Dossier spectacle Jean-Louis Murat - Le Trident

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Dossier spectacle Jean-Louis Murat - Le Trident
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culture
0123
Vendredi 19 septembre 2014
Jean-Louis Murat en altitude
En Auvergne, le musicien a composé un album inspiré avec le groupe clermontois Delano Orchestra
Musique
De Murat à Maissiat,
une soirée à l’Olympia
L
a qualité constante de JeanLouis Murat n’en finit pas
d’étonner. Fruit d’une discipline, d’un mode de vie, autant
que d’une inspiration, elle ne le
met pas pour autant à l’abri de la
lassitude qu’implique parfois la
surabondance. Certains des
13 albums que le dandy paysan a
publiés ces treize dernières années
(une vingtaine depuis ses débuts
en 1982) ont ainsi pu souffrir d’une
instrumentation trop repliée sur
son autarcie.
A contrario, les meilleurs disques du chanteur puydômois ont
souvent été oxygénés par l’apport
de musiciens – le pianiste John
Medeski, John Zorn – ou de groupes – les Américains de Calexico
ou d’Elysean Fields – extérieurs. A
inclure parmi les sommets de sa
discographie, son nouvel album,
Babel (à paraître le 13 octobre), cosigné avec le Delano Orchestra,
conjugue la vitalité du sang frais et
l’air plus que jamais respiré au
cœur des volcans d’Auvergne.
Pour clore en musique les festivités liées aux 70 ans du journal,
Le Monde organise, mardi 23 septembre, un concert à l’Olympia.
La salle parisienne accueillera,
dès 19 h 30, quatre générations
de chanteuses et de chanteurs
français : outre Jean-Louis
Murat, qui présentera ses splendides nouvelles chansons, la soirée marquera le retour sur scène
d’Arnaud Fleurent-Didier, dont
le quatrième album, « La Reproduction », avait ravi critiques et
public en 2010. Deux révélations
de 2014 compléteront l’affiche :
Christine and the Queens, qui se
joue avec grâce des genres
sexuels et musicaux, et l’intrépide et tropicale Maissiat. Prix : de
42,80 euros à 47,20 euros.
Lemonde.fr/festival
Le Delano Orchestra
est d’une charmante
instabilité, entre
gravité tendue
et élégance de
musique de chambre
Car si le ténébreux aux yeux
clairs, né Jean-Louis Bergheaud il y
a soixante ans à La Bourboule, s’est
entouré de ce quintette de jeunes
trentenaires, il n’a pas eu à chercher plus loin que ClermontFerrand pour les recruter.
Produit de l’effervescente scène
locale, encouragée par l’activisme
dela salle de spectacles de la Coopérative de Mai, le Delano Orchestra
se fait remarquer, depuis la secondemoitié des années2000, par l’intensité mélancolique de chansons
rock anglophones, traversées de
raffinements de cuivre et de violoncelle.
La formation est aussi le groupe
phare de la maison de disques
Kütu Folk, étonnant label – cofondé par le chanteur-guitariste,
Alexandre « Delano » Rochon –,
dont l’exigence esthétique (les
groupesEyes &NoEyes,St Augustine, Evening Hymns, etc.) est doublée d’un parti pris artisanal poussant à coudre à la main chacune
des pochettes.
Bienveillant observateur de la
jeune génération clermontoise,
complice régulier des initiatives
de la Coopérative de Mai, Murat a
suivi depuis le début le parcours
des Delano. « J’aime bien la tension
qui se crée chez eux entre la vigueur
assez rock’n’roll de la rythmique et
la finesse des arrangements »,
explique le chanteur, qui a déjà
JULIEN MIGNOT
fait travailler le batteur du groupe,
Christophe Pie, sur plusieurs de
ses disques.
L’idée du rapprochement lui a
été suggérée par Didier Varrod,
directeur de la programmation
musicale de France Inter, dans la
perspective d’un concert célébrant, à Clermont-Ferrand, en
décembre 2013, les 50 ans de la
radio. « Varrod a aussi proposé de
nous trouver trois ou quatre festivals pour l’été suivant. Je me suis
dit que j’allais composer quelques
titres pour avoir suffisamment de
matériel pour ces concerts », se souvient l’Auvergnat, fidèle à sa
conviction de ne pas se reposer sur
un répertoire passé.
