L`inégalité - IIS "C. Marchesi"
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, Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara dossier DÉNONCER LES INÉGALITÉS Voir aussi: Montesquieu, “De l’esclavage des nègres”, Écritures…, vol. 1, p. 346 MONTESQUIEU Philosophe XVIIIe siècle Condamne l’esclavage BARTHES Philosophe XXe siècle Condamne le racisme fondé sur des préjugés encore tenaces au XXe condamner inégalité ROUSSEAU Philosophe XVIIIe siècle Voit dans l’instauration de la propriété privée l’origine de l’inégalité expliquer corriger BOSSUET Prêtre XVIIe siècle Explique aux riches le devoir de charité LAMENNAIS Prêtre XIXe siècle Démontre la misère du peuple Entrée en matière FLORA TRISTAN Femme écrivain XIXe siècle Défend l’éducation des femmes du peuple pour élever l’ensemble de la classe ouvrière Q u’il y ait des riches et des pauvres, des puissants et des faibles, des supérieurs et des inférieurs, que l’inégalité existe, c’est là une constatation qui a été faite tout au long des siècles. Des hommes, mus par des idéaux religieux ou des idéaux de justice, ont élevé la voix et pris la plume pour décrire, dénoncer ou condamner l’injustice. Leurs arguments ne sont pas toujours les mêmes, le ton qu’ils choisissent pour convaincre non plus. Voici un petit échantillon de textes sur ces problèmes sociaux. Ils ont en commun d’être des textes argumentatifs dont le but affirmé est de chercher à ouvrir les yeux de l’humanité sur trois grands problèmes: le sort des pauvres, le sort des femmes, le sort des esclaves. 1 TEXTE LITTÉRAIRE A BOSSUET Sermon sur l’éminente dignité des pauvres (1659) Le fardeau des pauvres À partir de 1659, Bossuet va consacrer dix ans de sa vie à la prédication, le plus souvent devant le roi et un parterre d’aristocrates. Pourtant, Bossuet est parfois d’une hardiesse surprenante dans sa défense des pauvres où l’on sent bien l’influence de saint Vincent de Paul, ce prêtre qui a tant fait pour soulager la misère si répandue à l’époque. Les notions de justice, de charité sont au cœur de ses sermons. Dans le Sermon sur l’éminente dignité des pauvres, Bossuet vient de démontrer que les riches qui sont les premiers sur la terre sont les derniers dans le royaume de Dieu, mais «s’il n’y a que des malheureux, qui soulagera les malheureux? … Venez donc, ô riches, dans son Église; la porte vous est enfin ouverte en faveur des pauvres, et à condition de les servir», car la richesse sera un fardeau au moment du jugement dernier. faut4, et donne des assignations aux nécessiteux sur le superflu des opulents. Entrez, mes frères, dans cette pensée: si vous ne portez le fardeau des pauvres, le vôtre vous accablera; le poids de vos richesses mal dis40 pensées vous fera tomber dans l’abîme: au lieu que, si vous partagez avec les pauvres le poids de leur pauvreté, en prenant part à leur misère, vous mériterez tout ensemble de participer à leurs privilèges. 1. Schiaccia. – 2. Piombare. – 3. Forgiati. – 4. Supplisca alla mancanza. Clés de lecture M 5 10 15 20 25 30 35 ais n’attendons pas cette heure fatale, et, pendant que le temps le permet, pratiquons ce conseil de saint Paul: Alter alterius onera portate: «Portez vos fardeaux les uns les autres». Riches, portez le fardeau du pauvre, soulagez sa nécessité, aidez-le à soutenir les afflictions sous le poids desquelles il gémit: mais sachez qu’en le déchargeant vous travaillez à votre décharge; lorsque vous lui donnez, vous diminuez son fardeau, et il diminue le vôtre; vous portez le besoin qui le presse1, il porte l’abondance qui vous surcharge. Communiquez entre vous mutuellement vos fardeaux, «afin que les charges deviennent égales»: ut fiat œqualitas, dit saint Paul. Car quelle injustice, mes frères, que les pauvres portent tout le fardeau, et que tout le poids des misères aille fondre2 sur leurs épaules! S’ils s’en plaignent et s’ils en murmurent contre la Providence divine, Seigneur, permettez-moi de le dire, c’est avec quelque couleur de justice: car étant tous pétris3 d’une même masse, et ne pouvant pas y avoir grande différence entre de la boue et de la boue, pourquoi verrons-nous d’un côté la joie, la faveur, l’affluence; et de l’autre