Sublime Jeannot
L’Requin, boxeur en magnifiques pièces, repartant sur civière sans même
entamer la bonne humeur de ses compères qui l’acclament comme un blessé de
guerre, une rockstar à la fin de son concert, sauf sa charmante, la Michelle, la
sublime Michelle, la Féroce, la Sévère, la Taulière, le tançant de son
irresponsabilité vieille de quelques gloires.
« UNE BOUCHERIE ! » conclu l’inénarrable Jean-Phi, s’envoyant une
tartine de rillettes drapée de cornichons. On caresse les bretelles de Dédé
L’Arbalète, le gras claque avec tendresse et la face de Dédé L’Arbalète rougeoie
comme tampon et tous les tracas sont oubliés. On fête Jean-Phi, le Premier des
Premiers fans de Johnny Halliday.
Dans le brouhaha de l’effervescence, un vif feu se déclare soudain ; on
échange vivement, férocement, la conversation rougissant sur toutes les lèvres
mouillées, léchant telle une confiserie l’inlassable objet... Momo La Tante jura
qu’il n’y a plus exquis que le cul d’un homme. Tout vient de la prostate, cette
moustache par-dessus le baiser. Tu limes tu limes tu limes, tu disperses tes
groseilles en gelée et la prostate elle, te dédie un filet de miel. « Mon pote,
pourquoi tu crois que Michel-Ange était pédé ? À quoi tu crois qu’il pensait,
quand il peignait ses nuages ? » Jean-Phi empoigne la remorque de La Marcelle
pour toute réponse et la meute fait elle aussi savoir son opinion à ce sujet.
Momo ! Momo ! T’y connais quedal. Le cul d’une femme, t’as vu comment
c’est foutu ? C’est pratique comme un pack de bière. Ouais, Momo t’es juste
pédé parce que t’es jamais tombé sur une vraie. T’es un gâchis, Momo, tu fais
pitié ! Mais n’allez pas croire que Momo se laissait faire, non, il avait du fer, il
avait de la pugnacité ! cependant qu’il tirait sur ses vibrisses tel vieux matou
répliquant avec un raffinement consommé Ŕ sachez pour votre gouverne que j’ai
eu plus de femmes que tout le monde ici n’en auras jamais. C’est justement
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parce que je les connais trop bien qu’elles ne me font encore guère d’effet. Et
pourquoi pas copuler avec une vache, pendant qu’on y est ? Ta gueule Momo !
Ouais, ferme-la ! Bien, bien, je ne répondrai pour ma part pas à l’injure par
l’injure, chers amis, je vous laisse seuls avec votre fange. Et puis on sollicita
finalement mon humble avis. Et qu’est-ce que t’en penses toi, Tonio ? T’es pas
pédé toi Tonio des fois, avec ta petite gueule de salaud ? Rassure-nous.
« J’aime le cul d’une femme comme j’aime mes bottes de caoutchouc, pour
aller batifoler dans la boue. »
« Bravo ! gueule Jean-Phi. Voilà qu’est parlé, Tonio ! Voilà qu’est parlé. Toi
j’t’aime bien, Tonio, tu causes pas beaucoup mais quand tu le fais ça brûle. Un
sage ! Voilà c’que t’es. Qu’est-ce que tu bois ? C’est pour moi. »
Tout de même, le débat pris de telles proportions ! Et quelles proportions ! La
proportion de deux miches rondes et replètes. On décida que c’était ce soir
même qu’il fallait trancher l’épine de la rose.
« Bin quoi ! a braillé Jean-Phi en éclatant sa chopine de bière sur le comptoir.
Assez causé, nom de Dieu ! On va se faire un avis maintenant, voilà ! Pas
d’blabla ! »
Momo et M.C. à quatre pattes déculottés sur le zinc, exposaient chacun leur
tournesol. Bon Dieu, quelle pièce avaient-ils respectivement ! M.C. n’était plus
toute fraîche, mais quel splendeur derrière les toiles d’araignées ! C’était beau
comme un musée, un vestige de la Grèce Antique. Momo lui semblait sortir
d’une partie fine Ŕ ou large, si vous me permettez le mauvais goût Ŕ et son
sphincter respirait comme une bête sans yeux, une bête féroce, affamée, traquée
par la vermine, mille proies sombres. On était là, comme ça, en rang d’oignons,
à tout d’abord contempler la vue de loin, histoire de nous faire une prime
impression. « Bon Dieu c’que vous êtes beaux, mes chéris ! C’est vraiment con
que vous darons se soient trompés de sens ! ». Les pochards ont tous acquiescé
gravement et Jean-Phi s’est rageusement essuyé la gueule avec la manche de son
Perfecto. La Marcelle faisait la vaisselle et regardait notre petit concours d’un
mauvais œil. Qu’importe ! nous avons trempé notre doigt avec délices. Nous
l’avons trempé comme l’orteil prend la température du bain. Ploc ! Ploc !
mercure optimal, parfait pour s’y prélasser… Il n’était facile de faire son choix
tant chaque arcane avait son attrait. Parole ! Quand on allait suffisamment loin
dans Momo, on pouvait lui serrer la pogne, le saluer par l’intermédiaire de sa
prostate enflée. Salut, salut, toi ! Tu sais que t’as d’beaux yeux, bébé ? Bon
dieu ! Toute l’essence des hommes engoncée dans un sac-plastoc ! Tout de
même, c’était curieux au toucher. Si doux ! si lisse ! Quelle souplesse sous le
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doigté ! ça donnait l’impression de tâter l’orgueil d’une citrouille. Tout de
même, quel œil rutilant que cette fière prostate laquée ! La pompe à pensées ! Le
tout-à-l’égout, le réseau souterrain du joli brushing imitant le sourire des
angelets ! Contempler l’océan, guider les vaisseaux, les épaves depuis le
sémaphore d’une ampoule rectale, voilà bien une curieuse manière de trouver
son chemin ! Voyez mon bras de lumière balayer les ténèbres ! il n’y qu’une
paire de testicules baignant dans la penderie du cœur humain... Et cette bonne
vieille M.C. alors ? Allons y jeter un coup d’ongle. Grand Dieu ! Mettre son
doigt dans cette poivrière, c’était comme de mettre une consistance à l’obscurité.
Chacun y allait de son commentaire raffiné, on se faisait passer les plats, on
émettait des hypothèses, on s’interrogeait sagement, gravement, on gardait ça
dans les papilles, pensifs, rêveurs, aventuriers, touchant au nerf de l’espèce
humaine. Hé, t’as vu, t’as raclé les parois tout au fond, vers l’appendice ?
Putain, on peut presque sentir ton foie qui besogne, M.C. ! Quinze ans qu’elle
me siffle mon Chardonnay, et bah il a pas été perdu, merde ! Ouah ! Momo a
quand même une muqueuse vachement douce.
