MAXI MOTO – Numéro 97 – juin 2010

Transcription

MAXI MOTO – Numéro 97 – juin 2010
La route
Deux petites Kawa dans le Doubs
Douce France
Amateurs de paysages paisibles, de petites routes qui serpentent sereinement
entre deux vallées et de nourriture roborative, réjouissez-vous ! Entre Vosges,
Suisse et Jura, le département du Doubs offre au motard à l’esprit vagabond
largement de quoi satisfaire ses envies d’évasion.
Texte : Philippe Guillaume
Photos : François Poncet
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La route
Une salaison à Pierrefontaineles-Varans : le paradis pourrait bien
ressembler à ça…
Deux petites Kawa dans le Doubs
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n sera toujours surpris,
pour ne pas dire étonné,
devant l’attrait des
gens pour le clinquant
et l’exotisme à deux
balles. L’herbe est forcément plus
verte à côté, semble-t-il. Il existe
pourtant des régions et des
départements dont on parle peu.
Terroirs immuables à l’écart
de l’actualité et des projecteurs
médiatiques, ils réservent leurs
secrets à ceux qui se donnent la
peine de bien vouloir aller les
dénicher.
Le Doubs est de ceux-là. Rien que
le nom de ce département, coincé
entre les Vosges, le Jura et la
Suisse, sonne un peu « France
profonde ». De celle dont on
parlait dans les émissions de
l’excellent Pierre Bonte sur la
vache montbéliarde (savez-vous
qu’avec sa robe pie rouge et
blanc, ses courbes généreuses,
sa démarche tranquille et son
regard doux, elle seule permet à
ce que le comté soit produit avec
le label AOC ?), ou de celle de
l’inénarrable Jean-Pierre Pernaut,
incollable sur les clochers
comtois, au nombre de 700
dans la région et dont l’origine
architecturale vient de la Florence
médiévale. Eh oui !
Mais le Doubs ne fait pas que
se reposer sur un patrimoine
pluriséculaire. Ce département
dynamique ne se contente pas
d’offrir tout le nécessaire au
motard en quête de plaisir et
d’évasion, il sait aussi proposer
aux amateurs de deux-roues la
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meilleure hospitalité qui soit,
comme cela nous l’a été confirmé
lors de notre séjour au guidon de
deux pétillantes Kawasaki, l’ER-6f
et la Versys. Deux petites motos
légères et pas prise de tête,
qui n’auront de cesse de nous
étonner tout au long de ce périple
par leur facilité d’usage et leur
polyvalence.
Itinéraires bis
Pour bien découvrir une région,
il est indispensable de sortir
des sentiers battus : le parcours
nous a été concocté par JeanLouis Allemand, un motard
aussi passionné qu’amoureux
de sa région (voir encadré).
Jean-Louis nous ouvrait la route
sur une Yamaha TDM 900 (il
possède aussi une bien belle BMW
R 1150 RT et une fort sublime
MZ 125 ETZ tandis que son fils,
qu’il a manifestement bien élevé,
roule sur une Ducati Multistrada
1000 DS). Jean-Louis est un pur
biker, un vrai, jusque dans les
détails qui tuent : la preuve,
il avait des chaussettes jaunes
Joe Bar Team ! Néanmoins, suivre
Jean-Louis, c’est l’assurance
de ne pas rencontrer une seule
autoroute, ni même une nationale
à quatre voies, pas plus que
(suprême horreur !), un radar
automatique. L’évasion, la vraie,
en quelque sorte.
Dès la sortie de Montbéliard, le
ton est donné : la route serpente
dans les sous-bois en direction
des montagnes du Lomont.
Passage rapide devant le siège
social des cycles Peugeot, en
regrettant que leur devanture soit
triste à mourir et ne mette pas en
valeur l’incroyable patrimoine de
l’un des plus vieux constructeurs
de deux-roues motorisés. Les
amateurs de véhicules anciens,
toutefois, n’hésiteront pas à
faire le détour par Sochaux pour
visiter le musée de l’Aventure
Peugeot où une cinquantaine de
cyclos et de motos sont exposés,
à côté d’un alignement exhaustif
d’automobiles. Tout comme
les adeptes des mécaniques de
haute précision, ce n’est pas
incompatible, gagneront à rendre
une petite visite au musée de
l’Horlogerie, situé à Morteau.
