la situation des Dalits et des tribus en Inde

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la situation des Dalits et des tribus en Inde
Point d’information sur la situation
des Dalits et Tribus en Inde
En introduction au sujet des Dalits et des Tribus et pour favoriser la compréhension de la
question des Dalits et des Tribus, il est nécessaire de faire deux préambules, l'un d'ordre
historique, l'autre d'ordre politique.
Historiquement et très grossièrement, au début du 2ème millénaire avant JC, vivaient dans la
péninsule indienne des peuples dravidiens, aborigènes.... Vers -1500 avant JC, ces peuplades se
virent refoulées progressivement des plaines du Gange ou de l'Indus vers les montagnes et dans
le Deccan suite à l'arrivée de migrateurs indo-européens parlant des langues "aryennes". Ces
nouveaux arrivants se fixèrent dans les plaines fertiles et apportèrent leurs religions, leurs rites et
leurs livres sacrés (Veda par exemple). Le brahmanisme, issu du védisme est fondé sur la division
du peuple en quatre castes, les brahmanes constituant la plus élevée. Cette société, au départ
très tolérante, deviendra petit à petit plus imperméable. Les Dalits et les Tribus font remonter leur
mise à l'écart de la société à l'invasion puis à la montée en puissance du brahmanisme.
Sur le plan politique, il est essentiel de prendre conscience d'une réalité indienne qui nous est
étrangère à nous occidentaux et particulièrement à nous français. L'Inde dispose, comme tout
pays démocratique, d'une constitution; cette constitution a été rédigée sous la direction
d’Ambedkar (dont nous reparlerons plus loin) en 1950. Elle reconnaît un certain nombre de droits
à tous les citoyens indiens. Par contre, particularité pour nous difficile à intégrer, il existe, au-delà
de cette constitution, des lois votées pour des groupes de personnes suivant leur religion ou leur
appartenance à un certain type de population (corporations professionnelles, tribus ...). L'objectif
de ces lois est, soit de tenir compte de particularités religieuses, soit d'estomper des injustices ou
disparités au travers du système dit de la Réservation ou des Quotas (nous dirions en France
Discrimination positive). Ceci a pour conséquences la nécessité d'identifier ces groupes d'individus
de façon précise et, pour les individus, la nécessité de pouvoir prouver leur appartenance au
groupe. Ceci, de facto, recrée une division de la société. On retrouve là des ressemblances avec le
communautarisme anglo-saxon.
Ce long préambule doit permettre de faciliter la compréhension des problèmes et difficultés des
groupes que sont les Dalits ou les Tribus.
Les Dalits
Définition et origines
Dalit: "opprimé, rejeté", nom par lequel se désignent aujourd'hui la plupart des intouchables qui
rejettent ce dernier terme, de même que celui de "harijan" (enfants de Dieu) que leur attribua
Gandhi et qu'ils jugent trop paternaliste et ne reflétant pas leur situation réelle. Par extension,
qualificatif, exemple : culture dalit, mouvement dalit.
Le vocable dalit recouvre maintenant toutes ces populations qui sont hors du système des castes,
qu’ils soient hindou ou d'une autre religion1.
La division en castes
Comme on l'a vu, la société indienne issue du brahmanisme se caractérisait par un mode
d'organisation spécifique: le système des castes.
Selon ce système, la société est séparée en groupes hiérarchisés et endogames ; cette
hiérarchisation est fondée sur la notion de pureté ou d'impureté de l'activité professionnelle ou
rituelle exercée (le terme de pureté se référant à des critères rituels et religieux et non à des
critères d'hygiène) ... Cette pureté des uns est donc maintenue grâce à l'exécution des tâches
jugées les plus impures (travail du cuir, activités en lien avec les morts, collecte des déchets ...)
par ceux qui se retrouvent de ce fait rejetés au plus bas de l'échelle sociale : les intouchables .
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Indien = de nationalité indienne et Hindou = dont la religion est l’Hindouisme
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De façon schématique, la société est divisée en quatre groupes principaux (ou castes ou varnas) :
les brahmanes, dépositaires du savoir religieux, lettrés, prêtres,
les kshatriyas, détenteurs du pouvoir, guerriers, princes,
les vaishyas, marchands, artisans,
les shudras, paysans, serviteurs.
A côté de ces quatre principaux groupes, il en existe donc un cinquième : celui des intouchables
(les dalits), ainsi désignés car leur activité est jugée si impure que les gens de caste plus élevée
ne peuvent de ce fait les toucher sans en être souillés. Bien qu'étant souvent présentés comme
des hors-castes, ils sont en fait partie intégrante de ce système.
