Le centre commercial à la française devient centre de vie.

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Le centre commercial à la française devient centre de vie.
Le centre commercial à la française devient centre de vie.
Un hypermarché flanqué d’une galerie marchande de plusieurs dizaines de
boutiques Inventé à la fin des années 1960, le modèle traditionnel du centre
commercial à la française est aujourd’hui en pleine évolution. Face à la double
concurrence du commerce de proximité et du commerce en ligne, la mue devenait
indispensable. Pour attirer consommateurs et enseignes, les centres commerciaux
agrègent désormais dans le même ensemble des espaces de loisirs – comme des
restaurants ou des cinémas – mais aussi de plus en plus souvent de véritables lieux
de vie comme des bureaux ou des logements.
Le Millénaire sur le territoire de la commune d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) à
quelques encablures du périphérique parisien en mars dernier, et le pôle commercial
Confluence à quelques minutes du centre-ville de Lyon au milieu de l’automne
prochain Pour tous ceux qui s’intéressent à l’évolution du secteur de la grande
distribution en France, l’année 2011 restera sans aucun doute marquée par
l’inauguration de deux des plus grands centres commerciaux jamais ouverts dans
notre pays : respectivement 56 000 m2 et 52 000 m2 pour un investissement global
de plus de 400 millions d’euros chacun. Selon les prévisions des promoteurs
concernés, ils pourraient même atteindre dès l’an prochain un niveau de
fréquentation record : entre 12 et 15 millions de visiteurs. “Autant de chiffres, assure
Jean-Michel Silbertein, délégué général du CNCC (Centre national des centres
commerciaux), qui témoignent de la confiance des investisseurs envers une
catégorie de grands projets qui faisait pourtant régulièrement l’objet d’un certain
nombre de remises en cause au cours des dernières années.”
Opinion confirmée par Philippe Moati, directeur de recherches au Credoc, qui fait
toutefois remarquer que le modèle de centres commerciaux qui émerge actuellement
est bien différent du modèle traditionnel qui prévalait encore au tout début de la
présente décennie. “Depuis quelque temps déjà, explique-t-il, on assiste à une
évolution importante visant à faire des centres commerciaux non plus seulement des
lieux d’achat mais aussi de véritables lieux de loisirs et de détente.” Autre différence
significative : l’arrivée sur le marché d’un certain nombre d’enseignes nouvelles dont
la vocation est de renforcer encore l’attractivité de ces centres commerciaux nouveau
style.
Le
modèle
de
centre
commercial
à
la
française
En réalité, la création des premiers centres commerciaux remonte en France à la fin
des années 1960, il y a donc une bonne quarantaine d’années maintenant. Elle
résulte de la conjonction à l’époque entre la volonté de nos concitoyens d’entrer
réellement dans la société de consommation et l’imagination d’un certain nombre de
commerçants qui y voient une opportunité de favoriser le développement de leurs
affaires. Inspirées chacune d’un modèle existant aux Etats-Unis, deux conceptions
semblent alors s’opposer. D’un côté, celle de Marcel Fournier, le créateur des
premiers Carrefour, et de Gérard Mulliez, le fondateur du groupe Auchan, un
industriel textile du nord de la France récemment reconverti dans la distribution, qui
privilégient la notion de grande surface de vente à vocation principalement
alimentaire. De l’autre, celle de Jean-Louis Solal, le promoteur des centres Parly 2 au
Chesnay près de Versailles et Cap 3 000 à Saint-Laurent-du-Var près de Nice, qui
s’intéresse davantage au concept du grand magasin entouré d’un certain nombre de
boutiques spécialisées.
