PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES ET GARANTIE DÉCENNALE

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PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES ET GARANTIE DÉCENNALE
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II - CHRONIQUES ET OPINIONS
PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES
ET GARANTIE DÉCENNALE
Marc Buffard
Avocat spécialiste en droit immobilier
Associé, cabinet Racine
L’évolution des techniques dans le bâtiment fait apparaître des probléma­
tiques juridiques nouvelles, notamment pour l’application de la garantie
décennale quant au caractère professionnel ou non de la production d’élec­
tricité, par des panneaux photovoltaïques incorporés à la couverture, ainsi
que par rapport à la destination de l’ouvrage.
L
’HOMME PRÉHISTORIQUE DEMANDAIT À SA GROTTE OU À
sa hutte de l’abriter, tant bien que mal, des intempéries
et des attaques des bêtes sauvages. Avec le temps, petit
à petit, l’homme a demandé plus à son habitation : le
confort, l’intimité et, pour certains, l’affichage de son
importance dans la cité, de sa culture, de son goût…
Aujourd’hui l’ouvrage de construction tend à devenir autre
chose encore : utilisation de bétons ou de murs végétaux
dépolluant l’environnement et surtout production d’électri­
cité par incorporation de panneaux photovoltaïques. Dans
tous ces cas, le bâtiment se trouve nouvellement investi
d’une double fonction : celle, traditionnelle, d’assurer le clos
et le couvert dans le cadre de sa destination (habitation,
bâtiment industriel ou agricole, etc.) et celle, nouvelle, de
dépolluer l’environnement ou de produire de l’électricité
destinée à être revendue à EDF.
Se pose alors la question de la garantie due par les construc­
teurs de ces bâtiments aux fonctions multiples: si rien, à l’évi­
dence, ne doit faire échec à l’application de la garantie décen­
nale des constructeurs et à son assurance obligatoire pour ce
qui concerne “l’ouvrage de construction”, rien non plus ne doit
entraîner l’application d’un tel régime contraignant et coû­
teux pour une activité pour laquelle il n’a pas été prévu. En
d’autres termes, et pour s’en tenir à l’exemple le plus répandu
du panneau photovoltaïque, tout un chacun admettra volon­
tiers que, dans la mesure où lui et la structure sur laquelle il
est posé assurent le couvert du bâtiment, il est bien normal
que le panneau entraîne par ses défaillances d’étanchéité l’ap­
plication de la garantie décennale des constructeurs. Mais si
la production d’électricité, et seulement elle, est défectueuse
partiellement ou totalement ? Cette question conduit à
rechercher tout d’abord si la production d’électricité pourrait
constituer une exception au régime particulier de la respon­
sabilité des constructeurs puis si, dans le cas contraire, cette
destination particulière de l’« ouvrage relevant de la construction »
doit ou non profiter des garanties légales.
1. Voir sur ce point JP Karila « Les équipements participant à un procès industriel », Gaz. Pal. 1999, 1, doctr. p. 2 – A D’Hauteville, JCP G
2000, I, 219, p. 633.
I. ÉQUIPEMENT D’OUVRAGE ET ÉQUIPEMENT
PROFESSIONNEL
Dans la mesure où la production de l’électricité par un bâti­
ment dûment équipé à cet effet a pour but non l’utilisation de
ce bâtiment (chauffage, éclairage électrique) mais la vente de
l’électricité à EDF, seule susceptible de rentabiliser des équipe­
ments coûteux, il semble logique de considérer qu’il s’agit là
« d’éléments d’équipement liés à une activité industrielle » (1). Par un
arrêt du 26 mars 1996, statuant sur renvoi, la cour d’appel de
Paris (2) a en effet confirmé, malgré les critiques de la doc­
trine, qu’il importe peu que les travaux de bâtiment effectués
« concernent un local d’habitation ou un local industriel ou commercial ».