Chacun des groupes principaux est à son tour divisé en d'innombrables groupes et sous-groupes
appelés Jati (on naît dans une Jati et on ne peut en sortir).
Les évolutions récentes
Rappelons que la constitution indienne de 1950 a aboli officiellement l’intouchabilité; comment
cela se passe-t-il donc maintenant ?
On constate une évolution et une différenciation de plus en plus marquée entre l'appartenance à
la jati et le métier pratiqué : ainsi seuls 10 % des brahmanes exercent une activité religieuse à
temps plein et à l'autre bout de l'échelle, les paraiyars, joueurs de tambour, sont pour la plupart
des ouvriers agricoles. Mais quelle que soit leur profession, ce sont toujours les brahmanes qui
assurent les rituels religieux pour les castes de haut rang et c'est toujours aux paraiyars que l'on
fait appel pour jouer du tambour lors des funérailles.
Les intouchables représentent entre 16 et 20 % de la population indienne (160 à 200 millions de
personnes !). Ces derniers sont présents dans tous les états de l'Union indienne avec toutefois un
pourcentage plus élevé dans les zones rurales et les états du Sud (plus de 20 % au Tamil Nadu).
Bien que la division en castes présente des différences avec les classes socio-économiques, on
constate que, le plus souvent, les intouchables font partie, dans leur majorité, de la frange la plus
défavorisée de la population.
Les principales règles qui découlent du système
L'habitat séparé : dans les villages indiens, il existe des quartiers réservés aux différentes
castes, celui des intouchables étant situé à l'écart. En ville, de nouvelles formes de ségrégation
s'instaurent. Ainsi, des locataires d'une caste élevée ont obtenu l'expulsion d'un habitant de leur
immeuble après avoir entendu ce dernier écouter des chants dalits. Dans les bidonvilles, on
retrouve souvent les mêmes séparations qu'au village et dans les quartiers, les gens se
regroupent par jati.
L'endogamie : le mariage avec une personne de sa propre jati est une obligation. Cette règle,
qui pouvait autrefois s’expliquer par la division du travail, devient de moins en moins pertinente
avec les changements de la vie moderne : un fils exerce moins souvent le métier de ses parents.
L'endogamie persiste cependant.
Les règles du commensalisme (partage de la nourriture et des repas) sont nombreuses et
complexes car l'aliment est un des éléments qui risque le plus d'être pollué.
Beaucoup de ces règles ont été aussi reprises ou appliquées par les communautés musulmanes ou
chrétiennes.
Pourtant la rigidité du système s'assouplit quelque peu grâce aux changements de mode de vie
imposés par l'urbanisation, à l'élévation du niveau de scolarisation et aux lois en faveur des
basses castes et des intouchables (même si ces lois entretiennent la notion de séparation et si
leur application reste insuffisante).
Les partisans du système des castes (comme Gandhi par exemple ) affirment qu'il a permis à la
société indienne de conserver une certaine stabilité face aux chocs multiples venus de l'extérieur.
Le système a également maintenu une certaine cohésion en raison de l'inter-dépendance qui
existe entre les jati (le paysan a besoin du forgeron et réciproquement) et il constitue une
structure d'entraide à l'intérieur de chaque caste. Il n'en demeure pas moins foncièrement
inégalitaire et depuis longtemps des voix s'élèvent pour protester contre les nombreux excès et
les injustices qu'il engendre, certaines castes profitant de leur position pour opprimer et exploiter
les basses castes et surtout les intouchables.
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Les grands défenseurs des Dalits dans l'Inde du début du 20ème siècle
Deux grands acteurs des 19ème et 20ème siècles ont œuvré pour la cause des Dalits mais seul
Gandhi est passé à la postérité sur le plan international. Leurs approches étaient relativement
différentes :
Gandhi (1869-1948) se montra toujours choqué par la misère et les ségrégations dont
étaient victimes les intouchables et il lutta pour améliorer leur statut. Il les désigna du nom
de Harijan qui signifie enfant de Dieu. Il ne remettait pas en cause le système des castes
en lui-même mais souhaitait seulement qu’il soit réformé afin d'en supprimer les abus en
particulier la ségrégation exercée à l'encontre des intouchables. C'est pourquoi nombre
d'entre eux n'adhérèrent pas à l'approche gandhienne jugée insuffisante et paternaliste.