« Je veux ! rétorquait Momo flatté. Je prends soin de ma beauté intérieure ! »
Bon sang, ce petit concours avait émoustillé les esprits ! La vieille M.C.
notamment, qui avait encore bien de l’amour au compteur ! On avait réveillé
quelques vieux souvenirs brûlants, là-dessous ! La voilà qui m’agrippe, qui
m’englue, qui me coule le long de l’échine tel un tentacule obscène et insidieux,
serpent triste, las, décoloré, fuyant son saxophone rouillé… TU DANSES ? elle
me fait en me soufflant le pâté de Jean-Phi dans le nez. ALLEZ VIENS DANSE
UN COUP, QUOI ! J’AI PAS L’AIR SOLIDE COMME ÇA MAIS
J’CONNAIS DES TRUCS QUE T’IMAGINES MÊME PAS ! Elle sort sa
langue, lézard se débattant avec la mort, lézard sans peau, sans fard, lézard crevé
au soleil, tandis que sa main glisse sous ma ceinture, animal féroce ! Elle me
fouille, elle me décortique, les morpions, les croûtes, le prurit, elle veut rentrer
dans mon urètre, la séparer, Moïse de la Mère Urètre ! C’est tout mou, c’est
irrévocablement mou ! Elle rutile sous sa propre chaleur, elle gonfle, elle
s’engonce, elle transpire et dégouline des appétits, elle a bu un vermifuge, elle
brille comme la monnaie d’une autre époque, ma bête s’effraie, elle se rétracte,
elle s’enfuie derrière l’aine, sous l’estomac ! J’en veux pas des rogatons, moi !
Et la M.C. impossible à attraper, impossible à contenir, plus humide, plus
glissante qu’une anguille dans une flaque de savon, impossible à raisonner,
impossible à aimer, elle étouffe mes appels au secours, elle s’enroule à mes
fuites, elle monopolise l’air, les échappatoires, incision d’une dernière tendresse,
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d’une dernière plaie, elle masque les rides, elle étend sa peau sur le pommeau
d’une canne, sur le globe d’un œil crevé, chiffon crispé, sourire craquelé, effilé,
elle strangule avec férocité le corps caverneux, elle veut le voir renaître, elle
veut le voir éclater, c’est une pieuvre mon Dieu ! M.C. la vieille pieuvre aux
mille ventouses, pieuvre fanée, flasque et collante, brûlante comme un mégot,
ruban autour d’un goulot, elle fond dans ma culotte, elle s’épanche comme une
goutte de sanie, une traînée de cendre, elle s’épand, se morcèle, se méprend, elle
cherche désespérément un hommage, un dernier fragment de sa beauté mais il
n’y a rien, elle n’a plus de chair, elle a des rides aux narines et des poils au
menton… Et le bar qui vocifère et qui applaudit et m’encourage d’un même
vœu : « LE BISOU ! LE BISOU ! » et M.C. qui délaisse ma braguette pour ma
bouche, elle rapproche son cendrier, l’ouvre plein four, privilège morcelé,
cimetière profané, puits empoisonné, et Jean-Phi qui gueule « TOUTE LA
MISÈRE CONCENTRÉE DU MONDE » en embrassant fougueusement la
Marcelle, et le lézard qui grimpe le long des ruines, cherchant l’air, un brin
d’air, de vitalité, le lézard triste comme un pruneau, sec et desséché, lézard qui a
laissé son costume de soirée sur la fresque du passé, impossible à écraser,
impossible à aimer, cependant que la foule elle, hurle son ultime volonté « LA
LANGUE ! LA LANGUE ! OUAISSSSSSSSSSSSS ! »…
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D’un coup au milieu des pochards, je suis allé rendre mon fond d’ivresse.
Tout s’est mis à tanguer furieusement dans mon crâne, je me suis senti renfermé,
moisi dans la calle d’un rafiot répugnant, rat dans les croûtes et les cicatrices,
dans les interstices du bois humide, et les écoutilles diffusant un sang de
lumière, l’odeur des orteils d’un mort ; tout tanguait, tout semblait au rebord de
tomber, de tomber à jamais dans l’oubli, trop futile, trop répétitif, toujours le
même mensonge, toujours la histoire, droite, gauche, droite, gauche, on marche
sur des planches instables, les planches de sa propre cave, et je vacillais
bouteille vide, dérivant dans mon propre naufrage, je chancelais sur une crête
iliaque, j’avais des barres de fer contre la tempe, les chiottes véreuses de JeanPhi étaient mouchetées de merde et de pisse, tout collait, tout suintait là-dedans
comme dans un gros mouchoir sale et la poubelle était pleine de tampons,
d’intestins, d’ovules sous blisters et de boites de méthadone. J’ai même pas
vomi, j’ai même pas pu mourir d’asphyxie, j’étais rien qu’un nœud coincé dans
l’œsophage, et j’ai même pas pu respirer tout était trop étouffant là-dedans, tout
ressemblait trop à la vie, tout ressemblait trop à demain, et je suis sorti, j’ai
claqué la porte des chiottes, comme ça dans mon fond d’ivresse à bien nous
regarder tous, j’ai eu l’impression soudaine qu’un filtre éclatait, qu’à
l’encadrement de cette fenêtre c’était l’image même de toute vie humaine que ce
kaléidoscope nauséeux, loupe si réelle, si affreusement irréelle, un pied dans le
caniveau et l’autre dans l’euphorie qui sèche en se desquamant par lambeau
rouge vif le long de la peau, à passer notre temps à se cogner les têtes aux murs,
à saigner pour se dire qu’on y est enfin arrivé, qu’on s’est enfin débarrassé de
soi-même, pour de bon, qu’on s’est défait de tout ça, et on tapote les épaules des
copains et on rit faux, on rit fort en se convainquant que demain n’existera plus
jamais ; on rit jusqu’à la folie, démon impavide remuant des pandémoniums
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pour se masquer l’Enfer, trempés de l’envie de vivre et puis d’éclater enfin, de
se hisser à la cime du globe, d’hurler à l’oreille de l’infini que quelque-chose
vienne nous sortir d’ici.
« Tu veux que j’te suce, Tonio ? »
Momo est là dans un coin du lavabo, il est recroquevillé sur lui-même,
recroquevillé comme une envie obscène, comme un fœtus involu, entortillé,
disloqué, piégé comme un serpent, lové autour du robinet ainsi qu’une langue
autour d’une folie tiède. Du mercure suinte et roule le long de ses tempes
criblées de petite vérole ; ses yeux gonflent et s’exorbitent comme des poires à
lavement obstruées.
« Non… Non, merci quand même, Momo.
