compte rendu du voyage d`étude à Nuremberg

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compte rendu du voyage d`étude à Nuremberg
VOYAGE D’ÉTUDE ET DE RECHERCHE À NUREMBERG
24-26 MAI 2012
Réalisé dans le cadre du Programme Formation Recherche
« De la Sortie de Guerre à la Guerre froide :
L’Allemagne au cœur des enjeux de culture et de société »
»
2 Ce voyage d’étude et de recherche s’est effectué dans le cadre du séminaire « Traces de
guerres, réparations, enjeu de réconciliation », animé depuis plusieurs années par Corine
Defrance, Maryvonne Le Puloch, Fabrice Virgili, Eva Weil et Annette Wieviorka. Ces
journées d’études à Nuremberg s’inscrivent parallèlement dans le cadre du Programme
Formation Recherche (PFR 2011/2013) « De la Sortie de Guerre à la Guerre froide :
L’Allemagne au cœur des enjeux de culture et de société „ (cf. Convention entre le CIERA et
l’Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne).
Il a été préparé par plusieurs séances du séminaire 2011-2012 consacrées à cette
thématique : 5 octobre 2011, Annette Wieviorka (UMR IRICE), La place du témoin aux
procès de Nuremberg et de Jérusalem ; 16 janvier 2012 : séance spéciale organisé autour du
film Memory of Justice (1976) de Marcel Ophüls et table ronde avec Marcel Ophuls, JeanMichel Frodon, François Niney et Annette Wieviorka ; 7 mars 2012 : Antonin Tisseron,
doctorant (Paris 1/IRICE), La France et le procès de Nuremberg; 4 avril 2012 : Dominique
Bourel (CNRS/Paris 4), Nuremberg dans la mémoire allemande ; 11 avril 2012 : Matthias
Steinle (université Sorbonne Nouvelle Paris 3), Le triomphe de la volonté : Les images de
Leni Riefenstahl dans la mémoire cinématographique.
Sur place il s’est agi d’appréhender la manière dont Nuremberg, jadis qualifiée de
« ville la plus allemande de toutes les villes » et constituée en haut lieu de mémoire allemand
depuis le XIXe siècle (cf. la fondation du Germanisches Nationalmuseum), est confrontée,
dans la politique de gestion du passé, à la mémoire traumatique du nazisme comme à celle de
la dénazification. Comment concilier aujourd’hui la mémoire hyper-dominante de la barbarie
nazie et les mémoires politiques du Saint-Empire romain germanique (Nuremberg comme
siège de Diète d’Empire et ville de couronnement des empereurs) ou celle des libertés
communales, ainsi que les mémoires intellectuelles et artistiques (Albrecht Dürer
notamment) ? Car le IIIe Reich s’est lui-même approprié une partie choisie du passé mythifié,
symbolisé par la ville, pour glorifier le nouveau Reich « millénaire » (« Nürnberg. Die
deutsche Stadt von der Stadt der Reichstage zur Stadt der Reichsparteitage », exposition de
1937 au Germanisches Nationalmuseum). Ainsi, la politique d’instrumentalisation de
l’histoire par les nazis a en grande partie conduit Hitler à choisir Nuremberg – et non Munich,
pourtant berceau du « mouvement » – pour les grandes orchestrations et parades du parti nazi
jusqu’à la guerre (1927–1938) et pour la proclamation solennelle des « lois de Nuremberg » à
la base de la législation antisémite du régime (1935). Il faut aussi s’interroger sur les raisons
qui ont conduit les quatre puissances alliées occupantes, en 1945, à établir le tribunal militaire
international chargé de juger les plus hauts responsables du régime nazi à Nuremberg et non à
Berlin – la capitale du IIIe Reich. Outre les arguments de sécurité, et surtout les conditions
matérielles (palais de justice relié à la prison et Grand Hôtel) le choix a eu force de symbole :
la ville des grands rassemblements nazis devenait pour les Alliés celle de la chute du
IIIe Reich. Les procès jugèrent individuellement les hauts responsables, mais aussi les
organisations telles la SS. C’est le mouvement nazi et sa politique qui était condamnés sur le
3 lieu même de leurs plus grandes mises en scène1.
Le parcours que nous avons fait dans la ville a été une véritable enquête de terrain.
Chaque lieu a permis de restituer les différents temps de Nuremberg, de comprendre les choix
mémoriaux passés et actuels, de décrypter la ville à travers ses enjeux locaux, nationaux et
aujourd’hui aussi internationaux.
Das Germanische Nationalmuseum
Nous commençons notre série de visites par le Musée National Germanique. Avant d’y
pénétrer, nous traversons le Chemin des Droits de l’Homme (Weg der Menschenrechte) –
symbole d’universalisme – inauguré en 1993. Réalisé au moment de l’élargissement du
Musée, cette œuvre d’art de Dani Karavan comprend une porte et 27 colonnes blanches
arborant les 30 articles de la déclaration des Droits de l’Homme en allemand et dans d’autres
langues, dont le yiddish. Dani Karavan est un artiste plasticien et sculpteur israélien. Comme
pour la plupart de ses réalisations, le visiteur se déplace au sein de l’œuvre.
Photographies 1 et 2 : Nouvelle et ancienne entrée du Musée
Anja Grebe, historienne d’art et chercheur au Musée National Germanique, est notre
guide. Fondé en 1852 par des associations historiques, ce musée d’histoire, d’art et de culture
allemandes des premiers temps à nos jours est le plus vieux d’Allemagne. Quand il fut
construit, il était extrêmement novateur dans son parti pris de représenter l’histoire à travers
des objets (aujourd’hui près de 1,3 million, dont 25 000 exposés de manière permanente). Les
premières collections étaient abritées dans l’ancienne église de la Chartreuse (datant du XIVe
siècle), épargnée par les bombardements durant la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui la
plus ancienne partie du musée. Si les autres bâtiments furent détruits pendant le conflit, les
collections furent mises à l’abri dans un souterrain et, spécificité de leur histoire, ne quittèrent
pas Nuremberg. Dès 1946, une nouvelle exposition de taille modeste y est inaugurée.
