La Chambre de Sue Ellen

Transcription

La Chambre de Sue Ellen
LA CHAMBRE DE SUE ELLEN
(SUE ELLEN SONGS & DREAMS)
CHARLES-ERIC PETIT
1
Elle pleure la mort d’un idéal/Celle qu’elle était : chanteuse – danseuse –
mannequin – ancienne trace de muse romaine…
Elle chante dans le sanatorium, où son mari, JR, l’a séquestrée.
Elle tente de s’échapper – se nourrissant de chimères/d’étoiles/d’alcool –
naturellement – radote…
« De toute évidence, l’alcool est un facteur de langage… Bacchus est un dieu
bon ; en faisant divaguer la raison, il empêche l’ankylose de la logique et prépare
l’invention rationnelle »
(Bachelard).
Et si JR n’est pas l’empereur Justin, Sue Ellen, elle, n’est après tout que le
personnage en oubli d’une ancienne "Miss Texas" appartenant à une série
surannée ; par ses déboires pourtant, elle accède au monde tragique. On pourrait à
son égard emprunter ces paroles que Rimbaud attribue à Vénus dans l’un de ses
poèmes :
« Je suis esclave de l’Epoux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C’est
bien ce démon là. Ce n’est pas un spectre, ce n’est pas un fantôme. Mais moi qui ai
perdu la sagesse, je suis damnée et morte au monde. »
Derrière la figure aussi, une femme (comédienne) qui l’incarne.
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« Dallas : les scénaristes font tourner la scène de la mort dans la piscine à toutes les
femmes du feuilleton, elles ne savent pas laquelle doit mourir, et donc disparaître de
la série. Le feuilleton devient leur destin. S’ils meurent en réalité, on s’arrange pour
les faire disparaître dans le scénario. S’ils sont sacrifiés dans le scénario, ils n’ont
qu’à s’éclipser comme star dans la vie aussi, car ils se confondent avec leur
personnage. C’est comme dans la cérémonie : en dehors du rituel, vous n’êtes rien,
mais le rituel est assez souple pour exploiter tous les accidents de la vie. Le secret
de Dallas, c’est d’être proche du stéréotype tribal et initiatique. »
(Jean Baudrillard, Cool memories)
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2
(1er Mouvement)
(UN PLEIN DE VIDE : THEODORA.)
Je n’ai aucune étrenne – à vous offrir : que l’abandon.
Plus de passion.
L’alcool saoule – l’alcoolique boit – la boisson vide – je viens vers toi...
Mon verre se vide – mon verre est plein – de cette boisson… j’en fais le plein ;
mon verre se vide, plus de boisson, mon verre se vide, et puis soudain…
vient l’abandon.
Mauve camaïeux vermillon – rouge bleu gris vert noir verveine – ébène nacrée
magenta pourpre, brun doré bronzé or.
Lazurite opaline – ocre ambrée grenat blondi –céruléen cyan vermeille –cramoisi
mordoré blanc.
Cobalt corail topaze – blonde azuréenne…
Grise – extasiée pleine alors – te voilà – comme je t’appelle – tu fonds vers
moi :sombre sorcière ma vieille copine...
Walkyrie racoleuse, tu viens faire ta tournée – ramasseuse...
Macoua noddi brun… noires alors nous partons… donner à la nuit sa couleur.
Pinchard pervenche jais plomb platine, brune écru chiné poil de chameau.
Prune indigo blé grenadine, charbonneux jade étain feu fuchsia…
Feu d’artifice.
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(LA LICORNE)
J’apprécie mon étonnement quand mes sens sont grisés.
Les peaux deviennent des mains, et les mains : des caresses – les injures :
déclarations… les rires mutent en murmures.
Combien de fois Dusty, es-tu venu me plaire ?
Combien ta nuque a pu faire m’épancher ?
Tous les gens sont aimables – les tables sont des lits– le vide est une oreille – la
note est longue et bleue.
