SOUTTER HUGO DP JULIE BORGEAUD

Transcription

SOUTTER HUGO DP JULIE BORGEAUD
Louis Soutter Victor Hugo - Dessins parallèles
Curatrice Julie Borgeaud
Maison Victor Hugo, Paris
Jusqu’au 30 août 2015
PRÉSENTATION
Poursuivant l’exploration des liens entre l’œuvre de Victor Hugo et l’art moderne, la Maison de
Victor Hugo propose la confrontation des dessins du poète avec ceux du dessinateur et
violoniste, Louis Soutter. Qu’y-a-t-il de commun entre l’un des plus célèbres écrivains français et
un dessinateur violoniste suisse ayant chacun vécu dans un siècle différent, sinon la pratique
d’un dessin visionnaire, hors norme et hors marges, brouillant les frontières de l’art ?
L’exposition Louis Soutter, Victor Hugo - Dessins parallèles montre pour la première fois les
liens entre ces deux œuvres majeurs, en rendant hommage à une figure singulière, Louis
Soutter. Dessinateur et violoniste, Louis Soutter (1871-1942), un temps classé par Jean
Dubuffet parmi les artistes d’Art brut, est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands
e
artistes du XX siècle. C’est à l’âge de cinquante-deux ans lors de son placement dans un
hospice du Jura vaudois, qu’il se remet à dessiner et produit près d’une quarantaine de cahiers
d’écolier et entreprend de recouvrir d’annotations et de croquis de nombreux ouvrages d’art et
de littérature. Cousin des architectes Le Corbusier et Pierre Jeanneret, il puise son inspiration
chez divers auteurs de roman, de théâtre, et de poésie. C’est précisément dans ses dessins
qu’il lui arrive d’évoquer Victor Hugo, ainsi que William Shakespeare, figure de référence de la
création hugolienne. Il est ainsi remarqué par des écrivains comme Jean Giono ou CharlesFerdinand Ramuz qui encourage sa création en lui achetant des dessins. Son œuvre s’achève
sur la sublime explosion des dessins aux doigts.
PARCOURS DE L’EXPOSITION
En apparence, tout oppose ces deux figures qui ont vécu en des siècles différents : face à l’un
des écrivains français les plus célèbres, un homme qui termine son existence placé sous tutelle
dans un hospice pour vieillards. Mais tous deux ont pratiqué le dessin de manière intime,
dégagée de toute contrainte. En effet, Hugo dès la trentaine, Soutter la cinquantaine passée ont
développé chacun une création hors norme, libre et visionnaire. Et celles-ci, en dépit de leurs
différences, se rencontrent en d’étonnants croisements de thèmes et de pratiques, sous-tendus
par un même engagement humaniste.
Les dessins de Louis Soutter qui évoquent explicitement Victor Hugo, ses romans Notre- Dame
de Paris et Quatrevingt-treize servent de point de départ pour introduire le dialogue entre ces
deux artistes et constitue une invitation à découvrir la « communauté des égaux» que Victor
Hugo évoquait dans son William Shakespeare.
Croisements
L’œuvre de Louis Soutter et celle de Victor Hugo offrent un certain nombre de résonances
iconographiques. Paysages suisses, cités, burgs et châteaux médiévaux, évocation de
Guillaume Tell... sont autant de thèmes communs à Soutter et Hugo. Au gré de leurs voyages,
ces dessins consignés dans leurs carnets et cahiers respectifs vont donner lieu à des
développements plus visionnaires où l’on peut suivre en parallèle l’élaboration d’architectures
imaginaires qui deviennent le théâtre de leur intériorité.
Victor Hugo, « La Tourgue en 1835 », 30 mai 1876,
plume et lavis d'encre brune sur papier vergé, Maison
de Victor Hugo
Louis Soutter, « châteaux ruinés », [1923-1930]
encre et plume sur papier, MCBA Lausanne
Ce penchant partagé pour la rêverie graphique qui prend le pas sur le dessin descriptif conduit à
d’autres rencontres, que ce soit autour d’architectures orientales ou de compositions
héraldiques.
À la fois refuge d’espoir et motif de désarroi pour Soutter, la femme, comme pour Hugo,
cristallise tous ses désirs que traduisent dessins d’odalisques ou de beautés au miroir.
Louis Soutter, « MATIN / JEUX DE NYMPHES »,
[1923-1930], Crayon au dos d’une lettre, papier ligné
Collection privée
Une légende en partage : le mur des siècles
Victor Hugo, dans son recueil de poésies La Légende des siècles, réécrit l’histoire de l’humanité
en revisitant les grands récits légendaires et historiques. C’est à ce texte que semblent venir se
confronter certains dessins de Louis Soutter qui évoquent la mythologie antique, l’Ancien
Testament et le légendaire chrétien. Les ponts lancés entre les poèmes et les dessins tendent à
les révéler comme autant de moyens d’analyse de la condition humaine.