Aujourd’hui, le travail du Musée National Germanique est consacré aussi bien aux visiteurs
qu’à la recherche (« Besucher- und Forschungsmuseum »). Pour cette raison, il emploie une
1
Anne G. Kosfeld, « Nürnberg », in Etienne François, Hagen Schulze (dir.), Deutsche Erinnerungsorte, vol. 1,
Munich, Beck, 2003, p. 68-85; Annette Wieviorka, Le Procès de Nuremberg, Rennes, Éditions Ouest-FranceMémorial pour la paix, 1995.
4 quarantaine de chercheurs de différentes disciplines. Le Musée accueille entre 300 000 et
400 000 visiteurs par an. C’est le plus vaste musée consacré à la civilisation allemande au
monde.
Pourquoi un Musée national « germanique » ?
L’adjectif « germanique » est à replacer dans le contexte de la création du musée et doit
être compris au sens où l’entendaient des chercheurs sur l’histoire et la langue allemandes
(« Germanistik ») tels que les frères Grimm et Leopold Ranke. Après l’unification allemande
manquée de 1848, ce musée avait pour but de rendre compte de l’unité historique et culturelle
de l’espace germanophone. Cette dénomination initiale s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui,
bien que le musée fût officiellement rebaptisé « musée national d’art et de culture allemands »
après 1871.
Photographies 3 et 4 : visite de l’ancienne église de la Chartreuse. Coiffe dorée d’un
prêtre du Soleil, XIe-IXe siècle avant notre ère
Parmi les pièces les plus célèbres du musée, le globe terrestre de Martin Behaim (14921494) ; probablement la plus ancienne représentation de la sphéricité de la terre. Fondé sur
des cartes portugaises et fabriqué avant le voyage de Christophe Colomb, le continent
américain y est naturellement absent. Commandé au XVe siècle par la ville de Nuremberg il
fut mis au grenier dès lorsqu’il fut dépassé. Retrouvé au XIXe siècle, la famille qui en était
propriétaire souhaita le vendre à des Américains dans les années 1930. Le globe fut alors
acheté par Adolf Hitler et Willy Liebel, maire nazi de la ville, et offert au musée. On pense ici
à la fameuse scène du Dictateur de Charlie Chaplin, dans lequel Hynkel (Chaplin) jongle avec
un globe terrestre.
5 Photographies 5 et 6 : globe de Martin Behaim et restauration in situ.
Patrie de Dürer, sans aucun doute le personnage emblématique de la ville, tout évoque
ici le célèbre graveur et peintre. Aussi, ce fut une chance de profiter d’une exposition
temporaire « Le jeune Albrecht Dürer », inauguré le jour de notre visite et présentée comme la
plus importante depuis 40 ans. Elle rassemble de nombreuses peintures, gravures, dessins et
documents d’archives afin de mieux cerner le jeune Dürer (1571-1528), peintre, graveur et
mathématicien allemand né à Nuremberg – sa maison se visite (Albrecht-Dürer-Haus) :
construite aux alentours de 1420 près du château impérial, elle offre un aperçu de la vie et de
l`habitat des années 1500 et on peut y visiter son atelier de peinture. Enfin, dans les pièces
sont exposés des imprimés originaux de Dürer.
Une « vieille ville » des années 1950
Avec plus de 500 000 habitants, Nuremberg est aujourd’hui la deuxième plus grande
ville de Bavière après Munich. Située au sud-est de l’Allemagne, à quelque 200 kilomètres de
Munich et de Stuttgart, elle demeure au cœur de la Moyenne-Franconie allemande. Cité
médiévale dont les origines remontent au milieu du XIe siècle, son passé historique se révèle à
travers la découverte de la vieille ville. Malgré sa quasi-totale destruction durant la Seconde
Guerre mondiale, le centre historique de Nuremberg n’en demeure pas moins touristique et
instructif. La vieille ville de Nuremberg entièrement reconstruite dans les années 1940, se
découpe toujours en deux quartiers urbains séparés par la rivière Pegnitz.
Du même nom que les deux édifices religieux : au nord, le quartier de Sébald, au sud,
celui de Lorenz. Son riche passé médiéval a été l’objet d’une instrumentalisation par
l’idéologie nazie qui en fait une ville de prédilection pour illustrer le prestige historique
allemand.
Les principaux lieux historiques de la ville nous permettent de mieux comprendre
l’importance que Nuremberg a eue dans l’élaboration de la propagande du IIIe Reich. Avec
l’aide de notre guide, Matthias Gemählich, nous avons exploré le centre de la vieille ville du
sud au nord. De l’église St Lorenz, située sur la Lorenzer Platz jusqu’au Kaiserburg Nürnberg,
6 au nord-ouest. Le parcours tracé, de la carte ci-jointe, en donne une représentation respective.
Hormis le Germanisches Nationalmuseum, le parcours de cette journée s’étend sur sept lieux
historiques de Nuremberg. La place de l’église St Lorenz, le couvent St Katharina, les plaques
commémoratives des anciennes synagogues du chemin Leo-Katzenberger, la place du marché
de l’église Frauenkirche, l’église Saint Sébald, le Kunstbunker, et enfin, le château médiéval
de Nuremberg ou Kaiserburg Nürnberg.
Les quartiers Nord et Sud
Nuremberg est une ville médiévale dont les origines remonteraient au moins jusqu’au
milieu du XIe siècle. En effet, les sources historiques font mention d’un acte, daté de 1050,
signé de la main de l’Empereur Henri III concernant la citoyenneté d’une femme résidant
dans la ville de Nuremberg. Dès ses origines, il semblerait que la cité fût édifiée pour
accueillir et ravitailler les armées de l’Empereur. En 1219, Frédéric II octroie à la ville son
autonomie par la Große Freiheitsbrief ou « grande lettre de liberté ». Le quartier nord est plus
ancien, il se caractérise surtout par son centre culturel, tandis que le sud s’apparente à
l’activité économique de la ville. Du XVe au XVIe siècle, Nuremberg resplendit du commerce
des épices en raison de sa position centrale en Europe. La ville grandit et rayonne de son
activité économique et culturelle. C’est à Nuremberg que le peintre et graveur Albrecht Dürer
voit le jour. À partir du XVIe siècle, la découverte des Amériques bouleverse l’activité de la
ville. Celle-ci doit faire face à la concurrence venue d’Europe de l’Ouest, où les ports de
transits portugais et espagnols déchargent les denrées venues du Nouveau monde, et
notamment, les épices. Ainsi, sa population chute progressivement à l’époque moderne pour
atteindre quelque 20 000 habitants au XVIIe siècle. Cependant, Nuremberg s’adapte en se
tournant vers l’activité industrielle. Par exemple, l’industrie du jouet, dont la ville fait encore
figure de capitale aujourd’hui.
