Un cas de mucocœle cervicale sur un Dogue de Bordeaux

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Un cas de mucocœle cervicale sur un Dogue de Bordeaux
Cas clinique
Un cas de mucocœle cervicale
sur un Dogue de Bordeaux
Dr Sanspoux Frédéric, DMV.
16 rue des Rochettes - 87300 Bellac
Décembre 2012
Un Dogue de Bordeaux âgé de 10
mois
est
présenté
à
son
vétérinaire
pour
une
masse
fluctuante et indolore apparue
progressivement sous la gorge.
Ce dernier a réalisé une ponction
qui
a
révélé
une
lésion
inflammatoire
suppurée
pyogranulomateuse associée à
des bactéries. La conclusion du
laboratoire était en faveur d'un
abcès.
Technique chirurgicale
Le
chien
est
positionné
latéralement, le cou posé sur un
coussin afin de tendre les tissus et
d’exposer correctement le site
chirurgical (photo 1). Une incision
est pratiquée verticalement de la
base du conduit auditif jusqu'à la
veine linguo-faciale, en avant de
la branche montante de la
mandibule.
Un traitement anti-inflammatoire
et antibiotique a procuré une
nette amélioration mais celle-ci a
été de courte durée car la masse
est réapparue dès l’arrêt du
traitement.
Un mois plus tard, elle a été
retirée par le confrère qui a
confirmé
le
diagnostic
du
laboratoire. 45 jours ont passé et
une nouvelle masse d'aspect
fluctuant
s'est
installée
progressivement.
Le
chien
continuait à très bien aller et ne
présentait plus de température.
Le confrère a effectué une
paracentèse qui l’a mis sur la voie
de la mucocœle.
L’animal a ensuite été référé pour
l’intervention chirurgicale.
Photo 1 : Positionnement du patient pour l’exérèse
des glandes mandibulaires et sublinguales.
Il existe une capsule fibreuse
commune aux glandes sublinguale
et mandibulaire. Elle est incisée et
la dissection des deux glandes
commence. Il n'est pas possible
d'en retirer une sans léser l'autre.
La glande sublinguale est située
rostro-ventralement par rapport à
la glande mandibulaire.
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Des écarteurs de Gelpi sont
disposés de manière orthogonale
afin de dégager correctement le
champ opératoire et de bien
visualiser le site chirurgical (photo
2). Une branche du second nerf
cervical court le long de la
capsule, il convient de l’éviter en
l’incisant.
Photo 2 : Apparition de la glande mandibulaire une
fois la capsule incisée.
Une pince d’Allis est placée sur la
glande mandibulaire afin que
l'aide
exerce
une
traction
constante vers l'arrière, ce qui
facilite la dissection (photo 3).
Celle-ci doit être minutieuse et
précise.
poursuit rostralement jusqu'au
croisement
des
canaux
des
glandes
mandibulaire
et
sublinguale
avec la
branche
linguale du nerf trijumeau. Il est
parfois nécessaire de réaliser une
myotomie du muscle digastrique
pour poursuivre la dissection le
plus rostralement possible. Une
ligature résorbable 2/0 ou 3/0 est
alors posée sur les canaux avant
de les sectionner. La photo 4
illustre les glandes mandibulaire
et
sublinguale
juste
après
exérèse.
Les différents plans sont suturés
individuellement (capsule, tissu
fibreux, plans sous-cutanés et
cutanés) après une abondante
irrigation. En fin d'intervention, la
mucocœle est ponctionnée afin de
ne pas laisser de salive infiltrée
dans les tissus. Un drain peut être
posé pour quelques jours.
Photo 4 : Les glandes mandibulaire et sublinguale
après exérèse.
Photo 3 : Une pince d’Allis est tenue par l’aide qui
tire sur la glande caudalement.
Les branches de l'artère et de la
veine grande auriculaire sont
ligaturées.
La
dissection
se
Les soins postopératoires sont
simples : pansement collé sur la
plaie, éventuellement un carcan
peut-être posé si le chien a
tendance à se gratter.
L'examen de la pièce d'exérèse
doit
révéler
la
glande
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mandibulaire, la portion mono
stomatique
de
la
glande
sublinguale dans son entièreté et
la plus grande partie de sa portion
poly stomatique (photo 5).
chirurgical, ligature du canal
parotidien lors d’une énucléation),
tumeur. Une sialadénite peut
également être à l’origine d’une
mucocœle. Un cas de mucocœle
zygomatique a été décrit suite à
une hémi-maxillectomie.
Le chien possède 4 paires de
glandes
salivaires
(parotide,
sublinguale,
mandibulaire
et
zygomatique) pouvant être à
l'origine de mucocœle. D'autres
glandes accessoires sont décrites
mais elles n'ont pas d'influence
clinique (photo 6). Le chat
possède une cinquième paire de
glandes (glandes molaires).
Photo 5 : Examen de la pièce d’exérèse.