Bien que fréquentant déjà un
peu le bonhomme, les membres
de l’orchestre sont d’abord dans
leurs petits souliers. « C’est impressionnant de travailler avec quelqu’un dont je jouais des chansons à
la guitare, quand j’avais 14 ans »,
admet Alexandre Rochon. « On a
depuis toujours un immense respect pour son engagement artistique et la densité de son œuvre. »
Les rapports se détendent dans
l’ambiance familiale et campagnarde de la maison du chanteur,
isolée en altitude du côté du col de
la Croix-Morand, puis dans la chaleur d’un petit studio d’enregistrement des environs clermontois.
« J’avais écrit une vingtaine de
chansons, composées simplement
sur 3 ou 4 accords pour ne pas trop
leur mettre de pression », explique
Murat.
« Il nous a très vite mis à l’aise »,
confirme Rochon. « Il est exigeant,
déteste la routine, mais nous a aussi laissé une totale liberté et a accepté la plupart de nos propositions. »
Une implication allant jusqu’à la
conception de la pochette du disque, des photos qui l’illustrent et
du clip du premier single, J’ai fréquenté la beauté, réalisé par le
chanteur de Delano, vidéaste à ses
heures.
En moins de dix jours, les
20 chansons de ce double album
sont enregistrées, sans accroc.
« C’était humainement très agréable », insiste Jean-Louis Murat. « Ce
sont des garçons bien élevés, cultivés. Quand j’étais jeune, les préoccupations des groupes de rock s’arrêtaient à la bière et à la dope. Là,
Julien [Quinet], le trompettiste, est
prof d’anglais et parle russe. Dans
le bus, je peux lancer une conversation sur Heidegger sans qu’ils
soient paumés. »
Musicalement, la force identitaire du Delano Orchestra se teinte
d’une charmante instabilité, entre
gravité tendue, légèreté cuivrée et
élégance de musique de chambre.
Que le chanteur œuvre dans le
registre de l’incantation, des mélodies pastorales ou des refrains primesautiers.
Cette congrégation de Clermon-
tois et la localisation auvergnate
de l’enregistrement ont sans doute accentué les teintes régionales –
Le jour se lève sur Chamablanc, Neige et pluie au Sancy, Chacun vendrait des grives, Col de Diane, Noyade au Chambon, etc. – chères à
celui qui a grandi dans la ferme de
ses grands-parents, à Murat-leQuaire.
«La simplicité musicale des morceaux m’a poussé à moins utiliser
la langue poétique pour des textes
plus prosaïques », analyse le chanteur, qui dit s’être éloigné des tentations rousseauistes pour des
récits plus réalistes et critiques du
monde paysan.
Egalement petit-fils d’agriculteurs, Alexandre Rochon partage
cet ancrage terrien. Mais si cet attachement environnemental imprègne la mélancolie des chansons du
Delano Orchestra, le longiligne
jeune homme a jusque-là préféré
l’exprimer en anglais. Au grand
dam d’un aîné ayant du mal à comprendre la frilosité d’une génération de musiciens français envers
leur langue maternelle.
« Est-ce du snobisme, de la
pudeur, de l’inhibition ? », s’étonne
celui qui, avec Alain Bashung et
Gérard Manset, a été l’un des premiers à savoir concilier une passion pour le rock anglo-saxon et
une exigence d’écriture héritée
des meilleures plumes francophones.« La pop française cède à la tentation d’un anglais international
qui appauvrit l’expression en
même temps qu’il réduit le nombre
de syllabes. »
Il s’interroge, moqueur : « Peutêtre est-ce un autre signe d’une
société malade ? On n’a plus
confiance dans la démocratie,
dans la République, dans les élus. Et
plus confiance dans la langue de
maman. » L’auteur se demande
d’ailleurs si, à la suite de cette collaboration, il ne tenterait pas d’approcher des groupes d’autres
régions de France, pour confronter
ses textes à leur musique et prêcher « les bonnes paroles ».
Coauteur, avec Emilie Fernandez, d’un livre singulier, Cahier
bleu, instant (anés) de baignades
en Auvergne (A + E éditions, 2 013),
écrit en français, Alexandre
Rochon suggère que l’expérience
Murat pourrait le pousser à passer
le pas francophone en chansons.
En attendant, il espère prolonger
cette aventure pour plusieurs
concerts. Après celui prévu le
23 septembre à l’Olympia, dans le
cadre du Monde Festival, le climax
pourrait en être, durant l’été 2015,
une performance au sommet du
puy de Dôme. p
Stéphane Davet
Babel, de Jean-Louis Murat
& the Delano Orchestra,
2 CD Scarlett/PIAS.
Querelles d’experts sur le régime des intermittents
La mission de concertation, qui reprend ses travaux, doit formuler des propositions d’ici à la fin de 2014
Q
ui va mener l’expertise des
propositions et des contrepropositions sur l’épineux
dossier de l’assurance-chômage
des intermittents du spectacle ?