Des accords de guitare résonnent – on me soulève…
Mon soutien-gorge
Mes balconnets
Un papillon…
Dusty.
Quand je suis saoule, tous les hommes s’appellent Dusty.
3
Dusty.
Quand je suis grise, j’ai le béguin – j’appelle alors Dusty.
Dusty,
combien ta nuque, combien ton dos, combien ton torse, combien…
(Bien nommée saoule Ellen s’extasie –.devant un rien…)
Un papillon
Lézard
Une papillote…
Combien de fois Dusty, ai-je pu pour toi flancher ?
Et maintenant
Vierge offerte à la licorne…
Dusty.
Vendavel Meltemi, Suroît Alizé Leste, Bise Etésien Chinook Aquilon.
Chammal Chamsin, Nordet Cers Khamsin, Joran Mistral Blizzard Vaudaire Marin,
Breva bise Brova.
Vent d’autan Balaguère, Williwan Mousson, Autan noir Autan blanc Sirocco.
Zéphyr Levêche, Levanter Libeccio, Gregale Harmattan Simoun Foehn Galerne
Car Dusty de tous les hommes : le seul qui me pénètre.
Dusty de tous les hommes,
le seul qui sait "comment".
De toutes les bêtes à corne, c’est la licorne seule
Capable…
seule la licorne sait :
"comment" est-ce qu’on traverse.
Dusty, c’est la licorne. C’est…
Dusty le seul Dusty, Dusty qui a… mon affection.
Le lézard, quant à lui : l’ami de la maison.
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(LA CARAVELLE IVRE)
Mon premier mot.
Amante.
Barbital.
Amobarbital.
Barbital éthanol, hydroxyle éthylène, enthalpie catalysée catabolisée pourpre.
Méthanol hydrolyse, bio barbiturique, butobarbital éthylidène argentée.
Talbutal.
4
Butalbital.
Butalamine baltane, propylène glycol phéno sécobarbital.
Désir volant,
j’ai migré vers l’austral.
Quand le vent s’est levé, j’ai quitté notre état.
J’ai laissé la Louisiane.
J’ai franchi le Mexique.
A Arecibo, j’ai vu Castalia dans le grand télescope.
En Guyana, un peuple m’a priée de lui construire un temple.
Un catabatique Balaguère me conduit dans le pays du bois de braise ; le fougueux
Aquilon m’envoya valdinguer… à Belém, où je croisai des amazones, au Bahia, où je
suçai du sucre en canne. Je découvris Luzia dans la caverne des mines, – on me fit
couvrir d’or.
Par la force de Coriolis, j’ai volé – de Babilônia jusqu’à l’Urca – léché le pain de
sucre – au Paraná, j’ai plongé dans le fleuve ; et l’Iguaçu qui m’a fait voir ses chutes.
A vol d’oiseau, toujours au Sud : le pays de l’Urù. J’ai dormi dans la rivière des
escargots, où les Colorados poussent des cris libéraux – là où les Guaranis se
terrent. Lotie dans son courant, le nez en l’air, j’ai pu lire dans l’éther : l’œil de braise
qui pleurait – les condors qu’on assassine.
Le dire aux enfants…
Près du Rio Negro, je prends le Pampero qui me pose sur les montagnes d’argent,
près du ruban de sable. J’ai traversé l’Aconcagua – heurté les Andes… puis suis
allée parler où la terre se termine, avec les Mapuches et les Huilliches : pleurer
Galvarino.
J’ai loué Ñuke Mapu – la mer poète... Et de nouveau pleurer la mort de ce guerrier
aux mains coupantes en valle de Chile.
Terre feu Patagonie, me suis éteinte en bout, chez les chasseurs d'Onas, près des
pieds des géants, blottie sous leur ceinture.
Le soleil flétrit quand le cœur s’est couché.
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(HOLLYWOOD)
Courlan coucou,
j’ai chanté.
Cagou tocro – pic choucas duc coulicou.
Des rhapsodes pour toqués – des sérénades.