L’église St Lorenz
Du nom du quartier sud de la vieille ville, l’église Saint Lorenz domine la Lorenzer
Platz. Sa construction débute en 1260. Elle abrite les reliques de Saint-Deocarus, confesseur
de Charlemagne. Église à l’origine catholique par son architecture, après la Réforme au
XVe siècle, elle devient l’objet d’un culte protestant, auquel la ville de Nuremberg est très
attachée. Cependant, les sculptures ou rosaces restent présentes sur les façades de l’édifice.
Au pied de la façade de l’église se trouve une rangée de dalles en granite. Elles représentent
les restes des dalles qui étaient destinées à l’origine à paver la voie monumentale prévue par
Hitler ainsi que le sort des prisonniers, asservis aux travaux forcés pour édifier les vastes
espaces de rassemblement voulus par le IIIe Reich.
Le couvent Sainte Katharina
Aujourd’hui nommé « St. Katharina, open air » en raison de son accueil pour les
spectacles, cet espace abritait autrefois un ancien couvent dominicain. Abandonné en raison
des dégâts causés par les bombardements des Alliés sur la ville, ce lieu devient l’objet de
manifestations culturelles en plein air. À partir de 1424, ce couvent abrite les regalia
impériales ou joyaux de la couronne. Nuremberg est choisie pour abriter les trésors de la
couronne, symboles de l’autorité impériale. On comprend ainsi l’importance que la ville a pu
avoir tout au long de l’époque médiévale. À l’approche de l’armée française, vers 1796, les
objets impériaux sont transmis à Vienne, en Autriche. En 1938, après l’Anschluss, Hitler
décide de les renvoyer à Nuremberg.
7 Photographies 7 et 8 : Eglise St Lorenz, monument commémoratif aux travailleurs forcés.
Monunent de l’ancienne synagogue
La place de l’ancienne synagogue
À l’emplacement de l’ancienne synagogue est érigé un monument commémoratif. Cette
synagogue a été brûlée dès août 1938, soit plusieurs mois avant les pogromes antisémites des
9 et 10 novembre 1938, connus sous le nom de « Nuit de Cristal ». En effet, le dirigeant nazi
Julius Streicher, patron du plus antisémite des journaux nazis Der Stürmer et Gauleiter de
Franconie, fit de cette région, dont Nuremberg était la capitale, un laboratoire de
l’antisémitisme nazi.
Aujourd’hui, le monument se trouve à l’angle de la rue Leo-­‐Katzemberger, le long de la rivière Pegnitz. Leo Katzemberger, ancien notable de la communauté juive de Nuremberg, fut accusé de relations sexuelles avec une jeune aryenne, condamné à mort et exécuté en juin 1942. Une plaque commémore sa mémoire. L’abri historique des œuvres d’art - Historischer Kunstbunker im Burgberg
La ville fut pratiquement rasée par les bombardements alliés. Mais la politique de
défense passive, et la géologie protectrice du sous sol, permirent de limiter le nombre de
victimes : environ 5 000 morts soit bien moins que dans beaucoup d’autres villes allemandes.
Témoignage de ces abris protecteurs, celui conçu dans la roche, au pied de la forteresse, pour
protéger les œuvres d’art de la ville et, en particulier, du Musée germanique. La visite permet
de voir les conditions de protection et de surveillance des œuvres. Ces précautions permirent
au musée de reprendre très rapidement ses activités. Une première exposition fut organisée
dès l’automne 1945, alors que le reste de la ville était encore en ruine.
8 Photographie 9 : Historischer Kunstbunker im Burgberg.
Au sud-est de la vieille ville, s’élèvent les édifices de la Kongresshalle et le terrain du
Reichsparteitag sur le vaste champ du Zeppelinwiese. Les grands rassemblements du NSDAP
à Nuremberg avaient vocation à rassembler les foules au nom du principe : « Du bist nichts,
dein Volk ist alles1 ». De 1931 à 1938, les congrès de propagande nazie constituent des
événements nationaux pour lesquels les participants viennent non seulement des villes
limitrophes, mais de toute l’Allemagne. Plus qu’un simple attroupement politique, l’idée
essentielle est bien de rassembler la population allemande afin de renforcer la cohésion
nationale autour du parti national-socialiste. Les grands rassemblements organisés à
Nuremberg, mêlant à des fins de propagande politique nazie et héritage de l’histoire
allemande, ont pour objectif d’édifier l’embrigadement des masses au service de l’idéologie
totalitaire.
9 Nuremberg, vitrine des congrès du parti nazi et lieu de mémoire
La situation géographique centrale de Nuremberg en fait un choix judicieux, du point de
vue nazi, pour accueillir les Reichsparteitage, vastes congrès organisés par le parti nationalsocialiste. Le choix de cette ville bavaroise s’explique par diverses autres raisons. Outre son
aspect central, la ville offre les infrastructures suffisantes pour accueillir les quelque
500 000 personnes qui se rendent à Nuremberg afin d’assister aux congrès du NSDAP. De
plus, la ville est un véritable fief du parti nazi ; cela explique pourquoi, avant que s’instaure la
tenue régulière de congrès à Nuremberg en 1933, la ville accueille deux des quatre précédents
congrès du parti, en 1927 et en 1929. Ce lien avec le parti national socialiste se traduit
également par le soutien indéfectible à Adolf Hitler de Julius Streicher, chef régional du
NSDAP et fondateur du journal antisémite « Der Stürmer »2.
