«SPHAIR a été le début, le trip…»

Transcription

«SPHAIR a été le début, le trip…»
Capitaine Julien «Teddy» Meister – Avec SPHAIR jusqu’au cockpit du F/A-18 | Special – Professions de l’aviation
Texte: Daniel Lüthi
I
l faut une demi-heure pour rallier Payerne depuis Fribourg en
train. Aux commandes de son jet, le même temps suffirait à
Julien «Teddy» Meister pour franchir 600 kilomètres, jusqu’à la
côte atlantique, par exemple. S’il volait à Mach 2 (deux fois la vitesse
du son, soit 2400 km/h environ), il couvrirait deux fois cette distance.
Le chemin de fer s’étire à travers un paysage paisible parsemé de
douces collines, de vertes prairies et forêts, de quelques fermes et de
quantité de maisons individuelles: tout ce que veut justement protéger
Julien «Teddy» Meister avec son jet, son escadrille d’aviation et sa mission. «Bien évidemment, on vit sans cesse des moments formidablement dans les airs. On profite de paysages magnifiques, on savoure des
ambiances hors pair, on ressent la puissance de la machine et les possibilités de la technique», confie Teddy, «mais nous avons pour mandat
de défendre la Suisse. C’est pourquoi nous nous exerçons constamment au combat aérien. Les perdants sont aussi ceux qui perdent les
guerres. S’il y a peu de chance de voir une guerre éclater ici ces prochaines années, espérons-le, nous devons impérativement maintenir
le haut niveau de notre savoir-faire et de notre infrastructure». Contrairement aux exercices libres, ceci est une obligation. Autre aspect apparemment contradictoire: le pilote fribourgeois fait plus à penser à un
copain et à un bon père de famille qu’à un foudre de guerre. Teddy est
une type modeste qui fait son travail, pas un «superman». Mais c’est
avant tout un grand mordu de vol, qui peut vivre sa passion à fond.
Voilà pour la «partie libre» qui techniquement, est certainement la plus
difficile.
Couronnement d’une carrière
Depuis une année, Julien «Teddy» Meister est l’unique «Solo Display
Pilot» de Suisse, exécutant un one man show d’un genre tout particulier. «C’est vraisemblablement le couronnement de ma carrière», déclare le pilote militaire. Dans son jet de combat F/A-18 Hornet, il accomplit un programme solo d’une douzaine de minutes lors de meetings aériens pacifiques en Suisse comme à l’étranger, face aux spectateurs ébahis. «Cet avion est extrêmement maniable, surtout à basse
vitesse. Dès après le décollage, à peine arraché à la piste, j’effectue la
“take-off loop” avec une belle lenteur, toujours à la limite du décrochage». Puis suivent tonneaux, immelmanns, «reversals» et «square
loops».
Le F/A-18 Hornet est vraiment capable de décrire des quadrilatères. «NO AOA LIMIT», peut-on lire sur la combinaison de Teddy,
c’est-à-dire «No Angle of Attack Limit»: aucune limite d’angle d’attaque. «Cet engin me permet de décrire des figures dont un Mirage ne
serait jamais capable, très lentement et seulement à 30 mètres du sol.
Je n’ai qu’à tirer sur le manche et donner de la poussée et c’est parti:
l’avion grimpe en flèche vers le ciel, les montagnes disparaissent
en-dessous et la terre s’éloigne. C’est cela, la troisième dimension: une
sensation qu’on ne peut éprouver nulle part ailleurs.»
Julien «Teddy» Meister n’a pas
construit d’avions modèles
­réduits dans sa petite enfance.
Mais sa décision a été prise
quand il était collégien: «Je
veux devenir pilote militaire».
Aujourd’hui «Hornet Solo Display Pilot», il est un porte-drapeau des Forces aériennes
suisses. Il évoque le SPHAIR, où
commence une telle carrière.
