Review Essay: L`Effet des nouvelles technologies

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Review Essay: L`Effet des nouvelles technologies
Review Essay:
L'Effet des nouvelles technologies
Yveline Montiglio
Queen’s University
New Philosophy for New Media. By Mark B.N. Hansen. Cambridge, Mass.: Londres, G. B., MIT Press, 2006. 333 pp. ISBN 026258266X (pbk).
Neo-Baroque Aesthetics and Contemporary Entertainment. By Angela Ndalianis. Cambridge, Mass.: Londres, G. B., MIT Press, Media in Transition series,
2005. 323 pp. ISBN 0262640619 (pbk).
Les deux livres présentés ici s’intéressent, sous des perspectives différentes, aux
effets de l’introduction des nouvelles technologies. Alors que Mark B. N. Hansen
oriente son étude vers le domaine des pratiques artistiques actuelles, Angela Ndalianis traite, pour sa part, de l’industrie du divertissement. Les deux auteurs viennent d’horizons différents : Mark B. N. Hansen est professeur d’anglais à
l’Université Princeton, au New Jersey; Angela Ndalianis est directrice des programmes d’études cinématographiques à l’Université de Melbourne, en Australie.
Tous deux s’entendent néanmoins sur le fait que l’introduction des nouvelles technologies engendre une nouvelle expérience esthétique.
Dans son livre, Mark B. N. Hansen trace l’histoire du changement de paradigme en matière d’expérience esthétique occasionné par l’introduction des
« nouveaux médias » dans le domaine des pratiques artistiques actuelles. Il
propose également une nouvelle façon de théoriser l’image numérique. Selon
Hansen, l’avènement de l’image numérique nécessite que l’on passe d’une esthétique centrée sur la vision à une esthétique haptique, c’est-à-dire fondée sur une
spatialité intériorisée, ancrée dans l’affectivité du corps. Cette perception haptique précède la perception de l’espace géométrique environnant et s’avère totalement indépendante de ce dernier (p. 12). Pour Hansen, l’image numérique est une
coproduction. Il s’agit en effet d’un processus dialectique dont les deux pôles sont
constitués, d’une part, du flux d’informations numériques non organisé et, d’autre
part, du processus de cadrage de l’image numérique, grâce à la médiation par le
corps du regardeur (p. 12). Pour asseoir sa proposition esthétique, Hansen se base
sur la théorie de la perception de Bergson. Ce dernier présente la perception
comme une fonction enchâssée dans une expérience concrète dont le corps
affectif est le médiateur (p. 5). Par « corps affectif », Hansen entend la capacité
Yveline Montiglio est doctorante en comportement du consommateur à la faculté d'administration à
l'Université Laval, Pavillon Palasis-Prince, Québec(Québec)G1K7P4. E-mail : [email protected].
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des individus à faire des expériences de nature sensitive qui leur permettent
d'expérimenter leur corps de façon nouvelle et créative (p. 6). C’est donc par la
médiation du corps que chacun produit, à partir de l’univers d’images dans lequel
il est immergé, une représentation qui lui est signifiante. Hansen s’oppose à la
perspective de Deleuze selon laquelle le cadrage de l’image se fait par l’intermédiaire de la technologie. Hansen soutient plutôt qu’il n’y a pas d’information ou
d’image possible sans l’entremise du corps. À l’âge du numérique, la sélection ne
se fait plus à partir d’un ensemble d’images préexistantes, mais par le filtrage
d’informations non organisées débouchant directement sur la création d’images
par le receveur (p. 11). En effet, en tant que configuration de points discontinus et
indépendants les uns des autres, l'image numérique n'intègre plus la fonction de
cadrage. Les images numériques relèvent d'un processus de co-création dans la
mesure où elles nécessitent un récepteur pour leur donner un sens. La fonction de
cadrage se situe donc dans le corps et non à l’extérieur de celui-ci (p. 8). De ce
fait, l’esthétique particulière des nouveaux médias découle de la position active
du corps dans l’organisation de l’image numérique (p. 11).
C’est sur le mode du dialogue avec différents auteurs, dont Benjamin,
Bergson, Deleuze et Ruyer, que Hansen construit l’argumentation qui soutient
son approche : une approche phénoménologique qui met l’accent sur le rôle de la
dimension affective, proprioceptive et tactile de l’expérience de la constitution de
l’espace. Chacune des étapes qui conduit le lecteur vers la théorie proposée est
soutenue par des exemples d’œuvres d’artistes (Jeffrey Shaw, Douglas Gordon et
Bill Viola, pour ne citer que ceux-ci) qui mettent à contribution les caractéristiques des nouvelles technologies pour induire de nouvelles formes de relation.
L’auteur a eu la bonne idée de synthétiser chaque chapitre sous forme de tableaux.
Le contenu du livre étant très dense, ces tableaux permettent au lecteur de visualiser les liens entre l’objectif théorique du chapitre, la conception du corps, la conception de l’image et les exemples d’œuvres d’art. Les nombreuses illustrations
d’œuvres d’artistes utilisant les technologies numériques permettent au lecteur de
se faire une meilleure idée des réalisations décrites par l’auteur. Hansen propose
dans ce livre une esthétique du numérique approfondie et bien étayée, soutenue
par de nombreux exemples puisés dans les projets d’artistes actuels, et par l’expérience personnelle de l’auteur face à ces œuvres. Bien que très intéressant, le
travail de théorisation de Hansen mériterait d’être mis à l’épreuve de façon empirique, c’est-à-dire confrontée avec l’expérience vécue du public auquel s’adresse
ce type d’œuvre.