D’un point de vue strictement architectural, Nuremberg représente la ville « la plus
allemande des villes allemandes » comme se plait à le répéter son maire. En effet, on y trouve
une vieille ville médiévale dans ses murs, plusieurs églises construites dans le plus pur style
gothique, des maisons médiévales, et surtout son château surplombant la ville. L’apparence
médiévale de la ville permet de faire un lien facile sur l’histoire de la ville, qui est une
importante cité au Moyen Âge. Depuis la Bulle d’Or de 1356, la ville accueillait chaque
nouveau souverain, qui devait y tenir sa première diète – Reichstag.
Dans le « 3e Reich », cinq villes détiennent le titre de « Ville du Führer », Berlin – la
capitale –, Munich – la ville du mouvement nazi –, Hambourg – la ville du commerce –, Linz
– la ville dans laquelle Hitler souhaitait passer sa retraite après sa carrière politique –, et enfin
Nuremberg. Mais, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, c’est Nuremberg – la ville
historique, au cœur du « 3e Reich » – qui fut choisie pour accueillir les Reichsparteitage. En
choisissant la ville des diètes impériales, Hitler souhaite se placer dans la continuité historique
du Reich et cela est renforcé par l’auto-désignation du régime : le « 3e Reich ». La dimension
de continuité et donc d’appartenance historique est prépondérante, Hitler tisse un lien
symbolique entre le Saint-Empire romain germanique et le « 3e Reich ». Depuis l’arrivée au
pouvoir des nazis, et jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Nuremberg
accueille ces Reichsparteitage qui sont tenus chaque année en septembre. Ces spectacles de
masse rassemblent environ 500 000 personnes. En comparaison, ce chiffre correspond à la
population actuelle de Nuremberg.
Chaque congrès avait sa propre devise, s’inspirant toujours de faits politiques récents.
Le congrès de 1933 est celui de « La Victoire » marquant l’arrivée au pouvoir du NSDAP.
L’année suivante, alors que les membres de la SA, l’une des organisations paramilitaires du
parti, sont exécutés, le congrès prend le titre de « Congrès de l’unité ». La devise que l’on
retrouve sur l’affiche du congrès de septembre 1937 est la représentation la plus révélatrice
toutes ces tentatives. La devise est la suivante : « Nürnberg, die Deutsche Stadt. Von der Stadt
der Reichstage zur Stadt der Reichsparteitage », « Nuremberg la ville allemande. De la ville
des diètes d’Empire à la ville des congrès du parti du Reich ». L’année suivante s’ouvre le
congrès de la « Grande Allemagne », après l’annexion de l’Anschluss au « 3e Reich ». Enfin,
celui qui devait s’ouvrir en septembre 1939 devait avoir pour devise : « le congrès de la paix »,
mais il fut annulé à cause de l’invasion de la Pologne et du déclenchement de la Seconde
Guerre mondiale.
Toutefois, le terme de Reichsparteitage, traduit par « congrès du parti nazi », ne reflète
pas la teneur de ces événements. Il se trouve qu’on est loin de la notion démocratique que l’on
se fait du terme « congrès ». Lors des Reichsparteitage il n’est jamais question de votes,
2
« Le combattant ».
10 débats ou autre échange d’opinion sur les idées du NSDAP. Plus qu’un congrès, ces
rassemblements sont un véritable spectacle de propagande. Pendant la durée du « congrès »,
généralement une semaine, la population de Nuremberg, ainsi que les visiteurs qui viennent
de toute l’Allemagne, assistent, chaque jour, aux processions et défilés des organisations
nazies. Chaque jour étant dédié à l’une d’elles : la SS – Schutzstaffel –, la SA –
Sturmabteilung3 –, les jeunesses hitlériennes – Hitlerjugend –, le Service du Travail pour le
Reich, etc. L’objectif de ces parades gigantesques est, par une mise en scène grandiose, de
réaliser de vastes campagnes de propagande. L’ambassadeur britannique, Nevill Henderson,
présent à Nuremberg lors du congrès de 1937, se retrouve dans la « Cathédrale de Lumière »4
et confesse avoir eu « l’impression d’être dans une cathédrale de glace et pour un instant
(d’avoir) eu l’impression d’être un nazi moi-même ».
Pour renforcer leur aspect monumental, les Reichsparteitage bénéficient
d’infrastructures impressionnantes, permettant l’accueil de quelque 500 000 participants. Le
site des congrès du parti nazi représente donc, d’après les plans et les prévisions, un immense
complexe architectural composé de plusieurs bâtiments : le stade – Deutsches Stadion –, le
palais des congrès – Kongresshalle –, l’arène – Luitpoldarena –, et de terrains pour les
manœuvres et les défilés : le champ de Zeppelin – Zeppelinfeld –, le champ de Mars –
Märzfeld –, la Grand-rue – Grossestrasse.
La visite du site des congrès du parti nazi, principalement du champ de Zeppelin, de la
Grand-rue, la salle des congrès et du stade, s’accompagne également d’une exposition
permanente dans le Dokumentationszentrum, le Centre de Documentation. L’appellation est
particulière car il n’est pas question, ici, d’un musée. On n’y trouve pas d’œuvres originales,
mais plutôt des tableaux d’information. Le Dokumentationszentrum est inauguré en 2001 et
n’a de cesse, depuis, d’attirer des visiteurs toujours plus nombreux.
La Kongresshalle
La visite, guidée et commentée par Matthias Gemählich s’ouvre sur la Kongresshalle, le
Palais des Congrès.
La salle des congrès a été conçue par les architectes Ludwig5 et Franz6 Ruff, père et fils.
La première pierre de l’édifice est posée en 1935.
La salle des congrès inspirée par Colisée de Rome, devait accueillir jusqu’à 50 000
personnes. Interrompue en 1939 par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la
construction ne reprendra jamais. Toutefois le palais des congrès est le plus grand édifice
conservé de l’architecture nazie.
Après 1945, l’édifice devient la propriété de la ville de Nuremberg et est par la suite
utilisé comme entrepôt. Il y eut des plans de démolition pour permettre une reconversion du
bâtiment. En stade de sport d’abord, dans les années 1960, puis en un centre de shopping dans
les années 1980. Aucun de ces projets ne fut réalisé, moins pour des raisons politiques que
financières.