Docteur Bhim Rao Ambedkar (1891-1956) est issu d'une famille d'intouchables du
Maharashtra et grâce à la situation de son père militaire puis avec le soutien financier des
Maharajas de Kholapur et de Baroda, il peut faire des études supérieures aux Etats-Unis et
en Angleterre. Il prend alors progressivement la défense de la cause des Dalits jusqu'à
devenir un homme politique de premier plan dans l'Inde indépendante : il est le premier
Ministre de la justice de l'Inde de 1947 et désigné à la tête du comité chargé de rédiger la
Constitution indienne de 1950. Sous son impulsion fut adopté l'article 17 qui abolit
l'intouchabilité et en interdit la pratique. Pour lui, la voie gandhienne consistant à faire
reconnaître par l'hindouisme l'intégration progressive dans le système des intouchables
débarrassés de leur "impureté" revenait à les maintenir dans leur situation de caste
inférieure. Il explora donc deux autres voies :
o l'action politique visant à améliorer leur situation en tant que citoyens et en les
mobilisant à travers un parti politique pour obtenir des concessions, action inspirée
des valeurs républicaines de la révolution française ;
o la conversion à une autre religion, le bouddhisme en l'occurrence, pour sortir
complétement du système hindou. Suivant son exemple de nombreux intouchables
se convertirent au bouddhisme marquant ainsi leur opposition au système social
hindou qui les opprimait.
Aujourd'hui encore, la plupart des mouvements luttant pour la défense des Intouchables,
dits "ambédkaristes", se réfèrent à ses idées et ses écrits.
Les problèmes des Dalits actuellement
Les évolutions des lois
La loi de 1989 sur la Prévention des atrocités contre les Scheduled Castes (castes répertoriés) et
Scheduled Tribes (tribus répertoriées) a fait clairement état des actes de violence et de
discrimination voire d'exclusion sociale et politique envers les Dalits. D’après la législation
précédente (1955) ces violations étaient punissables mais les dispositions de cette loi étant
vagues et peu accessibles, aucun cas n'avait été porté devant la justice.
La loi de 1989 entraîna de nombreuses mesures dont la création dans chaque région d'un service
s'occupant uniquement des problèmes des Dalits. De plus la loi déclare que le gouvernement peut
être condamné s'il ne donne pas suite convenablement aux plaintes des Dalits.
Malgré cela, les progrès sont lents et difficiles à réaliser car, si les conditions légales sont en place,
elles ne suffisent pas pour faire changer une réalité vieille de plus de 3000 ans.
Les difficultés
Le problème principal est le manque d'accessibilité à l'éducation. L'analphabétisme est très
élevé, il est donc très difficile de faire prendre conscience aux Dalits de leurs droits concernant les
terres, l'accès aux lieux publics ou religieux, la possibilité d'avoir recours à la justice en cas de
violence ou d'abus de la part des non Dalits.
Les Dalits n'ont souvent pas accès aux écoles, ils étudient peu. Les agriculteurs empêchent leurs
enfants d'aller à l'école et les professeurs ne les encouragent pas à passer leurs examens. Un
exemple : un jeune garçon qui, passant à proximité d’un champ, en allant se présenter à un
examen a été contraint par le propriétaire de planter du riz toute la journée celui-ci arguant qu'il
n'avait pas besoin de faire des études... Ce type de coercition est encore trop courant. Le manque
d'éducation et des années d'oppression maintiennent les Dalits dans un processus proche de
l'esclavage.
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De plus, les Dalits sont fréquemment asservis par le poids de dettes transmises de génération
en génération, petits prêts consentis à leurs parents, grands-parents ou arrière-grands-parents à
des taux suffisamment lourds pour créer une situation d'asservissement durable (on ne rembourse
toujours que les intérêts, jamais la dette elle-même !). Pour rembourser, ils doivent travailler pour
leurs créanciers à des salaires de misère qui ne leur permettent jamais d'être libérés de cette
charge. Leurs enfants sont eux aussi très jeunes dans l'obligation de travailler pour rembourser
ces "dettes". La situation des femmes est également très difficile, voire même encore plus difficile
que celle des hommes. Elles sont par ailleurs tributaires de leurs époux et n'ont quasiment aucun
accès à l'éducation.
Un autre problème dans les campagnes est l'accession aux terres. Une loi du Parlement
britannique, de 1892, déclarait que les Dalits du pays devaient bénéficier d'une distribution de
terres (désignées sous le terme de Panchami Lands ou terres pour les classes défavorisées) sous
certaines conditions :
o pas de transfert de ces terres à qui que ce soit durant les 10 premières années ;
o après ces 10 ans, les terres ne pourraient être transférées, le cas échéant, qu'à d'autres
Dalits;
o aucune dérogation à ces conditions ne pourrait être légalement acceptée.