Discussion
La
mucocœle
salivaire
(ou
sialocœle) est une accumulation
de salive dans un espace externe
à une glande salivaire ou de son
canal. La mucocœle n’est pas
assimilée à un kyste, ce dernier
étant une masse liquidienne
entourée par une membrane. Elle
correspond
à
une
collection
diffuse de salive produisant une
inflammation au sein des tissus
dans lesquels elle se propage.
Sa prévalence est assez faible
(<0,3 %). L'origine précise de la
mucocœle est souvent floue mais
il est communément admis qu’elle
peut être consécutive à des
lésions au niveau d’une glande
salivaire ou de son canal. Les
causes de lésion peuvent être
variées :
sialolithe,
corps
étranger, migration erratique de
larves de D. Immitis, morsure,
lésion iatrogène parfois (trauma
Les chiens sont largement plus
atteints que les chats. Il n’y a pas
spécialement
de
races
prédisposées, quoique le Berger
allemand, le Caniche nain et le
Teckel semblent être plus souvent
touchés que les autres races. Il
n’y aurait pas non plus de
différence significative entre les
mâles et les femelles. Les
animaux peuvent être atteints à
n’importe quel âge.
Selon la glande atteinte, quatre
types de mucocœles
sont
décrites : mucocœle cervicale, ou
grenouillette (la plus commune),
mucocœle sublinguale ou ranula,
mucocœle
pharyngienne,
mucocœle zygomatique (la plus
rare). Un cinquième type, dit
complexe, résulte de l’atteinte
simultanée de plusieurs glandes.
Cliniquement,
la
mucocœle
cervicale se manifeste par un
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gonflement
non
douloureux,
fluctuant d'apparition progressive.
Afin de distinguer la glande
responsable de la mucocœle, il
suffit de placer le chien sur le dos,
la pesanteur emporte alors la
masse du côté de la glande
atteinte.
Lors de mucocœle pharyngienne,
des symptômes respiratoires ou
digestifs (dyspnée, dysphagie)
peuvent apparaître. Elle doit
entrer
dans
le
diagnostic
différentiel
des
obstructions
aiguës ou chroniques des voies
respiratoires supérieures.
Photo 8 : Mucocœle cervicale sur un chien croisé
de 10 ans.
Photo 6 : Schéma des différentes glandes salivaires
chez le chien selon Barone.
Non traitée, la mucocœle cervicale
peut prendre des proportions
importantes. Les photos 7 et 8
représentent respectivement une
mucocœle cervicale sur deux
chiens croisés. L’un a été opéré,
l’autre euthanasié suite à une
tumeur hépatique.
Photo 7 : Mucocœle cervicale sur un chien croisé
de 9 ans.
La ranula est une masse de taille
variable pouvant provoquer des
troubles de la préhension ou des
saignements oraux.
Enfin, la mucocœle zygomatique
peut induire une énophtalmie, un
prolapsus de la glande nictitante,
une inflammation périorbitaire,
une douleur à l’ouverture de la
bouche
et
un
strabisme
divergeant.
Pour confirmer la mucocœle,
l'examen
de
choix
est
la
paracentèse qui révèle un liquide
généralement
clair,
filant,
jaunâtre ou teinté de sang. Une
cytologie
peut
compléter
le
diagnostic pour vérifier s'il existe
une composante inflammatoire ou
infectieuse.
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La sialographie est une méthode
qui permet d’explorer l’intégrité
des
canaux
salivaires.
Elle
consiste en l’injection d’un produit
de contraste iodé de manière
rétrograde par les papilles des
différents canaux. L’injection est
réalisée à l’aide d’un petit
cathéter. En cas de rupture du
canal, on observe une diffusion
tissulaire du liquide avant qu’il
n’atteigne la glande salivaire
(photo 9).
La photo 10 illustre ce cas sur un
jeune
Golden
Retriever
qui
présentait une masse fluctuante
en-dessous de l’œil.
exemple) et des œdèmes de la
face.
Photo 10 : Mucocœle parotidienne sur un jeune
Golden Retriever suite à un trauma.
Le pronostic de la mucocœle
cervicale est favorable à 95 %.
Les causes d’échec comprennent
un retrait partiel de la glande
sublinguale ou l’apparition d’une
mucocœle controlatérale.
Photo 9 :
Sialographie réalisée dans le conduit parotidien sur
un jeune Golden Retriever. Le canal est bien visible
à partir de la bouche (flèches du bas). Ensuite, le
produit de contraste diffuse au sein des tissus sans
atteindre la glande (flèches du haut).
Le diagnostic différentiel des
mucocœles comprend des abcès,
des processus inflammatoires ou
nécrotiques, des hématomes ou
des séromes, des phénomènes
tumoraux
(lymphomes
par
Les complications postopératoires
sont rares et souvent inhérentes à
des
ponctions
répétées
qui
peuvent
engendrer
un
phénomène
septique
et
inflammatoire. Un léger sérome
peut être constaté dans les jours
qui suivent l’intervention.
Remerciements
Je tiens à remercier le Dr
Sébastien
ETCHEPAREBORDE
(CHV des Cordeliers) pour le
partage de son expérience sur la
chirurgie de la mucocœle.
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