Aujourd’hui la ville de Nuremberg est tenue de conserver la salle des congrès. Dans la
partie nord de l’édifice se trouve le centre de documentation sur les congrès du parti nazi, la
3
Jusqu’en 1934, année où ils sont dissous et leur chef, Ernst Röhm, exécuté, lors de la « nuit des Longs
Couteaux » du 29 au 30 juin 1934.
4
À l’initiative d’Albert Speer et Joseph Goebbels, le champ de Zeppelin est entouré de projecteurs aériens
orientés vers le ciel, qui forment une coupole de lumière lorsque les faisceaux se croisent.
5
Décédé en 1934
6
1906-1979
11 plupart des autres parties sont louées comme entrepôts à diverses associations privées.
Ci-dessous, les plans pour l’intérieur de la salle des congrès7.
Photographies 10 et 11 : la salle des congrès, projet et état actuel
La Großestraße
La visite s’est poursuivie par un passage sur la grande rue, la Großestraße, une
monumentale allée d’1,5 km de longueur pour 60 m de largeur. Elle a été conçue par
l’architecte du régime, Albert Speer en personne, et était destinée à accueillir de gigantesques
parades militaires. Toujours visible aujourd’hui, l’allée se compose de plus de 60 000 dalles
de granit, taillées de telle sorte que leur longueur correspond à deux pas de l’oie.
L’orientation de la Großestraße est hautement symbolique. Au Nord, elle ouvre une
perspective vers la ville médiévale de Nuremberg, dont on peut encore apercevoir le château
et les principales églises. Elle longe un petit lac en bordure de la Salle de Congrès, lac dans
lequel devait venir se refléter cet impressionnant monument d’architecture nazie. Au sud,
l’allée devait mener jusqu’au champ de Mars. Quand bien même la perspective au Nord
donnait l’image d’une Allemagne éternelle, avec les contours de la ville de Nuremberg, c’est
bien vers le sud et vers le champ de Mars que la procession des soldats et des chars devait
aller. Symboliquement, on partait donc du nord, c’est-à-dire du passé allemand symbolisé par
la capitale de la Franconie, pour aller vers le sud, vers le futur de l’Allemagne.
La Großestraße ne fut pourtant jamais le théâtre de grandes parades puisqu’elle ne fut
achevée qu’en 1939. Après la guerre, elle servit pendant quelques mois à l’aviation militaire
américaine. Restaurée au début des années 1990, cette immense allée sert aujourd’hui de
parking lors de grands événements festifs célébrés aux alentours, festival de musique, fête de
la ville, etc.
7
http://www.museen.nuernberg.de/dokuzentrum/themen/reichsparteitagsgelaende.html#Kongresshalle
12 photographie 12: Les dalles de la grande rue aujourd’hui
La visite fait ensuite escale sur l’emplacement où devait être construit le Deutsches
Stadion.
Le Deutsches Stadion
Du monumental stade souhaité par Hitler et dessiné par Speer, seule la première pierre
fut posée par Hitler en 1937. Elle devait être la base d’un stade aux dimensions titanesques8,
pouvant accueillir plus de 400 000 spectateurs. Son projet, Speer l’évoque dans son ouvrage
Au cœur du IIIe Reich : il écrit avoir envisagé un stade en fer à cheval sur le modèle du stade
panathénaïque d’Athènes.
Les travaux commencent en 1938 par le creusement d’une fosse. Toutefois, pour
vérifier la cohérence du projet et l’exactitude de ses calculs, Speer fait élever – sur une colline
choisie pour sa pente qui correspondait à celle du futur stade – des gradins en béton et en bois.
La « dénivellation » eût été telle que les spectateurs auraient eu besoin de jumelles pour voir
le stade. Il reste aujourd’hui des traces de béton de cette « maquette » en dimensions réelles.
Mais le projet fut, comme beaucoup d’autres dans cette zone, abandonné au début de la
guerre et les travaux de constructions se limitèrent aux fouilles d’excavations. La nappe
phréatique envahit une partie de la fosse qui devint « le lac d’argent » ; le reste de la fosse fut
comblé par des décombres de la ville après les bombardements.
Le passage par l’emplacement du Deutsches Stadion nous amène au lieu sûrement le
plus connu qui a servi, à de nombreuses reprises, à la propagande du parti nazi.
8
Long de 800 mètres et large de 450 mètres, il s’élèverait sur une hauteur totale de 80 mètres.
13 Le Zeppelinfeld
photographie 13: La tribune conçue par Albert Speer
Le lieu acquit son nom en août 1909, lorsque le comte de Zeppelin se posa dans le
champ avec son dirigeable. L’événement marque les populations d’où la conservation du nom
lors de son inclusion dans le Reichsparteitagsgelände.
Le champ a été réaménagé par Albert Speer qui fait construire une gigantesque tribune
d’une hauteur de 23 m pour 50 m de large. La construction est réalisée entre 1934 et 1937.
Le lieu fut aménagé pour accueillir de gigantesques manifestations de masse. D’après le
régime, les gradins pouvaient recevoir 50 000 participants et le champ 200 000. Ces chiffres
sont, selon notre guide, surestimés, l’ensemble de l’infrastructure pouvant accueillir 100 000
personnes. L’architecture imposante permettait à Hitler de surplomber la foule. Ornée de deux
colonnades accueillant des coupes à flammes, la tribune de bois est rebâtie en 1938 en pierre
afin d’affermir son caractère imposant. L’entrée du Führer et des hauts dirigeants nazis se
faisait par la salle d’or située à l’arrière de la tribune.
Plus que des meetings, les manifestations étaient destinées à l’émulation des masses et
constituaient ainsi de grandes démonstrations de force. Les mises en scène calculées
méthodiquement, suscitèrent l’admiration des participants étrangers. L’ambassadeur
d’Angleterre raconte avoir été émerveillé en 1937 par la « cathédrale de lumière » pensée par
Speer. Des projecteurs disposés à intervalle régulier autour du champ étaient allumés
subitement entourant les lieux d’un halo de lumière.