Bref, quelques minutes plus tard,
ce sont les vestiges du théâtre
romain d’Epomanduodurum
(enfin, maintenant, ça s’appelle
Mandeure), incroyablement
conservés, qui s’exhibent sous
nos yeux. Ce théâtre avait
18 000 places, soit à peine moins
que la population actuelle de
Montbéliard, ville toute proche !
Bref, en moins de dix minutes,
deux des facettes du Doubs se
livrent à nous : le patrimoine
culturel et industriel est
omniprésent. Pourtant, comme
toujours en ce qui nous concerne,
l’appel de la route reste le plus
fort. Les deux twins presque
identiques de nos motos
trépignent d’impatience (surtout
celui de la verte, un peu moins
souple à très bas régime) avant
de grimper les premiers reliefs.
Une petite route serpente
dans les forêts de hêtres et de
sapins qui filtrent la lumière. La
moyenne horaire ne doit guère
dépasser les 50 km/h et pourtant,
c’est le bonheur. Quand une
région parvient à faire passer
la monture au second plan,
c’est qu’elle a gagné son pari
de séduction. Même si nos deux
petites Kawasaki se distinguent
par leur caractère joueur ; même
si, travers professionnel oblige,
nous avons du mal à rester zen au
guidon quand se profile une série
de virages, l’atmosphère paisible
de ce début de balade dans cet
océan de verdure nous plonge
dans une humeur contemplative
et la matinée se déroule plus vite
que prévu. Soudain, à l’occasion
d’une énième pause, alors que la
vallée résonne du tempo paisible
des cloches des montbéliardes,
Jean-Louis nous annonce avec un
sourire énigmatique : « Les amis,
je crois qu’il est temps de passer
à table. »
C’est du lourd !
Et la table, c’est un truc que
les Franc-Comtois prennent au
sérieux. Enfin, avec les vaches,
les horloges, l’absinthe et les
clochers, ceci nous prouvant
une fois de plus que l’autochtone
aime les plaisirs simples, ce qui
ne saurait constituer en rien un
reproche. Ce trait de caractère
se retrouve dans un sens de
l’accueil à la fois simple, sincère
et chaleureux. Ces mêmes
qualificatifs s’appliquent
d’ailleurs à la perfection
Les joies simples de la vie à la campagne :
se rassembler entre amis. Autour d’une bonne
croûte par exemple...
À droite, le sanglier
des Ardennes ; à gauche, l’horloge
comtoise. Qui est le plus vieux ?
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y en a un qui colle un peu aux dents…
Que ce soit en mode attaque ou tranquille,
les routes du Doubs savent varier les plaisirs.
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Douce France
La route
Deux petites Kawa dans le Doubs
à ce que l’on trouve dans son
assiette. On se demande même
comment une région qui nourrit
ses habitants d’une telle façon
n’est pas entièrement peuplée
d’obèses ! Le Franc-Comtois moyen
a l’air robuste, mais svelte ; peutêtre devons-nous mettre cela sur
le compte des hivers plus que
rigoureux qui l’obligent à puiser
dans ses réserves.
Par contre, l’honnêteté m’oblige
à devoir aborder un sujet qui
risque, au passage, de nous faire
perdre un paquet de lecteurs
franc-comtois (ce qui est triste
en soi, mais notre magazine
étant un tel succès d’édition,
on s’en remettra). Il existe
là-bas un gigantesque complot
qui regroupe absolument tous
les habitants, et qui consiste
à faire croire à tout nouvel
arrivant qu’il doit absolument
tester une spécialité divine
pour pouvoir, enfin, être admis
par ses hôtes. Cette séance
d’intégration (en d’autres
termes : un bizutage) compte sur
la naïveté du visiteur, sa bonne
éducation, son empressement
à ne pas vouloir heurter les
sensibilités de l’autochtone (qui
a toujours des mœurs bizarres,
c’est bien connu), visiteur qui
se retrouve, bien malgré lui,
à tenter d’ingurgiter une pâte
épaisse et collante, inodore bien
que légèrement acide, et dont la
consistance permettrait, le cas
échéant, de réparer une bielle
défectueuse sur le bord de la
route. Vous voilà prévenu : si
on vous force (gentiment, mais
attention, ça peut quand même
se produire au petit-déjeuner…) à
goûter de la cancoillotte (déjà, le
nom, ça sonne comme une farce),
méfiez-vous, c’est la variante
locale de la tarte au concombre.