Victor Hugo, « La Légende des Siècles, partie encore
inédite », plume, lavis d'encre, fusain et aquarelle, 1860,
Maison de Victor Hugo
L’humanité à l’épreuve du feu
Les dessins de Louis Soutter témoignent de références à de nombreux écrivains tels Alfred de
Vigny, Germaine de Staël ou William Shakespeare ce dernier faisant aussi partie du panthéon
de Victor Hugo, signe que la littérature est un prisme à travers lequel Soutter appréhende le
monde et l’histoire et dans lequel il questionne la condition humaine jusque dans son expression
la plus tragique, en proie aux passions et à la souffrance.
Louis Soutter, « SHAEKESPEARE » [1923-1930] crayon rouge et noir sur papier ligné, MCBA Lausanne
Ce questionnement atteint son paroxysme avec les grandes compositions vouées à la figure
humaine de la dernière période de son œuvre, celle dite des dessins aux doigts. Cette technique
à laquelle Hugo a lui aussi eu recours constitue pour Soutter une singulière adaptation de son
énergie créatrice à une santé déclinante, une lutte contre la vieillesse et la mort. Elle rend
manifeste la présence du corps de l’artiste au sein de sa création, établissant une circulation
d’énergie entre son être et les personnages qu’il dessine. Soutter libère cette présence
corporelle de la puissance créatrice qu’avait pressentie Victor Hugo dessinateur. Tous deux
ouvrent ainsi une nouvelle voie à la modernité.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Malgré la différence d’époque, nous avons établi des parallèles dans les parcours artistiques de
Louis Soutter et de Victor Hugo
1871. Naissance de Louis Soutter à Morges, en Suisse.
1802. Naissance de Victor Hugo à Besançon.
« Période des œuvres de jeunesse » (1892-1915)
1892 Fort d’une culture classique, d’une formation d’ingénieur et d’architecte à Genève, Louis
Soutter étudie le violon auprès du compositeur et chef d’orchestre Eugène Ysaÿe à Bruxelles. Il
fréquente l’avant-garde européenne, notamment le groupe des XX. 1895. Au départ d’Ysaÿe
pour les États-Unis, Soutter interrompt ses études musicales pour suivre, à Genève et Lausanne
l’enseignement des peintres Charles Koëlla et Léon Gaud, puis de Jean- Joseph BenjaminConstant et Jean-Paul Laurens à l’académie Colarossi, à Paris. 1897. Soutter s’installe à
Colorado Springs (USA) où il épouse Madge Fursman. Nommé en 1898, directeur du
département des Beaux-Arts du Colorado College, il y enseigne le dessin et la musique, menant
une carrière de portraitiste classique et d’illustrateur de presse.
1903 À la suite de son divorce il rentre en Suisse et s’installe d’abord chez ses parents. Les
décès de son père et de sa sœur seront une nouvelle épreuve.
1907 Il reprend une carrière musicale et devient premier violon de l’orchestre philharmonique de
Genève, place qu’il quitte en 1915, sur un désaccord artistique avec le chef. Il accompagne
alors des projections de films muets. Après avoir vécu dans des meublés à Genève et
Lausanne, il revient à Morges où il fréquente des figures telles qu’Igor Stravinski ou le chimiste,
collectionneur et graveur Alexis Forel.
1830. Après Hernani les grands drames de Victor Hugo se succèdent jusqu’en 1843. Durant
cette période, il s’amuse à croquer pour ses intimes le monde du théâtre, caricaturant les «
classiques » opposés aux « romantiques ». Ses voyages d’été avec Juliette Drouet, sont
prétexte à remplir ses carnets de petits croquis pris sur le motif. Il agrémente de premiers
paysages au lavis les lettres qu’il adresse à ses proches.
1831. Publication du recueil Les Feuilles d’automne dont Soutter reprendra un vers pour titre
d’un de ses dessins, et de Notre-Dame de Paris qu’évoqueront d’autres dessins du peintre.
« Période des cahiers » (1923-1930)
À 52 ans, en 1923, Soutter, endetté, mis sous tutelle à la demande de son frère, est placé à
l’hospice de vieillards de Ballaigues, dans le Jura vaudois. Son violon, qui lui apportait quelques
revenus, est vendu pour couvrir une partie de ses frais de séjour. Par une de ses élèves, il se
procure des cahiers d’écolier et se met à dessiner à l’encre et au crayon : scènes de la vie
quotidienne, villes, architectures anciennes ou modernes, orientales parfois, motifs décoratifs,
femmes, personnages de l’Histoire ou de l’Écriture sainte, interprétations d’œuvres de Dante,
Shakespeare, Germaine de Staël, Alfred de Vigny, Victor Hugo, Pierre Louÿs, etc. Il illustre
aussi à même les pages des livres, Trois contes de Gustave Flaubert, Corinne ou l’Italie de
Germaine de Staël, Tell, le drame tiré de la légende de Guillaume Tell par René Morax, ainsi
qu’un recueil politico-social, Pour nos petits frères russes. Son cousin Le Corbusier lui achète
des dessins, tout comme Jean Giono lorsqu’il séjourne en Suisse.
