Fidèle à son terroir - Bourgogne Aujourd`hui

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Fidèle à son terroir - Bourgogne Aujourd`hui
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Rencontre
Guy Roux
Fidèle
à son terroir
Bonnet bleu, survêtement, coups de gueule…
Qui, amateur de foot ou pas, n’a pas été amusé par
les tribulations de l’ex-entraîneur de l’AJ Auxerre !
Un personnage attachant, haut en couleurs et
grand amateur de vin.
Repères
18 octobre 1938 : naissance à Colmar
1951 : première licence à Appoigny
1961 : devient entraîneur-joueur
de l’AJ Auxerre
1962-63 : service militaire à Trèves
avec Lionel Jospin
1979 : première finale (perdue) de la
Coupe de France. Auxerre est
nationalement connu et Roux signe ses
premiers autographes
1980 : accède à la Première division
1996 : doublé coupe-championnat
2005 : dernier match sur le banc
avec une victoire en Coupe
de France contre Sedan
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Guy Roux, vous êtes désormais rangé des
terrains, que faites-vous aujourd’hui ?
Ma fonction principale, c’est d’être responsable de l’éducation des 15 à 18 ans
au centre de formation de l’AJ Auxerre.
Je suis aussi consultant de Canal + pour
le championnat de France de football,
avec un match par semaine et d’Europe 1
pour les grands événements. Quand on
veut exploiter mon image, je la loue en
faisant de la publicité. Et puis, je fais des
conférences sur le management à la
demande des entreprises et au profit de la
chirurgie cardiaque ou d’”Enfants du
Monde”. Enfin, je suis le 23e conseiller
municipal d’Appoigny, sans assiduité,
mais toujours présent pour résoudre les
grands problèmes.
Les supporters adverses vous ont souvent
qualifié de “paysan”. Est-ce une insulte ou
un compliment ?
C’était un compliment non mérité. Je suis
arrière-petit fils de paysan et j’ai beaucoup
d’estime pour ces gens-là qui doivent être
très pointus aujourd’hui. Mais moi je n’ai
aucune qualification. Jusqu’à l’âge de
9 ans, j’ai fait le jardin avec mon grand-
père, ce qui m’a donné un certain nombre
de notions. Je fais un peu de fleurs et
quelques légumes de base. En revanche,
je suis devenu un véritable technicien
des pelouses.
Quels sont vos rapports avec la terre,
le terroir ?
J’ai vécu une immense partie de ma vie
entre Appoigny et Auxerre. J’ai un profond
attachement à ce pays. J’ai la chance
de compter parmi mes meilleurs amis,
des enfants avec qui j’ai été à l’école du village. Je m’intéresse aux activités agricoles
et viticoles. Je suis aussi un goûteur.
Je recherche les saveurs de prunes et de
pommes que j’ai pu manger dans mon
enfance. Je n’ai découvert le vin qu’à l’âge
de 35 ans, car tant que j’ai joué au football,
je n’ai pas bu d’alcool. Depuis, j’ai beaucoup
dégusté mais toujours avec modération.
Chablis doit beaucoup à Guy Roux. Pourquoi cette volonté de mettre le vin en avant
alors que vous êtes impliqué dans le sport ?
Je pense que le citoyen normal qui veut
rester en bonne santé et vivre vieux peut
très bien boire du vin, raisonnablement,
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toute sa vie. Il suffit de voir le nombre de
vieux vignerons qu’on trouve à Chablis.
Je n’ai aucun regret de citer, parfois, le nom
de Chablis. J’en suis fier et si ça fait du
bien aux vignerons, eh bien tant mieux !
Ce sont des gens qui viennent au match,
qui aident le club. Ils ont participé à notre
ascension. Ce n’est qu’un juste retour
des choses.
Vous avez de nombreux amis vignerons.
On dit que les caves sont propices à la négociation lors des transferts.
C’est vrai que lorsqu’on veut créer un
climat favorable pour traiter une affaire,
le meilleur endroit c’est une cave. Je site
souvent le cas de Tainio, un jeune Finlandais convoité aussi par Manchester et
Barcelone. Avec sa famille, nous sommes
allés dans la cave de Jean-Marc Brocard
le développement des vins de cépages... Quel
regard portez-vous sur cette évolution ?
J’ai connu Chablis qui vendait son moût et
ses raisins à Beaune. Ce sont les vignerons
de ma génération qui ont commencé à le
mettre en bouteilles et à le vendre. Donc,
c’est récent. Le phénomène de la concurrence mondiale nécessite de revoir la
manière dont nos vins doivent être mis en
évidence. La délimitation des grands crus,
des premiers crus et autres appellations
villages, et puis tous ces climats, c’est trop
compliqué à 10 000 km de la Bourgogne.
On va expliquer au consommateur qu’en
Bourgogne le chardonnay du chablis
donne aussi un très bon puligny-montrachet
ou un meursault ; ça il va peut-être le
comprendre, mais pas au delà. Les bourgognes, comme les bordeaux, ont cru
longtemps que leur qualité et leur renommée
“Le citoyen normal qui veut rester en bonne santé et vivre vieux
peut très bien boire du vin, raisonnablement, toute sa vie. Il suffit
de voir le nombre de vieux vignerons qu’on trouve à Chablis.”
pendant cinq heures. Et le lendemain
matin, on a signé le contrat. Il y avait un
climat de confiance qui s’était établi.
La lutte contre le tabac est mieux perçue que
celle contre l’alcool. La loi n’est-elle pas trop
facile à contourner ?
Non, je considère que le tabac a un effet
absolu dont on peut se passer. Ce n’est pas
une production locale et ça ne fait que du
mal. Aucune étude médicale ne dit que c’est
bon de fumer, à part les feuilles d’eucalyptus quand on a les bronches un peu prises.