En réalité, de tels transferts ont bien eu lieu, en raison de divers facteurs : harcèlement,
manipulation ou utilisation de la force par les castes plus élevées, pauvreté et illettrisme des
Dalits, etc. Avec la mort de deux jeunes Dalits (tués par des coups de feu tirés par la police) en
1994, la question des Panchami Lands est apparue sur le devant de la scène au Tamil Nadu. Bien
que la plupart des manifestes aient alors souligné ce problème, il n'y a pas eu de véritable effort,
ne serait-ce que pour répertorier de telles terres, et encore moins pour s'assurer qu'elles sont bien
restituées à ceux qui auraient le droit de les posséder, c'est-à-dire les Dalits. Il est maintenant
très difficile pour eux d'obtenir les documents prouvant que ces terres sont à eux. De plus dans
les villages, les Dalits n'ont pas accès aux services communs bien qu'ils y participent
financièrement, notamment au travers de taxes. Par exemple des terrains de pâturages sont
légalement communs mais les Dalits n'y ont pas toujours accès.
Beaucoup de Dalits ont dû ainsi émigrer et sont partis travailler dans les briqueteries ou encore
comme coolies pour les agriculteurs.
Sur le plan politique également, les difficultés demeurent. Les Dalits ont droit à des sièges dans
les circonscriptions électorales. Cette possibilité a permis à certains d'être élus maire de leur
village, mais au prix d’intimidations, menaces, tentatives de corruption, voire violences.
D'autres exemples pour illustrer les discriminations multiples : interdiction d'accéder au temple,
interdiction de circuler dans certaines zones. Même l'accès à la consommation du thé dans les
échoppes de village fait l'objet de restrictions : les Dalits doivent s'asseoir par terre, utiliser des
verres en aluminium et les laver eux-mêmes...
Ces discriminations conduisent même régulièrement à des violences physiques envers les biens et
les personnes.
Les mouvements Dalits dans l'Inde du 21ème siècle
Comme au 20ème siècle, les Dalits ne sont pas unis par une identité forte et unique, les groupes
sont isolés, communiquent peu entre eux, voire se font concurrence. Ils ne forment pas un
mouvement coordonné et efficace pour faire reconnaître leurs droits. Ceci explique les deux voies
d'action choisies par les mouvements dalits.
La mise en commun des efforts
Un certain nombre de leaders ont bien compris cette nécessité d'unir leurs voix et leurs forces
pour progresser dans la reconnaissance et l'application des droits des Dalits.
Ainsi au Tamil Nadu en août 2005, une première conférence a rassemblé les membres de 35
mouvements dalits et a nommé un comité de 10 membres. Ce comité a élaboré une déclaration
du mouvement dalit (Dalit Rights Federation) en 10 points qui a été présentée en avril 2006 lors
d'une nouvelle conférence rassemblant 300 participants. Cette déclaration a finalement été
approuvée unanimement par les représentants de la communauté dalit réunis à cette occasion.
Les 10 points traitent des thèmes suivants : les terres, le logement et les habitations, les droits
des femmes, la réservation (sièges électoraux, emplois et places dans les écoles et universités), le
budget national pour les Dalits, l'utilisation de l'eau et des équipements collectifs, les banques
réservées aux dalits.
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La prise de conscience de l'identité
Une tâche importante de ces mouvements est aussi de faire naître une identité commune auprès
de ces populations, de leur faire prendre conscience de leurs racines et de leur identité culturelle
communes. Il est frappant de constater que les chants et danses de ces populations tribales et
dalits ont des ressemblances fortes d'une communauté à l'autre et même d'un état à l'autre.
Cela conduit aussi les associations dalits à développer chez les jeunes une capacité à s'affirmer et
à ne pas baisser la tête : prise de parole en public, organisation de conseils municipaux de jeunes,
théâtre, organisation de cours d'auto-défense ...
La question des populations dalits est bien présente dans les journaux : il suffit de rechercher à
"dalit" sur les sites du Hindustan Times ou du Times of lndia pour récupérer des dizaines d'articles
traitant du sujet et particulièrement de l'oppression dont ils sont victimes.
Et maintenant ?