la tristesse, et le désespoir, et l’extrême nécessité, et encore le mépris et la servitude? Pourquoi cet homme si fortuné vivrait-il dans une telle abondance, et pourrait-il contenter jusqu’aux désirs les plus inutiles d’une curiosité étudiée, pendant que ce misérable, homme toutefois aussi bien que lui, ne pourra soutenir sa pauvre famille, ni soulager la faim qui le presse? Dans cette étrange inégalité, pourrait-on justifier la Providence de mal ménager les trésors que Dieu met entre des égaux, si par un autre moyen elle n’avait pourvu au besoin des pauvres, et remis quelque égalité entre les hommes? C’est pour cela, chrétiens, qu’il a établi son Église, où il reçoit les riches, mais à condition de servir les pauvres; où il ordonne que l’abondance supplée au dé- 1 Dans la première partie, Bossuet utilise le terme «fardeau». De quoi s’agit-il? 2 Quels sont le connecteur et le nom qui introduisent la deuxième partie? Sur quel thème va donc porter la réflexion? 3 Sur quel présupposé Bossuet fonde-t-il son argument sur l’injustice? 4 Recherchez le connecteur qui introduit la conclusion. À qui s’adresse Bossuet? 5 Comment Bossuet justifie-t-il l’existence de l’Église? 6 Résumez en quelques mots les trois temps de la démonstration de Bossuet. – l 1 à 12: ........................................................................ – l. 12 à 32: ..................................................................... – l. 33 à fin: conclusion: ................................................. Écrire 7 Que pensez-vous de l’argumentation de Bossuet? Est-ce la première fois que vous l’entendez? Vous semble-t-elle adaptée au monde d’aujourd’hui? (15 lignes) Jacques Bénigne Bossuet est né en 1627 à Dijon et dès l’âge de 8 ans il décide de devenir prêtre. Ordonné à 25 ans, il se lance vite dans la prédication où ses dons oratoires le font exceller. Pendant dix ans, il prêchera à Paris. Puis le roi Louis XIV lui confie l’éducation du Dauphin pendant dix autres années où il dévoilera des qualités de pédagogue pour intéresser un enfant plutôt mou et paresseux. Nommé ensuite évêque de Meaux, il continue néanmoins à avoir un rôle national, en tant que chef de l’épiscopat français, et à prononcer les oraisons funèbres des grands du royaume, véritables chefs-d’œuvre d’éloquence. Il meurt en 1704. 2 , Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara DÉNONCER LES INÉGALITÉS , Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara TEXTE LITTÉRAIRE B JEAN-JACQUES ROUSSEAU L’inégalité Au XVIIIe siècle, les nombreuses académies des Belles Lettres un peu partout en province proposent des concours de dissertation. Le problème posé par l’Académie de Dijon est typique de l’intérêt du siècle sur les questions sociales: «Quelle est l’origine de l’inégalité des conditions parmi les hommes?». Jean-Jacques Rousseau a 43 ans; il se fait connaître pour son deuxième grand discours où il défend la thèse que la propriété est à l’origine de l’inégalité. Dans la première partie du discours, il a montré que l’homme, à “l’état de nature”, était naturellement bon. Il aborde alors la deuxième partie du discours. bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et per45 du le genre humain. 40 1. Pali. – 2. Ma sembra proprio. – 3. Operosità. – 4. Lische (di pesce). – 5. Ornarsi. – 6. Mestieri. – 7. Libere relazioni. L 5 10 15 20 25 30 35 Discours sur l’inégalité (1755) e premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire: Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux1 ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: «Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne!». Mais il y a grande apparence2 qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient: car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain: il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie3 et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature. [...] Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes4, à se parer5 de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique; en un mot, tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts6 qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant7; mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre, dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit Clés de lecture 1 Premier paragraphe a) Reformulez la thèse exprimée dans la première phrase. b) La deuxième phrase est une hypothèse qui ne s’est pas réalisée: laquelle? Quelles ont donc été les conséquences néfastes qui n’ont pas pu être évitées? c) La troisième phrase explique pourquoi l’hypothèse n’a pas pu être réalisée: quelle raison avance Rousseau? 2 Deuxième paragraphe a) Il est divisé en deux parties distinctes: retrouvez-les. b) Quel est le principe fondamental de l’état de nature et le principe de la société civile? c) Comment Rousseau, par son style, embellit-il l’état de nature et discrédite-t-il la civilisation? Observez la structure de la phrase et les mots. 3 Troisième paragraphe a) Rousseau conclut par un paradoxe. Expliquez-le à la lumière du paragraphe précédent. Quelle confusion font les poètes lorsqu’ils réfléchissent au problème de l’inégalité? b) Êtes-vous convaincu par la thèse de Rousseau? Jean-Jacques Rousseau (17121778) est un des penseurs les plus marquants du XVIIIe siècle. La réflexion politique qu’il propose est très moderne notamment dans son œuvre majeure: Le Contrat social (1762). Elle se prolonge dans une réflexion sur l’éducation, indispensable lorsqu’on pense à la naissance d’un citoyen idéal (L’Émile, 1762). Mais ce que la postérité a surtout retenu, c’est le portrait que Rousseau fait de lui-même dans deux œuvres autobiographiques, Les Confessions (1770) et Les Rêveries du promeneur solitaire (1778), où l’on découvre un homme tourmenté et solitaire, un peu paranoïaque et narcissique, mais profondément sensible. 3 , Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara TEXTE LITTÉRAIRE C FÉLICITÉ DE LAMENNAIS Les privilèges Alors que la Révolution semble loin et que l’ordre conservateur a repris ses droits en ce début de XIXe siècle, Lamennais ose aborder un discours social engagé, directement issu d’une lecture plus pure de la Bible et des idées libérales de l’époque, et dénoncer les abus des riches, le pouvoir de l’argent, les privilèges. Beaucoup des auteurs romantiques, Hugo, Lamartine, Balzac, Michelet lui sont redevables de leurs prises de position en faveur du peuple et des pauvres. té a été brisé. Le repos, l’opulence, tous les avantages pour les uns; pour les autres la fatigue, la misère et une fosse au bout. Ceux-là forment, sous différents noms, les classes élé45 vées; de ceux-ci se compose le peuple. 1. Veste. – 2. Consumato. – 3. Fastidioso. – 4. Immondezzaio. – 5. Per sempre. E 5 10 15 20 25 30 35 40 Le Livre du peuple (1837) n certains temps et certains pays, l’homme est devenu propriété de l’homme; on a trafiqué de lui, on l’a vendu, acheté comme une bête de somme. En d’autres pays et d’autres temps, sans lui ôter sa liberté, on a fait en sorte que le fruit de son travail revînt presque entier à ceux qui le tenaient sous leur dépendance. Mieux eût valu pour lui un complet esclavage: car le maître au moins nourrit, loge, vêt1 son esclave, le soigne dans ses maladies, à cause de l’intérêt qu’il a de le conserver; mais celui qui n’appartient à personne, on s’en sert pendant qu’il y a quelque profit à en tirer, puis on le laisse là. À quoi est-il bon lorsque l’âge et le labeur ont usé2 ses forces? À mourir de faim et de froid au coin de la rue. Encore son aspect choquerait-il ceux qui ont toutes les joies de la vie. Peutêtre leur dirait-il quand ils passent: Un morceau de pain pour l’amour de Dieu! Cela serait importun3 à entendre. On le ramasse donc et on le jette dans un de ces lieux immondes, de ces dépôts de mendicité, comme on les appelle, qui sont comme l’entrée de la voirie4. Partout l’amour excessif de soi a étouffé l’amour des autres. Des frères ont dit à leurs frères: Nous ne sommes pas de même race que vous; notre sang est plus pur, nous ne voulons pas le mêler avec le vôtre. Vous et vos enfants, vous êtes à jamais5 destinés à nous servir. Ailleurs on a établi des distinctions fondées, non sur la naissance, mais sur l’argent. – Que possédez-vous? – Tant. – Asseyez-vous au banquet social: la table est dressée pour vous. Toi qui n’as rien, retire-toi. Est-ce qu’il y a une patrie pour le pauvre? Ainsi la fortune a marqué les rangs, déterminé les classes; on a eu des droits de toutes sortes, parce qu’on était riche, le privilège exclusif de prendre part à l’administration des affaires de tous, c’est-à-dire de faire ses propres affaires aux dépens de tous ou de presque tous. [...] Tel est devenu le monde lorsque le lien de la fraterni- Clés de lecture 1 À quoi fait allusion Lamennais dans le premier paragraphe? Quel est le ton utilisé pour en parler: neutre ou virulent? 