Photo: Steve Vonlanthen
«SPHAIR a été le début, le trip…»
La motivation: un aspect central
La fascination pour le vol n’est pas héréditaire chez les Meister. «Mon
père et ma mère, pharmaciens l’un et l’autre, ne m’ont jamais accompagné à un meeting aérien. Je voulais voler et ils en ont pris acte». Mais
ces parents ne se sont pas opposés aux ambitions aéronautiques de
leur fils quand il était au collège. «Voler était plus qu’un rêve. C’était
un objectif déclaré. Et SPHAIR a été le début, le “trip”. Cette formation
a ouvert mon horizon, éveillant véritablement ma motivation. C’est
pourquoi j’apprécie aujourd’hui d’être ambassadeur de SPHAIR et c’est
avec fierté et bonheur que je retransmets mon expérience, motivant à
mon tour les jeunes pour ce métier fascinant. Le défi est absolument
captivant!». À l’époque, SPHAIR s’appelait encore IAP et «Teddy»
n’était encore qu’un novice. «Je me souviens précisément de mon premier vol. De cette sensation incroyable: je me suis dit, “maintenant,
c’est moi le patron !”. Je crois que c’était la première fois dans ma vie
où j’ai vraiment dû assumer une responsabilité». Le deuxième cours
laisse à Teddy le souvenir d’une grande rigueur: «Il fallait apprendre
par cœur les check-lists et les procédures et mettre en œuvre tout ce
que l’instructeur de vol avait dit lors du débriefing. Je voulais être le
meilleur. Car je le savais: c’était là ma chance. Sur les quelque 1500
personnes initialement inscrites, seule une poignée allaient en fin de
compte devenir pilotes militaires.»
La psychologue de l’Institut de médecine aéronautique à Dübendorf n’a pas donné de grands espoirs à Teddy. «Comme je n’avais pas
construit d’avions modèles réduits ni lu de magazines aéronautiques
dans mon enfance, elle m’a laissé entendre que ma motivation était
sujette à caution», se rappelle Teddy avec un sourire sur les lèvres.
«Mais j’en étais déjà conscient: avec la bonne santé physique et mentale et un peu de chance également, la motivation est le plus important
critère de succès. Et je savais en même temps que c’était ce que je désirais plus que tout. Visiblement, j’ai finalement pu en convaincre la
psychologue». Et d’imiter de la main droite le mouvement d’un avion
au décollage pour appuyer ses propos.
➜ Profession: pilote militaire
Profil requis
• Citoyenneté suisse
Exigences scolaires
• Apprentissage professionnel avec Maturité, ou Maturité de fin de
collège
• Passage réussi par SPHAIR (examen d’aptitude aéronautique)
avec recommandation comme pilote militaire ou licence de pilotage civile (changement de cap professionnel)
Exigences militaires
• Formation militaire de base, y compris réussite du service pratique comme lieutenant
Exigences physiques
• Taille: au moins 160 cm, au plus 195 cm
• Acuité visuelle non corrigée d’au moins 0,5 pour chaque œil et de
1,5 corrigée (1,0 pour chaque œil)
• Bonne condition physique
• Critères de santé contrôlés comme positifs à l’Institut de médecine aéronautique de Dübendorf
• Moins de 26 ans au commencement de l’école de pilotes
Exigences sociales
• Personnalité équilibrée
• Résistance au stress
• Haute conscience de ses responsabilités
Exigences spécialisées
• Bonnes connaissances de l’anglais et d’une deuxième langue
nationale
Pour plus d’informations: www.sphair.ch ou www.airforcepilot.ch
AeroRevue/Cockpit Special Juin/2014 | 19
Photo: màd
Capitaine Julien «Teddy» Meister – Avec SPHAIR jusqu’au cockpit du F/A-18 | Special – Professions de l’aviation
Photo: Steve Vonlanthen
Julien «Teddy» Meister: notes biographiques
Au programme: la diversité
Le premier vol en jet lui a fait l’effet d’un «saut quantique», dont Teddy
garde aussi un souvenir précis: «C’était à Emmen, à bord d’un Hawk.