Or, depuis la réforme instituée par l’ordonnance n° 2005-658
du 8 juin 2005 et devenue l’article 1792-7 du Code civil, le
régime de la responsabilité présumée des constructeurs n’est
pas applicable aux éléments d’équipement d’un ouvrage, ni à
leurs accessoires, « dont la fonction exclusive est de permettre l’exer­
cice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ». Pour nos panneaux
voltaïques il s’agit d’une activité probablement profession­
nelle voire industrielle, mais dans le cadre d’une fonction qui
n’est certainement pas exclusive puisqu’ils participent aussi au
couvert de l’ouvrage, fonction traditionnelle et au combien
indispensable de celui-ci. Il est permis de penser que le légis­
lateur de 2005 n’était pas très à jour des évolutions de la
science et des techniques puisqu’il est resté dans une logique
ancienne: une fonction est exclusivement professionnelle ou
exclusivement de construction. Il ne semble pas avoir ima­
giné qu’un élément d’équipement pourrait être investi au
même moment de deux fonctions bien distinctes: couvrir par
exemple un bâtiment et, sans la moindre modification, pro­
duire aussi de l’électricité pour être vendue.
En l’état actuel de la législation et en raison de l’utilisation
sans ambiguïté du mot « fonction exclusive » il paraît bien dif­
ficile de soutenir que notre panneau doit être considéré
comme un élément d’équipement permettant l’exercice
2. CA Paris, 1re ch., 24 mars 1999, Juris-Data n° 1999-020418, RD
imm. 1999, p. 406.
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d’une activité professionnelle et bénéficier à ce titre de l’ex­
ception prévue à l’article 1792-7 du Code civil.
Pourtant les mêmes exigences que celles qui ont présidé à
l’adoption de ce texte existent dans un cas comme le nôtre
pour la partie activité professionnelle même si elle est intime­
ment liée à la partie couverture de l’ouvrage: il est souhaita­
ble en effet de conserver à cette dernière fonction la garantie
exorbitante du droit commun instituée par les articles 1792 et
suivants du Code civil et son assurance obligatoire, mais il
faut éviter d’en faire bénéficier une activité qui n’a rien à voir
avec le caractère d’« ouvrage relevant de la construction » et qui
présente un aspect évidemment professionnel.
Tout au plus pouvons-nous espérer que face au développe­
ment exponentiel du photovoltaïque le législateur éprouve
le besoin de rattraper l’évolution de son temps…
Il reste en attendant à se demander si cette fonction profes­
sionnelle non exclusive du panneau photovoltaïque satisfait
bien les autres conditions de la loi pour bénéficier du régime
de la responsabilité des constructeurs.
II. LA DESTINATION DE L’OUVRAGE
L’article 1792 du Code civil dispose que: « Tout constructeur
d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur
de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compro­
mettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments
constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa
destination. » La destination de l’ouvrage est celle pour laquelle
il a été construit. Ainsi, le bâtiment d’habitation doit-il per­
mettre d’y habiter convenablement alors que le bâtiment
industriel doit être conforme à sa fonction, comme le bâti­
ment agricole à la sienne. On considérera en effet que, par
exemple, un défaut d’isolation du sol sera insupportable dans
un bâtiment d’habitation ou de bureaux alors que ce même
défaut n’entraînera aucune impropriété à destination pour un
bâtiment industriel de production. Les tribunaux ont consa­
cré cette vision subjective de l’impropriété à destination dont
l’appréciation relève de leur pouvoir souverain. C’est ainsi
que l’impropriété à destination a même été consacrée pour
des infiltrations d’eau affectant un caveau funéraire…! (3).
Malgré le fait que la loi Spinetta n’avait manifestement pour
objet de protéger que la fonction « bâtiment », aux termes
d’une interprétation extensive, les tribunaux ont pourtant
consacré l’application du régime particulier de responsabilité
dans des cas d’impropriété à une destination commerciale ou
industrielle:
● défauts affectant par exemple un dallage industriel le ren­
dant impropre à l’utilisation de machines-outils pour les­
quelles il était conçu (4);
● même chose pour un dallage qui n’assurait plus la protec­
tion contre les attaques chimiques générées par l’exploita­
tion industrielle pour laquelle il était conçu. (5)
Pourrait-on alors penser que la fonction production d’électri­
cité pour un ouvrage conçu en plus de sa fonction de bâti­
ment d’habitation, commercial, industriel ou agricole entraî­
nerait, en cas de défaillance, une impropriété à destination?