ŕ J’suis sûr que t’as une bite énorme, Tonio.
ŕ C’est tout à fait exact, Momo. Mais j’en suis pas.
ŕ Me mens pas. Pas à moi. T’es en rut, je l’ai senti dès que t’as foutu un
pied ici. Les petits jeunes en rut dans leur bite immense, je les repère à des
kilomètres à la ronde.
ŕ C’est vrai que j’ai envie de baiser. Mais pas tellement avec toi.
ŕ J’suce comme une reine, Tonio.
ŕ Je venais juste dégueuler dans les toilettes, moi.
ŕ J’racle l’assiette jusqu’à blanc.
ŕ T’as raisons. Les petits Africains ils meurent de faim.
ŕ J’SUIS PROPRE, TONIO, J’TE JURE ! J’SUIS PROPRE COMME PAS
DEUX !
ŕ Bon courage, Momo. »
Et j’ai repensé à cette fille, là, Tortuga, c’est comme ça que je l’appelais, La
Tortuga, parce qu’elle ressemblait à une tortue d’airain, elle était belle il fallait
voir ce visage éclaté du noyau de la terre, un scandaleux cristal ma parole, un
verre de whisky au soleil, des lèvres dévorant les madeleines, quelle fête foraine
c’était, ouais, avec le vacarme et les lumières papillotantes, et le vomi derrière le
stand de guimauves, et les cris qui se perdent loin, très loin dans la nuit tâchée
d’ampoules… et je me la suis rappelé avec ses manières, ses petits trucs vicieux
qu’elle faisait et je me suis demandé où écartait-elle les cuisses désormais, avec
quel fils de pute me trompait-elle, trompait-elle ma saloperie d’existence, les
souvenirs de cire écaillée, est-ce qu’elle mangeait toujours du porc pour le petitdéjeuner ? est-ce qu’elle écrasait les coquillages que charrie la marée ? son petit
cul noir suant, dégouttant sur mes pages froissées, cul boueux, cul en terre
battue, cul d’argile nauséeux, et moi qui l’avait quittée en disant qu’une femme,
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on peut que l’aimer ou la détester, parce que je pensais qu’hurler sa passion lui
donne sa vérité, parce que je ne savais qu’haïr pour preuve d’aimer, un dernier
dégueulis sur la pavé et puis c’est tout, on repart sillonner la nuit comme des
ivrognes, les poches pleines de tessons, le trésor de la boule de cristal tout
morcelé, on se tourne le dos pour aller braquer d’autres mémoires, on reprend
ses mirages pour aller travestir d’autres décombres, féconder la poussière, les
toiles d’araignées, sceau de merde à la main on repart badigeonner son nom sur
d’autres murs, percer des meurtrières, des trahisons, et si des fois elle me
ressortait du tiroir, la Tortuga ? comme un révolver ? comme un argentique
dégrisé ? si mon portrait la faisait mouiller ou si elle gerbait dans les acariens en
se curant les dents, si les lames lui perçaient les os ou rien d’autre qu’un frisson
d’hivers sur la peau, si elle priait pour moi, si elle priait pour le salut des
damnés, si elle avait de l’indulgence pour des semelles râpées, et qu’est-ce
qu’on peut laisser comme empreinte sur des choses qu’on ne cherche qu’à
piétiner, qu’est-ce qu’on peut bien laisser aux ventres que l’on veut juste
dépecer, une entraille c’est saisissant, une entraille c’est poignant comme l’orage
mais ça n’aime pas c’est putain l’entraille, c’est trop vif au cœur pour rester
fidèle et on ne s’attache qu’à de la charcuterie, parce qu’on ne peut pas accuser
le cœur de pourrir si on n’y voit qu’une monnaie de viande, on ne peut pas
accuser la terre d’être une déchetterie, on ne peut pas accuser l’ordure, les murs,
la saleté, il faudra un jour s’y résoudre et se regarder pour de bon, quitte à
vomir, quitte à se briser d’inanité, parce qu’on ne les cadenasse pas les hommes
c’est entendu, on ne possède que sa douleur et puis ses dettes, c’est ainsi, et
qu’est-ce qu’un arracheur de sac-à-main laissera jamais comme trace sur la
hanche d’un monde qu’il ne cherche qu’à piller, un monde en peau de serpent
qui n’offre que des fuites, que des mues desséchées, un monde de voleurs-nés où
l’on coupe la main aux mendiants et où la peau des voyous est brillante et
ruissèle le succès, et qu’est-ce qui reste à la fin puisqu’on fait tout brûler en
filant comme des meurtriers ? Le soleil lave les cendres d’une nouvelle journée
et dans le ciel les vautours rôdent, et les hyènes rient et se frotte la panse de la
nature des hommes gisant dans ses flaques de cuisses pendantes…
189
En remontant l’avenue, j’ai vu au loin, tout en haut de celle-ci, perchée
comme une apparition au sommet d’un délire, une femme en talons se
consumant dans la nuit. Un coup de maquillage, un atour de grenat ou de rubis,
une poudre d’astres éphémères, un bal de fleurs et d’exhalaisons, la solitude
indicible de l’Arc-de-Triomphe, et le vent glacé de Paris, qui joue la musique de
ses cheveux sombres. Mon coin le soir, il se déshabille et permettez-moi vous
dire qu’il a une sacrée sale gueule de vérole. C’est comme ça, y’a du bon et du
moins bon, du moins bon surtout, tout ça se mélange au fond d’un crâne qui ne
respire plus, ce gros ragout instable c’est l’homme sur ses deux pieds de singe,
dans la grande jungle qu’il a bâtie. Dans mon coin le soir, ils s’arrangent pour
briller au sein de leurs beaux endroits, mais dès qu’ils sortent de là ils se
vomissent eux-mêmes, ils vomissent leurs joyaux, c’est rien que des entrailles,
des entrailles qui ont pourri dans les compliments et les tournedos Rossini. Ils
parlent, leurs grosses bajoues clapotent ; ils ont l’air de l’excroissance viable
d’un invisible cancer. La femme dont je vous cause vit la nuit pour étouffer la
misère qu’hurlent leurs vieux jours. Juchée sur ses apprêts nocturnes, elle
réchauffe dans le froid la nuit des hommes ; sa poitrine bat un peu fort, un peu
doucement, derrière un éventail de dentelle, un bouquet de suggestion. Elle se
recoiffe ; un petit trône de perles et de diamants où son con y est monté en
diadème, une mèche s’échappe, ondule dans la nuit comme une écharpe, un
parfum élégant. Ses jambes sont démoulées d’un nylon arraché aux ténèbres, un
fin vertige noir les escalade et s’arrête aux cuisses, c’est une sonate de piano
interrompue en plein glissando ; selon l’angle elles se croisent et se décroisent,
murmure qui hésite ses mots. Elle pense à une pluie de bijoux ou une valise de
billets, ou peut-être à son vernis à ongle, peut-être bien qu’elle ne pense plus,
que sa cervelle a brûlé à trop vouloir ressembler au soleil Ŕ elle trône sur son
190
éclosion mélancolique et fume une cigarette en attendant que le chenil vienne la
grignoter. Elle est là, à des milliers de kilomètres de tout ce qu’elle eut été, à
l’ombre des clartés familières, des tableaux de son époque, enfuie pour un leurre
de chenil, un sourire de collier clouté, papillonnant d’un cloaque à l’autre, et elle
est là désormais, dorure effilée d’une natte millénaire, et elle attend une voiture,
un homme, une plaie lointaine Ŕ et une solitude en égratigne une autre.