Les rassemblements organisés sur le Champ aux Zeppelin étaient dédiés aux catégories
non militaires du régime. On peut ainsi noter, une journée pour le service du travail « Tag des
Arbeitsdienstes », une pour la jeunesse hitlerienne « Tag der Hitlerjugend », ainsi qu’une
journée pour la société « Tag der Gemeinschaft » au cours de laquelle était organisée une
gigantesque manifestation de femmes gymnastes.
Le 25 avril 19459, deux jours après la prise de Nuremberg, les Américains dynamitèrent
la croix gammée ornant la tribune. La séquence filmée par l’armée américaine constitue une
image forte de la chute du régime nazi. Les colonnades ont été détruites dans les années 1970
du fait de leur délabrement. Le grand mur situé à l’arrière de la tribune, utilisé pour des jeux
de raquette par les nurembergeois, a aussi été sécurisé car il devenait dangereux.
Dans le contexte de pénurie de l’après-guerre, les coupes à flamme ornant les
9
Le symbole est d’autant plus fort que le 20 avril correspond au jour de l’anniversaire d’Hitler.
14 colonnades ont été utilisées par la municipalité afin de constituer des bassins destinés à la
baignade des enfants.
Un travail de mémoire a commencé en 1985 avec l’organisation, dans la salle d’or, de la
première exposition nommée « La fascination et la terreur sur les rassemblements des
Reichsparteitage ».
Aujourd’hui le lieu est utilisé pour deux grandes manifestations : le festival de musique
Rock Im Park, ainsi que la course automobile Norisring.
photographies 14 et 15: Sur les gradins, les publicités ont remplacé les étendards nazis.
Une coupe à flamme, repeinte et transformée après 1945 en bassin pour enfants
Enfin, la visite s’achève par le centre de documentation
Centre de documentation sur le site du congrès du parti nazi,
le Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände
Inauguré le 4 novembre, 2001, le centre de documentation, du 110 Bayernst à
Nuremberg (photographie 1), se situe sur l’ancien site du congrès du parti nazi –
Reichsparteitagsgelände –, au sud-est de la ville, au cœur de l’immense complexe
architectural construit par les nazis pour leurs rassemblements et parades militaires annuels.
C’est à la fin des années 1990, que débute la construction du centre de documentation,
selon les plans de l’architecte autrichien Günther Domenig, vainqueur du concours
international organisé pour la circonstance. Günther Domenig voulu faire de ce nouveau lieu
un symbole architectural en « liant les deux bâtiments », c’est-à-dire, conserver dans un même
site, le bâtiment original du palais des Congrès, reconnaissable à son architecture en briques et
ériger en son sein, le nouveau centre de documentation en acier, clinker (ciment artificiel) et
verre, avec une façade de granit. La singularité du site s’exprime aussi par la flèche de verre et
de métal, sorte de javelot (Speer) qui transperce le bâtiment et dont la pointe marque la fin de
l’exposition permanente (photographie 3) et qui contraste avec l’architecture rigide et
classique du Reichsparteitagsgelände.
15 Le centre de documentation n’est pas un musée, stricto sensu, car son exposition
permanente ne dispose pas d’objets originaux, mais est constitué pour l’essentiel de tableaux
d’information et d’audio-guides pour des visiteurs essentiellement allemands, anglo-saxons et
canadiens.
L’intitulé de l’exposition permanente : « Fascination und Gewalt » (Fascination et
Terreur), qui a accueilli en 2011, près de 200 000 visiteurs, illustre l’objectif mémoriel du
centre à savoir présenter à un public, de scolaires de la région en majorité (près de 62 % des
visiteurs, en 2011), l’histoire du nazisme, de l’ascension au pouvoir d’Hitler aux procès de
Nuremberg, à travers 19 salles d’expositions, en particulier les salles 5 à 16 (du « mythe du
Führer », au champ Zeppelin). Cette volonté pédagogique s’exprime également par
l’existence de programmes éducatifs, dont des visites de terrain du Reichsparteitagsgelände et
des forums d’étude, dans deux grandes salles du centre de documentation, lieux de débats
entre élèves, professeurs et conférenciers du musée.
Photographie 16 : L’entrée du Dokumentationszentrum Reichsparteitagsgelände
16 Visite du Memorium des procès de Nuremberg
Le palais de justice de Nuremberg est connu pour avoir abrité le premier tribunal
militaire international pour juger les grands criminels de guerre allemands entre le
20 novembre 1945 et le 1er octobre 1946. Aujourd’hui, la salle d’audience 600 est ouverte au
public, qui peut la découvrir, accompagné d’un guide ou seul, et le troisième étage du palais
de justice abrite une exposition permanente retraçant l’histoire des différents procès ayant eu
lieu à Nuremberg (après le procès organisé par le tribunal militaire international, les procès
dits « successeurs » organisé par le tribunal militaire américain) et l’histoire de la justice
pénale internationale. L’une des particularités du palais de justice est cependant que, loin
d’être seulement un musée, il encore en activité et rend la justice au nom du gouvernement de
Bavière.
Photographie 17 : Entrée du Memorium
La salle d’audience n° 600, un lieu de justice
À la suite de la conférence interalliée de Londres, qui institue un tribunal militaire
international pour juger les grands criminels de guerre nazis, l’Union Soviétique et les ÉtatsUnis s’opposent sur le lieu du procès à venir. Pour les Soviétiques, il doit se dérouler dans
l’ancienne capitale du Reich, dans leur zone d’occupation. De leur côté, les Américains
refusent, préférant la ville de Nuremberg, avec succès puisque Staline renonce à Berlin lors de
la conférence de Potsdam. Les autorités américaines font toutefois deux concessions : le siège
permanent du tribunal est fixé à Berlin, ainsi que la séance d’ouverture.
Pour ce premier grand procès international de dirigeants d’un État, le choix de
Nuremberg peut sembler symbolique. Il a, en tout cas, été analysé comme tel par plusieurs
observateurs. Nuremberg était la ville des congrès nazis, le lieu par excellence de la puissance
des mises en scène du NSDAP. Y tenir les procès contre les grands criminels de guerre était
alors un moyen, pour les Alliés, de mettre le régime en accusation à partir de la ville préférée
d’Hitler et d’y clore une décennie de racisme d’État ouverte avec les lois antisémites de 1935.
