PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES ET GARANTIE DÉCENNALE
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PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES ET GARANTIE DÉCENNALE
DE174-02-1-chroniqu 18/12/09 17:14 Page 11 II - CHRONIQUES ET OPINIONS PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES ET GARANTIE DÉCENNALE Marc Buffard Avocat spécialiste en droit immobilier Associé, cabinet Racine L’évolution des techniques dans le bâtiment fait apparaître des probléma tiques juridiques nouvelles, notamment pour l’application de la garantie décennale quant au caractère professionnel ou non de la production d’élec tricité, par des panneaux photovoltaïques incorporés à la couverture, ainsi que par rapport à la destination de l’ouvrage. L ’HOMME PRÉHISTORIQUE DEMANDAIT À SA GROTTE OU À sa hutte de l’abriter, tant bien que mal, des intempéries et des attaques des bêtes sauvages. Avec le temps, petit à petit, l’homme a demandé plus à son habitation : le confort, l’intimité et, pour certains, l’affichage de son importance dans la cité, de sa culture, de son goût… Aujourd’hui l’ouvrage de construction tend à devenir autre chose encore : utilisation de bétons ou de murs végétaux dépolluant l’environnement et surtout production d’électri cité par incorporation de panneaux photovoltaïques. Dans tous ces cas, le bâtiment se trouve nouvellement investi d’une double fonction : celle, traditionnelle, d’assurer le clos et le couvert dans le cadre de sa destination (habitation, bâtiment industriel ou agricole, etc.) et celle, nouvelle, de dépolluer l’environnement ou de produire de l’électricité destinée à être revendue à EDF. Se pose alors la question de la garantie due par les construc teurs de ces bâtiments aux fonctions multiples: si rien, à l’évi dence, ne doit faire échec à l’application de la garantie décen nale des constructeurs et à son assurance obligatoire pour ce qui concerne “l’ouvrage de construction”, rien non plus ne doit entraîner l’application d’un tel régime contraignant et coû teux pour une activité pour laquelle il n’a pas été prévu. En d’autres termes, et pour s’en tenir à l’exemple le plus répandu du panneau photovoltaïque, tout un chacun admettra volon tiers que, dans la mesure où lui et la structure sur laquelle il est posé assurent le couvert du bâtiment, il est bien normal que le panneau entraîne par ses défaillances d’étanchéité l’ap plication de la garantie décennale des constructeurs. Mais si la production d’électricité, et seulement elle, est défectueuse partiellement ou totalement ? Cette question conduit à rechercher tout d’abord si la production d’électricité pourrait constituer une exception au régime particulier de la respon sabilité des constructeurs puis si, dans le cas contraire, cette destination particulière de l’« ouvrage relevant de la construction » doit ou non profiter des garanties légales. 1. Voir sur ce point JP Karila « Les équipements participant à un procès industriel », Gaz. Pal. 1999, 1, doctr. p. 2 – A D’Hauteville, JCP G 2000, I, 219, p. 633. I. ÉQUIPEMENT D’OUVRAGE ET ÉQUIPEMENT PROFESSIONNEL Dans la mesure où la production de l’électricité par un bâti ment dûment équipé à cet effet a pour but non l’utilisation de ce bâtiment (chauffage, éclairage électrique) mais la vente de l’électricité à EDF, seule susceptible de rentabiliser des équipe ments coûteux, il semble logique de considérer qu’il s’agit là « d’éléments d’équipement liés à une activité industrielle » (1). Par un arrêt du 26 mars 1996, statuant sur renvoi, la cour d’appel de Paris (2) a en effet confirmé, malgré les critiques de la doc trine, qu’il importe peu que les travaux de bâtiment effectués « concernent un local d’habitation ou un local industriel ou commercial ». Or, depuis la réforme instituée par l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 et devenue l’article 1792-7 du Code civil, le régime de la responsabilité présumée des constructeurs n’est pas applicable aux éléments