Mais très vite, ces deux visions finissent par se réconcilier autour d’un modèle
typique de centre commercial dit “à la française” que l’on retrouve aujourd’hui un peu
partout sur l’ensemble du territoire et qui regroupe autour d’un grand magasin
unique, un hypermarché le plus souvent, un nombre relativement important de
boutiques de tout style et de toute nature. Le succès, en tout cas, dépasse largement
les espérances les plus optimistes. On recense en effet aujourd’hui en France plus
de 700 centres commerciaux – représentant au total quelque 32 000 commerces –
qui ont réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de l’ordre de 117 milliards d’euros (soit
un bon quart du commerce de détail dans notre pays) et qui occupent environ 420
000 emplois directs. Cela va des grands centres dits super régionaux de la région
parisienne type Créteil Soleil, Les Quatre Temps à La Défense, Vélizy 2 ou Val
d’Europe dans la ville nouvelle de Marne-la-Vallée – plus de 80 000 m2 de surface
de vente et 150 boutiques minimum – aux petits centres locaux répondant aux
critères minimums fixés par la profession – une surface totale de vente au moins
égale à 5 000 m2 et 20 boutiques minimum –, en passant par les centres régionaux
intermédiaires comme Bordeaux Le Lac, Euralille ou Italie 2 à Paris dont le nombre
moyen de boutiques se situe autour d’une cinquantaine pour une surface de vente
variant entre 20 000 et 80 000 m2.
Autre évolution importante : celle des enseignes installées dans les galeries
marchandes. Alors qu’elles étaient à l’origine toutes tenues par des commerçants
indépendants, on a vu un certain nombre d’entre elles se développer au point de
devenir de véritables enseignes nationales – type Camaïeu ou Pimkie – qui sont
aujourd’hui présentes dans la quasi-totalité de nos centres commerciaux.
“Aujourd’hui, précise Jean-Michel Silbertein, on estime que plus de la moitié des
commerçants présents dans les centres commerciaux de notre pays sont des
succursalistes ou des franchisés d’une grande marque nationale.” Bref, on a assisté
ainsi à l’éclosion d’un véritable modèle de centre commercial à la française – un
hypermarché entouré d’enseignes nationales, voire internationales, connues – qui,
grâce au dynamisme d’entreprises comme Auchan ou Carrefour, s’est largement
exporté au cours des dernières années dans de nombreux Etats membres de l’Union
européenne, et jusqu’au Brésil, à la Chine et la Russie.
Les
hypers
en
disgrâce
Mais, aujourd’hui, il faut bien le reconnaître : ce modèle commence à être contesté
en France même. Conséquence de la crise financière des années 2008-2010 ou pas
? On constate depuis quelques années un certain ralentissement d’activité dans la
plupart des centres commerciaux du pays. Selon les chiffres officiels publiés le mois
dernier par les services du CNCC, les centres commerciaux ont même enregistré en
2010 une baisse de fréquentation de l’ordre de 1,3 % par rapport à l’année
précédente. Raisons invoquées : les mouvements de grève liés à la réforme des
retraites qui ont marqué l’ensemble de l’année et les conditions climatiques
exceptionnelles du mois de décembre. “Mais au-delà de ces raisons d’ordre
purement conjoncturel, explique Jean-Michel Silbertein, il existe des raisons plus
profondes que nous commençons à identifier de manière de plus en plus précise.”
Première d’entre elles : le retour du commerce de proximité. Une étude publiée
récemment par les services de l’Insee indique que le petit commerce installé dans le
centre des villes semble avoir enrayé la décrue qu’il connaissait depuis la fin des
années 1990 et que, dans certains secteurs comme l’habillement, le meuble ou le
matériel de sport, le solde des créations de points de vente tend même à redevenir
positif. De la même façon, on assiste dans les grandes villes à l’éclosion d’une offre
commerciale de proximité qui n’existait pas il y a quelques années. On pense à des
enseignes telles que Carrefour Daily, Leader Price ou Monop’ ainsi qu’aux nombreux
“hard discounters” comme Aldi, Dia ou Lidl qui s’intéressent désormais à ce marché.
Outre la hausse des prix de l’essence qui tend à limiter l’utilisation de l’automobile,
cet engouement s’explique par un certain nombre de facteurs objectifs liés à la
réduction de la taille des ménages. “On trouve de plus en plus de personnes seules
ou de couples de seniors, explique Philippe Moati, qui n’ont pas besoin de faire de
courses importantes et qui ne ressentent pas la nécessité de se rendre en voiture
dans des hypermarchés de banlieue.”