Mais en fait, pour l’armée américaine, c’est avant tout d’un point de vue matériel que
Nuremberg était un lieu adéquat. D’une part, le palais de justice, la prison qui lui est reliée par
un tunnel, l’hôtel de ville et le Grand Hôtel n’avaient pas été détruits par les bombardements
alliés sur la ville et les usines d’armement. D’autre part, Nuremberg se situe en position
centrale sur le territoire allemand, est bien desservie par les voies de communication, et se
17 trouve dans la zone d’occupation américaine.
La salle 600 est choisie par l’armée américaine car elle est la plus spacieuse. Cependant,
encore trop exiguë pour accueillir les quatre délégations de procureurs, les juges et les accusés,
les installations pour le filmage (inspirées par le réalisateur John Ford, qui a travaillé pendant
la guerre pour l’Office of Strategic Studies, mais qui n’est à aucun moment présent à
Nuremberg), les journalistes accrédités et les visiteurs souhaitant écouter les débats et
l’exposé des preuves, elle est agrandie. Le mur arrière est abattu, et une galerie
supplémentaire formant un balcon est construite. Un écran est également installé pour la
projection de documents 10 ainsi que les éléments techniques nécessaires à la traduction
simultanée lors des audiences : pupitres, câbles, circuits électriques, etc. Pour des raisons de
sécurité, les fenêtres sont condamnées. Les accusés sont amenés depuis la prison voisine par
un couloir la reliant au palais de justice, avant de prendre un ascenseur pour monter et entrer
par la porte faisant face aux fenêtres.
Photographie 18 : La salle d’audience n° 600, en 1945/46, lors du procès des grands
criminels de guerre. À gauche, les accusés ; à droite, le banc des juges (on reconnaît les
drapeaux alliés). La photographie a sans doute été prise depuis la galerie qui surplombe
la salle. ©: National archives, College Park, MD, USA.
Après le procès des grands criminels de guerre nazis, les Américains organisèrent douze
autres procès – appelés les procès successeurs ou les procès des professionnels – dans le
palais de justice de Nuremberg et ce n’est finalement qu’en 1961 qu’ils rétrocédèrent le
bâtiment au Land de Bavière.
L’exposition permanente, raconter et faire réfléchir
Depuis 2010, le palais de Justice de Nuremberg accueille le Memorium, qui fait partie
intégrante du Centre de documentation de la ville, situé dans l’ancien Centre des Congrès. Au
troisième étage du palais de Justice, cette exposition permanente reprend les grandes étapes et
les enjeux principaux du tribunal militaire international, en l’inscrivant dans l’histoire de la
mise en place d’une justice internationale.
L’exposition fonctionne au moyen de grands panneaux avec des iconographies, des
textes explicatifs et aussi des tableaux, des schémas, des plans au sol, des écrans interactifs et
divers objets, comme l’un des bancs des accusés. L’ambition affichée est pédagogique, avec
10
Les Américains ont présenté deux films lors du procès, les Soviétiques un. À ces films s’ajoutent diverses
images, comme des affiches et des photographies, à l’exemple de celles commentées par l’Espagnol Francisco
Boix pour l’accusation française.
18 pour public premier les scolaires allemands. Les premiers panneaux rappellent les principes
des conférences de Genève et de La Haye au tournant du XIXe et XXe siècle, le pacte de la
Société des Nations ou encore le pacte Briand-Kellog, puis ils expliquent les principes de la
charte de Londres signée durant l’été 1945 et instituant le tribunal militaire international.
L’essentiel de l’exposition présente le fonctionnement du tribunal, son organisation et ses
grands moments. L’attention se porte en particulier sur les différents acteurs : les juges, les
procureurs – à commencer par Robert H. Jackson, le procureur américain et aussi le maître
d’œuvre du procès –, les 21 accusés (le banc de l’époque constitue l’une des pièces originales
de l’exposition) avec une explication des chefs d’inculpation et des stratégies de la défense,
les témoins. Certains aspects techniques sont explicités, tels que la machinerie nécessaire à la
traduction simultanée, la place laissée aux journalistes, le filmage du procès. Après avoir
récapitulé le déroulement du procès, un panneau rend compte des verdicts et une salle de
projection permet de visionner et d’écouter les témoins appelés aux procès.
La deuxième partie de l’exposition revient sur les autres procès de criminels de guerre
et insère le tribunal militaire international dans une histoire plus vaste : procès successeurs,
procès organisés par les autres puissances occupantes dans leur zone d’occupation, procès de
Tokyo pour les criminels japonais (dont le statut reprend le statut du tribunal militaire
international)... Une salle présente également le renouveau de la justice internationale dans les
années 1990, à la faveur de la fin de la guerre froide, avec le tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie et le tribunal pénal international pour le Rwanda, et les liens entre la justice
rendue à Nuremberg et la Cour de Justice internationale de La Haye.
Loin d’être seulement un lieu de documentation, l’exposition se veut un espace
pédagogique destiné à former. Elle se termine en effet avec une vidéo dans laquelle l’ancien
correspondant américain de The Stars and Stripes, Norbert Ehrenfreund 11 , intervient
longuement devant des adolescents, pour évoquer ses souvenirs de Nuremberg, son analyse de
la justice internationale et du rôle des jeunes générations pour faire vivre une certaine idée de
l’homme et du droit. Ce qui n’a d’ailleurs pas été de soi, et continue d’être en débat.
Tensions autour d’un projet historique
L’histoire de la salle n° 600 et de l’exposition permanente du palais de justice est
révélatrice de tensions autour de l’utilisation de cet édifice et de sa finalité avec, en toile de
fond, des visions différentes entre les acteurs allemands dans la gestion du passé et de la
mémoire.