d’équipement d’un ouvrage, ni à leurs accessoires, « dont la fonction exclusive est de permettre l’exer cice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ». Pour nos panneaux voltaïques il s’agit d’une activité probablement profession nelle voire industrielle, mais dans le cadre d’une fonction qui n’est certainement pas exclusive puisqu’ils participent aussi au couvert de l’ouvrage, fonction traditionnelle et au combien indispensable de celui-ci. Il est permis de penser que le légis lateur de 2005 n’était pas très à jour des évolutions de la science et des techniques puisqu’il est resté dans une logique ancienne: une fonction est exclusivement professionnelle ou exclusivement de construction. Il ne semble pas avoir ima giné qu’un élément d’équipement pourrait être investi au même moment de deux fonctions bien distinctes: couvrir par exemple un bâtiment et, sans la moindre modification, pro duire aussi de l’électricité pour être vendue. En l’état actuel de la législation et en raison de l’utilisation sans ambiguïté du mot « fonction exclusive » il paraît bien dif ficile de soutenir que notre panneau doit être considéré comme un élément d’équipement permettant l’exercice 2. CA Paris, 1re ch., 24 mars 1999, Juris-Data n° 1999-020418, RD imm. 1999, p. 406. Droit de l’environnement N° 174 - décembre 2009 11 DE174-02-1-chroniqu 18/12/09 17:14 Page 12 II - CHRONIQUES ET OPINIONS d’une activité professionnelle et bénéficier à ce titre de l’ex ception prévue à l’article 1792-7 du Code civil. Pourtant les mêmes exigences que celles qui ont présidé à l’adoption de ce texte existent dans un cas comme le nôtre pour la partie activité professionnelle même si elle est intime ment liée à la partie couverture de l’ouvrage: il est souhaita ble en effet de conserver à cette dernière fonction la garantie exorbitante du droit commun instituée par les articles 1792 et suivants du Code civil et son assurance obligatoire, mais il faut éviter d’en faire bénéficier une activité qui n’a rien à voir avec le caractère d’« ouvrage relevant de la construction » et qui présente un aspect évidemment professionnel. Tout au plus pouvons-nous espérer que face au développe ment exponentiel du photovoltaïque le législateur éprouve le besoin de rattraper l’évolution de son temps… Il reste en attendant à se demander si cette fonction profes sionnelle non exclusive du panneau photovoltaïque satisfait bien les autres conditions de la loi pour bénéficier du régime de la responsabilité des constructeurs. II. LA DESTINATION DE L’OUVRAGE L’article 1792 du Code civil dispose que: « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compro mettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. » La destination de l’ouvrage est celle pour laquelle il a été construit. Ainsi, le bâtiment d’habitation doit-il per mettre d’y habiter convenablement alors que le bâtiment industriel doit être conforme à sa fonction, comme le bâti ment agricole à la sienne. On considérera en effet que, par exemple, un défaut d’isolation du sol sera insupportable dans un bâtiment d’habitation ou de bureaux alors que ce même défaut n’entraînera aucune impropriété à destination pour un bâtiment industriel de production. Les tribunaux ont consa cré cette vision subjective de l’impropriété à destination dont l’appréciation relève de leur pouvoir souverain. C’est ainsi que l’impropriété à destination a même été consacrée pour des infiltrations d’eau affectant un caveau funéraire…! (3). Malgré le fait que la loi Spinetta n’avait manifestement pour objet de protéger que la fonction « bâtiment », aux termes d’une interprétation extensive, les tribunaux ont pourtant consacré l’application du régime particulier de responsabilité dans des cas d’impropriété à une destination commerciale ou industrielle: ● défauts affectant par exemple un dallage industriel le ren dant impropre à l’utilisation de machines-outils pour les quelles il était conçu (4); ● même chose pour un dallage qui n’assurait plus la protec tion contre les attaques chimiques générées par l’exploita tion industrielle pour laquelle il était conçu. (5) Pourrait-on alors penser que la fonction production d’électri cité pour un ouvrage conçu en plus de sa fonction de bâti ment d’habitation, commercial, industriel ou agricole entraî nerait, en cas de défaillance, une impropriété à destination? 