2 Sur quel paradoxe Lamennais construit-il son argumentation dans le 2e paragraphe? Expliquez en quoi la situation du pauvre d’aujourd’hui est plus grave encore que celle de l’esclave. 3 Pour quelles raisons les riches se sont-ils octroyés tous les droits? 4 Quelle est la grande hypocrisie des classes dirigeantes dénoncée par Lamennais? 5 Les deux derniers paragraphes forment la conclusion. Montrez qu’elle est construite sur une opposition. 6 Pourquoi ce texte apparaît-il convaincant? Quel sentiment éprouve-t-on à travers ces lignes? Écrire 7 Résumez le texte en quelques lignes. Félicité de Lamennais (1782-1854), breton de naissance, commence sa carrière sacerdotale en défendant avec véhémence la religion catholique traditionnelle. Puis, après la révolution de 1830, il prend conscience de l’injustice, de la misère et soutient le peuple au nom même du christianisme. Ses idées libérales sont condamnées par le Pape, mais Lamennais rompt avec Rome et publie en 1834 Paroles d’un croyant où ses convictions socialistes mêlées de mysticisme le font exclure de l’Église. En 1837, il publie Le Livre du peuple. Il sera membre de l’Assemblée Nationale en 1848, mais après le coup d’état de Louis Napoléon il abandonne toute activité politique. 4 TEXTE LITTÉRAIRE D FLORA TRISTAN Plaidoyer pour les femmes Dans ce discours qu’elle adresse aux ouvriers, Flora Tristan démontre l’utilité de la femme dans l’amélioration de la condition ouvrière. Clés de lecture 1 Premier paragraphe a) À quoi Flora Tristan exhorte-t-elle les ouvriers dans le premier paragraphe? b) Quel paradoxe apparent va-t-elle démontrer? O 5 10 15 20 25 30 35 40 45 Des Moyens de constituer la classe ouvrière (1843) uvriers, vous n’avez pas pouvoir d’abroger les anciennes lois et d’en faire de nouvelles, – non, sans doute –; mais vous avez le pouvoir de protester contre l’iniquité et l’absurdité des lois qui entravent1 le progrès de l’humanité et qui vous font souffrir, vous, plus particulièrement. Vous pouvez donc, c’est même un devoir sacré, protester énergiquement en pensées, en paroles et en écrits, contre toutes les lois qui vous oppriment. Or donc, tâchez de bien comprendre ceci: la loi qui asservit la femme et la prive d’instruction, vous opprime, vous, hommes prolétaires. Pour l’élever, l’instruire et lui apprendre la science du monde, le fils du riche a des gouvernantes et institutrices savantes, des directrices habiles, et enfin, de belles marquises, femmes élégantes, spirituelles, dont les fonctions, dans la haute société, consistent à se charger de faire l’éducation des fils de famille qui sortent du collège. C’est une fonction très utile pour le bien-être de ces messieurs de la haute noblesse. Ces dames leur apprennent à avoir de la politesse, du tact, de la finesse, de la souplesse dans l’esprit, de belles manières; en un mot, elles en font des hommes qui savent vivre, des hommes comme il faut. Pour peu qu’un jeune homme ait de la capacité, s’il a le bonheur d’être sous la protection d’une de ces femmes aimables, sa fortune est faite. A trente-cinq ans il est sûr d’être ambassadeur ou ministre. Tandis que vous, pauvres ouvriers, pour vous élever, vous instruire, vous n’avez que votre mère; pour faire de vous des hommes sachant vivre, vous n’avez que les femmes de votre classe, vos compagnes d’ignorance et de misère. Ce n’est donc pas au nom de la supériorité de la femme (comme on ne manquera pas de m’en accuser) que je vous dis de réclamer des droits pour la femme: non vraiment. D’abord, avant de discuter sur sa supériorité, il faut que son individu social soit reconnu. Je m’appuie sur une base plus solide. C’est au nom de votre intérêt à vous, hommes; c’est au nom de votre amélioration, à vous hommes; enfin, c’est au nom du bien-être universel de tous et de toutes que je vous engage à réclamer des droits pour la femme, et, en attendant, de les lui reconnaître au moins en principe. C’est donc à vous, ouvriers qui êtes les victimes de l’inégalité de fait et de l’injustice, c’est à vous qu’il appartient d’établir enfin sur la terre le règne de la justice et de l’égalité absolue entre la femme et l’homme. 