Des fuites – des airs alpins, des ballades qui recèlent
mes doutes… mes drames…
Alouette bécasseau sizerin flammé
marouette poussin, lagopède linotte.
Hypolaïs pâle…
« Hello Hollywood, here I am »!
5
Jacamar agami – savacou bagadais – tragopan colibri géocoucou poule.
Iora diamant.
Caracara.
Cotinga pipit – coucal cou-coupé sentinelle.
Tityre pinson – ganga cata tyran – lori barbican grive caille coquette.
Sucrier ventre jaune – moqueur des savanes, engoulevent,
J’ai dansé.
Devant des foules très très locales
je posais (« Money ! »)
en bombe anatomique.
Au dessus des milliardaires
y perdant leurs paupières
paratonnerre je recevais :
tous les éclairs des photographes.
Je mets – j’enfile le maillot.
Le maillot mis – je mets l’écharpe.
L’écharpe mise – je marche alors, jambes lustrées,
j’avance alors : quatre… cinq pas (pas un seul pas de trop !)…le demi tour – focus
arrière (six sept…), je croise (huit neuf…), croisé déhanche volte corps dix – pose,
torse, souris.
« Money ! »
Flash ! Souris.
Les flashs qui me dévorent.
Le petit oiseau sort…
il sort…
et il s’envole
et il vole
vole…
vers l’atoll
de bikini
où m’a-t-on dit : il est mort d’un cancer.
JR.
Quand je suis verte, j’ai la colère, j’appelle alors JR.
JR.
Combien de froid, combien de gris, combien ma haine...
Combien j’ai tant souhaité JR : éteindre ton sourire…
combien te faire…
saigner la peau !
JR…
Tu disais être oiseleur quand tu m’as capturée ;
« que la cage était d’or », mais elle était plaquée…
Un bassin.
6
Pour recueillir ton foutre.
Pour y planter ton fils.
Tes idéaux…
Un mannequin
pour faire bonne impression
de derrière ta vitrine…
Mes jambes et mes bras qui impressionnent…
Ma taille… et mon sourire.
Combien de fois JR, t’ai-je offert ce sourire ?
Combien de fois voulu – te faire cracher le tien !
Ma juste colère – JR – qui m’a fait choir… Mûrir… non ! pourrir siffler des verres…
boire…
(Elle boit, comme un sportif)
On est savant quand on boit bien ; qui ne sait boire ne sait rien.
(Nicolas Boileau…)
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(REALITE)
Urubu bécassine…
Arlequin lagopède– ibis falcinelle – perruche phalarope colin buse pluvian.
Y a-t-il un seul homme "fort comme un Dusty"?
Il a dressé tous les chevaux – qui le soulèvent, dont il connaît les mores –
dont il connaît les noms.
Moa drome ardéole – vanneau pivert bécasse – je dansais…
Coq doré agrobate roux – nue sur leurs dos – chevalier condor fou masqué – faucon
grivelé bruant zizi… Il a dressé… tous les châteaux.
Il a construit des cathédrales – sur les plages – des châteaux forts si beaux… que la
mer les épargne.
Barge rousse…
Bécasseau minute – tec-tec mouette gobe-mouche chevalier gambette.
Gros-bec jaseur boréal !
Pigeon serin trogon.
Garrot à œil d’or.
Des cerfs volant.
Des oiseaux qui courent – des guêpes qui marchent… des poissons volent…
Pierre qui roule…
et moi qui dors.
Coucou vanga – buse busard paon.
Dusty…
7
(2eme Mouvement)
On dit « s’envoyer en l’air ».
Comme un avion.
On dit « s’envoyer en l’air », on dit ça aussi parce qu’on sait – on sait – que ça
retombe ensuite…
On parle de "rechute" mais la vraie chute, c’est bien l’atterrissage !
La vraie gueule de bois pourri…
Ce matin, j’ai des crayons dans la tête qui ont cassé leur mine.
La mine défaite.
Ma tête est pleine de ce crâne en maux sans direction.