Variante locale qui a malgré tout
ses fans, car tous les goûts sont
dans la nature.
Mais pour le reste, il n’y a rien
à dire : ça vaut le détour, et pas
qu’un peu. Toutes les tables
que nous avons visitées nous
ont prouvé qu’apport calorique
conséquent et raffinement
n’étaient pas des notions
incompatibles. À la chèvrerie
ferme-auberge du Motier, par
exemple, devant un coq au vin et
aux morilles, un gratin au morbier
et quelques pâtisseries maison,
on se dit que la langue française
manque de mots pour exprimer
le soudain sentiment de volupté
qui nous envahit. Si nous étions
doué d’un quelconque talent
artistique, il nous viendrait l’envie
d’écrire un petit alexandrin,
là, sur la nappe en papier, en
hommage à l’alliance sacrée de
la pomme de terre, du fromage
et de la charcutaille. Mais bon, à
force de vous parler de saucisses,
vous devez croire que vous
n’êtes plus plongé dans la lecture
de maximoto mais maxi-morteau.
Néanmoins, ce petit intermède
On ne dira jamais assez le plaisir ressenti
à sillonner la France par les petites routes,
entre monts et vallées, l’âme guillerette et
les narines au vent…
littéraire et gastronomique
s’imposait : les motards sont
aussi des épicuriens, eux qui
n’aiment rien de plus que de se
fondre totalement dans le relief
en dessinant des arabesques
autour des collines. Un bon
motard, finalement, c’est quand
un gastronome est le fruit de
l’union entre un équilibriste et
une paysagiste.
La légèreté de l’être
Et nos machines, dans tout
cela ? Si les Kawasaki ER-6f et
Versys sont bien connues de la
rédaction, ces trois jours passés
à leur guidon nous ont rappelé
deux vérités essentielles. La
première, c’est que si l’adage
« light is right » est éminemment
valable quand on parle de
performances, il est également
parfaitement valide lorsque l’on
se balade. Car pour grimper
sur le point de vue permettant
d’observer le site d’Ornans, ville
natale de Gustave Courbet ;
pour se garer devant la boutique
Myotte à Pierrefontaine-lesVarans, visiter son tuyé et goûter
à ses salaisons ; pour faire une
petite pause devant un lavoir ;
pour admirer le château de
Cléron ; pour gravir les petites
routes qui montent au sommet
du mont d’Or (1 463 m) et aller
contempler la Suisse de l’autre
côté de l’escarpement ; pour
décider de sa direction à chaque
embranchement au gré de ses
envies de flâner et de découvrir
ce qui se cache derrière le
prochain virage… les occasions
ne manquent pas de s’arrêter,
Ne vous fiez pas aux apparences : c’est un
peu moins lourd que cela n’en a l’air !
La croix de Croix, normal…
Britney Spears était là aussi…
2 510 moustiques (et un chevreuil) ont été tués pour
les besoins de ce reportage. Que la SPA se rassure :
personne n’a souffert…
Remerciements
Inutile de dire que ce joli voyage n’aurait pas été possible sans l’accueil chaleureux de JeanLouis Allemand (à droite), ni le soutien de Philippe et Florence de Trail Rando (à gauche,
donc), sans oublier la présence sympathique de Claude et de sa Honda Pan European, mais
qui ne sont pas sur la photo. Cette fameuse agence de voyages qui diversifie ses activités
sur le bitume propose désormais dans son catalogue une boucle baptisée « Au fil du Doubs ».
Encadrée par Jean-Louis, cette balade sur 3 jours et 2 nuits comporte 711 kilomètres
d’évasion, grimpe 2 cols et contourne
10 lacs. Conformément au cahier des
charges de Trail Rando, l’encadrement
est personnalisé et l’itinéraire emprunte
les voies les moins fréquentées
possibles, tandis que l’hébergement et la
restauration font appel aux adresses les
plus reculées et les plus authentiques.
Le prix, tout compris, est de 495 € et le
prochain départ le 24 septembre.