Après le décollage, je n’ai pratiquement plus entendu aucun bruit dans
le cockpit. Quelle différence par rapport au PC-7! D’ailleurs, le poste
de pilotage du F/A-18 est assez silencieux aussi.»
Aujourd’hui, c’est le calme dans le bâtiment administratif de
l’Escadrille d’aviation 17 à Payerne. Teddy y effectue un travail d’appoint: celui de HOPA, à savoir «Hornet Pilot Assistant». Par radio, il
conseille un collègue qui a signalé un problème. La fixation de l’échelle
sous l’avion est apparemment ouverte. «Si l’échelle se détache pendant
le vol et qu’elle s’engouffre dans une entrée d’air d’un réacteur, c’est la
catastrophe». Le jet concerné revient à la base, mais il est un peu lourd
pour atterrir, puisqu’il a encore presque tout son carburant. Par bonheur, seul un échauffement des freins est à signaler.
En situation normale, Teddy passe environ deux heures par jour
dans les airs. «Les missions vont de la protection de notre espace aérien, par exemple lors d’une conférence internationale, aux exercices
complexes de combat aérien, impliquant dix chasseurs, dont deux Mirage français. En comptant les discussions préalables et les debriefings, un tel exercice peut durer jusqu’à huit heures».
Julien «Teddy» Meister est né à Morges en 1980, où il a aussi effectué sa
scolarité. En parallèle au collège, il a suivi les deux cours de l’Instruction
Aéronautique Préparatoire IAP (à Porrentruy en 1997 et à Sion en 1999),
ancien nom du SPHAIR. Il a entamé des études d’économie à l’Université
de Lausanne, tout en sachant qu’il voulait devenir pilote militaire. Il a
fait son école de recrues en 2000 à Magadino, où il s’est formé sur PC-7. Il
s’est ensuite reconverti sur jet d’entraînement Hawk, puis sur F-5 Tiger. Le
brevet de pilote militaire et d’officier a suivi, en 2002. Depuis 2006, Julien
Meister vole sur F/A-18, comme membre de l’Escadrille d’aviation 17. Il est
en outre instructeur de vol et sur simulateur, en même temps que «Hornet
Solo Display Pilot» depuis cette année, jouant donc le rôle de «porteenseigne» des Forces aériennes lors de meetings aériens en Suisse ou à
l’étranger. Il a cumulé plus de 2000 heures de vol, dont environ 800 sur
F/A-18 «Hornet». «Teddy» Meister est marié et père d’un fils de trois ans.
Il réside avec sa famille à Yverdon.
Autre point culminant dans la carrière de Teddy: son travail
comme instructeur sur simulateur de F/A-18. Sa tâche: un «multitasking» multiplié par deux. Fournir des missions complexes au pilote
tout en contrôlant comment celui-ci les maîtrise. Alimenter le système
en conditions météo et messages radio, surveiller quatre moniteurs et
actionner des centaines de boutons tout en tenant en permanence à
l’œil l’espace aérien et surtout en restant «cool»: voilà une autre performance de choix de Julien Meister. Il ne manque plus que les «g» de
la réalité, c’est-à-dire les impacts des accélérations sur l’organisme. Les
candidats ne peuvent s’exercer à les dominer qu’en centrifugeuse. «Il
s’agit de ne pas perdre conscience et de supporter les contraintes physiques, raison pour laquelle l’entraînement physique est essentiel et
l’âge limite de ce métier est fixé à 55 ans.»
Incidemment, le capitaine Meister a reçu son surnom pour une
histoire beaucoup plus banale que ne l’est son quotidien. «J’y ai eu
droit dès ma première journée à l’école de recrues, sous la douche,
quand mes collègues ont vu mon torse poilu». Depuis, Julien s’appelle
Teddy. Il en est d’ailleurs fier. Car c’est aussi son sobriquet d’escadrille,
confirmant chaque jour la réussite de ses ambitions: être devenu ce
qu’il a toujours voulu être. ‹
AeroRevue/Cockpit Special Juin/2014 | 21

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