Interview de plusieurs blogueurs

Transcription

Interview de plusieurs blogueurs
bizz web
L’an passé, le salon
s’est tenu à Ajaccio,
en mai.
LAUREN KIM-MINN
LES NOUVELLES
COQUELUCHES DE
L’E-TOURISME
LAUREN KIM-MINN
ALEXANDRE
VENDÉ
est passé du statut
de blogueur spécialisé
sur New York
à celui de chef
d’entreprise.
WWW.BONS-PLANS-VOYAGE-NEW-YORK.COM
CONFÉRENCES. Blogueurs
et professionnels du tourisme
viennent au salon pour assister
à des conférences
et se perfectionner.
KARL DELANDSHEERE.
TROISIÈME ÉDITION DU SALON DES BLOGUEURS
DE VOYAGE «WE ARE TRAVEL»
SUR LE SITE YUMMY-PLANET,
les deux Liégeois Frédérique
et Karl abordent leurs voyages
selon l’angle de la cuisine.
KARL DELANDSHEERE.
Ils seront 200 à débouler dans les allées de Tour & Taxis
le premier week-end d’avril. Pour sa troisième édition,
le Salon des blogueurs de voyage francophones
prend de l’ampleur, à l’image du phénomène. Véritable vitrine
de l’e-tourisme de demain, ce nouveau business cherche
à se structurer et à se professionnaliser. LÉA AUBRIT
A
près deux années passées dans
le sud-est de la France, le Salon
des blogueurs de voyage We are
travel a mis le cap au nord,
répondant à l’invitation des
offices du tourisme de WallonieBruxelles et de Flandre. Les 3, 4 et 5 avril
prochains, le petit monde des blogueurs
globe-trotteurs sera donc réuni
à Bruxelles, sur le site Tour & Taxis.
En plus des conférences et des sessions
de speed dating organisées dans le cadre
du salon, les offices de tourisme ont
concocté plusieurs voyages de presse dans
les trois régions belges.
qui ne franchira jamais la porte d’une
agence de voyages et prépare lui-même
un séjour à la carte. Le blog de voyage
est désormais un acteur incontournable
de l’e-tourisme: les communautés réunies autour de leurs auteurs deviennent
une cible marketing pour les professionnels du secteur. Chaque blogueur
doit alors choisir sa propre voie, selon
son profil et ses attentes.
Un laboratoire, une vitrine
Amandine Legrand, 30 ans, et son compagnon François Thierenz Sanchez, 31
ans (unsacsurledos.com),
cumulent 45.000 visiteurs
Le blogueur
uniques (VU) par mois.
Des formules à la carte
Ce sont un peu les stars
Deux cents blogueurs et 70
commence
belges en la matière. Traexposants sont attendus
peu à peu
vaillant dans le marketing
cette année: des chiffres en
à remplacer
et l’informatique, ils voient
forte progression pour ce
salon créé en 2014 par
les journalistes leur blog, lancé en 2013,
comme une vitrine pour
Xavier Berthier, patron de
spécialisés
compétences respecsa propre agence de comdans le domaine leurs
tives. Avec le succès, très
munication et lui-même
du voyage.
vite, sont venues les problogueur. « Il y avait un
positions de rémunération,
besoin de professionnaliser
notamment d’insertion de
le métier, explique-t-il.
liens. «Cela ne corresponLa plupart des blogueurs
sont juste des voyageurs et n’ont pas l’ex- dait pas à l’idée que nous nous faisions de
périence du marketing. Nonante-neuf notre blog et qui répondait à mon plaisir
pour cent d’entre eux ont un travail à coté d’écrire», explique Amandine. «On n’avait
de leur blog. En face, il y avait une attente pas envie de ‘pourrir’ notre site, complète
des partenaires qui, eux, doivent appren- François. On nous a déjà proposé de nous
dre à traiter les blogueurs différemment payer pour mettre sur le blog des articles
de la presse: comme un média digital nou- tout faits et pleins de liens mais, si on fait
veau, avec lequel il faut travailler autre- ça, c’en est fini de notre image.» Comme
ment. Ils ont aussi des besoins face à l’évo- beaucoup, les deux blogueurs bruxellois
lution très rapide des technologies digi- ont choisi de privilégier les partenariats
basés sur des blogtrips ou voyages de
tales dans ce domaine.»
Une évolution rapide et une multitude presse. Ils voyagent alors gratuitement
de profils. A l’origine du blog, il y a une en échange d’une couverture sur les
passion, une façon personnelle de racon- réseaux sociaux et le blog. Ces voyages
ter et de partager qui touche les lecteurs. de presse représentent moins de la moiAvec le temps et le changement des habi- tié des voyages que le couple réalise
tudes de voyage des touristes, le blogueur chaque année. «On économise chaque
est devenu une personne ressource. mois un salaire et on vit en se serrant un
Son lecteur est le voyageur d’aujourd’hui peu la ceinture pour pouvoir partir ≤
WWW.TRENDS.BE 31 MARS 2016 69
JOHNNY VACAR
bizz web
ALEXANDRE
VENDÉ
en autofinancement, même si plus on
gagne en influence et plus les propositions de voyages de presse augmentent.»