Je participe à la lutte anti-tabac parce que
c’est prouvé que ça fait du mal, même à
dose réduite. Là, je n’ai aucun remords,
même si je suis désolé pour mes amis qui
tiennent des débits de tabac. Tandis que le
vin, consommé dans des proportions
contrôlées par la médecine, n’a jamais
abîmé la santé. De grands cardiologues
considèrent même que ça peut faire du bien.
Le marché du vin traverse une période difficile avec l’arrivée des vins du Nouveau
Monde, la mode des copeaux de bois,
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suffiraient à les protéger. Or, ils sont
copiés. Il faut rapidement trouver une
solution pour se défendre. Peut-être en
prenant des idées chez les autres. Je sais
que les Américains aiment bien voir le nom
de cépage. Alors, mettre “bourgognechardonnay” sur l’étiquette, c’est peut-être
important pour exporter. Quant à la possibilité de mettre des copeaux de bois dans le
vin, c’est une honte.
Vous avez quelques vignes. N’avez-vous
jamais été tenté de faire votre propre vin ?
Non, je ne suis propriétaire d’aucune vigne
mais je possède des parts dans quelques
GFA qui ont bien voulu m’accepter. Le premier était celui de Grenouilles, à Chablis,
qui a été dissous au bout de vingt-trois ans
avant d’être repris par La Chablisienne.
Je suis dans d’autres GFA sur des chablis
grands crus Valmur et Vaudésir et un GFA
amical sur un premier cru Vau-de-Vey et
un chablis générique. Et là, je viens de rentrer chez Alain Jeanniard, qui a ses caves à
Morey-Saint-Denis, pour des parts en
pommard, fixin, chambolle-musigny et
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morey-saint-denis. Quant à devenir vigneron, c’est une autre histoire. D’abord, c’est
un vrai métier. Pas compliqué, mais
savant. Comme les GFA auxquels j’adhère
produisent d’excellents vins, que je
déguste avec plaisir, je n’ai aucune raison
de donner mon nom pour avoir une cuvée
Guy Roux. Ce ne serait pas une valeur
ajoutée. La vraie valeur c’est celle du
vigneron avec le nom de son vin.
Les “Guignols” ont fait de vous un radin.
Est-ce que vous ne jouez pas de cette image,
aujourd’hui ?
C’est une image fausse. À travers moi,
les “Guignols” ont caractérisé la gestion
de l’AJ Auxerre. Harpagon est un bon
acteur dans une œuvre comique. Je suis
simplement l’Harpagon de Canal +. Mais
l’image m’a servi pour faire de la pub car
je représente, dans l’esprit du consommateur, l’archétype du rapport qualité-prix.
Vous êtes amateur de vin et de gastronomie.
Quels sont vos vins et vos tables préférés ?
Choisir, c’est éliminer et je ne vais pas
prendre le risque de me faire des ennemis.
D’autant qu’il y a des gens de qualité dans
toute la Bourgogne. Dans les rouges de
l’Yonne, j’ai un faible pour deux retraités
(comme ça il n’y aura pas de jaloux) :
l’irancy de Jean Podor et le bourgogne
Coulanges-la-Vineuse
de
Raymond
Dupuis. Sur Chablis, pour les mêmes raisons de neutralité, je vais plutôt citer mes
crus préférés : Grenouilles dans les grands
crus et Fourchaume dans les premiers
crus, juste devant les Vaillons et Forêt.
Sur la côte, j’aime beaucoup le chambollemusigny et le pommard Les Epenots.
En ce qui concerne les tables, je vais parler
avec émotion de Bernard Loiseau.
Je l’avais déjà vu en déprime mais sans
avoir imaginé une telle issue. Je regrette de
ne pas avoir pris de ses nouvelles, de ne
pas avoir fait un saut jusqu’à Saulieu.
Dominique et son équipe ont su garder le
niveau. Nous avons aussi près de chez
nous deux autres grandes tables avec
Meneau et Lorain qui a eu la chance
extrême d’avoir un fils aussi doué que lui.
Deux autres étoilés me régalent également,
Barnabet à Auxerre et Les Clos à Chablis,
sans oublier une multitude de petits
restaurants qui offrent, eux aussi, un bon
rapport qualité-prix. Mais, vous savez,
les cuisiniers, comme les vignerons, ont fait
d’énormes progrès ne serait-ce qu’en mettant en valeur les produits. Par exemple,
le topinambour, c’est un excellent légume
aujourd’hui. J’en mange deux fois par an.
Ceux que l’on récoltait dans le jardin de
mon grand-père, j’en mangeais trois fois
par semaine. C’était moins bon ...
Propos recueillis par Gérard Delorme
Photographies : Lionel Georgeot
L’homme-sandwich
Il y a belle lurette que “l’habit ne fait plus le moine” au stade Abbé
Deschamps. Et que les soutanes de l’emblématique curé ont été remisées. Pour autant, Guy Roux porte une attention particulière à ses
tenues vestimentaires. Si le bonnet bleu, enfoncé jusqu’aux oreilles,
reste un élément fort de sa caricature, l’ancien entraîneur de l’AJA ne
néglige jamais de revêtir la tenue adéquate, dès qu’un photographe le
sollicite pour un portrait. “Attendez que j’enfile une veste”, lance-t-il
à l’opérateur. Non pas la veste d’un des costumes fournis par Canal +
à son consultant. Non, la veste de survêtement portant le nom de
l’équipementier du club cher à son cœur. Pour l’élégance, il faudra
repasser. Mais ce n’est pas ce qu’on lui demande. À lui, l’archétype du
rapport qualité-prix. Sacré Guy Roux !
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