Tout ce qui précède, histoire, difficultés, mais aussi progrès, donne plus de force aux priorités des
mouvements dalits formulées en 2006 :
1- Créer et faire fonctionner un réseau des mouvements dalits.
2- Détecter partout les violations des droits des Dalits.
3- Donner aux jeunes une conscience politique de groupe.
4- Faire naître la prise de conscience de l'identité dalit et faire revivre la culture dalit.
5- Pointer du doigt le double discours des hommes politiques.
6- Organiser la coordination des mouvements dalits du plan local au plan national en
passant par les districts et les états.
7- Mettre en place des plans d'actions pour répondre aux besoins et résoudre les
problèmes.
8- Donner les moyens aux Dalits pour qu'ils soient acteurs de leur libération sur les plans
sociaux, économiques et politiques.
9- S'appuyer sur les mouvements pour les droits de l'homme nationaux et internationaux.
Les Tribus
Définition officielle
Les adivasis, populations tribales de l'Inde, représentent aujourd'hui environ 8 % de la population
indienne. On les retrouve principalement le long de 2 parallèles : l'un le long des montagnes
himalayennes au nord, l'autre qui irait du nord du golfe du Bengale au Rajasthan et Gujarat.
Il y a environ 570 communautés reconnues officiellement par le gouvernement indien comme des
Tribus et du coup susceptibles de bénéficier des avantages se rattachant à cette classification ainsi
que de concourir aux sièges réservés dans les élections ou aux places dans les écoles et
universités (discrimination positive en langage politique français). Cela va des Gonds (environ 7,5
millions) et des Santals (4,2 millions) aux Chaimals des iles Andaman qui étaient 18 en 1991. Il
est à noter que les chiffres officiels varient beaucoup au cours du temps, dépendant des critères
de recensement et des intérêts que les individus ont à être d'une tribu ou non.
Pour renforcer les actions de développement de ces populations, un Ministère particulier (le
Ministère des affaires tribales) a été créé en octobre 1999; c'est une émanation du Ministère de la
Justice. Il est en charge de la politique globale et de la coordination des actions pour le
développement de ces populations tribales. Mais, dans la réalité, ces populations sont souvent
laissées pour compte ; étant le plus souvent illettrées et ne connaissant pas leurs droits, elles
n'ont aucun moyen de les défendre.
Les Tribus, histoire et réalités
Bien que la frontière entre tribus et castes soit quelques fois difficile à établir dans la mesure où
des tribus ont pu intégrer progressivement le statut de castes, il semble que le premier critère qui
définisse la tribu soit, au moins primitivement, celui d'autosuffisance économique. Elles sont en
général issues de régions accidentées et forestières et pratiquaient ou pratiquent encore la
cueillette et la chasse; progressivement certaines ont évolué vers l'agriculture en pratiquant de la
culture sur brûlis (ou essartage) plutôt que la culture intensive classique en Inde. Pour les tribus,
la propriété de la terre est liée à l'usage de celle-ci.
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Chaque tribu a sa propre religion, de type animiste. Chacune a également une langue spécifique
même si un certain nombre d'entre elles l'ont perdue. Les adivasis qui vivent dans les régions
reculées ont conservé leurs coutumes et donc leur identité.
Comme sur d'autres continents, le commerce ou l'échange avec les étrangers à la tribu puis les
progrès en transports et communications, les ont introduits à l'économie de la monnaie et ont
permis à des personnes de populations non tribales de s'approprier les terres des tribus malgré les
protections établies par la loi (et qui ont été détournées).
Alors, dans les années 60 et 70, nombre de personnes des tribus sont devenues travailleurs
journaliers ou coolies sans terre. La réaction du gouvernement pour évincer les populations non
tribales des terres illégalement occupées a été lente et, de plus, ceux qui étaient évincés étaient
évidemment les plus pauvres.
Ce contact avec les populations non tribales au travers des commerçants a introduit l'alcool puis le
crédit et l'usure. Le fait d'échanger sa récolte contre de l'argent se fait en général en défaveur du
paysan et accroît sa dépendance envers des agents économiques qu'il ne contrôle évidemment
pas. Enfin, dans le passé, les familles achetaient des bijoux en argent en guise de sécurité, alors
que le tribal moderne achète des biens de consommation sans valeur. Les bijoux pouvaient servir
en cas d'urgence, les biens de consommation ne font qu'augmenter son endettement.