Amandine et François tiennent à préserver cet équilibre entre voyages de
presse et voyages autofinancés, un choix
de fonctionnement partagé en partie par
d’autres blogueurs belges comme Melissa
Monaco, 42 ans, web content manager,
mieux connue sous le nom de Mellovestravels. «Je n’ai jamais fait de business
plan, explique-t-elle. Mon but est de donner des astuces, faire partager mes
impressions, etc. Mon blog est un moyen
de m’exprimer et de faire découvrir des
destinations qui me plaisent.»
Relation de confiance
Pour Frédérique Henrottin, 30 ans,
copywriter web et Karl Delandsheere, 33
ans, infographiste et photographe, un blog
est un «petit laboratoire personnel». Sur
yummy-planet.com, le couple de Liégeois
a choisi l’angle culinaire. «On l’a fait pour
voir mais quand même avec l’envie de le
faire de manière professionnelle: bien
construit, ergonomique et bien rédigé»,
expliquent-ils. En plus des voyages de
presse, il leur est arrivé d’accepter une
rémunération par liens, mais en étant
sélectifs. «On ne va pas accepter n’importe quoi juste parce que ça paye: cela
serait aller à l’encontre de la relation de
confiance que nous avons établie avec les
lecteurs, se défend Karl. Si on ne gère pas
cette autorégulation, on scie un peu la
branche sur laquelle on est assis.»
Car ce qui fait la force des blogueurs
voyage c’est bien la qualité de leur contenu
et la relation établie avec le lecteur qui
est, de fait, plus engagé. Une notion de
70 31 MARS 2016 WWW.TRENDS.BE
LE SALON
EN CHIFFRES
Troisième
édition après Nice en 2014
et Ajaccio en 2015
50
pour cent
des 70 exposants
sont des offices de tourisme,
les autres exposants
étant des entreprises privées
(hôtels, comparateurs de prix,
agences de location de voitures,
guides et applications de voyages,
etc).
200
blogueurs
attendus
Le prix d’entrée est fixé à
90
euros
par blogueur.
Les exposants déboursent
800 euros
(pour deux personnes).
60.000
euros
investis à parts égales
par les deux offices de tourisme
Wallonie-Bruxelles
et Flandre.
qualité, opposée à la course aux chiffres
et aux followers.
Pour Adeline Gressin, blogueuse française à plein temps (voyagesetc.com,
25.000 VU par mois), «les chiffres rassurent les professionnels du tourisme. Ils ne
comprennent pas que ce n’est pas une stratégie de faire de la masse: ils ne vendent
pas des déodorants mais des destinations
ciblées. Il faut aller vers quelque chose de
plus réfléchi. Cela commence à bouger:
de plus en plus d’indicateurs tendent à
signaler que maintenant c’est la qualité
qui doit primer». Aujourd’hui, cette repentie de la publicité arrive à gagner sa vie
grâce à son blog. «Je gagne moins de la
moitié de ce que je gagnais dans la pub car
j’avais un bon poste, raconte-t-elle. Je suis
plus précaire mais aussi plus libre.» Une
liberté qui demande des heures de travail
non comptées. «Partir en voyage de presse,
c’est être toute la journée debout, dîner le
soir en faisant des RP, être de retour dans
sa chambre à 23 heures et ensuite bosser
jusqu’à 2 heures du matin sur ses photos,
ses vidéos, énumère Adeline. Ça a l’air
facile mais, pour moi, une photo postée
sur Instagram avec un bon texte c’est 30
minutes de travail, minimum. On vend du
rêve mais, derrière, il y a un réel boulot.»
De vraies entreprises
Exceptionnellement, le blog de voyage
mène aussi à la création d’une véritable entreprise. Comme c’est le cas pour
Alexandre Vendé, ancien prof de sport
aujourd’hui à la tête d’un blog qui comptabilise 5.000 VU par jour et un chiffre
d’affaires de 370.000 euros par an. Avec
Bons plans New York, le Bordelais de 39
ans fait aujourd’hui travailler sept per-
recommande une destination et le blogueur entre un peu dans cette catégorie.»
sonnes (salariés et prestataires), vend des
livres, développe une application et s’apprête à vendre en B to B son expertise et
ses visites via un nouveau site. Il gagne
3.000 euros par mois et confesse lui-même
être passé du statut de blogueur à celui
de chef d’entreprise. «Je me professionnalise tout en restant Alex le blogueur.
J’essaye de jouer avec mon personnage,
tout en restant moi-même.»