2 Deuxième paragraphe Il est construit sur une opposition. Formulez-la en quelques mots. 3 Troisième paragraphe a) Pour donner plus de poids à son argumentation, Flora Tristan récuse une accusation qu’on pourrait lui faire, celle de défendre l’idée d’une supériorité féminine. Pourquoi cette précaution? b) Pourquoi les ouvriers sont-ils les mieux placés pour réclamer l’égalité des droits entre la femme et l’homme? Débat 4 L’instruction des femmes a-t-elle provoqué des changements dans la société depuis l’époque de Flora Tristan? Qui aujourd’hui a en charge l’éducation des enfants et des jeunes, dans la famille et à l’école? Qu’en pensez-vous? Journal de voyage au Pérou. Flora Tristan (1803-1844) est l’une des premières femmes féministes et socialistes. Féministe, elle quitte son mari avec ses deux enfants (dont Aline, future mère de Gauguin), voyage au Pérou d’où était originaire son père, prend parti pour le divorce dans les Pérégrinations d’une paria (1838). Socialiste, elle se bat pour l’union des travailleurs. 1. Ostacolano. 5 , Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara DÉNONCER LES INÉGALITÉS , Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara TEXTE LITTÉRAIRE E ROLAND BARTHES Bichon chez les nègres Roland Barthes, philosophe et critique contemporain, explique, à partir d’un article de journal pris dans une revue française illustrée, très populaire, Paris Match, comment se manifeste la pensée raciste même lorsqu’elle n’est pas explicite. M 5 10 15 20 25 30 35 40 Mythologies (1955) atch nous a raconté une histoire qui en dit long sur le mythe petit-bourgeois du Nègre: un ménage1 de jeunes professeurs a exploré le pays des Cannibales pour y faire de la peinture; ils ont emmené avec eux leur bébé de quelques mois, Bichon. On s’est beaucoup extasié sur le courage des parents et de l’enfant. D’abord, il n’y a rien de plus irritant qu’un héroïsme sans objet. C’est une situation grave pour une société que de se mettre à développer gratuitement les formes de ses vertus. Si les dangers courus par le jeune Bichon (torrents, fauves2, maladies, etc.) étaient réels, il était proprement stupide de les lui imposer, sous le seul prétexte d’aller faire du dessin en Afrique et pour satisfaire au panache douteux3 de fixer sur la toile «une débauche4 de soleil et de lumière»; il est encore plus condamnable de faire passer cette stupidité pour une belle audace, bien décorative et touchante. […] Le voyage des parents de Bichon dans une contrée située d’ailleurs très vaguement, et donnée surtout comme le Pays des Nègres Rouges, sorte de lieu romanesque dont on atténue, sans en avoir l’air, les caractères trop réels, mais dont le nom légendaire propose déjà une ambiguïté terrifiante entre la couleur de leur teinture et le sang humain qu’on est censé y boire, ce voyage nous est livré ici sous le vocabulaire de la conquête: on part non armé sans doute, mais «la palette et le pinceau à la main», c’est tout comme s’il s’agissait d’une chasse ou d’une expédition guerrière, décidée dans des conditions matérielles ingrates (les héros sont toujours pauvres, notre société bureaucratique ne favorise pas les nobles départs), mais riche de son courage – et de sa superbe (ou grotesque) inutilité. Le jeune Bichon, lui, joue les Parsifal5, il oppose sa blondeur, son innocence, ses boucles et son sourire, au monde infernal des peaux noires et rouges, aux scarifications et aux masques hideux6. Naturellement, c’est la douceur blanche qui est victorieuse: Bichon soumet «les mangeurs d’hommes» et devient leur idole (les Blancs sont décidément faits pour être des dieux). Bichon est un bon petit Français, il adoucit et soumet sans coup férir les sauvages: à deux ans, au lieu d’aller au bois de Boulogne, il travaille déja pour sa patrie.