Plus d’infos sur : www.trail-rando.com
90 Maximoto
Juin 2010
Maximoto 91
Juin 2010
La route
Deux petites Kawa dans le Doubs
de mettre pied à terre, pour
repartir après en avoir pris plein
les yeux. C’est là où le volume et
la masse d’une GT peuvent être
handicapants, sans parler du
risque de la mettre par terre.
Pas de souci de ce côté-là : avec
une étroitesse de bon aloi et
un poids qui dépasse de peu les
200 kilos, nos deux machines
savent se rendre accessibles du
matin au soir. Entre les deux, le
choix s’opérera en fonction des
sensibilités, car dans le Doubs,
il y en a pour tous les goûts.
La Versys permet d’emprunter
(certes, plutôt doucement)
des chemins pour aller cueillir
des cèpes, tandis que l’ER-6f
s’enflamme un peu dans les
gorges de Nouailles, surplombant
la vallée de la Loue, et enquille
les virages avec les repose-pieds
par terre. Mais cela, la Versys
sait le faire aussi, et plutôt bien,
d’ailleurs.
Bon, on n’était pas vraiment
venus là pour faire un comparatif
mais, que voulez-vous, c’est de
la perversion professionnelle.
Bien que construites sur une
même base mécanique, nos deux
modèles n’affichent pas la même
puissance : c’est 64 chevaux
pour la jaune, 72 pour la verte.
Et, une fois n’est pas coutume,
notre préférence va à la moins
puissante, prouvant ainsi qu’une
paire d’arbres à cames peut vous
simplifier la vie. Plus linéaire, un
peu moins puissante (elle prend
195 sur autoroute contre 210
pour l’ER-6f, mais ça n’a aucune
sorte d’importance), la Versys
est aussi plus souple à très bas
régime, ce qui change la vie
quand on flâne sur un filet de gaz
sans avoir envie de tricoter du
sélecteur et de changer tout le
temps de rapport. Son ergonomie
est aussi plus confortable, et sa
92 Maximoto
Juin 2010
suspension arrière un peu moins
médiocre que celle de l’ER-6f
qui, il est vrai, frôle la caricature
en ce domaine. On n’est jamais
déçu par un trail : merci à la
Versys qui portait les couleurs
de ces petites machines qui
savent tout faire sans esbroufe
de nous avoir rappelé cette
autre vérité. Il est vrai aussi
que, lors de nos essais tourisme,
on ne conduit pas comme
dans le cadre de nos essais et
comparatifs (heureusement,
sinon le compte rendu de voyage
aurait exactement la forme d’un
road-book de Daniel Elena !), et
que c’est une autre facette de la
personnalité de nos motos qui
s’offre à nous.
Les joies
de la campagne
Bref, on pinaille, mais nos deux
petites Kawa se sont révélées
des compagnes de route tout à
fait séduisantes. Contrairement
à certaines motos, elles ont su
se faire oublier quand c’était
nécessaire pour nous permettre
d’apprécier au mieux ce que le
Doubs avait à nous offrir. Des
vallées verdoyantes traversées
par des cours d’eau paisibles
aux hauts plateaux dont la
beauté sévère est apaisée par de
nombreux lacs ; des petits villages
sereins surplombés par des
fermes massives, à l’architecture
qui fleure bon les alpages…
Une dernière vallée, traversée
à un rythme de sénateur, et
un passage au magasin pour
rapporter à la maison de quoi
prendre des forces. Car il est
malheureusement temps de
rentrer sur la capitale, des
souvenirs plein la tête
et riches d’un nouvel adage :
d’aller dans le Doubs, surtout,
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Le Doubs, un département
qui aime les motards
Le CDT (Comité départemental du tourisme) du
Doubs aime les motards ! Un label « Motards,
bienvenue ! » a été développé avec un cahier des
charges strict (garage moto fermé d’une capacité
de 4 machines minimum, local réservé pour sécher les vêtements le cas
échéant, accueil personnalisé…). 25 Logis possèdent déjà ce label dans tout
le département. Par ailleurs, le département du Doubs propose lui aussi un
séjour à moto sur trois jours, sans encadrement mais avec road-book précis,
hébergement réservé et demi-pension, pour 186 € par personne. Plus
d’informations sur www.doubs.travel