L’humanité y vient décharger ses poubelles et elle, sourit lascivement en
appelant l’ordure CHÉRI.
« Bonsoir mademoiselle...
ŕ Bonsoir jeune homme…
ŕ Bon Dieu ! j’ai fait en la regardant de plus près. Vous êtes vraiment
splendide. Mes félicitations au Chef.
ŕ Tu as besoin de quelque-chose ?...
J’ai pris mon temps pour répondre. Je sais causer aux belles choses, j’ai
appris ; faut savoir prendre son temps, pour les belles choses. Elle avait une
frange qui lui donnait un air du tonnerre, genre petit carré de chocolat fourré.
Une frange ciselant une frimousse gracieuse, voilà quelque-chose qui me plait !
Une frange pour le visage, c’est exactement comme une poitrine, des hanches,
un nombril, c’est exactement comme deux lèvres mouillées ou des dents claires,
ou des cils recourbés, c’est exactement pareil, différentes enseignes de la même
putain d’infatigable avenue… J’ai fouillé dans mes poches, avec l’envie pas
méchante de faire un peu le mariole.
ŕ J’ai un euros, j’ai dit avec mon sourire d’abruti. Je peux avoir un bisou ?
ŕ Nan, elle a fait en rigolant.
ŕ Même pas un bisou ? Je veux dire, pas de malentendu, hein Ŕ bien sûr que
ça vaut plus que ça, évidemment, et d’ailleurs… d’ailleurs, si ça tenait qu’à moi
c’est tellement inestimable ça, j’ai fait en touchant ses lèvres du bout de l’ongle,
et ses lèvres étaient moelleuses, elles étaient chaudes, on aurait dit qu’elle sortait
du four, c’est tellement inestimable, tellement au-delà de toute devise, que je le
ferais GRATOS, que j’ai conclu en lui jouant de l’œil.
ŕ L’amour après minuit, chéri, c’est jamais gratuit.
ŕ Ah oui, évidemment… évidemment… Et comment vous vous appelez ?
ŕ Je m’appelle Olivia.
Elle mentait c’était patent, mais c’était magnifique quand même.
ŕ Nan, c’est sûrement pas Olivia. Mais c’était une question bête, après tout.
C’est bien normal que vous ne me disiez pas la vérité.
ŕ Mais si, c’est vraiment mon prénom. Pourquoi je te mentirais ?
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ŕ Peu importe.
ŕ C’est pas mon nom de scène, c’est mon vrai prénom.
Ouah, elle avait une voix tellement douce ! C’était du beurre, de la neige, ma
parole… C’était comme un morceau d’aube éclos en avance.
ŕ D’accord Olivia, si tu le dis.
ŕ Tu fais quoi ici, tu cherches quelque-chose toi ? Et comment tu t’appelles
toi ?
ŕ Tonio Le Tigre.
ŕ Toi non plus ça n’a pas l’air d’être ton vrai prénom.
ŕ C’est vrai Olivia, c’est vrai. On fait tous que ça, de mentir toute notre vie.
ŕ Et tu habites dans le coin ?
ŕ Juste-là, j’ai fait en montrant tout en bas de l’avenue. Une petite
garçonnière d’écrivain…
ŕ Ah… tu dois avoir une belle maison, alors…
ŕ Ouais, j’ai dit comme ça d’un air insolent. C’t’une belle bête.
ŕ Tu veux m’y emmener faire un tour ? qu’elle m’a dit en s’approchant
doucement, serpent sur un satin confidentiel.
ŕ C’est parce que je suis écrivain, j’ai dit en reculant un peu. Quand je
manque d’inspiration, je jette un coup d’œil par la fenêtre et j’ai le choix entre
mater tes hanches ou l’Arc-de-Triomphe.
ŕ Et alors, c’est quoi le mieux ? qu’elle a fait comme ça, un peu bestiale,
vachement excitante.
ŕ L’Arc-de-Triomphe, qu’est-ce que ça peut bien me foutre ? Je le vois tout
le temps, ça me fait pas plus d’effet qu’une ampoule.
ŕ Et moi alors ?
ŕ C’est pas mal…
ŕ Et bien pourquoi tu me ferais pas visiter ta maison, chéri ?
ŕ C’est un endroit très luxe, et j’aimerai pas que tu le salisses… Tu seras
obligée d’y être tout le temps que nue.
ŕ Oh tu sais, le luxe quand je suis nue…
J’ai un peu plus reculé et puis je l’ai regardée un moment. Un petit cacao
d’amour ! De me comporter comme ça avec elle, d’un coup ça m’a fait un effet
affreux. Un truc à vomir. Y’a des fois où je me dis que je suis décidemment un
chic type, et d’autres où je me trouve vraiment dégueulasse, à bien y réfléchir.
Au fond, c’est dur de savoir où on en est pour de bon.
ŕ Bonne soirée Olivia, j’ai dit en me tirant. »
192
Je suis parti là-dessus, j’avais une balle de plomb dans la gorge, entre les
omoplates, et j’ai marché un long moment, pour essayer de semer mon souvenir
dans l’obscurité. Des fois, je me faisais l’effet d’être indécent, l’indécence
même. À dire vrai il me cassait un peu les couilles, mon numéro de connard.
Ouais, ça manquait de finesse, ça manquait d’élégance, ça manquait de tout en
fait, sauf de maladresse. Et puis j’ai réfléchis à tout ça et je me suis demandé
quelle était la recette pour pas tout gâcher, et comment qu’on faisait les festins et
si des fois on pouvait en devenir un soi-même sans pour autant tout tâcher
autour de soi ? Sans blague, des fois ça me désespérais cette impression de
pouvoir ne prendre de la place qu’en jouant du coude et de la rouerie. C’est
qu’une planète de tricheurs, ici ! Ah, c’est pas des idées à avoir, que je me suis
dit. Allez Tonio, pense à autre chose parce que si c’était ton dernier pas, ça serait
bien triste de marcher sur cette écharde de violon.