En 1961, lorsque les Américains quittent le palais de justice de Nuremberg, la salle est
rendue au département de Justice de la Bavière. Le Land souhaitant en faire exclusivement un
lieu de justice et tourner la page du passé, la salle 600 est totalement réaménagée et les
meubles sont changés. Seuls restent les murs et leurs décorations. Dans les années 1980, une
nouvelle prison est également construite pour accueillir les condamnés, l’ancienne ne servant
qu’aux personnes en attente de jugement. À ce moment, la seule trace du passé de la
dénazification est une plaque mentionnant que s’est déroulé dans ce lieu un procès devant un
tribunal militaire international.
Les choix du Land de Bavière ne sont cependant pas sans rencontrer des oppositions
croissantes. Au début des années 2000, sous la pression de l’association « Geschichte für Alle
e.V. – Institut für Regionalgeschichte », très liée au musée de la ville de Nuremberg, il
autorise ainsi que soient organisées des présentations pour les touristes, principalement
étrangers et notamment américains (il n’y a alors pas réellement de demande sociale forteà
Nuremberg). Dans l’escalier qui permet d’accéder à la salle du procès, six tableaux sont
accrochés avec des éléments d’information sur l’histoire du lieu, en anglais et en allemand.
11
Norbert Ehrenfreund est l’auteur, notamment, de The Nuremberg Legacy. How the Nazi War Crimes Trials
changed the course of History, New York, Palgrave MacMillan, 2007.
19 Mais, pour l’association et la ville de Nuremberg, il faut aller plus loin. Après plusieurs
années, un nouveau compromis est élaboré, permettant la mise en place de l’exposition située
au 3e étage du bâtiment, avec des financements venant de la ville, de l’état de Bavière et du
gouvernement fédéral.
Photographie 19 : La salle d’audience 600, aujourd’hui.
Aujourd’hui, la situation du palais de justice est encore loin d’être définitivement réglée.
En effet, le compromis passé entre la Bavière et la ville de Nuremberg reste précaire. La
municipalité, ses équipes culturelles et l’association « Geschichte für Alle e.V. – Institut für
Regionalgeschichte », souhaitent voir agrandi le Memorium. Ils veulent aussi que la salle 600
soit exclusivement consacrée à l’accueil de visiteurs. De son côté, le comité scientifique qui
dirige le Memorium a pour projet de monter une Académie des principes de Nuremberg, une
sorte d’école de droit et de justice internationale. Sans succès pour l’instant, la Bavière
refusant de céder le lieu. Reste cependant que, dans cette perspective de basculement
progressif du palais de justice d’une fonction judiciaire à une fonction d’histoire, le
Memorium peut être considéré comme le témoin d’une transition entre une période marquée
par la volonté de tourner la page du passé et une autre dans laquelle ce passé est redécouvert
et valorisé.
20 Bibliographie :
http://www.gnm.de
Bernhard Deneke, Rainer Kahsnitz (éd.), Das Germanische Nationalmuseum. Nürnberg
1852–1977. Beiträge zu seiner Geschichte, Munich/ Berlin, Deutscher Kunstverlag, 1978.
François Delpla, Nuremberg : face à l’Histoire, Paris, L’Archipel, 2006.
Eckart Dietzfelbinger, Gerhard Liedtke. Nürnberg - Ort der Massen: das
Reichsparteitagsgelände : Vorgeschichte und schwieriges Erbe. Berlin, Ch. Links, 2004.
Hilary Earl, The Nuremberg SS-Einsatzgruppen Trial, 1945-1958. Atrocity, Law, and History,
Cambridge University Press, Cambridge, 2009.
Ernst Eichhorn, Kulissen der Gewalt: das Reichsparteitagsgelände in Nurnberg, Munich,
Hugendubel, 1992.
Antoine Garapon, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner : Pour une justice
internationale, Paris, Odile Jacob, 2002.
Leon Goldensohn, Les entretiens de Nuremberg, Un psychiatre face aux criminels de guerre
nazis, Paris, Flammarion, 2005.
G. Ulrich Großmann, Germanisches Nationalmuseum – Führer durch die Sammlungen,
Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 2001.
Irmtraud von Andrian-Werburg, Das Germanische Nationalmuseum: Gründung und Frühzeit.
Begleitheft zur Ausstellung. Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 2002.
Kosfeld Anne G., « Nürnberg », in: Etienne François, Hagen Schulze (éd.), Deutsche
Erinnerungsorte, vol. 1, Munich, Beck, 2003, p. 68-85.
Léon Poliakov, Le Procès de Nuremberg, Paris, Julliard, 1971.
Alexander Schmidt, Geländebegehung. Das Reichsparteitagsgelände in Nürnberg,
Nuremberg, Sandberg Verlag, 42005.
Telford Taylor, Procureur à Nuremberg, Paris, Seuil, 1998.
Markus Urban, Die Konsensfabrik. Funktion und Wahrnehmung der NS-Reichsparteitage
1933-1941, Göttingen, V&R, 2007.
Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Paris, Liana Levi, 1995.
Siegfried Zelnhefer, Die Reichsparteitage der NSDAP. Geschichte, Struktur und Bedeutung
der größten Propagandafeste im nationalsozialistischen Feierjahr, Nuremberg, Korn & Berg,
1991.
The nazi party rally grounds in Nuremberg. A short guide, Nuremberg, 2009.
Fascination and Terror. Documentation Centre, Nazi party Rally grounds Nuremberg,
Dokumentationszentrum, Nuremberg, 2006. [catalogue de l’exposition permanente]
Ce compte rendu est le résultat d’un travail collectif de :
9 encadrants
Anne COUDERC
Corine DEFRANCE
Isabelle DAVION
Maryvonne LE PULOCH
Josette MATEESCO
Alice TAJCHMAN
Fabrice VIRGILI
Éva WEIL
Annette WIEVIORKA
18 étudiants et jeunes chercheurs
Denise BARTFELD
Tal BRUTTMANN
Béranger CAUDAN-VILA
Jessica COHEN
Clément COUSTENOBLE
Latéfa FAÏZ
Romain FAURE
Hennig FAUSER
Annette GONDELLE
Bernard LUDWIG
Céline PAILLETTE
Anne PASQUES
Guillaume PAGÈS
Raymond PAQUET
Clément RILLON
Régis SCHLAGDENHAUFFEN
Antonin TISSERON
Bérénice ZUNINO
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