1838-1839-1840. Hugo voyage dans les régions rhénanes, en Belgique, en Allemagne et en
Suisse où il s’intéresse aux sites marqués par la légende de Guillaume Tell Ŕ, et publie Le Rhin
(1842 et 1845). Ces trois périples provoquent la véritable maturation de son écriture graphique.
Reprenant ses dessins transformés par la mémoire, sur un mode onirique, il crée burgs et villes
imaginaires devenus emblématiques de son style « visionnaire ».
« Période maniériste » (1930-1937)
Grâce aux feuilles plus grandes et de meilleure qualité fournies par Le Corbusier, le style de
Soutter évolue. En parallèle, il poursuit ses illustrations sur des récits comme Salammbô de
Gustave Flaubert, ou des ouvrages de François Mauriac, de Rainer Maria Rilke, de Charles De
Coster, de Jacques de Voragine, ainsi que sur des livres d’art, Voyage au pays des sculpteurs
romans d’Alexis Forel, et plusieurs publications de Le Corbusier.
1850. Accaparé par la politique, se consacrant moins à l’écriture, Hugo exprime sa créativité
dans le dessin. Il installe chez Juliette Drouet un atelier où, avec une foisonnante inventivité
technique, il multiplie les expérimentations et crée ses plus grandes compositions. Ces œuvres
s’inscrivent pour partie dans le projet de décoration de l’appartement qu’il occupe rue de LaTour-d’Auvergne, notamment la série des « Souvenirs » qui seront ornées de cadres peints par
ses soins.
1936. Le Corbusier organise l’exposition au Wadsworth Atheneum Museum of Art de Hartford
(USA), ainsi qu’à la galerie Vallotton à Lausanne et publie dans la revue Minotaure, « Louis
Sutter, l’inconnu de la soixantaine » écrivant « Sutter » par allusion au nom d’origine de la
famille et à son ancêtre le général Sutter (héros de L’Or de Cendrars). Un projet de couverture
pour le roman de Charles Ferdinand Ramuz, Si le soleil ne revenait pas, n’aboutit pas.
1851. Début de l’exil qui durera jusqu’en 1870. Après Bruxelles et Jersey, Hugo se fixe à
Guernesey où il acquiert Hauteville House qu’il aménage et décore en une sorte d’œuvre d’art
totale, emplie de symboles et de référence à ses écrits et à sa pensée. Il complète la série des «
Souvenirs » qui décore la salle du billard. Cette période voit naître ses plus grandes œuvres
romanesques Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer (1866) qui donne lieu, de
manière inhabituelle, à un grand cycle de dessins, L’Homme qui rit (1869), ainsi que les grands
poèmes historiques et philosophiques, comme La Légende des siècles (publiée de 1859 à
1883).
« Période des peintures » (1930-1942) « Période des dessins aux doigts » (1937-1942)
Années 1930. Il semble que ce soit à cette période que Soutter commence à travailler avec de
la peinture, se servant de couleurs qu’il se procure chez le peintre, mosaïste et verrier Marcel
Poncet.
1937. Soutter souffre d’une baisse de la vision et d’arthrose articulaire qui l’empêche peu à peu
de tenir un crayon. Il travaille alors directement avec ses doigts trempés dans la peinture noire
pour carrosserie, sur du papier de revêtement mural. Ses personnages prennent l’allure de
silhouettes archaïques dans un espace pictural abstrait, réduit au blanc de la page. Des
références culturelles plus ou moins explicites, symboliques et poétiques, ainsi que des
crucifixions forment le vocabulaire de cette période. Cette nouvelle orientation provoque une
rupture avec Le Corbusier. L’éditeur suisse Henry-Louis Mermod s’intéresse à son travail et
réunira une importante collection après la mort de Soutter.
1872-1873. Hugo retourne à Guernesey pour trouver le calme nécessaire à l’écriture de
Quatrevingt-treize, auquel plusieurs dessins de Soutter feront référence. C’est à cette époque
qu’il réalise « Le Poème de la sorcière », série de dessins au trait représentant juges,
tortionnaires et badauds assistant à un procès en sorcellerie.
1885. Victor Hugo meurt à Paris.
1942. Louis Soutter meurt à Ballaigues.