[...] On a déja deviné l’image du Nègre qui se profile derrière ce petit roman bien tonique: d’abord le Nègre fait peur, il est cannibale; et si l’on trouve Bichon héroïque, c’est qu’il risque en fait d’être mangé. Sans la présence implicite de ce risque, l’histoire perdrait toute vertu de choc, le lecteur n’aurait pas peur; aussi, les confrontations sont multipliées où l’enfant blanc est seulement abandonné, insouciant et exposé dans un cercle de Noirs potentielle50 ment menaçants (la seule image pleinement rassurante du Nègre sera celle du boy, du barbare domestiqué, couplé d’ailleurs avec cet autre lieu commun de toutes les bonnes histoires d’Afrique: le boy voleur qui disparaît avec les affaires du maître). À chaque image, on doit fré55 mir de ce qui aurait pu arriver: on ne le précise jamais, la narration est «objective»; mais en fait elle repose sur la collusion7 pathétique de la chair blanche et de la peau noire, de l’innocence et de la cruauté, de la spiritualité et de la magie; la Belle enchaîne la Bête, Daniel8 se fait lé60 cher par les lions, la civilisation de l’âme soumet la barbarie de l’instinct. 45 1. Coppia. – 2. Belve feroci. – 3. Dubbioso, orgoglioso. – 4. Orgia. – 5. Nella leggenda del santo Graal, l’innocente e puro Parsifal trionfa sulle forze del male. – 6. Mostruose. – 7. Complicità. – 8. San Daniele, eroe biblico gettato ai leoni. Clés de Lecture 1 Quel est le rôle du 1er paragraphe? 2 Quel est le premier reproche qu’adresse Barthes à l’entreprise des jeunes professeurs dans le 2e paragraphe? 3 Lisez le 3e paragraphe. Quelles connotations faut-il attribuer aux couleurs dans le récit par Paris Match? Quel message à son avis délivre la revue? Comment Barthes fait-il comprendre qu’il est contre ce type de présentation? 4 Sans le dire, l’article repose sur des préjugés de la société blanche. Lesquels? En quoi sont-ils mythiques? Lisez le 4e paragraphe. Critique et philosophe, professeur au Collège de France, Roland Barthes (1915-1980) a beaucoup influencé la pensée française dans la seconde moitié du XXe siècle. Utilisant à la fois les apports de la linguistique, de l’anthropologie et de la psychanalyse, il a développé une approche structurale de la littérature (Le Degré zéro de l’écriture, 1953, S/Z, 1970, Le Plaisir du texte, 1973) et a proposé une sémiologie du monde contemporain (Mythologies, 1957, Système de la mode, 1967, L’Empire des signes, 1970). 6 FAISONS LE POINT Complétez le tableau de façon à pouvoir comparer les différents textes et répondez aux questions. a) Quels sont les textes qui parlent essentiellement de l’inégalité des classes, de l’inégalité des sexes, de l’inégalité des races? b) Dans quels textes perçoit-on un sentiment de révolte personnelle contre l’injustice? c) Quels textes utilisent l’ironie comme arme pour convaincre? Lesquels en appellent à la raison et lesquels touchent la sensibilité? d) Quels textes, au-delà de la dénonciation, proposent une ligne de conduite? Textes et auteurs Bossuet Nature du texte sermon Destinataire les fidèles et en particulier les riches Thème(s) pauvreté charité Nature des arguments – égalité des riches et des pauvres en tant que créatures – supériorité des pauvres dans l’église – nécessité pour les riches de pratiquer la charité par intérêt religieux Moyens stylistiques éloquence Rousseau Lamennais Flora Tristan Barthes Montesquieu Débat Les textes présentés parlent du passé. Aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, les choses ont-elles changé? a) Réfléchissez individuellement sur les questions suivantes: – Qui sont les riches et les pauvres d’aujourd’hui? – Qu’est-ce qu’un auteur d’aujourd’hui pourrait ou devrait dénoncer? Comment envisager la solidarité? b) Organisez le débat en classe: 1/2 h maximum. Choisissez quatre rapporteurs qui prendront des notes. c) Chaque rapporteur, aidé d’un groupe d’élèves, préparera un compte-rendu écrit du débat. Veillez à la qualité de vos arguments. 7 , Kaléidoscope, Pagina scaricabile dal sito www.scuola.com - © 2009 De Agostini Scuola SpA – Novara DÉNONCER LES INÉGALITÉS