Angela Ndalianis, pour sa part, traite des effets de l’introduction des nouvelles technologies dans l’industrie du divertissement. L’auteure avance que les
médias de divertissement contemporains reposent sur une logique néobaroque
(p. 5). Pour celle-ci, la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle sont néobaroques, dans la mesure où on assiste à un retour des caractéristiques du baroque
accentuées par les technologies de l’information (p. 15). Le baroque est décrit par
l’auteure comme un phénomène transhistorique (p. 19). Ce point de vue permet à
Ndalianis de présenter ses réflexions sur l’industrie du divertissement en prenant
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comme fil conducteur les traits distinctifs qui caractérisent cette période, à savoir
le cadre, les séries, l’intertextualité, l’exploration, la découverte, la virtuosité et le
transcendantal. Le baroque se distingue du classicisme par son inclination pour
les structures ouvertes qui favorisent un polycentrisme dynamique et expansif, et
qui gomment les frontières entre fiction et réalité (p. 25). À notre époque, l’hybridation des médias, c’est-à-dire le mélange de plusieurs supports médiatiques, contribue à rendre les cadres flous. Le phénomène d’hybridation efface non
seulement les frontières entre le spectacle et le spectateur (p. 2), invitant ce
dernier à participer de façon active à l’expérience, mais permet la reprise d’une
œuvre créée pour un média par d’autres médias. Il en va ainsi d’Alien, par
exemple, dont la production cinématographique initiale a donné lieu à des bandes
dessinées ou à des jeux vidéo. La notion de « série », quant à elle, fait référence au
phénomène de reproduction, de copie à partir d’un original. La logique sérielle du
néobaroque est le résultat du contexte de globalisation, des courants postmodernes et de l’évolution des nouvelles technologies (p. 33). L’hybridation des
médias est à la fois la prémisse et le résultat de l’apparition sur la scène économique de conglomérats multinationaux (p. 33). L’esthétique néobaroque est donc
le produit de la structure transmédiatique et transcommerciale de l’industrie culturelle (p. 41). La nouvelle esthétique des productions d’Hollywood est caractérisée non seulement par les films à suite, mais également par les débordements sur
d’autres médias (séries télévisées, films, jeux vidéo ou informatiques, bandes dessinées, bandes sonores) et par la création d’espaces narratifs autonomes et originaux inspirés d’une production initiale (Batman, Tomb Raider) (p. 34). Le
recours à de multiples narrations d’un même scénario original reflète le mouvement d’ouverture particulier au néobaroque (p.33). À titre d’exemple, mentionnons les livres de Star Wars qui, bien que reprenant le cadre des deux trilogies
cinématographiques originales, proposent des histoires tout à fait autonomes. Ce
phénomène nécessite que l’on revoie l’idée traditionnelle de linéarité et de fermeture du récit narratif (p. 69). Les médias du divertissement ne se caractérisent pas
seulement par le polycentrisme de leurs récits, mais également par un recours
accru à l’intertextualité, laquelle exige que le public connaisse la logique, les conventions et l’iconographie de la culture médiatique (p. 72). La signification
devient ainsi le corollaire de la capacité du public à reconnaître les allusions et les
références qui lui sont proposées dans le spectacle auquel il assiste (p. 26). La
culture médiatique néobaroque appelle un nouveau type de spectateur : a medialiterate spectator (p. 79). Tout comme c’était le cas à l’époque du baroque, le néobaroque est associé à la virtuosité : illusions, mises en scènes spectaculaires, théâtralité, effets spéciaux, immersion dans des espaces complexes et interactifs qui
multiplient les perspectives (p.152). Les films se rapprochent de plus en plus des
expériences offertes par les simulateurs que l’on retrouve dans les parcs d’attractions (ride-the-movie) (p. 194). Ces technologies de l’immersion ouvrent sur une
architecture non plus de la vision, mais des sens (idée, soit dit en passant, qu’on
peut apparenter à celles de Hansen) (p. 199). Enfin, le baroque et le néobaroque
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partagent le même intérêt pour le transcendantal : mentionnons à ce titre le thème
messianique de la trilogie de La Matrice.
La perspective transhistorique adoptée par l’auteure pour établir un parallèle
entre le baroque et la période actuelle apparaît comme une approche intéressante,
qui permet à cette dernière de bien mettre en évidence les caractéristiques particulières de l’esthétique propres aux médias du divertissement. Outre le fait de proposer un nouveau paradigme esthétique pour les productions technologiques de
l’époque actuelle, l’analogie avec l’époque baroque présente l’intérêt de proposer
un mode de lecture original de l’industrie du divertissement. Le livre fait également ressortir que, bien qu’assujettie à des intérêts économiques importants,
l’esthétique de la répétition propre au néobaroque n’est pas forcément l’expression d’un manque d’originalité, mais qu’elle offre aussi au public le plaisir
d’interpréter des fragments autonomes, en recourant à une interprétation qui tient
compte d’un environnement culturel plus vaste (p. 69).
Mark Hansen et Angela Ndalianis proposent donc au lecteur deux bons livres
traitant de l’utilisation et des effets des technologies numériques, chacun dans un
domaine d’activité différent. Les deux auteurs soulignent la convergence de
l’évolution de la technologie, des nouvelles modalités de perception et de communication, et d’un nouveau mode de subjectivité. Ils contribuent également à mettre
en évidence que l’âge du numérique nécessite un changement de paradigme esthétique.
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