Mes couches de verbes s’enfilent des adjectifs sans en connaître ni le sujet ni la
provenance.
Je m’insuline. Je boycotte les mots amarrés aux chétives expressions mais rien à
faire… ça me reprend !
Hydroxyle aquilin, voilà qui ne veut rien dire, et pourtant – cela gigote sans arrêt dans
la masse agglutinée de ma réserve.
Prion poulette. Tournepierre courlis ombrette – alouette lulu – geai crabier barbu
pouillot.
Héron garde-bœufs pourpré – avocette tourterelle.
Grèbe escavalon guifette – moustac leucoptère – harpie veuve salangane – effraie
dendrocygne – émeu dryade élégante.
Farlouse passereau pingouin – egothèle chilia cormoran butor.
Faisan fauvette martinet macreuse foulque épervier chevalier cul-blanc gélinotte des
bois
Aigle crieur goéland…
Quand l’avion s’est crashé,j’ai perdu les pédales.
J’ai repris la bibine.
Ethanol éthylène, propanol hydroxyle, butalamine glycol.
Dusty s’est envolé, avec l’avion… l’avion s’est écrasé… Dusty s’est envolé avec
l’avion – Dusty – l’avion – la licorne… tout ça "pouf poussière".
L’avion
Dusty.
Quand je vois le ciel – le ciel est noir – le soir le ciel – quand nous nous regardons…
Je sais que Dusty veille.
Il veille au grain,
Dusty…
Quand je me couche, il se glisse près de moi, et sous mes draps… près du
bourbon… il me protège – me fait Dusty : du sentiment.
Quand je me lève, j’ai le bourdon.
La gueule de bois pourrie.
8
Mes lèvres sèches... aéroport vide… je ne dis mot qui pâte…
il est parti.
JR aussi.
Peut-être pas rentré… la nuit dernière…
Baisait sa pute…
Moi dans le vide.
Seule sur le lit.
La lumière blesse.
(Pourquoi faut-il des jours entre mes nuits ?)
Seule.
En pleine lumière.
Pourquoi le noir est éphémère ?
Je ne sais pas voler.
Sans la nuit.
Sans Dusty.
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(SUE ELLEN SONGS & DREAMS)
Ai-je jamais… ?
(3eme Mouvement)
Etre debout.
Créer ma ligne – ma société.
La "silicone carné".
Body baby doll
Jupon jupe satin – caraco soie panty.
Déshabillé gaine – combinette corset – bustier caleçon shorty.
Mon truc à plume…
Des bretelles, des soutiens gorges, des redresse seins…
Des slips, des bustiers, porte-jarretelles…
Des bouts de tissus qui relèvent tout ce qu’il y a à relever.
Habillez-moi!
Riez, raillez… de votre queue d’esclaffe, je me fais un boa !
Se glisse autour du cou… ophidien… me caresse le gosier… au premier
gloussement cela fait naître : un numéro !
Sue Ellen songs and dreams ! – mon numéro.
Mon numéro privé. Qui a eu lieu ce soir !
Et le serpent à plumes…
(c’est lui qui nous chatouille…)
9
Pouakai simurgh phénix, se dresse dansant…
au dessus du panier,
Canard chipeau,
s’envole.
Car les rires volent …
Comme les serpents.
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(LE CHANT D’UNE AMANTE / BARBRA STREISAND)
People,
People who need people
Are the luckiest people in the world
Were children needing other children
And yet letting our grown-up pride
Hide all the need inside
Acting more like children than children
Lovers
Are very special people
Theyre the luckiest people in the world
With one person,
One very special person
A feeling deep in your soul
Says you are half now youre whole
No more hunger and thirst
But first be a person who needs people
People, people who need people
Are the luckiest people in the world.
With one person
One very special person
A feeling deep in your soul
Says you are half now youre whole
No more hunger and thirst
But first be a person who needs people
People, people who need people
Are the luckiest people in the world.
Janvier 2008
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