3. Cass 3°, 17 déc. 2003, Jurisdata n° 2003-021509, Bull. civ. 2003,
III, n° 231, resp. civ. et assur. 2004, comm 71.
4. Cass. 3° civ., 3 décembre 2002, RD imm. 2003, p. 25.
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La Cour de cassation a donné ponctuellement une réponse
négative à cette question le 6 novembre 1996 dans un arrêt
non publié au Bulletin et pour une installation productrice
d’électricité, mais pas avec des panneaux photovoltaïques,
assurant aussi le couvert du bâtiment. Elle précise « le bâtiment
a pour destination de permettre l’exploitation d’une installation de produc­
tion industrielle d’électricité; que la cour d’appel constate encore que selon
l’expert la centrale est inutilisable et sa fermeture définitive, inévitable, que
la cour d’appel en conclut qu’il y a ruine totale de l’ouvrage ».
Mais la Cour suprême considère à l’instar de la cour d’appel
que « la non-conformité contractuelle de la production électrique ne rele­
vait pas de la couverture de la police "garantie décennale" en l’absence de
vice de fonctionnement de l’installation ». Alors que la centrale, mal
conçue, n’assurait pas la production promise il faudrait donc
faire une distinction entre cette non-conformité contrac­
tuelle ne relevant pas de la garantie décennale et un vice de
l’installation qui, lui, en relèverait…
Une telle distinction n’existe pourtant pas habituellement
dans le régime de la responsabilité des constructeurs qui s’ap­
plique tant aux désordres affectant les éléments d’équipement
qu’à ceux qui résultent d’une mauvaise conception, ellemême génératrice ou non d’une non-conformité contrac­
tuelle. Que fera dès lors la jurisprudence lorsqu’elle aura à
trancher le premier litige portant sur une production défec­
tueuse de panneaux photovoltaïques? Fera-t-elle la distinc­
tion entre une simple non-conformité et un vice affectant les
panneaux? Cela semble difficile dans la mesure où la mau­
vaise production d’électricité résultera probablement tou­
jours d’un vice de l’installation. Dans ce cas, l’installation
purement électrique profitera-t-elle toujours du régime surprotecteur de la garantie décennale? Rien pourtant ne s’op­
poserait à ce que l’on distingue clairement les deux destina­
tions distinctes de l’ouvrage: l’une conforme à ce pourquoi il
est construit (habitation, bâtiment commercial, industriel ou
agricole) qui bénéficiera toujours de la présomption de res­
ponsabilité et l’autre, particulière et professionnelle, de pro­
duction d’électricité qui ne devrait pas en bénéficier.
Les tribunaux, dont les juges sont parfois des propriétaires de
bâtiments mais jamais des commerçants ou des industriels,
seront peut-être tentés de nier la qualification professionnelle
à cette activité accessoire de production d’électricité et d’y
voir une destination conforme à celle de l’ouvrage. Ils aug­
menteront alors, dans un marché très européen, la dichoto­
mie qui existe déjà entre le système français (protecteur et
coûteux…) et les autres systèmes européens de responsabilité
des constructeurs, dichotomie qui est à l’heure actuelle le
principal obstacle à l’harmonisation de ces systèmes par une
directive de plus en plus hypothétique.
Plus grave encore, ne pas faire sortir la production d’électri­
cité du régime de présomption de responsabilité, c’est inciter
les assureurs, toujours très prudents avec les nouveautés, à
refuser de garantir les entrepreneurs soucieux de respecter la
loi et laisser de fait la place aux cow-boys insensibles à ce genre
de questions en attendant que les drames éclatent.
M. B.
5. CA Paris, 19° ch. A, 21 mai 2003, Jurisdata n° 2003-213717, cont.
urb. 2003, comm. 222.