Certaines tribus ont su néanmoins gérer ce contact avec les étrangers à la tribu. Ainsi les
Chenchus du centre montagneux de l'Andhra Pradesh ont su développer des relations avec les
Hindous; le fait qu'ils ne mangeaient pas de viande bovine a aidé à ce qu'ils soient considérés
comme une caste pure, contrairement à d'autres états où du fait de leurs habitudes culturelles et
alimentaires ils ont été considérés comme des Dalits. Certaines tribus ont subi un dernier affront
lorsque des populations non tribales ont réussi à obtenir le statut de population tribale comme en
Andhra Pradesh où les Banjaras, en venant s’installer sur le territoire des Gonds, leur ont disputé
les sièges dans les administrations ou les universités ou en politique. A l'inverse, après
l'indépendance, la politique menée par les britanniques et le gouvernement à l'encontre des
populations tribales des contreforts de l'Himalaya pour maintenir isolée cette région frontalière
avec la Chine a préservé ces populations de l'envahissement de populations non tribales.
Les politiques gouvernementales en matière d'exploitation des réserves forestières ont aussi
affecté les populations tribales en raison du remplacement d'essences variées, qui permettaient
aux tribus de trouver leur subsistance, par des mono plantations. La corruption de l'administration
forestière a achevé le travail.
La menace actuelle vient de la volonté d'exploitation des fleuves pour l'énergie hydraulique : les
populations tribales en amont du confluent de la Godavari et de la Sabari sont directement
menacées par la construction d'un barrage.
Le problème de l'éducation est enfin crucial : dans les tribus, la plupart du temps, la priorité n'est
pas donnée à l'école et le taux d’analphabétisme est particulièrement élevé d'autant plus que les
gouvernements locaux font peu de réels efforts pour favoriser l'éducation de ces populations qui
demeurent ainsi une main d'œuvre à bas prix. En quelle langue faire l'école, celle de la tribu ou
celle de l'état ? Quel type d'éducation ? Entre une éducation qui conduirait à faire disparaître les
racines de ces populations ou une éducation qui continuerait à les isoler et les empêcher de
progresser, la voie est étroite.
Des expériences :
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celle de l'Andhra Pradesh avec les Gonds des années 50 aux années 70 ou celle de Jésuites
actuellement : les jeunes ayant fini leurs études reviennent dans leur tribu pour enseigner
aux enfants dans leur langue et leur apprendre en même temps la langue de l'état.
au Karnataka, ce prêtre directeur d’école qui scolarise dans le même établissement des
enfants de tribus avec des enfants de populations non tribales pour favoriser la connaissance
mutuelle et garantir l'accès à l'anglais pour les enfants des tribus.
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Conclusion
Bien qu'il soit impossible de faire des généralités concernant le problème des tribus du fait de
l'extrême diversité des situations, il semble que la seule voie pour ces populations de sortir de leur
pauvreté et de leur marginalisation soit celle de l'éducation dans tous les domaines : la santé, la
prise de conscience des droits, la formation des femmes, un enseignement de qualité pour les
enfants. Les progrès réalisés ne sont obtenus pour l'instant, nous semble-t-il, que grâce à
l'initiative d'ONG locales qui travaillent dans le respect de l'identité de ces groupes et se battent
pour que ces populations soient traitées avec dignité et équité.
Conclusion
Dalits, Tribus, même combat ?
Oui lorsqu'il s’agit de combattre l'analphabétisme ou l'illettrisme, la malnutrition, la pauvreté,
la maladie, le manque de travail... C’est l’engagement quotidien pour ces populations au Tamil
Nadu, en Andhra Pradesh ou au Karnataka.
Non en ce qui concerne leur situation sociale. De manière simpliste et comme l'a montré le
développement qui précède, on peut dire que les tribus ne se sont pas intégrées au système et
à la société indienne, elles sont restées à l'extérieur, elles sont à part sans sentiment
d'infériorité. Au contraire, les dalits ont été intégrés dans le système mais pour en devenir la
classe inférieure, celle qui exécute les basses tâches et est donc rejetée et exclue.
Dalits et tribus se rejoignent lorsque, comme dans le Karnataka, les tribus ne veulent plus être à
part et se rapprochent de la société indienne, leurs membres deviennent alors des exclus.
En ce sens leur combat est le même et l'action et l'engagement de ceux qui travaillent pour leur
développement sont en tous points semblables : mettre ces personnes debout, responsables de
leur avenir, ayant leur place dans la société et fières de leur identité.
Jacques Bournisien
Bénévole pour les Fondations abritées Louise Roulin et UTB
Administrateur de la Fondation des petits frères des Pauvres
Avril 2014
La situation des Dalits et Tribus en Inde
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