Me voilà donc traînassant mollement dans mon quartier, comme je l’avais
déjà fait des millions de fois. Tilsitt Hoche Ternes Wagram, tout ça je le connais
sur le bout des doigts. Je le connaissais TROP bien, à dire vrai. Je pourrais pas
dire combien de fois j’ai fait le même trajet, et la seule chose qui changeait dans
mon trajet, c’était l’idée que je promenais. Des fois c’était une angoisse et des
fois une félicité, des fois Tortuga qui habitait à côté et d’autres fois encore, la
plupart du temps, quelques phrases bricolées pour une petite nouvelle qui ne
sortirait jamais, et là, pendant ma promenade de santé, c’est petit-à-petit à Olivia
que j’ai pensé, ça gonflait en moi, ma parole mon sang empilait des poupées
russes, à l’envers je veux dire. J’arrivais plus à me la décoller de ma tête, c’était
un érythème rose, rose et savoureux, je pensais à elle par petites bribes sucrées,
comme une coupelle de pralines. Elle était trop belle et moi je me faisais avoir,
comme à chaque fois. La beauté d’une femme, c’est rien qu’une mine sur
laquelle on a marchée. Toujours la même histoire de connard. Un vagin tiré à
quatre épingles, rien de bien sérieux… Et pourtant, pourtant… Moi je me
demandais ce qu’elle foutait ici, mon Olivia, elle qui méritait mieux que tout
cette flopée de merdeux, je me demandais à quoi pouvait ressembler sa vie de
tous les jours et puis si elle avait des mômes ? peut-être un garçon, oui, dont le
fils de pute de père s’est tiré depuis belles lurettes, Raphaël qu’il s’appelle, et
qui lui cause bien des soucis ce petit fils de putain mais qu’elle, elle aime
beaucoup malgré tout, qu’elle gâte, qu’elle couvre de cadeaux, et puis d’abord
l’Olivia, qu’est-ce qu’elle aimait faire dans la vie ? est-ce qu’elle aimait encore
l’amour, malgré les hommes ? et puis qu’est-ce que ça peut devenir une jolie
pute, quand ça vieillit ? et puis si elle ne serait pas mieux ailleurs par hasard…
193
Sans blague, plus je baguenaudais, plus je commençais à déconner… vous me
croirez jamais si je vous disais qu’il m’est venu tout un tas d’idées pas
raisonnables du tout, des espèces de projets bancals, de l’abstrait, du
pharamineux, de pauvres cartons vide que je tripotais en horizons sublimes... Si
bien qu’après m’être un bon moment rincé de la sorte, tout dans ma tête est
devenu clair comme un volcan. Ma poitrine s’est accélérée et j’ai levé la tête à la
nuit, et j’ai regardé l’heure dans la lune qui indiquait l’heure OLIVIA.
J’ai couru, couru, je me suis précipité là-bas en espérant d’arriver à temps,
d’arriver avant qu’une Aston Martin ne me la souffle à jamais. J’ai entendu des
pas, des bruits de talons, et puis des rires, des rires gras, des borborygmes de
vieux Bordeaux, ce bruit qu’on fait quand on marche sur un cafard. Ils étaient
trois y’avait Olivia qui était là, au milieu. On aurait dit une antilope pourchassée
par des ivrognes. Du reste, c’était tout à fait ça. Ils descendaient l’avenue et je
les ai suivi, sans trop savoir ce que j’allais faire. Je tremblais de partout, j’étais
en boule, putain. Derrière un arbre, je les ai un peu matés, comme ça, tout
fébrile, tout colère. Ils lui causaient et j’entendais pas exactement tout, mais de
ce que je percevais ça m’en vrillait les viscères, sans déconner, c’était si
dégueulasse que j’ose même pas le répéter ici. Suffit de se figurer le dialogue
des cancrelats en groupe, avinés, gras et putrescents et trop sûrs d’eux et dont les
vies ont pris pour modèle la vulgarité, dont l’abjection a reçu l’approbation des
hautes gens. Ce genre de gars on les connait, ils patassent partout dans la ville
avec leurs grandes pompes de vampires, leur désœuvrement de brillantine,
empestant l’existence. Personne ne les aime, et surtout pas moi, et surtout pas
eux. L’un des trois, le plus vitreux, le plus purulent, les yeux brillants comme
une morgue, un rire de hyène, interpelle mon Olivia, et lui demande de se
tourner pour mieux l’inspecter, comme ça, comme il aurait dit à sa nouvelle
veste PAS MAL, PAS MAL, en matant son gros cul dans la glace. Fils de pute.
FILS DE PUTE ! Il a même commencé à la tripoter un peu et de là où j’étais,
j’entendais les propositions qu’il faisait et ça m’a donné envie de mourir et de
les emmener tous les trois avec. En face d’eux, Olivia a encore fait un tour sur
elle-même et avec son joli manteau bouffant, pendant une demi-seconde quand
elle a fait ça, quand elle a tourné sur elle-même et que son manteau a flotté et
tout, le silence a rompu son fil et un tutu sombre a recouvert le monde Ŕ une
danseuse étoile tombée de la nuit. Ç’a duré qu’une seconde, rien qu’une seconde
et pourtant, si une photographie eût voulu la prendre, elle aurait échoué, elle se
serait consumée. Ç’aurait comme débordé, comme une éruption, comme une
plage, comme un œil trop plein du sanglot d’une jolie chose. Eux, porcs fiers de
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leur race, ils faisaient rien d’autre que de toussoter des ricanements gras, bidons.
Ils voyaient sans doute rien du tout de ce qu’il fallait et c’est pour ça qu’au fond,
je ne les jalouserai jamais. Ils se sont arrêtés pour deviser, et le gars, le plus porc
des trois, il m’a semblé qu’il essayait de convaincre les deux autres, les un peu
moins porcs, mais eux bâillaient en finissant leurs gros cigares, ils avaient pas
l’air trop intéressés. Ils en parlaient comme des gens qui bâillent en se
demandant qu’est-ce qu’ils vont manger demain midi, parce que demain midi
encore, ils seront sûr de s’en mettre plein la panse. Et mon Olivia, cœur de
pivoine dans étau, était là, patiente et tout sourire, à attendre la gracieuseté et le
bon vouloir d’hommes aux allures de sacs plastiques remplis de merde. Ces
monstres infâmes, grouillant dans leurs rires vermineux, bandant de voir la
misère manger les billets avec lesquels ils se sont torchés, ces sales fils de putes
sans couilles, sans humour, sans imagination ni dignité, juste une situation, un
étage élevé, un vis-à-vis avec l’Enfer, tas de chair enflée engoncés dans
l’aisance, ces salopes ayant passé leurs vies à amasser, à camoufler l’indigence
d’être des moins que rien sans leurs billets, qu’est-ce qu’il leur arriverait à ceuxlà, le jour où la monnaie ne vaudrait plus que le pet foireux qu’elle est ? Qu’estce qui restera d’eux, de leur passage ? Ces fils de putes, je les hais ! Le plus
porc des trois a jeté un dernier coup d’œil à Olivia, Olivia lui a souri, il a
grimacé une espèce de mimique qui aurait aussi bien pu être un sourire qu’un
début de vomi, et puis ils se sont finalement tirés dans un grossier nuage de
cigares, tandis qu’elle remontait l’avenue.
