Le licenciement pour faute grave: quelques pistes de contestation

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Le licenciement pour faute grave: quelques pistes de contestation
Le licenciement pour faute grave: quelques pistes de contestation devant les
Conseils de Prud’hommes
Par Lionel Parienté
Les litiges relatifs aux licenciements pour faute grave nourrissent abondement les
Conseils de Prud’hommes. Chaque jour, des contestations sont élevées à l’encontre
de licenciements reposant sur des faits qualifiés par les employeurs comme
suffisamment grave pour rompre immédiatement la relation de travail. Mais que
faut-il entendre par « faute grave » ? Quelles sont les possibilités de contestations
ouvertes aux salariés ? Quelques solutions peuvent être dégagées
1) Que faut-il entendre par faute grave ?
Il n’existe aucune définition de la faute grave dans le Code du Travail. En réalité,
la faute grave se définit tout autant par ses incidences financières pour le salarié
que par la gravité qu’attache l’employeur aux faits reprochés.
Si notre Code du Travail est silencieux, une définition de la faute grave existe
néanmoins en Droit International. L’article 11 de la Convention Internationale du
Travail n°158 adoptée à Genève (publiée en France par le décret 90-140 du 9
février 1990) dispose que « la faute grave est une faute d’une nature telle que l’on
peut raisonnablement exiger de l’employeur qu’il continue à payer (ou maintenir)
le salarié pendant la durée du préavis ».
La Chambre Sociale de la Cour de Cassation, au fil de sa jurisprudence a précisé la
notion de la faute grave. (Cass. Sociale 26 février 1991 n°88-44908 et Cass. Sociale
27 septembre 2007 Bull n°146) : La faute grave est celle commise par le salarié,
d’une gravité telle qu’elle rend impossible, même pendant la durée limitée du
préavis, l’exécution du contrat de travail.
D’une part, la faute grave prive le salarié du droit à percevoir son indemnité
compensatrice de préavis (le délai congé visé à l’article L.1234-1 du Code du
Travail) ; elle l’évince également du bénéfice de l’indemnité de licenciement,
visée à l’article L.1234-9 du Code du Travail. D’autre part, la faute grave suppose
que les faits soient constitutifs, aux yeux de l’employeur, d’une faute d’une
gravité suffisante.
Devant les Conseils de Prud’hommes, le contentieux de la faute grave se trouve en
réalité à la conjonction de trois éléments : des faits matériellement établis ; une
gravité certaine de ces mêmes faits par l’atteinte portée aux intérêts de
l’entreprise ; une imputabilité non discutable au salarié.
2) Les pistes de contestation judiciaires offertes aux salariés:
Première piste : La contestation des éléments de preuves versés au débat par
l’employeur :
En Droit, la faute grave oblige l’employeur à faire la démonstration de la
matérialité des faits reprochés, à démontrer que ces mêmes faits constituent une
atteinte grave aux intérêts de l’entreprise, à établir que ces faits sont imputables
au seul salarié.
La Cour de Cassation, par sa jurisprudence fait exclusivement peser sur
l’employeur la charge de la preuve de la faute grave. Il faut ici y voir une
exception à l’article L.1235-1 du Code du Travail qui répartit « le fardeau de la
preuve » sur l’employeur tout autant que sur le salarié en cas de contestation de
licenciement non privatif des indemnités de rupture.
Cette situation s’explique par les termes de l’article 1315 du Code Civil, qui dans
son deuxième alinéa, exige de celui qui se prétend libéré d’une obligation d’en
justifier.
Transposé à l’hypothèse du licenciement pour faute grave, le fait pour
l’employeur de s’abstenir de verser le salaire correspondant à l’indemnité
compensatrice de préavis et à l’indemnité de licenciement, l’oblige à justifier
qu’il n’avait pas à régler lesdites indemnités, du fait de l’existence même de la
faute grave.
Il faut donc retenir que le débat judiciaire relatif à la faute grave est un débat
essentiellement factuel. Les éléments de preuve doivent être « disséqués »,
discutés, et combattus.