Autre phénomène : le développement du commerce par Internet qui fournit
désormais une part significative des achats. Particulièrement sensible dans les
semaines précédant les fêtes de fin d’année (le consommateur espère ainsi sans
doute échapper à la cohue et aux bousculades inévitables pendant cette période), la
percée de l’e-commerce tend à se généraliser sur l’ensemble de l’année. D’après les
chiffres publiés récemment par la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à
distance), on estime que près de 5 % des achats de la population française
s’effectuent désormais par ce canal.
Un
nouveau
modèle
d’attractivité
Résultat : face à la double concurrence du commerce de proximité et de la vente à
distance, les centres commerciaux sont aujourd’hui contraints d’évoluer. Dans quel
sens ? “Le défi qui est devant nous, explique Bernard Deslandes, directeur général
délégué de la société Ségécé-Klépierre, la filiale du groupe bancaire BNP Paribas
spécialisée dans l’immobilier commercial présente dans une quinzaine de pays
européens, c’est désormais celui de l’attractivité. Il nous faut donner au
consommateur de bonnes raisons de prendre son véhicule, c’est-à-dire de dépenser
une énergie qui coûte cher, pour nous rendre visite.” Cela passe par l’installation, à
côté des boutiques traditionnelles, d’enseignes nouvelles permettant de diversifier
l’offre commerciale. Exemples : Desigual ou AppleStore. Autres impératifs : la
création d’espaces ouverts sur l’extérieur bénéficiant de la lumière du jour et limitant
toute sensation d’enfermement ainsi que d’espaces de loisirs tels que des cinémas,
des restaurants ou des salles d’expositions dans lesquels les visiteurs trouveront des
possibilités de détente. On pense également à l’organisation d’un système d’accueil
des enfants pendant que les adultes font leurs courses. Bref, il s’agit aujourd’hui de
faire en sorte que la visite d’un centre commercial soit considérée comme un
moment agréable, pratique et utile.
Autant d’idées ou de réflexions que le groupe Klépierre, promoteur en partenariat
avec Icade – filiale spécialisée de la Caisse des Dépôts et Consignations –, du
Millénaire, a décidé de concrétiser largement à Aubervilliers. C’est ainsi qu’on trouve
sur place plus de 140 boutiques, mais aussi six restaurants, de nombreux espaces
verts (12 000 m2), un espace nursery, des animations pour enfants, un espace de
détente pour les adultes et un complexe cinématographique C’est peu ou prou le
même schéma qui sera mis en œuvre par la société Unibail-Rodamco, promoteur du
futur centre commercial lyonnais Confluence, qui a prévu de réserver un bon tiers de
la surface totale du centre commercial à des espaces de détente ou de loisirs.
Une
dose
d’optimisme
“En fait, explique Philippe Moati, il s’agit là d’un mouvement qui est lancé depuis
quelque temps déjà et qui semble porter ses fruits.” En effet, si le taux de
fréquentation des centres commerciaux tend incontestablement à baisser, on assiste
en même temps à une augmentation relativement significative des chiffres d’affaires.
C’est ainsi que le montant moyen du panier d’achat y a augmenté de 1,2 % l’an
dernier par rapport à l’année précédente. Pour un certain nombre de produits
concernant les secteurs de l’habillement et des cosmétiques, on enregistre même
des hausses sensiblement plus élevées : +3,6 % et +1,9 % respectivement. Les
professionnels, en tout cas, font preuve d’un réel optimisme pour les années à venir.
La preuve ? On trouve dans les cartons des investisseurs un nombre important de
projets. D’ici à la fin 2012, ils prévoient la création et la rénovation de près de 2
millions de m2 d’espaces commerciaux pour toute la France. A l’échéance 2015, plus
de 200 projets de centres commerciaux nouveaux représentent un potentiel total de
plus de 4 millions de m2 de surfaces commerciales nouvelles. “Il est à noter
toutefois, précisent les dirigeants de la société Immochan, filiale du groupe Auchan
spécialisée dans l’immobilier commercial, que la plupart de nos projets s’intègrent
désormais dans des ensembles urbains qui prévoient également la création, au-delà
des activités commerciales, d’un nombre important de bureaux et de logements.” On
est loin du modèle qui a inspiré les pères fondateurs des centres commerciaux à la
française.