« T’es encore là, toi ? elle m’a dit tout gentiment, avec son sourire
porcelaine.
ŕ Dis-moi, Olivia, j’ai demandé encore tremblant de colère, quel genre de
salopards viennent donc te voir ?
ŕ Oh… y’a de tout, tu sais. Mais je suis pas n’importe qui, moi. Je prends
pas n’importe qui. Je suis pas ce genre de fille que tu verras, par ici, à faire des
fellations entre deux voitures. Quand même, je me respecte ! Moi je choisis mes
collaborateurs.
« Mes collaborateurs » ! qu’elle disait, comme pour mieux vous cuire au
miel… Elle était si belle ! J’en aurais mangé mes yeux. Je la regardais elle et sa
voix d’enfant à l’amidon, et je me sentais fondre au soleil, je me sentais
m’éparpiller en mille éclats de rouge-à-lèvre, et j’ai eu envie de l’embrasser, de
l’emmener, de danser avec elle, n’importe quoi, juste son giron, juste l’avoir
près de moi pour mourir dans son odeur. Comme ça tout d’un coup, il m’a pris
une espèce de bouffée de chaleur, l’ivresse d’une gorgée folle, un alcool fort
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avec le verre et les tessons, le genre de mensonge qui vous mord tout au fond,
qui vous mord si profondément que vous en faites une estampe nacrée, un
sourire gracieux, votre vérité. J’ai eu des tonnes de choses à déclarer, mais ça
restait coincé, y’avait le cœur avec, les tripes aussi, tout, tout, y’avait tout qui
s’emmêlait au fond de ma gorge et moi qui demandais comment faire pour
dénouer tout ça sans trop passer pour le fou que j’étais.
ŕ Olivia, j’ai fait tout d’un coup, comme un haut-le-cœur… Olivia, tout ça
c’est fini… Tout c’est fini, tu m’entends ? C’est fini, on tire un trait sur tout ça.
On déchire tout, on laisse juste une tempête de neige derrière nous, rien qu’une
tempête de neige, j’ai dit en la regardant bien au fond, et mes lèvres tremblaient,
elles tremblaient fort, et ma voix était sur le point de gravir des montagnes, ou
de s’effondrer pour de bon.
ŕ On se tire à Bora-Bora, Olivia. Bora-Bora. Un Bora pour chacun. BoraBora, Olivia, la vanille et le poison multicolore. Là-bas on vivra nus comme des
poissons, comme deux rondelles de palmier, il y aura de l’eau douce et des
avocatiers et nous, on dansera sur le dos des coraux en se moquant des brûlures
du sel. Là-bas quand on aura faim, et bah et regardera le soleil.
ŕ Oui, oui, ça doit être joli Bora-Bora. C’est un de mes rêves, tu sais chéri…
Mais en attendant Bora-Bora, pourquoi tu m’amènerais pas chez toi, ce soir ?
ŕ Écoute, c’est sérieux Olivia, j’ai fait en la coupant. Je pouvais plus
m’empêcher de parler, y’avait un gribouillis, mille desseins, qui remontaient
d’un coup pour aller s’inscrire derrière mon front, tracés par des ailes d’oiseaux,
des plumages arc-en-ciel.
Ma parole, j’ai même pensé à Dali, ce sacré Dali, et je me suis que c’était
seulement le plus amoureux de tous les hommes.
ŕ Écoute juste un peu ça : notre jardin ce sera de la poussière de roman, et
quand on lèvera la tête, y’aurait qu’une grosse myrtille au-dessus de nous,
autour de notre félicité, rien qu’une grosse myrtille. Et nos voisins, nos voisins
les plus proches, ce serait rien qu’un couple de dodos grincheux, mais on les
aurait quand même apprivoisés, et eux nous ramèneront des baies, de temps à
autre. Peinards comme deux hamacs étendus entre des branches de ciel ! Parfois
un Boeing survolera notre archipel, notre chapelet de coquillages, et les gens à la
mine terne nous regarderont en soupirant, en se demandant pourquoi il fait si
froid, dans leur métal volant. Nous on rigolera fort, on leur montrera nos culs
tout bronzés et eux, ces pauvres pigeons, ils s’en retourneront couler du béton.
ŕ Dis donc, t’en as de l’imagination !
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ŕ On n’aura plus besoin de la ville, Olivia, parce qu’on aura la nôtre aussi,
ton sourire, ton sourire qui allume les réverbères et qui nous prémunira de la
nuit. On vivra nu et le sable sur ta peau, ça fera comme Copacabana, je vois ça
d’ici, ça sera beau comme une fresque à la Picasso.
ŕ C’est bien, Picasso. C’est zoli.
« Zoli » qu’elle disait, ma formidable confiserie ! Je vous jure, j’étais tout au
bord de fondre pour de bon.
ŕ Écoute… j’ai pas l’air costaud, comme ça, mais j’sais me défendre. J’fais
du sport, chez moi.
ŕ Mais si, tu es très bien bâti…
ŕ Ouais, je sais. Bah je sais me défendre aussi, figure-toi. Là-bas, à BoraBora, on sera tranquille. Et si les gorilles en venaient quand même à t’emmerder,
à t’emmerder rien qu’un peu, à te manquer de respect, et bah ils auraient affaire
à moi. Autrement dit, personne t’emmerdera plus jamais, Olivia. Ils me font pas
peur, les gorilles, ils peuvent pas être pires que par ici.
ŕ Picasso c’est le XVIème siècle, non ?
ŕ Pas très loin de ça, Olivia. Pas très loin. Là-bas, je t’apprendrais l’art et
l’histoire de l’art. Je t’apprendrai plein de choses et toi, tu m’en apprendras plein
d’autres. On sera complémentaires, comme les cerises, comme les enfants,
comme les poumons. On sera bien, Olivia. Je te promets, je te le jure que je te
ferais une belle vie. Tu mérites un truc extra, Olivia, et même mieux que ça j’ai
dit en m’approchant d’elle, un peu possédé par mes traits d’aquarelle.