Deuxième piste : certains Principes Généraux du Droit :
En premier lieu, le salarié peut mettre en avant « le droit à l’oubli » que suppose la
question de la prescription des faits fautifs. L’article L1332-4 du Code du Travail
institue un délai pour engager une procédure disciplinaire et, par voie de
conséquence, une procédure de licenciement reposant sur une faute grave. En
effet, passé le délai strict de 2 mois, les faits imputés au salarié, fussent-ils fautifs
avec certitude, ne pourraient être le support à l’engagement d’une procédure de
licenciement pour faute grave.
Régulièrement, les débats judiciaires tournent autour de la question de la date à
laquelle l’employeur établit avoir eu connaissance des faits fautifs. En réponse à
cette question, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a solidement établi une
jurisprudence faisant peser sur le seul employeur la charge de la preuve de la date
à laquelle il a eu connaissance des faits fautifs. Au demeurant, la Haute Juridiction
adoptant une conception large de la notion d’employeur, assimile l’employeur aux
services de l’entreprise. C’est ainsi qu’un usage abusif des moyens téléphoniques
de l’entreprise ne sera pas retenu comme constitutif d’une faute du salarié dès lors
qu’il ressortira des débats que l’employeur avait eu nécessairement connaissance
des faits à la date de réception du relevé téléphonique transmis à l’entreprise.
En deuxième lieu, la question du cumul prohibé des sanctions peut également
constituer un élément de contestations pertinentes. Rappelons qu’au nombre des
préceptes qui jalonnent notre Droit figure la règle dite « non bis in idem ».
Particulièrement éprouvée en droit pénal, elle est un des piliers des droits de la
défense. Cette règle d’Ordre Public est transposée en droit du travail. Elle consiste
à interdire à l’employeur de sanctionner deux fois un salarié pour un même fait.
Considérant un fait qu’il estimera fautif, l’employeur devra utiliser une sanction
unique dans l’échelle des sanctions. S’il a déjà sanctionné d’un avertissement, le
salarié pourra donc contester son licenciement pour faute grave dès lors que celuici reposera sur les mêmes faits que ceux ayant préalablement donné lieu à la
notification de la sanction que constituait à l’époque l’avertissement.
Il importe cependant d’être particulièrement vigilant quant à la compréhension de
la notion d’identité de fait. Les mêmes faits sont en réalité des faits identiques en
tout point et non des faits similaires. En effet, dès lors que les faits, les dates, ou
les éléments entourant la commission de ces faits s’avéreraient être distincts, ils
pourraient donner lieu à des sanctions disciplinaires et par voie de conséquence à
un licenciement disciplinaire nonobstant l’existence d’une sanction antérieure
survenue pour l’un des autres faits invoqués par l’employeur.
C’est donc la faute contractuelle identifiable en lieu, en temps, et en commission
qui devra donner lieu à une seule et même sanction.
Troisième piste : Les dispositions légales spécifiques :
« La procédure est sœur jumelle des Libertés ». Cet emprunt à une citation célèbre
trouve particulièrement écho en matière de faute grave. Le licenciement pour
faute grave s’inscrit dans le champ du droit disciplinaire dont chacune des
dispositions légales est d’Ordre Public.
Dès lors, ce que d’aucun qualifie à tort d’argument de forme constituera une
garantie de fond. Il en est ainsi du délai d’un mois imparti à l’employeur pour
notifier au salarié son licenciement pour faute grave. Le respect de ce délai d’un
mois constitue à l’évidence une garantie de procédure. Néanmoins, cette même
violation de ce délai constitue tout autant une garantie de fond privant le
licenciement de cause réelle et sérieuse.
Il résulte en effet de l’article L.1332-2 du Code du Travail fait obligation à
l’employeur d’adresser au salarié sa lettre de licenciement pour faute grave dans
le délai d’un mois suivant la date à laquelle était fixé l’entretien préalable. La
jurisprudence, complétant cette disposition légale nous enseigne également que
peu importe que l’entretien préalable ne se soit finalement pas tenu du fait de
l’absence du salarié.
On le voit donc, la contestation des licenciements pour faute grave, loin de réduire
le salarié au rôle de « victime » d’une décision arbitraire, autorise en réalité à
organiser sa défense prud’homale sur le terrain des faits tout autant que du droit.
Le combat est donc loin d’être perdu d’avance.