On se bouscule au portillon. En
plus de l’Unedic ou de la Caisse des
congés-spectacles,divers spécialistes, tels les sociologues Mathieu
Grégoire et Pierre-Michel Menger,
ou encore l’économiste Jean-Paul
Guillot, ont été sollicités par les
trois sages qui conduisent la mission de concertation – le député PS
Jean-Patrick Gille, l’ancienne codirectrice du Festival d’Avignon, Hortense Archambault, et l’ex-directeur général du travail, Jean-Denis
Combrexelle.
Les travaux decette mission doivent reprendre jeudi 18 septembre
sur les questions de santé, de retraite et de congé-maternité. C’est aussi l’acte II de cette mission : lancée
à la veille des festivals d’été par le
premier ministre, Manuel Valls,
en vue d’apaiser la crise déclenchée par l’accord du 22 mars sur
l’assurance-chômage, la mission
de concertation doit faire des propositions d’ici à la fin de 2014 pour
réformer en profondeur les
annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’Unedic.
Son existence a déjà permis de
rétablir le contact entre des partenaires sociaux (CFDT, FO, Medef,
CGT-Spectacle…) ou des acteurs
(Coordination des intermittents et
précaires) qui ne s’adressaient plus
la parole, après onze ans de lutte,
depuis la réforme contestée de
juin 2003. « On a créé un climat de
travail. Il y a de la bonne volonté
chez les uns et les autres, et l’envie
d’aboutir à un diagnostic partagé»,
dit M. Gille, à la veille de la reprise.
Inégalités creusées
Désormais, place aux travaux
pratiques. La question de l’expertise est centrale dans la mesure où
plusieurs modèles d’indemnisation de l’intermittence s’affrontent. Les artistes et les techniciens
alternent des périodes de travail et
de chômage, plus ou moins longues, auprès de divers
employeurs. Et leur régime spécifique vise à compenser la précarité
de l’emploi. Avant 2003, les intermittents devaient effectuer
507 heures en douze mois pour
être éligibles aux prestations.
Depuis,le régime a été durci, et l’accèsà l’assurance-chômageest devenu plus aléatoire : les artistes doivent « faire » leurs 507 heures en
dix mois et demi, et les techniciens
en dix mois. Cette réforme n’a pas
permis de réaliser les économies
attendues, tandis qu’elle a creusé
les inégalités entre les intermittents les plus modestes et les
mieux dotés. C’est pourtant la
réformede2003 qui aétéreconduite en mars 2014, moyennant quelques modifications. D’où la colère.
Experts contre experts, chacun
se renvoie la balle depuis onze ans.
Avant l’été, deux études d’impact
sur le retour aux « 507 heures en
douze mois », aux conclusions fort
divergentes, ont circulé sous le
manteau. Comme le dit M. Gille,
« on croule sous les chiffres. L’enjeu,
désormais, est que les experts se
mettent d’accord entre eux sur les
méthodes de calcul ».
Le Centre d’études de l’emploi
de Noisy-le-Grand (Seine-SaintDenis), un établissement public
placé sous la tutelle de deux ministères (recherche et emploi), pourrait être mis à contribution pour
mener l’expertise, avec la neutralitérequise. Mais quiva payer les statisticiens ? « On n’a pas encore parlé d’argent, et c’est bien le problème. Cette mission ne dispose pas de
moyens à la hauteur de son ambition. Nous voulons une contreexpertise. Or, les experts n’ont toujours pas accès aux chiffres bruts
de l’Unedic », déplore Samuel Chu-
rin, comédien et porte-parole de la
Coordination des intermittents et
précaires, membre de la mission
de concertation.
En attendant, le travail de pédagogie continue, cette fois-ci en
direction du public. Par exemple,
le Théâtre de la Ville, scène parisienne emblématique, a pris une
initiative inédite : dans sa plaquette de la saison 2014-2015, des informations sont données sur le nombre d’intermittents nécessaires au
bon déroulement de chaque spectacle. Pour la pièce de Vincent
Macaigne, Idiot ! Parce que nous
aurions dû nous aimer (du 1er au
12 octobre), il y aura « 34 intermittents : artistes et techniciens, sur
scène et en coulisse, chaque soir ». p
Clarisse Fabre

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