ŕ Attends, ne te mets pas trop près de moi parce que tu vas effrayer mes…
Moi j’écoutais plus rien à rien. Je nageais dans la fièvre. La fièvre depuis une
entaille de cristal. Je savais plus si j’étais devenu complètement fou, ou si j’étais
justement l’homme le plus lucide qui ait jamais vu la nuit, qui l’ait jamais
vraiment regardée bien en face, je veux dire regardée pour de bon. C’était sans
doute un peu des deux, à la vérité. J’ai contemplé les lumières autour de moi, les
bâtiments, les voitures garées en double-file, tout ce tas de toc, et j’ai su que ce
soir, j’allais partir, qu’Olivia viendrait avec moi, et que ce merdier de Paris et le
reste du monde avec, j’allais le quitter à jamais. Nous allions construire une
cabane à l’abri du vent. Je me voyais d’ici, plume de palmier au cul, en train
d’imiter les oiseaux tropicaux et mon Olivia elle, quelle divine ! qui applaudirait
fort en rigolant, et puis qui me serrait dans les bras, rien que ça, ses bras autour
de mes épaules, et puis sa petite tête douce confite sur ma clavicule. Ç’allait être
au poil. Jamais rien, ne serait-ce qu’un grain de sable, pour venir perturber notre
petit œil bleu. Rien. La paix et un quatre pattes artistique sous le crépuscule.
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Voilà ce qu’on allait faire, et fallait plus perdre de temps désormais. Le temps de
perdu, c’est de la peau qui s’en va pour toujours.
ŕ Même qu’on emmènera ton gosse, j’ai finalement tranché. Moi ça me fait
pas peur, je suis capable d’assumer tout ça. J’en suis parfaitement capable. Je lui
apprendrai à pêcher et puis à faire des pièges pour le gibier Ŕ il viendra ton
gosse, t’inquiète donc pas. C’est même moi qui lui ferais l’instruction. Je lui
apprendrai à devenir un Homme…
ŕ Mon gosse ?
ŕ Raphaël.
ŕ Raphaël ?
ŕ Ouais, et t’inquiète pas qu’avec moi, il marchera droit et ça deviendra
sûrement pas un connard de mon espèce.
ŕ Bon et on fait quoi maintenant ?
ŕ Bouge pas, Olivia, j’ai dit en me décidant, je reviens dans cinq minutes.
Bouge pas ! que j’ai gueulé comme ça en dévalant l’avenue vers chez moi.
BOUGE PAS OLIVIA, JE REVIENS TOUT DE SUITE, ATTENDS-MOI ! ET
TE LAISSE PAS FAIRE PAR TOUS CES SALOPARDS, OLIVIA, COUPE
LEUR LES COUILLES S’ILS CHERCHENT À TE FAIRE DES CHOSES
PAS BIEN ! JE REVIENS TOUT DE SUITE, NE T’INQUIÈTE PAS, JE VAIS
JUSTE CHERCHER UN BONNET DE BAIN ET LA BÉNÉDICTION D’UN
SAINT.
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« PAPA ! PAPA ! TU ES LÀ ?
ŕ BON DIEU D’MERDE ! OÙ VOUDRAIS-TU QUE J’SOIS FOURRÉ À
UNE HEURE PAREILLE ??? À PARIS-PLAGE ? EN TRAIN D’BAISER
UNE FLAQUE DE BOUE ?!
ŕ PAPA, TU M’ÉCOUTES ? J’AI QUELQUE-CHOSE DE TRÈS
IMPORTANT À TE DIRE.
ŕ Ç’A UN QUELCONQUE RAPPORT AVEC L’ARGENT ?
ŕ NON, PAPA. C’EST PAS L’ARGENT. JE VIENS SEULEMENT TE
DIRE AU REVOIR. JE M’EN VAIS, PAPA.
ŕ OH, DIS PAS DE CONNERIES, HEIN ! ÇA ME FERAIT TROP
PLAISIR.
ŕ JE VAIS M’EN VAIS, PAPA. POUR DE BON. NE T’INQUIÈTE, JE
NE PARS PAS SEUL, JE SERAI AVEC OLIVIA.
ŕ QU’EST-CE QUE TU RACONTES ENCORE ??? TU N’ARRÊTERAS
DONC JAMAIS DE ME TOURMENTER, PUTAIN DE MERDE ?!
ŕ AU REVOIR, PAPA !
ŕ UN INSTANT ! UN INSTANT ! DÉJÀ, QUI C’EST CETTE OLIVIA ?
ŕ MA FUTURE FEMME, PAPA. LA FUTURE MÈRE DE MES
ENFANTS. LA PROGÉNITRICE DE MON DESTIN, PAPA.
ŕ ELLE EST LÀ ?
ŕ NON. ELLE EST EN BAS, AU COIN DE LA RUE. ELLE M’ATTEND.
ŕ BON… QU’EST-CE QUE C’EST QUE CETTE PUTAIN QUE T’AS
ENCORE RAMASSÉE ????
ŕ C’EST PAS UNE PUTAIN, PAPA, C’EST SEULEMENT UNE
FEMME. C’EST SÉRIEUX, JE M’EN VAIS POUR DE BON. TU VAS ENFIN
POUVOIR FINALISER TON MAGENTA.
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ŕ QU’EST-CE QUE C’EST QUE CETTE HISTOIRE, FILSTON ? T’AS
MÊME PAS D’OSEILLE, QU’EST-CE QUE TU VAS BIEN POUVOIR
NOURRIR UNE FAMILLE ? VOUS ALLEZ CREVER DE FAIM ET JE TE
L’AURAIS BIEN DIT !
ŕ JE ME DÉBROUILLERAI, PAPA. D’AUTRES AVANT MOI L’ONT
FAIT, ET JE SUIS PAS PLUS CON QU’UN AUTRE.
ŕ PERMET-MOI D’EN DOUTER !
ŕ J’ESSAIERAI.
ŕ FILSTON ! T’ES PAS UN GARS COMME ÇA. T’ES PAS ENCORE
ASSEZ SOLIDE POUR LE MONDE. LE MONDE VA TE CASSER LA
COLONNE VERTÉBRALE. T’ES MON FILS, ANTOINE, TOI ET MOI ET
TON GRAND-PÈRE, ON EST TOUS DU MÊME SANG. TOUS DE LA
MÊME TREMPE DES RATÉS IMPLACABLES. PARS PAS, ANTOINE, VU
COMMENT T’ES PARTI, JE LE VOIS D’ICI, T’ES PARTI POUR
T’ÉCRASER. DEPUIS QUELQUES GÉNÉRATIONS, ON SAIT PAS FAIRE
LES GÂTEAUX AUTREMENT QUE CARBONISÉS.
ŕ C’EST POUR ÇA QUE JE M’EN VAIS, PAPA. JE VAIS SUIVRE VOS
TRACES EN M’Y ÉLOIGNANT. JE PORTERAI LE SANG DES COZIN EN
HAUT DES DRAPEAUX, PAPA, POUR PAPI, POUR GRAND-PAPI ET
POUR TON MAGENTA.