3. Cass 3°, 17 déc. 2003, Jurisdata n° 2003-021509, Bull. civ. 2003, III, n° 231, resp. civ. et assur. 2004, comm 71. 4. Cass. 3° civ., 3 décembre 2002, RD imm. 2003, p. 25. 12 Droit de l’environnement N° 174 - décembre 2009 La Cour de cassation a donné ponctuellement une réponse négative à cette question le 6 novembre 1996 dans un arrêt non publié au Bulletin et pour une installation productrice d’électricité, mais pas avec des panneaux photovoltaïques, assurant aussi le couvert du bâtiment. Elle précise « le bâtiment a pour destination de permettre l’exploitation d’une installation de produc tion industrielle d’électricité; que la cour d’appel constate encore que selon l’expert la centrale est inutilisable et sa fermeture définitive, inévitable, que la cour d’appel en conclut qu’il y a ruine totale de l’ouvrage ». Mais la Cour suprême considère à l’instar de la cour d’appel que « la non-conformité contractuelle de la production électrique ne rele vait pas de la couverture de la police "garantie décennale" en l’absence de vice de fonctionnement de l’installation ». Alors que la centrale, mal conçue, n’assurait pas la production promise il faudrait donc faire une distinction entre cette non-conformité contrac tuelle ne relevant pas de la garantie décennale et un vice de l’installation qui, lui, en relèverait… Une telle distinction n’existe pourtant pas habituellement dans le régime de la responsabilité des constructeurs qui s’ap plique tant aux désordres affectant les éléments d’équipement qu’à ceux qui résultent d’une mauvaise conception, ellemême génératrice ou non d’une non-conformité contrac tuelle. Que fera dès lors la jurisprudence lorsqu’elle aura à trancher le premier litige portant sur une production défec tueuse de panneaux photovoltaïques? Fera-t-elle la distinc tion entre une simple non-conformité et un vice affectant les panneaux? Cela semble difficile dans la mesure où la mau vaise production d’électricité résultera probablement tou jours d’un vice de l’installation. Dans ce cas, l’installation purement électrique profitera-t-elle toujours du régime surprotecteur de la garantie décennale? Rien pourtant ne s’op poserait à ce que l’on distingue clairement les deux destina tions distinctes de l’ouvrage: l’une conforme à ce pourquoi il est construit (habitation, bâtiment commercial, industriel ou agricole) qui bénéficiera toujours de la présomption de res ponsabilité et l’autre, particulière et professionnelle, de pro duction d’électricité qui ne devrait pas en bénéficier. Les tribunaux, dont les juges sont parfois des propriétaires de bâtiments mais jamais des commerçants ou des industriels, seront peut-être tentés de nier la qualification professionnelle à cette activité accessoire de production d’électricité et d’y voir une destination conforme à celle de l’ouvrage. Ils aug menteront alors, dans un marché très européen, la dichoto mie qui existe déjà entre le système français (protecteur et coûteux…) et les autres systèmes européens de responsabilité des constructeurs, dichotomie qui est à l’heure actuelle le principal obstacle à l’harmonisation de ces systèmes par une directive de plus en plus hypothétique. Plus grave encore, ne pas faire sortir la production d’électri cité du régime de présomption de responsabilité, c’est inciter les assureurs, toujours très prudents avec les nouveautés, à refuser de garantir les entrepreneurs soucieux de respecter la loi et laisser de fait la place aux cow-boys insensibles à ce genre de questions en attendant que les drames éclatent. M. B. 5. CA Paris, 19° ch. A, 21 mai 2003, Jurisdata n° 2003-213717, cont. urb. 2003, comm. 222.