Dans ce secteur en pleine expansion où
chacun créé son activité à la carte, le salon
est l’occasion de se rencontrer, d’échanger sur les pratiques et de prendre du recul.
C’est aussi, pour les professionnels du tourisme, un moyen d’appréhender ce nouveau média qu’est le blog. «Certains sont
encore réticents, même s’il y a eu une évolution ces dernières années, explique Pierre
Coenegrachts, directeur général adjoint
de Wallonie-Bruxelles Tourisme. Dans
les campagnes, le mot blogueur faisait un
peu peur mais, maintenant, on a compris
l’importance de la crédibilité et que cela
ne s’improvise pas.» Le blogueur commence peu à peu à remplacer les journalistes spécialisés dans le domaine du
voyage. «Les journalistes sont multitâches
et on ne voit plus régulièrement les mêmes
personnes, regrette Pierre Coenegrachts.
C’est donc plus compliqué de faire passer
des messages.» C’est dans ce contexte que
le blogueur entre en jeu: «ce sont des gens
passionnés qui font part de leur expérience
et qui sont donc des intermédiaires intéressants. On a beau faire des grandes campagnes de pub, le grand public sait que
c’est de la pub alors qu’un article ou l’avis
d’un tiers indépendant sur un blog a plus
de crédibilité. C’est encore plus fort lorsque
c’est un ami, une connaissance, qui vous
Trop de marketing?
- Les bannières de publicité.
- L’affiliation: le blogueur renvoie
via son blog vers un acte d’achat
et touche une commission
qui peut varier de 1 à 12%.
- Les liens rémunérés: un client
paye pour qu’un lien soit placé
dans un article.
- Vente de produits: application
pour smartphone, livre, etc.
- Articles sponsorisés: une marque
ou un office de tourisme paye
pour un article précis sur le blog,
- Voyage de presse / blogtrip:
les blogueurs sont invités
sur une destination en échange
d’une couverture numérique.
En sus de cette couverture personnelle, ils peuvent par la suite vendre
leurs textes, photos et vidéos à
d’autres médias.
- Le blog est une vitrine pour l’activité professionnelle du blogueur,
il valorise ses compétences
et se rémunère indirectement.
PG
AMANDINE ET FRANÇOIS
(ici en Patagonie) sont parmi
les blogueurs de voyage belges
les plus suivis.
PHOTO FRANÇOIS THIERENZ SANCHEZ
COMMENT
LES BLOGUEURS
GAGNENT-ILS
LEUR VIE?
XAVIER BERTHIER a créé le salon
We are travel en 2014.
Les entreprises privées sont aussi très
intéressées par le travail avec les blogueurs
et les partenariats qui peuvent naître via
un événement comme le salon. « Les
manières de voyager, de préparer son
voyage évoluent, et les blogueurs ont leur
rôle à jouer, explique Nadia Grimoult,
responsable communication & RP pour
liligo.com, comparateur de vols. Les informations qu’ils partagent ont une vraie
valeur ajoutée pour les voyageurs. Ce sont
à la fois des personnes auxquelles le public
peut s’identifier, tout en étant des voyageurs expérimentés qui ont l’habitude de
voyager et de produire du contenu en
même temps.» Pour cette société, les profils de ces nouveaux travailleurs du Web
sont multiples mais «la professionnalisation semble déjà bien en marche, pour
que leur influence perdure, à présent, ils
doivent continuer à se renouveler d’année en année, rester à l’affût des nouveaux
modes de communication, et développer
encore leur expertise».
Des questionnements sur l’évolution
des blogs de voyage qui seront fatalement
au cœur des discussions lors du salon.
Pour certains, il faut déjà veiller à ce que
le principe ne se dénature pas. «Depuis
quelques mois, des blogs se lancent
comme la dernière start-up à la mode avec
un timing millimétré et je trouve ça un
peu perturbant, regrette par exemple
Mélissa. J’ai l’impression qu’ils sont là,
pas vraiment pour partager leur envie de
voyager, mais pour essayer de profiter de
la vague des blogueurs de voyage. Ce sont
des gens bien branchés marketing et tout
semble trop réfléchi.» Un avis partagé par
Adeline Gressin: «Certains pensent que,
parce qu’ils ont un blog, ils peuvent
demander de partir gratuitement mais ce
n’est pas comme ça que cela marche.
Le salon doit être là pour former les jeunes
et leur dire, que ce n’est pas un jeu.
Les clients attendent quelque chose.»
Pour Frédérique et Karl, le concept
même du blog pourrait à un moment ou
un autre s’essouffler: «Cela devra évoluer, car on arrive à une espèce de saturation de contenu, c’est de plus en plus
difficile de trouver des niches: des gens
vont alors trouver des nouveaux moyens
de toucher le public.» z
WWW.TRENDS.BE 31 MARS 2016 71

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