ŕ OH LÀ ! OH LÀ ! DU CALME, HEIN, QU’EST-CE QUE C’EST QUE
CES HISTOIRES DE SANG ?!
ŕ C’EST DÉCIDÉ, PAPA, ET TU SAIS COMMENT JE SUIS, PUISQUE
JE SUIS COMME TOI. QUAND ON DÉCIDE QUELQUE-CHOSE, ON FAIT
EN SORTE QUE CE QUELQUE-CHOSE DEVIENNE L’UNIQUE CHOIX.
ŕ FILSTON…
ŕ AU REVOIR, PAPA, J’ESPÈRE REVENIR UN JOUR SANS
RAPPORTER AVEC MOI TON VIEIL ULCÈRE.
ŕ ARRÊTE TES CONNERIES, ANTOINE, L’ULCÈRE MAINTENANT
IL EST LÀ. T’Y ES POUR RIEN DU TOUT À TOUT ÇA, FILSTON. C’EST
MA VIE À MOI QU’EST BLOQUÉE LÀ, C’EST TOUT…
ŕ … T’ENTENDS, PUTAIN DE MERDE ??? ÇA N’A RIEN AVOIR
AVEC TOI.
ŕ PAPA…
ŕ ALORS QUOI, PUTAIN ?! TU LAISSES TOMBER TON VIEUX CON
DE DARON ?
200
ŕ PAPA, JE TE JURE QUE DANS MON CŒUR, TU RESTERAS
TOUJOURS AVEC MOI. T’AURAS TOUJOURS UNE PLACE, À ÉGALITÉ
AVEC MAMAN…
ŕ AH ME PARLE PAS DE CETTE SALOPE, HEIN ! ME FOUS PAS À
CÔTÉ D’ELLE, JE TE PREVIENS, MÊME LÀ-DEDANS ON SERAIT
ENCORE CAPABLE DE S’ENGUEULER.
ŕ JE METTRAI UNE ROSE ENTRE VOUS DEUX, PAPA.
ŕ FILSTON…
ŕ AU REVOIR, PAPA.
ŕ … ET BAH QUOI, PUTAIN DE MERDE ! TU VAS PAS PARTIR
COMME ÇA ?! CŒUR OU PAS CŒUR, MONTE AU MOINS ICI QUE JE
TE FOUTE UN DERNIER COUP DE PIED AU CUL QUE J’SUIS SÛR
QU’T’OUBLIERAS JAMAIS. »
201
La nuit je jouerai du tam-tam sur ton cul pour charmer les rêves, pour qu’ils
nous couvrent de leurs baisers, oiseaux nocturnes, feuillages de velours, peaux
de sel, fumée d’écorce de palmier qui se consume, qui s’évapore au petit matin
sec… à mille soleils des vies sans lumières, notre bouche sèche, la myrtille
écrasée dans le ciel, le ventre bleu du temps somnolent, la cendre et le sable en
copeaux de cigarettes le long de notre atoll, et tes cheveux, où pleure un poème
enduit de pétrole, et ton reflet au loin, hantant la peau des dauphins, brève pièce
d’argent qu’énumère en vain l’océan… Ma belle Olivia, j’ai besoin de ton sein,
j’ai besoin de ton giron, il te faut me réconforter ! je te chuchoterai à l’oreille
toutes les horreurs que tes sœurs m’ont faites ! Tes « sœurs » ! pardonne-moi
l’injure, elles l’ont ni ta grâce, ni ton caractère et ton sang de jument les ferait
exploser si une goutte en venait à éclabousser leurs pâles artères. Olivia ! tu es
ma dernière île, mon ultime peau, tu es ma béquille, ma barre de fer ! tu es celle
qui saura toujours ce qui est bon pour nous et en vertu de cela, jamais tu ne te
décourageras, tu graviras des désillusions, des montagnes de peine parce que
l’homme n’est qu’un homme, il n’est qu’un loup dans des haires de mendiant et
que quelques milliers d’années d’art et de guerre n’y ont rien fait, l’homme est
ce qu’il est, ni plus ni moins qu’un animal auquel on a donné la parole pour qu’il
puisse mentir, dans ton divin instinct de femelle tu le sais, Olivia, et c’est qui te
donneras la force de m’attendre tard dans la nuit quand je m’y serais une
nouvelle fois abandonné, c’est ce qui te donneras la force de ne rien lâcher,
parce que tu sais que tout n’est pas rose quand l’homme lui n’est qu’un enfant
voulant vivre dans un magasin de bonbons, tu le sais, belle caryatide, et tu es
vouée aux fanures, Olivia, et je suis voué à les haïr parce que l’homme ne veut
d’aucune vérité, et c’est pour cela que tu t’échineras à te travestir, que tu t’useras
à tout m’offrir tandis que je tournerai la tête, que tu te trancheras encore un peu
202
pour ne pas que je te perde de ma vue, tu as la pugnacité, une force irréelle, une
force monstrueuse, c’est cette veine qui te donneras la patience, la volonté de ne
pas tout foutre en l’air quand j’aurais encore décidé de le faire, c’est elle qui te
chuchoteras d’attendre encore un peu, que tout est encore possible pourvu que tu
fisses le nécessaire, c’est elle qui te fera serrer les dents, ô belle Panthère ! c’est
ce métal dont est fait ton sexe chauffé à blanc, c’est lui le noyau, le fruit, c’est de
lui que tout rentre, tout sort, c’est ainsi, et contente-toi de relever mon menton
quand je baisserai la tête, contente-toi de t’allonger dans mon épaule, sa
clavicule est creusée pour ton repos ! alors ne perds jamais cette force, c’est elle
qui te donnera tout ça et bien plus encore, la force de ta mère qui a tout vu et en
vertu de cela, Olivia, tu seras ma femme, nom d’une Chaîne ! Et j’ai vu les
femmes, de part en part le monde m’a écorché les genoux, de part en part je m’y
suis écorché les lèvres, sur mille femmes j’ai grimpé et j’ai compris Olivia, j’ai
compris que rien ne sert d’en avoir mille car on ne construit de monument avec
des allumettes, des brindilles ou des grains de sables, mille patries ne servent à
rien on ne porte en soi qu’un seul drapeau, et ce drapeau est ta fleur, et ta fleur
est ma rosée et ta rosée mon eau, Olivia, comprends-tu désormais ? Si j’ai eu
mille femmes, Olivia, c’était seulement pour offrir l’expérience de mille
hommes à ton doigt…
Donne-moi ton ongle, donne-moi ta main… vois ton alliance dans ces
quelques dépouilles opimes.
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